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Nébal
Dieu d'après le panthéon
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Re: Critiques

Message par Nébal »

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Lu Trail Guides, Volume 1, supplément VO pour Deadlands Reloaded, et qui compile en fait trois petits suppléments de contexte "exotiques".

Chronique en mode tl;dr :
- South o' the Border: chouette contexte, mal mis en oeuvre.
- The Great Northwest : cool, le cadre le moins exotique mais le mieux servi.
- Weird White North : raté de bout en bout.

La critique complète est lisible et écoutable sur mon blog, hop : Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1

Mais je la reproduis ici au cas où...

Forcément, c'est pour le Marshal, hein.

Spoiler:
JOUER AILLEURS

Le cadre traditionnel des aventures de Deadlands Reloaded est l’Ouest étrange – un univers déjà assez vaste en tant que tel, et susceptible de bien des variantes, conformément aux différentes approches du genre western. Il y a un monde entre les grandes plaines qui s'étendent à l'infini et les montagnes Rocheuses, ou entre les péripéties spaghetti dans un contexte passablement latin, et les tempêtes de neige endémiques de contrées plus nordiques ; il faut y ajouter des spécificités de cet univers uchronique, qui, éventuellement, peut s’accommoder de territoires plus fantasques, comme le Grand Labyrinthe qu’est devenu la Californie, ce qui inclut des contextes urbains singuliers, ainsi à Lost Angels ou Shan Fan – sans même parler de l’utopie techno-mormone de la République de Deseret, où brille le génial et fou Dr. Darius Hellstromme, et en prenant en compte que la bordure orientale du terrain de jeu est plus particulièrement affectée par les ravages d’une guerre de Sécession qui, dans Deadlands Reloaded, s’est prolongée bien plus longtemps que dans notre monde, et vient tout juste, au moment de jouer (1880 pour ce supplément, j'y reviendrai) de connaître un cessez-le-feu qui demeure tendu.

Cependant, cet univers déjà vaste et complexe, et qui est exploré dans les grandes campagnes de la gamme, peut aussi connaître des prolongements qui changent encore la donne, et offrent aux joueurs la possibilité de s’aventurer dans des endroits encore différents, et très marqués en tant que tels. C’est l’objet des trois Trail Guides compilés dans ce Volume 1 (sauf erreur, il n’y a pas de volume 2, ni même d’autres Trail Guides non compilés).

Enfin, l'objet des trois, pas tout à fait : le deuxième de ces trois guides, The Great Northwest, reste en fait dans le cadre global de l’Ouest étrange, tel qu’il figure sur la carte du jeu : nous sommes ici toujours dans les États-Unis, même si l’idée de Frontière y a peut-être conservé une certaine force, éventuellement atténuée ailleurs (encore que : dans cet univers uchronique, la présence indienne dans les Nations sioux et la Confédération du Coyote, sans parler de l’agitation apache près de la frontière mexicaine, perpétuent sans doute encore cette idée, par rapport à notre monde).

Par contre, les deux autres Trail Guides compilés sortent résolument des frontières de l’Ouest étrange, et des États-Unis : South o’ the Border invite à jouer au Mexique – et pas seulement sur la frontière, aisée à franchir dans un sens ou dans l’autre, un vrai topos du genre, mais au cœur du pays, le cas échéant au-delà même de Mexico, jusque dans les jungles du sud.

Et le dernier de ces trois guides, Weird White North, emprunte l’autre direction, en développant un cadre de jeu englobant l’Alaska (acquis depuis très peu de temps par l’Union) et la Colombie britannique – éventuellement au-delà du cercle polaire arctique.

Amateur de suppléments de contexte, j’étais très curieux de lire ces trois guides – tout en pesant bien que le réflexe initial le plus légitime serait de jouer d’abord dans le cadre très codifié de l’Ouest étrange, avant d’envisager d’autres destinations. Mais, que voulez-vous…

STRUCTURE DES GUIDES

Et c’est donc parti pour l’exploration de ces trois guides, qui font en gros une centaine de pages chacun (South o’ the Border est le plus court, Weird White North le plus long).

Le volume est d’un maniement agréable, avec son format mook très pratique. Je relève par contre qu’il est assez peu illustré, et rarement avec goût de toute façon – le peu que j’ai lu de la gamme de Deadlands Reloaded m’avait déjà fait cette impression, et, pour le coup, la création française Stone Cold Dead, avec tous ses défauts, est autrement satisfaisante sous cet angle…

Les trois guides obéissent à la même structure, même si les différentes parties peuvent s’avérer d’une ampleur assez variable de l’un à l’autre.

On commence, comme de juste, par poser le contexte, ce qui se fait en plusieurs temps. Tout d’abord, on ouvre le bal avec un exemplaire du Tombstone Epitaph, signé Phineas P. Gage, qui comprend diverses informations sur la région en question, d’abord générales, ensuite attachées à quelques endroits particuliers, mais sans rentrer dans les détails, et encore moins livrer le moindre « secret », forcément : on peut donc les envisager comme étant des aides de jeu, tout à fait bienvenues, à distribuer aux joueurs, afin de leur donner une idée générale du cadre de jeu, tel que leurs personnages auraient effectivement pu le découvrir en jetant un œil à quelques journaux – la presse locale en sus du Tombstone Epitaph, lequel a bien sûr pour particularité d’évoquer, plus ou moins à demi-mots, des aspects clairement surnaturels, dont on ne parlera pas ailleurs, en tout cas pas en ces termes et avec une telle diffusion : l'Agence et les Texas Rangers veillent, même en dehors de leurs frontières.

La deuxième partie consacrée au contexte s’intitule « Marshal’s Handbook » – on prévient clairement que les joueurs ne doivent plus rien lire dès lors. Ce chapitre généralement assez bref envisage d’abord quelques règles spécifiques au cadre de jeu exploré (ce qu'impliquent les cénotes, les effets de la famine en territoire wendigo, les blizzards arctiques, etc.), puis, en quelques lignes, donnent un aperçu des « secrets » de ce contexte, généralement sous la forme d’un « grand secret » qui constitue la trame de la mini-campagne plus loin dans le supplément, autour duquel gravitent d’autres secrets, plus « petits », mais généralement liés. L’ensemble se voit accorder un minimum de perspective historique, même si, pour le coup, le jeu uchronique sur l’histoire réelle est plus ou moins appuyé (il l'est beaucoup dans South o’ the Border, quasiment pas du tout dans The Great Northwest).

La troisième partie contextuelle s’intitule « Strange Locales », et constitue le classique guide géographique auquel on s’attend dans pareil supplément. Les informations du Tombstone Epitaph sont souvent reprises, et même mot pour mot dans un premier temps, mais elles sont ensuite approfondies. La dimension technique est limitée dans ces pages, même si pas totalement absente (s’y trouvent les tables de rencontres adaptées et le niveau de Peur des localités, ce qui peut avoir son importance) – à cet égard, on renvoie le plus souvent aux sections suivantes, qui s’y prêtent davantage. Enfin, chaque lieu se voit associer des « Savage Tales », qui seront détaillées plus loin dans le supplément.

Le chapitre suivant constitue une petite campagne, dite « Mini-Plot Point », avec son titre spécifique, et qui explore en quatre ou cinq scénarios le « grand secret » de chaque région. Ceci avec plus ou moins de pertinence, hélas, parce que c’est ici que, dans chaque guide hormis à mon sens The Great Northwest, le supplément se met à sérieusement patiner, et ne se montre pas à la hauteur du cadre précédemment défini et souvent enthousiasmant… Noter d’ores et déjà que ces « campagnes » sont délibérément linéaires (et c’est revendiqué), afin de permettre l’exploration rapide du nouveau cadre de jeu pour les vétérans de l’Ouest étrange un peu pressés (vétérans, oui, car l’adversité est globalement plus forte que dans la gamme de base) ; à charge, le cas échéant, pour le Marshal, de compléter avec des « Savage Tales » du supplément, ou de développer ses propres aventures – d’une manière ou d’une autre, les longs trajets de chaque campagne s’y prêtent bien, en théorie du moins.

On reste dans le domaine des scénarios par la suite, avec un chapitre consacré aux « Savage Tales », généralement liées à un endroit précis. Encore que : parler de « scénarios », dans bien des cas, serait abusif – cela tient régulièrement de la simple rencontre. Là encore, le niveau est très variable, au sein des Trail Guides ou de l’un à l’autre (le nombre aussi : Weird White North en contient le double voire plus par rapport aux autres, avec dix-neuf propositions, hélas toutes pourries...).

Dernière partie, enfin, « Encounters » constitue un bref bestiaire, commençant par envisager des créatures plus ou moins surnaturelles, puis des humains, de manière générique ; sauf dans South o’ the Border, où cette section est bien plus longue que dans les deux autres guides, car elle comprend nombre de PNJ uniques, éventuellement historiques – ce n’est pas du tout le cas des autres. Une sous-section ou deux sont éventuellement consacrées à des antagonistes hors-normes et liés au « grand secret » de chaque Trail Guide.

SOUTH O’ THE BORDER

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Allez, c’est (vraiment...) parti. On commence donc avec South o’ the Border, qui, comme son nom l’indique, invite les joueurs à traverser le Rio Grande pour vivre des aventures au Mexique. Or le Mexique est alors dans une situation très compliquée de guerre civile – la lecture de ce supplément a été pour moi l’occasion, du coup, de me pencher un peu sur l’histoire du pays au XIXe siècle, particulièrement complexe et dont je ne savais peu ou prou rien. Des trois Trail Guides, c’est celui-ci, et de très loin, qui joue le plus de la carte historique, à vrai dire – même si, ne nous faisons pas d’illusion, au-delà même de la dimension uchronique de Deadlands Reloaded, on ne peut pas dire que l’histoire soit très respectée ici… Vous connaissez la réplique ultra-classe de Dumas concernant le viol de l’histoire, hein ? C’est peu dire que l’on prend des libertés, ici – à voir si les enfants sont beaux...

Le contexte décrit propose de jouer en 1880, soit un an près le livre de base de Deadlands Reloaded : on y rapporte en effet des événements inconnus de ma part, à savoir surtout que le général Santa Anna a lancé une attaque sur la Californie, semble-t-il avec une armée de morts-vivants (dans le livre de base, la menace d’une intervention armée pesait, mais sans autre précision – je suppose que ces événements sont décrits dans la campagne The Flood ?) ; un assaut qui s’est révélé infructueux, mais dont les conséquences pèsent néanmoins sur un Mexique plongé dans la guerre civile.

En effet, quatre factions s’affrontent. Le pouvoir officiel appartient à l’empereur Maximilien, mis en place par les puissances européennes, et plus particulièrement la France – qui dirige dans les faits le pays, et dont la Légion étrangère, surtout, est peu ou prou omniprésente ; le maréchal Bazaine (ou plutôt Bazain, puisqu’il est systématiquement appelé ainsi dans ce supplément…), autrement plus futé que l’empereur, devine qu’il y a anguille sous roche, concernant l’assaut de Santa Anna, mais personne ne l’écoute… Note, ici : on ne sait pas grand-chose de ce qui est supposé se passer en Europe à cette époque – dans notre monde, Bazaine a largement eu le temps de rentrer en France suite à l’échec de l’expédition mexicaine, et de porter le chapeau pour la défaite française face à la Prusse en 1870…

Or il y a anguille sous roche, oui – forcément. Et c’est l’Empire Secret : une immense société secrète d’Aztèques désireux de chasser les « Espagnols » de leurs terres, et n’hésitant pas, pour ce faire, à recourir à la magie la plus noire – passant souvent par la résurrection des morts, dans l’optique d’une foi aztèque mêlée de réminiscences maya presque unilatérale à cet égard.

Mais il y a deux autres factions à prendre en compte : au nord du pays, les partisans de Benito Juárez, les Juaristas, incarnent l’éphémère république du peuple mexicain en exil, défendant un agenda humaniste et progressiste (Juárez est le type bien dans ce contexte ; ce qui s’en rapproche le plus après lui est Bazaine, mais son rôle politique plus ambigu complique la donne) ; au sud, Porfirio Díaz et ses Porfiriatistas incarnent un autre pouvoir en exil, purement égocentrique : Díaz, le « général fantôme », a dirigé le Mexique, et veut le diriger à nouveau – ses ambitions sont purement personnelles, il se moque de tout le reste.

