[CR] Des nouvelles d'Itras By

Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
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Emöjk Martinssøn
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Quelques temps plus tard…


Scène 10 : À la recherche d’un cap et d’une banane


Le bateau a vogué vers sa direction, pas encore atteinte. Nous sommes en hiver, et l’eau commence à geler légèrement autour du navire ; s’il continue, il risque de se retrouver complètement emprisonné par les glaces.

La capitainerie de Cléanthe est très laxiste, son bonheur n’ayant rien changé à sa façon de faire les choses. Globalement, il délègue tout à son second, Amandine. Amandine, elle, dirige tout d’une main de fer, et adore ça. La moitié de l’équipage l’admire, et l’autre la craint, tandis qu’elle respire l’épanouissement personnel ; on la surprend parfois à regarder l’horizon en chantonnant. Ses carnets sont couverts de portraits de Cléanthe, de ses bananes, de paysages marins, et de Gérald, qui est son terceron (le second du second) ; quand certains désobéissent, Amandine envoie l’oiseau, qui terrorise encore plus l’équipage.

Cléanthe passe le plus clair de son temps avec les bananes, qui ont grandi et mesurent à présent quelques centimètres chacune, et à qui il essaye d’apprendre les bonnes manières. Un arrêt au camp Soissage, où les enfants pas sages sont abandonnés par leurs parents (les quelques-uns qui croupissaient en cale sont descendus du bateau à cette occasion) et obéissent au terrible colonel (qui voulait leur refiler des enfants à livrer au Couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras) leur a permis de refaire un stock de sauce au chocolat.

Jonas, lui, est monté dans les astres, et jouit de sa liberté.

Cléanthe passe aussi du temps auprès de Vania, auprès duquel il consulte régulièrement les cartes et avec qui il s’est rabiboché.

« Capitaine, lui dit celui-ci un jour, les autres marins commencent à s’impatienter… Ils disent que l’amour heureux, ça n’existe pas, et qu’on ne trouvera jamais…
– C’est faux, naturellement ! Je le sais : l’amour heureux, c’est là où me porte mon cœur.
– Je veux bien, capitaine, mais là, avec la glace… Dans deux jours, on est immobilisés.
– Que suggérez-vous ? Y a-t-il un passage que l’on pourrait emprunter ?
– Oui, mais il est risqué…
– À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
– Il faudrait passer par l’archipel des cauchemars.
– C’est une décision difficile… Mais si c’est pour atteindre l’amour heureux… C’est probablement là qu’il faut aller.
– Vous êtes sûr, capitaine ? Vous voulez pas en parler avec le second ?
– C’est un conseil judicieux.
– D’autre part, Tristan a fait savoir qu’on n’avait presque plus de vivres.
– On ne peut pas pêcher ?
– Oui, je suppose qu’on peut essayer… Je vais le dire aux autres. »

Cléanthe va voir Amandine, et l’admire cinq bonnes minutes pendant qu’elle donne des ordres.

« Un peu plus droit quand même, la voile… Avec un nœud de chaise, elle ne tiendra pas plus de vingt-quatre heures ! Le quart de Bébert vient de finir, alors si vous enchaînez avec Frédo…
– Justement, Frédo voulait savoir si quelqu’un pouvait le relayer aux bicyclettes… Il y est depuis deux jours, et…
– Qui n’y est pas allé depuis la semaine dernière, déjà ?
– Euh, c’est Thomas, madame…
– Et toi aussi, mon gros Louis, t’y es pas allé depuis une semaine !
– Euh, si, si…
– GÉRAAAAAAAALD N’AIME PAS QUAND ON RAAAACONTE DES SORRRRRNETTES !
– Louis, tu vas le relever. Et puis ça va te faire du bien, allez !
– Oui, j’adore ça madame… répond Louis tristement.
– Euh, ma chère, tu aurais un instant à me consacrer ? interrompt Cléanthe. Il est deux choses dont j’aimerais t’entretenir… La première, c’est que pour aller à la terre de l’amour heureux, Vania m’indique qu’il va probablement falloir passer par l’archipel des cauchemars. La deuxième… »
Cléanthe hésite. Il n’a pas du tout envie d’aller à l’archipel des cauchemars, mais ne veut pas avouer qu’il abandonne.

« La deuxième chose, c’est que… Je crois qu’il nous manque une des bananes. Tu sais, la petite avec une tache noire à côté de la queue, ça fait un moment que je ne l’ai pas vue…
– Je sais… Écoute, ça fait un moment que les petites me l’ont signalé… Je crois que je ne voulais pas y croire jusqu’à présent… Mais j’ai cherché partout ; elle n’est pas là. J’ai peur qu’on l’ait laissée à Itras… C’est la seule explication.
– Mais dans ce cas-là, ne crois-tu pas qu’on devrait aller la chercher ? Elle doit se sentir seule, loin de ses frères et sœurs…
– C’est ce que je me demande aussi depuis quelque temps. J’osais pas t’en parler… Je m’inquiète pour elle, et Tristan vient de me dire qu’on n’avait bientôt plus de vivres, et…
– On devrait peut-être retourner à Itras. Pour l’intérêt des bananes, je veux dire.
– Et puis pour l’équipage ! Je sais qu’il y a un port non loin, le port des illusions joyeuses… On pourrait y accoster, s’y poser tranquillement, se requinquer, et puis…
– …Et puis partir rechercher notre enfant manquant ; oui, bien sûr. Je vais donner les ordres nécessaires.
– Ah, mon Cléanthe ! Si tu savais comme j’avais peur de te dire ça… »

Amandine se blottit contre lui.

« Tu sais, Amandine, tu es une bonne mère pour ces bananes, et ce n’est pas de ta faute si nous l’avons oubliée…
– Elles sont si nombreuses, pleure Amandine, que j’ai du mal à tenir le compte… Je m’en veux de pas pouvoir compter mes bananes…
– Ce n’est pas de ta faute. Les circonstances n’ont pas été favorables, et le départ a été précipité… Et tu es une bien meilleure mère que leur mère biologique qui, si elle avait accepté ses responsabilités… Eh bien, rien de tout cela ne serait jamais arrivé !
– Oui, et puis… Jonas et sa musique me manquent… Et puis le gorille rentre enfermé à pédaler…
– Écoute, contentons-nous des illusions joyeuses pour l’instant. Et puis de toute façon, la terre de l’amour heureux… Il était peut-être encore trop tôt pour l’atteindre. Qu’est-ce que c’est, la félicité éternelle, au fond ? Ça doit être très ennuyeux…
– Et puis on n’a pas besoin de la terre de l’amour heureux pour ça, nous. On est au-dessus de ça. N’est-ce pas ?
– Oui, bien sûr ! »

Cléanthe dit à Vania de changer le cap, à son grand bonheur.

« Vous serez pas déçu, capitaine. Vous allez voir, le port des illusions joyeuses, c’est quelque chose, croyez-moi !
– Vania… As-tu jamais pensé à devenir capitaine un jour ?
– Bin… Pour ne rien vous cacher, capitaine… Je l’ai déjà été.
– Avant cet accident de corde malheureux ?
– C’est ce qui a mené à cet accident.
– Bien. Je dois t’avouer que je me lasse de ces fonctions. Il va falloir que nous finissions par rentrer à Itras, et il faudra quelqu’un de confiance à qui laisser ce bateau.
– Eh bien, les vents parlent d’un marin à Itras qui aurait tracé sa route… Un certain Marek… Il paraît qu’il sait y faire, et je suis sûr que si vous lui proposez votre bateau, il pourra vous le reprendre.
– Vania, je dois t’avouer quelque chose… Ça n’est pas très bien… J’ai quand même gagné la gigue fox-trot, mais bon… J’ai triché à la bredouille.
– Je m’en doutais, capitaine. Après tout, c’était la première fois de ma vie que je perdais.
– Tu es très fort, et je n’aurais jamais pu venir à bout de ta pugnacité… Je suis désolé. Certaines destinations méritent qu’on triche pour les atteindre.
– Je vous en veux pas, capitaine. Après tout, j’ai pissé dans votre soupe pendant toute la semaine qui a suivi ; je pense qu’on est quittes.
– Bien, bien. Cap sur les illusions joyeuses, et oublions tout cela. »

Scène 11 : Retour à Itras


Le bateau atteint les illusions joyeuses quelques jours plus tard, alors que les marins commençaient à regarder les bananes avec un drôle d’air (et vice-versa). Cléanthe et Amandine débarquent au port, et se sentent aussitôt beaucoup mieux ; ils sont reçus avec beaucoup de chaleur et de sympathie par le bourgmestre de la ville, un homme portant un costume froissé et un chapeau haut-de-forme laissant échapper des fleurs par son sommet.

« Bienvenue, voyageurs ! Je pense que vous allez vous plaire, ici ! C’est pas tous les jours qu’on a des invités de marque… Je vous conseille, si ce n’est pas trop m’avancer, notre meilleure auberge !
– Nous ne faisons qu’un bref arrêt pour ravitailler en vivres, avant de repartir, répond Cléanthe. Les illusions joyeuses, vous savez, ce n’est pas vraiment quelque chose à entretenir plus d’une journée…
– On s’y fait très bien.
– Certes. Mais ce n’est pas ce que nous recherchons. Ce n’est pas notre escale définitive.
– Vers où allez-vous ?
– Nous faisons route vers Itras By.
– Ah, cette vieille cité d’Itras ! Elle est encore debout ?
– Eh oui, toujours… J’espère…
– Même pas un petit verre, alors ? Vous n’allez pas refuser le grog de l’amitié !
– Ah non, effectivement… Avant cela, néanmoins, je voulais être sûr que vous possédez ici une cargaison conséquente de sauce au chocolat.
– Mais bien sûr ! Nous avons une fontaine à chocolat en plein milieu de notre ville !
– Est-ce vrai ? s’extasie Amandine. Excusez-moi, monsieur le bourgmestre, j’ai uen faveur à vous demander : serait-il possible que mes bananes en profitent quelque temps ?
– Mais bien sûr !
– C’est chic de votre part, merci ! »

Une énorme fontaine trône en effet en plein milieu de la place principale. En s’en approchant, Amandine sent ses habits vibrer et libère les bananes, extatiques, qui plongent dans le chocolat et s’y ébattent. Pendant ce temps, Cléanthe boit un verre avec le bourgmestre, qui lui demande de lui raconter le voyage.

« Ah, on a eu beaucoup de glace, surtout… C’était un peu long… et un peu frisquet. Que ne ferait-on pas pour atteindre la terre de l’amour heureux… Mais bon, nous…
– La terre de l’amour heureux ? C’est dommage, vous n’étiez pas loin !
– Oui, mais est-ce une terre que l’on doit atteindre ?
– Je comprends… C’est plus simple de se cantonner à nos environs…
– C’est pour cela que nous ne resterons pas. Et puis une banane nous attend à Itras By.
– Vous ne resterez pas ?
– Non, je vous l’ai dit… Nous faisons une brève escale, tout au plus.
– Mais comment allez-vous repartir sans bateau ?
– Sans bateau ?
– Eh bien oui, il est déjà reparti !
– Mais je ne comprends pas…
– Je pense que vous comprenez très bien. »

Cléanthe se lève et court en direction du port. Il passe à côté d’Amandine et des bananes, qui ressortent à toute vitesse de la fontaine en criant : « C’est pas du chocolat ! C’est pas du chocolat ! C’est du mazout !
– Venez vite, mes chéries, on va se nettoyer à l’eau de mer ! On retourne sur le bateau ! »

Le port est en état de désolation : des quais délabrés que ne parcourent que les rats, et deux barques pourries qui flottent mollement, mais guère plus. Et pas de bateau.

« Le bateau est reparti… balbutie Cléanthe. Et ce quai n’est plus si accueillant…
– Le gorille… Mon dieu, Cléanthe, qu’est-ce qu’on va faire ? »

Le bourgmestre les rejoint : c’est un petit homme malade, portant un costume froissé et un chapeau haut-de-forme laissant échapper des fleurs fanées par son sommet. Il sent une odeur de terre battue. Cléanthe le saisit aussitôt par le col.

« Vous ! Qu’est-ce que vous avez fait ?! »

La tête du bourgmestre se détache et roule par terre.

« On ne peut pas rester ici, pas une minute de plus. Prenons ces barques. Nous saurons bien revenir à Itras à la rame.
– Mais non… On ne va jamais y arriver…
– Bien sûr que si… De toute façon, on ne peut pas rester ici. Regarde ce rivage, il est jonché de détritus… Et cette ville sent la pestilence à plein nez… »

Amandine examine les barques avec découragement ; elles risquent de les enfoncer dans l’eau au premier coup de rame.

« Si seulement sœur Augusta avait été avec nous, regrette Cléanthe, trois coups de rame et nous étions à Itras… »

Au loin, un bateau passe.

« Une fusée de détresse, vite ! s’écrie Amandine.
– Mais je n’ai pas ça sur moi… »

Cléanthe fouille dans ses poches, mais n’a rien qui y ressemble à part un vieux pétard. Amandine sort les bananes et leur dit de monter en flèche et en feu d’artifice.

« Mama, le feu d’artifice, ça fait mal…
– Vous n’avez qu’à vous déployer en l’air, suggère Cléanthe, et former les lettres S, O et S ! »

Les bananes s’exécutent, et le bateau vire de bord pour se diriger vers le rivage.

« Il ne faut pas les laisser accoster… Prenons cette barque et allons à leur rencontre ! Elle tiendra bien jusqu’au navire ! »

Amandine et Cléanthe montent dans la barque ; ce dernier commence à ramer, et la barque prend l’eau presque immédiatement. Ils finissent tout de même par arriver à portée de la barque à moteur qu’ils avaient vue au loin. À bord, un couple de pêcheurs et leurs deux enfants les regardent d’un air dur.

« S’il vous plaît… Pour nourrir nos bananes… Pourrions-nous monter à votre bord ? Nous avons fait naufrage en direction des terres de l’amour heureux !
– Vous v’nez d’l’île là-bas ?
– On s’y est arrêtés juste un instant, et notre équipage est parti…
– S’ils viennent de l’île des illusions, dit la femme à son mari, on ne devrait pas les prendre ! Elle porte malheur !
– Elle nous a porté malheur, oui, mais je vous garantis que nous n’avons que des bonnes intentions.
– Les illusions heureuses, ça dure jamais très longtemps, vous savez. Vous allez où ?
– À Itras.
– Et qu’est-ce que vous êtes prêts à payer pour qu’on vous ramène ?
– Je suis riche, dit Cléanthe. J’ai une grande maison et beaucoup de choses à l’intérieur. En attendant, je peux me rendre utile sur le bateau…
– Très bien. Quand on sera à Itras, vous nous léguez votre maison.
– M’accepteras-tu même sans rien ? demande Cléanthe à Amandine.
– Je t’accepterai nu, sans le sou, dans un caniveau, mon amour.
– Alors oui. La maison sera à vous à Itras.
– Topez-la. »

Le pêcheur entre dans sa cabine et coupe le moteur. Il ressort avec deux rames.

« On va pas gâcher de l’essence, hein ? Allez. »

Cléanthe et Amandine s’installent. Ils se jettent un petit regard, mi-triste, mi-amusé, et se mettent à ramer. Au-dessus d’eux, très loin, un boulet file vers la cité d’Itras en rougeoyant.

« Oh, une étoile filante !
– C’est un bon signe…
– Fais un vœu, Cléanthe ! »
J'écris des mini-JdR par dizaines !
Emöjk Martinssøn
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Acte 11 : Zut aux règles !

Prologue
Quelque temps plus tard…


Itras By, plein milieu d’automne. Le temps est plutôt sec et venteux. De grosses bourrasques emportent loin de leur domicile les porteurs de parapluie.

Une nouvelle guinguette a ouvert en ville, « l’Explosive », et les affaires y marchent plutôt bien. Dancing le soir, repas pas trop cher le midi cuisiné par Ida Jerricane, service et musique par Jeannot, la baraque de Martin Poicreux tourne bien.

Pour les divertissements, à part les piètres exploits de Jeannot, et après les cracheurs de feu qui n’ont pas duré après un accident, c’est ce soir trois acteurs (Anna, Bertoldt et Charlie) qui viennent interpréter leurs scènettes comiques. Dans leur première pièce, Anna incarne une religieuse : en robe de bure, elle fait face à Bertoldt et Charlie (également grimés en religieuses) qui la soumettent à la question.

Face au désintérêt du public, ils enchaînent assez rapidement sur le retournement de situation, lorsque la chaise d’Anna s’élève dans les airs et qu’elle crie : « Je suis une envoyée d’Itras ! » ; mais le mécanisme marche mal et la chaise retombe lourdement. Ils passent à la deuxième pièce, qui a lieu dans un bateau : Anna porte une perruque rousse et un pince au-dessus de l’oreille, Bertoldt est habillé en dandy et fume une longue cigarette, Charlie est assis sur une balle gonflable peinte en grise, une guitare à la main, et déclare : « Ne vous inquiétez pas, mes amis, je pars vers les étoiles mais c’est pour mieux revenir ! À bientôt ! ». On comprend que la balle est censée se soulever, mais ça ne fonctionne pas.

La troupe conclut alors avec une troisième scène, à deux : Charlie est grimé en marin musclé (on reconnaît aisément Marek, le marin qui, selon la rumeur, aurait repris l’affaire de Jeff l’Usurier) et Anna, avec fausse barbe et moustache blanches, joue son domestique, Georges. Ils discutent de l’acquisition d’animaux prophétiques ; Marek en aurait récupéré plusieurs et contemple à présent les peluches alignées au sol (il faut faire un petit effort d’imagination), enchaînées et assies face à des machines à écrire. Charlie, avec un accent ridicule, déclare : « Et maintenant, je vais enfin savoir mon futur ! ». Le public, cette fois, applaudit un peu plus, à part Martin, qui n’apprécie pas trop ce théâtre d’avant-garde.

Scène 1 : Les cendres d’un foyer

À peu près au moment où la pièce se finit, Martin aperçoit dans la rue Amandine Beaulieu, un petit bagage sur les épaules. Elle entre dans la guinguette d’un air sceptique.

