[CR] impro totale (et cyberpunk)

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shlopoto
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[CR] impro totale (et cyberpunk)

Message par shlopoto »

Hello,

Ce midi j'ai fait une partie d'une heure, dans la tradition des parties « pause déjeuner » dont certaines ont déjà été relatées ici par exemple. Aujourd'hui le jeu choisi était Wushu, dans un cadre cyberpunk à peine défini. Mais ce sujet ne concerne pas tant ce jeu que la façon dont nous avons joué la partie. D'abord je vais définir ce que j'appelle, faut de mieux, « impro totale » : non seulement le MJ — moi — part avec rien du tout, mais les joueurs n'ont pas grand-chose de plus, ni motivation, ni mission ni quoi que ce soit. On commence avec une première scène in medias res sans explication, ces dernières apparaissant en cours de jeu dans un système de création collective. En cela c'est très proche du théâtre d'improvisation. La première scène a d'ailleurs été proposée par un joueur : « J'ai une idée de première scène !
— Cool, on t'écoute.
— Alors c'est au 127e étage d'une tour d'une corpo, y'a des mecs partout en costard noir, lunettes noires et oreillettes, avec des Uzi. Tout à coup d'une grille d'aération tombe et… »

Ensuite les éléments ne sont précisés qu'en temps utile. Par exemple la première scène était une entrée en force dans les locaux surprotégés d'une corporation, mais personne ne savait ce que les héros voulaient. C'est seulement à l'issue du combat qu'un des héros à récupéré une clef sur le cadavre d'un défenseur, clef qui ouvrait un coffre dans lequel se trouvait une clef USB (oui, j'ai trouvé cela désuet de parler d'USB, j'aurais dû recadrer pour faire plus futuriste mais j'ai hésité et ensuite c'était trop ancré, donc va pour l'USB, on dira que c'est du 11.0), sur laquelle se trouvaient des données sur le X-Code, dont on ne sait toujours pas grand-chose si ce n'est que ça pourrait être très utile au mouvement de résistance. Dont on ne sait rien non plus pour l'instant. Bref, comme dans un film ou un livre, des éléments apparaissent dans la fiction et on s'attend à en savoir plus sur eux en temps utile.

Je ne parle donc pas d'improvisation « classique » en jdr où le MJ vient les mains dans les poches mais où le setting, les motivations des personnages, la cohérence du groupe et tout ça ont déjà été définis, par les règles ou par un consensus. Je parle d'improvisation « totale » parce que même le pourquoi de chaque élément présent dans la fiction est initialement inconnu, et la responsabilité d'improviser n'incombe à personne en particulier.

J'avais déjà tenté un truc similaire il y a très, très longtemps mais ça n'avait pas marché. La grosse différence aujourd'hui, c'est que les trois personnes présentes pratiquent (ou ont pratiqué) du théâtre d'improvisation et ont donc acquis de bons réflexes quand à l'ajout, la validation et la réutilisation d'informations. La partie s'est très bien déroulée et était très satisfaisante pour tout le monde. En tant que MJ c'était encore plus reposant que l'impro habituelle puisque les scènes, les éléments important et les révélations clefs peuvent être fournis par tout un chacun. En début de séance j'ai vite fait balancé quelques mots-clefs pour brosser le monde en général (archétypes de personnages, noms de corporations, situation géopolitique lapidaire, exemples d'améliorations corporelles et d'armes) pour que l'on cerne à peu près l'ambiance, les deux joueurs on fait leur personnage en quinze minutes et puis nous avons enchaîné sur la partie. Pour les curieux, voici le résumé de la partie :
Spoiler:
Cyberwushu, 1ère séance

Les personnages sont Shadow et Red. Shadow est un ninja/enquêteur, Red est un samurai des rues, câblé et augmenté, souvent avec la clope au bec.

Au 127e étage d'une immense tour corpo, dans un couloir ultra-protégé, une grille d'aération saute et Shadow, le ninja, tombe sur un garde et le tue. Les autres gardes donnent l'alerte et le mettent en joue. Au pied de l'immeuble, entendant l'alarme, Red, le samurai des rues, écrase sa clope et s'approche de l'entrée. Le combat est bref : en haut, Shadow découpe les ennemis, leur casse la nuque et leur jette des shuriken. En bas, Red se taille un chemin sanglant à coups de sabre. En moins d'une minute, il n'y a plus un garde sur pied. L'un d'eux bouge encore, Shadow l’attrape par le col et le balance par la fenêtre, lui clouant un shuriken dans le front avant qu'il ne touche le sol. L'ascenseur fait entendre sa sonnerie et, quand les portes s'ouvrent, Red rejoint Shadow.

