[CR] Des nouvelles d'Itras By

Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
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Emöjk Martinssøn
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Scène 10 : Il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves…

Le petit homme attrape l’Étranger en larmes par le col et le traîne, avec une force surprenante, vers la sortie. Il le lance dans l’étang boueux qui se trouve devant le manoir (ex-manoir Brumaire, mais quelqu’un a remplacé le nom sur la grille). Les autres partent également pour ne pas créer d’esclandre ; cependant, Martin Poicreux, le cœur serré par ce type qui pleure dans la boue, tente d’aller réconforter l’Étranger.
« Tu sais, il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves…
– Il a raison, acquiesce monsieur Crane. Vous savez, il y a des gens dans cette ville qui peuvent vous permettre de prendre un nouveau départ. Tenez, lisez ce dépliant.
– Monsieur Crane, je trouve vos méthodes d’évangélisation très agressives.
– Pas du tout ! Ce malheureux souffre, je lui offre une opportunité d’aller mieux.
– Mais non ! Je ne souffre jamais, moi ! Ce sont les autres !
– Justement, venez nous aider à répandre la bonne parole de Nindra !
– Et c’est quoi la bonne parole de Nindra, hein ? demande Augusta.
– L’adoration dans les bras de la déesse… Dans son saint cocon…
– Ça me paraît bien blasphématoire, tout ça.
– Vous voulez qu’on parle de votre culte qui essaye de vous découper en morceaux alors que vous n’avez rien fait ? On n’est pas en train de fuir vos collègues ?
– Ça n’a rien à voir avec Itras elle-même !
– Vous avez la réponse à ma question ? demande l’Étranger. Comment rendre heureux les gens ?
– Ah, vous savez, dit monsieur Crane, c’est la condition humaine qui les rend malheureux. La seule façon de les rendre heureux, c’est de les délivrer de cette condition humaine, voyez-vous.
– Que leur âme quitte leur corps ? Qu’en pensez-vous, sœur Augusta, il dit vrai ?
– Quand même, ronchonne Martin, c’est un peu beaucoup, là.
– Je ne suis pas forcément d’accord ; tuer tout le monde pour éviter le malheur, c’est un peu radical… Si j’étais vous, je ne signerais rien avant de m’être renseigné plus avant.
– Je comprends ce que vous dites.
– Très bien ! Venez assister à nos cérémonies, et…
– Non, j’ai une meilleure idée. »

Scène 11 : Troubles à l’ordre public

L’Étranger avise un passant et va vers lui ; l’homme, à chapeau melon et moustache, le salue aimablement, juste avant que l’Étranger ne lui saute dessus et ne l’étrangle. Martin essaye de s’interposer.

[Je demande à mass de tirer une carte « Résolution ». Clémence lit : « Oui, mais… Le personnage réussit son action, mais quelque chose qui n’a rien à voir se passe mal, pour lui ou quelqu’un à qui il tient ».]

Un énorme poisson-chat, à la musculature imposante surgit soudain de l’étang et s’avance vers l’Étranger d’un pas pataud. À sa suite, une créature portant un pantalon mais ayant le torse d’un requin, qui crie : « Police ! Arrêtez-vous ! ». Le poisson-chat attrape l’Étranger d’un bras et le prend en otage. Monsieur Crane s’interpose : « Une minute ! Cette arrestation me paraît tout à fait illégale ! Puis-je voir votre mandat ?
– Écarte-toi, mon gars, rugit le requin en sortant une anguille électrique de sa poche, et il ne te sera fait aucun mal !
– M’sieur l’agent, dit monsieur Crane en agitant sa flasque vide, si vous faites ça, ça peut faire foirer tout’ votre procédure, mais j’vous attaquerai en plus ! On peut pas… »

Le requin tape monsieur Crane avec son anguille ; l’explorateur tombe au sol, saisi de spasmes. Il se retourne ensuite vers le poisson-chat. « Allons, personne n’a besoin d’être mangé. Dépose ce type inoffensif tranquillement, et tout se passera bien.
– Mais je ne fais rien de mal ! C’est pour le rendre heureux ! » proteste l’Étranger.

Pour toute réponse, le poisson-chat clapote quelques sons incompréhensibles pour les humains présents.
« Non, je crois que vous vous trompez ! dit l’Étranger. Je ne suis pas d’accord, ça le rend vraiment heureux ! Regardez, il a presque un sourire sur le visage !
– Euh, dit Martin, il a la langue qui pend mais j’appellerais pas ça un sourire… »

Le requin sort discrètement des oursins de sa poche arrière et prévient le poisson-chat à nouveau : « Dernière sommation. Rends-toi, Marco, la mare est cernée ». Des poissons-scies sortent en effet de la mare. Le poisson-chat lance l’Étranger vers le requin et s’enfuit, les poissons-scies à sa poursuite ; l’Étranger tombe sur les oursins, et dans les bras du requin, qui le laisse tomber et part également en courant.
« Que cela vous serve de leçon ! dit Augusta à l’Étranger.
– Il y a un problème à votre proposition, dit l’Étranger à monsieur Crane, sans écouter la nonne.
– C’est que vous n’avez pas procédé dans les formes…
– Comment savoir s’il est heureux ou pas, maintenant ?
– Si vous suivez le rituel de Nindra, il sera heureux. A-t-il l’air de souffrir ?
– Je n’en sais rien.
– Je vous le dis : il ne souffre pas. Donc il est heureux.
– Enfin tuer c’est tuer, proteste Augusta. Maintenant qu’il est mort, qu’est-ce que ça change qu’il soit heureux.
– Je ne comprends rien ! crie l’Étranger. Je ne sais pas comment faire ! C’est trop compliqué !
– Bon, on ferait mieux de ne pas rester ici, dit la nonne.
– J’ai bien une suggestion pour un refuge… commence monsieur Crane.
– Mais sœur Augusta, répond Martin Poicreux, rappelez-vous que l’Entité noire est à vos trousses. Nous planquer ne changera rien, je pense.
– Comment ça ?
– Bin… J’aurais dû vous ramener, mais j’l’ai pas fait, voilà, dit Martin d’un air penaud.
– Je sais vraiment pas ce que j’ai pu vous trouver, dit Géraldine à l’Étranger. Vous êtes comme les autres, un psychopathe ! Adieu, monsieur l’Étranger !
– Vous aussi, vous êtes malheureuse, encore ?
– Ah non, proteste Martin, ça suffit !
– Ma sœur, continue Géraldine, je ne sais pas pourquoi vous traînez avec une engeance pareille, mais vraiment, ça n’est pas digne de vous.
– Regardez, je répare ce que je viens de faire ! »
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Emöjk Martinssøn
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Scène 12 : Des tas d’âmes et des états d’âmes

L’Étranger est assis dans la boue, en train de bercer le cadavre qu’il tient entre ses bras, et lui verse la bouteille dans la bouche. Le corps se redresse et change d’apparence : l’Étranger tient à présent dans ses bras un petit homme avec un pardessus trop grand pour lui, un air triste sur le visage. Martin reconnaît l’homme dont Jeannot lui avait montré la photo.
« Qu’est-ce que je fais là ? murmure-t-il.
– Tu viens de revenir à la vie ! lui dit l’Étranger d’un air extatique. Tu es heureux ? Tu étais heureux dans cette bouteille ?
– Non, j’étais triste…
– Et tu es plus heureux dans un corps ou à l’extérieur d’un corps ?
– Je crois que je ne sais pas ce qu’être heureux veut dire…
– Oui, mais je…
– Ça ne change rien, de toute façon. Ce n’est pas le corps, le problème ; c’est l’âme. Elle a été souillée par la vie.
– Donc la mort, c’est mieux ?
– J’imagine que oui, en quelque sorte… Ou alors… »

