[CR] Des nouvelles d'Itras By

Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
Emöjk Martinssøn
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Scène 7 : Orphelins

Plus loin dans les égouts, on entend soudain des pleurs dans un couloir adjacent, une voix d’enfant appelant à l’aide. Ida, n’écoutant que son courage, y va, éclairée par quelques bananes flottant autour d’elle.

« Mama, regarde, des nenfants ! »

En effet, deux petites filles et un petit garçon, le visage noir de saleté, les regardent en pleurant.

« Au secours, on s’est perdus ! On est orphelins ! On était dans le couvent, et puis les portes elles se sont ouvertes, alors on est partis, mais on sait plus où on est…
– Vous n’êtes pas partis avec tout le monde dans les souterrains ? demande Amandine.
– Bin non, parce que les nonnes elles sont méchantes…
– Comment ça méchantes, mon petit ? demande monsieur Crane.
– Tout le monde sait ça, dit sèchement Ida.
– Oui, il paraît qu’après les nonnes elles nous vendent aux gobelins…
– Ah non, dit Amandine, les nonnes elles vous laissent dans la nature, et après vous finissez cracheuse de feu dans les immeubles.
– Pardon ? Mais tu sais l’énergie que ça m’a pris pour me sauver de ce couvent, juste avant qu’on me vende aux gobelins ?
– Tu viens couvent, madame ? T’es une orpheline aussi ?
– Oui mais c’était il y a longtemps, ça.
– Comment on va faire alors, maintenant qu’on s’est enfuis comme toi ?
– Vous pourriez les prendre comme apprentis… suggère monsieur Crane.
– Des apprentis orphelins ? Réfléchissez, enfin.
– Non, apprentis cracheurs de feu ! Ils pourraient même vous aider à reconstruire le phare…
– Monsieur Poicreux, dit Ida. Vous savez, quand je suis venue vous voir, sans un sou, et je vous ai dit que je prendrais bien une chambre en échange de quelques menus travaux, etc. Si vous pouviez renouveler un contrat pour…
– Bin, si j’avais un immeuble avec des chambres à louer, qui aurait suffisamment de plancher pour leur permettre de balayer, je leur ferai bien faire ! Mais c’est-à-dire que l’Explosive a explosé…
– Comment vous êtes arrivés ici ? demande Amandine aux orphelins.
– Bin, on a marché…
– Mais vous étiez où dans le couvent ?
– Dans les prisons… Enfin, elles disent que c’est des dortoirs, mais c’est des prisons…
– Mais qui est la directrice du couvent ?
– C’est madame Vestine…
– Ah non, c’est sœur Augusta maintenant.
– Quoi ?! s’exclame Ida.
– Ils sont pas au courant…
– Bin oui, qu’est-ce que tu crois, qu’il y a une Gazette des orphelins ? On est tenus dans le secret, on voit pas la lumière du jour !
– Il faut leur poser des questions, pour savoir s’ils se sont vraiment enfuis du couvent…
– Vous étiez dans quelle cellule ? Quel numéro ?
– Moi, dans la numéro 6…
– Et qu’est-ce que disait le graffiti à droite de la porte ?
– “Les nonnes sont des connes.”
– C’est moi qui l’ai écrit, ça.
– En y réfléchissant, continue Poicreux, j’ai peut-être une solution à votre problème… mais en échange, il me faut un zèbre.
– Vous êtes dur en affaires, monsieur Poicreux, soupire Ida. Je vais voir ce que je peux faire.
– Très bien. Bon, les petits !
– Oui, vous êtes qui monsieur ?
– Je suis monsieur Poicreux ! »

Martin essaye de leur faire un sourire engageant ; ça marche assez mal et les orphelins se pelotonnent autour d’Ida.

« Parlez-leur comme à des personnes normales, monsieur Poicreux.
– Ah, d’accord. Bon, faudra faire le ménage ! Lever à 7 heures, j’veux pas qu’ça traîne !
– À 7 heures ?
– Oui !
– C’est formidable ! C’est deux heures de plus que d’habitude ! T’habites où monsieur ?
– Tu vends des enfants en esclavage à notre logeur… dit Amandine à Ida. Bravo…
– Mama, c’est quoi l’esclavage ?
– C’est quelque chose que vous ne connaîtrez jamais, mes chéries.
– Ah oui ? Comme de fabriquer un costume ?
– Elles faisaient un cadeau pour la fête des pères.
– C’est ça ! Tu les aurais enchaînées à une machine à coudre si tu avais pu !
– Non, pas du tout !
– Bon, on va laisser parler les mamans, et pendant ce temps-là, je vais acheter un immeuble avec ma brique.
– Mais on devait pas s’occuper du Dieu Machine ?
– Ouais, intervient Chesterfield, c’est bien gentil toutes vos larmoiries, mais on n’a pas que ça à faire !
– En plus, l’immeuble que vous allez acheter va être détruit dans la nuit, si on ne fait rien.
– C’est juste, pressons-nous. »

Scène 8 : Ne jamais abuser de la gnôle du Père Shade

Une fois dans l’ancienne cave de Martin Poicreux, parmi les vieilles bouteilles poussières et les cageots de fruits pourris, le petit groupe s’entasse dans ce qui servait d’abri à l’Entité noire lorsqu’elle était encore là : des rangées d’étagères sont remplies de bouteilles contenant des résidus d’Entité, ce qui donne d’ailleurs soif à monsieur Crane. Il y a aussi quatre Futuristes en état moyennement frais, qui retrouvent Chesterfield avec plaisir.

« On pensait que t’avais disparu, Ches !
– Oh non ! Tant qu’il restera l’un d’entre vous à qui botter l’cul, j’s’rai là ! Allez, faisons un état de la situation !
– “Ches” ? sourit Ida. Ches et Didine ?
– Soyez pas mesquine, Dada, rouspète Géraldine. Et Didine !
– Didine, Didine et Dada, s’amuse Amandine, c’est rigolo !
– Non, c’est puéril.
– La situation n’est pas brillante, explique un Futuriste pendant ce temps. On était en train de fabriquer un dispositif à base de gaz grippant, pour envoyer dans la tête du Dieu Machine et gripper ses rouages, mais elle nous a explosé entre les mains… Ensuite l’immeuble s’est effondré, et du coup on a perdu tout notre stock…
– Monsieur Crane, lui demande Ida, vous ne sauriez pas provoquer la rouille ?
– Écoutez, voyons voir…. »

Monsieur Crane attrape un bout de tuyau par terre et le fait rouiller sans difficulté.

« Je vais tenter quelque chose…
– Là maintenant, tout de suite ? Vous ne voulez pas un plan de secours ?
– Je pense qu’il est temps que les choses changent dans le coin. Mais d’abord, j’ai soif. C’est toujours bien de boire un coup avant d’aller se battre contre un dieu.
– Monsieur Crane, je crois que vous n’avez pas envie de faire ça…
– Pourquoi ? C’est de la gnôle du père Shade, non ?
– Oui, mais celle-ci est pure… Monsieur Poicreux, faites quelque chose !
– J’ai peur que celle-là provoque sur vous quelques désagréments. Au moins intestinaux.
– Ça pourrait vous faire perdre vos capacités…
– Je ne vais pas prendre le risque, dans ce cas… »

Monsieur Crane va pour poser la bouteille, mais la regarde avec regret.

@Guylène demande une carte « Résolution » pour savoir s’il parvient à poser la bouteille. Elle lit : « Le conflit empire ! La tension monte alors que le conflit, le problème ou les enjeux montent d’un cran. Décrivez comment la situation s’aggrave pour le personnage ».]

Monsieur Crane repose la bouteille, et entend un hoquet derrière lui.

« Je sais pas ce qu’il m’a pris… bafouile Géraldine, une bouteille vide à la main.
– Mais Didine, qu’est-ce que tu fous ?
– Vous allez bien, madame ?
– Je me sens bizarre… Vous en voulez ?
– Euh, c’est pas tout ça mais j’ai un combat homérique à mener… »

Géraldine attrape une bouteille pleine et se tourne vers les autres.

« Vous voulez pas en prendre, tous ? C’est surprenant, mais c’est très bon… »

Elle débouche la bouteille.

« Juste un petit fond… murmure monsieur Crane.
– Pour se donner du courage… » ajoute Amandine.

En même temps qu’ils boivent, Chesterfield attrape Géraldine par les épaules et la fait vomir un liquide noirâtre et huileux, qui se répand par terre en fumant. Ida lui tient les cheveux avec compassion.

« Tout va bien ? » demande-t-elle à Amandine.

Amandine et monsieur Crane ont l’impression d’entendre une voix chuchoter faiblement à leurs oreilles : « Les nonnes… Je veux les nonnes…
– Ça va, les nionnes, on s’en est occupé…
– Augustaaaa…
– Oui, oui, nous allons nous en occuper, voix dans ma tête ! sourit monsieur Crane. Ne t’en fais pas ! Les nonnes sont sur ma petite liste, avec les gobelins et tout ce genre de choses… Mais en haut de cette liste, il y a le Dieu Machine !
– Je me sens pas très bien… » dit Amandine.

Monsieur Crane se met à tanguer et tombe contre le mur.

« Il y a encore des tremblements de terre, ou c’est moi ?
– Peut-être que Chesterfield avait raison… » marmonne Amandine.

Ida l’aide à vomir.

« Mama elle est malaaade !
– Des bananes qui parlent… Ça aussi c’est sur ma liste. Je m’en occuperai plus tard. »

Monsieur Crane ramasse son bout de tuyau et sort de la cave en titubant.
J'écris des mini-JdR par dizaines !
Emöjk Martinssøn
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Scène 9 : « Monsieur, posez cette marche et tout se passera bien ! »

« Faites gaffe aux gardes ! » lance un Futuriste.

Tout le monde remonte les escaliers, lentement. Martin Poicreux aperçoit le long des marches la moitié supérieure d’un cadavre, vêtu d’une chemise à carreaux et portant la longue barbe des chirurgiens charpentiers…

« Vous voulez que je balaye, monsieur Poicreux ? demande Ida.
– Euh… C’est pas utile pour le moment… On va complètement déménager, je pense. »

Ils débouchent sur les ruines de l’Explosive ; en face d’eux, monsieur Crane se sert des débris pour prolonger l’escalier dans les airs. Autour d’eux, la garde grise s’amasse rapidement : « Arrêtez immédiatement cet escalier !
– Excusez-moi, je dois…
– Monsieur, posez cette marche et tout se passera bien !
– Monsieur le garde gris, vous faites votre travail, et c’est très bien. Mais là, j’ai un rendez-vous avec ce monsieur, là-bas.
– Un suppôt du Dieu Machine, j’aurais dû m’en douter !
– Pas du tout ! Je vais lui envoyer ce tuyau dans la tête !
– Euh… Ce n’est pas recommandé, monsieur… Laissez la police faire son travail… Vous iriez à une mort certaine…
– Laissez-moi finir mon escalier, et j’en m’en occupe.
– Mais euh… Vous venez d’où, exactement ?
– Je peux vous faire une visite ! lance Martin Poicreux. Alors, comme vous pouvez le voir, c’est ici que se trouvait l’immeuble dit de Poicreux, avec cinq à six étages, d’un style néo-classique que l’on voit habituellement dans ce quartier. N’en subsiste que le plancher du quatrième étage, le long de ce pan de mur, ainsi que cette cave. Vous serez interrogés demain sur toute la première partie du cours, et tu vas me faire le plaisir de cracher ton chewing-gum.
– C’est vrai ? demandent les orphelins. On va devoir redire tout ce qu’il a dit, le monsieur ? J’ai rien écouté…
– Je vous laisserai regarder mes notes, les rassure Amandine.
– Monsieur, dit le garde gris, ces orphelins sont à vous ?
– Oui ! Enfin, techniquement ils peuvent pas être à moi, sinon ils seraient pas orphelins.
– Vous avez votre certificat de cession du Couvent d’Itras ?
– Bon, écoutez, intervient Ida, on va pas commencer à regarder les certificats de cession… Vous l’avez laissé dans votre bureau, monsieur Poicreux, n’est-ce pas ?
– De plus, vous êtes ici sur une scène de crime, il va donc falloir circuler, s’il vous plaît. D’après nos informations, des hommes-ciseaux auraient assassiné plusieurs personnes ici.
– Aaaah ! C’est pour ça qu’il y a un cadavre dans l’escalier !
– Comment ? Où ça ? Vite ! »

Les gardes gris se précipitent dans la cave ; Amandine referme la trappe derrière eux et monsieur Crane pose une grosse pierre dessus, tout en continuant son escalier. Martin Poicreux et les orphelins prennent alors congé, sautant de l’escalier en marche avant qu’il ne soit trop haut.

« Vous avez besoin de nous ? demande Amandine.
– Nous, on reste, disent Géraldine, Chesterfield et les Futuristes.
– Vous pouvez toujours me rendre un service, dit monsieur Crane. Il faut aller voir s’il reste des fioles de bien absolu à la boutique du couvent. Ramenez-m’en… »

Il transforme un caillou en or.

« …tout ce que vous pouvez m’acheter avec ça. Tout le stock, si possible.
– On va pas aller au couvent…
– Tu sais, Ida, lui dit Amandine, il y a un moment où il faut affronter son passé pour pouvoir aller de l’avant. Le couvent, ça t’a toujours retenue, dans la vie, ça t’empêchait de t’épanouir…
– C’est marrant, je pensais que c’était toi !
– Tu vois, cette méchanceté que tu as en toi, t’as jamais réussi à t’en débarrasser parce que t’as jamais réussi à dépasser le couvent, tu vois ! À dépasser cet âge où l’agressivité est devenu ton seul moyen d’expression. Faudrait que tu te confrontes à ta méchanceté, maintenant.
– Parce que je veux pas être mère, c’est que je veux pas grandir ?
– J’ai jamais parlé de ça. Je te parle de tes traumatismes d’enfance et de ton incapacité notoire à communiquer émotionnellement avec les gens autrement que par la violence.
– Très bien. Puisqu’on le prend sur ce ton… Alors si je vais au couvent, je t’accompagne ensuite à ton ancienne école.
– Entendu. »

Scène 10 : Location de zèbre

Amandine et Ida proposent à monsieur Poicreux de les accompagner, puisqu’il a quelqu’un à retrouver au couvent ; il suffit de passer un coup de téléphone à Phil pour s’assurer que le zèbre sera bien disponible.

Ida court sous la pluie jusqu’à une cabine téléphonique, à l’intérieur de laquelle un petit être, emmitouflé dans un manteau et un chapeau melon, perché sur un haut tabouret, susurre dans le combiné en prenant des notes sur sa machine à écrire.

« S’il vous plaît, c’est très urgent, monsieur !
– Excusez-moi, j’ai encore un certain nombre de personnes à appeler, attendez votre tour. Deuxième question, monsieur : quel est… »

Amandine l’attrape par le col et le jette par terre.

« Mais enfin ! De mémoire de Gollup, on ne m’a jamais traité ainsi ! Première question : avez-vous souvent l’habitude d’agir ainsi ?
– Seulement pendant les tempêtes.
– Seulement… pendant… les… tempêtes… écrit le Gollup. Deuxième question : mais de quel droit ?
– Le droit des tempêtes.
– Droit… des… tempêtes… Ça ne veut rien dire… Troisième question : vous seriez pas un peu conne, par hasard ?
– Seulement quand les Gollups me tapent sur le système. »

Pendant ce temps, Ida appelle le zoo ; une voix caverneuse lui répond.

« Allôôôôôô…
– Oui, je cherche à joindre Phil, s’il vous plaît.
– Une secooooooonde…
– Pardon, qui est à l’appareil ?
– …
– Allô ?
– Phiiiiiiil n’est pas lààààààà…
– C’est-à-dire ?
– Je ne sais paaaaaas….
– Vous êtes qui ? Je suis bien au zoo d’Itras ?
– Ouiiiii… Je suis Gastooooon…
– Gaston ? Vous êtes nouveau ?
– Pas du touuut… Ça fait 200 ans que je suis lààà….
– Tu connais un Gaston, toi ? demande Ida à Amandine.
– C’est la tortue, non ?
– Allôôôôô ? Vous êtes toujours lààààà ?
– Oui, euh… Où joindre Phil, s’il vous plaît ?
– Euuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh… Je ne sais paaaaas… Il m’a dit qu’il allait avec son amie Ida au phaaaaaare…
– Il est pas rentré, sourit Ida d’un air entendu.
– Pardon, Gaston, dit Amandine en saisissant le combiné, on aurait besoin d’une location de zèbre assez rapide. On peut payer en salade.
– Oooooh… Mais je regreeeette, les animaux du zoo ne sont pas à vendre… ni à louer… Ordre du gardien… Pas d’exceptiooon…
– Mon amie parle de location, répond Ida, mais c’est un abus de langage : il s’agissait juste de savoir si Josie était d’accord pour faire une petite escapade dans l’après-midi.
– Mais nous sommes en pleine nuiiiiit…
– Oui, demain après-midi.
– Je vais lui demandeeeeeer…………………………………….. Allôôôôô ? Désoléééééé, elle est en train de dormiiiiiiir…
– Excusez-moi, mais c’est un ordre direct de Phil. C’est très urgent. Il faut absolument que Josie se rende au Couvent d’Itras pour soutien logistique. Crise de nionnes.
– Je ne sais paaaaaas si je devrais vous faire confiaaaaance… Je ne vous connais pas.
– Vous avez sans doute entendu l’ancien gardien parler de moi : je suis Amélie Beauchamp.
– Oh ! Mes respects, madame Beauchamp. Maiiiiis… Francis m’a dit de ne jamais vous faire confiaaaance…
– Allô, Gaston ? C’est Ida.
– Oh ! Bonsoir, Idaaaa… Je ne t’avais pas reconnuuuue… Mais qu’est-ce que tu fais avec Amélie Beauchaaaamp ? Parce que Franciiiis…
– Oui, elle… euh… On s’est retrouvées sous la tempête, il y a eu quelques péripéties… Elle a très bien pris soin de mes bananes. Elles sont dans un état plutôt éclatant, elle-même est carrément bronzée d’ailleurs. C’est assez hallucinant…
– Oh là làààààà…. »

Beaucoup plus tard… Tout le monde dort et le jour se lève lorsqu’Ida a fini de mettre Gaston au courant de toute l’histoire.