Mais, clairement, la clef de l’affaire est l’Empire Secret, avec ses chamans aztèques dont surtout Xitlan, et plus ou moins directement ses divinités maya/aztèques comme Cipactli, qui a été réveillée par Raven ; mais tous ne sont jamais que des serviteurs plus ou moins conscients des ambitions maléfiques des Juges, et au premier chef de Peur, qui domine le Mexique (on aurait pu croire que c’était Guerre ?). Sans surprise, la « mini-campagne », intitulé « Knives in the dark », joue donc de cette carte. Hélas, c’est un échec complet… Le caractère délibérément linéaire de la trame n’est que plus ou moins susceptible d’aménagements, tant tout va à fond la caisse, avec des expédients improbables pour accélérer encore les choses en bouffant les trajets ; les deux premiers « scénarios » n’en sont du coup guère, et le troisième pas beaucoup plus, et cette marche forcée très artificielle n’a vraiment rien d’enthousiasmant : le cadre, pourtant alléchant à première vue, à être ainsi réduit à son squelette le plus brutal, perd absolument tout intérêt. Autant dire que ces pages sont parfaitement inutiles en tant que telles (à moins de sauver quelques petites choses des deux derniers scénarios, les seuls où il se passe quelque chose, mais sans finesse aucune : c’est là encore du brutal, mais au sens baston). En somme, je suppose que le contexte de South o’ the Border peut toujours s’avérer pertinent, mais à la condition d’infuser une campagne de création purement personnelle ou peu s’en faut.

D’autant que les « Savage Tales » qui sont ensuite proposées manquent le plus souvent d’intérêt, car bien trop squelettiques et éventuellement limitées à une unique rencontre – qui peut être intéressante dans l’absolu, mais à la condition impérative de broder considérablement soi-même autour (l'histoire du carnaval, par exemple). Je n’en ai peu ou prou rien retenu, là, comme ça.

Après ce désastre, les « Encounters » remontent un peu le niveau – des trois « bestiaires » de ce volume, celui-ci est le plus complet, mais surtout parce qu’il fait figurer nombre de PNJ uniques et donc plus ou moins historiques ; ça, pour le coup, c’était bien vu, et je regrette que les deux autres Trail Guides n’aient pas suivi… cette piste. Aha. Noter quand même une chose : en dehors de ces PNJ, les bébêtes animales ou monstrueuses, et a fortiori les figures de l’Empire Secret ou des mythologies en cause, sont pour le moins balaises – confirmation qu’il vaut mieux que les personnages aient atteint un certain Rang avant de les envoyer au casse-pipe.

Bilan un peu navrant, donc : le cadre est très chouette, même avec ses raccourcis pseudo-historiques, mais plus de la moitié du supplément, avec le « Mini-Plot Point » et les « Savage Tales », s’avère mauvais, bâclé, peu ou prou inutilisable. Il y a de quoi faire, mais en repartant de zéro. Déception, donc.

THE GREAT NORTHWEST

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Le deuxième Trail Guide s’intitule The Great Northwest et s’avère très différent des autres, puisqu’il demeure dans le cadre de l’Ouest étrange, simplement en mettant en avant les spécificités d'une région clairement délimitée, pas inconnue des westerns par ailleurs, mais sans doute moins emblématique que les grandes plaines, Monument Valley ou le sud davantage latin. Par « Grand Nord-Ouest », ici, on désigne en effet les États de Washington, Oregon, Idaho, et la partie occidentale du Montana. Une région de montagnes et de forêts, où les longs trajets sont parfois difficiles – ceci dit, la guerre des Rails contribue à changer la donne, au bénéfice de la Iron Dragon de Kang, peut-être le vrai pouvoir en place (car l’Union, qui gouverne théoriquement ces régions, a longtemps été autrement occupée à se battre dans l’Est contre Johnny Reb, et son implantation dans le Nord-Ouest est somme toute récente et insuffisante) ; les communautés chinoises sont du coup assez nombreuses dans la région, et avec elles les Triades – et éventuellement leurs rivalités.

Mais le Juge qui gouverne cette région est Famine – de même que pour la région immédiatement au sud, le Grand Labyrinthe qu’est devenu la Californie. Cela peut paraître paradoxal, parce que le Grand Nord-Ouest est objectivement une terre riche aux récoltes abondantes – mais celles-ci sont souvent exportées en dépit du bon sens, cupidité oblige, et, quand l’hiver frappe, avec ses tempêtes et ses abondantes chutes de neige, le manque se fait invariablement sentir. Inutile, pour cela, d’aller jusqu’à « l’ère glaciaire » qui sera décrite dans le dernier guide, Weird White North, même si j’imagine qu’elle peut contribuer à expliquer les choses ; la situation dans le Grand Nord-Ouest est en tout cas suffisamment affreuse pour que Famine et ses sbires, manitous et autres, sèment la zone, tout particulièrement en encourageant, comme à Lost Angels, la délicieuse pratique du cannibalisme.

Mais celle-ci a des conséquences particulières dans le Grand Nord-Ouest : les individus qui y succombent, et ils ne sont pas si rares, deviennent des créatures démoniaques, les wendigos – ces abominations affamées enchaînent les méfaits et contribuent énormément à l’élévation du niveau de Peur dans la région, pour la plus grande joie des manitous, des Juges, et de Famine en particulier.

Sans doute les conditions ont-elles toujours été dures dans les rudes hivers du Grand Nord-Ouest – mais le Jugement a considérablement aggravé les choses, en renforçant la présence wendigo dans la région, mais aussi et peut-être surtout en suscitant ce que l’on serait tenté d’appeler un « renversement d’alliances ». Les Indiens de la région savaient de toute éternité qu’ils pouvaient compter sur le soutien de leurs aimables, quand bien même discrets, cousins hirsutes des montagnes et des forêts, les sasquatchs – que les Blancs appellent « Big Foot »… et encore, quand ils parviennent à les distinguer des wendigos (et des wolflings, êtres mi-hommes mi-loups, mais pas loups-garou car pas métamorphes, endémiques dans la région – je suis sceptique quant à la pertinence de rajouter ce « camp » en plus, à titre personnel).

Cette confusion est d’autant plus fâcheuse que les sasquatchs sont les ennemis acharnés des wendigos – et, donc, dans cette guerre, ils ont longtemps été du côté des humains. C’est pourquoi les sasquatchs, sans se montrer, venaient en aide aux hommes affamés : il ne fallait pas qu’ils succombent, sans quoi ils deviendraient des wendigos. Mais les choses ont changé : le grand chef des sasquatchs, appelé Big Chief, c’est original, est devenu de plus en plus sceptique à l’égard du comportement des humains dans la région – au point où le scepticisme, à vrai dire, se muait en crainte, et éventuellement en haine. Big Chief est mort… mais il est revenu – car les Juges ont bien conçu qu’il pouvait s’avérer un allié de poids. Le sasquatch est donc un Déterré – cas semble-t-il unique –, et il est revenu de la mort avec, disons, une théorie économique : pour vaincre les wendigos toujours plus nombreux, il faut frapper à la source ; puisque ce sont les hommes affamés qui deviennent des wendigos, il ne faut surtout pas tenter naïvement de leur venir en aide, mais bien les éliminer d’office – c’est la seule garantie qu’ils ne viennent pas gonfler les rangs de leurs ennemis : Realpolitik ! La condition de Déterré de Big Chief n’a pas été sans inquiéter les sasquatchs, ainsi amenés à rompre avec leurs habitudes millénaires de secours aux humains, mais le charisme sans pareil du bonhomme les a finalement convaincus (plus ou moins, en fait). Ce qui change tout… Les humains doivent désormais faire face, non seulement aux wendigos et aux wolflings, mais aussi à leurs anciens alliés, et de poids, les saquatchs !

Bien sûr, cette trame se trouve au cœur de la campagne « Mini-Plot Point » du supplément, intitulée « The Winter war ». On y retrouve en tête le même avertissement concernant la linéarité que dans South o’ the Border… mais le résultat est autrement convaincant ! Sur cette trame pas forcément d’une originalité débordante, les cinq scénarios sont plus que corrects (avec une préférence pour le troisième, « Seven Devils », très riche et varié), avec leur lot d’événements qui comptent et, cerise sur le gâteau, de dilemmes très bienvenus ; en outre, leur enchaînement est mieux pensé que dans « Knives in the dark », sans plus rien d’outrancièrement mécanique, ce qui permet d’insérer plus aisément et naturellement d’autres épisodes, qu’ils soient issus des « Savage Tales » du supplément ou qu'il s'agisse de créations personnelles du Marshal. En fait, je n’ai qu’une critique à formuler : la fin de la campagne est pour le coup tellement ouverte… qu'elle n’a rien d’une fin. Arrivé au terme du cinquième scénario, la campagne n’est en fait pas terminée : il reste à faire, éventuellement beaucoup d’ailleurs, mais c’est totalement à la discrétion du Marshal et du Gang. Je crois cependant que les événements antérieurs, nettement moins unilatéraux que dans « Knives in the dark », auront à ce stade suffisamment dégagé de pistes pour permettre de construire en commun une conclusion réellement satisfaisante.

Les « Savage Tales » de The Great Northwest m’ont aussi paru bien plus intéressantes que celles de South o’ the Border (sans même parler de celles de Weird White North, j’y arrive…). Là encore, ce ne sont qu’assez rarement des scénarios à proprement parler, mais « The Winter war » offre quelques opportunités pour en glisser une ici ou là, et certaines, même relativement banales, ont une petite touche d’humour pas désagréable – et qui s’associe étrangement bien à l’horreur, chose souvent périlleuse : « Chief Barrelbelly’s revenge », « Falcott’s debt », « Flashpoint », « Tacoma creepers » ; et bien sûr la très lovecraftienne « Witches’ brew »… « Shanghaied! » et « War Eagle’s wisdom », par contre, m’ont paru ratées – c’est d’autant plus regrettable que cette dernière est conçue pour s’insérer dans « The Winter war » au cas où le Gang s’égarerait, mais j’ai l’impression qu’elle ne fonctionne tout simplement pas.

Le chapitre « Encounters » de The Great Northwest est le plus court des trois de Trail Guides, Volume 1. Son intérêt est surtout de distinguer plusieurs types de wendigos, de sasquatchs et de wolflings – mais, comme dit plus haut, je suis très réservé concernant l’intérêt véritable d’user de ces derniers dans « The Winter war », je trouve ça un peu redondant. Note quand même au passage : les seuls humains génériques de ce bestiaire sont… les cow-boys ! Ben oui, faut croire qu'il n'y avait pas de profil type avant cela – bizarre, tout de même...

Bilan sans appel, au regard des deux premiers Trail Guides : si son cadre est incomparablement moins original, The Great Northwest s’avère bien plus réussi que South o’ the Border. À tous points de vue. Et autant le dire de suite, on constatera la même chose par rapport à Weird White North, de manière plus flagrante encore… Il y a peut-être quelque chose de paradoxal, ici : c’est le cadre le moins exotique qui se montre le plus enthousiasmant. Et de loin.

Du coup, je songe à en faire usage. J’ai un petit problème lié à ma table : j’ai peur que cette histoire très centrée sur les wendigos rappelle un peu trop une partie de Delta Green jouée avec la même table, mais où j’étais PJ, le MJ étant un de mes joueurs pour Deadlands Reloaded… Mais j’ai envie de tenter le coup, peut-être en commençant par un « bac à sable » introductif, celui de Stone Cold Dead, dont je pensais user des premiers scénarios, ceux qui se déroulent à Crimson Bay – ville qui a le bon goût de se trouver dans ce Grand Nord-Ouest. Peut-être en y glissant aussi une variation sur Coffin Rock ? On verra – même s’il est bien temps que je me décide...