L’Étranger commence à l’étrangler, puis se ravise.
« Ou alors la vie sans âme…
– Et comment on fait ça ?
– Eh bien, il faut mettre l’âme dans une bouteille, et remettre la bouteille à quelqu’un… Je crois…
– Peut-on extraire seulement une partie de l’âme ? demande Augusta.
– Mais, c’est vous ! s’écrie soudain Martin. La police m’a montré votre visage… C’est vous qui vous multipliez en ville ?
– Pardon ?
– Mais alors, ces bouteilles ne sont que différentes parties de votre âme ! Ou alors vous trempez dans la reproduction d’âmes ?
– Sœur Augusta, nous ne pouvons pas laisser faire ça, proteste monsieur Crane. Nous sommes en charge, chacun de notre manière, du bien-être des âmes d’Itras ; faisons une alliance pour empêcher ce crime.
– Je suis d’accord, mais que suggérez-vous ? Je reste dubitative face à votre morale, mais pourquoi pas…
– Trouvons qui met ces âmes en bouteille, et bottons-lui le derrière.
– Mais moi j’ai déjà commencé tellement d’aventures, et je suis déjà dans le pétrin… En échange, aidez-moi à m’en sortir.
– Très bien, je peux vous débarrasser de vos sœurs…
– Monsieur, chuchote le petit homme à l’Étranger, vous ne voudriez pas m’aider à mettre mon âme en bouteille ?
– Si tu veux… La bouteille est là, rentre.
– C’est comme ça qu’on fait ? Je me mets là-dedans ? »

L’homme prend la bouteille et souffle dedans ; son âme sort de sa bouche et une sorte de flegme emplit la bouteille. L’âme était plutôt incolore tout à l’heure, elle est à présent d’un noir crasseux.
« Voilà, je crois que j’ai tout mis.
– Eh bien non, vous êtes encore là !
– Vous vous sentez mieux ? demande monsieur Crane.
– Vous êtes heureux ?
– J’ai juste l’impression d’être soulagé d’un poids… Non, je ne sais pas si je peux être heureux…
– Allez, mon vieux, on va boire ensemble, lui dit Crane. Vous nous suivez, vous autres ?
– C’est-à-dire, commence Augusta, qu’il faudrait peut-être que je change d’identité…
– Je pourrais vous aider, suggère Martin. Tant qu’à trahir une entité maléfique… Il y a des idées de rédemption par chez vous ? Prenons un exemple au hasard : quelqu’un qui nourrirait depuis assez longtemps une entité maléfique avec des humains. Si un jour il décidait d’arrêter et de passer de l’autre côté, est-ce que ce serait plutôt bien vu chez vous ?
– Oui, absolument ! La rédemption est prévue dans le code pénal. Monsieur Crane vous le confirmera.
– Oui, enfin c’est difficile à plaider… Je tenterais plutôt ma chance chez Nindra, à votre place.
– C’est vrai que vos brochures sont attrayantes… Écoutez, je vous aide tous les deux, et je ferai mon choix plus tard. »

Pendant que tous quittent lentement la villa Gownes, l’Étranger se sent saisi d’une nouvelle sensation étrange dans son estomac. Il demande conseil à ses camarades, qui lui expliquent d’un air gêné la procédure à suivre. Martin lui donne deux petits cachets et l’Étranger se laisse aussitôt aller, au même moment où les nonnes du couvent apparaissent de nouveau à l’horizon.

Scène 13 : Quand les nonnes arrivent en ville, tout l’monde change de trottoir

[Clémence demande à tirer une carte « Résolution ». Pierre lit : « Non, et… Vous échouez, et un autre élément complique la situation, pour vous ou pour tout le monde ».]

Les nonnes arrivent du côté gauche ; au même moment, de l’autre côté de la place, les adorateurs de Nindra débarquent à leur tour, des barres de fer en main. Dans le ciel, les singes volants commencent à se rassembler. Le pantalon de l’Étranger sent très mauvais ; gêné, il l’enlève.

La scène se transforme aussitôt en bataille rangée ; tous se prennent des coups et sœur Augusta perd connaissance suite à un choc, tandis que Martin, bien impuissant, se fait voler son contrat par un des singes ; il attrape l’un de ses congénères, commence à s’élever dans les airs, puis se prend un excrément volant en pleine figure. Il tombe sur Monsieur Crane, qui lui était occupé à frapper les nonnes. Tous deux perdent connaissance à leur tour. L’Étranger voit les nonnes battre en retraite, et sœur Jacquie attraper Augusta au passage ; il les suit discrètement, ce qui n’est pas aisé à cause de son odeur.

[Je demande à mass de tirer une carte « Résolution ». Je lis : « Vous avez besoin d’aide. Vous réalisez que vous avez besoin de l’aide de quelqu’un qui n’est pas présent dans cette scène pour arriver à vos fins ».]

« Dégage, le faux ange », tonne sœur Jacquie, « sinon le prochain rituel qu’on fait c’est pour tes fesses ». Dépité, l’Étranger retourne voir monsieur Crane sur la place, qui pourrait peut-être l’aider.

Sœur Augusta fait un drôle de songe. Elle est dans la cellule d’Eusébie, dont le corps est allongé sur le lit. Eusébie se relève d’un seul coup, attrape une bouteille sur la table de chevet, la boit et est saisie de soubresauts. Son corps se transforme en celui d’un lion ; il n’y a plus de chambre mais une savane autour d’elles. Monsieur Crane arrive, habillé en explorateur colonial et vise sœur Eusébie de son fusil, mais celle-ci se jette sur lui et entreprend de lui dévorer la main. Les cris de souffrance de Crane la réveillent.

Martin et Crane reprennent connaissance au milieu d’une foule exaltée d’adorateurs de Nindra, célébrant leur victoire ; un musicien non loin (il s’agit de Jeannot) joue de l’orgue de barbarie et chante une chanson à leur gloire.

« Monsieur Crane, lui dit l’Étranger qui arrive sur place, il faut récupérer sœur Augusta.
– Bien sûr, mais s’introduire au couvent…
– Eh bien envoyez vos hommes se battre à nouveau ! Et nous, on se faufile pendant ce temps.
– Bon, je vais essayer d’arranger le coup. Mes frères, écoutez-moi ! Vous avez une occasion unique de faire un coup de comm’ monstrueux ! Sœur Augusta pourrait être un symbole, celui de l’oppression d’Itras. Si nous arrivons à la récupérer et à montrer au monde ce que le culte d’Itras fait, toutes ses ouailles se détourneront d’elles et reviendront dans le giron de Nindra ! Est-ce que vous êtes avec moi ?!
– Euh, lui répond un frère, je sais pas si on a vraiment le droit d’attaquer le couvent…
– Ouais, c’est quand même le couvent d’Itras…
– Et faire une opération clandestine ? Frère Matéo, vous étiez ninja avant d’entrer au culte, n’est-ce pas ?
– Oui, enfin dans la pièce de théâtre que j’ai jouée au collège…
– Ça fera l’affaire ! »

Les adorateurs ne sont pas très convaincus mais se dirigent d’un pas traînant vers le couvent. Monsieur Crane, l’Étranger et Martin (qui pleure la perte de son contrat et peste contre le gardien de zoo qui laisse sortir ses bêtes la nuit) les suivent.
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Emöjk Martinssøn
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Scène 14 : Sale temps pour Sœur Augusta

On prépare sœur Augusta à la question ; elle entre dans une petite pièce sombre, aux murs recouverts de torche, suivie par sœur Jacquie et sœur Vestine. Elles installent Augusta dans un fauteuil en cuir et serrent des sangles autour de ses poignets.