« …et donc on a passé un marché avec cette nionne, elle aimerait énormément rencontrer Josie.
– Je voiiiiis… Une niooooonne et Josiiiie…
– Gaston, ne soyez pas vieux jeu !
– Oui, mais tout de mêêêême… Bon, je peux faire ça pour toi. Repasse-moi Amélie, s’il te plaît ?
– Amélie, réveille-toi ?
– Oui ?
– J’ai un message de la part de Franciiiiis… Prrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrt ! Oh oh oh.
– Je n’en attendais pas moins. À tout à l’heure ! »
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Scène 10 : Ida face à ses démons

Monsieur Crane a suffisamment monté dans les airs : en face de lui, le Dieu Machine est dans sa ligne de mire. Il s’interrompt dans la construction de son escalier pour affiner la forme de son bout de ferraille et lui donner la forme la plus aérodynamique possible, le chargeant de rouille contagieuse. Puis il prend son élan, et envoie la tige de métal dans les airs, en plein cœur du Dieu Machine.

[Je demande à Pierre de tirer une carte « Résolution ». @Kobal lit : « Oui, parce que… un ou plusieurs facteur(s) imprévu(s) vous aident à obtenir ce que vous vouliez ».]

La tige est lancée beaucoup trop haut ; mais un singe volant qui passait par là se la prend en pleine poire, et la tige redescend pour se planter dans l’œil du Dieu Machine, une sorte de diaphragme qui reste bloqué. Des larmes de boulons et de vis pleuvent de l’œil. La rouille se propage sur son visage ; le Dieu Machine tombe à genoux et disparaît derrière une rangée d’immeubles. Au même moment, monsieur Crane sent quelque chose lui tomber sur la tête : un contrat rebondit puis lui arrive dans les mains. Il le déroule et lit : « Contrat de pacte maléfique avec l’Entité noire. Je soussigné Martin Poicreux, ci-après désigné “l’esclave” m’engage à servir éternellement l’Entité noire, ci-après désignée “le maître”… L’esclave devra traire le maître toutes les semaines… » et ainsi de suite.

Monsieur Crane range le contrat dans sa poche et se frotte les mains. En bas, Géraldine, Chesterfield et les Futuristes l’acclament.

« Et de deux. Maintenant, il me faut l’essence d’Itras. »

Josie attend Ida, Amandine et Martin devant le couvent ; elle a mis du rouge à lèvres et une jolie robe.

« C’est mon premier rendez-vous galant, je suis un peu nerveuse… C’est pas souvent que je sors du zoo…
– Oh, parfois on a peur de faire des nouvelles connaissances, dit Martin. On se dit qu’on va se faire bouffer toute… Euh, on se dit que ça peut ne pas se passer très bien du premier coup, mais tout cela, ce ne sont que des projections ! Il vaut mieux aller de l’avant. Allez, hop ! »

Poicreux ouvre la porte et pousse Josie à l’intérieur, qui entre d’un pas hésitant.

« Alors, suivez les escaliers qui descendent vers les archives… Votre rendez-vous est archiviste.
– Souhaitez-moi bonne chance !
– Je crois qu’on vient de faire quelque chose d’horrible… disent Ida et Amandine. Oh, monsieur Crane, tout va bien ?
– J’ai réglé le problème du Dieu Machine.
– C’est vrai ? demande Amandine. Oh, je retire ce que j’ai dit…
– Géraldine et Chesterfield étaient très contentes.
– C’est peut-être un bon parti, chuchote Amandine à Ida.
– Mais arrête de vouloir me caser et me décaser avec tout le monde ! »

La tempête s’est un peu calmée : seuls de rares pains au lait tombent encore. Amandine en mange un (c’est plutôt bon) puis s’apprête à se diriger vers la boutique : derrière elle, Ida et les orphelins hésitent.

« On veut pas y retourner !
– Mais non, les enfants ! leur dit Martin Poicreux. On a juste…
– T’avais dit qu’on allait dans une nouvelle maison !
– Oui, mais je l’ai pas encore achetée !
– Tu nous as menti ! »

L’orphelin décoche un coup de pied à Martin et part en courant. Les deux filles restent interdites alors que Poicreux lui court après en le menaçant de vaisselle pendant trois semaines.

« Tu te rends pas compte comme c’est difficile… dit Ida à Amandine.
– Écoute, il faut y aller. Pense à sœur Augusta. Elle est sympa, non ? Elle est pas comme les autres… Elle va donner un coup de neuf à ce couvent, tu vas voir ! On va pas le reconnaître. Allez ! Les autres, aidez-la !
– Il n’y a plus rien à craindre d’Itras, de toute façon ! dit monsieur Crane. Elle est morte !
– Ah bon ?
– Je vous expliquerai. Allons-y. »

La boutique est indiquée par des petites flèches : sa porte vitrée est fermée par un cadenas. Amandine la brise sans remords : le couvent est entièrement désert.

« Vous savez qu’on ne doit pas abîmer le matériel… commence Ida. Parce que si on l’abîme, on est enfermée dans sa cellule pendant cinq jours…
– Sans manger… ajoutent les orphelins.
– Et on doit dire des prières à Itras en boucle sans respire jusqu’à ce qu’on puisse plus, et quand on revient à nous, on recommence.
– Oui, mais là on va laisser de quoi payer les réparations, la rassure Amandine.
– Absolument », opine monsieur Crane.

Plein de choses à vendre dans la boutique : des bibles d’Itras, des effigies, des cartes postales, des petites médailles, des pierres de bonne énergie, et une étagère de bouteilles de bonté pure. Monsieur Crane attrape un grand sac, frappé du visage de sœur Augusta, et le remplit. Amandine prend un sac pour elle et lit le slogan : « Chez sœur Augusta, tout c’que tu veux, y en a ! ».

À la caisse, une sœur rabougrie est endormie sur sa caisse.

« Pardon, madame ? demande monsieur Crane.
– Oui, bonjour, bienvenue à la boutique !
– Vous êtes pas partie avec les autres ? demande Amandine.
– Mais non, enfin ! Je ne peux pas partir tant que l’heure de fermeture n’est pas arrivée ! Quelle heure il est, au fait ? Ah, on vient d’ouvrir, vous voyez ! Et toi, arrête de te gratter, ma petite, c’est très malpoli !
– Ida fait ce qu’elle veut, elle est adulte ! Elle prend ses décisions elle-même !
– Je suis désolée… ânonne Ida.
– Et vous, les enfants, retournez dans votre cellule immédiatement ! »

Les enfants, ainsi qu’Ida, font machinalement demi-tour avant qu’Amandine et Martin ne les arrêtent.

« C’est fini, tout ça, Ida ! Tu n’es pas obligée d’obéir à ses ordres !
– Mais oui, les enfants, venez ! renchérit Poicreux. On va aller chercher un immeuble !
– Dites-donc, vous ! C’est pas une manière de traiter les enfants ! Je vais en toucher un mot à sœur Augusta !
– Ah, sœur Augusta, encore elle !
– Parce que vous faites partie de celles qui ont voté Vestine, évidemment.
– Voté Vestine ? Mais je suis Vestine ! Évidemment, elle m’a fourrée ici ! Le job le plus pourri du couvent ! Rancunière, avec ça !
– Et c’est vous qui avez maltraité les enfants pendant toutes ces années !
– Pas du tout ! Nous les avons traités comme ils le méritent, et comme nous avons le bon droit !
– Regardez cette jeune femme ! Elle a l’air de mériter d’être maltraitée ? De faire ses prières jusqu’à ce qu’elle tombe dans les pommes et de se lever à cinq heures du matin ?
– Elle sait très bien ce qu’elle a fait ! N’est-ce pas ma petite ? Si elle a été punie, c’est qu’elle le méritait !
– Eh bien vous aussi !
– Oh !
– Mais enfin, murmure Ida, on parle pas aux nonnes comme ça…
– Je parle aux nonnes comme je veux ! Bon alors, un sac, deux sacs, et quarante-huit bouteilles d’essence de bonté pure !
– Très bien. Ça vous fera… euh… »

Monsieur Crane lui glisse la pépite d’or dans la main.

« Gardez la monnaie.
– Oooooh…
– Pas pour vous ! précise Amandine. Pour sœur Augusta et le reste du couvent.
– Bon, très bien… Partez en paix…
– Et retirez-moi cette robe de bure de sœur supérieure.
– Dites-donc, ma petite dame ! Vous en avez des manières ! On voit où vous avez été éduquée… Pas ici, en tout cas…
– Amandine, ça m’embête de te le dire aussi franchement… Je crois que tu avais tort, ça ne me fait pas du bien du tout, cette visite.
– Je crois que ce qui te ferait du bien, c’est d’envoyer sœur Vestine se faire voir. Vas-y. Lâche-toi. Laisse la cracheuse de feu en toi s’exprimer ! C’est ta chance ! »

Sœur Vestine s’est rendormie sur sa caisse.

« Très bien, mais je veux être seule. Sortez. »

Tout le monde sort en enjambant la porte en verre brisée. Ida se retrouve seul face à Vestine.
« Euh… Sœur Vestine… Je voulais vous dire…
– Hmm ? Vous êtes encore là, vous ?
– Zut. Voilà.
– Oh ! Comment ça ? Agenouille-toi tout de suite, et excuse-toi ! »

Ida sent ses genoux se plier tous seuls, et puis se dit que non.

« Allez, j’attends !
– Non. Je ne m’agenouillerai pas. Figurez-vous que même sans certificat de cession, je ne suis plus considérée comme orpheline, je suis considérée comme artiste de cabaret !
– Ah ! Artiste ! Pas du tout ! Tu vas tout de suite aller voir les gobelins du Père Shade, et de quel bois je me chauffe !
– Non, je n’irai pas ! Et je n’irai même pas au camp Soissage !
– Oh ! Quand la sœur supérieure va en entendre parler, il va t’en cuire, ma petite !
– Oui, mais…
– Ne crois pas que je ne t’ai pas reconnue, Ida ! Tu as toujours été une enfant difficile, mais je vais te mâter, moi. »

Ida éclate en sanglots. Amandine fait alors sortir les bananes de son sac ; elles la regardent sans comprendre ce qu’il se passe.

[Pierre demande à Eugénie de tirer une carte « Résolution ». Il lit : « Oui, mais… Vous réussissez mais les conséquences de votre action sont différentes de ce à quoi vous vous attendiez ».]

« Je m’en fiche ! crie Ida. De toute façon, on m’a dit qu’Itras était morte ! Vous n’avez plus aucune autorité sur moi ! C’est fini, tout ça ! Itras est finie, elle est tombée en morceaux ! Votre culte est vain ! Votre déesse s’est effritée ! Vous avez voué votre vie à quelque chose qui n’existe plus, alors maintenant vous n’avez plus qu’à mourir ! Et moi, je vais avoir une vraie carrière ! »

Sœur Vestine s’agrippe le cœur, et tombe raide morte. Ida quitte la boutique et claque le battant de porte qui tient encore debout, applaudie par ses bananes. La boutique s’écroule.

« Je suis fière de toi », lui sourit Amandine.

Les orphelins attrapent des cailloux par terre et commencent à les jeter sur les murs.

Scène 11 : Un nouvel immeuble dit « de Poicreux »

Martin entend un grognement derrière lui : la nionne lui dépose un livre à ses pieds, intitulé Rituels et prières d’Itras et autres dieux. Elle se frotte le ventre, l’air satisfaite, et va s’endormir dans un coin. Ida est toute blanche. Poicreux consulte l’index et trouve bien une entrée pour « Entité noire », juste après « Ectoplasme gélatineux ». Un rituel pour se détacher du lien maléfique est décrit par le détail : il faut faire une purge à l’essence de bonté pure, jusqu’à ce que la noirceur accumulée soit évacuée. Martin regarde monsieur Crane et son gros sac.

« Auriez-vous une bouteille ou deux pour me dépanner ?
– C’est que j’aurai besoin de toutes les munitions disponibles pour tuer l’Entité noire…
– Allez, monsieur Crane, soyez chic ! dit Amandine. Il vous a quand même rendu service !
– Très bien, mais vous m’aidez à la tuer. Et Nindra, tant qu’à faire.
– Vous allez tuer votre future femme ?
– Oh, vous savez…
– Tu sais, dit Ida, entre lui et Nindra, ça aurait jamais pu marcher.
– Moi, les entités qui contrôlent mon destin, je commence à en avoir un peu ma claque.
– Je suis d’accord ! dit Poicreux.
– C’est vrai que le mariage, c’est une forme de contrôle du destin… réfléchit Amandine. Je suis bien placée pour le savoir.
– D’ailleurs, continue monsieur Crane, je suis tombé sur un truc qui vous appartient, monsieur Poicreux. Ça pourrait vous motiver. »

Il lui tend le contrat, maculé de crottes de singe. Martin Poicreux avance la main.

« Une petite seconde, mon bon ami. Alors ?
– Moi, je veux bien, mais mon métier c’est logeur, pas destructeur de dieu…
– Ah ah ah ! Vous en faites pas, vous apprendrez sur le tas. Vous n’avez pas envie d’être débarrassé de tout ça ? De pouvoir vivre votre vie tranquillement ?
– Ça, c’est sûr que si mon immeuble pouvait éviter d’exploser tous les quatre matins…
– Je vous ai dit que j’y étais pour rien… s’excuse Ida.
– Plus d’Entité noire ! continue monsieur Crane. Plus de femme-araignée !
– Bon, je vous aide, mais j’ai des orphelins à caser quelque part, sinon ils vont s’accrocher à mes jambes pendant tout ce temps…
– Ça, dit Ida, les orphelins, ça passe toujours après ! Le prenez pas mal, mais c’est vrai.
– Pfff, on fait des efforts, on essaye de détruire des entités maléfiques, de repasser du côté du bien, et voilà comment on est remercié.
– Elle est jamais contente, ajoute Amandine.
– Bon, je dois vous le dire… Je râle beaucoup, mais c’est parce qu’au fond… Je sais pas comment vous dire que je vous aime bien, voilà. Vous vous êtes occupé de moi quand je savais pas où aller… Amandine, tu as fait beaucoup pour moi et les bananes… »

Martin Poicreux est tout à fait perdu ; il n’a jamais eu ce genre de conversation et ne sait pas quoi dire.

« Je… Et donc vous habitez… Euh…
– Vous devriez l’inviter à dîner, lui chuchote monsieur Crane.
– Ah ! Bien. Euh… Où est-ce que vous pourriez m’inviter à dîner, Ida ?
– Pourquoi il me demande ça ? chuchote Ida à Amandine.
– Et là, qu’est-ce qu’elle dit ? chuchote Martin Poicreux à monsieur Crane.
– Excuse-moi, dit celui-ci. Madame Beaulieu, on peut discuter ? Vous connaissez un bon restaurant dans le quartier ?
– J’en connaissais un pas mal, mais j’ai peur qu’il ait été détruit récemment… Sur le port, sinon…
– Mardi, c’est bien non ?
– Mardi ? demande Amandine à Ida.
– Mardi ? demande monsieur Crane à Martin. Et voilà, mardi, vous dînez.
– Ah, très bien…
– Vous mettrez une chemise. »

Ida et Martin se serrent la main, circonspects.

Quelque temps plus tard… Martin Poicreux quitte tout juste monsieur Crane, ayant rempli ses obligations. Il ne pensait pas que ce serait aussi dur ; s’habituer à sa jambe de bois n’est pas simple. Mais il n’est pas peu fier de montrer aux orphelins l’endroit qu’il a trouvé : quatre étages, pierre de taille, chauffage central.

« Monsieur Poicreux, moi j’ai quelle chambre ? demande une des orphelines.
– Et moi, je suis à quel étage ?
– Euh… Au quatrième, tout en haut. En-dessous du toit.
– Chouette, on aura bien chaud ! Et à quelle heure vous voulez qu’on commence le ménage, demain ?
– Oh, je ne suis pas très exigeant… À sept heures trente, il faut que ce soit commencé.
– D’accord monsieur ! »

Alors qu’ils montent dans les étages, Martin installe un petit écriteau devant son immeuble : « Chambres à louer ». Puis il regarde d’un air satisfait le tiers de brique en or qu’il lui reste, et fait briller sa jambe : ce soir, il dîne avec Ida.
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Scène 12 : Amandine face à ses démons

Amandine s’arrête devant le portique de la vieille école, à côté d’Ida.

« Je veux pas y aller…
– Je comprends complètement. Ça m’a fait ça quand j’ai vu les petites médailles. Allez, courage. »

Amandine ouvre le portail qui grince. L’école est en ruines ; chacun de ses pas résonne dans la cour, et chaque poil de son corps se hérisse. Elle entend soudain la cloche qui sonne et sursaute. Ida la prend par les épaules.

« Ça va aller, ça va aller…
– En rang par deux !
– Non, sors du rang, Amandine ! »

Le maître d’école est en train de sonner la cloche.