« Excusez-moi, demande-t-elle à Jeannot, je ne comprends pas… Je cherche l’immeuble 72 de monsieur Martin Poicreux ? Ça fait longtemps que je ne suis pas venue…
– Ah, vous cherchez le patron ? Il est à la table là-bas.
– Monsieur Poicreux ? Vous me reconnaissez ?
– Oui… Ah oui, mademoiselle Beaulieu, du 4-C ! Comme les choses ont changé, n’est-ce pas ?
– C’est-à-dire que je… Je cherchais l’immeuble, et…
– C’est là. Enfin y en a plus. Il a… pouf, tout est parti en petits morceaux.
– Ah… Ah ah ah ! Que voulez-vous dire ?
– Vous voyez les décombres, là-bas au fond ? C’est ma loge. On aperçoit encore l’encadrement de la porte. Et sinon, techniquement, votre appartement… Je vous montre… Vous voyez, là ? Dans les airs, vers sept, huit mètres ? C’est chez vous.
– Ah.
– Vous allez rire, j’ai retrouvé le double des clefs !
– Ah, oui… Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Eh bien, tout a explosé il y a quelque temps… Ce serait un attentat Futuriste. Mais l’enquête n’est pas terminée.
– Mais… mes peintures ? Mes affaires ?
– Ah, je crois que tout est parti en fumée…
– Ida ?
– Ida est malade ce soir, mais sinon elle est en cuisine d’habitude… Une petite grippe.
– Et au niveau de l’assurance, ça se passe comment pour les locataires ! »

Martin explose de rire.

« Oh là là, faut pas me faire des coups comme ça, ma p’tite dame ! Quelle assurance ? Vous aviez souscrit, vous ?
– Non, mais c’était écrit dans le contrat de location que les locataires devaient souscrire obligatoirement à une assurance logement, et qu’ils pourraient être indemnisés en cas de dégâts, à se répartir entre propriétaire et locataire…
– Si vous avez souscrit de votre côté, allez-y, hein. Du mien, y a rien.
– C’est une catastrophe… Vous ne vous rendez pas compte, j’ai des bananes à élever, moi ! J’ai une clientèle ! J’ai…
– Si vous voulez, j’embauche. En plus, je parie qu’un trio de bananes chantantes, par exemple, tous les samedis à 20h, ça pourrait faire un tabac !
– Mama ! mama ! On a faim !
– Les petites, restez tranquilles ! Vous auriez un chocolat chaud ?
– Ça doit être faisable… Ida ! Ah non, elle est pas là… Je vais vous faire ça moi-même.
– Mama, on arrive bientôt à la maison ?
– Oui, les enfants…
– Il est où papa ?
– Papa, il est allé vendre sa maison au capitaine qui nous a gentiment ramenés, comme il l’avait promis. Il m’a dit que c’était compliqué et que ça prendrait plus de temps que prévu, donc il m’a dit d’aller chercher mes affaires… et préparer l’appartement pour… Je pense que ça va être un peu plus compliqué que prévu… Mais votre chocolat chaud arrive !
– Ouiiiii !
– Dites-moi, monsieur Poicreux… Je reviens d’un voyage en bateau où j’ai énormément appris sur mes compétences à gérer une équipe.
– Vous voulez être barmaid ?
– Non, pas vraiment. Je pourrais être cheffe de salle, par exemple, ou responsable de la revue théâtrale…
– Cheffe de salle, ce sera très bien ! Vous aurez sous vos ordres… Eh bien, Jeannot, lorsqu’il n’est pas de service musique. »

Amandine, dubitative, regarde Jeannot qui se plante devant les rares clients que le vent n’a pas chassés et leur joue de l’orgue de barbarie. Il faut dire qu’il ne connaît qu’une seule chanson.

« Attendez, on a eu un attentat Futuriste dans l’appartement, et vous continuez de travailler avec des artistes ? des avant-gardistes, même ? Vous prenez des risques, tout de même…
– Je n’avais pas vraiment fait le lien.
– Je sais qu’il ne faut pas faire d’amalgames, mais bon…
– Enfin là, il n’y a plus rien à faire exploser, hein. On est plutôt tranquilles, de ce point de vue.
– Écoutez, je vais réfléchir à votre proposition… Ce n’est pas un choix que je fais seule… Je vous dirai ça rapidement.
– Très bien. Voilà votre chocolat chaud. »

Les bananes se plongent dans la tasse ; Martin regarde ce spectacle d’un air attendri.

« Et un spectacle avec vos bananes et un aquarium rempli de chocolat chaud ?
– Ça c’est envisageable, oui… tant que ça respecte les conditions de travail des mineurs, bien sûr. Mais je cherche aussi un logement…
– Ah, j’ai un endroit à vous proposer. Bon, il doit y avoir des restes d’être maléfique à l’intérieur, mais en aérant bien, ça devrait passer très vite. Voyez, la cave a survécu, elle.
– Ah non ! La cave, non merci ! Trop de souvenirs. Il faut repartir de zéro.
– Bon. Contactez votre assurance, en tout cas. Surtout si elle donne quelque chose au propriétaire.
– J’y vais tout de suite. »

Scène 2 : Prioriser les missions divines

Au couvent, les choses ont pas mal changé depuis la mort de Jacquie et d’une demi-douzaine d’autres nonnes, la disparition du corps d’Eusébie, et celle de deux autres sœurs. De plus en plus ouvertement, la majorité des sœurs du couvent se reposent sur sœur Augusta pour leur décision, puisqu’après tout elle est une envoyée d’Itras. L’autorité de sœur Vestine est donc complètement sapée.

En ce soir venteux, une des consœurs d’Augusta, sœur Josèphe, frappe à la porte de sa cellule.

« Excusez-moi… On peut discuter ? Je viens de la part de… Je n’ose pas dire de l’ensemble de notre couvent, mais d’une bonne partie de nos consœurs. Nous nous sommes concertées, et… Ça fait longtemps que sœur Vestine est à la tête du couvent, n’est-ce pas ? Peut-être un peu trop longtemps… Elle est de plus en plus jeune, et bientôt elle va devoir laisser sa place… Et il se trouve qu’en étudiant nos textes sacrés, nous nous sommes rendues compte que si les deux tiers des sœurs le demandaient, une élection pouvait être organisée. Nous souhaiterions fortement que vous vous y présentiez.
– C’est très gentil à vous… Mais pourquoi moi ?
– Parce que vous êtes bénie par Itras !
– Oui, ça paraît logique… Si tel est mon devoir, je le ferai. Vous pouvez compter sur moi.
– C’est fantastique ! Je vais immédiatement sonner la cloche des élections !
– Attendez ! Pouvez-vous me donner un moment… une demi-heure, peut-être… Il faut que j’aille regarder les modalités de l’élection dans les archives, je suis un peu rouillée sur le sujet. »

Augusta se rend donc à la bibliothèque du couvent, dans le département des archives, supervisées par sœur Claude, une toute jeune membre qui vient d’arriver, une vieillarde ratatinée donc.

« Que cherches-tu, ma sœur ? l’accueille-t-elle d’une voix de crécelle.
– Bonjour ma sœur… Je cherche un ouvrage sur les modalités de l’élection d’une sœur supérieure dans notre couvent.
– Oui… La rangée par là, je crois… »

Augusta se rend dans la travée désignée, vérifie qu’elle est seule et tire un livre des rayonnages poussiéreux (ils n’ont pas l’air d’être consultés souvent), l’un des vingt volumes des Règles et conseils de bonne conduite à l’endroit des sœurs du couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras. Il y est dit explicitement que la sœur supérieure est nommée à vie, jusqu’à ce qu’elle périsse de jeunesse ou qu’une élection soit appelée par les deux tiers des sœurs du couvent, ou bien qu’Itras se manifeste et la chasse de son doigt divin (une note précise que ce dernier cas n’est jamais arrivé). Lors d’une élection les différentes sœurs en lice font un discours devant l’ensemble du couvent, puis un vote a lieu à bulletin secret. Auparavant, la sœur perdante était jetée du haut de la tour du couvent, mais les usages se sont assouplis depuis. Sœur Augusta se rend compte que si elle est élue, elle va donc commencer à rajeunir… mais c’est son devoir, auquel elle ne peut se soustraire.

Augusta entend soudain un bruit de grattement derrière elle ; elle se retourne et se retrouve face à l’Ange de Church Hill. Sœur Claude est endormie à son pupitre et ne remarque rien. L’Ange désigne Augusta d’un air solennel : « Sœur Augusta ! Je t’avais prévenue, pourtant ! Tu avais une mission !
– Oui, il faut que je détruise la part du Diable, je sais…
– Une mission divine !
– Mais j’en ai eu beaucoup d’autres ces derniers temps… C’était un peu compliqué…
– Mais moi je te l’ai donnée en premier !
– Je fais ce que je peux… Et puis qu’est-ce que ça vous importe que la part du Diable soit détruite ?
– Mais enfin ! La part du Diable ! Y a « Diable » dans le nom ! Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?
– C’est qu’un nom… Moi, j’ai fait face à des choses bien pires que ça.
– C’est qu’un nom, ah d’accord, très bien, donc si je commence à danser autour de vous, comme ça… Et puis si je dis « Satan ! Satan ! Grand Satan ! », ça vous fait rien, peut-être ? Ça vous envoie des frissons, hein ? Eh bien voilà. Un nom, c’est important. Et moi, mon nom, c’est l’Ange de Church Hill ! Alors, euh… vous allez faire ce que je vous dis. Zut à la fin.
– Bon d’accord, mais après les élections. J’en ai plein les mains, là. Si je suis élue sœur supérieure, j’aurai beaucoup plus de pouvoir pour faire fermer cet établissement.
– Du pouvoir, oui, mais vous aurez plus une minute à vous… On sait ce que c’est, les sœurs supérieures, toujours dans les papiers, plus jamais sur le terrain…
– Bon, je vous promets que si je suis élue, je m’y mettrai tout de suite.
– Dans ce cas… Vous pourriez éventuellement bénéficier d’une aide divine pour votre élection, vous savez…
– Ah d’accord ! Vous conjurez des aides divines quand ça vous arrange, en fait !
– Écoutez… C’est juste que… si j’arrive à faire fermer la part du Diable, c’est considéré comme un miracle, et j’accède à l’échelon supérieur !
– Ah, c’est donc ça !
– Non mais c’est bien aussi pour la moralité de la ville, hein !
– Et si je le fais pas, qu’est-ce qu’il m’arrive ? Vous pouvez être plus précis ?
– Ah, oui ! Alors, euh… Sœur Augusta ! Si tu ne fermes pas cet établissement de mauvaise vie, le malheur s’abattra sur toi ! Euh… Tes membres tomberont les uns après les autres ! Ta langue deviendra bleue ! Ta peau, verte ! Tu pleureras du sang ! Et, euh… Ta descendance sera maudite jusqu’à… Ah non, ça marche pas, ça. Bon, ce que je peux vous dire, c’est que… »
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Emöjk Martinssøn
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Scène 3 : « Je descends du ciel, voilà ! »

Une explosion se fait soudain entendre au-dessus d’eux ; le sol tremble, et l’Ange disparaît. Augusta sort de la bibliothèque et se dirige vers la cour intérieure du couvent où sont rassemblées plusieurs sœurs autour de Jonas StJones, debout à côté d’un boulet de canon rougeoyant. Contrairement à son apparence habituelle, Jonas porte un costume complètement noirci, qui laisse de larges trous dans son pantalon, sans veste, et les cheveux en pétard.

« Mais monsieur StJones, qu’est-ce que vous faites là ?
– Quoi ? Ça te pose un problème ? Je vais où je veux !
– Mais qu’est-ce qui vous est arrivé ?
– Comment ça ? Je descends du ciel, voilà. C’est la gravité de la situation qui m’a attiré ici !
– C’est-à-dire ?
– Vous le savez aussi bien que moi… Regardez autour de vous ! Regardez cette ville ! On peut pas la laisser comme ça…
– Écoutez, j’essaye déjà de sauver mon couvent, je peux pas sauver toute la ville !
– Ah bah voilà ! Ça m’étonne pas !
– Pourquoi vous êtes venu ici, spécifiquement ?
– “Pourquoi”, “pourquoi”… Pourquoi est-ce qu’il faudrait toujours une raison ? Vous demandez “pourquoi” à tous les types qui descendent du ciel ? La tradition, c’est plutôt de s’agenouiller, non ? Bon, on se connaît, je vais pas vous le demander, mais quand même !
– D’accord, mais c’est rarement des gens avec les cheveux en pétard qui arrivent sur un boulet de canon, et que je connais personnellement.
– Ça montre que vous avez pas beaucoup vécu.
– Bon, en tout cas, est-ce que vous pouvez vous éloigner un peu de ce boulet…
– Sûrement pas, c’est mon moyen de transport !
– Mais qu’est-ce que vous voulez, monsieur StJones ?!
– Je veux… un monde différent. Un monde dans lequel les enfants pourront parcourir les rues sans se soucier des maîtres d’école. Je veux un monde dans lequel le moindre petit commerçant n’aura pas à payer sa protection à Jeff l’Usurier. Je veux un monde un monde dans lequel on pourra boire sans se faire houspiller par la Ligue de vertu. Un monde dans lequel les caves ne sont pas occupées par des entités noires qui dévorent des sœurs au petit déjeuner… Est-ce trop demander ?
– Non, mais… Qu’est-ce que vous voulez que nous on fasse ?
– Eh bien, je voudrais que vous jetiez vos règles aux orties, et que vous choisissiez enfin de suivre le droit chemin d’Itras en rejetant toute forme d’autorité, pour montrer à la ville que même les plus sages ont enfin décidé de se libérer de leurs chaînes. Parce que ce sont des chaînes !
– Jusqu’à nouvel ordre, nous sommes libres de vivre comme nous l’entendons…
– Justement, faites-en usage !
– On est toutes très contentes d’être dans notre couvent, et de vivre comme on vit !
– Dirigées par une seule personne, une sœur supérieure, désignée on ne sait comment…
– Justement ! Une élection se prépare !
– Quelles sont les conditions pour s’y présenter ?
– Déjà, il faut faire partie de l’ordre de la Très Sainte Lumière d’Itras, monsieur StJones !
– Je viens du ciel !
– Ça ne suffit pas, désolée.
– Alors rebellez-vous contre cette odieuse élection qui ne sert qu’à vous endormir ! »

Scène 4 : Boulet, robe de bure et bigoudis

Sur ce tapage, sœur Vestine débarque avec des bigoudis dans ses cheveux, et dévisage Jonas du haut de son mètre quarante.

« Qu’est-ce que c’est que ce boucan ?! Et que vient faire cet homme dans notre couvent ?!
– Des bigoudis, vraiment ?
– Monsieur, veuillez sortir immédiatement. Pas d’homme après l’extinction des feux. Sinon, je sonne l’alarme !
– Je ne sortirai que lorsque vous aurez libéré vos cheveux !
– Comment ?! Encore un de ces satyres ! Ils n’arrêtent pas, en ce moment…
– Ça te défrise ?
– Monsieur, dernière sommation. J’appelle la Garde grise, je vous préviens !
– J’en ai rien à foutre de la Garde !
– Vous l’aurez voulu. »

Vestine sort de sa robe de bure de chambre un pistolet de détresse et tire dans les airs, explosant en un portrait d’Itras. Jonas essaie de lui arracher le pistolet des mains.

« Mais enfin ! Augusta, faites quelque chose !
– Monsieur StJones, je pense qu’on pourrait discuter de tout cela tranquillement…
– Vous êtes aveugle. Quand la ville brûlera, vous vous souviendrez de ce que je vous ai dit, et vous regretterez beaucoup votre attitude. Moi et mon boulet, on s’en va. Vous auriez une brouette ?
– Faut pas pousser, non plus. Débrouillez-vous.
– OK, c’est comme ça ? Très bien ! »

Jonas arrache la robe de Vestine pour s’en servir comme baluchon autour du boulet fumant. Les sœurs aux alentours sont mortes de peur et se plaquent contre les murs.

« Faites quelque chose ! Satyre ! Il a ma robe ! Il en veut à ma vertu !
– Sœur Vestine, laissez-le partir… De toute façon, des robes de bure de chambre, vous en avez plein les placards…
– Vous donnez donc raison à cet homme qui m’agresse, moi qui ne suis même pas pubère ?
– S’il s’en va de son propre gré, cela nous évitera de devoir rameuter la Garde… Il n’est pas si méchant… Un petit peu allumé, voilà tout…
– Écoutez, ma petite, jusqu’à nouvel ordre, je suis la sœur supérieure ici, donc c’est moi qui sait ce qu’il faut faire. Si je dis qu’il faut appeler la Garde, on l’appelle. Monsieur est un dangereux individu qui s’introduit dans les couvents de je ne sais quelle manière pour voler les robes de bure de chambre pour faire je ne sais quoi avec (je n’ai pas envie de le savoir, d’ailleurs)…
– Quoi, t’as un problème ?
– Eh bien oui, j’ai un problème ! J’en ai assez des hommes comme vous qui se croient tout permis, simplement parce que ce sont des hommes et que nous sommes des nonnes, censées être sans défense… Je vous ferai dire, mon petit monsieur, que je ne fais pas que de l’aviron, je fais aussi du ju-jitsu ! Alors attention !
– Ben faites-en usage ! Sortez de vos gonds, quoi ! »

Vestine cesse de croiser les bras sur sa poitrine et se met en position de combat face à Jonas.

« Monsieur, lâchez ce baluchon, ou il vous en cuira.
– Vous voudriez me voler mon boulet ?
– Excusez-moi, coupe Augusta, est-ce qu’on pourrait arrêter ! Mais qu’est-ce que vous faites tous, bon sang ! Vous n’allez pas vous battre pour ça, c’est ridicule !
– Je me battrai jusqu’à la mort contre l’oppression du système que vous représentez !
– Mais c’est vous qui êtes venu tout seul dans ce couvent, alors n’allez pas nous chercher des noises ! Et vous, sœur Vestine, c’est simplement une robe !
– On voit bien que ce n’est pas la vôtre !
– Eh bien si c’était la mienne, je le laisserai partir avec ! »
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Emöjk Martinssøn
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Scène 5 : Où la brouette n’empêche pas la bavure

La Garde grise débarque sur ces entrefaites.

