C'est un dimanche après-midi, il fait un temps superbe, les rôlistes sont enfermés, tout est normal. Romain et moi avons un peu revu le système après l'Alpha, mais tant que ça. Le moteur s'était révélé efficace et nous n'avions qu'à faire quelques ajustements à la marge. Je suis donc assez confiant. J'imprime toutes les villes du Juge Ti car les outils de création de district ne sont pas encore tout à fait prêts et que j'ai besoin d'un cadre prêt à jouer, quitte à le modifier un peu et je décide de jouer en improvisation pure, contrairement à l'Alpha où j'avais facilement quatre lignes de scénario pour mon enquête principale. Là, non. Je veux voir si le système me permet de faire émerger mes trois affaires, la principale et les deux secondaires. Je ne prépare donc rien et je vais me faire un café.
Arrivent les joueurs. Deux sont des lecteurs assidus du Juge Ti, le troisième découvre. Ca parle bureaucratie, examens littéraires, codes de loi et médecine légale. Vingt minutes plus tard, je décide que tout le monde a assez d'informations pour créer le Magistrat et ses Assistants. Encore une fois, comme dans l'Alpha et contrairement à ce qui est écrit dans les règles, on commence par les Assistants. Faut dire que les archétypes traînent au milieu de la pièce, une pile pour les Statuts, une pile pour les Tempéraments, et trente-six combinaisons possibles. Les joueurs finissent par se décider pour un Repenti Protecteur, un Lettré Méticuleux et un Praticien Bon vivant, ce qui donne, comme distribution :
- Tsiao Tai : Ancien chevalier des vertes forêts, Tsiao Tai a beaucoup pratiqué le braconnage et, plus épisodiquement, le banditisme. Il redistribuait une partie de ses gains au village et buvait le reste. Tsiao Tai considère que la plupart des bandits le sont par nécessité et considère de son devoir de protéger les petits délinquants. Il a été à leur place, autrefois. Il apprécie le Magistrat car il trouve qu'il a bon coeur et ne sanctionne pas trop durement les délits mineurs. Le Magistrat sait qu'il continue à faire des choses illégales mais ferme les yeux car il sait qu'il ne fait rien de vraiment moralement répréhensible.
- Bao Ju : Disciple du Docteur Feng, Bao Ju vient de réussir brillamment les Examens littéraires. Il a l'intransigeance de la jeunesse. Personne ne doit échapper à la loi, et seul compte l'acte commis. Il est particulièrement doué pour l'étude des jurisprudences et voue un amour immodéré aux Archives, qui sont la clé de la vérité.
- Mi Yuk : Avec son nom guttural et ses vêtements en peau, Mi Yuk n'a pas l'air d'une Han, et pour cause, elle est issue d'une tribu du nord. Ancienne tenancière d'auberge, Mi Yuk faisait aussi rebouteuse et elle en connaît long sur les simples, au point que son mari, un homme détestable, a fini par boire le bouillon de onze heures. Le Magistrat lui évité la corde et l'a pris sous son aile. Ne pouvant décemment la nommer Contrôleur des Décès, il en a fait sa cuisinière. Par contre, il fait toujours en sorte qu'elle ne soit jamais loin quand il y a un cadavre à examiner. Mi Yuk a le sens de la fête et ne s'embarrasse pas trop de savoir avec qui elle la fait, ni avec qui elle passe la nuit, ce qui peut facilement poser de vrais problèmes.
Les joueurs ont l'air d'accord sur le fait que le Magistrat n'est pas un type cruel, sans quoi les Assistants ne travailleraient pas pour lui. C'est donc le moment de marteler que je ne demande que deux choses, qu'il soit intègre et perspicace. Le reste dépend d'eux.