« Oui ! Vite, en rang !
– Amandine, t’es beaucoup plus que ça ! T’es une mère de bananes ! Une future femme Brumaire !
– Tu es en retard, Amandine, jette froidement le maître d’école. Rentre immédiatement en classe pour la leçon.
– Depuis quand t’as des horaires ? lui glisse Ida. Je suis sûre qu’il y a pas l’heure chez toi ! Pense à ton sucrier ! À une bonne gnôle !
– Silence dans les rangs !
– Eh bé d’abord, c’est même pas l’heure ! bafouille Amandine.
– Si c’est l’heure, et tu le sais très bien. Allez, plus vite que ça.
– Non, parce que… de toute façon… Je fais l’école buissonnière !
– Certainement pas. Tu rentres immédiatement.
– Et pourquoi ?
– Parce que tu as encore beaucoup de choses à apprendre, Amandine. Tu n’es pas prêt à devenir une grande, et tu le sais.
– Mais si, je suis prête ! pleurniche Amandine. Et puis la vie, c’est pas l’école !
– Amandine, lui dit Ida, pense que cette école est un bateau. C’est qui le capitaine ?
– Je ne le répèterai pas une dernière fois, prévient le maître d’école. Si tu ne veux pas tâter de ma règle…
– MOI NON PLUS JE NE LE RÉPÈTERAI PAS, MOUSSAILLON ! Monte tout de suite en haut de la vigie et fais-moi un rapport, sinon je vais t’envoyer danser avec les requins ! Tu vas monter ce mât, prendre cette corde et te pendre avec si tu n’arrives pas à monter à la vigie en moins de cinq minutes ! Je te chronomètre, moussaillon ! »

Ida se plaque contre le mur ; le maître d’école aussi. Il se précipite à l’intérieur alors que les bananes exultent.

« Mama, mama ! Est-ce qu’on devra aller à l’école quand on sera grandes ?
– Si vous en avez envie.
– Ça pas l’air très chouette… »

Amandine regarde le bâtiment. Elle pourrait le racheter… ou tout raser… Reconstruire par-dessus… Un chantier naval ?

Elle s’éloigne avec Ida et les bananes. Par une fenêtre, on voit le corps du maître d’école se balader au bout de sa corde ; la cloche sonne lentement.
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Acte 13 : La Tour de la Lune

Prologue
Quelque temps plus tôt…

L’Étranger fait un drôle de rêve : il est dans le manoir de Cléanthe, en train de marcher dans les couloirs, lorsqu’il voit un ascenseur qui, il le sait, va le mener vers la femme magnifique. À l’intérieur, il y a treize boutons – les douze premiers sont cassés – et un homme qu’il n’a jamais vu, vêtu d’un beau costume et tenant une boîte de cigares et un singe dans chaque main. L’Étranger appuie sur le bouton “13” : les portes se ferment, l’ascenseur se ferme, et une voix commence à annoncer les étages.

« Premier étage. »
« Oui, je m’appelle Chesterfield, et elle c’est Géraldine ! »

« Deuxième étage. »
« Mademoiselle, je suis déjà en plein kidnapping avec cette demoiselle que voici, et il me semble malvenu tout de suite à une invitation si directe. »

« Troisième étage. »
« Itras ! Vous voulez dire que c’est cette femme magnifique qui traversait la brume ? »

« Quatrième étage. »
« Un squatteur dans ma guitare ! C’est un scandale ! »

« Cinquième étage. »
« Crétin, c’est pas pour ça que je viens te voir… Si j’avais besoin d’argent, j’irais me taper Cléanthe ! »

« Sixième étage. »
« C’est vous le problème ! Vous avez pas vu le bordel que vous foutez depuis que vous êtes en ville ! Vous avez traumatisé ces pauvres nonnes ! »

« Septième étage. »
« Je comprends, vous pensez que sur un bateau plein de marins vous serez à l’abri de la tentation…
– Mais vous n’y pensez pas ! C’est justement pour ça que je dois partir ! Pour éviter de moins boire ! »

« Huitième étage. »
« Est-ce que tu connais un bon moyen de cuisiner les bananes ?
– Oui… avec… avec du chocolat… »

« Neuvième étage. »
« Prenons un exemple au hasard : quelqu’un qui nourrirait depuis assez longtemps une entité maléfique avec des humains. Si un jour il décidait d’arrêter et de passer de l’autre côté, est-ce que ce serait plutôt bien vu chez vous ? »

« Dixième étage. »
« Aru, ta ?
– Zabatapu !! Tégueudeu, sé… Zaponef !
– Ah, zemak zemak. »

« Onzième étage. »
« PEUPLE D’ITRAS BY, RÉVEILLE-TOI ! LES HOMMES-CISEAUX SONT EN TRAIN DE MASSACRER TES CITOYENS ! »

« Douzième étage. »
« Peut-être suis-je né pour servir la tempête, en réalité… Peut-être que c’est pour ça que je suis venu… »

« Treizième étage. »
La porte s’ouvre sur un couloir sombre. Au fond du couloir, l’Étranger distingue vaguement un trône sur lequel une femme est assise… et il se réveille en hurlant, sous un pont où il vit depuis qu’on l’a viré du monastère.

Il entend quelqu’un venir vers lui en fredonnant une petite chanson plein d’entrain : Cléanthe Brumaire. Il a bien changé : il porte un costume blanc immaculé, et même lorsqu’il marche dans la rue, aucune trace ne subsiste sur ses chaussures, également blanches. Son lys à la boutonnière est violet et il a l’air amoureux.

Scène 1 : « C’est donc vrai, alors ? L’amour peut rendre heureux ? »
L’Étranger sort de ses cartons : il est très sale et pue, est toujours vêtu de son pardessus en lambeaux, et regarde son ami avec de grosses cernes noires.

« Eh, mais c’est monsieur l’Étranger ! »

Cléanthe fait quelque chose de très étrange : il lui sourit.

« Monsieur Brumaire !
– Eh bien, on ne vous voit plus beaucoup en ville ces derniers temps ! Occupé à apporter le bonheur ?
– Non, pleurniche l’Étranger, ça ne marche jamais ! Mais vous… Vous me paraissez différent…
– J’ai un peu changé, mais je suis toujours ce bon vieux Cléanthe Bonheur !
– Cléanthe Bonheur ? Cléanthe Brumaire, vous voulez dire !
– Ah non ! C’est fini, ça. Cléanthe Bonheur, parce que je suis heureux ! Et je le chante ! »

Cléanthe hurle à la lune : « JE SUIS HEUREEEEEEEUX ! JE SUIS HEUREUUUUUUX ! ET JE LE DIS À ITRAS ENTIÈRE ! »

L’Étranger marche/rampe jusqu’à lui.

« Vous êtes heureux ? Mais comment avez-vous réussi ?
– Eh bien, vous savez que j’étais en recherche d’une histoire d’amour malheureuse ?
– Non, je ne le savais pas…
– Eh bien malheureusement, cette histoire d’amour malheureuse s’est transformée en histoire d’amour heureuse ! Et c’est formidable !
– Avec sœur Eusébie ?
– Ah non, sœur Eusébie… a eu un accident, malheureusement. Non, avec madame Amandine Beaulieu ! Je m’en vais d’ailleurs la chercher en ville pour la demander en mariage. J’en ferai madame Amandine Bonheur.
– Il faut que vous m’expliquiez comment vous avez fait…
– Mon ami, remettez-vous. Vous savez que vous sentez très très fort la vieille vinasse ?
– Non, je ne le sais pas. Comment avez-vous fait ? Vous pouvez me l’expliquer ? »

Cléanthe fouille dans sa veste, sort un petit vaporisateur et asperge l’Étranger de violette.

« Allez, venez, l’ami. On va aller boire un verre.
– Si vous voulez, mais… Il faut m’expliquer…
– Je rentre très récemment d’un long voyage, et je voulais savoir : le cabaret Lilith existe toujours ? Comment s’appelait ce bar où l’on allait s’acoquiner avec Jonas StJones ?
– Je n’ai pas le souvenir des noms… Mais je sais où il se trouve…
– Très bien ! Allons gober un œil de singe ou deux, et on parlera du bon vieux temps, quand vous dormiez sur mon canapé !
– Si je puis me permettre… C’est devenu beaucoup moins accueillant depuis que vous êtes parti…
– C’est bien dommage… Mais ça n’est pas très grave, finalement.
– Votre femme n’est pas très sympathique…
– Oh, ma femme, ma femme… Ce n’est plus vraiment ma femme, si j’ai bien compris les racontars entendus au port ?
– Je ne sais pas, je ne comprends à la façon dont vous gérez vos histoires de couple et d’amour… D’ailleurs je ne comprends même rien du tout à ces histoires !
– Eh bien, on les gère comme ça nous chante ! D’ailleurs, nous allons chanter sur le chemin. »

Cléanthe attrape le bras de l’Étranger et le tire par la manche en effectuant un pas de claquettes. Ils avancent dans les rues alors que le temps se couvre au-dessus d’eux ; un orage ne va pas tarder à éclater.

« C’est donc vrai, alors ? demande l’Étranger. L’amour peut rendre heureux ?
– Eh bien, je ne sais pas dans quel sens ça fonctionne… Je constate juste les effets !
– Mais vous m’aviez dit le contraire ! Et à cause de ça, j’étais perdu !
– Ou alors, c’est le mélange de la gnôle du Père Shade, de la boisson du marin et de quelques autres ingrédients qu’on m’a fait ingurgiter quand on m’a poignardé à mort… Vous croyez que c’est un empoisonnement ? Ce serait merveilleux que tout le monde soit empoisonné comme cela !
– Je… Je ne sais pas… Je croyais que simplement donner de l’amour à quelqu’un, du bonheur, pouvait suffire…
– L’ami, on va définitivement s’en jeter un petit. Quitte à être troublés, autant que ce soit par de l’alcool. Ça vous rendra peut-être un peu de votre allant ! Mais avez-vous récemment revu la charmante et délicieuse Géraldine ? Vous étiez bien engagé auprès d’elle, je crois…
– Géraldine… Géraldine… Cette femme qui avait une sœur qui lui ressemblait, à qui j’avais essayé de donner du bonheur ? Et vice-versa ? Je ne sais pas… Elles n’arrêtent pas de dire que je suis quelqu’un d’horrible et qu’elles ne veulent pas traîner avec une personne comme moi… Encore deux personnes que j’ai rendues malheureuses…
– Oui, vous avez fait un beau carnage. Mais vous savez, si j’ai bien retenu une leçon de tout cela, c’est que le malheur est nécessaire au bonheur. C’est un corollaire.
– Mais non, pas du tout !
– Je pense que vous avez fait du mal aux gens pour les rendre heureux au final.
– Mais je n’ai pas fait de mal aux gens ! »

À ces mots, un petit pain au lait tombe aux pieds de l’Étranger.

« Il est mignon comme tout, celui-ci ! » s’extasie Cléanthe.

Un deuxième tombe du ciel tandis que l’Étranger saisit Cléanthe.

« Non ! Je ne voulais faire que du bonheur ! Je ne voulais pas faire du malheur ! Pourquoi vous dites ça !
– L’ami, je ne crains pas la pluie, mais si ces petits pains sont au chocolat, ils risquent sérieusement d’entacher mon costume. »

Une bouteille en verre s’écrase à présent devant eux, faisant sursauter l’Étranger.

« Mais qu’est-ce donc ?
– Ce doit être la tempête du petit déjeuner.
– Mais de quoi parlez-vous ? »

Il commence en effet à tomber dru des petits pains au lait et des bouteilles de gnôle.

« Poussons jusqu’au bar, dit Cléanthe. Ne vous inquiétez pas. »

Il s’avance sous la tempête battante, et rien ne lui tombe dessus. L’Étranger, par contre, s’en prend plein la tronche, mais ses blessures se referment aussitôt qu’elles se sont ouvertes.

Monsieur, ça veut dire quoi « libre » ?
Jonas est au sommet du couvent, toujours en train de crier ses imprécations : il lui faut bien admettre qu’il y a peu de réactions dans les rues. Il va falloir aller porter la parole de façon plus efficace.

En descendant de son perchoir, il se rend compte que le couvent est complètement désert, à part des enfants au loin, un gamin et deux gamines en train de sortir doucement, l’air apeuré.

« Les enfants ! N’ayez pas peur ! D’où vous venez comme ça ?
– On n’a rien fait ! On vient de nulle part ! C’est pas notre faute ! Y avait plus personne, alors on a cru que c’était fini…
– Que quoi était fini ?
– Qu’on pouvait sortir de la prison…
– Il y a une prison, ici ? Il y a encore des gens dedans ?
– Non, les autres enfants sont déjà partis… On est les derniers…
– Attendez, je ne suis pas sûr de comprendre… Les nonnes emprisonnaient des enfants ?
– Oui, mais on leur appartient, alors elles ont le droit… C’est la sœur supérieure, elle a dit qu’elles avaient signé un contrat et qu’on était leur popiété…
– Moi aussi j’aime bien les paupiettes, mais je vois pas le rapport !
– Mais elles disent ça, et après on reste dans nos chambres longtemps, et puis parfois il y en a qui s’en vont pour toujours, et il paraît qu’on les donne aux gobelins…
– Ah, je vois ! Eh bien écoutez, allez-y. Continuez votre chemin.
– Vous allez pas le dire ?
– Oh si, je vais le dire !
– Non ! Sinon les nonnes vont venir nous remettre dans la chambre qui pue ! On veut pas !
– La chambre qui pue ?
– Bin oui, parce qu’on n’a pas de toilettes, alors…
– En plus… Rassurez-vous, je pense qu’il n’y aura plus de nonnes, bientôt. Ce n’est pas admissible de traiter des enfants comme ça. Les enfants, quand on les achète, on en fait des meubles rapidement. On les laisse pas macérer dans leur crasse ! C’est dégoûtant, et…
– J’veux pas être un meuble ! pleurniche l’une des petites filles.
– Non, maintenant tu es libre, petite fille. Profites-en.
– Monsieur, ça veut dire quoi « libre » ?
– « Libre » ? Ça veut dire qu’il n’y a plus rien qui te retient. Ça veut dire que face à toi, l’avenir se dévoile. Ça veut dire que ton destin a disparu ! Tu peux courir dans les rues en faisant absolument ce que tu veux ! Tu peux rejeter le pouvoir inique des bourgeois d’Itras By ! Que tu peux brûler leur maison ! Par exemple. »

Les enfants se regardent entre eux, inquiets. Puis le garçon chuchote aux filles : « Il est bizarre, le monsieur… Je crois qu’on va passer par les égouts finalement…
– Mais oui, vous avez le droit ! Vous pouvez ! Vous êtes libres !
– D’accord, mais tu nous suis pas, alors !
– Oh non ! J’ai d’autres gens à libérer ! Un peuple entier ! Au revoir… Profitez bien. »

Sur ces entrefaites, Jonas sort dans la rue pour alpaguer les passants et leur expliquer qu’il faut qu’ils soient libres. Le problème, c’est que la tempête fait toujours rage, et qu’il n’y a pas grand monde à part quelques pauvres hères qui courent s’abriter. Jonas en attrape une par le bras : « Citoyen ! Où vas-tu en courant ?
– J’vais chez moi, cette question !
– Ne vois-tu pas que c’est un signe des cieux qui tombe sur nous ?
– Aïe ! Je sais pas si c’est un signe des cieux, mais ça fait sacrément mal au crâne !
– C’est normal que tu aies mal ! C’est toujours douloureux de se rendre compte qu’on est libre !
– Oui, oui ! On peut pas avoir cette conversation sous un auvent, s’il vous plaît ?
– Bien sûr, si tu préfères te protéger sous les idéaux de la bourgeoisie !
– C’est-à-dire que… Ah, j’ai des coupures partout…
– Le sang qui coule de tes veines, c’est le sang d’Itras By ! C’est le sang du peuple qui doit se lever contre cette tyrannie !
– Bon, écoutez…
– Ne vois-tu pas au loin le Dieu Machine qui s’avance pour te priver de ton autonomie ?
– Oui, justement, j’aimerais bien arriver à faire mes valises avant que le Dieu Machine détruise tout chez moi !
– Ah, tu préfères fuir que te battre ! Je vois.
– Voilà, c’est ça, exactement. »

Le passant salue Jonas de son chapeau puis s’en va.

La scène se reproduit plusieurs fois, jusqu’à ce qu’il tombe sur deux personnes un peu plus à même de l’écouter : Cléanthe et l’Étranger. Cléanthe lâche le bras de l’Étranger, et se précipite sur Jonas pour l’étreindre.
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

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Scène 2 : « Certaines discussions se conduisent mieux un verre à la main »
« Cléanthe ! Vous ici !
– Jonas ! Vous aussi !
– Oui, l’heure est grave, mon ami. Très grave.
– Vous êtes donc redescendu du ciel ?
– Oui oui, tout à fait… au milieu du couvent… Ça s’est d’ailleurs assez mal passé, je dois le reconnaître. Je ne pensais pas ces nonnes aussi sinistres.
– C’est malheureusement le privilège des nonnes d’être sinistres. Sauf le samedi à l’aviron, naturellement.
– Tout de même, parquer des enfants dans des pièces sans toilette pendant des jours et des jours !
– Je croyais qu’elles en faisaient des meubles ?
– Eh bien visiblement, non ! Elles les vendent directement aux gobelins. Franchement, c’est la mort du petit commerce !
– Ce sont donc les gobelins qui font des meubles avec les enfants ? Ce sont eux qu’on devrait remercier pour leur altruisme, alors ! Fournir une place dans la société à ces enfants, c’est formidable !
– Absolument ! Alors que font les nonnes, vous vous rendez compte ?
– Euh, interrompt l’Étranger, je ne crois pas que ce soit une bonne que les enfants deviennent des meubles ou que les nonnes s’en servent pour je ne sais quoi… »

Cléanthe décale l’Étranger de quelques mètres, pour éviter qu’une bouteille lui fracasse le crâne. Jonas s’en prend également plein la tronche, mais il s’en fout. Des éclats de verre sortent de ses vêtements déchirés et de sa coiffure sans qu’il ne moufte.

« Vous avez raison, monsieur. Ce sont des pratiques d’un temps révolu.
– Les enfants ne devraient-ils pas être avec leurs parents ?
– Non !
– Et pourquoi ?
– Et si nous allions tous boire un verre ? Je sens l’Étranger nerveux sous cette pluie battante.
– Vous avez raison. Certaines discussions se conduisent mieux un verre à la main. »

À la Part du Diable, Cléanthe s’installe avec ses amis : ils trouvent tout de suite une table malgré la salle bondée.