« Sœur Augusta, déclame Vestine, par le rituel de la question, tu vas devoir répondre de tes actes. Que chaque réponse qui portera le mensonge en son sceau te fasse perdre un de tes membres. Es-tu prête ?
– Non, pas du tout.
– Fort bien, je vois que tu as compris le principe. Bien, sœur Augusta : qu’est-il arrivé à sœur Eusébie ?
– Tout ce que je sais, c’est qu’elle arrivée chez cette Amandine Beaulieu ; elle était folle amoureuse de Cléanthe. De jalousie elle s’est jetée sur cette demoiselle et à la suite d’un accident, elle a cogné sa tête, et elle est morte. Je n’ai rien à voir avec ça, je vous jure ! »

Les sœurs se penchent vers Augusta et la regardent de haut en bas ; aucun membre ne disparaît, ce qui semble les décevoir un peu.
« Pourquoi n’as-tu pas appelé aussitôt le couvent ?
– Je ne savais pas quoi faire, j’étais paniquée… »

Augusta serre les dents après ce demi-mensonge ; elle ressent soudain une vive douleur à la main gauche et voit la première phalange de son index disparaître.
« Sœur Augusta, je repose ma question : pourquoi n’avez-vous pas prévenu le couvent aussitôt ?
– J’étais complètement paniquée, je pensais que vous alliez m’accuser, alors je me suis dit que j’allais me donner un peu de temps pour vous appeler… »

Un picotement naît dans son lobe d’oreille, puis s’éteint. Les sœurs regardent Augusta d’un drôle d’air.
« Réfléchissez à vos réponses, Augusta ! Nous… euh… nous revenons tout de suite. »

Scène 15 : Ninjas en patinettes

Devant le couvent, monsieur Crane explique aux adorateurs que l’heure est venue de s’infiltrer.
« Frère Matéo, montrez-nous la voie.
– Attendez, dit Martin, j’ai mieux ! »

Il sort des patinettes d’une poche et les distribue à ses camarades.
« Ben, et nous ? demande Matéo.
– Ah, bah c’est que j’ai pas vos pointures…
– On va vous laisser y aller, alors. Et puis ça tombe bien, c’est l’heure de nos imprécations maléfiques. Comme le temps file… Monsieur Crane, on se voit à la prochaine réunion, hein ? Allez, gloire à Nindra et l’Entité noire, sa serviteuse suprême. »

Les adorateurs s’en vont, soulagés.
« Non mais vous verrez, se justifie Crane, ils ont un peu perdu la foi mais quand on aura récupéré sœur Augusta, ils seront convaincus. Et puis ce sont eux qui vous ont sauvé la mise tout à l’heure, ne l’oubliez pas.
– Si nous récupérons sœur Augusta, proteste l’Étranger, ce n’est absolument pas pour aller chez vos amis. J’ai bien compris qu’elle n’était pas très heureuse de venir ici, voilà tout.
– Ah, mais elle aura le choix… J’espère juste que ça lui fera voir notre culte sous un meilleur jour. »

La porte du couvent étant fermée, les trois entreprennent d’escalader l’enceinte. Elle n’est pas très haute, car il faut bien que les nonnes puissent faire le mur quand c’est nécessaire.

[Je demande aux trois de tirer une carte « Résolution » commune. Clémence lit : « Non, parce que… Un ou plusieurs facteur(s) imprévu(s) vous empêchent d’arriver à vos fins ».]

Pendant l’escalade, la main de monsieur Crane disparaît soudain ; il tombe et entraîne les autres dans sa chute. Il a mal, et n’a plus de whisky.
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Scène 16 : Par la grâce d’Itras

Sœur Jacquie et sœur Vestine reviennent dans la pièce.

« Sœur Augusta, nous avons une question importante à te poser. Je te rappelle que selon le degré d’importance de la question, ton âme peut être vouée aux flammes de l’enfer ! Oui, voilà, c’est ça. Euh… As-tu été touchée par la grâce d’Itras ?
– Oui. »

Les deux sœurs tombent à genoux devant Augusta.
« Itras, pardon ! Pardon d’avoir douté ! Mais comment cela est-il arrivé ? demandent-elles à Augusta en la détachant. Attendez ! Je vais chercher le livre des rencontres ! »

Sœur Vestine va chercher le grand livre d’Itras, conservé précieusement en haut d’un piédestal de nacre, et Augusta y écrit sa rencontre avec la déesse au marché.
« Béni soit ce vendeur de pommes ! s’écrie Vestine après la lecture. Et maudite soit cette Entité noire ! N’empêche, continue-t-elle à demi-mot, je prie Itras depuis mes 9 ans, moi, c’est pas juste…
– L’Entité noire est maléfique, prévient Augusta. Elle peut transformer les anges en anges noirs, et je sens qu’elle est encore en ville.
– Ne vous préoccupez pas des anges ; nous avons fait un exorcisme qui les a tous bannis hors de la ville, surtout les anges noirs. Mais nous devons à présent repousser cette Entité. Où se trouve-t-elle ?
– Je connais quelqu’un qui sait où elle est.
– Ah oui ? Qui donc ?
– Un concierge. Il voulait me livrer à elle.
– Oui ; c’est le logeur du bâtiment où elle se trouve. Là où sœur Eusébie est morte, c’est dire si l’endroit est maudit.
– Je vois. Jacquie ! Rassemble les nonnes ! Nous allons faire une expédition punitive ! »

Scène 17 : La rédemption de Martin Poicreux

« Monsieur Crane, vous êtes un incapable ! Même pas capable de garder votre main pendant que nous escaladons, franchement…
– Désolé, j’ai un petit problème de dispersion métaphysique, en ce moment. J’ai plus de whisky, aussi !
– On pourrait retenter, suggère Martin. Vous faites la base, vous n’aurez pas besoin de vos mains. »

Les trois compères retentent le coup et alors qu’ils sont en train de gravir le mur, la porte du couvent s’ouvre à la volée, laissant sortir les nonnes, armées de torches d’encens. L’une d’entre elles, guillerette, s’adresse à sa voisine : « Je dois dire que ça ne me déplaît pas que ce genre d’expéditions devienne une habitude… ». Sœur Augusta est perdue dans la masse, en tête de cortège.
« Elle est là ! crie Martin.
– Elle ne semble pas malheureuse…
– Voilà, c’est lui qui connaît l’Entité noire.
– Sœur Augusta, il faut qu’on reparle de ma rédemption, et…
– C’est toi ? le coupe sœur Vestine. C’est toi le maître de cette entité ?
– Alors non, rougit Martin, ce n’est pas exactement comme ça que ça s’est passé… Elle était déjà là quand j’ai acheté l’immeuble, et elle m’a fait le genre de propositions qu’on ne refuse pas… Mais j’arrête, tout ça, c’est fini ! Je suis avec sœur Augusta ! Enfin je veux dire, euh, rien de… Je lui ai demandé conseil et j’ai été éclairé par Itras, et je me demandais si je pouvais avoir une forme de rédemption, et…
– Mets-toi à genoux, mon fils. »