WEIRD WHITE NORTH

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Mais reste un dernier Trail Guide, celui intitulé Weird White North… et que j’ai trouvé encore moins satisfaisant que South o’ the Border. Je ne suis pas certain qu’on puisse en sauver grand-chose…

Le cadre aurait pu être chouette, pourtant – qui englobe donc l’Alaska et la Colombie britannique. Bien sûr, il faut prendre en compte qu’il est très rude – vraiment très très rude. Ou du moins en partie… C’est déjà à vrai dire un problème majeur de ce Trail Guide : son manque de cohérence, pas toujours évident à justifier. Et qui ne rend pas la trame globale très aisée à pitcher…

Bon, la base : il fait froid. Sans déconner ? Mais on va jusqu’à parler d’une ère glaciaire, là… Trois Grands Esprits de l’Hiver en sont responsables, que l’on appelle les « Howlers », et qui, comme de juste, ont été libérés par ce connard de Raven – libérés, parce qu’ils avaient été emprisonnés… par un maître du kung fu appelé « le dieu du feu », allons bon. Déjà, j’y crois plus… Mais Raven a aussi excité la tribu des Tlingits à se fritter contre les Blancs, en servant les Howlers – ils avaient déjà sévèrement cogné les Russes, en même temps (l’Alaska a été acquis par l’Union en 1867, au moment du jeu c’est donc tout frais, si j’ose dire). Les Inuits, par contre, sont cool. Eh.

Mais, pour faire face à cette ère glaciaire, la Colombie britannique, donc le Dominion du Canada, donc l’Angleterre, à deux doigts du conflit ouvert avec l’Union depuis l’annexion de Detroit (les deux puissances se disputent ces zones à peine vivables en raison des richesses qui s’y trouvent, la roche fantôme en tête, qui attire des milliers de prospecteurs du dimanche certes pas décidés à attendre la ruée vers l’or du Klondike), bref, le pouvoir British a fait appel aux bons services de... Darius Hellstromme, qui a construit une sorte de « grande muraille électrique », la « Winterline », supposée préserver les contrées plus au sud de l’ère glaciaire en formation au nord. C’est déjà plus ou moins crédible... Ça se complique quand on nous explique qu’en fait cette ligne ne fonctionne pas du tout (d’autant qu’il faut faire gaffe à ce que les différents Juges, ici, ne se marchant pas sur les pieds), mais qu'il y a bien un effet perceptible, qui devrait être celui de l'installation, mais, dont la vraie cause, classiquement, implique des esprits de la nature, bon…

Reste que, [insérer ici un procès d'intention - au mieux - que la modération reprouve] de la « Winterline » ou pas, les conditions sont drastiquement opposées au nord et au sud de cette ligne, approximativement. Et, au nord (ce qui inclut tout l’Alaska), c’est donc vraiment très rude. Weird White North ne fait sens qu’à la condition de sans cesse rappeler aux joueurs que leurs personnages ont froid, ont faim, que le vent est terrible, que la tempête de neige les aveugle, qu'il n'y a personne d'autre à des dizaines voire des centaines de kilomètres à la ronde, et qu’ils vont crever là tout de suite ou presque. J’ai peur que ce soit too much, en fait – bon, en même temps, j'ai maîtrisé Par-delà les montagnes Hallucinées, hein... Mais, à condition de travailler l’ambiance, il y aurait peut-être quelque chose à tirer de ce cadre… Ceci dit, sans que le bouquin s’avère vraiment utile ici : nous savons qu’il fait froid, tout là haut.

Et comme les « explications », ou plutôt les « secrets », sont ultra-foireux, sans exception, le résultat s’avère nul.

La campagne « Mini-Plot Point », intitulée « Against the Howlers » (ce titre donne déjà une idée de l’inventivité et de l’implication de l’ensemble), est en effet pire encore que « Knives in the dark » ; plus longue, mais ne comptant que quatre épisodes, elle m’a paru ridicule de bout en bout – le rôle essentiel joué par feu (aha) notre maître du kung fu, dès le départ, ne me paraissait pas très engageant. La suite est linéaire, forcément, mais d’une manière particulièrement artificielle, un peu jeu vidéo : à la fin de chaque scénario, un type arrive pour dire aux PJ : « Maintenant vous faut aller là-bas », et, au cas où, il y a des panneaux fléchés tout du long (et clignotants) ; littéralement – avec même, si jamais, un objet magique qui sert de boussole (indiquant opportunément l’endroit que tout le Canada et tous les États-Désunis sont censés chercher en vain depuis des années - ze ultimette réserve de roche fantôme, rien que ça). Même sur des distances colossales (du nord de l’Alaska au sud de la Colombie britannique et retour, ça fait quand même une trotte), et dans les conditions que vous savez. L’occasion d’user de quelques « Savage Tales » ? En théorie, oui, c’est fait pour – sauf que lesdites « Savage Tales » sont à chier… Le troisième scénario aurait pu être pas mal – et jouable indépendamment ; mais il est en fait lui aussi bâclé, sur un mode ultra-bourrin qui, en toute logique, devrait déboucher sur l’extermination du Gang ; sauf que les PJ sont censés s’en sortir, de cet endroit qui est le pire de la Colombie britannique, pour se rendre dans un autre endroit, qui est le pire de l’Alaska, et, après une sorte de survival polaire qui pourrait être correct à condition d’être à fond dans l’ambiance, ils doivent latter du Howler, mais avec les objets magiques en forme de deus ex machina de rigueur. Franchement, j’ai trouvé ça à chier.

Et les « Savage Tales » n’arrangent rien au tableau : leur nombre  (dix-neuf, soit deux fois plus que dans South o' the Border, encore davantage par rapport à The Great Northwest) ne fait que renforcer l’impression de bâclage, tant elles s’avèrent horriblement répétitives (vengeances posthumes, d’Indiens ou pas, troupes au bord de la mutinerie, British qui font suer les braves z’Américains). C’en est triste, à ce stade. Notez, ça aurait pu être drôle – le chapitre « Encounters » contient tout de même quelques bestioles sacrément ridicules…

Un supplément raté, donc – qui ne tient vraiment pas ses promesses, jamais. C’est bien dommage, car ce cadre me bottait bien dans son principe, j’aurais même volontiers ressorti mes Jean Malaurie parce que les Inuits c’est cool, et probablement aussi les bûcherons et les Mounties, mais là c’est peut-être l’effet Monty Python, bon.

Reste que Weird White North est plus navet que nanar. Une erreur du début à la fin.

TROP RAREMENT À LA HAUTEUR

Bilan vraiment pas terrible, donc. Trop souvent, ces guides sont partis d’une bonne idée qu’ils n’ont pas su concrétiser. Dans le cas de South o’ the Border, je suppose que c’est rattrapable – parce que le contexte est cool, même avec ses raccourcis hasardeux : c’est juste que les « scénarios », au sens vraiment très large, sont pourris ; mais en bossant la chose, un bon Marshal doit être en mesure de satisfaire aux besoins d’exotisme d’un Gang motivé (et relativement balaise).

Mais, concernant Weird White North, je suis beaucoup plus sceptique, et c’est peu dire – car le contexte tient du gâchis, ne faisant pas honneur au principe même, pourtant très intéressant, d’une campagne dans des conditions aussi effroyables et exceptionnelles : ça ne tient tout simplement pas la route. Les « scénarios » étant au moins aussi à chier que ceux de South o’ the Border, et peut-être plus encore, voilà un supplément entier qui ne sert à rien (formulation polie).

Reste pourtant The Great Northwest : c’est le moins original de ces cadres, de très très loin, et c’est pourtant, de très très loin aussi, celui qui fonctionne le mieux (ce qui va au-delà du fait de fonctionner tout court, visiblement c’était trop demander pour les deux autres), du moins sur la longueur d’un supplément – car, cette fois, les « scénarios », sans être extraordinaires, sont beaucoup plus intéressants, beaucoup mieux conçus. La trame de « The Winter war » pourrait paraître éculée, mais mon sentiment global est celui d’une conception plus subtile qu’elle n’en a l’air, pour un résultat tout à fait enthousiasmant. Je pense donc en faire usage sous peu, même si je ne sais pas encore exactement sous quelle forme. On verra bien.
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Nébal
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Re: Critiques

Message par Nébal »

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Lu Murmures par-delà les songes, recueil de scénarios pour L'Appel de Cthulhu, de création française, et qui faisait partie du financement participatif des Contrées du Rêve.

Bilan au format le plus lapidaire – pour les cultistes pressés… Globalement, j’ai bien aimé, voire plus que ça, ce recueil – inégal comme tous les recueils, mais le bon grain l’emporte sur l’ivraie. Concrètement ? Allez, du pire au meilleur…

Il y a ce que je n’ai pas (du tout) aimé : « Le Trésor des doges », scénario d’Éric Dubourg, et surtout « Entre deux rêves », signé Raphaël et Alicia Hamimi.

Il y a ce que j’ai trouvé… « sans plus » – le correct mais pas très enthousiasmant : cela concerne un unique scénario, « L’Onirographe », d’Éric Dedalus.

Il y a ce que j’ai aimé, franchement aimé même, beaucoup aimé souvent – mais avec parfois quelques tout petits bémols (pas insurmontables, loin de là), le cas échéant : Tristan Lhomme figure ici pour deux de ses scénarios, « La Morte et le chevalier » et « Rêve d’antan » ; les deux scénarios de Cyril Puig, « Le Vice et la vertu », et « La Malédiction de Leng », relèvent également de cette catégorie, sans doute un peu trop vaste.

Il y a, enfin, ce que j’ai adoré – un scénario absolument brillant comme je n’en ai que bien trop rarement lu : « La Vapeur des soupirs », une merveille signée (à nouveau) Tristan Lhomme.

La critique complète figure sur mon blog, hop : L'Appel de Cthulhu (V7) : Murmures par-delà les songes. Mais je la reproduis ici au cas où...

Spoiler:
JE RÊVAIS – D’UN AUTRE MONDE (TA, TA-DAN, TA, TA-DAN…)



Pour tout un tas de raisons, j’ai fait une pause de plusieurs mois, mais il me faut bien, maintenant, revenir sur le contenu de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve pour la septième édition de L’Appel de Cthulhu – me restait en effet deux livres à chroniquer, Murmures par-delà les songes et, contenu exclusif cette fois, La Pierre onirique. Après Les Contrées du Rêve au sens le plus strict, Kingsport, la cité des brumes, et Le Sens de l’Escamoteur, va donc aujourd’hui, toujours sous une superbe couverture de Loïc Muzy, pour Murmures par-delà les songes, un recueil inédit de huit scénarios de création 100 % Qualité France – ce qui le singularise doublement dans ce financement participatif.



Plusieurs auteurs se sont attelés à la tâche, parmi lesquels il faut sans doute mettre en avant Tristan Lhomme, responsable de trois de ces huit scénarios, et Cyril Puig, qui en a signé deux – d’autant plus que ces cinq scénarios, me concernant, sont clairement, et de très loin, les plus intéressants du lot.



Murmures par-delà les songes s’inscrit parfaitement dans le contexte des Contrées du Rêve, en proposant huit aventures qui abordent l’univers onirique lovecraftien de manière variée, où le cauchemar perce différemment sous les décors typiquement chatoyants. Il faut noter, d’ailleurs, que cet univers autorise des scénarios éventuellement lovecraftiens sans être cthulhiens pour autant – c’est même assez récurrent : plusieurs scénarios sont garantis sans tentacules indicibles, mais n’en ont pas moins leur saveur particulière et tout à fait pertinente – je ne parle pas de sans gluten, pour le coup. La place de l’horreur est d’ailleurs plus ou moins fondamentale, certains scénarios semblent la remiser de côté, mais, au fond, c’est peut-être affaire de connotations : il y a un monde (ou deux) entre le survival frénétique de « La Malédiction de Leng » et le mélodrame sous-jacent à « La Vapeur des soupirs », scénario qui paraît d’abord bien autrement léger, mais la douleur et le remords s’y expriment pourtant d’une manière subtile et finalement pas moins oppressante.



Parallèlement, d’autres réflexes rôlistiques associés à L’Appel de Cthulhu ont pu survivre à cette transposition : l’enquête y conserve globalement une part importante. Mais d’autres approches sont envisageables, louchant sur la fantasy plus classiquement rôlistique, sans toutefois pousser le bouchon trop loin : si un scénario (« Entre deux rives », probablement le pire…) avance, après la référence à Gary Myers, auteur qui me demeure inconnu, qu’il pourrait être abordé « à la Brian Lumley » (et de suite, c’était pas hyper engageant pour moi…), même celui-ci fait pourtant en sorte de ne pas verser outre-mesure dans les excès héroïques et martiaux, et, oui, les donjons ne sont nulle part du lot.