« Parlons de choses sérieuses, dit l’Étranger. Il faut que vous m’expliquiez comment vous avez fait.
– Tiens, ça fait longtemps qu’on vous avait pas vus, vous ! leur lance le serveur.
– Eh oui, répond Cléanthe, j’ai pris la mer.
– Ça vous réussit en tout cas, vous avez bonne mine.
– Merci beaucoup. Pourriez-vous servir un cœur d’artichaut à mon ami l’Étranger, ici présent ?
– Mais dites-moi ! Je suis en train de m’éteindre, vous comprenez…
– Mais non, l’ami, vous dramatisez tout !
– Et pour vous, monsieur ? De l’artichaut également ?
– Non, alors pour ami un cœur d’artichaut en flamme, et pour moi, un œil droit de singe.
– Je prendrai une cheville ouvrière, dit Jonas.
– Euh… Oui, très bien, je reviens tout de suite… »

Le serveur recule sans quitter Jonas des yeux, et passe en cuisine.

« J’aurais une autre question, reprend l’Étranger. Vous qui traînez un peu en ville… Je la cherche sans relâche… Je crois que c’est la seule qui pourrait me sauver de cette dépression qui tombe sur mes épaules… La femme magnifique. Vous ne l’avez pas vue ?
– Si, mais j’ai l’honneur de partager sa vie !
– Ah oui ?
– Mais bien sûr !
– Allons la voir de suite, alors !
– Ah, mais présentement je ne sais pas où elle est !
– Comment va-t-elle, d’ailleurs ? demande Jonas.
– Sans doute très bien ; je dois dire que nous ne nous sommes pas croisés depuis un moment.
– La dernière fois que je l’ai vue, la situation était grave, vous savez, comme rarement. Vous n’avez pas vu ce qui approche ? Vous n’avez pas vu le Dieu Machine commencer à ravager la ville ?
– Non, mais je dois dire que je n’ai pas eu le temps de me promener suffisamment en ville pour cela…
– Vous aussi vous l’avez rencontrée, monsieur Jonas ? demande l’Étranger.
– De toute façon, continue Cléanthe, rien qui ne s’arrange avec un peu d’huile de coude.
– Je ne sais pas, dit Jonas. Une chose est sûre : il faut que nous fassions quelque chose. Même si le peuple est endormi, il ne faut pas le laisser à la merci de ceux qui voudraient l’asservir !
– Jonas, je connais cette voix. Vous parlez comme quelqu’un qui recherche une aventure.
– Moi, je ne comprends rien à ce que vous dites… Nous parlions de la femme magnifique !
– Je ne sais pas si je la qualifierais de magnifique, dit Jonas, mais…
– Je ne vous parle pas de beauté ! s’écrie l’Étranger. Je vous parle de magnificence.
– Mais attention, mon cher ami, nous allons bientôt nous marier !
– Mais vous m’avez dit que vous alliez vous marier avec Amandine Beaulieu ?
– Eh bien c’est elle la femme magnifique !
– Ah non, ce n’est pas elle ! Sûrement pas !
– Et si ! Avec les yeux de l’amour, si !
– Attention, l’Étranger, prévient Jonas, vous vous exposez à un duel.
– Vous ne connaissez rien à l’amour si vous pensez que c’est la femme magnifique !
– JONAS ! Je t’avais dit de ne plus remettre les pieds ici ! crie le patron.
– Quoi ? T’as un problème ? »

Jonas se colle à lui, des gouttes de sang coulant sur ses vêtements.

« C’est pas le moment de venir chanter tes malheurs ! Tu vois pas que tout le monde est déjà malheureux, avec la ville qui tombe en miettes ?
– Justement ! J’ai un nouveau répertoire.
– Des chansons heureuses ?
– Des chansons… différentes. Pas tristes. Exaltantes. Des chansons qui permettront à ceux qui les entendent d’enfin sortir de leur quotidien.
– Oh, dit son voisin de bar, moi j’écouterais bien des chansons comme ça !
– Ah non, ne l’encouragez pas !
– Si, vous avez raison ! »

Jonas attrape une guitare posée dans un coin.

Scène 3 : « Liberté pour Itras By ! »
« Vous voyez, l’Étranger ? lui dit Cléanthe. Jonas était en pleine dépression, mais il a réussi à s’en sortir ! Un peu d’huile de coude ! C’est à lui que vous devriez parler !
– Il me faut trouver la femme magnifique et non pas Amandine Beaulieu ! Vous avez déjà vu un ascenseur ? De treize étages ?
– Oui, probablement, dans quelques demeures… J’en ai même eu un, à une époque, mais je l’ai limogé. Il ne faisait pas treize étages, par contre.
– Trouvons un ascenseur de treize étages.
– Trouvons un bâtiment de treize étages, alors, ce sera un bon début. Cette musique est très entraînante, vous ne trouvez pas ? »

Jonas se lance dans une chanson de propagande engagée et très énervée, pour que le peuple aille porter dans la rue sa colère. Pendant les dix premiers couplets, personne ne réagit, mais la chanson est tellement longue, et le refrain tellement entêtant, que les gens commencent à reprendre la chanson en cœur, au désespoir du patron du bar. Jonas finit par se lever et sort du bar, suivi par la foule, qu’il compte bien mener jusqu’au Dieu Machine ; Cléanthe et l’Étranger ferment la marche.

« Vous appelez vraiment ça de la musique, Cléanthe ? J’ai plutôt l’impression que c’est du bruit…
– Ça me donne une irrépressible envie de danser et de suivre ce brave Jonas, personnellement. Bougez-vous, mon ami ! Vous avez passé trop de temps sous un pont ! »

Sur le chemin, les gens attrapent bout de bois et de fer et commencent à frapper, qui contre une vitrine, qui contre un panneau. Assez rapidement, ce qui était une marche énervée mais pacifique se transforme en une foule électrisée, et lorsque la foule arrive en face du Dieu Machine, qui crie d’une voix de stentor : « PEUPLE D’ITRAS, SOUMETS-TOI. JE SUIS TON NOUVEAU DIEU ». À ses pieds, un cordon de gardes gris empêche la foule d’avancer, ce qui n’arrête pas Jonas qui se met à scander à son tour : « Mort au faux Dieu ! Itras By sera libérée !
– Circulez, messieurs dames ! C’est trop dangereux par ici !
– De-hors le Dieu Machine !
– Je ne sais pas ce que c’est que cette chose, monsieur Cléanthe, mais je n’aime pas du tout ça…
– Liberté pour Itras By !
– Je ne sais pas non plus, mais demandons à ce brave homme. Excusez-moi, jeune homme ?
– Ne restez pas là, monsieur !
– Votre devoir est autant d’informer le citoyen que de l’empêcher d’aller dans des endroits où il devrait normalement aller. Dites-nous ce qui se passe ici.
– C’est évident, non ? Les Futuristes ont réveillé le Dieu Machine, et maintenant c’est le bazar !
– Je croyais qu’ils se battaient contre lui ?
– Ça, c’est ce qu’ils essayent de vous faire croire !
– À bas la Garde Grise !
– Mais que faites-vous, dans cette histoire ? Vous le protégez ?
– Pas du tout ! On le contient et…
– La Garde Grise protège le Dieu Machine ! »

La foule reprend les slogans de Jonas en cœur, jusqu’à ce qu’un garde vêtu d’un uniforme gris et de galons gris s’interpose : « Reculez ! Nous attendons imminent un sacrifice à Nindra qui devrait tout faire rentrer dans l’ordre !
– Et au sacrifié, vous lui avez demandé son avis ?
– Ce sont les adorateurs de Nindra qui se sont proposés.
– Ce pauvre sacrifié est victime de la propagande de Nindra ! Il faut le libérer de lui-même !
– Mais au contraire, c’est un grand honneur !
– Mourir pour que les bourgeois puissent encore engraisser ! Mon œil, oui !
– Monsieur, maintenant vous vous taisez ou j’ordonne la charge !
– On veut me faire taire ! Itras By, on veut te priver de ta voix ! »

Le capitaine lève le bras pour ordonner la charge… et l’Étranger l’embrasse.

« Mais enfin ! Ça va pas !
– Tu ne vas rien ordonner du tout.
– Cher ami, l’interrompt Cléanthe, je crois qu’il est l’heure de courir. »

Un garde gris s’avance vers l’Étranger, matraque sortie.

« Mais… » balbutie ce dernier. « Ça ne marche plus ? »

Cléanthe l’attrape par le bras et tous deux se mettent à courir, suivi par Jonas qui excite la foule d’autant plus.

« Non, attendez ! Je suis sûr que je peux les arrêter !
– Oui oui ! Vous allez les arrêter, mais de plus loin.
– Je peux leur montrer l’amour et le bonheur ! »
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Emöjk Martinssøn
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Scène 4 : « Vous croyez que c’est ça la clef du bonheur ? La liberté ? »
Pendant la fuite de nos héros, la foule se jette sur les gardes, sous une tempête toujours battante.

« D’habitude ils s’endorment quand je les embrasse, se lamente l’Étranger une fois hors d’atteinte. Pourquoi ça n’a pas marché ?
– C’est un garde gris, explique Jonas. Ce sont des gens très étranges, ils n’obéissent à aucune logique.
– Je n’aime pas du tout ces gardes !
– Moi non plus, à vrai dire. Ce sont des suppôts du régime.
– Mettons-nous à l’abri et rediscutons de tout cela, ami Étranger.
– Je n’apprécie pas beaucoup cette machine…
– Oh, proteste Jonas, mais tout cela n’est qu’un artifice pour nous détourner des vrais combats ! La liberté avant tout ! Le bonheur de chacun !
– Vous croyez que c’est ça la clef du bonheur ? La liberté ?
– Bien entendu.
– Expliquez-moi ce que c’est !
– La liberté, mon ami, c’est quand tu sors dans la rue et que tu as envie de crier, et que personne ne t’en empêche ! C’est quand tu es face à un imbécile et que tu peux lui rabattre son caquet sans craindre d’être arrêté ! C’est quand tu veux chanter et que rien ne t’en empêche…
– Ça m’a l’air un peu vague, tout ça. Mais essayons votre première proposition. »

L’Étranger arrête un passant en pleine rue.

« Criez ! Criez !
– Mais lâchez-moi, enfin !
– Criez donc ! Montrez-nous que vous êtes libre !
– Arrêtez ou j’appelle la garde !
– Criez dans cette rue !
– À l’aide ! À la garde !
– Alors, vous êtes heureux ?
– Mais non ! Lâchez-moi !
– Vous le privez de liberté ! Évidemment qu’il n’est pas heureux, imbécile ! Vous l’empêchez d’aller où il veut, vous voulez lui imposer votre bonheur ! Ça ne peut pas fonctionner !
– Vous là-bas, arrêtez-vous ! s’exclament des gardes qui déboulent au coin de la rue.
– Comment ça, imposer mon bonheur ? Mais tout le monde aimerait être heureux ! »

Les trois larrons se remettent à courir, suivis par les gardes. Cléanthe est aux anges.

[Je demande à @kiraen de tirer une carte « Résolution » pour savoir s’ils parviennent à semer les gardes. @mass lit : « Vous avez besoin d’aide. Vous réalisez que vous avez besoin de l’aide de quelqu’un qui n’est pas présent dans cette scène pour arriver à vos fins ».]


Le trio est promptement rattrapé, arrêté, tabassé et menotté. S’ils n’appellent personne à l’aide, c’est un coup à se retrouver torturés dans les geôles de la garde…

« Violence policière ! s’époumone Jonas.
– T’inquiète pas, on va t’en faire goûter, de la violence policière !
– Monsieur Jonas, connaissez-vous quelqu’un qui peut nous aider ?
– Nan ! Personne !
– Les amis, tempère Cléanthe, tout va bien se passer… C’est un contrôle de routine… »

Dans la cellule se trouvent déjà quelques Futuristes, la gueule en sang, le corps perclus de bleus.

« Regardez ces braves gens, continue Cléanthe. Ils ont eu beaucoup plus mal que nous, nous devrions nous en réjouir !
– Ils n’ont pas l’air heureux d’être là…
– On est rarement heureux en cellule. Sauf quand on a la clef du bonheur pour s’échapper…
– Réjouissez-vous, nous allons devenir des martyrs !
– Et vous, vous l’avez la clef du bonheur ?
– Eh bien… probablement… Je crois bien, oui.
– Et c’est quoi être un martyr ?
– C’est mourir pour sa cause pour inspirer des millions !
– C’est un peu être heureux de ne pas être heureux.
– Vous étiez un martyr, alors, quand vous cherchiez l’amour malheureux ?
– Euh… Non, pas tout à fait… C’est une nuance. Enfin je ne m’étendrai pas là-dessus.
– C’est tellement compliqué, le bonheur…
– Rassurez-vous, quand on l’a trouvé, il ne s’en va plus. Je crois que vous n’avez pas commencé de la bonne manière, voilà tout… Profitons un peu du calme de cette cellule pour repartir depuis le début.
– Eh toi, là, beau parleur ! crie un garde. C’est ton tour ! Suis-nous, on a quelques questions.
– Hors de question ! s’interpose l’Étranger. Il allait me dire une chose très très importante !
– Non, prenez-moi plutôt ! crie Jonas.
– Oui, prenez-le plutôt…
– Imbéciles ! Suppôts de l’ordre établi !
– Très bien, si on a un martyr… Chopez le clochard. »

Les gardes poussent Jonas devant eux, qui continue à les insulter, et le sortent de la cellule.

« En fait, reprend Cléanthe, ami l’Étranger, avant de pouvoir donner le bonheur, je crois qu’il faut soi-même être heureux. Et je crois que depuis que nous nous sommes rencontrés, vous n’avez qu’une idée très vague de ce qu’est le bonheur des autres, mais vous ne vous êtes jamais interrogé sur le vôtre… Allez, fermez les yeux. Faites-moi confiance. Et maintenant, sans réfléchir, tout de suite, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
– Le bonheur de tous les gens dans cette cellule !
– Vous n’y mettez pas du vôtre… Un ami m’a dit : “Chaque jour, pensez à vous offrir un présent”. Une nouvelle chemise, un petit massage… ou même une tasse de café ! Bon, maintenant refermez les yeux.
– Tout cela m’a l’air bien futile… mais allez-y.
– Bon. Maintenant, quand je vous demande quelle est la première chose qui vous ferait plaisir, vous me répondez ?
– Euh… Voir la femme magnifique !
– Bien, c’est un début. Vous tournez un peu en rond, mais je pense que nous arriverons à vous faire sortir cela de la tête… Bon, concentrons-nous là-dessus. La femme magnifique, où pensez-vous la trouver ?
– Au 13 étage ?
– D’où ? D’une tour, peut-être ? C’est un ascenseur qui monte ou qui descend ?
– Il monte ! Il y a plein de gens qui parlent dedans. J’avais l’impression d’entendre ma voix, d’ailleurs, c’était assez étrange. »

Cléanthe s’approche du moins amoché des Futuristes.

« Excusez-moi, cher ami, peut-être pourriez-vous répondre à une question et faire le bonheur d’un homme dans cette cellule…
– Ahhh… Qu’est-ce que vous voulez… J’ai tout dit ! Me frappez plus !
– Je voulais juste savoir si, quand vous survoliez la ville avec vos ailes de cuir, vous auriez vu une tour de 13 étages tout juste ?
– Je ne sais pas… La tour de la Lune, peut-être ? Celle où niche Nindra ?
– La tour de la Lune, monsieur l’Étranger ?
– Oui ! Allons-y !
– Très bien. Attendons Jonas et allons-y.
– Je n’ai pas de temps à perdre ! Je veux comprendre le bonheur ! Sortons ! »

L’Étranger ouvre la porte de la cellule à la volée.

Scène 5 : « J’ai pas peur de la tenaille »
Jonas est amené dans une pièce vide, au milieu de laquelle trône une chaise en bois. On le fait asseoir dessus et lui attache les mains derrière le dos.
« Bon, entonne un des gardes gris, maintenant tu vas nous dire tout ce que tu sais.
– Jamais !
– Elle est où la cheffe des Futuristes ?
– J’parlerai jamais !!
– Où est Chesterfield ?
– Jamais j’me ferai le complice d’un suppôt des bourgeois comme toi !
– Parle ! »

Le garde assène sa matraque sur le visage de Jonas, qui hurle de douleur.

« Enfoiré ! Fils de singe !
– C’est pas la peine de me complimenter, ça marchera pas avec moi. Où est Chesterfield ? On sait que tu la connais !
– Bien sûr que je la connais ! Mais j’en sais rien. C’est une des rares personnes qui a un peu de bon sens dans cette ville !
– Alors tu confirmes, c’est bien elle la cheffe des Futuristes !
– J’en sais rien ! J’confirme rien !
– Comment ils ont réveillé le Dieu Machine ?
– J’en sais rien et j’t’emmerde ! *PAF* Ma dent !!
– On a vu Chesterfield dans le couvent, et toi aussi ! Tu étais avec elle !
– J’étais avec Géraldine, moi ! Sa sœur !
– On nous l’a déjà fait, le coup de la sœur jumelle. Ça prend pas avec nous. On a vérifié : Géraldine Chesterfield, y en a qu’une. Bon, c’est quoi ton nom, le rigolo ?
– Mon nom ? Mon nom, c’est Itras ! *PAF* MON NOM C’EST ITRAS BY ! Le peuple d’Itras By ! Et bientôt je serai sous vos fenêtres ! Et je vous ferai tous cramer !
– Très bien. Je vois qu’on a affaire à un récalcitrant. Jonas ! Va chercher les tenailles ! Tu l’auras voulu, mon gars.
– J’ai pas peur de la tenaille.
– T’as pas peur, parce que tu sais pas encore ce que c’est. »

Jonas le garde quitte la pièce, puis revient quelques minutes plus tard avec une tenaille chauffée à blanc.