« Bonsoir mes sœurs… Nous avons vu votre signal… Que se passe-t-il ?
– Ce qu’il se passe, explique Vestine, c’est que ce monsieur-là s’est introduit dans notre couvent sans permission après extinction des feux et qu’il m’a arraché ma robe pour faire des choses obscènes avec !
– Transporter un boulet, c’est pas une chose obscène ! C’est pour vous en débarrasser !
– Monsieur, dit l’un des gardes, est-ce vrai que vous avez débarqué ici sans autorisation ?
– J’ai pas eu le choix, je suis tombé du ciel ! Regardez ce boulet, vous croyez qu’il y a une direction dessus ?
– Vous avez bu, monsieur ?
– Non, justement ! C’est bien le problème !
– Bien… Vous allez rendre cette robe à madame et vous allez nous suivre gentiment.
– Alors c’est vous qui portez le boulet. Moi je ne peux pas le faire à mains nues.
– Dans ce cas, laissez-le ici et vous retournerez le chercher dans la journée.
– Vous permettez donc à cette mère supérieure de me voler ma propriété, simplement en faisant appel à la complicité de la Garde grise ? Toujours au service des puissants !
– Bon, vous vous calmez, monsieur ! Sœur Vestine va garder votre boulet, pas le voler.
– Ça m’étonnerait bien.
– Cela vous rassurerait-il si elle vous signait une attestation sur l’honneur ?
– Peut-être. Éventuellement. Si elle en avait.
– Et si c’est moi qui vous la signe ? demande Augusta.
– Oui, évidemment ! Mais vous êtes pas sœur supérieure. Vu votre système matriarcal indu, si elle vous demande de lui donner, vous le ferez. Et votre honneur sera bafoué. Tout ce que je vous demande, c’est un sac ou une brouette pour transporter mon boulet, c’est quand même pas compliqué…
– Ma sœur, vous n’avez pas de brouette, ici ? Vous avez bien un jardin…
– Il faudrait demander à sœur Jeanne-Sébastienne si elle veut bien prêter sa brouette… Comment est-ce qu’elle va la récupérer, hein ? Parce que vous savez combien ça coûte, à Itras By…
– Elle pourra venir la chercher à la caserne. Allez-y, qu’on en finisse. »

Augusta va au potager demander à sœur Jeanne-Sébastienne sa brouette ; la sœur accepte de mauvais gré, car cela va l’empêcher de repiquer ses tulipes nocturnes, après qu’Augusta lui assure qu’Itras lui en saurait gré. Elle la ramène à Jonas, qui rend sa robe à Vestine (« je ne savais pas que les nonnes portaient du tissu si doux… ») et quitte le couvent avec les gardes, toujours en ronchonnant, direction le commissariat. Sur le chemin, les gardes remplissent le procès-verbal.

« Votre nom, c’est quoi déjà ? Jonas StJones ? Où résidez-vous, monsieur ?
– Partout où me portent mes pas !
– Monsieur, si vous n’avez d’adresse, nous sommes obligés de vous emmener à la caserne…
– J’habite sur mon boulet. Notez : “1, place du Boulet”.
– Nous ne pouvons admettre des gens sans domicile dans notre ville, monsieur. Je suis garde gris depuis ma tendre enfance, je connais toutes les rues de la ville, et il n’y a pas de place du Boulet.
– Si, regardez ! Ici, dans cette brouette !
– Ne m’amenez pas à employer la force.
– Ah, la force… Je reconnais bien là l’autorité… L’oppresseur… Garde grise mon cul, oui !
– Bon allez, mon coco, en cellule, et plus vite que ça !
– Ouais, j’ai l’habitude ! »

Le garde sort une épée ; Jonas le regarde mais ne bouge pas. L’autre garde menotte Jonas dans son dos et le pousse en avant. Avant de partir, ils donnent un coup de pied dans la brouette et font rouler le boulet au sol.
« Bavure ! Bavure ! hurle Jonas. La Garde grise m’assassine ! Je— »
Le garde assomme Jonas, pendant qu’Augusta les rejoint pour récupérer la brouette.

Scène 6 : Martin Poicreux et les hommes-ciseaux

À « l’Explosive », Amandine est sur le point de partir lorsque trois personnes rentrent dans la guinguette : des hommes extrêmement maigres, 20cm de largeur au jugé, habillés de longs manteaux noirs et de très longs hauts-de-forme. Ils lui jettent un regard dédaigneux de leurs yeux entièrement noirs, et se dirigent droit vers Martin Poicreux.

« Vous êtes le patron de cet établissement ? lui demandent-ils d’une voix métallique. Très bien. Vous étiez précédemment le logeur de l’immeuble sur lequel vous êtes installé ?
– Euh… Non, pas du tout… Je crois qu’il est, euh… parti en bateau… »

L’un des trois hommes fait pianoter ses doigts, métalliques, sur le comptoir. À la pointe de chacun de ses doigts, une lame acérée.

« Vous êtes sûr ?
– Euh… »

Martin recule, passe derrière le bar, et se dirige côté cuisine. Les hommes avancent, d’un air calme.

« Oui, je suis… complètement sûr… Bon, maintenant, si vous vouliez bien partir… »

Il attrape une casserole et frappe le premier à sa portée.

[Je demande à @Kobal de tirer une carte « Résolution » pour savoir s’il fait fuir les trois hommes. Clémence lit : « Le conflit empire ! La tension monte alors que le conflit, le problème ou les enjeux montent d’un cran. Décrivez comment la situation s’aggrave pour le personnage ».]

Jeannot crie soudain « Au feu ! » depuis la salle : l’un des clients n’a pas fait attention en fumant son cigare. L’un des trois hommes attrape Martin par le col entre deux de ses doigts affutés : « Monsieur Poicreux, vous allez venir avec nous.
– Non ! »

Martin lui donne un coup de pied ; son col se coupe, libérant l’ex-logeur qui roule par-dessus le comptoir et s’enfuit de sa guinguette. Les trois hommes s’ouvrent alors en deux, révélant un bouquet de lames acérées, et commencent à avancer d’un pas rapide dans sa direction en faisant des grands moulinets de couteaux sur leur passage. Les toiles à moitié enflammées se déchirent autour d’eux.

Observant tout cela, Amandine met ses bananes à l’abri et hurle à la Garde grise et aux marins pompiers, tout en courant vers la caserne la plus proche. À l’intérieur, un garde gris l’accueille, les bras croisés.

« Monsieur ! Vite ! Des hommes-ciseaux à l’Explosive ! Ils sont trois, et j’ai peur qu’ils en aient après la vie du tenancier !
– Calmez-vous… L’Explosive, euh… Ah oui, cette petite guinguette qui a ouvert récemment…
– J’ai peur que monsieur Poicreux puisse mourir d’une minute à l’autre ! Dépêchez-vous !
– Écoutez, vous allez me remplir ce rapport d’incident… et puis nous pourrons agir. »

Amandine empoigne le garde par le col.

« Moussaillon !! Il y a un matelot en danger près de la guinguette, alors il va falloir aller le sauver maintenant !! »

Reposez ce Rolodex lentement et tout se passera bien !

Le garde se redresse et sort immédiatement en courant de la caserne. En sortant, il manque de bousculer deux de ses collègues, qui sont en train de traîner derrière eux Jonas StJones, assommé, qu’Amandine n’avait pas revu depuis quelque temps.

« Excusez-moi… Est-ce qu’il est…
– Très pénible, oui.
– Ah, vous me rassurez ! C’est vrai, il est très pénible ?
– Vous le connaissez ?
– C’est merveilleux… pleure Amandine à chaudes larmes. Il est pénible ! J’ai eu tellement peur… Si vous saviez… tout ce temps à me demander ce qu’il lui était arrivé, et s’il était encore vivant… Mon Jonas ! Dans mes bras !
– Eh là, ma p’tite dame ! Ce monsieur a tenté de résister à son arrestation !
– Mensonge… marmonne Jonas.
– Évidemment qu’il a tenté de résister… Avez-vous la moindre idée de la personne que vous venez d’arrêter ! C’est l’homme qui chevauche les boulets de canon ! Vous pouvez en dire autant ? Est-ce que vous, dans votre vie, vous avez fait une chose aussi incroyable ?
– Vous voulez passer une nuit en cellule, vous aussi ? Vous m’avez l’air d’avoir abusé de la boisson…
– Non, j’ai abusé de la bonne fortune !
– Bon, on va pas compliquer les choses. Vous allez en cellule avec lui, et on discutera de tout cela plus tard.
– Oppression dans les rues ! La Garde grise me tue !
– Non, attendez… Vous n’avez pas le droit, je n’ai commis aucun crime !
– Ah oui ? Quelle est votre identité ?
– Amandine Beaulieu.
– Voyons… »

L’un des gardes fait le tour du comptoir et sort un Rolodex, qu’il consulte soigneusement…

« Eh bien voilà un délit ! Usurpation d’identité. Amandine Beaulieu est décédée il y a un certain temps, maintenant.
– Excusez-moi ?!
– Tiens, lui dit son collègue, regarde “StJones” aussi, ça m’étonnerait pas qu’ils soient en bisbille tous les deux…
– Non mais attendez, faites voir ! dit Amandine en s’emparant des fiches.
– Oh là ! Reposez ce Rolodex lentement et tout se passera bien ! »

En effet, Amandine constate qu’elle est censée avoir disparu en mer, ainsi que Jonas.

« Mais enfin, on n’a pas disparu en mer ! On a… »

L’un des gardes donne un coup de matraque dans les genoux d’Amandine, qui tombe au sol.

« Les mains derrière le dos !
– Mais enfin, vous frappez des mères de famille ! C’est dégueulasse ! Banana lives matter!
– Garde grise, la traîtrise ! »
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Scène 7 : Où la machine électorale est lancée

Au couvent, les choses se sont calmées. Sœur Josèphe revient voir sœur Augusta pour savoir si elle a pris une décision concernant l’élection.
« Vous êtes d’accord pour vous présenter ?
– Oui.
– Ah, c’est merveilleux ! »

Elle court vers une sorte de gong sur lequel elle tape comme une forcenée.

« Vous, sœur Augusta ? lâche Vestine.
– C’était pas mon idée… On m’a demandé et j’ai accepté, car je pense que c’est mon devoir.
– Ha ! Très bien. Je vois. Eh bien cela se décidera d’une façon démocratique, j’imagine. »

Vestine s’allume un cigare et en souffle la fumée au visage d’Augusta.

« Bien. Vous connaissez les règles. Nous avons toutes les deux une heure pour écrire notre discours. Je vous suggère de ne pas gâcher votre temps. »

Augusta se retire dans ses appartements, un peu paniquée ; impossible à présent de perdre face à sœur Vestine sans que cette dernière fasse de sa vie un enfer. Rien ne lui vient comme idée pour son discours, et personne ne peut vraiment l’aider ; tant pis, il va falloir improviser.

Scène 8 : Encore un contrat douteux de Poicreux

Martin Poicreux court à travers les rues d’Itras, les hommes-ciseaux à ses trousses gagnant du terrain.

@Kobal demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « Bulle de pensée. Une bulle trahissant les pensées d’un personnage (PJ ou PNJ) apparaît au-dessus de sa tête. Tout le monde peut la voir. Choisissez qui est affecté et, s’il s’agit d’un PNJ, vous décidez de ses pensées ». Dans la scène qui suit, c’est moi qui décris les pensées car je n’avais pas bien écouté ce que disait la carte.]

Une bulle apparaît au-dessus de l’un des hommes-ciseaux ; on y voit des dessins représentants des Futuristes découpés en morceaux et l’homme-ciseau courant après Martin Poicreux, qui porte des lunettes d’aviateur, comme s’il était lui-même un Futuriste. Martin redouble de vigueur dans sa fuite et se dirige vers la première entrée d’égout qu’il trouve ; il mène ses assaillants à travers les couloirs, qui lui crient de s’arrêter : « Tu es le dernier des Futuristes, tu dois mourir !
– Mais je suis pas un Futuriste, enfin !
– Tu les abritais secrètement, c’est donc que tu les soutenais !
– Mais non, ils me payaient ! »

Les cliquetis ralentissent, puis s’arrêtent.

« Reviens ici, nous allons discuter.
– OK… Très bien… »

Martin revient sur ses pas en serrant fort derrière son dos son stylo quatre couleurs. Les hommes-ciseaux ont à présent repris apparence humaine, et considèrent l’ex-logeur d’un air glacial.

« Poicreux, dis-tu vrai ?
– Évidemment ! Il n’y a que l’argent qui m’intéresse ! Vos Futuristes, ça aurait pu être n’importe qui ! J’aurais même pu héberger des ciseaux !
– Très bien. Dans ce cas… »

Les hommes-ciseaux conversent silencieusement entre eux ; dans la bulle de pensée, Martin comprend qu’ils veulent le payer pour qu’il leur ramène les Futuristes survivants.

« Qui occupait l’appartement 4B, Poicreux ? Nous sommes prêts à te payer pour cette information. Tu pourrais… ajouter de nouvelles décorations à ta guinguette.
– C’est intéressant, je… Je vais rechercher des informations sur les Futuristes.
– Fort bien. Nous attendons des rapports quotidiens à cette adresse, dit l’homme-ciseau en tendant une petite carte à Martin. Si tu ne t’y présente pas…
– Il n’en est pas question ! Quotidiens, c’est beaucoup trop fréquent ! Il me faut plus de temps, vous comprenez, j’ai mon établissement à tenir, et puis je dois… »

L’homme-ciseau place ses lames autour du cou de Martin.

« J’ai dit quotidiens.
– Bon bon, d’accord… Mais je veux être payé d’avance. Et mon prix est très élevé. »

L’homme sort d’on ne sait où une bourse remplie jusqu’à la gueule de pièces ; pas de quoi faire reconstruire son immeuble, mais au moins un de ses étages.
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Scène 9 : Évasion de bananes

Dans la cellule de la caserne, Amandine tente de parlementer.

« Non mais il pense pas ce qu’il dit… C’est un genre qu’il se donne, vous voyez… Quand il vous a traité d’assassins, c’était pas contre vous…
– Garde grise, j’vous méprise !
– C’est un poète, vous voyez. Il faut lui laisser son âme d’artiste.
– Itras By dans la rue ! La police est en… euh… »

Amandine se rend compte que le garde auquel elle parle depuis dix minutes est profondément endormi. Jonas enlève sa chaussure pour la lui envoyer, mais Amandine le dissuade : il vaut mieux essayer de voler les clefs pour s’enfuir. Elle sort les bananes de son sac.

« Les petites, il faut pas faire de bruit. Maman a été capturée par des méchants, avec, regardez qui… tonton StJones !
– Tonton, tonton ! Il est pas devenu un ange dans le ciel ?
– J’suis redescendu.
– Eh oui, parce que c’était pas rigolo sans vous, les filles !
– Libérez les bananes ! Libérez les bananes !!
– Chut ! StJones, la ferme !
– Mama, mama ? Il faut qu’on tue les méchants ?
– Oui !! crie StJones.
– Non, non ! dit Amandine. Je veux que vous récupériez les clefs qui sont accrochées à la ceinture du garde, et vous les apportez à maman. »

Les bananes se dirigent en une nuée scintillante vers le garde et décrochent les clefs.

[Je demande à @Guylène de tirer une carte « Résolution ». @kiraen lit : « Non, et… Non seulement vous échouez, mais quelque chose d’autre se passe mal ».]

Le garde se réveille brusquement, tiré de son sommeil par des cris provenant de la rue, appelant à l’incendie. Le feu qui avait pris à l’Explosive s’est étendu au quartier et menace désormais la caserne… Le garde assomme quelques bananes ; les autres reviennent vers Amandine, affolées.

« Monsieur le garde, dit-elle, on vous a réveillé parce qu’il y a le feu ! On va tous mourir !
– Je vais chercher du renfort, bougez pas !
– Nous laissez pas enfermés !
– Garde grise, assassins !
– Mama, on va mourir !
– Les filles, vous êtes pleines de force ? Alors tous ensemble, on défonce la porte de la prison !!
– Ouiii !!!
– StJones, avec moi, moussaillon !
– J’suis pas marin ! Et j’prends pas d’ordre de toi ! »

Amandine et les bananes se jettent vers la porte, qui résiste quelque peu.

« StJones, aidez-nous, enfin !
– Je peux pas décemment me ranger du côté de l’autorité que vous représentez, Amandine…
– Jonas, on est en train d’essayer de s’évader une prison… J’ai vraiment l’air de représenter l’autorité ? Allez, aidez-moi, bon sang !
– D’accord… Vous ne perdez rien pour attendre ! »

Jonas se joint aux autres et la porte craque aussitôt dans un fracas de bois. Au-dessus de leurs têtes, c’est le branle-bas de combat, on entend des pas en tous sens, et ils peuvent quitter la prison sans en être empêchés.

« Bon, dit Amandine une fois qu’ils sont dehors, il faut qu’on trouve un refuge pour ce soir. On ne pourrait pas demander l’asile au couvent ? Sœur Augusta ne nous refuserait pas ça…
– Ça risque d’être difficile… Il y a un petit contentieux entre nous… Et puis on va pas aller se réfugier chez des tenantes de l’ordre établi, des mégères qui entretiennent l’asservissement du peuple d’Itras By à travers leurs faux idéaux !
– Bon ben où alors ? À la Part du Diable ?
– Pourquoi pas, tiens. En route. »

Une grande bourrasque souffle soudain dans les rues, éteignant les flammes autour d’eux et les frigorifiant jusqu’aux os.

Scène 10 : Putsch au couvent

L’heure fatidique est à présent écoulée et Augusta n’a rien écrit. On entend les sœurs à travers les couloirs : « Les discours ! Les discours ! ». Augusta se dirige donc vers la grande salle du réfectoire et s’assied sur la scène improvisée, devant les autres nonnes pour écouter Vestine prendre la parole en premier. Vestine arbore un sourire de victoire sur le visage ; elle se racle la gorge, puis commence.