Sœur Vestine sort sa médaille d’Itras de son corsage.
« Je t’accepte comme apprenti. »

Elle pose la médaille sur le front de Martin, qui ressent immédiatement une insupportable brûlure. Il hurle.
« Ah, je vois que c’est plus grave que ce que je ne pensais. Mon fils, tant que tu n’es pas libéré du joug de cette entité, je ne peux rien pour toi.
– Alors justement…
– Oh non, encore lui ? Qu’est-ce que vous faites encore là, vous ?! demande Vestine à l’Étranger. C’est bien la preuve que vous n’êtes pas un vrai ange…
– Hein ? Pourquoi je serais un vrai ange ? Pourquoi je serais un ange, d’ailleurs ? C’est quoi, un ange ?
– Vous n’en êtes pas un, puisque vous n’avez pas été banni !
– Banni de quoi ?
– De la ville !
– Mais pourquoi ?
– Parce que nous avons banni les anges, et… Oh, c’est toujours compliqué avec vous !
– Je suis venu chercher sœur Augusta. Elle n’était pas heureuse de venir avec vous, et je n’aime pas quand les gens ne sont pas heureux.
– Le couvent a toujours été ma maison, explique Augusta, mais j’avoue que d’être soumise à la question…
– Elle avait peur, et je n’aime pas la peur. La peur, ça ne rend pas heureux.
– Je comprends, c’est un processus désagréable…
– Oui, perdre ses membres, c’est assez désagréable.
– Je ne comprends pas. Vous êtes passé à la question, monsieur Crâne ?
– Non, mais j’ai entendu ce qu’ils font. Vous voyez, elle était terrifiée ! Venez plutôt chez nous ! Moi j’ai perdu ma main, mais euh, c’est différent. J’ai ce problème depuis longtemps, et en repartant d’Itras, je pourrai peut-être me guérir.
– Bon, on parlera de tout ça en route, coupe Vestine. Monsieur Poicreux, amenez-nous à votre immeuble. »
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Scène 18 : Tragédie immobilière

Martin prend la tête de la file, tout en se frottant la marque de la médaille qu’il a à présent sur le front, et les mène vers l’immeuble.
« Et sinon, mon fils, en catéchisme, vous êtes à jour ?
– Oh, ben, depuis l’école ça fait loin…
– Je veux dire, vous avez fait toutes vos injections ? Un rappel tous les deux ans, mon fils, c’est important. Et puis vous, mettez un pantalon, tout de même ! On voit votre… votre… on voit tout, quoi !
– Mais je n’en ai pas… Je n’ai que mon manteau…
– Enfilez cette robe de bure en attendant.
– Mais ça gratte ! C’est très désagréable ! Ça gratte jusqu’au sang !
– C’est normal, c’est pour l’expiation, mon fils.
– Chez nous, à Nindra, on porte ce qu’on veut… On peut même être tous nus si on veut… »

L’immeuble n’est plus qu’un tas de gravats fumants. Il ne reste plus que quelques murs du rez-de-chaussée, et le bureau noirci de Martin. Des policiers (dont le requin croisé plus tôt) entourent les lieux.
« Encore vous ? rugit le requin.
– Mais qu’est-ce qui s’est passé ?!
– Vous voyez bien. L’immeuble a brûlé de pied en cap. Apparemment, une bataille de Futuristes dans les étages a mal tourné.
– Au 4e B, j’imagine ?
– Oui, comment le savez-vous ?
– C’est mon immeuble… sanglote Martin sur l’épaule du requin.
– Allons mon vieux… Je suis sûr qu’il n’a pas souffert…
– Mais que sont devenus tous mes locataires ?
– Ne vous inquiétez pas, a priori, aucune perte humaine n’est à déplorer. Les Futuristes ont réussi à s’enfuir à tire-d’aile, quelques hommes-ciseaux ont péri dans la bataille, mais on ne peut pas vraiment dire qu’ils sont humains, et le reste des appartements étant inoccupés… On a retrouvé des restes de fraisiers un peu partout, en revanche.
– Pas de banane, j’espère ?
– Non. Par contre, monsieur, on a retrouvé des choses bizarres dans votre cave.
– Ah ? Euh ? Ah ? Comment ça ? Ah ?
– Vous saviez que vous avez une sacrée infestation dans votre cave ! C’était pourri d’entité maléfique et de malédiction…
– Oui, intervient Vestine, c’est une Entité noire ! Où est-elle ? Nous allons la combattre !
– À tous les coups, elle a fui dans les égouts, dit le requin. En tout cas, monsieur, passez au commissariat demain pour répondre à quelques questions. Et je vous conseille de contacter votre assurance au plus vite. Vous étiez assuré, n’est-ce pas ?
– Oh, oui… Oui oui, tout à fait, euh…
– Ah, on a trouvé ça, aussi. Une béquille. C’est à une de vos locataires ?
– Oui, elles avaient emménagé il n’y a pas longtemps… »

Scène 19 : Une nouvelle vie au milieu des ruines

Le requin prend le nom des locataires de l’immeuble ; il trouve ça étrange que personne n’ait habité en-dessous du quatrième, mais ne fait pas de commentaire. Martin se dirige ensuite d’un air triste vers son bureau ; il y trouve une copie de son contrat complètement calcinée, sur laquelle on peut seulement lire : « …entre le dénommé Martin Poicreux, ci-après “l’esclave”, et l’Entité noire, ci-après “la déesse toute puissante”, décrète que l’esclave s’engage à servir… ».
« Tout est parti en fumée…
– Mais non Martin, le console l’Étranger, ne dites pas ça ! On reconstruira un autre lieu !
– Et puis vu ce qu’il y avait dans votre immeuble, ajoute Augusta, vous devriez être content de pouvoir commencer une nouvelle vie…
– Oui, mais au milieu des ruines…
– Il y a plein d’endroits où loger, à Itras By ! Vous qui vouliez la rédemption, essayez de changer !
– Oui, mais moi j’aimais bien dire aux gens de faire attention de bien essuyer leurs pieds, bande de salopiauds… Ça illuminait un petit peu ma vie…
– Voyez ça comme un signe d’Itras pour vous inciter à vivre une vie meilleure.
– Oui, peut-être…
– Bon, dit sœur Vestine, allons dans les égouts combattre cette entité !
– Euh… dit Augusta. Tout de suite ? Nous ne sommes pas très préparées…
– Augusta, tu préfères que l’Entité noire te traque nuit et jour, toi l’Envoyée ? Nous avons fait face à elle une fois, nous pouvons recommencer !
– Si elle vous dit qu’il ne faut pas y aller, dit l’Étranger, il ne faut pas y aller.
– Mais c’est pas possible, ça ! Quand on veut s’amuser, on peut pas !
– Je suis absolument d’accord avec vous, dit monsieur Crane. L’Entité est affaiblie, il faut aller la chasser dès maintenant !
– Mais envoyer tout un escadron de sœurs, proteste Augusta, ne serait-ce pas trop dangereux pour elles ?
– Mais non, pas du tout… Ce ne sont que des égouts, qu’est-ce qui pourrait arriver ?
– Je ne sais pas si je vous fais tout à fait confiance… »