« Qu’est-ce que tu préfères, reprend le tortionnaire, la mâchoire supérieure ou inférieure ?
– J’en ai rien à foutre ! J’ai chevauché un boulet en tombant du ciel ! J’ai brûlé dans l’atmosphère avant d’arriver ici ! Vous croyez que ça me fait peur, une tenaille ! Et en plus j’ai bejoin d’un denticchte !
– Dernière chance. Parle !
– Jjamjais ! J’parljrerai pas ! AAAAAH ! »

Jonas perd conscience sous la douleur.

« Notre ami a l’air de bien s’amuser… » remarque Cléanthe en entendant les cris de Jonas, au bout d’un couloir où sont postés deux gardes. « Messieurs les gardes ! Je souhaitais vous signaler que deux prisonniers sont en train de s’échapper du côté des geôles.
– Mais qui êtes-vous ?
– Un bon Samaritain, qui…
– Bin, les prisonniers ! le coupe l’Étranger. »
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Scène 6 : « Une enquête ? On est pas payé pour, hein ! »


[ @Ozen demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « Flashback. Jouez une scène qui a lieu dans le passé, à l’endroit où sont les personnages en ce moment précis. Le joueur qui a tiré cette carte établit la scène, décide quels personnages (PJ ou PNJ) sont présents, et éventuellement contrôlés par les autres joueurs ». Dans la scène suivante, je joue le Futuriste, les joueurs incarnent les gardes.]


Deux gardes discutent, se demandant si c’est une bonne ou mauvaise chose que l’apparition de ce Dieu Machine. Ils ne sont pas très contents de la façon dont la hiérarchie traite le problème. Devant eux, on traîne un Futuriste en salle d’interrogatoire ; les deux gardes échangent un regard condescendant vis-à-vis du prisonnier.

Un peu plus tard, le Futuriste est reconduit en cellule après un massacre interrogatoire.

« Georges, dit l’un des gardes à l’autre, tu crois qu’on est allés trop loin, cette fois ?
– Le pauvre bougre… T’as vu sa mâchoire ?
– Il l’a mérité, crache le troisième garde.
– Liberté… murmure le Futuriste.
– Tais-toi !
– Quand même, c’est pas une manière de traiter les gens ?
– Depuis qu’ils l’ont libéré, c’est la merde dans la ville.
– Moi, j’ai entendu dire que c’étaient pas eux qui l’avaient libéré.
– Je… je vous dis qu’c’est pas nous…
– Mais tais-toi !
– Pas de coups de pied, enfin ! Retiens-toi !
– Est-ce qu’on devrait pas faire quelque chose ? Parce que j’ai rendez-vous à cinq heures, moi. Ça va se prolonger tard, cette histoire ?
– Rendez-vous avec la belle Babette ? Celle qui a des trucs pour respirer ?
– Hein ?
– Une belle cage thoracique, quoi, eh eh !
– Victor ne regarde pas ça chez les femmes, tu sais.
– Y r’garde quoi ? Derrière ?
– Chacun son truc…
– Personnellement, chuinte le Futuriste, j’aime bien les gros nibards…
– Mais tais-toi !
– Arrête !
– Vous comprenez, c’est un peu délicat, reprend Victor. Je dois rencontrer ses parents ce soir.
– Alors déjà, évite les coups de pied : pas de tache de sang. On pourrait juste poser le pauvre bougre dehors et le laisser se débrouiller pour rentrer chez lui ? C’est pas la peine de le taper sur tout le chemin…
– Géraldine, elle en a des pas mal de nibards…
– Dis-donc !
– Attends… Géraldine Chesterfield ?
– Non, Géraldine… Chesterfield, les siens sont pas terribles…
– Chesterfield, c’est celle qui n’a qu’une jambe ?
– Oui, c’est ça… Je me tue à vous le dire…
– Mais je croyais que c’était qu’une seule personne ?
– Attends, il paraît qu’un coup il lui manque la jambe droite, et un coup la gauche !
– C’est ça, d’abuser de l’alcool…
– C’est deux personnes différentes, bande d’abrutis !
– Ouais, c’est ça… Tu crois qu’on l’a jamais entendu, ça, connard ?
– Mais arrête de lui taper dessus, tu vas tacher ta pompe !
– Ah merde, t’as raison… Essuie ça, toi !
– Jamais !
– Essuie, j’te dis !
– Mais les gars, il a peut-être raison ! Si ça se trouve, il y a erreur sur la personne… On pourrait… Ça fait longtemps qu’on a pas fait une enquête…
– Attends Marcel, prend ses cheveux pour essuyer tes pompes !
– Une enquête ? On est pas payé pour, hein ! »

Georges met une mandale à Victor.

« Mais t’es fou, ou quoi ?
– Ça fait partie du code de la Garde Grise, de bien traiter les gens ! Je vois pas pourquoi on se comporterait pas humainement, même si on lui a cassé la gueule pendant l’interrogatoire !
– Parfaitement… crache le Futuriste. J’peux vous dire que j’vais pas vous r’commander à mes amis…
– Les gars, qu’on soit bien d’accord : casser la gueule de quelqu’un dans une pièce close pendant un interrogatoire, c’est tout à fait normal ! Mais là, c’est le couloir ! C’est presque de la dégradation de biens publics !
– Tu veux que j’aille fermer les portes ?
– Touche moi encore une fois et c’est la tienne de gueule que je vais casser.
– Ah ouais ? C’est ce que tu veux ?
– Eh, calmez-vous les gars ! Déconnez pas, je vais devoir faire un rapport après !
– Ouais ouais… Tu fais ton gros et gras, comme ça, mais en fait…
– En fait quoi ? Vas-y, dis-le !
– …c’est les anges que t’aimes, hein ? Voilà, mon gros pervers ! Caresser leurs ailes soyeuses… Tu t’es fait un oreiller avec des plumes !
– Je vais vous casser la gueule à tous les deux si vous la fermez pas !
– Non, c’est moi qui te casse la gueule en premier, dégueulasse ! »

Georges saute sur Victor, qui lui mord l’oreille. Marcel se joint bientôt à la bagarre, oubliant le prisonnier qui en profite pour s’éloigner tranquillement. Des bouts de chair et des hurlements se font entendre.

Scène 7 : « Je connais une salle d’interrogatoire où on pourra être tranquille »
Cléanthe remarque qu’un des gardes qui essayent de l’arrêter a un œil au beurre noir, tandis que l’autre a un bras dans le plâtre et un bout d’oreille manquant.

« Arrêtez-vous, j’ai dit !
– Les amis, vous avez l’air très mal en point.
– Euh… C’est pas vos oignons !
– Ouais, c’est pas notre faute si certains de nos collègues sont sacrément cons !
– Je peux vous soigner, si vous voulez, propose l’Étranger, et vous nous laisserez partir…
– Comment ça ? On a nos propres médecins, nous !
– Mais ce n’est pas un médecin, explique Cléanthe, c’est un ange. Un vrai, patenté, avec licence et tout ça.
– De quoi tu parles ? demande l’Étranger.
– Un ange ?! dit le garde avec un bras dans le plâtre.
– Mais je ne suis pas un ange !
– Regardez-le : cet homme respire le bonheur ! Il descend du ciel, ça se voit sur sa figure ! Il arrive à être sale comme un paquet de merde et en même temps à resplendir !
– Euh, il a pas l’air très heureux… remarque l’autre garde.
– Bon, ça, je m’en occupe actuellement. Mais peut-être pourriez-vous trancher, d’ailleurs…
– Hop hop hop. Si vous êtes un ange, faites un miracle.
– Euh… Amenez-moi votre bras… »

Victor avance son bras, malgré les protestations de son collègue. Il se rapproche de l’Étranger, les poils hérissés.

« J’ai l’impression que quand je vous touche, ça vous fait quelque chose…
– Mais pas du tout ! Les anges, ça ne me fait rien du tout !
– Laissez-vous faire… »

L’Étranger l’embrasse, ce qui guérit Victor aussitôt. Il lui rend fougueusement son baiser et l’enlace avec passion. Puis Victor repousse délicatement l’Étranger, et se tourne vers son collègue, ahuri : « Bon, Georges, va faire un tour ! ». Georges est tellement éberlué qu’il obéit.

« Je connais une salle d’interrogatoire où on pourra être tranquille… susurre Victor à l’Étranger une fois Georges parti.
– Malheureusement, je n’ai pas le temps…
– Oh dis-donc ! Tu vas pas me chauffer comme ça et me laisser ! Allumeur !
– Cela te ferait plaisir que je revienne ?
– Un petit peu, mon neveu !
– Alors je te promets de revenir. Veux-tu que je donne du bonheur à tes camarades ? Ils m’ont l’air malheureux, eux aussi…
– Non non non ! Ils ne savent pas apprécier ce qui est bon !
– Bon, laisse partir cet homme que vous êtes en train de remercier à grands coups de poing.
– Si je le laisse partir, tu t’offriras à moi ?
– Non. Mais je te donnerai du bonheur.
– C’est la même chose, explique Cléanthe.
– Bon, une seconde. »

Victor sort un trousseau d’énormes clefs, puis pénètre dans la salle. Des éclats de voix se font entendre, et quelques minutes plus tard, il ressort avec Jonas, dont la bouche saigne, sur ses épaules.

« Bon… marmonne Victor, un air langoureux sur le visage. Je pourrais pas partir avec vous, en fait ?
– Chhhht… Je te promets que je reviendrai.
– L’Étranger ! murmure Cléanthe. Vous faites son bonheur ! Vous n’allez pas le frustrer maintenant alors que c’est en train de fonctionner !
– Je te veux tout de suite !
– Je n’ai pas le temps ! Il faut que j’aille à la tour de la Lune.
– Je la connais, la tour de la Lune ! Je peux vous guider !
– Très bien. Mais avant cela, il faut que je guérisse le pauvre Jonas. »
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Scène 8 : « Mais moi, je ne suis intime avec personne ! »
À l’extérieur de la caserne, des clameurs résonnent sous la pluie de petits pains et de bouteilles, légèrement moins drue. Les passants qui dépassent nos héros ont l’air plutôt heureux.

« Une éclaircie ! s’exclame Cléanthe. Après la pluie, le soleil ! Et après la tristesse, le bonheur !
– Je n’ai pas l’impression que la tempête soit finie… » remarque l’Étranger.

Victor, la main dans celle de l’Étranger, les mène vers la tour de la Lune, au centre de la ville (on la voit d’où qu’on soit). Sur le chemin, Cléanthe remarque qu’il n’y a plus aucun bruit de destruction et que les rues ne tremblent plus, comme c’était le cas plus tôt : la situation semble s’être apaisée. Il sourit, attendri, en direction de l’Étranger, qui n’a pas l’air très enjoué.

« Mettez-y un peu du vôtre, l’ami !
– Mais quoi ? C’est bon, je lui ai déjà donné du bonheur !
– Vous voyez bien que c’est plus long que prévu !
– Il y a des choses plus importantes, comme le 13e étage de cette tour ! Et la guérison de Jonas ! »

Sur ces mots, l’Étranger embrasse Jonas, sous le regard désapprobateur de Victor.

« Hmlglh ! », commence Jonas avant de s’apercevoir que sa langue est dans la bouche de l’Étranger. L’Étranger termine son baiser et Jonas s’aperçoit que ses dents et ses mâchoires sont toutes en place.

« C’est juste thérapeutique, rassure Cléanthe à l’attention de Victor.
– C’est bien, l’Étranger ! s’écrie Jonas. Tu as compris qu’il faut prendre ton bonheur là où il est !
– J’imagine que les anges sont pas liés par la monogamie, concède Victor, mais quand même…
– Ne t’inquiète pas, garde. Garde ? Mais qu’est-ce que vous faites avec un garde gris !?
– Il va nous aider à rejoindre la femme magnifique en haut de cette tour.
– Oui, l’Étranger et lui ont entamé une relation.
– C’est vrai ? Félicitations. Je suis heureux de voir que vous n’êtes plus retenu par les carcans de la société.
– Je ne comprends rien à ce que vous dites… Avançons au lieu de parler.
– L’Étranger ? Mais… qu’est-ce que vous faites là ? Et qui est cet homme à qui vous tenez la main ?
– Géraldine et Chesterfield ! Ça fait bien longtemps ! Comment allez-vous ?
– Ouais, dis-donc, t’as pas l’air très content d’nous voir ! enchaîne Chesterfield.
– Vous avez réussi à vous séparer de nouveau ?
– Ça fait un moment, mon gars ! Faut s’renseigner ! Pourquoi vous êtes avec un garde gris ?
– C’est un amateur d’ange… explique Cléanthe.
– Géraldine Chesterfield, bafouille Victor, vous êtes en état d’arrestation pour… invocation de…
– Tais-toi donc, mon petit garde.
– Mais c’est elle qui…
– Chhhht… Chesterfield a un bon fond. Je l’ai su tout de suite, ce soir, là… Vous vous souvenez, Cléanthe ? Nous étions dans cette fête, et je suis allé dans les toilettes… »

Chesterfield rougit. Géraldine baisse les yeux. Victor ne comprend rien.

« Ouais, ouais, j’m’en souviens…
– Mesdames, permettez-moi déjà de vous dire que vous êtes superbes, déclare Cléanthe en leur faisant un double baise-main.
– Merci, monsieur Cléanthe. Vous au moins, vous êtes un vrai gentleman.
– La politesse n’est que la pommade de la bourgeoisie », ronchonne Jonas.

L’Étranger s’avance pour embrasser Chesterfield, mais Cléanthe le tire en arrière.

« Un à la fois, l’ami ! Ne commencez pas à vous sentir pousser des ailes !
– Mais elle était heureuse la dernière fois que je l’ai fait !
– Contentez-vous déjà du bonheur d’une personne ! Vous allez tout gâcher ! Tournez-vous.
– Je comprends pas ce qu’il se passe, dit Victor à l’Étranger. Qui sont ces dames ? Monsieur l’ange, vous avez été intime avec elles ?
– Mais moi, je ne suis intime avec personne ! Je donne du bonheur, c’est tout !
– Mais qu’est-ce que je suis pour vous, au juste ?
– C’est vrai, ça ! demande Chesterfield. C’est qui lui pour toi ?
– Vous êtes… une once de bonheur… comme Chesterfield en est une, Géraldine aussi, Cléanthe… Souvenez-vous, Cléanthe, vous aussi je vous ai donné du bonheur ! Enfin, j’ai essayé.
– Monsieur, dit Géraldine à Victor, je serais vous, je n’irai pas fricoter avec ce sinistre individu ! Il va vous faire magnifiquement l’amour puis vous laisser tomber comme une vieille chaussette !
– C’est vrai ?
– Mais non, pas du tout ! Je dois donner du bonheur à plusieurs personnes. C’est compliqué.
– Je veux dire : c’est vrai que vous faites magnifiquement l’amour ?
– Je ne sais pas. C’est quoi, faire l’amour ?
– Écoute, mon ange… Je sais pas pourquoi, mais je sens que tout cela ne peut durer longtemps.
– Vous avez raison, dirigeons-nous vers cette tour.
– Non ! Il faut qu’on passe à l’acte avant !
– Non, je n’ai pas le temps !
– Prenez le temps, l’Étranger ! lui disent Jonas et Cléanthe.
– C’est bien la première fois qu’tu r’fuses de tirer ton coup !
– Exactement ! renchérit Jonas. Allez ! Dans la rue, devant tout le monde !
– Il s’avère que Cléanthe m’a appris que ce n’est pas comme ça qu’on fait.
– Baise, machine à trique !
– J’ai vu par ma propre expérience que le faire ainsi n’apportait que du malheur. J’ai donc décidé de ne plus le faire.
– Mais Cléanthe, il a jamais tiré sa crampe de sa vie !
– Si si, il l’a fait avec moi, et ça ne lui a apporté que du malheur.
– Ça faisait pas de grincements dans la cabine du bateau, en tout cas, observe Jonas.
– Je dois avouer que l’air marin m’a été profitable. Mais, l’Étranger, reprenons depuis le début. Dites-vous que tout ce que je vous ai dit jusqu’à présent, ça ne vaut rien, d’accord ? Maintenant, vous allez faire une bonne chose, et à fond. Vous allez prendre ce garde par la main, faire quelques pas, et vous donner complètement. Vous ne pouvez pas fuir les gens qui recherchent ce bonheur que vous pouvez leur apporter facilement !
– Ouais, prends-le, et pas que par la main ! ajoute Jonas. À poil l’Étranger ! À poil l’Étranger ! Libère-toi de tes vêtements !
– ÇA SUFFIT MAINTENANT ! crie Géraldine. Cette conversation me rend très mal à l’aise ! Étaler ainsi sa vie intime en public, ce n’est pas très plaisant !
– Nous sommes tous faits pareil ! À poil Géraldine ! hurle Jonas en enlevant sa chemise.
– Cela me rappelle, monsieur l’Étranger, les douloureuses blessures que vous m’avez infligées la dernière fois que nous nous sommes vus !
– Vous voyez, Cléanthe ? Elle a raison. Excusez-moi, Géraldine.
– Ne m’embrassez pas les mains ! Je ne suis pas encore prête à vous pardonner. Ni le pied ! Retirez-vous.
– Ouais, prend son pied !
– Pardonnez-moi ! Je vous jure que je ne vous ferai plus jamais l’amour ! C’est une erreur de faire l’amour aux gens !
– Mais… Vous n’avez rien compris ! »

Géraldine éclate en sanglots dans les bras de Chesterfield.

