La méthode du Docteur Chestel
Les Presses du Midi, 52 pages, 98 Francs (15€ sur alapage.com)
Note format GROG : 5/5
En ce temps là, j'avais 15 ans. Un rôliste, plus âgé, en fac de psycho, était tombé sur ce livre (publié en 1991). A l'époque, c'était de l'explosif : un jeu qui n'était pas D&D ni Cthulhu (j'exagère, mais à peine). Surtout : un nouveau concept. On ne joue plus pour l'aventure, mais pour comprendre l'Autre.
Quinze ans après, je découvre par hasard que le jeu est en vente sur alapage.com. C'est avec beaucoup d'émotion que j'ai mis la main dessus.
Indie avant l'heure
Le Docteur Chestel a inventé une méthode permettant à des "soigneurs" d'investir l'univers personnel d'un "patient" (son intracosm) afin de constater de visu quelle perception ce patient a du monde et peut-être arriver à le soigner.
Evidemment, les joueurs sont les soigneurs. Ils se créeront un "masque" (le personnage) et vont plonger dans un monde dont les éléments seront altérés en fonction de la pathologie (ou simplement du métier, des habitudes, etc.) du patient.
Ainsi, en rentrant dans la tête d'un rôliste, le monde sera rempli de secrets bizarres. Dans la tête de Sarkozy, les banlieues seraient des zones de racaille...
Bien sûr, les modifications peuvent être subtiles ou grossières, mais le vrai but des joueurs est de comprendre d'où vient le problème et de chercher un moyen subtil (et sans autres séquelles) de rendre sa "normalité" au patient.
Est-ce vraiment du jeu de rôle ?
On peut se demander si on est bien dans le registre du jeu. Voyons : y'a des règles, de l'action, du mystère... tout semble y être. Mais certains argumenteront qu'on est plus en présence d'un gigantesque cluedo qu'un vrai jeu de rôle tant la résolution de l'énigme passe avant l'interprétation d'un rôle. En réalité, il est même déconseillé de jouer des rôles extrêmes, car cela pourrait perturber le patient.
Mais comme les "vraies" parties de jeu de rôle ressemblent aussi ça cela (un mystère, ou alors un enchaînement de scènes d'actions), ce n'est qu'une façon d'officialiser la pratique.
D'ailleurs, tout au long de ce petit ouvrage, Daniel Danjean semble poser un regard distant et amusé, sans illusions, sur les pratiques rôlistiques. Et déjà en 1991 il évoque des aspects encore discutés sur le forum casus NO, c'est dire
Des règles avant-gardistes
Si je vous dis que les règles de simulations sont simples, efficaces, versatiles et qu'elles utilisaient déjà le principe Roll&Keep bien avant L5R, vous me croyez ? Vous devriez...
On lance un certain nombre de D6 (dépendant de la caractéristique), et en fonction de son niveau dans cette même caractéristique, on garde les deux meilleurs, ou les deux plus mauvais. Le fait de posséder une compétence adaptée garantit un "minimum" (une compétence à 5 garantit qu'aucun jet ne peut être inférieur à 5). Il y a cependant peu de compétences, et la majorité des jets se font sous une des 12 caractéristiques très bien pensées.
Le système de blessures est lui aussi très bien pensé, puisqu'il s'applique aux blessures physiques, aux chocs (temporaires), mais aussi au capital sympathie ou aux ressources du personnage.
J'émettrai juste un bémol pour les règles de combat, moins bien expliquées et un peu plus complexes, mais comme le combat n'est pas sensé être fréquent...
Notez que je n'ai pas parlé du faible nombre de signes, de la maquette plus que simpliste, des illustrations correctes en noir et blanc : vu la datation du jeu, il y a prescription et je n'ai ressenti aucune répulsion à la lecture.
Une approche différente
Finalement, ce qui fait la puissance du jeu, c'est l'infinité d'univers que l'on pourra explorer sans perdre en cohérence. Le talent d'improvisation du meneur sera fortement mis à contribution, mais un autre concept intéressant permet au meneur de créer des scénarios sans écrire de fin. Celle-ci se décidera alors par négociation avec les joueurs. Le cas du mystérieux mangeur de perruques laisse tout le monde perplexe ? Le but est de trouver des solutions acceptables (tremper toutes les moumouttes dans de l'huile de ricin ? réhabiliter les chauves ?) et sans séquelles (tuer tous les perruquiers pourrait transformer le patient en serial-killer très spécial).
Les deux scénarios du livre de base donnent une bonne idée de ce que ça peut donner, même si le premier est un peu court. Personnellement, j'ai fait les meilleures parties à partir des notes concernant certains dossiers de Freud mis en scène par cet ami en fac de psycho.
C'est un jeu qui ne conviendra pas à tout le monde, mais qui vaut largement le détour. Dans le genre décalé, il est presque inégalé.
"La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde" (Paul Valery)
"La politique est l'art d'enculer les mouches" (Charles Bukowski)