Monsieur Crane tente de siffloter d’un air innocent.
« Sœur Augusta, tant que j’y pense… dit Martin. J’ai besoin d’un petit conseil éthique… D’après vous, si je mets une petite annonce : “Vends immeuble à rafraîchir, prix et emplacement à débattre”, c’est autorisé ?
– Oui, écoutez…
– Si elle vous dit que c’est possible, c’est possible.
– Bon, dit Vestine, vous avez entendu ? Retour à la maison. Sœur Augusta, vous venez ?
– Non. C’est une chose que je dois accomplir seule. Je dois accomplir la mission que m’a donnée Itras.
– Ton courage t’honore. Nous t’aiderons par nos prières.
– Bon, Crane, nous vous suivons.
– Euh, je leur proposais d’y aller, mais à présent qu’elles sont parties… Et pourquoi j’irais dans les égouts, moi ?
– Ah d’accord, vous ne voulez pas nous aider…
– Bon, bon… Allons-y.
– En échange, je vous aiderai à lever le mystère des âmes en bouteille. »

Monsieur Crane se frotte les mains, tandis que sœur Augusta choisit de garder pour elle son expertise au sujet de la tempête.
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Scène 20 : Où l’Étranger recommence avec ses lubies

« Sœur Augusta, lui demande l’Étranger, puis-je vous parler seul à seule ?
– Je vous écoute.
– J’ai comme une impression bizarre, depuis que je suis avec vous… Une sorte de bien-être… N’avez-vous pas rencontré quelqu’un de particulier, dernièrement ? Quelqu’un de lumineux ? de beau ? d’exceptionnel ?
– Vous voulez parler de cette femme…
– Oui !
– Cette femme pleine de lumière…
– Oui !!
– Vous la connaissez ?
– Non. Mais je l’ai vue, dans la gare…
– Et vous la cherchez, c’est ça ? Je vous comprends, elle est si magnifique…
– Je crois qu’elle a déposé quelque chose sur vous…
– Oui, nous avons parlé, elle m’a complimenté, et j’ai juré que toute ma vie, je suivrais ce qu’elle m’avait dit.
– Donc c’est vous qu’il faut que je suive, alors ? Dorénavant, je ne vous lâcherai pas.
– Euh… merci beaucoup…
– Vous avez une idée de comment donner le bonheur aux gens ?
– Alors moi, personnellement, je prie. Ça marche plutôt pas mal. Et quelquefois, je leur prépare des petites potions.
– Ça veut dire quoi prier ? Et comment on fait une potion ?
– Bon, je vais vous expliquer en route. Martin, vous venez ?
– Euh, ça a l’air dangereux quand même…
– C’est quand même vous qui connaissez le mieux l’Entité noire… En même temps, si vous avez brisé le contrat que vous aviez avec elle…
– Pas encore, les singes sont partis avec. Mais bon, c’est vrai que s’il n’y a plus d’Entité, il n’y a plus de contrat… Et puis je pourrais être béni, ensuite… Bon, d’accord, je vous suis. Mes chaussons vont être tout crottés… Et ma belle blouse en nylon, oh là là… »

Scène 21 : Où tout le monde retourne dans les égouts

Monsieur Crane guide le groupe dans les égouts, en passant, sans qu’ils le sachent, par le parcours « intrus pas trop dangereux », qui ne contient que des pièges non létaux. Assez rapidement, Augusta, Martin et l’Étranger s’engluent dans les divers pièges à colle des couloirs, et se retrouvent piégés par les cages qui tombent du plafond. Monsieur Crane feint d’être étonné par cette capture et leur déclare qu’il va chercher du secours ; en réalité, il décide d’aller parlementer avec l’Entité noire.

[Mass demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « L’ombre. Le temps s’arrête et vous entrez en conversation avec votre ombre. Elle a les mêmes qualités et capacités que vous, mais peut aussi entrer dans des endroits hors de votre atteinte. Demandez-vous de l’aide ou un conseil à votre ombre ? Le joueur ou la joueuse qui vous ressemble le plus incarne votre ombre ». Mass décide que c’est Kobal qui joue l’ombre dans la scène qui suit.]

« Salut ! Ça va ? Tu veux que je te donne du bonheur ? Tu m’as l’air bien malheureux…
– Oh, une ombre qui parle ! C’est génial ! Je sens quelque chose de maléfique… Toi aussi, hein ? Ça vient de cet homme qui s’en va…
– Tu veux que je le suive ?
– Oui ! Et empêche-le de nuire à sœur Augusta, car sur elle s’est posé le regard de la femme magnifique…
– Je sais. »

Monsieur Crane est suivi par l’ombre de l’Étranger, sans la remarquer puisqu’il n’y a aucune lumière dans les couloirs. Il arrive au temple des adorateurs de Nindra, et demande au concierge où se trouve la salle de communion avec l’Entité noire.
– Bon, vous voyez la salle avec l’immense guillotine, celle qui descend très lentement… En sortant de cette salle, vous prenez la première à gauche, vous dépassez les murs aux hurlements, et c’est juste après les geôles. Vous ne pouvez pas le manquer, il y a un crâne qui vomit du sang à l’entrée. »

Après être allé chercher une fiole de whisky dans son casier, monsieur Crane suit les indications ; il ignore les supplications du prisonnier sous la guillotine, fait mine de ne pas entendre les malédictions des murs aux hurlements, passe devant les geôles et leurs prisonniers suppliants sans rien dire, et arrive au bout d’un long couloir où se trouve un crâne qui vomit du sang, et un puits.
« Bonsoir, ami crâne. Pourrais-je parler à la Sombre Entité ? C’est assez urgent.
– Hin hin hin ! Tu t’appelles monsieur Crane, et moi je suis un crâne ! J’avais jamais remarqué !
– Oui, c’est pour ça que nous nous entendons si bien.
– L’Entité noire est dans son puits, tu peux lui parler.
– Je te remercie, monsieur crâne. »

Le crâne pouffe sans pouvoir s’arrêter.
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Scène 22 : Audience avec l’Entité noire

« Entité Noire ? Je souhaite m’adresser à vous dans le plus grand des respects… »

Un grondement provient du fond du puits, et une voix gargouillante lui répond de loin : « Hmmm, qu’est-ce que tu veux ?
– Je souhaiterais m’entretenir avec vous de votre demande que vous avez faite à un de mes amis de vous ramener une nonne. Sœur Augusta.
– Hmmm, la nonne, la nonne, OÙ EST-ELLE ? »