À l'autre bout du couloir, une porte s'ouvre sur un personnage immense et semblant entièrement fait de métal. Ses bras démesurés sont câblés et motorisés, ses énormes mâchoires ont des dents en pointe… un cyborg. Difficile de dire quelle part de lui reste humaine. Il tend ses bras en avant, ses mains se transforment en gatlings qui commencent à tourner. Shadow sort trois shuriken et une vis, Red écrase sa clope et sort son sabre.
Leur adversaire se nomme Oni, faisant crépiter des balles dans tout le couloir il se rue sur les intrus, courant aussi bien sur les murs qu'au plafond pour éviter leurs attaques. Red analyse les murs et trouve un point faible, d'un coup de sabre il en fait tomber une partie pour ralentir Oni. Shadow esquive les balles et utilise la vis pour boucher un circuit de refroidissement des bras d'Oni, qui n'a pas l'air de s'en soucier. Quand il est arrivé au milieu de ses adversaires, Oni charge une attaque nucléaire localisée et envoie la sauce, vaporisant les murs autour de lui et plongeant la scène dans une intense lumière. Les attaques se succèdent ainsi, Oni semble résister à tout. Il finit par donner un violent coup de genou qui fait traverser plusieurs étages à Shadow, assommant le ninja, puis il se tourne vers Red. Le combat entre les deux fait rage, aucun ne semble prendre l'avantage. Enfin, après de nombreuses explosions, coups de gatling, et de sabre, dans un assaut final, les deux adversaires se neutralisent l'un l'autre : Oni a pilonné les côtes de Red, ce dernier a séparé son sabre en deux avant de les planter dans le coup du monstre, dans un grand jaillissement d’étincelles. Les deux s’écroulent à leur tour.

Shadow est le premier à se réveiller, il est en chute libre parmi les décombres qui constituaient encore il y a peu le haut de l'immeuble. Avec son grappin il se rétablit pour arriver au-dessus d’Oni. Alors que ce dernier tente péniblement de se relever, Shadow lui tombe dessus à toute vitesse et le traverse de part en part, le faisant exploser. D’une main, il attrape une clef que le colosse portait sur lui.

Red et Shadow trouvent un coffre et utilisent la clef pour l’ouvrir. Dedans, ils récupèrent une clef USB, que leur commanditaire leur a demandé de récupérer. Cependant, ils suspectent que cette clef contient des données sur le X-Code, qui est extrêmement précieux et pourrait aider la résistance, menée par le groupe de hackers les LolKats. Red branche la clef sur ses implants cervicaux mais les données sont cryptées : ils vont avoir besoin de Joe-Bill, une hackeuse qu’ils connaissent bien. Ils se rendent au bar Le Troisième Millénaire, où le videur leur rappelle qu’ils ne sont plus les bienvenus. Après discussion, le videur accepte d’aller prévenir Joe-Bill et leur demande de la retrouver dans la petite rue à l’arrière. Ils font le tour et trouvent en effet Joe-Bill. Elle commence par créer l’équivalent électronique d’une bulle de silence autour d’eux, avant de demander à examiner la clef USB. Au lieu de la brancher, elle la scanne pour repérer d’éventuels virus biologiques : bingo, la clef en est infestée. Il va lui falloir du temps pour neutraliser les nombreuses protections, y compris le système d’auto-destruction ; elle leur donne rendez-vous dans trois jours. Red s’inquiète de ces histoires de virus, il s’est branché cette clef directement sur le crâne. Mauvaise idée en effet, il doit être infecté électroniquement et biologiquement.