« Mes sœurs, vous le savez, mon autorité a été ce soir remise en question par sœur Augusta, et je me dois donc de défendre ma place en tant que sœur supérieure ; je me présente donc aux élections pour ce poste. Je pense tout d’abord que le plus simple est de vous parler de mes accomplissements pendant mes longues et longues années en tant que sœur supérieure ; je pourrais commencer par vous parler de notre victoire contre les forces sombres de Nindra, qui ont essayé de nous repousser, mais nous avons tenu bon et bâti notre couvent malgré tout. Au niveau économique, depuis notre association avec l’orphelinat de la ville, nos chiffres n’ont jamais été aussi hauts. Enfin, dois-je vous rappeler que pas plus tard que la semaine dernière, nous avons fait un converti, un charmant gardien d’immeuble. Les résultats parlent donc d’eux-mêmes. D’autre part, je tiens à rappeler que je suis une sœur extrêmement facile à vivre, puisque vous pouvez toutes fumer le cigare nuit et jour dans vos cellules. Je terminerai en vous disant : “Ne vous demandez pas ce que le couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras peut faire pour vous, demandez-vous plutôt ce pouvez faire pour lui ! »

Une partie de l’assistance applaudit vigoureusement.

« Et je laisse ma place à ma concurrente, en lui souhaitant… bonne chance… »

Augusta s’avance en tremblant. Après avoir un peu bafouillé, elle se lance.

« Vous le savez, mes sœurs, je n’ai pas l’habitude de parler devant vous toutes… Mais je vous connais toutes, depuis tout ce temps que je suis dans ce couvent. Toute ma vie est dévouée à Itras et à ce que je peux faire pour mes sœurs, et même si je ne pourrai pas faire de beaux discours comme sœur Vestine, qui a certes des qualités admirables, je suis profondément dévouée à Itras, et comme certaines d’entre vous le savent, j’ai eu l’honneur et la chance de la voir, ce qui n’a fait que renforcer l’ardeur de ma foi, et… »

Une vague de murmures parcourt l’assistance.

« … et je pense que ce ne sont pas les mots qui sont importants quand on est dévouée à Itras, mais ce qu’on a dans le cœur. Et je ne peux que vous promettre que si je suis élue, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que notre couvent soit prospère, et pour que nous continuions à gagner les championnats d’aviron, bien évidemment. »

Les nonnes applaudissent faiblement Augusta. Vestine se tourne d’un air satisfait vers sa concurrente : « Je crois que les applaudissements ont parlé d’eux-mêmes, et que…
– Non, ce n’est pas juste ! crie une sœur en se levant. Moi, je veux que ce soit sœur Augusta qui nous dirige ! Après tout, c’est l’envoyée d’Itras ! Elle le mérite !
– Sœur Jeanne-Sébastienne, je suis désolée, mais les règles…
– Eh bien, si ces règles vont à l’encontre de celle que notre déesse à toutes a désignée comme son envoyée dans notre ville… Eh bien, je dis zut aux règles !
– Moi aussi je dis zut aux règles ! dit une autre sœur. »

Plusieurs se lèvent ainsi, de plus en plus agitées.

« Ça suffit ! dit Vestine. Il y a des règles et il faut les respecter !
– Zut aux règles ! murmurent les sœurs. Augusta ! Zut aux règles ! Augusta !
– Oui, après tout ! dit Augusta. Vous avez peut-être raison ! Des règles, il y en a beaucoup, mais est-ce que ce qui est important, ce n’est pas juste la foi que nous avons en Itras ? Qu’avons-nous à faire de toutes les règles qu’il y a à côté ?
– Très bien ! dit sèchement Vestine. Vous voulez être sœur supérieure ? Vous pensez que c’est rigolo de diriger le couvent, qu’on peut faire ce qu’on veut, qu’on peut dire zut aux règles ? Mais très bien, dites zut aux règles ! Devenez sœur supérieure ! Vous allez voir, dans moins d’une semaine, vous reviendrez à genoux devant moi me supplier de reprendre votre poste. Et à ce moment-là, je vous regarderai, et silencieusement, je vous dirai : “Ha, sûrement pas !” »

Vestine arrache son médaillon, le jette sur Augusta, et s’en va. Le silence retombe un instant dans le réfectoire, avant que les sœurs ne se mettent à fêter Augusta, qui ramasse le médaillon et le met à son cou. Immédiatement, elle sent une sorte de légèreté l’envahir, une sensation qui lui dit qu’elle a fait le bon choix. Elle lève les bras et descend parmi ses consœurs pour les embrasser.
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Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 11 : Les chemins les plus tortueux…

Sur le chemin de la Part du Diable, Amandine et Jonas entendent les cloches du couvent sonner ; portée par les bourrasques de vent, une fumée blanche s’élève hors du couvent et parvient jusqu’à eux, signe qu’on vient de désigner une nouvelle sœur supérieure.

« Jonas, regardez ! C’est une fumée blanche à points rouges ! C’est la première fois en 200 ans ! Ça veut dire qu’on a une nouvelle supérieure qui n’a pas été élue selon les méthodes règlementaires ! Il y a peut-être eu un putsch au couvent ! Vous pensez que c’est sœur Augusta ? Elle avait quand même du coffre, niveau autorité…
– Ouais, enfin quand on voit les autres…
– Il faut qu’on y aille ! Pour s’assurer qu’elle va bien, ou la féliciter si c’est elle ! Au diable la Part du Diable !
– Dites-moi, “anarchie”, ça prend un ou deux “n” ?
– Un seul. »

Jonas hoche la tête et finalise son énième slogan tracé au charbon de bois sur les murs de la ville.

« Et puis, continue Amandine, je pense malgré tout qu’elle pourra nous offrir l’asile… Elle a grand cœur, et puis normalement elles sont obligées ! On aura au moins un endroit où loger ce soir.
– Ouais, et puis ça devrait bien les faire chier ! Allons-y. »

À mi-chemin, une plaque d’égout se soulève en pleine rue, devant leurs yeux, et Martin Poicreux en sort.

« Nom d’Itras, j’ai réussi à leur échapper ! Mais qu’est-ce que vous faites là, vous ?
– J’allais vous demander la même chose… Vous avez réussi à semer les hommes-ciseaux ?
– Oui ! Enfin… oui, en quelque sorte. J’ai une sorte d’arrangement avec eux. Sinon, je crois que j’ai vraiment besoin de me rapprocher d’Itras très vite et très fort, parce que je vais avoir des problèmes, je pense…
– Ça tombe bien, nous allons au couvent voir la nouvelle sœur supérieure qui a été nommée selon des paramètres non règlementaires !
– Très bien ! Je vous emboîte le pas. »

Après quelques centaines de mètres, le petit groupe croise la route de sœur Vestine, qui les dépasse sans les regarder et l’air furibard.

« Bah alors ma sœur ? lance Jonas goguenard. Qu’est-ce qui va pas ?
– Ha, vous ! Ça m’étonne pas, tiens. À peine une nouvelle sœur supérieure nommée, que les pervers du quartier arrivent.
– Non mais oh, rouspète Amandine, je t’autorise pas à nous parler comme ça, gamine ! Tu te prends pour qui ?
– Mais pour personne ! Je ne suis plus personne ! Ce couvent va se transformer en lupanar, et c’est très bien ! Je vais continuer à adorer Itras dans mon coin, et ce sera très bien comme ça !
– Un lupanar, c’est une bonne idée… dit Jonas.
– Ah, vous étiez la sœur supérieure ! Mais alors vous pouvez nous raconter ce qu’il s’est passé !
– Ce qu’il s’est passé, c’est un irrespect total des règles, un bafouement des manuels les plus anciens de notre ordre, tout ça parce que madame a soi-disant été touchée par la grâce d’Itras ! Ce qui reste quand même à démontrer… C’est pas parce qu’on résiste à la question que d’un seul coup on a la grâce… Tout cela est très irrégulier, je vous le dis, et quand j’aurai fait remonter tout cela aux instances supérieures, ça va chauffer !
– Mais c’est qui pour vous les instances supérieures ?
– Eh bien je n’ai pas à vous le dire !
– Instances supérieures, mon cul…
– Une très mauvaise soirée à vous ! Quand à vous, monsieur Poicreux, j’avais beaucoup d’espoirs en vous, je suis très déçue de vous voir traîner avec une telle population !
– Comment ça ? Mais, d’abord je fais ce que je veux…
– Exactement ! coupe Jonas.
– C’est vrai, on ne dicte pas la conduite de monsieur, ajoute Amandine.
– Parfaitement ! Même si ma conduite est parfois tortueuse, elle suit quand même son chemin !
– Et les chemins les plus tortueux, euh… sont les plus nobles ! »

Vestine s’en va sans écouter tout cela en marmonnant pour elle-même.

Scène 12 : Retrouvailles

Malgré l’heure tardive, le couvent a l’air d’être en fête : les portes sont grandes ouvertes, et les sœurs bavardent entre elles sans même chuchoter. Plusieurs les saluent de la tête à leur approche : « Oh, c’est le monsieur de tout à l’heure qui a dénudé sœur Vestine ! C’était si amusant !
– Vous avez fait quoi, Jonas ? demande Amandine, admirative.
– C’était pour, euh, jeter à bas la morgue de leur ordre. Dépouiller les oripeaux de la dignité et l’autorité manifeste de cette sœur, euh, inique. »

Au centre de la cour, Augusta est en plein bavardage avec ses consœurs ; elle semble porter une nouvelle robe de bure.

« Mademoiselle Beaulieu ? Qu’est-ce que vous faites là avec messieurs StJones et Poicreux ? Il vous est arrivé quelque chose ?
– C’est une histoire à n’en plus finir ! Félicitations, tout d’abord… Bravo pour votre nomination, je suis sûre que vous allez rendre l’ordre d’Itras un peu plus sympathique à la population que sœur Vestine.
– Je l’espère de tout cœur. Et vous, où en êtes-vous dans votre vie ?
– C’est amusant que vous me demandiez ça… Nous sommes partis en bateau avec mon cher Cléanthe et monsieur StJones ici présent… Moult péripéties ont fait que monsieur StJones a dû prendre un départ anticipé…
– … avec son boulet, oui…
– Ah, il vous a déjà raconté. Il n’a pas trop eu le choix, mais peu importe. En tout cas, Cléanthe et moi avons continué notre voyage ; on voulait aller vers l’amour heureux, mais c’était un peu compliqué… Et puis on s’est trouvés sur l’île des illusions heureuses, les bananes ont fini dans du mazout, et là c’était un peu la panade. Donc on s’est dit “Allez, merde, on rentre à Itras et on reprend notre vie là-bas” ; mais seulement Cléanthe est en train de voir pour la maison – c’est un peu compliqué, on la cède à notre capitaine – et moi, mon appartement a explosé…
– Ah oui, il y a eu quelques petits dégâts récemment. Et où logez-vous, du coup ?
– Eh bien en fait… Il me semble que le couvent possède un droit d’asile ?
– Absolument. Selon nos règles… Cela fait un bout de temps qu’elles n’ont pas été appliquées, mais à l’ordre d’Itras, nous sommes censées accueillir les sans-abris, ou ceux qui fuient un danger immédiat.
– Mais zut aux règles ! intervient une sœur. Si on n’a pas envie d’accueillir des gens, on n’est pas obligées, n’est-ce pas sœur Augusta ?
– Euh, oui, enfin on est quand même des sœurs d’Itras, et c’est Itras elle-même qui nous dicte d’accueillir tous les malheureux qui viennent à notre porte ! Ce n’est pas une question de règles, c’est une question de foi en Itras. Et puis il me semble que vous avez des sortes d’enfants, mademoiselle Beaulieu ? Madame ?
– Mademoiselle, il est encore un peu tôt… Non pas que ça me déplairait, minaude Amandine. Je pense que Cléanthe va faire sa demande dans les jours qui viennent, du moins je l’espère ! Mais en effet, je suis l’heureuse mère d’une nuée de bananes, et je ne voudrais pas qu’elles dorment dans la rue ce soir…
– Elles sont tellement fragiles à cet âge-là, c’est vrai… Je suis à présent sœur supérieure, c’est donc moi qui décide : vous pouvez rester ici, à la seule condition que vous contribuiez au travail qu’il y a à faire dans le couvent. Et vous-mêmes, messieurs ? Vous accompagnez seulement mademoiselle Beaulieu, ou… ?
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Scène 13 : Le problème StJones

– Moi j’ai pas mal de problèmes, dit Martin. Mais peut-être que monsieur StJones veut passer avant ?
– Vous avez une haute tour dans votre couvent ? demande Jonas. Un point duquel on peut admirer la ville brûler ?
– Alors messieurs, vu qu’il n’y a que des femmes dans ce couvent, je vais de toute façon être obligée de vous loger dans la tour pour vous isoler. Vous pourrez y dormir ce soir, et si c’est trop inconfortable, on trouvera un autre arrangement demain. Ça vous convient ?
– Pourquoi nous isoler ? dit Jonas. J’ai rien contre la tour, mais vous avez peur que vos sœurs découvrent la liberté ?
– Elles ne sont pas encore habituées, il faut y aller doucement… C’est ça ou rien.
– Pourquoi nous demander notre avis, alors…
– Par politesse !
– Pour acheter la paix sociale, oui !
– J’essaye d’être gentille avec vous ! Ça vous paraît complètement étranger comme concept, je le sais, mais c’est comme ça !
– Ah d’accord, je vois ! Depuis que vous portez le médaillon, ça y est, vous avez changé !
– Sœur Augusta… intervient Amandine. Il va falloir être indulgente avec StJones, il a été très changé par notre escapade… Vivre sur un bateau, c’est une aventure à part… Il est un peu sanguin, quoi.
– Bon, vous qui êtes son amie, dites-lui que s’il veut rester ici, il peut, mais il va falloir qu’il accepte que d’autres personnes décident. »

Entendant cela, Jonas quitte les lieux.

« Très bien… Et vous, monsieur Poicreux ?
– Alors oui, comme je le disais, j’ai quelques problèmes… J’avais conclu un pacte avec une entité maléfique, vous voyez, et je ne sais pas si celui-ci court toujours, étant donné que l’entité a semble-t-il disparu… J’ai toujours le contrat, enfin, façon de parler, et puis en plus… »

Martin semble hésiter, puis ouvre sa veste et déverse le contenu de la bourse sur le sol.

« Je ne sais pas ce qui m’a pris… J’ai conclu un contrat avec des entités ciseaux !
– Mais vous êtes fou, mon pauvre ! Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ça ?
– Je sais pas… L’argent ? La peur ? Et puis j’étais tout seul, et je… »

Martin regarde ses souliers en faisant la moue.

« Je vous avais dit que votre appât du gain finirait par vous perdre, dit Amandine.
– Je saiiiiis… C’est pas bieeeeeen… pleurniche Martin.
– Bon, monsieur Poicreux, dit Augusta, je ne peux vous mettre dehors à la merci de ces êtres sanguinaires. Vous allez rester ici, mais vous allez me promettre d’arrêter de passer des contrats avec ce genre de personnages !
– En même temps, si chacun se présentait sous sa véritable identité, genre “Bonjour, je suis une entité extrêmement maléfique”… Ah, quoique ça s’est déjà produit…
– Mais est-ce que passer un pacte avec une entité blanche telle qu’Itras, suggère Amandine, ou un de ses anges, ne pourrait pas annuler un contrat avec une entité noire ou des hommes-ciseaux ?
– Sans doute, oui ! dit Augusta. Dans les archives, il doit y avoir des instructions pour les rituels appropriés. On pourrait peut-être faire ça ce soir ? Et puis ça donnerait un sentiment d’utilité à toutes les sœurs… Il leur faut de quoi s’occuper un peu.
– Ma sœur, ma sœur ! interrompt l’une des correligionnaires d’Augusta. Le monsieur avec son boulet… Il est en train de dessiner sur les murs extérieurs de la cour… Je n’ose vous répéter ce que j’ai lu…
– Mademoiselle Beaulieu, vous pouvez aller lui parler ? C’est pas possible, là… Je serai obligée de le mettre si ça continue, et il sera bien dans la panade.
– J’y vais. Mais sinon, vous n’avez pas une sorte de cellule de dégrisement ?
– Il n’est pas saoul, c’est ça le problème… Il lui faudrait une cellule de grisement. On peut toujours l’enfermer quelque part et lui donner à boire.
– Si seulement il me restait de la gnôle du père Shade… dit Martin. »

Scène 14 : Eusébie la nionne

Au dehors, StJones apporte la dernière touche à une représentation d’une sœur en train de soulever sa robe devant les passants ; on reconnaît le style graphique d’Amandine. À côté de lui, Jonas entend quelqu’un, ou quelque chose, rigoler doucement : c’est une sœur avec une tête de lion.

« Euh… Bonjour, ma sœur…
– RRrrrrrr… »

La sœur tourne autour de Jonas en se léchant les babines, alors qu’Amandine arrive sur les lieux.

« Euh… Jonas, je m’éloignerais un peu si j’étais vous… Elle a l’air un peu affamée… »

La sœur saute soudain sur Jonas.

[Je décide de tirer une carte « Chance ». Je lis : « Il manque quelque chose. Quelque chose ou quelqu’un qui devrait être là n’y est pas. De quoi s’agit-il ? A-t-il soudain disparu ou n’a-t-il jamais existé ? ».]

Amandine voit soudain Jonas disparaître. La nonne-lionne (la nionne, en somme) se retourne à quatre pattes vers elle et lui fonce dessus en rugissant. Amandine escalade le mur : la nionne se positionne en dessous sans pouvoir l’atteindre.
Martin, entendant les rugissements, se précipite au-dehors et tire la queue de la nionne : elle n’est déplacée que de quelques centimètres avant de mettre un grand coup de griffe dans la figure de Martin. Elle rugit et bondit sur l’ex-logeur, au même moment où Amandine lui saute sur le dos et passe les lambeaux de sa bure dans sa gueule ; elle s’en sert comme mors pour tenter de la maîtriser.

[Je demande à @Guylène de tirer une carte « Résolution ». Kobal lit : « Oui, mais… Vous réussissez, mais au prix de quelque chose ou quelqu’un qui vous rattrapera bientôt, une ou deux scènes plus tard ».]

La nionne sort une sorte de bipeur avec un bouton rouge de sa poche, et appuie dessus. Une diode s’allume. Elle se tient à présent tranquille devant Martin, Amandine sur son dos. Sœur Augusta sort pour voir ce qu’il se passe.