Le monde de l’Éveil, en miroir de ces Contrées qu’arpentent surtout les PJ, est plus ou moins important dans ces huit scénarios – il l’est surtout dans « Le Trésor des doges » et « L’Onirographe », tandis que « La Malédiction de Leng » a pour objet essentiel de jouer sur l’ambiguïté du passage entre les deux mondes (et y parvient habilement). A contrario, « La Morte et le chevalier » l’exclut presque totalement. L’approche dominante, cependant, consiste à panacher les deux mais de manière déséquilibrée, en mettant avant tout l’accent sur les Contrées du Rêve, tout en prenant soin de ménager des incursions brèves mais fortes et cruciales dans le monde de l’Éveil : c’est ainsi que procèdent « La Vapeur des soupirs », « Entre deux rêves », « Le Vice et la vertu » et « Rêve d’antan » (encore que ça pourrait peut-être se discuter pour ce dernier). Le point de départ varie, mais le procédé est récurrent.



Bon, autant faire d’emblée une sorte de bilan au format le plus lapidaire – pour les cultistes pressés… Globalement, j’ai bien aimé, voire plus que ça, ce recueil – inégal comme tous les recueils, mais le bon grain l’emporte sur l’ivraie. Concrètement ? Allez, du pire au meilleur…



Il y a ce que je n’ai pas (du tout) aimé : « Le Trésor des doges », scénario d’Éric Dubourg, et surtout « Entre deux rêves », signé Raphaël et Alicia Hamimi.



Il y a ce que j’ai trouvé… « sans plus » – le correct mais pas très enthousiasmant : cela concerne un unique scénario, « L’Onirographe », d’Éric Dedalus.



Il y a ce que j’ai aimé, franchement aimé même, beaucoup aimé souvent – mais avec parfois quelques tout petits bémols (pas insurmontables, loin de là), le cas échéant : Tristan Lhomme figure ici pour deux de ses scénarios, « La Morte et le chevalier » et « Rêve d’antan » ; les deux scénarios de Cyril Puig, « Le Vice et la vertu », et « La Malédiction de Leng », relèvent également de cette catégorie, sans doute un peu trop vaste.



Il y a, enfin, ce que j’ai adoré – un scénario absolument brillant comme je n’en ai que bien trop rarement lu : « La Vapeur des soupirs », une merveille signée (à nouveau) Tristan Lhomme.



Bon, essayons de détailler un peu tout ça, maintenant… En suivant l’ordre du recueil. Et en essayant de ne pas trop SPOILER, mais, bon, hein : si vous êtes joueurs, méfiance… Vers la fin de cet article, surtout, je tends à me lâcher un peu...



LE TRÉSOR DES DOGES



Murmures par-delà les songes s’ouvre sur « Le Trésor des doges », un scénario signé Éric Dubourg – principal auteur, sauf erreur, du supplément maousse Byzance An 800, que j’ai, qu’il me faudra lire, car je suis curieux… mais, en même temps, si j’en ai toujours repoussé la lecture, c’est que j’éprouve quelques craintes, des préconçus sans doute – mais que le présent scénario tend hélas à conforter.



Il commence à Venise (ah bon ?). Et l’auteur aime visiblement jouer à l’historien comme au guide touristique : l’exposition est passablement pointue, avec moult détails d’une utilité rôlistique, eh bien… un peu douteuse. Il se fait plaisir, et en soit ça n’est pas inintéressant dans l’absolu – mais ça ne sert à rien ; pire, c’est même régulièrement hors-sujet. Pour le coup, oui, je craignais un peu quelque chose du genre…



Mais c’est d’autant plus problématique que le « scénario », sur cette base, est atrocement convenu et terne – au point de la caricature, en fait. Une vente aux enchères, oh (avec tout le catalogue détaillé à l’excès), un problème pendant ladite, ah, oui, c’est qu’il y avait un sacré (…) artefact voire plus, et, alléchés, des figures notables de l’occultisme, éventuellement empruntées à d’autres lovecrafteries rôlistiques…



Incluant notamment le duc Jean Floressas Des Esseintes, la variation sur Huysmans dans la campagne « mythique » (…) Terreur sur l’Orient-Express. En fait, ce gros machin est ici régulièrement rappelé à notre bon (enfin, plus ou moins bon…) souvenir, au point où le présent scénario pourrait éventuellement… s’y insérer, disons, de manière neutre, ou constituer un épisode alternatif – hélas tristement redondant, aux plans de l’intrigue (on se débarrasse probablement du vilain objet magique exactement comme dans « Terres Oniriques Express », et on suggère de toute façon de faire intervenir ce train bien particulier) comme de l’ambiance (Des Esseintes peut rappeler l’épisode « Nocturne » à Lausanne, les communistes et les fascistes s’affrontent en arrière-champ comme dans « Note pour note » à Milan, etc.). Tout ceci en rappelant que la campagne… compte justement un épisode vénitien, « La Mort (et l’amour) dans une gondole ». Oui, quand même. Faut-il y voir un digest ?



Mais, même en fermant l’œil sur ce procédé, ou en lui accordant davantage de pertinence que je ne le fais, quel ennui ! Classiquement, le scénario tourne très vite à la poursuite du méchant sorcier qui a chopé l’artefact impie, artefact qu’il faudra ensuite détruire – comme un certain anneau, mais pas avec la même ampleur narrative, on est censé faire dans le one-shot, hein. La traque passe donc du monde de l’Éveil aux Contrées du Rêve, mais comme « pour la forme », sans vraie conviction. Les excès de précision de l’introduction vénitienne ne sont plus de la partie, c’est peu dire : cette fois, les détails manquent, pour ce périple onirique qui devrait être long, mais s’avère expédié sans plus s’y attarder. Au final, c’est convenu, c’est fade, c’est terne – je ne vois absolument aucune raison de faire jouer un truc aussi ennuyeux et aussi peu « impliqué ».



Mauvaise entrée en matière, donc…



LA VAPEUR DES SOUPIRS



Le contraste n’en est que plus marqué avec le scénario suivant, « La Vapeur des soupirs », dû à Tristan Lhomme – qui est clairement le grand moment de ce supplément. C’est un scénario que j’ai trouvé absolument génial de bout en bout, même s’il faut bien noter qu’il peut être assez délicat à maîtriser (sa conclusion, du moins).



C’est un scénario pas cthulhien pour un sou. Pour autant, et à la différence, par exemple, à mes yeux du moins, du scénario suivant, « Entre deux rêves », il s’inscrit bien dans l’univers onirique des Contrées, et en travaille les aspects les plus intéressants, tout en en dérivant des choses bien différentes, pas forcément très « canoniques » (si pas « hérétiques » pour autant), mais dont la pertinence est telle que l’expérience globale en profite énormément.



Ainsi du ton, qui est très habilement travaillé. Au départ, le scénario a quelque chose de « léger » en apparence, l’auteur avançant qu’on pourrait le jouer « à la Princess Bride », par exemple. Ce qui peut inclure des moments assez drôles, et pourtant pas totalement drôles – ainsi avec le génial et cruel personnage du « terrible pirate », que j’adore, y a pas d’autre mot. Mais cette impression de superficialité s’avère bientôt erronée, à mesure que le fond de l’affaire se dévoile progressivement – bien plus subtil que tout ce que les personnages pouvaient supposer. Ce qui opèrera surtout lors d’une incursion dans le monde de l’Éveil, plus ou moins présentée comme « optionnelle » – de même que les moments les plus tournés vers « l’action » à vrai dire –, mais qui me paraît tout de même fort utile.



C’est à la vérité d’un mélodrame qu’il s’agit – ou peut-être plus exactement d’un drame psychologique et social tout à la fois, bien loin de l'horreur cosmique, le fantasme lourd de remords d’une desperate housewife ; autant dire d’un personnage pour lequel le rêve est une échappatoire vitale (cela vaut aussi pour le « terrible pirate », au fond). Lovecraft lui-même n’aurait sans doute pas présenté les choses ainsi (on sait ce qu’il en est de l’absence des femmes dans son œuvre), et pourtant, dans l’esprit (ou l’inconscient ?), je crois que ça colle. C’est en même temps un beau détournement, malin et saisissant, du cliché pulp de la « damsel in distress », et tout à la fois un très complexe dilemme où aucune solution n’est intrinsèquement « bonne », comme de juste.



Pourtant, au gré des multiples conclusions proposées, il en est peut-être qui pourront apparaître comme étonnamment positives, pour un jeu aussi connoté que L’Appel de Cthulhu. On ne s’attend pas exactement, quand on joue à ce Grand Ancien, à vivre ou voir une histoire d’amour… Et ça aussi, le vieil oncle Theobald, ça l’aurait sans doute rendu tout chose. Mais c’est très bien fait, c’est juste, c’est fort.



Ce genre d’exercice est pourtant périlleux, du scénario qui met (plus ou moins) en avant une couche de « méta », on va dire, supposée transcender l’expérience, mais pouvant tout aussi bien ne constituer guère plus qu’une fanfaronnade d’auteur un peu trop malin pour son propre bien. Sauf que Tristan Lhomme, ici, dose avec habileté ses effets et son propos, pour un résultat qui s’avère rôlistiquement savoureux, enthousiasmant, palpitant, en même temps qu’intelligent et pertinent dans sa dimension de « commentaire » (que ledit commentaire porte sur Lovecraft, le jeu de rôle, le rêve, la société contemporaine, etc.). « La Vapeur des soupirs », c’est du (bon) Alan Moore rôlistique – ou du Neil Gaiman ? On peut penser à Sandman, ici – par exemple ce couple de pseudo-super-héros vivant dans un univers factice à la Little Nemo…



J’ai adoré – vraiment. C’est clairement le sommet du recueil, et le reste peut paraître un peu pâlichon en comparaison. Pourtant, les bons (même si moins bons) scénarios ne manquent pas, par la suite, qui valent bien qu’on les estime individuellement. Mais il y en a aussi quelques-uns de mauvais – enfin, un surtout, un seul en fait… Celui qui suit immédiatement.

ENTRE DEUX RÊVES



« Entre deux rêves », donc, un scénario de Raphaël et Alicia Hamimi. Et qui, à mes yeux du moins, ne fonctionne pas du tout. Je ne sais pas vraiment par où commencer, à vrai dire…



Peut-être parce que ce scénario est d’emblée assez confus ? Dans ses premières pages, il explicite avec plus ou surtout moins de clarté quelques concepts qui lui sont propres et s’intègrent avec une pertinence variable dans la « mythologie », au sens large, des Contrées du Rêve. Bon, c’est le truc, avec les Contrées : c’est un univers à la fois cohérent et fluctuant, susceptible de mille lectures – respecter un supposé « canon » de bout en bout ne fait pas forcément sens, et, en bien des occasions, ce genre d’apports s’avère tout à fait profitable. Mais, ici… C’est pas clair. Dans l’absolu comme sur un plan plus fonctionnel – directement associé aux enjeux du scénario.



