[Revue/CR] Durance

Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
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Meuh
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[Revue/CR] Durance

Message par Meuh »

Donc, j'ai testé Durance.

Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit d'un jeu de Jason Morningstar, auteur du célèbre Fiasco. Comme ce dernier, c'est un jeu sans MJ (certains dirons même que ce n'est pas un vrai JDR*), mais à la différence de ce dernier, quand tu le lis tu comprends de quoi il retourne (j'avoue : je n'ai jamais réussi à capter la mécanique de Fiasco). Il me semble à vue de nez que Durance (nb : l'euphonie de ce nom est unanimement détestée à ma table) propose une mécanique similaire à Fiasco bien qu'un poil plus dirigée. Il développe un thème qui m'a tout de suite tapé dans l'oeil : la vie dans une planète-colonie carcérale hostile, dans un univers de science fiction. Chaque joueur y interprète deux rôles : un membre de l'autorité et un membre des prisonniers, chacun étant notamment caractérisé par sa place dans la hiérarchie de son groupe.

Alors, pour être honnête, en proposant ce jeu à cette table, j'avais peur. Parce que les autres joueurs, bien que tout à fait ouverts pour tester de nouvelles expériences, sont essentiellement habitués à être PJs dans du JDR tradi, et qu'ils ne sont pas vraiment connus pour leur imagination débordante ni leur débrouillardise (voir mon expérience avec eux sur Lady Blackbird). Cassons tout de suite le suspense : concernant Durance, ça s'est merveilleusement passé.

La partie commence par la mise en place des éléments de jeu que sont la planète, la colonie et les personnages (dans l'ordre). Préparer le jeu, c'est déjà jouer : chaque joueur à son tour a une décision à effectuer, du coup on discute, on propose et on tranche, le cadre hostile de jeu se crée devant nos yeux et on comble les vides. Techniquement, une planète et une colonie sont définies par six qualités fixes (du genre : l'atmosphère est respirable sur la planète, l'ordre est bien maintenu sur la colonie) dont trois sont rayées tour à tour par les joueurs, créant autant de problèmes. Une fois cela effectué, le jeu propose une description de la planète et de la colonie qui correspond au qualités/problèmes retenus (ce qui fait 20 possibilités de planètes et autant de colonies, assurant un cadre très différent à chaque partie), assortie de propositions de détails à intégrer au jeu.

Pour la planète nous rayons tour à tour "vie intelligente absente", "biologie bénigne" et "géologie stable". Résultat : un monde fait de montagnes et glaciers en mouvement, habité d'extra terrestres vaguement humanoïdes aussi effrayants qu'agressifs. On note toutefois des traces d'une précédente colonisation, comme un vieux livre qui fut retrouvé dans la glace... Concernant la colonie, nous rayons l'organisation, l'ordre et la justice, au grand dam d'un des joueurs juriste de son état. La description de la colonie nous confirme l'évidence : l'autorité n'arrive à maintenir aucun contrôle sur les prisonniers, on est au bord de l'insurrection et l'anarchie. Enfin, toujours par élimination successive, on détermine ce à quoi aspire la colonie (ça sera important pour les résolutions) et c'est curieusement l'harmonie qui ressort. On commence déjà à discuter de l'état de la planète : on imagine un gouverneur faible, des marines corrompus, un chef des prisonniers impitoyable... mais tout ça c'est pour la suite.

Viennent donc les personnages. Il existe deux échelles hiérarchiques de 5 cases, celle de l'autorité allant du gouverneur au prisonnier émancipé en passant par les marines, et celle des détenus allant du parrain aux parias en passant par les évadés. Chaque joueur à son tour réserve une case et y inscrit un personnage qu'il va interpréter, jusqu'à ce que chacun possède un personnage sur chaque échelle hiérarchique, et en interdisant un joueur de posséder deux personnages de même niveau (un même joueur ne peut pas interpréter le gouverneur et le parrain par exemple). Puis encore tour à tour, chaque joueur va déterminer un serment pour un personnage de son choix, qu'il fut le sien ou non, jusqu'à ce que tous les personnages en possèdent un. En cas de panne d'inspiration pas de panique, une longue liste de serments-type est proposée, et il est possible d'en tirer au dé.

À quatre joueurs, ça fait 8 personnages, et deux cases qui resteront vides à la fin. Les choix faits, j'interprète l'épouse du gouverneur (autorité rang 3) et le violent bras droit du parrain (détenus rang 2), une joueuse choisit un lieutenant des marines (autorité 4) et une maquerelle évadée (détenu 3), le juriste reste attaché à son rêve d'ordre et choisit la juge générale de la colonie (autorité 2) et un vieux prisonnier impotent (détenu 5) tandis que le dernier joueur nous décrit la terrifiante parraine (détenu 1) et une prisonnière fine connaisseuse de la montagne émancipée par l'autorité pour mieux exploiter ses talents (autorité 5). Personne n'a eu le courage de jouer le gouverneur, qui sera donc un PNJ. On ajoute encore un peu des détails un peu partout, on peaufine les idées. On apprend que la juge générale n'est autre que la sœur de la parraine et qu'elle aurait joué des coudes pour se retrouver à ce poste pour garder l’œil de la justice sur elle.

Mais les personnages ne sont pas finis : reste à définir les serments, qui vont beaucoup influencer la conduite des personnages et placer des points de tension. On apprend notamment que l'épouse du gouverneur est xenophile, que le bras droit du parrain ne tue jamais, que la juge générale comme le lieutenant des marines sont des parangons de droiture (probablement les derniers de la colonie) et que la parraine ne fera pas de mal à sa soeur.