La voix se rapproche brusquement, et monsieur Crane voit l’Entité noire remonter le long du puits. Il boit une grande rasade de son whisky.
« La nonne, hmmm, elle est proche, je le sens ! Enfin ! Donne-la nous, tu seras récompensé, hmmm !
– Mais pourquoi souhaitez-vous la posséder ?
– Pour la détruire, oui, la détruire ! C’est elle qui provoquera, hmmm, le retour, oui, le retour d’Itras ! Non, ne voulons pas !
– Et ce retour ne peut être provoqué que par une nonne ?
– Que par cette nonne ! Sœur Augusta, hmmm, c’est elle l’envoyée !
– Eh bien, que diriez-vous si, plutôt que de la détruire, nous la retournions de notre côté ?
– Quel côté ? Non, hmmm, il faut la détruire ! NON !
– Mais si elle adore Nindra, elle provoquerait sa libération…
– Nous préférons la détruire !
– Soyez raisonnable, voyons… Ne suis-je pas le futur consort de… »

L’Entité saisit Crane par ses pseudopodes et commence à l’enserrer.
« Misérable ! Hmmm, nous ne sommes pas raisonnables, nous sommes l’Entité ! Qui es-tu pour nous défier, qui ! »

Crane sent quelque chose fouiller dans son esprit, puis le relâcher.
« Hmm, tu as de la chance que Nindra t’aime bien… Maintenant va me chercher cette nonne.
– Écoutez, si ça ne vous embête pas, je souhaiterais que nous retardions un peu cette affaire de destruction de sœur Augusta… J’aimerais essayer de la convertir à notre cause. Si ça ne marche pas, nous reconsidérerons la question de sa destruction… Un petit délai, qu’en pensez-vous ?
– Hmm… J’ai faim ! Il me faut une nonne !
– Ah, mais ça je peux vous le trouver !
– Une nonne contre une nonne ! Voilà le marché !
– Eh bien il y a justement une cargaison de nonnes qui ne devrait pas tarder à passer… J’ai ouï-dire que les sœurs d’Itras avaient pour projet de venir vous chercher dans les égouts. Vous pourrez leur tendre un piège…
– Hmmm, oui, un piège pour les nonnes, très bien… Amène les nonnes !
– Je vais arranger ça. »

Scène 23 : Monsieur Crane, traître ou opportuniste ?

Pendant que monsieur Crane est sur le chemin du retour, l’ombre de l’Étranger file et rapporte à l’Étranger tout ce qu’il vient de se dire.
« Je crois que des gens comme ça, sœur Augusta, on les appelle des traîtres, c’est bien ça ?
– Oui, on peut dire ça…
– Je sais que l’Entité noire c’est le mal, et je suis contre le mal. Il faut la détruire. Le mal ne peut pas donner le bonheur.
– Vous commencez à comprendre un peu mieux la nature humaine…
– Tout est arrangé, s’exclame monsieur Crane ! J’ai eu une conversation avec l’Entité noire, et comme je suis un fin négociateur, et il se trouve que j’ai négocié une trêve par rapport à votre cas. L’Entité noire ne vous poursuivra plus.
– Et… et mon contrat ? demande Martin.
– Eh bien, votre contrat… Il est nul et non avenu si vous ne lui amenez pas Augusta, n’est-ce pas ?
– Mais qu’est-ce que vous lui avez donné en échange ?
– Eh bien, euh… Disons que les choses suivront leur cours sur d’autres lieux.
– Sœur Augusta, lui chuchote l’Étranger, il n’y a que de la bile et de la mauvaise influence qui sort de sa bouche…
– Écoutez, je joue cartes sur table. Vous préférez que ce soit vous qui soyez mangée par l’Entité noire, ou une des sœurs qui ont essayé de vous découper en morceaux ?
– C’est sûr que dit comme ça…
– Vous voyez ! Vous commencez à accepter Nindra dans votre cœur, vous aussi…
– Monsieur l’Étranger, pour votre gouverne, je ne dirais pas que monsieur Crane est un traître ; un opportuniste, plutôt.
– Je n’ai pas l’impression que les opportunistes donnent beaucoup de bonheur…
– À eux-mêmes, si.
– Qu’est-ce que je retire de cette situation ? demande Crane.
– Plus de noirceur ?
– Pas du tout ! Je prends soin de mes amis, c’est tout.
– Et dans votre négociation, il était question qu’on sorte des pièges ? »

Monsieur Crane désamorce les pièges ; il dissout la colle à l’aide d’un liquide approprié et fait remonter les cages au plafond d’un tour de manivelle.
« Sœur Augusta, pensez-vous que sa noirceur changera si je lui fais sortir l’âme de son corps ?
– Je ne ferais pas ça si j’étais vous. C’est quand même un péché de retirer la vie à quelqu’un. Si vous ne devez apprendre qu’une seule chose de notre mésaventure, retenez cela.
– C’est quoi un péché ?
– C’est le malheur. Vous savez, monsieur l’Étranger, je vous trouve plutôt sympathique, au fond…
– Sœur Augusta, il ne faut pas envoyer vos consœurs ici ! L’Entité noire les prendra !
– On n’a pas le choix. Quelqu’un sera forcément malheureux dans cette affaire.
– Et pourquoi nous ne détruisons pas l’Entité ?
– Nous n’en avons pas les moyens, pour le moment.
– Mais nous sommes là ! Nous sommes la lumière ! La lumière est toujours plus forte que la noirceur !
– Il n’y a qu’une lumière assez puissante pour combattre l’Entité noire, et nous n’en disposons pas à l’heure actuelle.
– Eh bien trouvons-la, cette femme magnifique !
– En effet, c’est notre but à présent… »
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Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 24 : Festin de nonnes !

Tous les quatre sortent enfin des égouts. Monsieur Crane propose à Martin Poicreux, à présent sans emploi, un job de cuistot pour les adorateurs ; Martin préfère décliner, car il aurait plutôt envie d’ouvrir une guinguette sur les ruines de son immeuble… Il connaît justement un jeune joueur d’orgue de barbarie qui pourrait l’aider.

Augusta, elle, décide de rentrer au couvent et d’y cacher l’Étranger, qui doit l’aider à retrouver la femme magnifique. Une fois entré, l’Étranger se promène dans les couloirs, en ouvrant des portes au hasard, et finit par se retrouver dans une cellule dont le sol est couvert de bougies. Sur le lit, le corps d’Eusébie est étendu. L’Étranger pense à la bouteille dans son veston, mais ce n’est pas une bonne idée… Après tout, en tant qu’ange, ne peut-il pas ramener les gens à la vie ? Il se penche sur Eusébie et l’embrasse. Elle est soudain prise de soubresauts, se relève et ouvre les yeux. Seule une lumière rouge émane de ses pupilles, et elle pousse un rugissement.

Monsieur Crane se poste non loin du couvent, et à sa grande satisfaction, finit par voir une demi-douzaine de sœurs, menées par sœur Jacquie, sortir discrètement du couvent et se diriger vers les égouts. En prenant les raccourcis, Crane prend de l’avance et va activer les pièges pour les livrer à l’Entité noire.
« Des nonnes, hmmm, je vais me régaler ! Des nonnes en attendant la nonne !
– C’est donc entendu, vous laissez sœur Augusta tranquille maintenant ?
– Oui, elle attendra, hmmm… »

Martin retourne sur les ruines de son immeuble. Il installe des bâches, quelques lampions, et appelle Jeannot qui accourt avec joie.
« Bon, je joue pas très bien pour le moment, mais je vais m’améliorer !
– Justement, je compte sur toi pour mettre une bonne ambiance !
– Et on pourrait faire un spectacle ! De la musique, du cirque, des cracheurs de feu !
– Oulà, on va se calmer un peu tout de même. Ah, oui : si tu aperçois des singes volants, tu m’appelles immédiatement. »

Martin installe des tables et des gobelets en chantonnant. Derrière lui, une voix lui demande timidement : « Monsieur Poicreux, vous êtes déjà ouvert ? ». Géraldine le regarde d’un air éploré.
« Allez, entrez ! »
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Message par Arkham »

C'est toujours aussi bon à lire, merci pour ce CR!
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Kobal »

C'était vraiment une campagne cool :)
--
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

L'épisode qui suit est mon préféré :)

Acte 10 : Nous sommes marins, maintenant !