Une remarque toute personnelle, ici – parce que j’abuse, si ça se trouve, c’est peut-être juste moi qui… Mais la plume des auteurs m’a paru d’une lourdeur redoutable, qui participe de ce sentiment général de confusion et d’hermétisme. J’ai écarquillé les yeux à plusieurs reprises, notant même des tournures un peu pachydermiques comme « … telles les écumes de mer dansant par vagues sur les étendues d’eau… », ou, dans le paragraphe suivant, « … longent les berges luxuriantes qui bordent… », ce qui ne m’a pas aidé. Je sais : on n’est pas là pour faire de la littérature, sans doute ; mais justement – ça m’a fait l’effet d’une tentative pas vraiment heureuse pour ce faire…



Or tout ce dispositif, fond et forme, présenté comme crucial, s’avère d’un usage finalement limité en jeu – ou qui, du moins, n’aurait en rien nécessité tant de précautions conceptuelles. Car le scénario à proprement parler s’avère tristement commun. Dans l’entrée en matière, les auteurs tentent quelque chose de potentiellement intéressant, avec ces PJ membres d’un cirque qui doivent décrire leur spectacle, mais la suite est téléphonée, linéaire – et, pire encore, le risque est non négligeable, de ce que les joueurs deviennent bientôt davantage des spectateurs que des acteurs du récit, en dehors d’une brève séquence de devinettes formalisée sans vraie nécessité, pour une « révélation » qui en est peut-être une pour les personnages (vaudrait mieux), mais certainement pas pour les joueurs (et sur ce mode, même si pas totalement équivalent, on a régulièrement lu bien autrement convaincant et même enthousiasmant – voyez par exemple « Étoiles brûlantes », dans Terreurs de l’au-delà). C’est tout de même bien fâcheux. Que la conclusion du scénario soit dès le départ gravée dans le marbre, mais surtout de la sorte, avec un deus ex machina que les PJ côtoyaient depuis la première minute de jeu, c’est encore plus fâcheux.



Mais la subtilité de la mise en place est aussi contredite à un plan davantage fondamental, peut-être, en ce que la trame de fond est tristement manichéenne – dans les faits comme dans la symbolique (lumière contre ténèbres, etc.). Et c’est bien cet aspect qui domine, à terme : la nature des personnages, leurs artefacts, le monde autour d’eux – toute cette fausse complexité est vite réduite à une eschatologie… eh bien, de cirque.



Ce qui ressort tout particulièrement dans ce choix que je ne m’explique pas (sinon comme une vague forme d’affectation ?), consistant à mettre en scène un personnage historique, en l’espèce le Sar Joséphin Péladan, pour lui faire jouer un rôle a priori sans rapport aucun avec sa biographie – non que je puisse prétendre m’y connaître en la matière, mais, franchement, je n’arrive tout simplement pas à faire le lien, pour le très peu que j’en sais, entre l’excentrique guignol des salons de la Rose-Croix, qui a bel et bien existé, et le ténébreux méchant en carton de ce scénario, une sorte de sous-Napoléon de l’occulte, dénué de la moindre consistance. Quant à extraire malgré tout de sa biographie quelques éléments à mettre en scène… Ben, faut voir comment et pourquoi : la passion du bonhomme pour l’art du Quattrocento, ici, débouche sur la création d’une ville onirique « inspirée de Rome et de Florence », et qui s’appelle Quattrocento. Ce qui me paraît tout de même un peu bizarre, et j’ai haussé un ou deux sourcils. Clairement, un personnage totalement fictif aurait été plus pertinent, à tous points de vue – ça n’est pas la première fois, certes. D’aucuns diront : histoire, viol, enfants – mais les mioches ici sont au mieux quelconques.



Un scénario inutilement confus, mal branlé, finalement bien banal et même simpliste, plus que linéaire (au point de l’absence de véritable impact des décisions des PJ), et dont la lecture, au plan du style tout particulièrement, m’a fait l’effet d’un calvaire : je crois que le bilan est sans appel…



LA MORTE ET LE CHEVALIER



Mais Tristan Lhomme is back, et remonte le niveau avec « La Morte et le chevalier » (même si pas au point de « La Vapeur des soupirs ») ; encore une histoire d’amour triste, tiens ! Avec quelque chose d’arthurien – et qui, dans son entrée en matière, aurait pu être monty-pythonesque : un chevalier noir qui exige un combat à des inconnus…



Cette dimension qui peut paraitre d’abord humoristique est pourtant un leurre, même si elle aura l’occasion de ressurgir de temps à autre ; la mélancolie authentique et pourtant excessive du chevalier endeuillé en est peut-être un également ? Au fond, cette histoire, même sous couvert de conte de fées, car c’en est une autre dimension importante, est bien davantage un policier de type whodunit, très « Agatha Christie », j’ai trouvé – avec un voyage contraint en trois étapes, pour les funérailles de l’épouse assassinée du chevalier, voyage au cours duquel nos investigateurs (car c’est bien de cela qu’il s’agit, même contre leur gré, même en armure) doivent percer à jour les intentions et petits secrets de tout un microcosme de compagnons de route, qui ont bien évidemment tous quelque chose à cacher, encore qu’ils n’en soient pas forcément tous très conscients.



Et il faut agir vite : trois jours, pas un de plus. Et pas d’intervention extérieure qui tienne, ici : loin d’être inéluctable, comme dans le triste scénario qui précède, la conclusion dépendra intégralement des actions des PJ – et c’est ainsi à eux d’orienter le conte de fées vers telle ou telle chute, de la plus niaise à la plus gore, avec divers degrés entre les deux pôles…



C’est très amusant – et d’une taille idéale pour un one-shot vraiment one-shot. L’idée d’associer ce registre policier très classique à une esthétique chevaleresque de fantasy est bien trouvée, et l’ensemble devrait s’avérer savoureux.



Ceci toutefois à condition que les PJ entrevoient assez tôt leur rôle dans cette affaire, quitte à être un peu « poussés » au tout début (car aucun des PNJ, ici, n’est censé leur dire ce qu’ils doivent faire au juste, ils doivent en prendre l’initiative ; ce qui est très bien, mais le piège serait d'un peu trop s'éterniser dans la passivité).



Mais ça devrait très bien le faire ; ça n’est pas aussi fort que « La Vapeur des soupirs », c’est bien plus appeldecthulhuïstiquement correct, mais c’est clairement un bon scénario.



LE VICE ET LA VERTU



Ce que j’ai envie de dire également pour « Le Vice et la vertu », de Cyril Puig – mais en relevant que ce scénario-ci présente toutefois quelques aspects qui me paraissent moins satisfaisants, et qui auraient bien besoin d’être retravaillés par le Gardien pour que tout fonctionne au mieux jusqu’au bout.



En effet, le début du scénario me paraît incomparablement plus intéressant et réussi que sa fin – peut-être un problème récurrent de l’auteur, car il y a aussi de ça dans le scénario suivant, « La Malédiction de Leng », mais qui m’a paru plus constant tout de même.



Et il y a un autre problème, ici – pas absent du scénario suivant non plus, mais davantage marqué dans celui-ci… et qui, pour le coup, pourrait ramener aux défauts de « Entre deux rêves » : c’est passablement linéaire, avec même une scène ultra-dirigiste au milieu de l’aventure, et la fin connaîtra probablement un ersatz de deus ex machina. Et pourtant, j’ai trouvé ça bien meilleur… Diantre !



C’est que les bonnes idées ne manquent pas – ainsi, dès le départ, celle de conférer aux personnages (des prétirés en principe) une stature proprement mythologique dans les Contrées du Rêve, et qui pourtant s’associe très bien avec leur dimension plus classique d’investigateurs. Ceci dans un cadre à la fois chatoyant et menaçant, qui retranscrit bien l’atmosphère des Contrées du Rêve – en l’espèce, plane sur l’univers onirique une menace terrible, fatale, en forme d’épidémie de mélancolie…



Mais le scénario repose aussi sur une bascule qui « justifie » le dirigisme forcené de la scène qui la précède immédiatement – et là, attention, cette fois je vais SPOILER ouvertement !



Adonc, nos personnages, qui se croyaient natifs des Contrées du Rêve, comprennent enfin qu’ils sont en vérité des rêveurs – là encore, on a la même chose dans « Entre deux rêves »… et pourtant cela fonctionne bien mieux ici ! En raison d’un choc bien autrement ample et douloureux : les rêveurs… sont des enfants de huit à dix ans. Et pas n’importe quels enfants – des petits Éthiopiens dans un camp de réfugiés, de nos jours (idée de base, susceptible d’adaptations à d’autres contextes historico-politiques, pouvant inclure des choses aussi mignonnes que la Shoah, etc.) ; autant dire un de ces endroits sur Terre qui s’avèrent plus cauchemardesques que tous les cauchemars. Tout est donc affaire de contraste, et le rêve y prend tout son sens.



Mais cela requiert une certaine subtilité ! Disons-le, un thème pareil est forcément casse-gueule : une inadvertance passagère peut aisément transformer cette idée pertinente mais dangereuse en une très désagréable putasserie. Gare, donc : le Gardien doit mûrir la bascule et les scènes qui en découlent, et, à l’évidence, tous les joueurs ne seront pas adaptés à pareil scénario.



À vrai dire, le travail du Gardien doit être d’autant plus appliqué que la description de ces événements m’a paru un peu trop hâtive, là où la complexité et l’éventuelle dangerosité du propos auraient bien été accompagnés de quelques détails supplémentaires. Par exemple, le camp n'est pas situé (je crois qu'il gagnerait à l'être), même si l'on peut pencher pour l'Europe de l'Est ; et j'aurais apprécié d'en savoir davantage sur l'organisation interne du camp, et la place qu'y occupe « le Rat », de manière bien plus précise ; j'imagine qu'on pourrait dénicher sur Internet de la doc sur les « passeurs », mais...



Reste que c’est un bon scénario, là encore, j'y tiens – même avec ses défauts, il est bien pensé, fort, fait pour remuer les tripes : s’il n’y parvient pas, c’est que quelque chose a merdé quelque part. Mais il n’est pas fait pour toutes les tables, et le même soin n'a pas été apporté à la rédaction de ses différentes parties, je trouve.

LA MALÉDICTION DE LENG



« La Malédiction de Leng », toujours de Cyril Puig, est plus classique, globalement, mais peut-être aussi plus convaincant sur la durée. Je l’ai beaucoup aimé, en fait, ce scénario – même s’il n’est à nouveau pas sans défauts ; notamment, là encore, le début est probablement mieux conçu que la fin – assez ouverte par ailleurs.



Ce scénario n’entretient pas avec les Contrées du Rêve les mêmes rapports que les autres figurant dans ce supplément, dans l'ensemble. Comme, surtout, « Le Trésor des doges » et, plus loin, « L’Onirographe », il débute dans le monde de l’Éveil, et s’y attarde quelque peu. Mais peut-être pas autant qu’on serait tenté de le croire ? C’est que Cyril Puig joue de l’ambiguïté du plateau de Leng – à la fois dans notre monde, et dans les Contrées. D’une certaine manière, ici, ce ne sont donc pas les personnages qui voyagent, mais le monde autour d’eux…



Le cadre est chouette, par ailleurs : de nos jours (en principe), un observatoire astronomique paumé dans un plateau sibérien, loin de tout. Lovecraft, initialement, avait semble-t-il localisé son plateau de Leng en Asie, plutôt dans l’Himalaya, cela dit, alors que nous serions ici plutôt du côté des contreforts nordiques, disons (avec un personnage de nomade toungouze pour faire le liant). En même temps, cette station scientifique coupée du monde renvoie à une autre localisation, plus tardive : celle, dans l’Antarctique, des Montagnes Hallucinées. Et Cyril Puig fait d’une pierre deux coups, j’imagine, car tout cela rappelle aussi énormément, comme de juste, The Thing, de John Carpenter…



C'est qu'au fond il en découle un survival d’abord très classique, mais aussi très bien fait – et vraiment flippant : bien mené, ça doit être un sacré cauchemar… En fait de références littéraires, pour le coup, je penserais peut-être surtout à La Maison au bord du Monde, de William Hope Hodgson ?



Mais ce survival se singularise tout de même par certains aspects, qui le rendent bien plus intéressant (là encore, gros SPOIL).



En premier lieu, il y a les PJ – tous des Russes, issus d’un bled sibérien à peine moins paumé, et qui se connaissent tous depuis l’enfance, dont ils ont toutefois hérité des cauchemars plus ou moins collectifs. Or l’ambiguïté du plateau de Leng a ici un effet particulier : les scientifiques (ou autres) adultes sont « aidés » par leurs avatars enfantins – les rêveurs (ce qu’ils avaient oublié) qui sont restés dans les Contrées, où le temps n’a pas la même signification… Mais tous leurs conseils, d’apparence « fantomatique », sont-ils bons à prendre ? Il en est un de particulièrement désagréable…



En second lieu, eh bien, justement : c’est de rêveurs qu’il s’agit – à même de remodeler le monde dans l’instant : l’auteur propose ici une variante intéressante dans le cadre d’un survival en huis-clos, car elle en anéantit finalement les règles – dans ce bâtiment où sont enfermés les PJ, il n’y a pas, pour l’heure, de porte de derrière, ou de fenêtres au rez-de-chaussée… mais il pourrait très bien y en avoir dans quelques minutes seulement ! Quant aux courses-poursuites dans un environnement fluctuant, où les couloirs se ferment, se tordent, etc., au gré des fantaisies labyrinthiques des poursuivants, puis peut-être également des poursuivis… J’aime beaucoup ce principe !