« Bon, sang, une nionne ! C’est la première fois que je vois ça… J’en avais juste entendu parler dans les livres… Mais attendez, c’est la robe de bure de sœur Eusébie ! Sœur Eusébie, vous m’entendez ? C’est vous ?
– RRRRRRRR !
– Si c’est vous, levez la patte… »

La nionne lève la patte.

« Ah ! Mais bon sang, qu’est-ce qu’il vous est arrivé ? La dernière fois que je vous ai vu, vous étiez… Bah, vous étiez morte en fait. »

La nionne gratte dans la terre pour dessiner quelque chose ; on voit un visage schématique avec une auréole au-dessus de sa tête.

« C’est l’Ange qui vous a fait ça ? Levez la patte si c’est oui, et bougez la queue si c’est non. »

La nionne lève la patte.

« C’est l’ange avec un œil vert et un œil bleu ? »

La nionne secoue la queue.

« Ça fait longtemps que vous êtes comme ça ? »

La nionne lève la patte.

« Bon, vous voulez bien rentrer dans le couvent, qu’on fasse quelque chose pour vous ? »

La nionne lève la patte et hoche la tête, comme pour montrer Amandine sur son dos.

« Mademoiselle Beaulieu, pourriez-vous descendre de cette nionne ? Je vous assure qu’elle ne vous fera aucun mal.
– Moi, j’en suis pas si sûre, étant donné les circonstances de son décès…
– Enfin, les circonstances sont différentes, là ! Eusébie, vous n’allez pas attaquer mademoiselle Beaulieu ? »

La nionne secoue la queue.

« Juré ? »

La nionne lève les deux pattes, ce qui n’est pas simple. Amandine descend de son dos, et Augusta mène sœur Eusébie à l’intérieur, suivie par Martin Poicreux.
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Scène 15 : Le poids de l’équipe d’aviron

Jonas voit la nionne lui sauter dessus, et le temps de cligner des yeux, se retrouve dans un endroit très sombre, peuplé de chuchotements. Une demi-douzaine de nonnes le regardent.

« Vous aussi vous vous êtes fait attraper ? Lui demande l’une d’elles. Mon Itras, c’est un homme… Elle est donc désormais en liberté dans la cité !
– Euh… Pardon ? Qui êtes-vous ?
– Je suis sœur Dominique !
– Et moi sœur Jeanne III !
– Et moi sœur Jeanne II !
– Très bien… Et vous êtes… prisonnières ?
– C’est-à-dire… Nous sommes dans cette pièce, mais il n’y a pas de sortie !
– Regardons mieux… Tout ce dont je me souviens, c’est d’une nionne qui m’a foncé dessus.
– Oui, c’est sœur Eusébie ! Nous ne savons pas pourquoi, mais elle a été transformée en lionne, et depuis elle n’est plus comme avant… »

Maintenant qu’il s’est habitué à l’obscurité, Jonas constate qu’il se trouve dans une sorte de crypte, une salle sphérique aux murs de pierre, pourvue seulement d’une ouverture au plafond, cinq mètres plus haut.

« Vous êtes des nonnes du couvent d’Itras ? Vous faites de l’aviron ?
– Oui, évidemment !
– Vous êtes donc en bonne forme physique… Que pensez-vous de faire une pyramide humaine ? L’une d’entre vous ou moi-même pourrions atteindre cette ouverture que je vois poindre au plafond.
– Oui, mais il y a une grille de fer inamovible…
– Écoutez, quand on veut, on peut ! Est-ce que vous voulez vraiment sortir d’ici ? Oui ? Parce que j’ai l’impression que vous êtes un peu bloquées dans l’éducation que vous avez reçu… prisonnières d’un cliché auquel vous vous conformez ! “Nous sommes des nonnes, nous respectons les règles, on nous a pas donné l’autorisation de sortir, donc on ne sort pas !”
– Si vous êtes venu ici pour être désagréable, ce n’était pas la peine, dites-donc !
– Je me demande surtout pourquoi vous n’avez pas essayé d’ouvrir cette grille et de partir !
– Qu’est-ce que vous croyez ? Bien sûr que nous avons essayé ! Mais ce n’est pas si simple ! Allez voir par vous-même ! »

Les nonnes, en ronchonnant, forme une pyramide au sommet de laquelle Jonas grimpe ; la grille a l’air, en effet, fortement engoncée.

« Ah ! Alors, on fait moins le malin, monsieur !
– J’ai pas dit mon dernier mot ! Il n’est pas dit qu’une grille m’empêchera de sortir et d’exercer mon droit de citoyen à la liberté et l’auto-détermination ! Je vais manifester contre elle jusqu’à ce qu’elle s’ouvre !
– Mais enfin, c’est une grille ! Elle ne répondra pas à de simples protestations !
– En êtes-vous sûre ? Avez-vous au moins essayé ?
– Bien sûr que non, mon pauvre ami… Ça y est, il a perdu la tête…
– Je suis descendu du ciel récemment sur un boulet, au milieu de votre couvent, je pense que vous pouvez m’accorder un peu plus de crédit. Mais puisque vous ne croyez pas aux protestations, je vais me pendre à la grille, vous allez vous accrocher à mes jambes, et notre poids combiné la fera bien céder !
– Ah, voilà ! Cela me semble bien plus sage. »

Ainsi est fait : les nonnes tirent sur les jambes de Jonas (qui en perd son pantalon), et la grille finit par lâcher.

« Liberté, liberté ! Laissez-moi passer ! »

Les nonnes se montent les unes sur les autres, sans prêter attention à Jonas, et se hissent vers la sortie.

Scène 16 : Miracle homologué

Martin, Amandine et Augusta arrivent dans la cour du couvent, précédés par sœur Eusébie qui se tient relativement tranquille.

« Parce que vous comprenez, explique Amandine à Martin, elle est venue dans mon appartement… enfin, votre appartement… enfin, c’était le mien à ce moment-là… enfin elle a gagné en pilosité depuis…
– Ah oui, on pourrait presque en faire un tapis !
– RRRRRRRR !
– Oulà, ça a l’ouïe sensible ces bêtes-là !
– Et encore, vous n’avez jamais rencontré Phil du zoo… Faudrait peut-être qu’on les présente, d’ailleurs…
– Qui est Phil ?
– C’est le lion du zoo ! Celui qui fume des cigarettes !
– Mais oui, organisez une rencontre, dans un bar, à l’improviste ! Je vois bien le tableau…
– D’autant plus que c’est à cause d’une histoire d’amour qu’elle est venue chez moi… et qu’elle m’a attaquée… et qu’elle est décédée… »

La nionne couine de tristesse.

Augusta voit soudain des sœurs aux robes de bure déchirées et au visage couvert de suie arriver hagardes dans la cour ; elle reconnaît quelques-unes des sœurs qui avaient disparu ces derniers jours.

« Mes sœurs ? Mais d’où venez-vous ? Que faites-vous dans cet état ?
– Eh bien, nous sommes… OH NON, ELLE EST LÀ ! Faites attention !
– Voyons, Eusébie, tenez-vous tranquille ! Couchée ! Expliquez-moi. »

Les sœurs lui racontent qu’elles se sont fait attaquer par Eusébie dans leur lit, suite à quoi elles se sont retrouvées dans une crypte. Pendant leurs explications, Jonas arrive en caleçon.

« Ah, vous étiez complice, je le savais ! dit-il.
– Euh… Bon, sœur Eusébie est tout de même l’une des nôtres, on ne va quand même pas l’abattre… On va la laisser dans une cellule, et on verra plus tard.
– Toujours à vouloir enfermer les gens, vous ! Vous avez un vrai problème avec la liberté !
– C’est juste pour rassurer les sœurs ! Si ça ne tenait qu’à moi, Eusébie resterait à mes côtés, bien sagement…
– D’accord, le seul choix c’est l’emprisonnement, ou l’esclavage pendant que vous utilisez des artifices de sécurité pour faire obéir le peuple ? Bravo !
– Bon, mes sœurs, vous vous sentiriez plus en sécurité avec sœur Eusébie enfermée ?
– Eh bien oui… Mais surtout, il faudrait peut-être essayer de la soigner ?
– Eusébie, venez avec moi.
– Excusez-moi, sœur Augusta… dit l’une des sœurs. J’ai une question d’ordre théologique : si une sœur meurt et revient à la vie sous forme de lionne, on peut considérer ça comme un miracle ?
– Eh bien, oui, en effet…
– Vous entendez, mes sœurs ? Sœur Augusta est notre sœur supérieure depuis seulement quelques heures, et c’est déjà son premier miracle !
– Euh, merci… Allez, double ration pour tout le monde ce soir au réfectoire ! Amandine, Martin, vous vous y connaissez en médecine ou en transformation ?
– Ah non, dit Martin, c’est pas mon rayon… J’ai connu un charpentier-chirurgien, mais il a… Bon, bref.
– Moi non plus, mais je m’y connais sur comment se débarrasser de sœur Eusébie… »

Augusta emmène donc Eusébie en cellule (suivie par Amandine à qui la nionne obéit au doigt et à l’œil), puis retourne voir sœur Claude pour savoir si elle a des livres sur le sujet.
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Scène 17 : Retrouvailles bis

Jonas, excédé par ces abus d’autorité, décide à nouveau de quitter le couvent. Il vole de quoi se faire un kilt avec les habits des nonnes qui sèchent dans le jardin, et se dirige vers la Part du Diable. Sur le chemin, il croise Géraldine, serrée dans son manteau à cause du froid, un air d’effroi sur le visage.

« Oh, Jonas !!! Vous êtes revenu… Jonas, j’ai besoin de vous…
– Bah alors, depuis quand vous faites le trottoir ?
– C’est affreux, Jonas… Ils ont attaqué la Ligue de vertu… Les hommes-ciseaux… Ils sont arrivés et ont massacré tout le monde… Je ne sais pas ce qu’est devenue Miss Wellington… J’ai réussi à m’enfuir, mais c’est moi qu’ils veulent, ils me l’ont dit…
– Bon, venez avec moi. »

Il saisit la main de Géraldine, et fait demi-tour vers le couvent.

« Mais pourquoi ils vous veulent vous ?
– Je… Je ne sais pas… Ils ont dit que j’étais en bisbille avec les Futuristes, ils ont dû me confondre avec ma sœur…
– Quand bien même, c’est pas une raison pour tuer les gens ! Fascistes !
– Jonaaaaas… Qu’est-ce que je vais faiiiire… J’ai peur…
– Ne vous inquiétez pas ; au couvent, il ne vous arrivera rien.
– Je suis tellement contente que vous soyez de retour… Vous m’avez manqué, Jonas… J’ai cru que vous étiez parti pour toujours…
– J’y ai cru aussi. »

Augusta fouille dans sa pharmacie, au cas où quelque chose là-dedans pourrait aider Eusébie.

[Clémence décide de tirer une carte « Chance ». Elle lit : « Le vent tourne. La température, les sons et les odeurs changent. Chaque joueur décrit un élément qui est boulversé. Si quelqu’un faisait une drôle de tête pendant cette scène, il/elle est changé.e en Grimasque ».]

Sœur Augusta entend le vent souffler dehors ; un orage s’annonce au loin, et ça fait longtemps qu’il n’a pas plu…

Alors que la cellule était baignée, comme partout ailleurs dans le couvent, d’une douce odeur d’encens et de bougie, Amandine sent soudain une forte odeur d’alcool.
Dans les rues de la ville, Jonas sent un parfum de révolte autour de lui : des cris et des bris de choses lui parviennent aux oreilles.

Martin, lui, sent une fragrance de pain au lait autour de lui.

Soudain, toutes et tous entendent un son de cloche, très lent, très grave. Ce sont les cloches de la tour de la lune qui résonnent, ce qui n’est jamais bon signe : elles signalent généralement aux habitants d’Itras By de rester cloitrés chez eux.

« Sœur Augusta, dit Amandine, il faut peut-être qu’on barricade l’entrée du couvent ?
– Oui, tout à fait ! Excusez-nous, Eusébie, il faut qu’on s’occupe de ça. »

Eusébie, sans écouter, se cache sous le lit de la cellule et se met les pattes sur les oreilles. Augusta ordonne aux sœurs effrayées de fermer la porte, puis de rester dans leurs cellules jusqu’à nouvel ordre ; ainsi est fait, juste après que Jonas et Géraldine soient entrés.

Scène 18 : La tempête de pains au lait

« Ah, Jonas, dit Amandine, je préfère vous savoir ici ! C’est dangereux dehors, un orage se prépare !
– Je suis pas là pour moi. Je suis là pour elle.
– Oui, mais vous pouvez pas repartir dans ces conditions !
– Je vois pas pourquoi !
– Monsieur StJones, lui dit Augusta, rentrez ! Je ne sais pas ce qu’il va se passer, mais vous ne pouvez pas ressortir ! »

Des pains au lait commencent à pleuvoir.

« Vous ressortirez quand la tempête sera passée !
– Non, je veux pouvoir ressortir quand j’en ai envie ! Vous ne me garderez pas prisonnier derrière ces murs !
– La porte sera fermée ! Vous n’aurez qu’à passer par la muraille, je vous donnerai une corde. »

Des bouteilles d’alcool tombent à leur tour et se brisent sur le sol.

« À l’abri !
– Bon, Jonas, lui dit Amandine, planquez-vous dans une cellule, dans la tour, je ne sais pas… Vous savez quoi ? Essayons d’attraper une bouteille et buvons un petit coup, ça va nous détendre. »

Augusta décide de les suivre en haut de la tour pour pouvoir comprendre ce qu’il se passe, suivie par Martin.

Au sommet de la tour, des meurtrières autour de la grande cloche du couvent laissent voir une pluie drue de pains au lait et de bouteilles de gnôle du père Shade ; des fumées noires s’élèvent à plusieurs endroits de la ville, signes d’incendie éclatés un peu partout. Au loin, aux frontières de la ville, Augusta a l’impression d’apercevoir une tornade progresser lentement.

« Il faut qu’on aille se cacher dans la bibliothèque, dit-elle, c’est l’endroit le plus souterrain du couvent, sans aucune fenêtre…
– Dans les caves, ce serait plus agréable, tout de même… observe Amandine.
– Pff, pour quoi faire ? demande Jonas.
– Pour quoi faire ? Eh bien il y a une tornade qui arrive… Évacuons tout le monde dans la cave.
– Oui, je crois savoir que vous avez des cigares et du vin là-dessous ? dit Amandine.
– Ouais, buvons pendant qu’Itras By succombe ! »

Augusta sonne sa corne de brume et ordonne aux sœurs, y compris Eusébie, de descendre à la cave. Les sœurs ne sont pas rassurées que la nionne descende avec elles ; Amandine suggère de lui mettre un collier et une laisse, mais ce n’est évidemment pas du goût de Jonas.

« Et si elle est consentante ?
– Moui, entre le choix de rester face à la tornade ou de descendre si elle porte une laisse, elle peut pas vraiment être consentante, excusez-moi…
– Eusébie, levez la patte si vous êtes d’accord !
– Mais son avis n’a aucune importance dans l’affaire !
– Ah bah bravo ! Monsieur défend les libertés mais les avis ne comptent pas ! Elle est belle, la démocratie !
– Des avis qui sont formés par une pression sociale et une habitude d’oppression engrenée depuis des années ne comptent pas, non ! »

Une fois arrivées dans la cave, Augusta ferme à double tour la porte des souterrains, et un lourd silence enveloppe les lieux.

« Tiens, s’exclame soudain Amandine, un whisky de la consolation, cru 77, récolte de printemps pluvieux ! Ça, mes amis !
– Elle se mouche pas du pied, la p’tite dame ! renchérit Martin. Vous m’en servez un verre ?
– Essayez de faire boire monsieur StJones… murmure Augusta.
– Géraldine, je vous sers un godet ?
– Si vous voulez…
– Oulà, ça va vraiment pas… »
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

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Scène 19 : Chesterfieldérisation impromptue

Amandine laisse sortir les bananes, qui produisent un peu de lumière.

« Mama, mama, qu’est-ce qu’il se passe ?
– Il y a une tempête, les chéries, alors il faut qu’on se mette à l’abri.
– Vous avez des bananes vraiment charmantes ! observe une nonne. Elles ont l’air très bien élevées !
– Ouiiii ! On aime le chocolat !
– Oui, elles sont très aimantes… Avoir leur père auprès d’elles, ça leur a fait beaucoup de bien.
– On a tué les méchants !
– Euh… Comment ça, elles ont tué des gens ?
– Ouiiiii ! Ils étaient méchants !
– Ah ah ! Elles parlent, euh, de leurs jeux, vous savez, elles ont mille et une fantaisies, ah ah ! Quelle imagination elles ont ! Euh, donc qui veut du vin ? Je vois comme contre-indication : “À ne pas donner aux gens trop heureux” ; madame Géraldine étant complètement dépressive, ça ne peut lui faire que du bien !
– Elle n’est pas dépressive, corrige Jonas, elle a vu toute sa congrégation se faire massacrer par les hommes-ciseaux !
– Bah ça rend dépressif, ça ! Donc on peut lui faire boire un godet…
– Je comprends pas pourquoi ils sont venus me voir… murmure Géraldine.
– Ils ont cru que vous aviez des liens avec les Futuristes, c’est ça ?
– Oui, mais… C’est vrai que les Futuristes me harcèlent depuis que ma sœur a… a disparu…
– Oh, et même un peu plus que ça ! ajoute Martin. Je vous ai quand même vendu pour un paquet de… Euh… Je…
– QUOI ?!?! »

Géraldine se lève et se plante devant lui.

« Qu’est-ce que vous venez de dire ? »

Poicreux pose son verre par terre et recule en agitant les mains.

« Non, c’est un affreux malentendu, je…
– Vous m’avez vendue ?!
– Non, mais… Enfin… Cher, quand même…
– Il vous a vendu des bouteilles ? tente Amandine. Pour vos réunions… »

Géraldine attrape Martin par le col.

« Mais vous êtes comme les ciseaux ! Vous pouvez pas vous arrêter de choper les gens !
– Écoute-moi bien ! crie-t-elle d’une voix rauque. Écoute-moi, mon p’tit gars ! Qu’est-ce que tu m’a fait ! Tu m’as… T’as voulu que… »

Géraldine se tient le ventre et tombe au sol.