Le choix des serments est important car non seulement il peaufine les personnages et ajoute des tensions, mais aussi ce sont les serments qui rythmeront la partie : à chaque serment brisé, le protagoniste concerné est mis au second plan tandis qu'un élément technique de la fiction change, et c'est au bout d'un certain nombre de protagonistes mis de côté ou tués (événements qui arriveront fatalement) que la partie se termine.

La préparation étant terminée, le jeu peut commencer !
Concrètement, chaque joueur à son tour va assumer le rôle de guide en demandant la résolution d'une question via une scène, et les autres vont jouer la scène en la décrivant et interprétant leurs propres personnages et/ou d'éventuels PNJs, les dés résolvant les cas d'incertitude. Là où c'est fourbe, c'est que le guide peut établir des faits dans sa question, par contre après celle-ci il n'est plus que spectateur.


Le long des scènes (je vous épargne l'énumération et les scènes d'ambiance), plusieurs intrigues se développent. Je vous la fait en accéléré, avec les PJs en gras.

L'épouse du gouverneur se rend dans la montagne, accompagnée de quelques marines et l'émancipée en tant que guide, pour venir au contact des aliens. Elle leur laisse la guide en offrande... mais à la surprise de tous, les aliens ne font pas preuve de violence envers elle et l'emmènent dans leur base. Ils désirent ardemment reprendre leurs terres, où est installée la colonie, et pensent que la prisonnière peut les y aider.

Du côté de la colonie, la juge générale se lance dans un long et laborieux combat contre la corruption des marines. Sa principale cible : le capitaine de ceux-ci, notoirement plus intéressé par les prostituées que lui offrent les détenus que par le maintien de l'ordre. Le gouverneur fait obstacle, peu désireux de prendre une quelconque décision menaçant le statut quo. La juge trouve toutefois un allié chez les marines, un jeune lieutenant plein de droiture et d'ambition.

Par ricochet de leur manœuvres, des disputes éclatent entre le gros bras de la parraine et la maquerelle, accusée de faire le jeu de l'autorité. Elle finit par briser un de ses serments alors que son commerce implose. Désormais privé de ses plaisirs, le capitaine des marines s'oppose directement à la juge, qui contre-attaque avec l'aide du lieutenant, l'arrêtant et l'exécutant ; le lieutenant est nommé à capitaine en remplacement. Toutefois ceci ne manque pas d'affaiblir une autorité déjà peu présente, ce qui arrive aux oreilles de la parraine. Avec son bras droit, ils préparent un coup fatal à l'autorité.

Les aliens attaquent ! L'émancipée s'est arrangée avec eux pour déclencher une diversion et leur ouvrir la voie. Les marines se défendent ardemment, guidés par leur nouveau vaillant capitaine, les pertes sont terribles dans les deux camps. Côté détenus, le gros bras regroupe ses hommes et attend le moment opportun pour foncer à revers sur les marines, brisant son serment en tuant le jeune capitaine. Détenus et les quelques aliens survivants se retrouvent face à face... quand le vieux prisonnier impotent surgit au milieu du champ de bataille, brandissant un vieux livre qui appartenait à la colonie disparue, révélant que les anciens colons ne sont autres que les aliens eux même, déformés par une maladie, et enjoignant à la fin de l'affrontement. Ce qu'accepte la parraine, reconnaissant en les aliens une autre forme d'opprimés réfugiés dans la violence, comme sont les détenus eux même.

L'autorité n'est plus, la parraine vient à la rencontre de sa soeur la juge, à qui il ne reste plus le choix que de briser son serment de ne jamais laisser crime impuni, se réfugiant dans la folie. Fin de l'histoire !

Conclusion : ce fut une très bonne partie ! En environ quatre heures, explication des règles comprise, l'histoire fut intéressante, tout le monde s'est amusé, tout le monde a ajouté son grain de sel, sans qu'à aucun moment on sache vraiment où ça a allait nous mener. La mécanique est simple et efficace, on est libre quand il le faut ou cadré par des jets de dés quand on en a besoin, ces derniers pouvant même ajouter un peu de piment avec les résultats spéciaux. Les joueurs m'ont tous demandé quand est ce qu'on remettrait ça.



* À la réflexion, l'expérience de Durance s'assimile à une partie de jeu de rôle où tout le monde serait MJ. Être MJ c'est décrire des scènes, qui souvent vont impliquer une poignée de PNJs phares (typiquement : le grand méchant) sur lesquels on va braquer le projecteur, et que l'on va interpréter à 50% d'immersion réaliste et 50% de métajeu "rendre l'histoire intéressante", impliquant par exemple de faire mourir son PMJ quand l'histoire le veut. Ben voilà, c'est tout ça qu'on fait à une partie de Durance.
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Macbesse
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Re: [Revue/CR] Durance

Message par Macbesse »

Ca a l'air bien sympa. Comme quoi, l'appellation "machine à saucisse" que j'ai pu voir traîner ici ou là pour désigner ce jeu est usurpée.
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binoclard
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Re: [Revue/CR] Durance

Message par binoclard »

Merci pour ce CR. Durance est sur ma pile "à jouer" depuis trop longtemps…
C'est sympa d'avoir un aperçu de ce que ça donne.
Chaque fois que je viens sur ce forum, je peux ajouter un jeu à la liste des trucs qui me font envie… :?
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