Qui peut emprunter, j’imagine, à des films comme Dark City, Matrix ou Inception (à titre personnel, pas trop aimé le premier, OK pour le deuxième, pas eu envie de voir le dernier), ou à d’autres choses qui se cachent éventuellement derrière, comme un certain nombre de récits de Philip K. Dick. Quelque chose que l’on retrouvera dans le scénario suivant, « Rêve d’antan », sous une forme peut-être un peu plus subtile.



Un très bon scénario, donc – un très beau cauchemar, classique dans l’ensemble, mais peut-être moins qu’on le croirait au départ…



RÊVE D’ANTAN



Suit « Rêve d’antan », ultime scénario signé Tristan Lhomme, qui le qualifie lui-même de « Inception barbare au pays des archétypes ». Et, oui, il y a de ça !



Les PJ y sont amenés à remodeler l’histoire, ou plutôt la préhistoire – des événements qui se sont produits il y a bien longtemps de cela, mais dont on a perdu depuis bien longtemps le souvenir ; la mise au jour d’un impressionnant tumulus, pourtant, va ramener les héros – oui, exceptionnellement : les héros – dans un temps antédiluvien, où s’est joué, dans l’ignorance la plus totale de nos contemporains, l’avenir de l’humanité.



Côté références littéraires lovecrafto-compatibles, je serais tenté de chercher dans deux directions ; chez Lovecraft lui-même, dans « Polaris », qui est le plus vieux récit des Contrées du Rêve, et par ailleurs, à l’en croire, celui qui avait déjà été écrit avant qu’il ne découvre l’œuvre de Lord Dunsany – ce qui peut expliquer que, dans le cadre alors pas le moins du monde défini ni même envisagé des Contrées, le ton soit très différent du chatoiement baroque qu’on y associerait par la suite. Mais il faut y ajouter, j’imagine, Robert E. Howard – et ce au-delà des allusions relativement ouvertes que sont « Les Vers de la terre » (qui renvoie surtout à Bran Mak Morn) ou la Valusie (qui renvoie plutôt à Kull, mais a, depuis Lovecraft même, intégré le lexique cthulhien dérivé) : il y a quelque chose de fondamentalement barbare, ici (même si je privilégierais donc le lien avec les Pictes de Bran Mak Morn plutôt qu’avec le bien plus célèbre Conan) ; et le jeu marqué sur les archétypes peut renvoyer à plusieurs récits howardiens, notamment ceux jouant de la « mémoire raciale », avec par exemple le personnage récurrent de James Allison (une nouvelle telle que « La Vallée du Ver » met justement en avant ces archétypes héroïques).



Quoi qu’il en soit, l’ambiance est superbe – qui incite à l’approfondissement d’ordre anthropologique, avec une belle galerie de personnages archétypaux et pourtant… humains ? C’est en fait peut-être cette humanité le problème – avec un chef de tribu du nom de « Ours » qui a commis des erreurs (l’amûr, tûjûrs l’amûr…), et en a payé le prix fort, avec le risque que tout son peuple, voire toute l’humanité que l’on entrevoit derrière le petit groupe, en paye à son tour le prix, fatal.



Mais il y a donc des héros, qui peuvent intervenir. Pas, cependant, de la manière la plus classiquement « héroïque », épée en main : le premier combat contre les ennemis de l’humanité n’en est pas un, c’est spécifiquement une scène d’horreur – il y aura bien, en définitive, un vrai combat, conçu pour résonner de hauts-faits épiques, mais, d’ici-là, ce que les héros doivent faire, c’est comprendre ce qui s’est passé… et changer rétroactivement le cours des événements.



Ici, même chose que dans « La Morte et le chevalier » : dans l’idéal, personne ne dira aux PJ ce qu’ils doivent faire, cela doit dépendre entièrement de leurs initiatives personnelles – mais, avouons-le, ce comportement n’est pas forcément très évident… En même temps, le scénario en joue – avec une sorte de chamane stupéfaite de constater que les héros de la prophétie n’ont aucune idée de ce qu’ils doivent faire : un vague humour absurde au cœur de la tragédie épique !



Mais cette liberté d’action a son corollaire : le scénario, même en comptant quelques passages obligés, s’avère finalement assez ouvert. En même temps, il est bien censé amener à une conclusion autrement solide et ferme que dans nombre de scénarios qui précèdent…



Un bel exercice d’équilibriste, pour un scénario à nouveau très convaincant, tout particulièrement dans l’ambiance barbare et l’implication des PJ. Et, là encore, c’est idéalement calibré pour du one-shot.



L’ONIROGRAPHE



Reste un dernier scénario, « L’Onirographe », signé Éric Dedalus, pas mauvais à proprement parler, mais tout de même bien inférieur à ceux de Tristan Lhomme et de Cyril Puig, me concernant. On fait ici dans le « correct », le « sans plus ». Ça se tente, mais sans grand enthousiasme – il y a bien mieux à faire, d’autant que c’est assez convenu.



Dès l’entrée en matière, qui joue assez banalement de l’amnésie : la partie s’ouvre sur le procès d’un des investigateurs, qui n’a aucune idée de ce qu’il fait là… Mais il est bientôt libéré – de manière plus ou moins crédible, à vrai dire.



Il s’agit dès lors d’expliquer comment l’investigateur a pu commettre ce geste criminel guère dans ses manières – or une épidémie de crimes incongrus pointe tout droit sur un voleur de rêves : un homme que la guerre a définitivement écarté des Contrées, et qui ne peut y retourner qu’à l’aide d’une machine de sa conception, qui vampirise l’imaginaire de ses « patients » infortunés… ou demandeurs ! Mais, mort sur Terre (il n’en sait rien, et le scénario connaît peut-être une autre défaillance au plan de la crédibilité dans les rapports que peuvent entretenir les PJ avec l’assassin…), il vit maintenant dans les Contrées – dans une vaste bibliothèque où il a pour ambition de collecter et conserver tous les rêves de l’humanité.



Tout cela n’est sans doute pas bien original, et c’est dès lors plus ou moins enthousiasmant… En fait, ce qui m’a le plus parlé, dans ce scénario un peu médiocre, c’est le cadre strasbourgeois des investigations des PJ dans le monde de l’Éveil – pourtant optionnel, mais plutôt intéressant : l’épidémie de tuberculose, la percée, le souvenir encore proche de la Première Guerre mondiale…



L’autre point intéressant est ce PNJ d’un artiste qui ne veut plus rêver, tout en sachant très bien que cela revient à tirer un trait sur sa carrière de peintre : c'est un bon personnage, mais pas suffisant, à lui seul, pour rendre le scénario vraiment intéressant.



D’où un résultat sans vraie saveur – pas mauvais, juste pas vraiment enthousiasmant…



DÉMENTS ET VERVEINES



Le bilan est tout de même clairement positif. Ce genre de recueil connaît presque invariablement des hauts et des bas. C’est le cas ici, mais les hauts l’emportent clairement : sur les huit scénarios proposés, cinq me paraissent valoir le coup, et ils ne sont pas forcément si nombreux, les suppléments de scénarios qui peuvent en dire autant. Ils sont encore moins nombreux, ceux qui contiennent quelque chose d’aussi fort que « La Vapeur des soupirs »…



Murmures par-delà les songes est aussi une réussite sous un autre rapport : c’est une illustration très convaincante des possibilités très variées offertes par le cadre des Contrées du Rêve. On voit bien, ici, que, dans l’idéal, il ne s’agit pas d’un banal univers de fantasy comme les autres, mais bien de quelque chose d’assez singulier et en même temps susceptible de bien des variations, dans des genres très différents, et presque toujours avec un appréciable à-propos. Les scénarios qui concluaient Les Contrées du Rêve en donnaient sans doute une idée bien moins éloquente et palpitante, à vrai dire…



Un bon supplément, donc, que cet inédit parfaitement françouais.



Quant à moi, je conclurai prochainement ces chroniques de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve avec le dernier des cinq suppléments dans la boîte, l’exclusivité du financement participatif : La Pierre onirique – à un de ces jours…
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Nébal
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Message par Nébal »

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Lu La Pierre onirique, dernier des cinq bouquins de l'édition "Prestige" des Contrées du Rêve pour la septième édition de L'Appel de Cthulhu. Il s'agit d'ailleurs d'un contenu exclusif issu du financement participatif, et pas disponible à la vente seul.

Une campagne qui prend place presque intégralement dans les Contrées, avec de beaux morceaux d'ambiance de temps en temps... mais surtout un dirigisme marqué et vite pénible, aggravé par une multitude de rencontres souvent bastonneuses.

Pas convaincu.

Ma critique a initialement été publiée sur mon blog (hop : L'Appel de Cthulhu (V7) : La Pierre onirique), mais je la reproduis ici au cas où...

Spoiler:
LA FIN DU RÊVE

Et voilà : j’en arrive aujourd’hui (après Les Contrées du Rêve, Kingsport, la cité des brumes, Le Sens de l’Escamoteur et Murmures par-delà les songes, à la cinquième et dernière chronique en rapport avec le financement participatif de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve pour la septième édition de L’Appel de Cthulhu, chez Sans-Détour ; il y a encore du matériel en sus, en forme de goodies plus ou moins gadgétoïdes mais le plus souvent très beaux et très appréciables, mais je peux difficilement en dire davantage ici…

L’aventure s’achèvera donc avec La Pierre onirique, une campagne se passant (presque) intégralement dans les Contrées, écrite par Kevin Ross, et publiée originellement en 1997 ; elle fut semble-t-il longtemps la seule campagne de ce type pour L’Appel de Cthulhu, même si, depuis, et partie intégrante de ce crowdfunding, il y a eu au moins Le Sens de l’Escamoteur pour explorer davantage cette matière bien rare (et le passage des années se fait ici sentir, car sur une base assez proche, les développements sont finalement tout autres).

À la différence des quatre autres titres précédemment traités, La Pierre onirique n’est pas disponible à la vente seul : c’est un contenu exclusif de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve – ce qui se traduit notamment par son absence de numérotation au dos. Mais je suppose que c’est aussi ce qui « justifie » quelque chose d’un peu mesquin : c’est le seul des cinq livres du trouvage de corbeau à ne pas être relié en dur… Pas grave, mais un peu dommage.

Par ailleurs, tant qu’on en est aux considérations matérielles, il faut relever que la taille n’est pas forcément très révélatrice : le bouquin fait 80 pages, une soixantaine si on enlève les annexes, et c'est donc le plus court des cinq en termes de pagination, très nettement. Pour autant, la campagne n’est pas forcément brève – elle est d’une taille standard, qui vaut bien par exemple Le Sens de l’Escamoteur, et pourrait même aller au-delà. Il faut dire que le contenu est très dense, d’autant sans doute que, autre bizarrerie, l’éditeur a ici déclaré la guerre aux sauts de page : tout le texte est présenté en continu, les différents épisodes (ou scénarios) de la campagne ne se voyant pas distingués matériellement au-delà du sommaire : on a un seul très gros chapitre. Ce que je re-trouve un peu mesquin. Cela n’a sans doute encore rien de dramatique, mais cela n’aide pas à s’y repérer et à naviguer aisément entre les divers éléments utiles, a fortiori sur le vif.

Par contre, de manière plus positive, les illustrations sont assez nombreuses et généralement assez chouettes – notamment celles renvoyant au bestiaire, assez développé ; et les aides de jeu, tout spécialement en fin de volume, où elles sont en pleine page, sont très belles et incomparablement plus lisibles que ce à quoi nous avait habitués Sans-Détour avec la V6 de L'Appel de Cthulhu. J’espère (et suppose) que l’éditeur poursuivra sur cette lancée, c’est très appréciable.