Y a que des lâches et des briseurs de cœur ici
« Bon, dit cette dernière, c’était pas l’bon moment, de toute évidence. On r’viendra. Jonas, quand vous aurez fini vos conneries, j’aurai une proposition à vous faire. Un partenariat.
– Quoi ? J’vais pas me compromettre dans une association dont je ne sais rien !
– J’croyais que t’étais une tête brûlée, un vrai rebelle ! C’est c’que tout l’monde dit depuis qu’t’es rev’nu ! Il paraît qu’t’as fait fuir une cargaison d’nonnes !
– Ouais…
– Eh bin, t’es d’la graine de Futuriste !
– De quoi ?
– Maintenant qu’on a terrassé l’Dieu Machine, y nous faut quelqu’un avec d’la poigne pour mener tout ça.
– Non ! J’s’rai jamais l’chef !
– J’te parle pas d’être chef, tête de con ! D’être co-chef, avec tout l’monde ! Enfin, avec des co-chefs un peu plus co-chefs que les autres.
– Non non, je veux que tout le monde soit égal ! Ou alors je serai pas Futuriste. Je serai… Aveniriste.
– Ouais, j’savais bien qu’t’avais pas d’couilles. Allez viens Géraldine, on s’en va. Y a que des lâches et des briseurs de cœur ici.
– C’est toi qu’a pas d’couilles !
– Vous y allez un peu fort, tout de même, tique Cléanthe.
– C’est parce qu’elle est jalouse !
– Toi, Brumaire, commence pas ! Toi aussi, t’es un lâche !
– Je ne m’appelle pas Cléanthe Brumaire.
– Peu importe ! Tu t’es fait piquer ta femme par le premier gardien d’zoo v’nu, sans parler d’ta maison…
– Qu’est-ce qu’une femme et une maison quand on a l’amour ?
– Parce que tu penses qu’Amandine est amoureuse de toi ?
– Indubitablement, répond Cléanthe en tirant une bouffée de sa longue cigarette.
– Tout cet amour, ça m’donne envie d’gerber, ponctue Jonas.
– Amandine Beaulieu n’existe plus non plus. Il n’y a plus qu’Amandine et Cléanthe Bonheur. Les voyages changent la vie… J’ai même adopté ses bananes.
– Vous aussi, Chesterfield, vous devriez essayer de trouver l’amour, conseille l’Étranger.
– Vous m’dégoutez tous. Allez, on s’casse. »

Géraldine et Chesterfield s’éloignent clopin-clopant, sous les dernières bouteilles de la pluie.

« Excusez-moi, demande Victor, c’était bien Géraldine Chesterfield ? J’ai rien compris… Elles ont réveillé le Dieu Machine ou pas ?
– Non, mais elles l’ont vaincu, apparemment. Enfin, si on peut les croire : parce que c’est encore un mouvement politique qui vise à asservir le peuple !
– Oh, je n’ai jamais entendu ni Géraldine ni Chesterfield dire un mensonge, proteste Cléanthe.
– C’est pas un mensonge, juste une demi-vérité !
– Une demi-vérité plus une demi-vérité, ça fait une vérité entière, non ?
– Peu importe, là n’est pas la question…
– C’est de la manipulation ! renchérit Jonas.
– Si Géraldine et Chesterfield le disent toutes les deux, c’est une vérité à deux pattes, désolé.
– Ça ne vaut pas une vérité vraie ! La vérité est un mensonge, de toute façon ! Tiens, je vais l’écrire sur ce mur.
– L’Étranger, continue Victor, je crois que je ferai mieux d’y aller. J’ai plus très envie de venir. Tomber sur deux de vos anciennes amantes… Et puis j’ai l’impression que les anges, c’est pas ce que je croyais.
– Qu’est-ce que vous voulez dire par amantes ?
– Vos anciennes coucheries… C’est pas très classe, quoi…
– Mais pas du tout ! C’était juste pour leur donner du bonheur ! Mais maintenant j’ai compris que ce n’était pas comme ça qu’il faut faire ! Cléanthe a été bien explicite là-dessus ! Je ne le ferai pas avec vous !
– C’est pas grave. Je me contenterai des gigolos qui mettent des ailes dans les boîtes à la mode. Je crois même que c’est mieux.
– J’ai un très bon établissement rue des Nymphes, si vous le souhaitez, propose Cléanthe.
– Je ne sais même pas ce que c’est, un ange…
– Oui, Le Froufrou, je connais. Oui, je crois que ce sera mieux…
– Il paraît qu’il y a des auréoles de contrebande qui circulent, le prévient Jonas. Méfiez-vous, ça gratte après.
– Ne vous inquiétez pas, on a mis un terme à tout ça : la Ligue de Vertu a été massacrée, donc bon…
– Massacrée ?!
– Oui, les hommes-ciseaux ont fait une descente, et… C’était pas beau à voir, d’après mes collègues.
– Même Miss Wellington ?
– Non, elle s’en est tirée. Elle est en convalescence maintenant.
– Dès que je la vois, ça me donne envie de vomir… intervient l’Étranger.
– Il faut mettre un terme à tout ça, assène Jonas.
– L’Étranger… Adieu.
– Au revoir ! Dommage, ajoute l’Étranger une fois Victor parti, il nous aurait bien aidés…
– Vous avez fait tout ce qu’il fallait pour qu’il ne reste pas.
– Oh, ça suffit ! C’est vous-même qui m’avez dit de ne plus coucher avec personne !
– Vous prenez tout au pied de la lettre… Bon, allons chercher cet ascenseur, vous serez peut-être un peu plus supportable après.
– Il est en panne, l’ascenseur ! s’écrie Jonas. La société est figée ! Regardez autour de vous !
– Non, vous vous trompez, Jonas. Ses boutons sont cassés, mais le treizième marche. »

Scène 9 : Premier étage
À l’intérieur de la tour, il fait atrocement sombre. Quelques torches illuminent à peine les murs d’obsidienne du grand hall d’entrée ; des murmures bruissent entre les piliers, mais personne n’est visible.

« J’ai bien fait de résilier mon abonnement aux adorateurs de Nindra, observe Cléanthe. Je n’aime plus vraiment ces ambiances tamisées.
– Bon, où se trouve l’ascenseur ?
– C’est la demeure de Nindra, ici, non ? demande Jonas. Je vais peindre mes slogans partout !
– Vous avez développé un sacré coup de pinceau, l’ami !
– Oh, c’est sûrement à force d’observer Amandine ! »

L’Étranger déambule dans le hall et finit par trouver un ascenseur, juste à côté des escaliers, qui ne ressemble pas vraiment à celui qu’il avait vu en rêve, et qui n’est pas doté d’un bouton d’ouverture. Il ouvre ses portes, et se retrouve face à une cage d’ascenseur vide.

« Cléanthe ! Jonas ! Appelez l’ascenseur ! »

Cléanthe penche sa tête dans le puits sombre : « On voudrait monter, s’il vous plaît ! » crie-t-il. Une voix mécanique lui répond : « Permissions refusée.
– Et pour quelle raison ?
– Permission refusée.
– Mais je dois aller voir la femme magnifique ! »

Un rire semble dégringoler de la cage d’ascenseur.

« Vous pourriez montrer un peu plus d’égard à notre égard ! ronchonne Cléanthe.
– Montons par l’escalier » propose l’Étranger.

Les marches de l’escalier semblent innombrables ; lorsque le trio arrive au premier étage, après ce qui leur semble être presque une heure, ils sont déjà morts de fatigue (sauf l’Étranger, qui n’est jamais fatigué). Cléanthe avait entamé une chanson pour les motiver, mais s’était vite arrêté, inquiété par l’absence d’écho.

À peine sont-ils arrivés sur le palier qu’une voix, la même que dans le rêve de l’Étranger, annonce : « Premier étage ». Devant eux, une salle de bal où résonne un violon joué médiocrement, et des danseurs vêtus de noir qui valsent.

« Où est le buffet ? s’enquiert Cléanthe. Je prendrais bien un remontant… Ces étages sont interminables.
– Nous n’avons pas le temps, proteste l’Étranger, il faut monter !
– Je ne tiendrai pas treize étages comme cela…
– Mais je n’ai pas le temps !
– Eh bien moi, j’ai tout mon temps.
– Jonas, vous m’accompagnez ?
– Envers et contre tout, j’arriverai au 13e étage, lui répond Jonas, pour clamer à la face du monde la vérité ! Allons-y ! Mais… pas trop vite.
– Bon, prenez un verre d’eau ou je ne sais quoi, et allons-y. »

Cléanthe se dirige vers le buffet, tandis que les danseurs l’évitent avec grâce. Le barman est un gorille qu’il lui semble reconnaître.

« On s’est déjà vus, non ? Sur un bateau ?
– Hmppf !
– Barnabé ?! s’exclame Jonas.
– Hmppf… »

Jonas s’approche et se rend compte qu’il s’agit de quelqu’un qui porte un costume.

« Pardon, c’est rien…
– Un verre d’eau, monsieur, s’il vous plaît. Avec un peu de sirop de violette. »

Le barman lui tend un verre d’eau, dans lequel est plongée une petite carte où est tapé à la machine : « Le guide fidèle chantera les louanges du guerrier disparu ».

« Jonas, ça vous inspire quelque chose ?
– Probablement une fausse prophétie.
– Il ne tient qu’à nous de l’accomplir, mais j’aimerais bien savoir si c’est positif ou négatif…
– Vous savez, depuis que j’ai compris que les prophéties n’étaient que des chaînes qui nous retenaient au sol, je vole. J’ai cessé d’y croire.
– Moi, je pense qu’une prophétie est une inspiration pour nous donner des ailes, et pas quelque chose de figé dans le marbre. Un guide fidèle… c’est un chien… chantera les louanges du guerrier disparu… quel guerrier, pff… Quelqu’un a disparu récemment en ville ? »

Les danseurs se sont arrêtés, et se dissolvent lentement autour de Cléanthe, seule tache de blanc dans la pièce.

« Bien, j’ai repris mon souffle. Peut-être un étage de plus me donnera-t-il de l’inspiration quant à cette prophétie et ce qu’on pourrait en faire… Montons donc. Le sol devient collant, en plus. »
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Emöjk Martinssøn
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Scène 10 : Deuxième étage
Le trio reprend les escaliers ; les marches leur semblent moins lourdes, cette fois-ci. Ils arrivent sur un palier et une voix annonce : « Deuxième étage », alors qu’une odeur très désagréable leur vient au nez. De larges rigoles courent sur le sol et charrient des détritus flottant sur tout l’étage ; de la plus proche d’entre elles, quelque chose flotte vers eux, un amas de… trucs, qui s’arrête à leur hauteur. Cléanthe, un mouchoir parfumé à la violette sur le visage, le regarde avec dégoût.

Le truc sort de la rigole, étend une sorte de pseudopode, puis un deuxième ; une protubérance s’élève et une faible voix en sort : « Cléanthe… Nous avons un marché… Tu dois m’aider…
– Mais de quoi parlez-vous ?
– Ne fais pas l’innocent, Cléanthe… Tu as toujours un contrat avec moi… Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement…
– Jeff ? Vous avez changé de tête depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.
– Oui… Ils ont essayé de m’éliminer, mais… on ne m’élimine pas aussi… facilement…
– Bien ! Et que puis-je faire pour vous ?
– Sortez-moi de là… Aidez-moi à retrouver un corps…
– Eh bien, si vous vous laissez couler jusqu’au fond de la rigole, ça devrait vous mener à l’extérieur.
– J’ai besoin… d’une nouvelle enveloppe…
– Eh bien, j’en ai une ici, mais il y a une lettre à l’intérieur, je ne peux pas vous la confier.
– Qui est cette personne ? demande l’Étranger.
– Je crois bien que c’est Jeff l’Usurier, mais il a pris un coup de vieux.
– Un sale type ! ajoute Jonas. Un profiteur !
– On m’a demandé de travailler pour lui, à une époque…
– Je te reconnais toi, l’ange… l’ange corrompu…
– Mais pourquoi tout le monde m’appelle comme ça ?! Je ne sais même pas ce que c’est, un ange !
– C’est une facilité de langage, cher ami. Mais mon cher Jeff, je suis désolé, le contrat a été revu. Ma dette appartient à Chesterfield.
– Elle aussi, elle m’a trahi… Bientôt, je reviendrai, Cléanthe… et je n’oublierai pas ceux qui m’ont trahi…
– Vous n’avez jamais su vous entourer correctement. Mais je dois dire que techniquement, je ne vous ai pas trahi ! Et je puis même vous dire une deuxième chose : je suis très mécontent de ce contrat. J’avais droit à une menace de mort tous les quinze jours, et voilà bien longtemps que je n’ai rien eu. Je ne m’en plains pas, mais force est de constater que c’est vous qui avez rompu le contrat.
– Je reviendrai ! Et tu seras le premier à mourir, Cléanthe Brumaire !
– Vous faites erreur. Cléanthe Brumaire a disparu en mer.
– Je crois qu’il essaye de se rattraper sur les menaces de mort… observe l’Étranger.
– Oui, il essaye de faire tout d’un coup. Mais ça ne prend pas, monsieur l’Usurier, j’en suis bien désolé. Maintenant, si vous voulez bien retourner au fond de notre rigole et nous laisser passer, ce serait fort aimable de votre part. »

Jeff se renfonce en effet, mais avant qu’il ne dérive, Jonas tente de lui mettre le feu.

[Je demande à @kiraen de tirer une carte « Résolution ». @Ozen lit : « Oui, mais… Vous réussissez, mais quelque chose qui n’a rien à voir se passe mal, pour vous ou quelqu’un à qui vous tenez ».]


Jeff l’Usurier prend feu ; dans un hurlement, il se jette dans la rigole, dont les détritus s’enflamment à leur tour. Il s’extrait par un orifice du mur, par laquelle la rigole s’écoule, et tombe en flammes au milieu d’une rue d’Itras, en contrebas… là où passaient Géraldine et Chesterfield au même moment. Le feu prend et entame les jambes de bois des deux sœurs jumelles, alors que Jeff, clapotant dans son brouet fumant et brûlant, les maudit de sa voix étranglée.

Scène 11 : Troisième étage
Cléanthe, Jonas et l’Étranger enjambent les rigoles enflammées qui les séparent des escaliers d’en face, et montent jusqu’à un nouveau palier. Une voix annonce : « Troisième étage ». Un labyrinthe de miroir les accueille : Jonas entreprend aussitôt de les briser pour avancer en ligne droite. Au bout d’une dizaine de miroirs, il arrive au milieu de la pièce, et alors qu’il lève le poing pour briser à nouveau la glace, il se rend compte que ce n’est plus son reflet qui lui fait face, mais celui d’un petit homme avec un costume trop grand pour lui et un air triste, qui le regarde d’un air surpris.

« Salut, l’ami.
– Euh, bonsoir ?
– Mais ! s’écrie l’Étranger. J’ai une bouteille à vous !
– Ah bon ?
– C’est pas vous qui vendez vos âmes ?
– Je ne sais pas, je ne suis qu’un reflet… de moi-même…
– Et où êtes-vous ?
– Eh bien, je suis là, dans ce miroir…
– Je… Euh… Oh, c’est trop compliqué pour moi.
– Vous auriez peut-être l’amabilité de nous donner l’emplacement d’un raccourci pour arriver au treizième étage ? demande Cléanthe.
– Un raccourci ?
– Oui, ou un mot de passe pour faire fonctionner l’ascenseur ?
– Un mot de passe ? Je suis désolé, mais non…
– Eh, mais moi aussi j’ai une bouteille à vous, d’ailleurs ! Regardez ! »

Cléanthe sort une bouteille de son veston ; en même temps, le petit homme fait le même geste dans son pardessus et sort une bouteille identique.

« Vous voyez bien que ce n’est pas ma bouteille, dit-il, puisqu’elle est là…
– Vous en avez plusieurs, naturellement.
– Vous voulez acheter une âme ?
– Non, ça ne m’intéresse pas. Je m’en suis trouvée une récemment.
– Et vous, monsieur ?
– Non, répond l’Étranger, les âmes c’est que des problèmes…
– Et vous ?
– Gardez-les, vos âmes ! répond Jonas.
– Vous n’allez pas briser ce miroir, tout de même ?
– Et pourquoi pas !
– Parce que vous allez me faire disparaître…
– Vous faire disparaître ou vous libérer de cette prison ?
– Cette prison ?
– En même temps, ajoute l’Étranger, vous n’êtes qu’un reflet !
– Ah bon ?
– C’est vous-même qui l’avez dit !
– J’ai dit ça ? Ah, peut-être…
– Allez, écarte-toi, petit homme !
– Mais je ne peux pas… Je dois reproduire vos mouvements…
– Très bien. Je vais briser ce miroir, et en éparpiller…
– Non, attendez, Jonas ! Peut-être auriez-vous la gentillesse de nous guider jusqu’à la sortie ? Disons que c’est nous qui allons imiter vos mouvements.
– Tiens, oui, je suppose que je peux passer à un autre miroir…
– Voilà, et Jonas, vous briserez le dernier.
– Très bien, je vous suis, dans ce cas. »

Ils commencent à avancer, suivis par le reflet qui les mène dans une direction, à moins que ce ne soit l’inverse. À force de contorsions et de détours, ils parviennent au bout du labyrinthe, face à un escalier.

« Maintenant, annonce Cléanthe, si vous voulez bien vous retirer dans un autre miroir, mon ami Jonas pourra exercer ses pulsions de vie exacerbée.
– En brisant ce miroir et en le répartissant aux quatre coins d’Itras By, vous pourriez visiter toute la ville, non ? propose Jonas.
– Je… Je suppose, oui. Dans ce cas, allez-y. »

Jonas brise le miroir et en collecte les morceaux dans sa chemise, qu’il tient à la main depuis tout à l’heure. Dans chacun des reflets se trouve une version miniature du petit homme.
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Scène 12 : Quatrième étage
Nos héros reprennent leur ascension et gravissent l’escalier jusqu’à un nouveau palier. Une voix annonce : « Quatrième étage ». Face à eux, l’intérieur d’une église : des rangs de bancs, un autel face à eux, et un escalier derrière. Des nonnes, qui leur tournent le dos, peuplent les bancs.

« Des nonnes ? remarque Cléanthe. Ça n’est jamais bon signe, ça… Passons notre chemin discrètement.
– J’aime bien les nonnes, moi », l’Étranger.