« Qu’est-ce qui m’arrive… C’est ta faute, ça aussi…
– Un médecin ! »

Tout le monde s’approche.

« Géraldine ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

L’unijambiste se relève, l’air perdu.

« Géraldine ? Comment ça Géraldine ?
– Reculez-vous tous ! dit Amandine. Géraldine vient de se Chesterfieldiser.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Amandine ? C’est ta faute ?
– Chesterfield ? Euh… D’où est-ce que vous revenez ? Vous venez de prendre la place de votre sœur ! On croyait que vous étiez morte…
– Oh, punaise de punaise… Qui l’a énervée ?
– Elle est très énervée parce que les gens de la Ligue de vertu se sont faits massacrer devant ses yeux…
– Quoi ? Qui a buté ces crétins ? Des hommes-ciseaux ? Oh putain, ils ont cru que j’étais elle…
– Exactement… Du coup ils l’ont accusée d’avoir fait exploser l’immeuble…
– Mais pourquoi on est avec les nonnes, là ? Il faut leur péter la gueule !
– Non, Chesterfield, on ne procède plus comme ça désormais…
– Comment ça ? Tu fais comme tu veux, ma p’tite, mais j’vais te dire, si les hommes-ciseaux en veulent à moi, ils vont me trouver ! Elle est où la sortie ?
– Ouais, t’as raison Chesterfield ! l’acclame Jonas.
– Ho là moussaillon, on va se calmer, on va aller ramer du côté de la cale si ça continue comme ça ! Les rations c’est pour tout le monde pareil, ici !
– Ah ouais ?! Ah ouais ? J’crois pas, non ! »

[Je demande à @Guylène de tirer une carte « Résolution ». Je lis : « Oui, mais seulement si… Vous réussissez, mais seulement en mettant un.e ami.e en difficulté ».]

« Ouais, bon, dit Chesterfield, on peut attendre 5 minutes…
– Non, on peut pas attendre ! crie Jonas. T’as raison, Chesterfield ! Faut pas les laisser faire, faut prévenir tout le monde !
– Oui mais là, c’est pas le moment, quoi…
– Ouais, c’est ça, je vois… Il te reste encore un peu de ta sœur en toi… Bah moi j’y vais !
– Jonas, enfin ! dit Amandine. Un militant mort est un militant inutile.
– À moi, peuple d’Itras By !
– Mais qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? demande Chesterfield. C’était une vraie chiffe molle, avant…
– C’est la mer, ça vous change un homme… »

On ne peut pas se battre contre une armée de lions au milieu d’une tempête de pains au lait et de bouteilles d’alcool…

Jonas ouvre la porte et monte les escaliers d’un pas décidé, malgré les bourrasques de vent qui s’infiltrent, en réfléchissant à quelques slogans bien sentis. Au sommet de l’escalier, un concert de rugissements se fait alors entendre : les renforts d’Eusébie sont arrivés. Jonas ne s’en laisse pas compter et, tout à sa colère, passe droit à travers le troupeau qui ne lui fait aucun mal.

Dans la cour, la pluie est torrentielle. Au loin, des tuiles s’envolent. Jonas attrape un parapluie et monte en haut de la tour ; il soulève la cloche et s’en sert comme porte-voix pour appeler la foule à la révolte : « PEUPLE D’ITRAS BY, RÉVEILLE-TOI ! LES HOMMES-CISEAUX SONT EN TRAIN DE MASSACRER TES CITOYENS ! LEUR FAUX DIEU LES GUIDE ! ET LA GARDE GRISE EST COMPLICE ! RÉVEILLE-TOI, PEUPLE D’ITRAS BY ! RÉVOLTE-TOI ! LÈVE-TOI CONTRE CETTE INJUSTICE ! »

Dans la cave, les rugissements se rapprochent. Amandine regarde Eusébie d’un air interrogateur.

« Vous connaissez les pers… enfin, les ani… enfin, les entités qui sont en train de rugir dehors ? »

La nionne lève la patte.

« C’est vous qui les avez appelées ? »

La nionne lève la patte, d’un air désolé.

« Bon sang ! dit Augusta. Qu’est-ce qui vous a pris ?
– Et moi qui vous ai grattouillée entre les oreilles ! renchérit Amandine.
– On ne peut pas se battre contre une armée de lions au milieu d’une tempête de pains au lait et de bouteilles d’alcool… »

Les lionnes débarquent dans la cave ; toutes les nonnes se plaquent contre le mur, terrorisées.

« Bon là, dit Chesterfield, on est un peu dans la mouise… »

Eusébie pousse alors le plus terrible des rugissements qu’elle a jamais poussés, et s’élance sur le troupeau pour faire barrage, le temps que tout le monde puisse fuir. Augusta hésite quelques instants en la voyant se prendre coup de griffe après coup de griffe, mais ses ouailles passent avant tout.

« Martin, Géraldine, Amandine et toutes les autres ! Passons par les vieux souterrains désaffectés ! Ils devraient nous faire ressortir dans la campagne… »

Quelques temps plus tard, le groupe débarque à l’air libre. La tempête fait toujours rage. Au loin, au cœur de la ville, une ombre se lève : le Dieu-Machine s’est réveillé.
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Arkham
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Arkham »

:bravo: :bravo: :bravo:
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Acte 12 : Sous une pluie de petits pains

Prologue
Quelque temps plus tôt…


Monsieur Crane passe une nuit assez agitée : il rêve qu’il est dans son lit, mais que son lit est dans un théâtre où tous les sièges auraient été remplacés par des sommiers. Il est seul dans la salle. Face à lui, une scène avec des rideaux rouges, faits en métal, qui se lèvent en grinçant : les lumières s’allument et révèlent un bateau en bouts de fer mal vissés. Sur le pont, des automates en métal rouillé tournent en couinant. Monsieur Crane attrape les lorgnettes posées à côté de lui et reconnaît Amandine Beaulieu et Jonas StJones, le gorille, Cléanthe Brumaire… Tous ont l’air de se livrer à une partie de cartes, à moins qu’il ne s’agisse d’un duel, ce n’est pas bien clair. Une musique se lance et s’arrête aussitôt, puis la lumière s’éteint brutalement.

Lorsqu’elle se rallume, monsieur Crane voit l’intérieur d’un couvent : dans une salle de prière, des nonnes sont assises sur les bancs. Derrière l’autel, sur une sorte de pupitre, un automate ressemblant à sœur Augusta agite les bras ; les automates de nonnes tapent dans leurs mains, sans bruit. Un autre automate fait mine de tendre quelque chose à sœur Augusta, et les lumières s’éteignent à nouveau.

Lorsqu’elles se rallument, monsieur Crane voit un modèle réduit d’Itras By sur scène. Pendant une minute, il ne se passe rien ; puis quelque chose grince, et une figure humanoïde géante s’élève lentement dans un des quartiers de la ville en soulevant les immeubles. Elle agite les bras et fait s’écrouler plusieurs bâtiments, juste à côté de chez lui. Le théâtre tremble, de plus en plus, et le plafond tombe sur monsieur Crane, qui se réveille aussitôt.

L’appartement de monsieur Crane est assez peu décoré ; de toute façon, il va bientôt partir de la ville. Un peu partout, des livres sur la ville, sur Itras et sur Nindra, traînent en désordre, ainsi que les notes jetées par monsieur Crane après un peu trop de whisky-qui-aurait-pu-être. Il va pour se gratter la main, mais elle n’est toujours pas réapparue ; il se rend alors compte que son immeuble tremble et, par la fenêtre, aperçoit une pluie drue de petits pains au lait et de bouteilles de gnôle. Il en attrape une : c’est de la gnôle du père Shade. Depuis son séjour dans la boîte à chapeaux, monsieur Crane a bien du mal à résister à une boisson à base d’Entité noire… mais cette fois-ci, il se contrôle. Il regarde à nouveau par la fenêtre et voit une tornade au loin. Aussitôt, il dégonde l’une de ses portes et sort avec pour s’en servir comme parapluie.

Scène 1 : L’audition

Dans une cage, Ida Jerricane papote : « C’est vraiment sympa de me dépanner, Phil ! Ça va pas durer longtemps, tu sais, juste le temps que je retrouve un travail !
– Oh, moi, tant que tu fais tes besoins proprement… Et puis ça fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler. Depuis que Barnabé est plus là… Mais comment tu vas faire, t’as un plan ? J’ai demandé à Francis, mais il m’a dit “pas d’humain”…
– Je pensais retourner au Lilith et supplier qu’on me reprenne pour faire les ménages, comme avant…
– Mais j’y pense ! Ta spécialité, c’est toujours de cracher du feu ?
– Oui mais attention, de façon artistique.
– Eh bin le phare de la ville, c’est bien une flamme qui brûle au sommet ?
– Tu… tu pourrais me pistonner pour le phare ? demande Ida avec les yeux brillants.
– Te pistonner je sais pas, mais je pourrais t’accompagner, si tu vois ce que je veux dire…
– C’est vraiment gentil, Phil !
– Je vais chercher mon accessoire, attends ! »

Il fouille dans un coin de sa cage et sort un dentier aux dents très acérées.

Le phare se trouve au nord de la ville, pas très loin du zoo. Plusieurs bars ont élu domicile dans ses étages inférieurs ; on dit qu’au sommet, le vieux gardien du phare insiste pour faire brûler la flamme, pour que les bateaux ne s’échouent pas (alors que la mer est au sud de la ville). À son pied, un vendeur de barques les alpague : « Madame ! Ça vous intéresserait une barque ? Une barque de Jacques Labarque, de la bonne qualité ! Réputées dans tout le quartier !
– C’est vrai, j’en ai entendu parler ! Mais vous savez, je viens pour l’audition !
– Ah non, on n’engage pas, désolé.
– Pas vous. Plus haut.
– Ah bon ? Euh, bonne chance… Mais ils ont ce qu’il faut niveau serveuses, vous savez.
– Non non non ! Je viens pour la flamme !
– Ah ! Ah… Oui… La flamme… C’est bien ! Il faut s’occuper dans la vie ! Bonne chance, hein ! Et n’oubliez pas : le ciel se couvre, vous feriez bien de réserver votre barque avant qu’il n’y en ait plus.
– Merci, mais je pense que je vais rester ! »

Ida passe royalement devant lui et monte les marches tandis que Phil décoche un sourire carnassier à Jacques.
Plus ils montent et plus les salles sont petites : à l’avant-dernier étage, il y a juste un serveur avec un bar large d’une trentaine de centimètres.

« Un verre ! Vous voulez un verre, madame ? Un p’tit verre ! C’est l’happy hour ! S’il vous plaît…
– Bon, d’accord.
– C’est vrai ? Oh ! Qu’est-ce que… J’ai du vin blanc, et puis… du vin rouge.
– Eh bien, voilà.
– Un mélange ? Voici ! »
Ida trempe les lèvres dans le mélange, pour voir si c’est combustible. Elle commence à partir avec le verre quand le serveur la rattrape : « Attendez, c’est l’happy hour mais c’est quand même payant, en fait.
– Tu veux que… demande Phil.
– Non, c’est bon. Combien ? Quoi ?
– Par exemple, vous voudriez pas me tenir compagnie un petit peu ?
– Eh bien… Écoutez, on peut avoir un échange. Je vais bientôt avoir un emploi qui va m’occuper full time, mais il faut que je trouve quelqu’un pour s’occuper de ma banane… Est-ce que vous pouvez en prendre soin pendant mes heures de travail ? Comme ça, elle vous fait un peu la conversation… Elle est adorable, mais attention ! Pas de gros mots.
– Oh, c’est pas le genre de la maison ! »

Ida déroule le chiffon qu’elle porte en bandoulière et libère sa banane qui gazouille immédiatement. « Mama, c’est qui le monsieur ?
– C’est un baby-sitter. Il va s’occuper de toi pendant que je travaille, mais il va falloir être extrêmement sage !
– Mais s’il est pas gentil ?
– Il va être gentil. Et si toi, tu n’es pas gentille, ça va être une fessée, attention !
– D’accord, je serai gentille… Mais monsieur, vous avez de la sauce au chocolat ?
– Euh, j’ai du vin blanc, et puis… du vin rouge.
– Pas de vin pour les bananes, monsieur. J’apporterai ce qu’il faut.
– Et si elle a besoin de… vous voyez, quoi… Je fais quoi ?
– Les bananes ne font pas ce que vous voyez, monsieur.
– Noooooon ! On fait jamais cacaaaaaa !
– Attention ! On ne parle pas de ces choses-là ! »

Ida monte à l’étage ; il n’y a pas de porte, on tient à deux personnes et demi à peine. Un très vieil homme avec une barbe immonde, vêtu d’habits de marin délavés, est en train de pousser péniblement une lanterne géante. Lorsqu’il la pousse, ça moud du café qui descend ensuite dans les étages inférieurs.

« Bonjour ! Excusez-moi, j’ai pas le temps de m’arrêter !
– Pas de souci, faites ! Je viens pour l’audition !
– Mais j’entends très bien !
– Phil, ici présent, supposait que vous auriez besoin d’aide pour entretenir la flamme, pour ainsi dire… Il se trouve que je suis Ida Jerricane, vous avez sans doute entendu parler de moi ? Cracheuse de feu, anciennement au cabaret Lilith ! Je vous propose d’améliorer un peu le système en artistiquant tout ça, en quelque sorte !
– Oh bah écoutez, pourquoi pas… Attendez, poussez un peu pendant qu’on discute… Elle est très bien la flamme, bon… Je fais ce que je peux, je manque de bûches en ce moment et…
– Eh bien, vous l’avez !!
– Bon, faites-moi une petite démo, alors. »

Ida boit le vin blanc et rouge et sort un briquet, puis souffle vers l’ouverture du plafond pour reproduire en flammes le phare à échelle réduite. Le gardien est si impressionné qu’il arrête de tourner pendant quelques secondes. Au même moment, un éclair éclate dans le ciel et des petits pains se mettent à tomber ; le gardien tire sur une corde et un couvercle referme le haut du phare.

« Vous êtes arrivée à temps, on dirait ! On sera pas trop de deux pour entretenir la flamme pendant la tempête qui s’annonce ! Va falloir qu’on la voie loin, je vous préviens !
– Eh bien allons-y ! Mais il me faut du combustible… »

Le gardien attrape une des bouteilles qui jonchent le sol et la passe à Ida, tandis que Phil la regarde d’un air indécis.

« Phil, tu vas pas sortir par un temps pareil ! Attends ici que ça se calme ! Pardon, patron, il peut rester ?
– Oui, mais pas à rien faire ! Pousse avec nous, mon gars, j’ai une poignée de secours ! »

De là où elle est, Ida voit un éclat de lumière provenant du Couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras : il lui semble entendre de très loin la voix de Jonas StJones… S’il est vraiment de retour, il n’est sans doute pas seul…

Scène 2 : La tempête

Monsieur Crane tente de rester droit et ferme malgré les bouteilles qui pleuvent sur sa porte et se dirige vers la tornade, qui ressemble à celle qu’il attend depuis si longtemps. Il est extatique : il va enfin pouvoir rentrer chez lui ! Soulevant sa porte de la seule main qu’il lui reste, il court dans les rues désertes, jusqu’à trouver soudain son chemin barré par plusieurs lions qui le dévisagent d’un air peu rassurant. Ils le laissent néanmoins passer et un peu plus loin, monsieur Crane croise un adorateur de Nindra protégé par un parapluie en kevlar.

« Monsieur Crane, qu’est-ce que vous faites là ?
– Je suis en mission pour Nindra ! J’ai eu une vision ! Je dois me diriger vers cette tempête ! Donne-moi ton parapluie !
– Euh non, attendez… Moi aussi je suis en mission pour Nindra ! Vous avez pas reçu la convocation ? Nindra nous a convoqués pour l’ultime sacrifice ! Nous allons être sacrifiés pour mettre fin à la tempête, sans doute, c’est formidable !
– Eh bien, vous savez que je suis le favori de Nindra.
– Mouais, c’est ce qu’on dit.
– Si si, vous le savez ! Il y a eu un mémo ! Eh bien il se trouve que je vais être le réceptacle de l’énergie du sacrifice, et je dois me trouver au cœur de la tempête pour ça !
– Vous êtes sûr ? Parce que c’est pas vraiment ce que disent nos textes, et…
– Qui a rencontré Nindra, moi ou vos textes ?
– Vous, mais bon, ça fait pas si longtemps que vous êtes dans le milieu, alors je me suis dit qu’il y a des choses qui vous ont échappées, et…
– J’ai été choisi ! Tu contestes ça ?
– OUI, JE CONTESTE ! » hurle l’adorateur en empoignant monsieur Crane. « C’EST DÉGUEULASSE ! Je suis un adorateur de Nindra depuis bien plus longtemps que vous ! Pourquoi c’est vous qui avez été choisi et pas moi ! Et si je vous tue, c’est peut-être moi qui vais devenir l’envoyé, hein ?! »

Monsieur Crane le frappe dans les testicules, attrape le parapluie que son congénère lâche, lui lance la porte sur la tête, et saute dessus à pieds joints.

« SOIS BÉNIIIIII » agonise l’adorateur.

Monsieur Crane continue son chemin vers la tornade, et tombe soudain sur Amandine Beaulieu, l’air perdue, se protégeant sous une robe de bure.