Dramatis personae


Amandine Beaulieu, (jouée par @Guylène ) pseudo-artiste défoncée sans le sou
Qualités dramatiques : débauchée, optimiste
Aimants à intrigue : Vie sexuelle libérée, dépendante à plusieurs substances
Personnages connus : des parents, qui l’ont reniés. Sa voisine, avec qui elle entretient une relation cordiale… Du moins jusqu’à la semaine dernière.
Description : chatain-rousse aux yeux verts cheveux courts, maigre comme ceux qui n’ont pas assez mangé, pas très féminine. Un rire cristallin qui fait tout son charme malgré sa dégaine.

Jonas StJones, (joué par @OldGnou ) joueur de blues malchanceux.
Qualités dramatiques : Poissard, Inspiré, Optimiste désabusé
Aimants à intrigue : La recette de la gnôle du Père Shade, Les prophéties du gorille, La malédiction de l’Ange de Church Hill
Personnages connus : Ida Jerricane (rencontrée chez le père Shade), La fille de joie (ma cousine), un inconnu qui lui a proposé de devenir le meilleur joueur du monde à une croisement de rue un soir. Ils ont fini par boire un pot à la part du diable.
Description : costard usé, une clope au bec, chapeau de feutre, un regard fatigué mais rieur.

Cléanthe Brumaire (Joué par @Ozen), Homme riche qui essaie de trouver un sens à la vanité de son existence.
Description : Un petit homme très sage, fin de quarantaine, ni beau, ni laid mais bien entretenu, l’air mélancolique. Un costume parfaitement entretenu, chaque jour une fleur différente à la boutonnière, une grosse chevalière (avec une pierre bleue) à l’index droit. Fume de longues et fines cigarettes avec un air légèrement efféminé, tics nerveux.
Qualités dramatiques : Notable bien installé dans la bonne société / Curieux, pour tuer l’ennui / Plus une connaissance est improbable, plus il est susceptible de savoir / Joueur (presque) professionnel.
Aimants à intrigues : Terriblement endetté (Jeff l’Usurier) / A la recherche de la femme magnifique / Convoite un pouvoir supérieur (Le Maître d’école)
Personnages connus : une femme, qu’il a épousé et qu’il a oublié quelque part dans sa grande maison / quelques souteneurs choisis dans la rue des Nymphes.

Pendant ce temps…


Scène 1 : Ravigotés par l’air du large et le pouvoir de l’amour

Cléanthe, Amandine et Jonas sont emmenés loin des quais de la cité par les flots. Une petite frégate remplie de nonnes vient, il y a quelques minutes, d’aborder leur bateau pour emmener sœur Augusta sur le leur, avant de rebrousser chemin.

« Regarde Amandine, des mouettes ! s’écrie Cléanthe.
– Oh ! Tu crois que ce sont des cousins de Gérald ?
– C’est fort probable… Gérald, tu as vu ? »

Depuis son départ d’Itras, Cléanthe va beaucoup mieux ; l’air du large, quelque chose dans le clapotis des vagues calme ses blessures. Il sourit à pleines dents.

« Ça me fait plaisir de te voir comme ça, Cléanthe. J’ai eu une sacrée peur…
– Mais la puissance de ton amour m’a guérie ! Et l’espèce d’infâme ragougnasse que vous m’avez fait boire, aussi.
– Jonas, il nous faut une chanson pour célébrer tout ça !
– Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
– Vous pourriez faire un arrangement, l’encourage Cléanthe. Je chanterais, et vous joueriez de la guitare !
– Pourquoi pas… Si je ne mets pas de paroles, rien de mal ne peut se passer…
– Et puis, ajoute Amandine, depuis le temps que vous nous parliez de partir en mer… Faut marquer le coup, quand même ! »
Barnabé, le gorille prophétique, met la main sur l’épaule de Jonas ; il a l’air d’avoir hâte de partir à l’aventure mais ne peut réprimer un certain serrement de cœur à l’idée de quitter sa cage, et la cité, pour la première fois. Jonas, lui, est moins enthousiaste que ses camarades ; après tout, il est obligé d’être là. Et puis de toute façon, ça va foirer.

« Regarde, Barnabé, dit Jonas ; ça s’appelle la mer. Paraît qu’on y fait des grands voyages et qu’on s’y découvre.
– Ook, ook ! »

Derrière eux, les deux mains dans le dos, un marin en habits de capitaine fume la pipe. Il n’a pas de tête.

« Je crois que nous n’avons pas eu l’honneur d’être présentés… Jeremy Lorphelin, capitaine de ce bateau.
– Bonjour capitaine ! lui répond Amandine en serrant sa main gantée. Amandine Beaulieu, peintre et artiste à Itras By, vagabonde amoureuse, en croisière semble-t-il, et moussaillonne bien évidemment.
– Je vois… Et vous… Vous, vous avez l’air d’un vrai marin, n’est-ce pas ?
– Mouais, répond Jonas. P’t’être ben. Jonas StJones.
– J’ai connu un marin qui s’appelait Jonas, dans le temps… Il s’obstinait à chasser des baleines, il était persuadé qu’elles avaient un trésor au fond de la gueule. Je crois qu’il en a ramenée une en ville, une fois. Je ne sais plus trop ce qu’il est devenu… C’est peut-être vous, qui sait.
– Je crois que je m’en souviendrais, si j’avais eu un trésor. Je sais pas si j’y aurais survécu…
– Mais vous avez un trésor dans la voix, Jonas, lui dit Cléanthe.
– Bien, messieurs-dames, si vous le permettez, je vais vous expliquer quelques règles sur ce bateau. Vous avez bu l’alcool de marin, je le vois à vos tatouages, vous êtes donc les bienvenus, à condition de vous rendre utiles. Nous n’acceptons pas les touristes, ici. Je vais commencer par vous demander votre destination.
– Quelque part au-delà de l’arc-en-ciel, dit Cléanthe.
– Ah, je ne sais pas si nous aurons la chance de traverser un arc-en-ciel, ils ne viennent pas si souvent…
– Alors quelque part près de l’amour heureux… dit Amandine.
– Pour moi, ajoute Jonas, j’essaie simplement d’aller ailleurs.
– Ça, on devrait le croiser sur notre route. Bien, voyons voir… »

Scène 2 : À vos postes, moussaillons !


Jeremy tourne autour d’eux en les dévisageant (malgré son manque de tête).