Les trois hommes avancent et se rendent compte, en les dépassant, que les robes de bure sont vides ; ou plutôt, elles sont remplies par des squelettes et quelques cadavres en décomposition. En se rapprochant de l’autel, ils constatent également qu’il n’est pas frappé du symbole d’Itras, mais de celui de Nindra. Derrière l’autel, sœur Augusta est étendue, raide morte, au sol.

« Mais enfin ! s’écrie Jonas. Il faut faire quelque chose !
– Moi, j’ai déjà essayé… prévient l’Étranger.
– Ah, c’est vous qui en avez fait une nionne ?
– Une quoi ?!
– Une nionne ! Elle était sacrément en colère, elle a failli manger Amandine !
– Mais sœur Eusébie est en vie ?
– Oui, je l’ai ressuscitée.
– Et elle a failli manger Amandine ?! Eh bien… Mais que peut-on faire pour la pauvre sœur Augusta ?
– Je peux la ressusciter, comme l’autre, mais c’est assez aléatoire.
– Eh bien allez-y ! On ne peut pas la laisser dans cet état-là !
– Attendez, c’est peut-être un piège. Cette tour me semble pleine de faux semblants. Et si ce n’était pas elle ? Et si c’était elle, mais qu’elle avait finalement rencontré la sainte lumière d’Itras au bout de son chemin de vie ? Peut-on la priver de la félicité ?
– Ah non ! Si elle est libre de son enveloppe charnelle, ce serait criminel de l’y emprisonner à nouveau. Eh bien, nous repasserons au retour !
– Il n’y aura pas de retour… murmure l’Étranger.
– Et pourquoi ?
– Je ne sais pas. J’ai comme une impression.
– Eh bien, s’il n’y a pas de retour, c’est que nous aurons enfin réussi à nous libérer du carcan de la réalité.
– Jonas, ce qui est dans votre tête est trop compliqué pour moi.
– Mais c’est pas dans ma tête ! C’est dans mes os !
– Oui, où vous voulez.
– Vous êtes désespérant. Mais je comprends : vous n’avez pas été formé à cela… Il faudrait que nous lancions une grande initiative d’éducation angélique pour permettre à vous et vos semblables…
– Mais enfin !! Je ne suis pas un ange ! Je vous le répète !
– Écoutez, tout le monde s’accorde à vous qualifier d’ange…
– Je ne sais même pas ce que c’est ! Ni à quoi ça sert ! Dites-le moi !
– À porter le bonheur autour de lui, je suppose, en accomplissant des miracles… Un ange a libéré ma famille de la malédiction des Grimasques, vous savez, et de très nombreux autres.
– Je ne savais pas… Je suis peut-être un ange, alors…
– Je ne sais pas : vous faites des miracles, ce qui est un bon indice, mais vous n’avez pas d’ailes, ni d’auréole… »

Scène 13 : Cinquième étage
La conversation se poursuit alors que nos héros montent les escaliers, encore une fois un peu plus étroits que les précédents.

« Cinquième étage », annonce une voix, mais on le sent avant d’y arriver : des bourrasques de vent s’engouffrent dans l’escalier, et au centre de la pièce, une sorte de tornade fait rage. Le trio est obligé de s’accrocher à la rampe qui court le long des murs pour ne pas être projetés en l’air.

« Ça, c’est pas banal ! s’écrie Cléanthe. Si on s’attache avec un morceau de vêtement à la rampe, et qu’on se laisse porter par ce vent circulaire, cela devrait nous amener de l’autre côté. »

Aussitôt, StJones arrache le bas des jambes de son pantalon ; Cléanthe y lie son mouchoir et l’Étranger son pardessus, son seul habit. Ils commencent à faire le tour en faisant difficilement glisser leurs vêtements le long de la rampe, et aperçoivent un éclat rougeoyant au centre de la tornade. Un bref instant, les vents se calment et on peut voir monsieur Crane, les yeux rouges, au centre de la pièce.

« Il a pris son rôle d’adorateur de Nindra trop à cœur, ce pauvre monsieur Crâne… » explique Cléanthe.

La tempête reprend, alors qu’ils atteignent l’escalier et continuent à monter. L’Étranger se rhabille, cachant son corps nu et les moignons de son dos qui étaient peut-être, à une époque, des ailes…
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Scène 14 : Sixième étage
Une voix annonce : « Sixième étage ». C’est un cabaret, semblable au Cabaret Lilith, où se produit Ida Jerricane sur scène ; le reste de la salle est désert. Elle danse avec une banane qui fait à peu près sa taille et crache des cercles de feu enflammés, au travers desquels la banane saute. À chaque saut, des applaudissements jaillissent des tables vides. Jonas et Cléanthe s’y joignent ; la banane se tourne vers ce dernier et piaille : « Papa ! Papa ! ».

Cléanthe la prend dans ses bras, mais ne parvient pas à se dégager.

« Ma petite, je suis très heureux de te revoir…
– Papa, j’ai faim !
– Eh bien, il faut manger, mon enfant !
– Oh ouiii ! Je vais te manger !!
– Non, on ne mange pas son papa ! »

Cléanthe sent que la banane essaye de l’absorber ; sa force le dépasse largement. Il y laisse sa veste, mais sent sa main commencer à s’enfoncer dans la pulpe de la banane.

« Mais enfin, ce ne sont pas des manières ! Que dirait ta mère ?
– Mama, elle est morte ! »

Jonas et l’Étranger réalisent alors que ce n’est pas Ida qui danse sur scène, mais son cadavre.

« Mais non, voyons ! Je l’ai vue tout à l’heure !
– Non, elle est morte ! Toi aussi, tu vas mourir ! Vous allez tous mourir !
– Arrêtez avec cette banane, Cléanthe ! ronchonne l’Étranger. Nous sommes pressés ! Lâchez ce fruit !
– C’est que je ne peux pas me dépêtrer ! Il me digère la main ! »

L’Étranger s’approche de la banane et l’épluche.

« Non ! hurle Cléanthe. Ne fais pas ça ! N’épluche pas mon fils ! »

L’Étranger achève son geste : de la banane sortent deux bananes, chacune moitié moins grande que la précédente, ce qui dégage la main de Cléanthe. Les deux bananes se tournent vers l’Étranger et gazouillent : « Pourquoi t’as fait ça ! On va te tuer ! ».

L’Étranger les épluche : quatre bananes en sortent.

« Arrêtez ça, l’Étranger ! Vite, partons ! »

L’Étranger, qui trouve ça drôle, épluche les quatre bananes qui deviennent huit. Cléanthe, dont le bas de costume est redevenu gris, et Jonas le poussent vers l’escalier, les bananes aux trousses.

Scène 15 : Septième étage
« J’en aurais bien mangé une… regrette l’Étranger.
– Mais ça marche pas comme ça, l’ami ! C’est comme le bonheur, c’est pas ce que vous croyez !
– Septième étage », annonce une voix.

Le septième étage ressemble à un appartement qui n’aurait pas été rangé depuis une éternité. Seul un espace est légèrement dégagé, autour d’une boîte à chapeaux renversée par terre.

« Les amis, je ne veux pas voir ça… gémit Cléanthe. Je ne sais pas ce que nous réserve la tour, mais cet étage-là me déplaît particulièrement.
– Il ne faut pas ouvrir la boîte à chapeaux, prévient l’Étranger. Il y a un monde à l’intérieur.
– Revenez ! On a faim ! crient les bananes !
– Ouvrons la boîte, suggère l’Étranger. Peut-être que les bananes sauteront dedans !
– Nous ne serons pas entraînés dans l’ouverture ? Cette tour est décidément un piège… »

Alors que Cléanthe et Jonas courent vers l’escalier, l’Étranger soulève la boîte pour la jeter vers les bananes : des centaines de nano-bananes en sortent en hurlant.

« COURREZ POUR VOS VIES ! » crie Cléanthe.

L’Étranger essaye d’écraser les bananes, malgré les protestations de Jonas, mais quelques-unes se faufilent sous son pardessus et se mettent à le grignoter. Il se frappe pour les écraser et court vers les deux autres, se débarrassant de la boîte.

Cléanthe court les yeux fermés vers les marches, et ne voit pas le tableau grandeur nature qui représente Amandine, posé en bas de l’escalier, leur barrant la route. Jonas crie pour le prévenir, et Cléanthe ouvre les yeux à temps pour hurler d’horreur. Son costume replonge quelques secondes au noir, puis redevient gris. La fleur à sa boutonnière a fané.

Sur le tableau, Amandine est entièrement nue et entourée de ses bananes, telle une Vénus. Cléanthe tente de le pousser sans trop le regarder, et se rend compte qu’il est moisi ; sa main passe au travers.

« Et ça, ce serait la femme magnifique ? Pff ! » se moque l’Étranger.

Cléanthe se retourne et le gifle.

« Vous l’avez pas volée, celle là ! » rit Jonas.
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Scène 16 : Huitième étage
« Maintenant, vous allez la fermer ! rugit Cléanthe. Vous étiez pressé de monter ? Vous allez passer devant et monter, et plus vite que ça ! On reste pas ici !
– Cléanthe, reprenez-vous ! Qu’est-ce qu’il vous prend ?
– Je ne sais pas… Je… Un moment d’égarement.
– Un mauvais pressentiment ? demande l’Étranger.
– Je ne sais pas ! Avancez donc !
– Huitième étage », annonce une voix.

Le huitième étage ressemble à une grande pièce en longueur dont on peine à distinguer le fond, où doit se trouver un bureau. Un homme, derrière, est assis. Derrière eux, inexplicablement, nos héros entendent des chaussons qui s’approchent : « Messieurs, veuillez vous asseoir, murmure une voix.
– Non, on va continuer notre route. Auriez-vous l’obligeance de nous montrer la sortie ?
– Vous avez rendez-vous ?
– Pas du tout.
– Il faut attendre votre tour, alors. Monsieur Marek reçoit uniquement sur rendez-vous.
– On n’est pas là pour voir monsieur Marek, ce salaud ! répond Jonas.
– Qui est monsieur Marek ? demande l’Étranger.
– Un marin. »

Les trois personnages ont soudain la nette impression d’être observés depuis l’autre bout de la pièce.

« Bon, avançons, dit Cléanthe. Je ne veux pas rester ici ! Je passe une journée exécrable ! »

Il avance, encore et encore, mais a pourtant la sensation de faire du surplace.

« Marek ! crie StJones. Cesse tes enfantillages ! Laisse-nous passer ! Entre marins… »

Seul le bruit des embruns lui répond. Il baisse les yeux et constate que de l’eau leur arrive jusqu’aux chevilles.

« Bien, faisons un bateau ! Ça nous rappellera le bon vieux temps ! Et ça vous remettra peut-être du baume au cœur, Cléanthe !
– Rien de tel que l’air marin pour cela, sourit Cléanthe. »

L’eau commence à monter ; Jonas attrape les chaises derrière eux, faites de bois et d’enfants apathiques, et Jonas les exhorte à nager tandis que l’eau leur arrive au menton. Ils finissent par se mettre à clapoter, tout doucement ; Jonas en fait un attelage et monte dessus avec Cléanthe. L’Étranger, révulsé par ce spectacle, nage seul à côté.

À l’autre bout de la pièce, le bureau est entièrement submergé, mais on voit à travers l’eau claire Marek encordé au meuble par les poignets et les pieds, un coupe-papier planté dans le cœur. Au loin, derrière, Georges, son serviteur, ricane : « Enfin libre ! ».

Arrivé à l’escalier, Jonas libère les enfants, qui rampent à nouveau vers l’eau.

« Jonas, vous connaissiez cet individu ? demande Cléanthe.
– Bah oui, c’est Marek le marin. Un personnage qui est à l’origine de bien des affaires… C’est l’homme dont j’ai bu toute la flasque. »

Scène 17 : Neuvième étage
« Neuvième étage », annonce une voix.

La lumière est toujours aussi faible, et une forte odeur âcre envahit les narines de l’Étranger, Jonas et Cléanthe. Ils se trouvent dans une cave, remplie de bouteilles où clapote un liquide noir ; non loin, une chose ectoplasmique semble les dévisager.

« Je suis mal à l’aise, ici, dit l’Étranger. Partons vite de cet endroit.
– Tiens, vous retrouvez des jambes ? se moque Cléanthe.
– Arrêtez d’être désagréable !
– Trayez-moi, hmmmm ! Trayez-moi !! geint l’Entité Noire. Martin, c’est l’heure ! »

Un pseudopode tente d’attraper la jambe de Jonas.

« Toi ! Traie-moi !
– Non, j’ai arrêté !
– Jonas, je crois que cette chose essaye de vous ôter votre liberté…
– Mais oui ! Elle a été vaincue mais ne le reconnaît pas ! Puisque je vous dis que je ne suis plus esclave de la bouteille !
– Esclave un jour, esclave toujours, hmmm ! La liberté, ça n’existe pas !
– Elle est partout autour de nous ! Dans l’air qu’on respire !
– Nooon !
– Partout, je te dis !
– Nooooooon !
– Dans les larmes des enfants !
– Aaaaaah !
– Jonas, ça semble marcher ! Entamez un chant, je le reprendrai !
– Je ne chanterai pas face à cette chose. Je ne veux que lui asséner ce dont elle manque dans ce réduit pitoyable ! Tu n’as plus d’esclave, chose !
– Si, Martin ! J’ai un contrat !
– Ne sais-tu pas qu’il l’a échangé ?
– Non, c’est faux !
– Martin aujourd’hui travaille pour les hommes-ciseaux et a trouvé son salut dans la grâce d’Itras. Il a juré fidélité aux nonnes.
– Il m’a trahiii !
– Oh oui. Il a découvert qu’il avait le droit d’être libre, lui aussi. »

L’Entité se recroqueville sur elle-même ; il leur semble presque l’entendre pleurer.

« Libère-toi, toi aussi. Libère-toi des souffrances en admettant que c’est la fin.
– Ça pleure, les Entités noires ? s’étonne Cléanthe.
– Il semblerait… »

L’Entité se dissout complètement, en même temps qu’une lumière grisâtre emplit la cave, révélant un escalier au loin.
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Emöjk Martinssøn
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 18 : Dixième étage
« Dixième étage », annonce une voix.

Cléanthe a l’impression de reconnaître les lieux : cela ressemble bien à son salon, en tout cas.

« Qu’est-ce que j’avais mauvais goût ! s’amuse-t-il. Ce papier peint mériterait d’être changé.
– Ça me rappelle des souvenirs… dit l’Étranger.
– Mais oui ! Voilà le canapé sur lequel vous dormiez ! Bien, si je ne me trompe pas, l’escalier serait donc par ici.
– Attention, Cléanthe, avertit StJones. N’ouvrez pas les placards.
– Mais… Je n’en ai pas l’intention. Il n’y a plus rien qui m’intéresse dans cette maison. »

On entend en effet des coups venant des placards.

[ @kiraen demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « Némésis. Cette carte réveille la némésis d’un personnage. Son ennemi juré affecte la situation d’une manière ou d’une autre, à vous de décider comment. Le personnage n’avait pas d’ennemi juré ? Eh bien maintenant, il en a un ».]


La porte du placard s’ouvre : il en sort un être identique en tous points à l’Étranger.

« Vous voulez du bonheur ? demande-t-il à Cléanthe. Hein ? Venez là que je vous embrasse ! »

Sans attendre, il se jette sur Cléanthe qui recule.

« J’ai tout le bonheur qu’il me faut, je vous remercie !
– Non ! Tu ne le sais pas mais tu as besoin de bonheur ! »

Il s’avance à nouveau ; Cléanthe bascule derrière le canapé, repoussé par l’odeur de cendre froide et de sueur rance de la créature.

« Si ! Tu veux du bonheur !
– J’en ai fini avec tout ça ! J’en ai, du bonheur ! Tu peux t’en aller, j’ai tout ce que je voulais ! »

L’Étranger tente d’attraper son double, mais ses bras passent à travers.

« C’est pas moi qui a besoin de bonheur ! contre-attaque Cléanthe. C’est toi qui en as besoin ! Tiens, d’ailleurs, c’est moi qui vais t’embrasser ! »

Cléanthe l’embrasse à pleine bouche ; le double tombe aussitôt en poussière. Cléanthe tire une cigarette de son étui en argent et l’allume en regardant l’Étranger.

« T’as compris ?
– Monsieur Cléanthe, cette façon de faire était pathétique.
– T’en veux aussi, du bonheur ?
– Je n’en veux pas, j’en donne ! Ne vous approchez pas de moi !
– Il serait peut-être temps que tu en reçoives…
– C’était une caricature de moi-même !
– Eh bien voyons ce que ça fait à l’original, alors…
– Ça me fera rien du tout.
– Vous en êtes sûr ? Pourquoi reculez-vous, dans ce cas ?
– Ce sont vos yeux, ils sont injectés de sang… et votre costume est gris foncé… Vous me faites peur.
– Ah bon !? Ah bon. Ah. Bon. Alors pardon.
– Vous suintez le mal ! Et ne me soufflez pas votre cigarette à la figure.
– Bon, et si nous reprenions notre chemin ? propose StJones.
– C’est vous qui avez voulu qu’on rentre dans cette tour, l’Étranger. S’il y a bien quelqu’un qui sera responsable des conséquences de ce qui arrive ici, c’est vous.
– C’est bien vrai, ça, renchérit Jonas.
– Je ne vous ai pas demandé de me suivre ! proteste l’Étranger.
– Oh, pitié… Allez, avancez donc, que nous vous suivions. Mettons nos pas dans les vôtres, pour notre bonheur.
– Ah, ça me fait plaisir ! »

Scène 19 : Onzième étage
À l’étage de chez Cléanthe, une voix annonce : « Onzième étage ». C’est une salle de bar, tellement enfumée qu’on n’y distingue pas grand chose. Au fond de la pièce, quelqu’un joue une mélodie triste à mourir à la guitare. Toutes forces quittent le trio.