« Madame, ne restez pas dans la rue, c’est dangereux !
– Un parapluie ! Dieu merci ! Vous permettez que je m’abrite ? Oh là là, quelle catastrophe… Je suis complètement perdue. Enchantée, Amandine.
– Enchanté, monsieur Crane. Je…
– Mama, on a froid, mama !
– Je sais mes petites ! Restez cachées !
– Excusez-moi, madame, mais vous allez où comme ça ?
– Excellente question. On est sortis du couvent parce qu’il y avait un lâcher de nionnes, et là on…
– Vous étiez au couvent ? Qu’est-ce que vous faisiez là-bas ?
– Mais enfin, ce ne sont pas vos affaires !
– Vous êtes une… adoratrice d’Itras ?
– Non ! J’ai été baptisé, mais non, pas du tout ! C’est juste que je connais la mère supérieure, et…
– Ah, vous me rassurez ! » souffle monsieur Crane en rangeant sa dague sacrificielle. « Vous connaissez la mère supérieure, donc ?
– Oui, enfin, celle qui a été récemment élue ! Mais euh, ça vous dérange si on s’abrite ?
– Eh bien il se trouve que j’allais par là… Donc je m’excuse, mais j’ai une tempête à attraper. Je vous aurais bien offerte en sacrifice, mais j’ai pas le temps.
– Bon, attendez. Le couvent est par là… la tempête par ici… Je dois être à peu près au milieu… Écoutez, faisons un bout de chemin ensemble. Vous me déposez avec mes amis, ça vous fera qu’un petit crochet.
– Mais je vais rater la tempête, moi ! Je sais pas quand la prochaine passera !
– Ne vous inquiétez pas ! La tempête arrive, le Dieu Machine nous la certifié, et…
– Pardon ? Itras vous a dit que la tempête arrivait ? »

Une explosion se fait soudain entendre non loin : monsieur Crane voit, comme dans son rêve, un enchevêtrement de roues dentées et de plaques de métal de 7 mètres de haut, en train de tout ravager sur son passage. Au sommet, une tête de bric et de broc répète d’une voix caverneuse : « JE SUIS LE DIEU MACHINE – SOUMETTEZ-VOUS – SEULE EST MA VRAIE FOI – SOUMETTEZ-VOUS –
– Voilà, donc c’est de lui que je parle », reprend Amandine calmement. « Donc vous inquiétez pas, la tempête arrive. »

Monsieur Crane tâtonne sa veste nerveusement : il n’a pas pensé à prendra sa flasque en partant de chez lui… Amandine lui tend une bouteille de gnôle du père Shade ; monsieur Crane la regarde, un peu inquiet, puis finit par céder et la vide à moitié en pleurant.

« Ah bah je crois qu’on va bien s’entendre ! s’exclame Amandine en en buvant à son tour.
– Ah, ça va mieux ! Bon, madame, j’ai une tempête à attraper…

Dites, ça vous embêterait qu’on remette la scène à après l’apocalypse ?
– Monsieur Crane ? s’écrit Ida. Qu’est-ce que… Amandine ?!! Une bouteille à la main ?! Mais enfin !
– I… Ida ?
– Bin oui, qui veux-tu que ce soit ! J’ai des pains au lait partout, mais c’est que je suis sortie sans parapluie !
– Eh bin, t’as pris un sacré coup de vieux ! Parce que moi, l’air marin, ça m’a fait du bien ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– Qu’est-ce que je fais là ?
– Ah oui, c’est vrai ! On est revenus, tout a été un peu brouillon… T’as reçu mes cartes ?
– Alors, les cartes, c’était une très délicate attention. Merci beaucoup. Par contre, prévenir que tu allais partir, et prévenir que tu rentrais, ça, t’as pas eu le temps de le faire, hein ?
– C’est que le départ a été un peu précipité… Moi je pensais qu’on partirait plus tard, et puis on a été attaqués par une Entité noire, Alfred est devenu un Ange noir, il a fallu qu’on le tue, tout ça… On a été obligés de devenir un peu des meurtriers, tout ça… Il a fallu protéger les bananes avant tout, donc les éloigner d’Itras, et donc bim bam boum, Cléanthe et moi on s’est mis ensemble – oui, on est ensemble, je t’ai dit ? Je pense qu’il va bientôt me demander en mariage, enfin j’espère qu’il va faire sa demande bientôt…
– Tu sais que j’avais dit que ce serait pas un bon père pour des bananes, je l’avais dit, ça !
– Eh bien détrompe-toi, il est merveilleux. Elles l’adorent, n’est-ce pas mes chéries ?
– Oui, c’est un super papa ! On a deux papas et deux mamans !
– Il fallait protéger les bananes ? Toutes les bananes ?
– Justement, à ce sujet… Est-ce que par hasard, il n’y en aurait pas une qui serait revenue chez toi ?
– Par hasard ? fulmine Ida. Tu sais où je l’ai trouvée ?
– En fait je l’ai perdue en chemin, et…
– Mais Amandine !!!
– Mais elle a disparu, j’y peux rien !
– T’y peux rien ! Mais moi je l’ai retrouvé dans une mare à âme au fond d’une boîte à chapeaux !
– Madame va dans des boîtes à chapeaux ! Je pars en bateau, on me reproche de pas prévenir, et madame descend dans des boîtes à chapeaux sans prévenir ! Je suppose que c’était celle que la voisine t’avait confiée ? Que tu es venue fouiller chez moi ? N’est-ce pas ? Et donc on trouve des bananes dedans. Eh bien bravo. Et ça vient me faire la leçon…
– Alors déjà, c’est Géraldine qui fouillait chez toi, et elle cherchait des sous-vêtements dans une boîte à chaussures, ça n’a rien à voir !
– On cherchait pas des sous-vêtements, j’te f’rai dire ! précise Chesterfield. On était là pour… Enfin, euh…
– Ah, Chesterfield ! Elle est revenue, explique Amandine à Ida. Elle a été changée…
– Oui, parfaitement ! À cause de l’autre abruti, là !
– Oui, évidemment ! surenchérit monsieur Crane en rebuvant une gorgée de gnôle.
– Et donc Jonas est revenu aussi ? Eh bien… Enfin là j’ai un peu perdu Cléanthe… On devait se donner rendez-vous, donc avec la tempête…
– Ouais, merci de nous avoir abandonnées avec Poicreux ! On était complètement perdus !
– Ah, eh bien je crois que j’ai retrouvé tout le monde ! Monsieur Poicreux, ça va ?
– Ah, monsieur Poicreux ! s’exclame Ida. Vous savez, j’étais très triste de perdre une deuxième fois mon emploi ! Enfin notez que ça ne brûle pas toujours quand je suis dans les parages !
– Non, des fois ça explose.
– Bon, sinon, Amandine, j’ai bien compris tes explications, tes petites histoires, tes cartes postales, là… C’est très sympa, tout ça, mais tu n’as pas oublié la phase des excuses ?
– Pardon, interrompt monsieur Crane, ça vous embêterait qu’on remette la scène à après l’apocalypse ?
– S’il vous plaît, monsieur Crane. On discute.
– Nan mais là, y a comme un Dieu Machine qui va nous casser la gueule, précise Chesterfield.
– Bah c’est pas votre ami ?
– Mais t’as rien compris, toi ?
– Ah bon ? Futuristes et Dieu Machine, c’est pas…
– Mais non, c’est l’inverse ! J’te préviens, ma sœur a été échangée avec moi ! On a massacré quasiment l’intégralité de sa ligue de vertu, et moi, mes Futuristes, pendant que j’étais au fond de la boîte à chapeaux, ils ont manqué de tous se faire sauter ! Bon, ils ont fait sauter qu’un immeuble, finalement… Et là, t’es en train de me dire que je suis à la colle avec le Dieu Machine ? Mais ça va pas, ma pauvre ?
– Je ne peux qu’aller dans son sens, abonde Martin Poicreux. Ayant moi-même rencontré des hommes-ciseaux… J’ai réussi à survivre en leur vendant Géraldine… Oh, oups.
– Tu peux répéter ce que tu viens de dire ?
– Alors c’est très simple. Je peux tout expliquer. Alors, en fait… Euh… Il y avait deux hommes-ciseaux, ils faisaient “bonjour” mais avec leur tête qui s’ouvrait en deux…
– Attends, il faut que je visualise bien, gronde Chesterfield en attrapant Poicreux par le col. Y faisaient comment, montre-moi ?
– Euuuuuuuuh…
– Chesterfield, respirez…
– CET ABRUTI ! C’est à cause de lui que ma sœur…
– On regrette tous Géraldine, calmez-vous…
– Écoutez, tuez-le, qu’on en finisse ! » tempête Monsieur Crane.

[Je demande à tirer une carte « Chance ». Je lis : « Qu’y a-t-il dans sa poche ? Un des personnages a quelque chose dans sa poche d’utile et d’inattendu. De quoi s’agit-il ? ».]

Martin sort de sa poche un petit tas dégonflé : Géraldine.

« MAIS TU L’AVAIS DANS TA POCHE ET TU ME L’AS MÊME PAS DIT ?!
– Mais euh, c’était pour…
– Mais oui, tu l’as dégonflée pour la sauver des hommes-ciseaux ! Brillante stratégie ! »

Chesterfield embrasse Poicreux sur la joue, qui sue abondamment. Elle attrape ensuite Géraldine et la regonfle.

« Attention, vous lui soufflez dans le…
– Bin oui, c’est par là que ça se gonfle ! »

Géraldine reprend forme humaine.

« Mais qu’est-ce qui s’est passé ? J’étais dans la cave du couvent, et d’un seul coup…
– Géraldine, sourit Amandine, on a une surprise pour toi ! »

Géraldine se retourne et tombe dans les bras de sa sœur, qui l’enguirlande aussitôt.

« Mais enfin, abrutie, où t’étais allée te fourrer ! Dans la poche de notre logeur, nan mais vraiment, faut pas avoir de dignité !
– Oh, j’ai toujours bien traité Ida ! proteste Poicreux. Elle peut témoigner !
– Mais moi je vais pas souvent dans sa poche, cela dit.
– Mais alors, pour la banane… reprend Amandine.
– Elle t’a manqué, peut-être ?
– Commence pas…
– Toi, commence pas !
– Non, toi ! »

Amandine et Ida fondent en larmes.

« J’me suis fait du sang noir pour cette banane !
– Moi aussi !
– Du sang d’encre de seiche !
– Et moi deux cent fois plus, parce que t’avais deux cent bananes !²
– Mais tu savais que j’en prenais soin !
– Pardon ?!
– Mama, mama ! Il faut pas pleurer ! »
J'écris des mini-JdR par dizaines !
Emöjk Martinssøn
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 3 : Gang de Nionnes

Des grognements se font soudain entendre autour du petit groupe : les nionnes les encerclent d’un air mauvais.

« Mais c’est exactement ce dont j’ai besoin ! s’écrit Poicreux. J’ai un contrat avec l’Entité noire, et si je veux le briser, il vaut mieux que je me rallie à Itras ! Parce que vous avez déjà trait une Entité noire ? Eh bin je vous le recommande pas, c’est pas sympa-sympa. Quand t’enlèves les gants, t’as des trucs qui… Pouah !
– Excusez-moi, intervient Amandine, mais Eusébie, vous croyez qu’elle est…
– Bin, elle avait l’air franchement morte, tout de même. Elle s’est sacrifiée pour nous… Bon alors, il faudrait que je dresse une de ces nionnes pour qu’elle puisse chercher dans les archives de quoi défaire le contrat avec l’Entité noire…
– Mais si c’est des nionnes, vous pouvez juste leur demander gentiment…
– Vous savez parler aux nionnes, vous ? »

Monsieur Crane tâte son parapluie en kevlar et vérifie qu’il est bien muni d’un hélicoptère : il commence à s’élever, et Ida et Amandine s’accrochent aussitôt à chaque jambe.

« C’est ça, barrez-vous, lâcheuses ! râle Chesterfield. On lâche pas notre logeur, nous !
– Monsieur Poicreux, venez ! »

Ida accroche Martin Poicreux et Amandine attrape Martin Poicreux sans les écouter, tandis que Géraldine s’accroche avec Chesterfield.

[Je demande à Pierre de tirer une carte « Résolution » pour parvenir à s’éloigner sans heurts. Eugénie lit : « Non, parce que… Un ou plusieurs facteur(s) imprévu(s) vous empêchent de parvenir à vos fins ».]

Monsieur Crane commence à décoller avec beaucoup de mal, s’élève de quelques mètres, puis le moteur lâche et tout le monde redescend doucement. Les nionnes tentent de former une pyramide animale, mais la pluie de bouteilles est trop forte et elles s’écrasent pathétiquement. Monsieur Crane profite qu’elle soient groggys pour courir vers la tempête : les autres, sans réfléchir, le suivent.

À l’orée de la ville, les immeubles s’espacent de plus en plus et laissent parfaitement voir la grosse tornade d’où, à une centaine de mètres, partent petits pains et bouteilles. Il faut toute la force qui habitent nos héros pour ne pas s’envoler (Géraldine et Chesterfield, qui avaient prévu le coup, enclenchent les crampons de leurs bottes). Monsieur Crane jette le parapluie, puisque les chutes de bouteilles sont plus légères à cette distance, malgré le vent.

« Je me disais… commence Phil. C’est peut-être pas une super idée…
– Si ! C’est ma tempête ! Je vais rentrer chez moi !
– C’est ton ami ? demande Amandine circonspecte à Ida.
– Oh, les circonstances… En tout cas, il est quand même beaucoup plus équilibré que tes fréquentations. »

Monsieur Crane éclate d’un grand rire inquiétant.

« C’est pas dans la tempête qu’il faut aller ! l’arrête Chesterfield. Faut qu’on aille chercher les autres pour rendormir le Dieu Machine ! Sinon il va massacrer toute la ville !
– Mais c’est pas vous et les Futuristes qui l’avez réveillé ?
– Mais non, enfin ! On a tout fait pour le garder endormi, justement !
– Pourquoi vous l’avez pas détruit ?
– Parce qu’on a fait ce qu’on a pu, voilà !!
– Bin oui, il est tout de même très grand… s’excuse Géraldine.
– Monsieur Crane ! lui lance Amandine. Venez avec nous, on a besoin d’un représentant de Nindra ! Vous prendrez la tempête suivante ! »

Monsieur Crane, sans les écouter, court vers la tempête en agitant les bras. Il est soulevé du sol, aspiré, et disparaît en riant comme un possédé.

« Et ça, tu penses que c’est mieux que Cléanthe Brumaire pour élever des bananes ?
– Mais j’ai jamais dit que j’allais élever des bananes avec monsieur Crane, enfin !
– Bon, on va pas rester là ! ronchonne Chesterfield. Rentrons en ville ! »

Tout le monde (sauf monsieur Crane) revient vers l’entrée de la ville : hélas, un gang de nionnes les attend de patte ferme.

« Phil, lui dit Amandine, à toi de jouer.
– Ouais, enfin là, c’est des nionnes… C’est vachement féroce…
– Ça fait combien de temps qu’elles ont pas vu un beau lion comme toi, à ton avis ?
– Phil, renchérit Ida, il y en a une qui te plaît ou pas ?
– Bin, la robe de bure c’est un peu un tue-l’amour, quand même… J’ai pas l’habitude… Et elles sont beaucoup, quand même.
– N’oublie pas qu’il n’est jamais trop tard pour changer de vie », lui lance Poicreux.

Phil termine sa cigarette d’un air nerveux et emprunte du parfum à Poicreux, se tartinant de gnôle pendant qu’Ida va voir l’une des nionnes : « Excusez-moi… Mon ami qui est juste là-bas, il trouve que vous avez un pelage magnifique… Je dis ça pour rendre service, parce que j’aime bien que les gens se rencontrent, mais je pense que vous avez votre chance. Faut pas faire votre timide, par contre !
– Mais non, arrive Amandine, c’était pas elle, c’était celle d’à côté ! »

Les nionnes, jalouses, se jettent l’une sur l’autre ; les autres se jettent autour pour les encourager, et Ida commence immédiatement à prendre les paris pour le compte de Poicreux. Le logeur, lui, profite de la situation : il se glisse parmi les spectatrices et essaye de parler avec l’une d’entre elles de son problème de contrat.

« Euh… Alors petite, euh… Tu veux un rôti de zèbre ? Eh bien si tu le veux, trois fois rien : voilà, dans les archives du couvent d’Itras, il y a un rituel permettant de chasser les Entités noires… Il faudrait me le rapporter. Mais mon rôti, il est énorme, hein ! Et encore saignant ! Bon, je l’ai pas sur moi, mais pendant que vous allez au couvent, je vais le chercher ! »

La nionne le dévisage ; puis elle se redresse sur ses deux pattes et s’éloigne.

« Bon, où est-ce que je vais trouver un zèbre, moi… Ida, tu as des accointances au zoo ?
– Tout à fait, Phil y est gardien à mi-temps !
– Bin oui, explique Phil, Francis désole son travail maintenant qu’il a épousé la meuf à Cléanthe…
– COMMENT ?! PARDON ? La meuf à Cléanthe, c’est moi. Les mariages avec Francis sans mon consentement, c’est bon, j’en ai jusque là !
– Mais non, je parle de la femme qu’il y avait dans le manoir…
– La rombière Brumaire !
– Madame Gownes, maintenant.
– Ils logent à deux dans la petite cabane, alors ?
– Ah non, au manoir ! J’y étais pour le mariage, c’était classe !
– Très classe, renchérit Ida. J’étais témoin.
– Tu étais témoin au mariage qui me dépossède des biens de mon mari ! Ah, très bien !
– Euh, tu sais que j’ai été témoin à ton mariage, aussi…
– Tu sais très bien que c’était un faux mariage.
– Ah non, il a été prononcé.
– C’est même toi qui l’avais suggéré ! Eh bien, on oublie facilement les amies !
– Et les amies qui s’en vont sans dire au revoir, alors ! »

Le combat de nionnes prend fin ; alors qu’elles s’éloignent, Géraldine suggère de filer avant qu’elles se souviennent pourquoi elles étaient là au départ. Phil leur fait signe qu’il va rester sur place ; il met son dentier pour avoir l’air plus féroce et rejoint ses compères.

« Chesterfield, dit Géraldine, je crois que certains de tes camarades se sont cachés dans la cave de l’immeuble de monsieur Poicreux, on pourrait aller les y retrouver ?
– Euh, hésite Amandine, je garde pas de très bons souvenirs de la cave…
– Bin ? Je pensais que j’étais la seule à avoir la clef ! dit Ida.
– Ouais, enfin bon, ajoute Chesterfield, il suffit de taper deux coups en haut et trois coups en bas. Désolée, j’pensais que tout le monde était au courant.
– Et moi qui referme depuis des années à double tour… » se désole Martin Poicreux.

Au même moment, un singe volant passe en ricanant.