PIERRE QUI ROULE ET CHAOS QUI RAMPE

La Pierre onirique est une campagne qui se passe donc presque intégralement dans les Contrées du Rêve – presque, car il y a un prologue et un épilogue dans le Monde de l’Éveil ; par contre, entre les deux, il n’y a pas de possibilités de retour, même très temporaire, un trait semble-t-il commun à ce genre de scénarios.

Dès lors, nulle surprise à cet égard, mais disons-le au cas où pour les éventuels lecteurs novices : l’aventure qui nous est ici proposée n’a peu ou prou rien à voir avec votre séance « classique » de L’Appel de Cthulhu ; les investigateurs deviennent des aventuriers, et l’Amérique des années 1920 cède la place à un univers de fantasy coloré, bigarré, ouvertement surnaturel – et peut-être plus propice aux rencontres mouvementées avec des créatures à passer au fil de l’épée (votre calibre .38 ne fera pas le voyage, lui).

Cependant, nous commençons bien dans le Monde de l’Éveil, où les investigateurs sont des occultistes qui ont régulièrement eu maille à partir avec un rival du nom de Byron Humphrey. Celui-ci, toutefois, semble désireux (mais pourquoi ?) d’enterrer la hache de guerre, et requiert l’aide des PJ concernant une étrange pierre sur laquelle il a tout récemment mis la main – un artefact dont il ne doute pas qu’il a des propriétés occultes d’importance.

Certes : cette Pierre onirique est une émanation de Nyarlathotep, le Chaos Rampant – une sorte de piège, autant le dire, attirant ses victimes dans les Contrées du Rêve pour y emprisonner leurs âmes… Et le piège se met en place, qui expédie d’abord Byron Humphrey et la Pierre onirique elle-même dans les Contrées, puis les investigateurs, qui n’ont guère d’autre choix, s’ils entendent revenir un jour sur Terre, que de se lancer sur la piste de leur rival et de son curieux artefact…

À LA POURSUITE D’UN RÊVE (OU : POUR LA SUITE, ÇA SE PASSE LÀ-BAS)

Par chance pour nos héros, la piste de Byron Humphrey n’est guère difficile à suivre : l’arrogance cultivée du bonhomme fait qu’il ne passe pas inaperçu, et il se trouvera toujours un aimable citoyen des Contrées pour indiquer la direction prise par le zouave.

L’occasion de pérégrinations dans les Contrées, qui couvrent une vingtaine de pages assez denses : de la Caverne de la Flamme aux Terres Interdites, en passant par le Bois Enchanté, le fleuve Oukranos (et la terrible malédiction de son dieu) ou encore la jungle de Kled, et Hlanith…

C’est un monde fascinant et riche, très coloré, abondant en opportunités de rencontres et d’aventures. L’ensemble se coule tout naturellement dans un mode de fantasy probablement pas inconnu des joueurs de manière générale, mais affiche cependant la singularité de l’univers onirique lovecraftien qui, pour être intéressant, doit justement s’émanciper de ce canon global (largement postérieur). Kevin Ross connaît ses Contrées, et multiplie les saynètes qui en témoignent – il déploie beaucoup d’efforts en ce sens.

Mais, du coup, ces pérégrinations sont dirigées : il s’agit de suivre la (double) trace de Byron Humphrey et de la Pierre onirique, et l’on sait toujours très facilement où il faut se rendre. La densité du scénario peut tout d’abord donner l’impression de multiples rebondissements qui devraient être savoureux en tant que tels, mais ça ne prend pas : passé ce mince et fragile vernis, les joueurs n’ont tout simplement aucune prise sur l’aventure à ce stade, et enchaînent mollement les rencontres qui sont finalement souvent autant de diversions imposées – l’abus des tables de rencontre (j’y reviendrai) en est peut-être le plus triste témoignage.

MAN IN THE MOON (SANS JIM CARREY)

Concernant ce dirigisme très marqué, la donne change un peu, tout de même, quand on en arrive au cœur de la campagne (après quoi il y aura de nouvelles pérégrinations de retour dans les Contrées, sur un mode assez proche de celui qui précède, à ceci près que les rôles seront alors inversés : cette fois, ce sont les PJ qui seront poursuivis).

Et ce cœur, c’est donc un voyage sur la Lune, où un suppôt de Nyarlathotep du nom de Vredni Vorastor, plus connu sous le sobriquet de l’Homme dans la Lune, vit dans un incroyable palais, avec Byron Humphrey pour invité, et sans doute aussi, à terme, les investigateurs eux-mêmes – en attendant que son Boss Nyarlathotep fasse la tournée de sa succursale lunaire pour bouffer les âmes de tout ce joli monde.

Se rendre sur la Lune n’a rien d’évident, même si quelques pistes sont clairement soulignées dans le bouquin, impliquant une galère noire des hommes de Leng, avec un capitaine veule et répugnant (et éventuellement des compagnons de route, pour la baston...) ; ici, exceptionnellement, les PJ ont toutefois un minimum de choix – par ailleurs, à condition de bien travailler l’ambiance, le voyage spatial et onirique pourrait susciter quelques beaux moments.

Sur la Lune, le palais est abondamment détaillé, avec un plan adéquat, et nombre de développements sur ses habitants, entités singulières comme Vredni Vorastor et sa (très, très) glauque promise Lucerna, ou sous-fifres génériques au service de l’Homme dans la Lune. Il y a ici une ambiance de non-sens morbide qui pourrait évoquer un Lewis Carroll ayant rejoint le côté obscur (du miroir) ; je suppose qu’il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que La Pierre onirique, sous cet angle, m’ait à plusieurs reprises rappelé un bouquin de jeu de rôle bien plus récent, le fascinant (et injouable me concernant) A Red and Pleasant Land, pour Lamentations of the Flame Princess.

Toutefois, le temps presse : Nyarly arrive, il faut s’être barré avant qu’il ne sonne à la porte. C’est le moment-clef de la campagne, où les PJ doivent organiser l’évasion de Byron Humphrey et la leur, sans oublier de reprendre au passage la Pierre onirique – et tant qu’à faire le bidule à ramener au dieu Oukranos pour éviter de faire les frais de sa colère (si les joueurs y pensent encore).

Dès lors, nouveau lien avec A Red and Pleasant Land, le palais fantastique de l’Homme dans la Lune ressemble tout de même un peu, en fin de compte, à un bon vieux donjon des familles, avec une adversité conséquente (voire plus que ça), et des courses-poursuites haletantes (théoriquement…), qui ne prendront fin qu’avec le retour des PJ dans le Monde de l’Éveil.

SITES DE RENCONTRES (ADOPTE UN MONSTRE SUR MYTHIC DE CTHULHU)

Ultime illustration d’un gros problème de la campagne à mes yeux, corollaire de son dirigisme marqué : la multiplication recommandée des rencontres plus ou moins en lien avec la « quête principale », si j’ose m’exprimer ainsi – et des rencontres souvent tirées sur des tables aléatoires, comme s’il n’y en avait pas déjà assez comme ça (et il y en a plus qu’assez). Si ce n’est pas systématique (ouf), nombre de ces rencontres, aléatoires ou pas, peuvent dériver vers la baston pure : non, décidément, ce n’est pas votre partie lambda de L’Appel de Cthulhu. C’est une aventure de fantasy plus qu’à son tour héroïque, et assez old school dans son traitement – trop, probablement. Et finalement pas très enthousiasmante, même si Kevin Ross s’amuse avec les singularités de l’univers onirique lovecraftien.

Notons d’ailleurs que ces (bien trop) nombreuses rencontres peuvent s’avérer très coriaces – notamment chez Vredni Vorastor, of course. En fait, cela a un impact sur les rares décisions que peuvent prendre les joueurs, quand le scénario les y autorise, ou plutôt semble les y autoriser : il y a tant d’optiques résolument suicidaires que la « bonne » solution, la plus raisonnable ou la moins déraisonnable, apparaît très clairement – cela ne fait donc que renforcer le dirigisme omniprésent de La Pierre onirique.

Peut-on alors se passer de ces rencontres ? Probablement pour bon nombre d’entre elles – et au premier chef celles générées aléatoirement sur des tables. Mais faut voir, parce que cela revient en même temps à déshabiller un peu vertement la campagne : à trop vouloir tailler dans le gras, on risque fort de se retrouver en face d’un navrant squelette – ce qu’est au fond la quête de La Pierre onirique

(BAILLE)

Il y aurait peut-être un équilibre à trouver entre les deux, mais, pour dire les chose, c’est un effort que je n’ai pas envie de fournir : tout ça ne m’emballe pas. Tout ça m’ennuie, même – me fait bailler…

Et c’est peut-être dommage, oui – car il y a de bonnes idées, çà et là, des rencontres amusantes exceptionnellement, et un peu plus souvent de beaux morceaux d’ambiance, dans les Contrées, dans l’espace, sur la Lune…

Il y a quelques blagues, aussi – dont une, ultime, par ce vilain trickster de Nyarlathotep. Disons-le : ça ne suffit pas à changer la donne. Clairement pas. Même si jouer ce vilain tour aux joueurs pourra faire jubiler les plus sadiques des Gardiens.

La Pierre onirique, sans être à proprement parler calamiteuse, est finalement une campagne assez médiocre, et qui a peut-être aussi pris un coup de vieux ; le contraste avec Le Sens de l'Escamoteur, campagne bien plus récente et assez proche dans son point de départ, est marqué. En l’état, c’est le moins intéressant des cinq suppléments de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve.

Ceux qui n’ont pas investi dans le financement participatif n’ont donc pas forcément beaucoup de regrets à avoir concernant ce bonus exclusif, qui demeure pourtant un apport bienvenu pour les autres – même en étant une campagne globalement ratée, La Pierre onirique renferme davantage de matériau exploitable que bien des goodies, ne serait-ce que pour se poser la question pas si simple de ce qu’il est possible et souhaitable de faire dans les (ou avec les) Contrées du Rêve, et ce qu’il vaut mieux éviter.
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Antharius
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Re: Critiques

Message par Antharius »

Merci pour cette critique très détaillée dans laquelle je me retrouve complètement ^^

Étant une reprise de la version Descartes, la campagne ne peut que cumuler le "retard" sur des publications plus récente.

Bon je retourne préparer le Sens de l"escamoteur ^^
Kabend
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Re: Critiques

Message par Kabend »

Burning Wheel (Gold)

Je n'ai pas vu ici de critique de Burning Wheel (? corrigez moi si je me trompe).

C'est bien dommage parce que les revues (la plupart anglo-saxonnes) étaient dithyrambiques, du coup j'ai été piqué de curiosité et je l'ai acheté. Voici un avis (plutôt qu'une "critique", c'est à dire que je ne parlerai pas du "produit" en tant que tel, ni du format, ni des illustrations etc. mais uniquement du système) qui je l'espère aura son utilité pour d'autres:


 
Avant de parler de Burning Wheel, il faut faire un petit détour par un autre domaine: la pseudoscience. La pseudoscience c’est l’art de faire passer des thèses erronées ou farfelues pour une science profonde et visionnaire. Pour y arriver, une technique consiste souvent à noyer le lecteur sous un jargon technique et un déluge d’informations qui n’apportent rien mais qui font “science” et qui détournent du fond.
 
Burning Wheel est comme çà: Une sommité. Un Vidal. Et écrit petit encore. Des tableaux, des termes techniques. Bref c'est très profond.

Mais une fois passé les 600 pages de détails, de sous-systèmes à-ne-pas-utiliser-tout-de-suite-parce-que-c’est-déjà-très-puissant, de jargon comme “exponent” et “artha” (des termes mathématiques et sanskrit, rien de moins !), une fois passé les 250 skills, les 3 sortes d’expérience et les 3 couleurs sur chaque compétence, les FoRKs (!) et les Epiphanies, on arrive finalement (difficilement) à trouver le coeur du système, et il se révèle pour ce qu’il est: 2 idées qui tiennent en une page.


Le problème c’est que, comme en sciences, on aime se laisser illusionner: Le cheminement intellectuel d’un adorateur de Burning Wheels semble être le suivant:
“Le système est incroyablement complexe, c’est donc qu’il y a une intention cachée. Mais cette intention cachée est impossible à capter en première lecture (ni en seconde, d’ailleurs…), donc elle est forcément très puissante, à tel point qu’elle nous dépasse. Et si elle dépasse le commun des joueurs, c’est donc qu’elle est un trait de pur génie”. 