« Et voilà… râle Cléanthe. On va encore avoir droit au seul homme qui était plus pathétique que moi à Itras By.
– C’est le passé, Cléanthe ! lui répond Jonas. C’est une illusion !
– Vous suintez le malheur, tous les deux… dit l’Étranger. Depuis que nous montons ces marches, le malheur s’abat sur vos épaules.
– Et vous, l’ami ? On en parle de cette odeur rance que vous rendez depuis ce matin, et qui ne va pas en s’arrangeant à mesure que vous faites des efforts ? Vous transpirez tout nu sous votre pardessus ! Brrr, quand je pense au contact de votre peau sur l’étoffe dégueulasse qui vous recouvre… Mon Dieu…
– Vous savez, c’est très matérialiste, ce que vous dites.
– Je n’aurais jamais dû vous inviter sur mon canapé, l’Étranger. »

On entend des coups de feu, et des bruits de corps qui tombent. La musique s’arrête, et Jonas entend sa propre voix venant de la scène : « Tu es encore coincé ici ?
– Non, je ne suis que de passage !
– Tu penses que tu te rebelles, mais quand il n’y aura plus rien contre quoi se rebeller, que feras-tu ?
– Je me rebellerai contre le néant ! Et je lui cracherai au visage. Pas de passé, pas d’avenir !
– Pas d’avenir ? Tu vas rester là pour toujours, alors ?
– Rien que le présent.
– Et après ?
– Après ? Y a pas d’après ! Plus jamais !
– Tu es donc satisfait du néant auquel tu vas retourner ?
– Nous en venons, nous y allons… Ce qui compte, c’est ce qu’on fait entre les deux.
– Tu ne vaut pas mieux que cette fumée de cigarette… et tu le sais.
– Ça, c’est bien vrai ! Pas plus que toi ! Pas plus que lui ! C’est bien ça, la beauté du geste ?
– Et tes parents ? Tu vas les laisser sans leur fils ? Et Barnabé ? Tu as pensé à son malheur ?
– Oh, ils apprendront… Et Barnabé, il a pensé à mon malheur, quand il m’exploitait ?
– Il ne t’a jamais exploité. C’était ton ami, tu le sais.
– Oui, certes… Je serais content de le revoir. Mais tu sais, les amis, ça va, ça vient…
– Mais arrêtez donc de parler avec vous-même ! intervient l’Étranger.
– Si je veux ! C’est une conversation privée !
– Tu ne peux que parler à toi-même, Jonas, reprend la voix depuis la scène. L’égoïsme, tu ne connais que ça. Il n’y a que toi dans ton monde.
– Tout à fait. Moi et tous ceux qui écoutent ma voix, qui suivent mes conseils… Ceux qui se libèrent à mon impulsion, qui changent…
– Personne ne change à ton contact. Au mieux, ils pourrissent.
– Près de moi, ils deviennent autres. Ils avancent. Ils n’aiment pas cela, mais ils avancent.
– Non. Tu le sens bien quand tu chantes tes chansons de révolution : ce n’est pas ça que tu es destiné à chanter.
– Bah, le destin… Le destin n’est rien. Le destin, c’est comme une flaque d’eau : une fois que la pluie est passée, on l’oublie. Faut juste pas céder à ses sirènes.
– Prouve-moi que tu as changé, dans ce cas. Prouve-toi que tu as changé.
– J’ai rien à prouver. Mais je t’écoute.
– C’est moi qui t’écoute. »

Jonas, qui faisait les cent pas, bute contre une guitare. Il l’attrape et se lance dans un duel contre son double, qui égrène des notes plus tristes encore que tout à l’heure : Cléanthe et l’Étranger fondent en larmes. StJones, lui, se lance dans un riff rageur et moqueur. Le double joue de manière légèrement plus vive : StJones accélère. Le double accélère à son tour : StJones chantonne des paroles gouailleuses. Le double tente de le copier à nouveau, mais il a un temps de retard et finit par casser sa guitare par terre en criant : « ÇA SUFFIT ! ». Jonas, de joie, fait de même. La fumée se dissipe : la scène est vide, comme le reste du bar.

Cléanthe pose sa main sur l’épaule de Jonas.

« Vous nous avez montré une belle leçon. Bravo.
– C’est pas une leçon ! C’était un défi. Enfin, c’était un truc. On n’en a rien à battre, de toute façon !
– Je crois qu’au fond de lui-même, il est malheureux… murmure l’Étranger à Cléanthe.
– Oh vous, ça suffit !
– T’as rien compris, lui répond Jonas. Le bonheur, le malheur… ça veut rien dire.
– C’est vous qui comprenez rien, râle l’Étranger. C’est la base de tout !
– Le bonheur, c’est ce que t’en fais, bonhomme !
– Allons, montons, reprend Cléanthe. Il nous reste un ou deux étages. Voyons voir ce que la suite nous réserve. »
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Emöjk Martinssøn
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 20 : Douzième étage
« Douzième étage », annonce une voix. L’étage fait à peine la taille d’un petit salon, et est entièrement vide.

« Voilà, dit Cléanthe. Vous voyez, l’Étranger ? Ça, c’est votre étage. Totalement vide.
– Je ne comprends pas ce que vous voulez dire… »

Tous trois entendent une voix, semblable à celle de l’Étranger, chuchoter à leurs oreilles : « Je ne comprends pas… Je croyais qu’ils voulaient être heureux… Et toi ? Es-tu heureux ?
– Je… bafouille l’Étranger. Laissez-moi tranquille avec ces questions ! Je n’en sais rien ! Je ne sais même pas ce que c’est, le bonheur !
– C’est ce qu’il y a de plus important…
– C’est vrai.
– Tout le monde veut être heureux…
– C’est vrai… pleurniche l’Étranger. Peut-être que je ne le suis pas… C’est pour ça, alors…
– Tu n’es pas heureux…
– Non…
– Tu ne le seras jamais…
– Non, jamais…
– Mais si, tu peux l’être ! dit Jonas.
– Non… Tant qu’il y aura une once de malheur dans ce monde, je ne serai jamais heureux.
– Oui, c’est vrai… reprend la voix.
– Mais cette once de malheur, si elle est en vous… ajoute Cléanthe. Vous ne pourrez jamais rendre les autres heureux.
– Sauf si tu disparais… suggère la voix.
– Tu as peut-être raison, voix dans ma tête…
– Ou alors, suggère Jonas, il faut que tu changes le monde.
– Il faut que tu t’en ailles… dit la voix.
– Ou alors, suggère Cléanthe, il faut que vous commenciez par la personne la plus importante.
– La femme magnifique ?
– Non. Par vous.
– Ah, moi…
– Commencez par combler cette pièce, et vous pourrez combler le bonheur des autres. Regardez mon salon ! Le papier peint est moche, il y a des gens dans les placards et le canapé est passé… Il y a trop de décoration, trop de tableaux… Mais au moins, il y a des choses. Quand j’étais malheureux, peut-être que j’y trouvais un semblant de bonheur… Si on devait déterminer où j’habite maintenant, il n’y aurait qu’une pièce vide avec Amandine, mais ça suffit ! Il n’y a rien dans cette pièce, rien du tout !
– C’est peut-être ça, le bonheur… réfléchit l’Étranger.
– Il n’y a rien car tu n’es rien… dit la voix. Le bonheur, c’est le vide.
– Ne s’attacher à rien…
– Oui… Jusqu’à disparaître…
– C’est ça, oui ! Je veux disparaître !
– Bah si tu veux disparaître, disparais ! lance StJones. Mais tu sauveras pas le monde comme ça, bonhomme ! »

Une bourrasque se fait soudain sentir : une ouverture dans un mur laisse s’engouffrer du vent.

« Tu vois, dit la voix, tu pourrais sortir par là… »

L’Étranger se dirige vers la fenêtre : Cléanthe l’arrête en le saisissant par l’épaule.

« L’Étranger ? Nous allons être bien clairs. Nous sommes venus là pour vous. Vous sautez si vous voulez, mais pas avant d’avoir découvert ce qu’il y a au treizième étage.
– Vous pourrez très bien sauter au retour, ajoute Jonas.
– Tu sais bien qu’il n’y aura rien au treizième étage… dit la voix.
– L’espoir de ce qu’il y a au treizième, dit Cléanthe, c’est déjà un bon pas vers le bonheur, non ?
– Il n’y aura que de la déception, comme d’habitude… dit la voix.
– Je n’ai fait que du mal autour de moi… se lamente l’Étranger.
– Croyez-moi, l’ami, j’ai très envie que vous sautiez, là, tout de suite. Ce n’était pas mon état d’esprit ce matin, mais ça ne déplairait pas, à présent. Mais vous n’allez pas sauter avant d’aller voir ce qu’il se passe au-dessus.
– Pourquoi écoutes-tu cet homme ? demande la voix. Qu’est-ce qu’il a jamais fait pour toi ?
– Laissez-moi, Cléanthe ! Il faut que je disparaisse de cette terre. Je vais sauter !
– Tout ce que tu vas réussir à faire en sautant, objecte Jonas, c’est voler.
– Je n’ai plus d’ailes… Je n’en ai peut-être jamais eu…
– Tu vois, ajoute la voix, ils ne te connaissent même pas !
– Moi non plus, je ne me connais pas…
– Je crois que nous nous sommes trompés, l’Étranger, observe Cléanthe. Cette pièce n’est pas vide. En dehors de vous, il y a ici deux personnes.
– Oui… Comme vous êtes toujours de bon conseil, je vais le suivre. Je vais monter au treizième. Mais s’il n’y a pas ce que je désire, je reviendrai ici et je sauterai.
– Vous le ferez en connaissance de cause.
– Tu seras déçu… murmure la voix.
– TAIS-TOI, VOIX !!!
– Ouais ! exulte Jonas. Vos gueules, les voix ! »

Scène 21 : Treizième étage
Tous les trois reprennent leur ascension, et parviennent au dernier palier. « Treizième étage », annonce une voix. Face à eux, un long couloir ; un ascenseur est ouvert à côté de l’escalier, exactement le même que celui que l’Étranger avait vu en rêve. Le couloir est également semblable : il est entièrement sombre, à part une faible lueur émanant de l’autre bout. Ils s’avancent dans le couloir et s’aperçoivent que la lueur parvient d’une pièce entièrement faite de marbre blanc, au centre de laquelle se trouve un trône ; sur le trône, une femme, absolument magnifique, qui regarde l’Étranger dans les yeux en souriant. Il se prosterne à ses pieds en pleurant.

« Je vous ai enfin trouvée ! Libérez-moi ! »

La femme rit, d’un rire cristallin, car les larmes de l’Étranger lui chatouillent les pieds.

« Te libérer de quoi ? Tu n’es pas prisonnier…
– Si… Je veux apporter le bonheur à tout le monde, mais personne ne le veut ! »

[Je décide de tirer une carte « Chance ». Je lis : « Trois questions. Le temps se fige. Posez trois questions au personnage de votre choix, PJ ou PNJ, qui doit vous répondre honnêtement ». Je propose aux joueurs de retourner la carte : chaque PJ posera une question à la femme magnifique.]


La femme magnifique regarde ses visiteurs d’un air bienveillant. Tout le monde se sent apaisé. Cléanthe et l’Étranger pleurent. Jonas, lui, se plante devant elle avec un petit sourire frondeur.

« Salut, poupée.
– Salut, Jonas. Tu as bien changé depuis que je t’ai créé.
– Ouais ! C’est normal, c’est ce que doivent faire les créations, non ?
– Tu as enfin trouvé ce qui te rendait heureux.
– Dis-moi, comment je peux faire pour libérer Itras By ? »

La femme semble troublée par sa question.

« Mais Itras By n’a pas besoin d’être libérée… car Itras By va disparaître…
– OK, ça me va. C’était cool, ce bout de chemin avec toi, bébé.
– À bientôt, beau gosse…
– Mais je ne veux pas disparaître ! proteste Cléanthe. Je ne veux pas qu’Amandine disparaisse non plus ! Maintenant que j’ai goûté au bonheur, je ne voudrais pas le perdre, même pour du rien !
– Tu ne vas pas disparaître tout de suite, Cléanthe. Il te reste encore un peu de chemin à faire. Il est court, mais tu auras l’occasion d’y être heureux.
– Alors, j’ai une question. Comment peut-on faire survivre le bonheur ?
– Le bonheur survit toujours. Dans les souvenirs ou dans les rêves.
– C’est donc ça… Je m’estime heureux de l’avoir connu et d’y avoir goûté pleinement, alors. Et je ne peux que continuer à essayer de le vivre totalement jusqu’à la fin.
– Je te fais confiance pour cela. »

Le costume de Cléanthe est toujours gris, mais le bouton de lys refleurit.

« Cléanthe, tu as bien changé, toi aussi. Tu n’étais vraiment pas très sympathique, au départ, mais à présent, je me rends compte que j’ai fait le bon choix en te donnant l’existence. »

Le costume redevient progressivement blanc.

« Pourquoi je souffre ? pleure l’Étranger. Pourquoi personne ne veut être heureux quand je suis là ? Je suis sûr que vous m’avez créé pour ça… Que dois-je faire pour arrêter la souffrance qui me brûle de l’intérieur ?
– Mais je ne t’ai pas créé, répond la femme magnifique. Je ne suis pas la créatrice de toutes choses, seulement de mes propres songes. Mais d’autres songes existent et tu en fais partie. C’est pour ça que tu m’as toujours fascinée. Malheureusement, tu n’es pas le seul à être entré dans mon rêve. D’autres sont venus me voir récemment, mais ils étaient moins bienveillants. »

Elle tousse ; quelques taches de sang émaillent le sol.

« L’Étranger, tu veux savoir comment être heureux ? Il faut que tu cesses de chercher à aider les autres, et que tu écoutes ce qu’il y a en toi.
– Il n’y a rien en moi… Je suis vide… Comme la pièce…
– C’est faux, cette pièce n’est pas vide. C’est… C’est Nindra qui l’a vidée. Mais toi, tu es rempli d’amour… Tu essayes d’en donner aux autres, mais commence par toi. Tu ne vois pas que… Tu es entouré de personnes qui t’ont accompagné depuis le début et qui ne cherchent que ton bonheur. Ils ont déjà trouvé le leur. Tu n’as plus besoin de les aider… »

La femme magnifique tombe lourdement dans les bras de l’Étranger, qui l’enserre. Sa robe blanche se met à rougir.

« Je vais partir, à présent… Je n’ai pas le choix.
– Si, tu as le choix !
– On m’a détruit…
– Non ! Je vais te donner un peu de vie, que tu puisses continuer…
– Survivre… en toi ?
– Non, je veux que tu restes toi-même ! Moi, je ne sers à rien. Je ne suis qu’une coquille vide… »

La femme magnifique commence à se fissurer. L’Étranger décide de faire la seule chose qu’il sait faire : il l’embrasse, et essaye de lui insuffler toute sa vie, au mépris de sa propre énergie. Le rouge disparaît de la robe de la femme magnifique, en même temps que l’Étranger devient grisâtre. Lorsque le baiser s’achève, il n’est plus qu’une carcasse. La femme le regarde d’un air triste : « Tu n’avais pas besoin de te sacrifier pour moi… murmure-t-elle.
– Pour une fois, je me sens heureux… » sourit l’Étranger, dans un filet de voix.

Une larme coule sur sa joue, et il s’éteint.

La femme magnifique se relève, et se retourne vers Cléanthe et Jonas. « Et à présent ? » demande-t-elle. Cléanthe est en larmes.

« Vous ne pouvez pas rester ici… Nindra va revenir.
– C’est inéluctable.
– Pars avec nous, propose Jonas.
– J’ai déjà essayé de vivre comme tout le monde… Mais je n’y arrive pas, c’est trop difficile.
– Qui parle de vivre comme tout le monde ? Vis libre ! Quitte Itras By, va faire ta vie ailleurs ! Réveille-toi ! »

La femme magnifique s’avance vers StJones et lui prend les mains.

« Tu voudrais bien me montrer ?
– Bien sûr ! Suis-moi. »

Jonas et la femme magnifique reviennent jusqu’à l’ascenseur ; Cléanthe préfère rester quelques minutes auprès de l’Étranger.

« Ne restez pas trop longtemps, Cléanthe, lui dit la femme magnifique. Vous avez encore votre bonheur à vivre, et ce serait dommage que Nindra vous dévore.
– Oui, j’ai beaucoup de choses à faire… mais je dois rendre un dernier hommage à mon ami. Mais j’ai compris, maintenant. »

Son costume est à présent totalement blanc. Il se penche sur le corps de l’Étranger, lui retire son affreux et répugnant pardessus, et lui enfile sa veste. Puis il dépose sa fleur sur ses mains, repliées sur son ventre.

« Tu ne m’as pas apporté le bonheur, certes, mais tu m’a appris qu’il pouvait exister. Pour cela, je te remercie, et je tâcherai d’appliquer ce que je n’avais pas compris au moment où tu me l’enseignais, jusqu’à la fin de mes jours. »

Puis Cléanthe se dirige vers l’ascenseur. Tous les boutons sont brisés, à part celui du rez-de-chaussée. L’ascenseur descend dans le silence le plus total : il s’ouvre sur la rue, et Jonas, Cléanthe et la femme magnifique se retrouvent dans les rues d’Itras, au petit matin. Il ne pleut plus. Les balayeurs se débarrassent en ronchonnant des petits pains et des cadavres de bouteilles dans les caniveaux. Sur les branches des arbres, des bourgeons poussent timidement, comme si on avait sauté l’hiver pour passer directement au printemps.

La femme magnifique regarde Jonas : « Et maintenant, on va où ?
– On va là où nous porteront nos pas. Et on va faire une bringue de tous les diables.
– Super, bébé. »

La femme magnifique embrasse Jonas StJones sur la joue ; tous deux enfourchent une moto garée contre le mur, et ils s’éloignent sous les cris d’encouragement et les vœux de bonheur de Cléanthe.
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