« Et puis maintenant qu’il y a plus l’Entité noire en bas, c’est plutôt pépère comme planque ! On pourra se cacher de la tempête !
– Je croyais qu’on devait endormir le Dieu Machine ? Il faut prioriser, Chesterfield !
– Mais tu crois que ça se fait comme ça, en lui chantant une berceuse ? C’est pas aussi simple que ça, figure-toi !
– Bon bon, on vous suit…
– Mais oui, très bien, voilà… » marmonne Martin Poicreux.

Puisque je suis morte, je peux bien aller dans les égouts
Sur la place, des gardes gris tournent autour des décombres.

« Oh là là… Il y a encore eu un accident, ici ? demande Géraldine. Il n’y a pas un accès secondaire, un tunnel secret ?
– Euh… Évidemment ! répond Poicreux.
– Parfait, on vous suit !
– Mais on risque de croiser l’Entité, par contre.
– Ah, ça c’est gênant…
– Euh, d’ailleurs, j’ai un petit problème… ajoute Amandine. Visiblement, j’ai été déclarée morte à Itras…
– Ah, oui ! opine Ida. Tu t’en vas sans donner de nouvelles, alors…
– Tu recevais des cartes postales !
– J’étais pas sûre que…
– Ouiiii ! On a décoré des cartes postales ! couinent les bananes.
– Avec amour, ajoute Amandine. Tu as déclaré les bananes mortes, aussi ?
– Mais non, on n’a pas déclaré leur naissance, souviens-toi…
– Bon, si vous êtes toutes trop chiffes molles pour aller dans les égouts, j’y vais ! déclare Chesterfield.
– Non, mais puisque je suis morte, je peux bien aller dans les égouts…
– Parfait ! Martin, Ida ?
– Oh, tant qu’à faire… On vous suit… »

Scène 4 :La puissance de Monsieur Crane


À l’intérieur de la tornade, monsieur Crane flotte dans la pénombre. Il se sent bien. Le temps passe.

Il finit par distinguer les contours de là où il se trouve : un couloir taillé dans l’obsidienne. Au fond du couloir, il lui semble distinguer une petite lueur : il s’y dirige, un air béat sur le visage et les yeux inondés de larme. Ça y est, c’est fini, il va pouvoir sortir de tout cela…

Il arrive dans une salle de marbre blanc, presque aveuglant, qui lui fait penser à la salle du trône de Nindra, en inversé. Sur le trône, justement, se trouve la femme la plus magnifique qu’il a jamais vu de sa vie, qui lui sourit avec bienveillance. Sa voix douce semble lui parvenir directement à ses oreilles :
« Avancez, monsieur Crane. Je vous attendais. Vous avez bravé bien des dangers pour arriver jusqu’à moi.
– J’ai essayé, vraiment… mais… Je peux pas être ici. C’est pas chez moi, vous comprenez ? Ça me rend fou, c’est une souffrance de tous les instants… Je veux juste rentrer chez moi, s’il vous plaît…
– Je comprends. C’est difficile pour quelqu’un que je n’ai pas créé d’être à Itras By.
– Je viens vraiment d’ailleurs, alors ?
– Eh bien, vous venez de cette tempête. Vous êtes ici chez vous. Au cœur de votre foyer. »

Monsieur Crane regarde autour de lui : effectivement, il a l’impression d’avoir déjà été ici, il y a fort longtemps…

« Mais pourquoi suis-je ici, alors ?
– Ça, je ne sais pas… Ce n’est pas moi qui ai créé la tempête…
– Vous n’êtes donc pas toute puissante ? Vous n’avez pas toutes les réponses ?
– Seulement celles aux questions que j’ai moi-même posées. Malheureusement, la tempête vient plutôt effacer ce que j’ai créé, et je ne la maîtrise pas.
– Mais quel est mon rôle dans tout ça, alors ? Je ne comprends pas ! Répondez-moi, je vous en supplie…
– Eh bien… J’imagine que vous pouvez rester ici si vous le souhaitez… »

Monsieur Crane, à bien réfléchir, se sent plutôt bien… Il pourrait s’allonger et s’endormir dans cette atmosphère ouateuse, lâcher prise et se disséminer. Mais ce serait un mensonge, comme sa vie entière. Il n’a pas plus de réalité que ce monde pourri, créé par cette déesse vérolée… Un sentiment de haine absolue le submerge.

« Peut-être suis-je né pour servir la tempête, en réalité… Peut-être que c’est pour ça que je suis venu…
– Je ne vous le recommande pas, monsieur Crane. Vous y perdriez bien plus que ce que vous gagneriez.
– Peut-être que tout cela n’a pas de sens ! Peut-être que vous, vous n’avez pas de sens ! »

Monsieur Crane attrape une des essences de mal absolu qu’il avait gardées et lui lance au visage : la femme magnifique se fissure, comme une statue, et tombe en morceaux sur le trône. La salle commence à se fissurer elle aussi. Monsieur Crane exulte.

« Ah ah ! T’as vu, hein ? Tu t’es foutue de moi, hein ? T’as détruit tout ce que j’étais, et bien moi je vais détruire toute ta création ! Ce sera ça, l’œuvre de ma vie, à présent ! »

La salle disparaît autour de monsieur Crane ; il se retrouve à nouveau au cœur de la tempête, des zébrures rouges autour de lui, qu’il maîtrise presque au plus profond de lui-même. Il est temps d’aller rendre une petite rencontre à Nindra. Non, d’abord l’Entité noire… D’abord détruire ce monde, ensuite le recréer. Avec un trône, au centre, ce serait pas mal.

Un éclair rouge tombe juste devant Ida, Amandine et Poicreux : monsieur Crane, de la fumée sortant de ses bottes, les cheveux ébouriffés, les regarde d’un air inquiétant.

« Tiens, mes amis… Comment allez-vous ?
– Oh là, vous, vous avez pris du whisky-qui-aurait-dû-être…
– Non, je n’en ai plus besoin, maintenant… Je sais ce que je dois être… Mais ce n’est pas vraiment important. Vous alliez quelque part ?
– Je ne le trouve pas très rassurant… murmure Amandine à Ida.
– Roh, mais tu dis ça de toutes mes fréquentations ! Même Alfred ! “Gnagnagna, il me grave des choses au couteau sur le corps…”
– Amandine n’a pas tort, regardez sa main… » ajoute Géraldine.

À la place de la main disparue de monsieur Crane, une sorte d’ectoplasme pulsant est apparu.

« C’est très… euh… esthétique, cette opération, monsieur Crane !
– Ah, ça ? répond monsieur Crane en tremblant. Je ne sais pas encore bien comment ça fonctionne… Faisons un essai… »

Il plonge sa main fantôme dans le sol.

« Une plage, par exemple, pour me reposer… Ce serait bien… Je suis un peu fatigué… »

Les pavés s’écroulent autour de sa main ; en-dessous, du sable.

« Ça c’est une performance ! s’écrie Ida.
– Les choses vont pouvoir reprendre sens, regardez ! Par exemple, les bananes qui parlent, ça n’a aucun sens, n’est-ce pas ?
– Non, là vous allez trop loin dans l’expérience artistique.
– Et vous, mon amie, vous avez un sens ?
– Eh oh, fais gaffe comment tu parles à ma sœur, toi !
– Bien. J’ai un rendez-vous. Vous alliez dans les égouts, n’est-ce pas ?
– Oui, euh, c’est-à-dire que, bon… C’était une idée comme une autre…
– C’est un endroit charmant. Il y aurait juste besoin de… dératiser un peu…
– Attendez, dit Chesterfield, si l’autre tordu a vraiment des pouvoirs, il peut nous aider !
– Monsieur Crane, explique Ida d’un ton docte, en réalité nous menons une petite conspiration pour endormir le Dieu Machine.
– Ah, ça ? »

Monsieur Crane pointe son doigt vers le Dieu Machine, qui se tourne vers lui.
J'écris des mini-JdR par dizaines !
Emöjk Martinssøn
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Interlude


[Eugénie demande à tirer une carte « Chance ». Elle lit : « Interview. Levez-vous ; votre personnage a une interview à propos de ce qui s’est passé dans cette scène. Vous pouvez décrire ce qui a lieu selon votre point de vue et les pensées de votre personnage. Les autres joueurs vous posent des questions, comme à une conférence de presse. Une fois l’interview terminée, asseyez-vous et reprenez la scène là où elle s’était arrêtée ».]

« Madame Jerricane, comment avez-vous réagi suite à l’excès de violence du Dieu Machine ?
– Eh bien, nous étions terrifiées, en réalité. Il y a un débordement complètement incontrôlé. Heureusement, monsieur Crane s’est mis sur son passage… Bon, il avait peut-être un peu surestimé ses capacités par rapport à la force de frappe du Dieu Machine, malheureusement…
– Pour Ici Itras, s’il vous plaît… Quelle est l’ampleur des dégâts ?
– Ça va demander quelque temps pour estimer tout cela… On a déjà ressorti des décombres quelques cadavres de nionnes, malheureusement, et l’on compte les passants et les singes volants qui ont été frappés par l’éclair qui a électrifié les étages. C’est sorti de la main de monsieur Crane et ça a atteint le Dieu Machine en pleine tête, mais ce dernier a malheureusement dévié le coup… La reconstruction va prendre quelques années, sans doute, mais elle suivra son cours.
– Excusez-moi, Olaf Pinson pour Banane News… Comment vous avez réagi en voyant le phare s’écrouler ?
– Ça, ça a été un coup dur pour ma carrière. J’aurais voulu… Toutes mes pensées vont vers le vieux marin, sans doute encore en train de tenir le phare, jusqu’au bout… Je crois que ce fut un passage éphémère pour moi, mais néanmoins extrêmement formateur. J’ai été très triste de savoir que je ne pourrais plus y retourner, mais en même temps ça m’a libérée ; ça m’a permis de passer à autre chose, et pour ça je remercie aussi le Dieu Machine, quelque part.
– Jean-Xavier Sceptique, pour J’te crois pas ma gamine ! Est-ce que vous croyez que toute cette histoire n’était pas une conspiration de la part des gardes gris qui ont profité de l’occasion pour se répandre dans la ville et arrêter tout le monde ? Ils voulaient tout contrôler mais n’avaient prise sur rien, bien évidemment !
– Bien évidemment.
– Je vois que le gouvernement me censure, encore une fois !
– Pardon, une dernière question : vous avez une réaction aux propos de madame Amandine Beaulieu, qui aurait dit, je cite : “Elle nous met toujours dans la panade, celle là ! C’est à cause d’elle, tout ça ! Je me barre avec les bananes !”
– Je tiens à faire remarquer que c’est une citation posthume, puisque cette dame est morte.
– Pardon, encore une ! Jacqueline Pinson, des Amis de Nindra. Nous aimerions savoir si vous avez des informations quant au groupe de fugitifs que les gardes gris cherchent activement, à la tête duquel un monsieur avec une main ectoplasmique, réfugié dans les égouts…
– Je… euh… Aucune idée ! »

Scène 5 : « Être une entité toute puissante, c’est pas facile, vous savez ! »

Dans les égouts, nos héros se remettent de leurs émotions.

« Mais enfin, monsieur Crane ! le gronde Ida. C’était quoi ces éclairs ? Ça a fait des dégâts partout !
– Vous vous rendez bien compte qu’il faut se débarrasser de ce truc ! J’y retourne, moi !
– Mais t’es bouché ou quoi ? crie Chesterfield. Dans Dieu Machine, y a quoi ? C’est une machine, tu peux pas l’avoir avec de l’électricité ! Faut l’endormir, j’te dis !
– J’aurais dû aller sur l’archipel de l’Amour Heureux… pleurniche Amandine.
– En tout cas, ce n’est pas mon premier dieu de la journée, et ce sera certainement pas mon dernier.
– J’retire c’que j’ai dit, il est totalement fêlé, on n’en tirera rien.
– Mais enfin, proteste Ida, vous parlez de monsieur Crane…
– Oh ! explose Amandine. “Mes fréquentations sont tout à fait normales”, blablabla… Mais tu délires complètement, Ida ! T’as perdu le sens du jugement ! Cet homme n’est pas fait pour toi !
– Mais de quoi tu parles, enfin !
– C’est extrêmement vexant, ce que vous dites.
– Vous avez vu votre comportement, monsieur ? On peut pas se comporter en société comme ça !
– Écoutez, être une entité toute puissante, c’est pas facile, vous savez !
– Je pense que votre degré de suspicion est beaucoup trop élevé, dit Martin Poicreux.
– C’est ce à quoi elle m’a habitué. Vous devriez le savoir, avec tous les bruits qu’il y a dans sa chambre !
– Ah mais c’est ça, en fait ! Tu passes le temps à faire le vide autour de moi depuis le début ! Je comprends tout !
– Pardon, c’est pas moi qui ai évacué les bananes de ma propre vie, hein.
– Monsieur Poicreux, faites quelque chose, enfin ! demande Géraldine. Vous voyez bien que monsieur souffre !
– Youhou, Entité noire ! Viens, j’ai un truc à te dire !
– Monsieur Poicreux, vous êtes logeur. Vous êtes doué pour parler avec les gens, non ?
– Ça, vous avez pas été longtemps dans l’immeuble ! ricane Amandine.
– Euh, oui… Euh… Vous m’devez trois mois de loyer ! Désolé, c’est tout ce que je sais dire… »

Monsieur Crane ramasse une brique et la transforme en or.

« Ça ira, ça ?
– Euh, d’accord… »

Scène 6 : « Pas de pitié pour les ex, sinon on s’en sort pas »

Dans le flot des égouts, Amandine aperçoit un monticule qui flotte vers elle et s’arrête à son niveau. Une sorte de pseudopode dégoûtant sort, puis l’autre.

« Amandine… C’est moi… C’est Jeff… »

Amandine devient toute rouge, puis toute verte, puis toute blanche.

« Jeff ? Sérieux, lui aussi ! demande Ida.
– Jeff ! On arrive ! » crient les jumelles.

Elles le sortent du caniveau : Jeff n’est plus qu’un tas informe. Il lève un… truc… faiblard vers Amandine.

« C’est à son procès… C’est sa faute…
– Mais non, ça n’a rien à voir. Il se trouve que monsieur Jeff est mort dans des circonstances tragiques durant mon procès, dans lequel j’ai d’ailleurs été totalement innocentée. Bon, enfin nous pensions qu’il était mort… et il est simplement déstructuré…
– Il en faut plus pour se débarrasser de Jeff…
– Ça en dit long sur vous.
– D’un autre côté, marmonne Martin Poicreux, j’en connais une autre qui est morte il y a pas longtemps et qui se porte comme un charme…
– Oui, eh bien prenez-en de la graine. Bref, tout ça c’est de la faute de Francis.
– Non, proteste Ida.
– Ah, si.
– Ah non !
– Mais si, il nous a poignardées, et…
– Maaaaais non, c’est un malentendu !
– Oui enfin, vous pouvez aller vous venger de lui, surtout qu’il a en sa possession un bien qui m’intéresse franchement…
– Amandine ! s’outrage Ida. Francis est mon meilleur ami ! Tu peux pas faire ça !
– Oui, eh bien Francis a aussi essayé de me tuer…
– Tu ramènes toujours tout à toi !
– …il a tué Jeff, il a poignardé Cléanthe, mon futur mari et le père de tes bananes…
– Mais Francis est ton ex-mari !
– Oui, bin pas de pitié pour les ex, sinon on s’en sort pas. »

Jeff fait signe à Chesterfield qui le soulève à hauteur d’yeux.

« Qu’est-ce que vous voulez qu’j’fasse de vous, m’sieur Jeff ?
– Il me faut une nouvelle enveloppe…
– On peut aller à la poste, propose Amandine.
– Un nouveau corps…
– Au magasin de musique, alors ?
– Excusez-moi, intervient monsieur Crane, j’aurais peut-être une suggestion… Il se trouve que je connais un peu le culte de Nindra, et après un office, on a toujours un ou deux corps en rab, si vous êtes pas trop regardant sur l’état général. Ça pourrait vous aller ? »

Un éclat rougeoyant s’allume quelque part dans la masse qu’est Jeff.

« OUI ! Amène-moi !
– Vous êtes sûr ? chuchote Amandine à Crane.
– En plus, ajoute Ida, je connais monsieur Marek qui a pris la suite de Jeff, il est quand même vachement plus sympa…
– Marek, j’en fais mon affaire, grommelle Jeff.

« Quelqu’un aurait de l’essence de bien pur sur lui ? demande monsieur Crane à brûle-pourpoint. J’en aurais besoin d’une fiole… Ça s’achète chez les nonnes, je crois…
– Oui mais là, il n’y a plus personne au couvent, explique Amandine. Toujours est-il que je ne recommande pas Jeff.
– Il est mieux comme ça, opine Ida. Il veut pas le reconnaître, mais au fond…
– Bon, tranche monsieur Crane. Monsieur Jeff, moi, tout ce que je veux, c’est que vous arrêtiez de vous balader sous forme de pseudopode, comme ça, parce que c’est répugnant, en fait. Et ça met mal à l’aise.
– Je souffre énormément…
– Bon, moi j’ai une solution », interrompt Martin Poicreux.

Il donne une tape sous le fondement de Jeff et le renvoie à l’égout, sous les yeux de l’assemblée médusée.

« On va quand même pas s’occuper de tous ceux qui viennent nous ennuyer alors qu’on a déjà plein de choses à faire.
– MAIS ÇA VA PAS LA TÊTE ?! éructe Chesterfield.
– Chesterfield, calmez-vous ! Vous travaillez pour monsieur Marek, actuellement, non ?
– Ouais… c’est pas faux… C’est vrai qu’il est plus sympa…
– Vous n’allez pas être gentille avec Jeff, quand même.
– Mais qu’est-ce qu’on fait s’il revient ? chuchote Géraldine.
– Géraldine, la gronde Ida, depuis quand est-ce qu’on se soucie du futur ?
– Un coup de serpillière et ça suffira… avance Martin Poicreux.
– En parlant d’futur, justement, si on pouvait s’presser et revenir dans la cave de votre immeuble avec les Futuristes…
– Voilà ! Si on s’était pas interrompus avec monsieur qui désintègre des trucs… Bon, allons-y. »
J'écris des mini-JdR par dizaines !
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