Ils choisissent de le créer vieux. S'il est vieux, c'est qu'il n'espère plus faire carrière. Coexistent à un moment deux images du Magistrat, celle d'un petit fonctionnaire qui a occupé un poste subalterne jusqu'à rassembler assez d'argent pour prendre le temps de préparer le Deuxième Examen et celle d'une grande carrière brisée. C'est la grande carrière brisée qui l'emporte. Nous décidons que le Magistrat a été Secrétaire d'Etat du Ministre de la Justice de l'Impératrice Wu Zeitan. Après l'assassinat de l'Impératrice et la restauration patriarcale, le temps s'est couvert pour tous ses partisans et le Secrétaire d'Etat Peng est devenu juge de district sur une marge occidentale de l'Empire, lui qui toute sa vie avait occupé des postes à la capitale. Il a malgré tout réussi à faire en sorte que sa Première épouse reste à la capitale, mais on l'appelle sous nom de jeune fille. Sa deuxième, Oeil de Jade, n'a pas pu avoir cette chance : benjamine du Ministre, décapité, elle n'a pas eu d'autre choix que de suivre son mari. Elle est un peu aigrie par cette situation et compense en intriguant comme elle le faisait à la Cour - après tout, c'est pour cela que le Secrétaire Peng l'avait épousée. Les joueurs ont l'air passionnés par le sujet et créent une troisième épouse, Rose Blanche, qui est nettement plus jeune que les deux autres et n'est certainement pas de la même classe sociale. Veuve d'un condamné à mort, le Magistrat l'a épousée au terme de son deuil de trois ans et elle lui a donné une fille quelques mois plus tard. A propos d'enfants, le fils de la Première est officier de carrière et celui de la Seconde candidat aux Examens littéraires. Les relations ente la Deuxième et la Troisième sont bien sûr exécrables et le Magistrat est fréquemment sollicité pour arbitrer des querelles domestiques, ce dont il a une sainte horreur.
J'accélère un peu et leur parle du rôle central de l'aveu : sans aveu, pas condamnation. Il faut que le Magistrat obtienne publiquement l'aveu du criminel pour le condamner. Pour cela, il a d'abord la puissance de son raisonnement. Se sachant pris, le criminel avoue. Pour les cas où ça ne suffirait pas, il emploie d'autres méthodes : les promesses, la torture, par exemple. Ils doivent choisir deux méthodes dans lesquelles il est fort, deux dans lesquelles il est faibles.
Fort :
- Exercice de l'autorité
- Piégé par son orgueil
L'exercice de l'autorité va bien avec un ancien Secrétaire, et le piège par l'orgueil indique un Magistrat aimant ruser pour parvenir à ses fins.
Faible :
- Gentillesse extrême
- Peur de l'Au-delà
Le Magistrat a bon coeur mais n'est pas spécialement doué pour se montrer gentil. Au temps de l'Impératrice, il fallait se montrer dur. Il méprise les superstitions et ne voit donc pas pourquoi il y ferait appel.
Reste à choisir les événements qu'il sait bien, ou mal gérer :
Bien
- Disparition
- Meurtre en série
Le Magistrat a déjà eu à faire à des choses semblables dans le précédent district.
Mal
- Attaque de fauves
- Mauvaise récolte.
Le Magistrat est un homme des villes. Il n'a pas grand-chose à faire de ces problèmes paysans et les prend à la légère. Les joueurs ont l'air d'avoir très envie d'une attaque de tigres, un classique des romans chinois, y compris ceux qui ne sont pas taillés pour.
On choisit sa nouvelle affectation, pas très prestigieuse. Nous prenons le plan de Pou-Yang (la deuxième affectation du Juge Ti) et décidons qu'elle est située sur la côte, mais très au nord. C'est toujours mieux que le précédent. Je le saupoudre d'une pincée de piraterie japonaise et la ville originale est méconnaissable. Je tire au sort le devenir du précédent Magistrat et obtiens "Est devenu Préfet, le district est sous sa juridiction". Voilà qui est intéressant. Ce sera le Docteur Liu. Il vient de réussir le troisième concours. Le poste n'est pas très prestigieux pour un Docteur, et les joueurs commencent à se demander s'il ne va pas chercher à faire ses preuves au détriment du Magistrat Peng !

Pendant que les joueurs définissent les relations des PJ entre eux, ils ont aussi l'air d'avoir très envie de vols de pomme. Le chevalier des vertes forêts craint que l'intransigeance du jeune lettré ne le pousse à sanctionner le moindre vol de pomme et se montre très circonspect.
Vol de pomme, le vol de pomme divise les personnages sur leur ligne de conduite... on doit pouvoir en faire quelque-chose... le gong du Tribunal est frappé et le Premier Scribe vient chercher le Magistrat. La partie commence.
La suite demain.