Et bien non. Burning Wheel, ramené en son principe premier, c’est 2 règles. Pas très bien expliquées, et noyées dans les 70 premières pages. Pages légèrement pompeuses qui vous laissent un peu épuisé quand vous arrivez au cœur du sujet. 

Pire, ces 2 règles ne sont que faiblement couplées au reste du système, elles lui sont pratiquement indifférentes (je dirais "orthogonales" si je voulais faire pompeux moi aussi): On pourrait les prendre et les inclure dans un autre système, n’importe lequel, pour obtenir sans effort un “Burning Wheels-like”. Inversement, on pourrait les supprimer et le reste du système fonctionnerait sans heurt (même s’il perdrait, du coup, ce qui en fait véritablement Burning Wheels). 

Ces 2 règles, qui sont en fait des injonctions au MJ, les voilà:

  • D’abord (injonction 1) la narration doit être partagée et au grand jour entre le MJ et les joueurs. C’est un "Powered by the Apocalypse" qui va plus loin: Avant un jet de dés, le MJ doit indiquer les conséquences sur l’histoire (donc faire apparaître des éléments nouveaux dans la narration comme une conséquence du jet du joueur, par exemple "une tempête se déclenche si tu rates ton jet de météorologie", tempête qui n'existait nulle part avant que le joueur ne décide de scruter le ciel...). Le fait de l’annoncer à l’avance permet aux joueurs de réagir, choisir, discuter, min-maxer, voire négocier les conséquences.
    Idée intéressante, on aime ou on n’aime pas.

  • En conséquence (injonction 2) le MJ doit s’efforcer de ramener les éléments de la narration à des jets qui intéressent les joueurs, c’est à dire qui entrent dans le champ de leurs personnages, de façon à alimenter l’histoire continuellement. D’où un focus très particulier sur les skills et le coté “character-centric”. En fait, la profusion de skills est une conséquence de ce principe, car si les skills étaient peu nombreux (disons, 3 ou 4), il serait sans doute difficile d’alimenter l’histoire de façon suffisamment variée.
Voilà l’essence du système. Et au fond pourquoi pas ? Mais quel besoin de nous assommer avec 3 couleurs, une fiche de personnage pour sociopathe, 599 pages de détails minutieux voire maniaques, et surtout cette intention prétentieuse de faire croire qu’il s’agit d’un monument, d’un mystère caché alors qu’il y a, et c’est déjà honorable, deux idées intéressantes ?

J'en tirerai des bonnes idées pour mes autres jeux, mais Burning Wheels lui même ne me semble pas mériter un tel investissement. Le bouquin est magnifique, cependant, donc il ornera mon étagère...


 
Dernière modification par Kabend le mer. févr. 14, 2018 10:34 pm, modifié 1 fois.
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Re: Critiques

Message par Amleth »

Kabend : 👌
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Message par Fabfab »

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Re: Critiques

Message par Sama64 »

oui, merci pour la critique ; je ne connais pas le jeu (et ça ne m'encourage pas à le faire) mais le texte est vraiment excellent  :yes:
on dirait presque du Chaviro  :mrgreen:
L'expression "adolescent boutonneux" est désormais proscrite : Bienvenue chez les ayatollahs du dictionnaire

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Message par MRZ »

La Mort Bleue d'Islayre d'Argolh

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Un très bon format de module/setting pour le jeu Coureurs d'Orages, mais également pour n'importe quel autre jeu de rôle, même autre que la fantasy.

On est ici en présence d'une mini-univers en mode bac à sable dans une ambiance western. Les figurants, qu'ils soient des figures majeures de Salem ou des rencontres mineures, sont haut-en-couleurs. On a tout de suite les éléments jouable, les ambiances et les intrigues, et ce, en quelques minutes de lecture. En fin de compte, vous avez tout pour jouer l'intrigue mais de la manière dont vous le voulez.

Ce petit livret porte bien son nom de module, car oui, il est vraiment modulaire, même dans le choix de l'adversité. On n'a aucune donnée technique ce qui permet de développer le setting en quelques pages (17 pour être exact), mais d'un autre côté, il vous demandera un minimum de travail pour l'adapter à votre jeu ou même à Coureurs d'Orages (d'où mon 4 et pas 5).

Pour conclure, je pense que c'est un format à tester pour le jeu. Même si vous n'avez pas encore le temps de le faire jouer, il est très instructif sur sa forme et son originalité découlant du mélange des genres (western spaghetti + fantasy + medieval gritty + horreur).
Au départ, j'étais réticent à me le procurer (17 pages pour 3€, c'est pas énorme mais ça me semble cher pour un contenu aussi ramassé) mais force est d'admettre que le contenu mise sur la qualité plutôt que sur la quantité. Vous ne trouverez rien ici de superflu, à l'image du jeu de base (Coureurs d'Orages, même si le livret de pj prétirés en son centre est discutable...il apporte cependant une galerie de portraits utilisable en jeu), et son véritable atout par rapport au scénario du livret de base (Le Val des Corbeaux) est une galerie de portraits des pnj importants.

Encore une réussite éditoriale de la part d'Islayre d'Argolh et son éditeur LeGrümph.

4/5
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chaviro
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Message par chaviro »

@Kabend Oui, mais non.
Oui, Luke Crane écrit des pavés pas clairs et avec des morceaux qui ne marchent pas complètement. Tout le monde n'est pas Vincent Baker non plus. Mais c'est mieux foutu que du Gygax, quand même.
Non, résumer BW à deux principes, c'est un peu court. Il y a aussi dedans des mécaniques (bien lourdes et velues, mais tout le monde n'aime pas forcément la légèreté et l'absence de pilosité ; cf. Zweihander/Brygandine) qui servent son propos, là où tant d'auteurs avec de belles idées et intentions les plombent avec un système qui dessert celles-ci qu'on se demande s'ils ont joué à leur propre jeu.
Sinon, tu as raison.
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Re: Critiques

Message par Islayre d'Argolh »

MRZ a écrit : jeu. févr. 15, 2018 11:06 am La Mort Bleue d'Islayre d'Argolh
(...)
4/5

Merci beaucoup d'avoir pris le temps d'écrire une critique :yes:
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Amleth
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Re: Critiques

Message par Amleth »

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1.) Quoi que c'est ?

Lion & Dragon est un jeu « OSR » faisant état d'un certain réalisme historique en matière de médiévalité, signé par l'innénarrable Pundit auquel on peut rattacher plusieurs qualificatifs : républicain (il le clame), pseudo-intellectuel (sa compréhension et ses critiques des grandes figures de la dite french theory sont à mourir de rire), paranoïaque (il croit que les épigones de The Forge sont au cœur d'un complot visant à le détruire personnellement), égo-centré (il pense être l'inventeur de l'OSR, et le seul qualifié à en proposer une définition), « vrai occultiste » et franc-maçon (dont il tire une hypothétique légitimité pour écrire des règles de magie… ahem… « réalistes »). Il fume la pipe aussi. C'est plutôt quelqu'un que je respecte en tant qu'analyste ludique et auteur, sauf quand l'un des traits de sa personnalité évoqués supra prend le dessus. Le « qui » de l'auteur peut éclairer le « quoi » du jeu. Mais c'est surtout l'auteur de Dark Albion, supplément de contexte réalisant pour l'Angleterre de la guerre des deux roses ce que Warhammer à fait avec l'Allemagne de la Renaissance. Lion & Dragon serait alors la partie « règles » de Dark Albion, et les références du premier au second sont constantes dans le texte.

2.) Vous en avez entendu parler où pour la première fois ?

Sur un blog OSR, mais impossible de me souvenir duquel…

3.) Achat compulsif, impulsif ou réfléchi ?

Les trois.

Compulsif, car je collectionne les jeux et suppléments OSR susceptibles de contenir, respectivement, des règles et éléments de gameplay innovants et des tables aléatoires à haut degré de réutilisabilité. Malheureusement, et je m'en suis mordu les doigts, L&D n'entre dans aucune de ces deux catégories.

Impulsif, car tout ce sur quoi Dominique Crouzet a posé les mains mérite d'être soutenu (Fantastic Heroes & Wizardry est pour moi le meilleur jeu OSR d'inspiration « classique »). Et je suis par ailleurs bon client des approches historiquement informées. J'ai continué à dévorer mes appendices digitaux, parce qu'il ne suffit aucunement de brandir le sceptre de l'histoire, encore faut-il savoir en faire quelque chose de stimulant ludiquement.

Réfléchi. J'étais sincèrement persuadé de pouvoir trouver quelque chose d'intéressant là-dedans. Sincèrement. Je connais et respecte les productions antérieures de l'auteur, l'approche me semblait bonne, l'éditeur est excellent.

4.) Vous pensiez trouver quoi ?

Un livre dans lequel je pourrais piocher : 1) quelques idées de fond pour la pratique de la magie rituelle ; 2) des tables de trucs sympas en rapport avec une magie médiévale historiquement informée ; 3) des tables pour animer un sandbox campagnard médiéval dynamique.

5.) Vous avez trouvé quoi ?

1) Un ouvrage dont chaque section commence par « Dans un jeu authentiquement médiéval, les personnages ne font pas ceci ou cela », ou encore « Dans mon approche infiniement plus subtile et réaliste que les autres jeux OSR… ».

2) Des règles aussi intéressantes que les house-rules de Kevin, 12 ans (qui vient de lire son premier Manuel des Joueurs), qui n'apportent rien à l'édifice OSR/D&D (c'est donc l'anti Coureurs d'Orages). C'est ma grosse déception, pour moi, en matière de game-design, le roi est nu : Pundit n'est ni créatif ni pertinent.

3) Une absence totale de matériel utile pour d'autres jeux. Par exemple, on a une jolie branlée de tables modélisant un système judiciaire « réaliste » qui s'étend sur plusieurs pages, mais dont la mise en œuvre en cours de partie doit être aussi amusante qu'une lecture du code pénal. C'est très précis, mais absolument sans âme. Même sentiment pour le système de magie, pourtant annoncé comme central. Le simple fait d'imaginer avoir à en faire un compte-rendu m'épuise : les démons … les bouts de chandelles … les parchemins interdits d'Oxford … les risques … Blah. Tout y est, mais c'est tellement taxidermique. Traîner sur les pages « magie médiévale » et « alchimie » de Wikipédia avec un DMG sous le coude pourrait donner de meilleurs résultats.

4) Une mise en page surchargée ou le texte n'arrête pas de danser autour de cliparts médiévaux libre de droit certe de bons goût, mais trop présents, et dénotant un fétichisme de l'auteur pour l'esthétique de la période qui en définitive n'a pas grand chose à voir avec une fonction ludique quelconque.

6.) Allez vous vous en servir ?

Non.

Il y a des choses historiquement informées qui sont à mon sens bien meilleures (dans la gamme Ars Magica 5 par exemple, notamment le supplément sur les gardiens de la forêt, sublime), et où le game-play et la jonction avec le fantastique sont plus stimulants.

7.) En conseilleriez vous l'achat ?

Non. Et j'en suis désolé pour Dominique Crouzet, à qui j'adresse tout mon support pour une poursuite des développements autour de FH&W.
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Llanvabon
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Re: Critiques

Message par Llanvabon »

Amleth a écrit : jeu. févr. 15, 2018 7:56 pm (sa compréhension et ses critiques des grandes figures de la dite french theory sont à mourir de rire)
Qu'est-ce que la french theory ?
 
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Ego'
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Re: Critiques

Message par Ego' »

Llanvabon a écrit : jeu. févr. 15, 2018 10:28 pm
Amleth a écrit : jeu. févr. 15, 2018 7:56 pm (sa compréhension et ses critiques des grandes figures de la dite french theory sont à mourir de rire)
Qu'est-ce que la french theory ?
 

Pas à franchement parler de l'OSR : French Theory
Mais bon, ce n'est pas moi l'Expert :mrgreen:
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Llanvabon
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Re: Critiques

Message par Llanvabon »

Je croyais que c'était du JdR... :)
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