Shadow repère un oiseau suspect et l’explose d’un shuriken : c’était un robot espion, les ennemis ont traqué Red et vont arriver sous peu. Joe-Bill prend la poudre d’escampette, les deux héros se précipitent vers une zone de débris isolée pour y attendre les ennemis. Une milice armée débarque à bord de jeeps, éclairant la zone et faisant feu avec les mitrailleuses montées sur tourelles. Red les affronte d’abord au sabre puis le rengaine pour les finir à la main. Shadow trompe ses adversaires avec des leurres et des fumées, pour apparaître derrière eux et les planter avec ses sai. Il ne voit pas un adversaire mourant qui a le temps de lui coller une rafale dans le dos, le blessant. Red finit les derniers adversaires en vie puis se rallume une clope. Quand il souffle sa première bouffée de fumée, ses adversaires s’écroulent au sol.
En fin de séance j'ai noté les enjeux (ou infos) restés en suspend, des choses qui ont été créées dans la fiction et non résolues sur cette séance, et auxquelles il faudra répondre plus tard. Il est assez facile en cours de séance de réutiliser ce qui a été fait, mais une semaine ou deux plus tard il peut être dur de garder ces choses en tête. Ces enjeux sont une bonne base pour savoir où commencer la partie suivante. Voici la liste :

1. Joe-Bill parviendra-t-elle à décrypter les données de la clef ?
2. Le contenu de la clef sera-t-il utile pour le groupe de résistance des LolKats ?
3. Red va-t-il se débarrasser des virus qui l’ont infecté ?
4. Qui était leur commanditaire et comment va-t-il prendre leur trahison ?

Cette expérience était vraiment plaisante, et plus à la croisée du jdr et du théâtre d'improvisation que ce que je peux faire d'habitude. Comme je l'ai indiqué, le succès tenait en grande partie au fait que les personnes présentes étaient au moins sensibilisées aux règles du théâtre d'improvisation. Mais on ne parle pas de réflexes bien difficile à acquérir. Je précise cela car il est facile de se réfugier derrière comme une excuse comme : « Non mais moi j'ai jamais fait de théâtre d'improvisation donc je ne peux pas le faire. » Déjà le simple fait d'avoir pratiqué le jdr pendant des années est très formateur. Mais aussi, pour avoir vu pas mal de débutants s'y mettre, il ne faut que quelques heures de pratique ou d'exercice, avec les bonnes consignes, pour commencer à improviser correctement. Je n'ai pas les consignes en question sous la main, ou du moins je ne saurais peut-être pas les exprimer clairement en quelques lignes, mais à la louche ça donnerait des trucs comme :

* il faut écouter, accepter et valoriser ce qui a été dit et non le contredire (en jdr cependant, on peut s'autoriser un droit de veto) ;
* les ajouts de détails sont comme des boomerangs que l'on lance, avant d'en lancer un n-ième il faut voir si on ne peut pas plutôt rattraper un de ceux précédemment lancés, pour éviter que tout se casse la gueule mais aussi parce que c'est très satisfaisant pour le « public » (ici le groupe de joueurs) quand un boomerang est ainsi rattrapé ;
* faire simple et dire le premier truc qui nous passe par la tête, sans s'autocensurer et sans chercher à briller ;
* il ne faut pas briser le cercle des attentes (on ne sort pas un lapin magique à chapeau pointu dans une séance où l'ambiance est glauque et tendue.)

Rien de nouveau sous le soleil, vous avez certainement déjà rencontré ça. Pour l'apprentissage, il suffit d'intervenir gentiment en cours de partie quand une règle n'est pas respectée, pour recadrer. Ça finira par rentrer et au bout d'un temps il n'y aura plus de telles interventions.

Avec ce format de jeu on parle également d'une narration très partagée, ce qui fait que la tâche de MJ est nettement allégée. J'avais l'impression d'être un joueur comme les autres, pas spécialement en charge de créer des scènes ou de l'intrigue, sauf que je jouais un « joker » (n'importe quel personnage dont on a besoin à cet instant) plutôt qu'un personnage prédéfini. On n'est pas très loin de se passer complètement de MJ, ce n'est pas forcément mon but ici mais c'est une possibilité. J'avais seulement la charge de définir le niveau de Menace ou le Némésis du moment. Wushu est aussi un excellent choix pour ça, d'une part parce qu'il permet de créer des PNJ à la volée sans difficulté mais aussi parce que son Principe de Vérité Narrative rejoint exactement la philosophie de l'improvisation. Je n'avais même rien à faire durant les bastons contre des PNJ anonymes (une autre particularité de Wushu) donc je me contentais de valoriser les actions des joueurs (en étant fan enthousiaste de leurs personnages, comme dans Apocalypse World) ou de chantonner des musiques du film The Matrix.

Mot de la fin : que du bonheur. Comme en impro tout le monde se laissait surprendre par la direction de la fiction, absolument aucune pression n'est mise sur le MJ, et bien sûr le choix de Wushu a permis un festival de baffes à faire trembler les murs. J'ai hâte de poursuivre.

s.
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