« Vous, là, Jonas… L’animal, c’est votre ami ? Bien, voyons voir… Les cuisines, ça vous ira très bien ! J’ai cette vision du gorille avec une toque, ça fera l’affaire.
– Pourquoi pas.
– Vous, monsieur, par contre… que je sois damné si vous n’êtes pas un navigateur qui s’ignore.
– Qu’est-ce à dire ? S’agit-il de chanter des chansons de marin ?
– Ha, non ! Nous laissons ça aux marins. Vous, je sens que vous aurez une affinité particulière pour les cartes.
– Oui, j’ai collectionné ça fut un temps, effectivement…
– Très bien… Quant à vous, mademoiselle… Là, je dois dire que je ne vois pas bien… Bon, par défaut, on va vous mettre aux rames. Je peux ? »

Jeremy tâte les muscles d’Amandine d’un air approbatif.

« Bien, je vous laisse découvrir vos postes ; vous avez sans doute une longue journée devant vous et nous reparlerons ce soir, au dîner. Si vous avez le moindre problème, n’hésitez pas à solliciter l’un de mes subordonnés ; vous nous reconnaîtrez facilement, nous avons tous les mêmes bottes.
– Bon, dit Amandine une fois le capitaine parti, on dirait que je vais descendre à la cale, alors !
– Chère Amandine, c’est parce que c’est vous qui me transportez d’amour… littéralement…
– Eh bien vous me guiderez, cher Cléanthe…
– Méfiez-vous, ajoute Jonas, c’est comme ça que naissent certaines vocations. »

Amandine se dirige donc vers la cale ; à l’intérieur, il fait très chaud, il y a peu de lumière, mais elle entend des voix féminines haleter de fatigue. Une série de vélos sont posés en rangées et des femmes y pédalent avec passion.

« Bah pourquoi il a tâté mes bras, cet idiot ? C’est mes cuisses qu’il fallait vérifier !
– Parce que les bras, ma p’tite, il en faut des fermes pour s’accrocher au guidon quand la mer s’agite. »

La maîtresse d’équipage dévisage Amandine. Elle est vêtue d’habits de cuir plutôt lourds, en dessous desquels on distingue une peau couverte de tatouages.

« Amandine Beaulieu, nouvelle moussaillonne et rameuse, visiblement…
– Enchantée. Moi c’est Sylviane, et avec moi c’est pas compliqué : tant que tu pédales, tout va bien. Installe-toi au fond, une place vient de se libérer.
– Comment ça ?
– On avait récupéré une nonne de premier choix, mais son séjour aura été de courte durée. »

Amandine enlève quelques vêtements pour être confortable et prend selle à côté de deux autres cyclistes, qui font à peine attention à elle, toutes concentrées sur leur tâche.

Jonas se dirige d’un air décidé vers les cuisines, espérant y trouver la réserve d’alcool du bord. Il ouvre la porte en grand, le gorille sur ses talons, et se retrouve face à une marmite qui parle, ou plutôt une voix qui provient d’une marmite et lui dit : « Aidez-moi, je me noie ! »

Jonas attrape une écumoire, se penche au-dessus de la marmite, et voit un nouveau-né en costume de marin pour enfant, qu’il repêche.

« Merci mon brave, j’étais pas loin d’y passer ! Ça m’apprendra à essayer d’assaisonner le ragoût… Vous êtes mon nouvel aide ?
– Non, c’est Barnabé. Enfin, si vous avez une toque.
– Bien sûr, oui. Prenez ça dans le placard, en haut à gauche. Mais vous, vous ne cuisinez pas ?
– Boh, j’ai encore jamais essayé…
– Oh, c’est pas bien compliqué, ne vous en faites pas. Tant que vous ne rendez pas malade l’ensemble du bord, ça devrait bien se passer.
– Et si ça arrivait ?
– Alors, répond le cuisinier d’un air sombre, je donnerais pas cher de votre peau. Mais si vous suivez mes instructions et que votre gorille est réactif, on n’aura pas de problèmes. Votre gorille, dites-moi…
– Ce n’est pas mon gorille. »

Le cuisinier s’approche de Barnabé, qui le prend dans ses bras, et lui renifle les poils.

« C’est bien ce qu’il me semblait : c’est un animal prophétique ! Je serais vous, je garderais ça pour moi. Les marins sont des gens superstitieux. S’ils apprennent qu’il y a ici une bête qui peut leur tirer leur avenir, ça va terminer en pugilat.
– Alors il ne tire pas l’avenir, il l’écrit sur sa machine.
– Oui, c’est moins dangereux du coup. Ils sont plusieurs à ne pas savoir lire. Prenez garde, tout de même.
– De toute façon, tout cela est derrière nous.
– Absolument. Ce qu’il y a devant vous, par contre, c’est cette douzaine d’oignons. Vous allez me les couper en petits dés et les rajouter dans la marmite, là-bas. Prenez un couteau dans le tiroir à couteaux. »

Jonas prend une cuillère dans le tiroir à cuillère.

« Ça ira, ça ?
– Non… Un couteau, cette chose pointue et acérée qui coupe, vous ne voyez pas ?
– Vous voulez dire une épée ?
– Oui, mais en plus petit.
– Un duel qui se prépare ?
– Oui, de vous contre les légumes, si vous voulez…
– Vous savez, j’ai récemment assisté à la naissance de bananes… Je sais bien que ce ne sont pas des légumes, mais ça me fait quelque chose…
– Bon. Écoutez, lui dit le cuisinier en allumant sa pipe, que vous n’aimiez pas ça, c’est une chose. Si Jeremy vous a assigné ici, c’est cependant pour une bonne raison. Donc maintenant, vous allez prendre ce couteau et vous allez couper des oignons. Sinon je vais devoir lui dire que vous avez refusé votre place.
– En petits dés, c’est ça ? Combien de faces ?
– Huit faces, ça suffira. Vous jouez aux cartes, monsieur ?
– Ça m’est arrivé…
– Très bien. Jouez aux cartes, buvez beaucoup, ne parlez pas de vos prophéties, et tout se passera bien. »
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Scène 3 : Jeux de marins, jeux de… cartes


Cléanthe, une fois le capitaine parti, cherche la pièce la plus confortable pour y jouer aux cartes de manière convenable. À force de fouiller, il trouve un grand salon avec tout ce qu’il faut pour être tranquille : des fauteuils en cuir, une bibliothèque bien fournie et un globe terrestre qu’on peut ouvrir et qui contient une bouteille de brandy. Le brandy n’est pas mauvais, le fauteuil bien rembourré : plus Cléanthe boit et moins il sent les effets du tangage sur lui. Il est en train de regarder son verre avec un air pénétré lorsque la porte s’ouvre et laisse entrer un homme à la peau bleutée, une corde autour du cou, qui siffle joyeusement jusqu’à voir Cléanthe.

« Mais qu’est-ce que vous faites là ?
– Cher ami, vous avez une mine affreuse. C’est avec vous que je dois jouer aux cartes ? Prenez place, je vais vous servir une verre, ça vous requinquera, et puis nous trouverons les cartes et ferons ce qu’il faut faire avec, comme de bons marins que nous sommes, ah ah !
– Euh, excusez-moi, vous êtes ?
– Je suis le navigateur.
– Ah non, c’est moi le navigateur !
– Il doit y avoir erreur… Le capitaine m’a nommé le nouveau navigateur de ce bateau.
– Quoi ?! Jeremy m’a changé de poste sans m’en avertir ?
– J’en ai bien peur, cher ami. J’en suis bien désolé…
– Il m’a changé de poste sans invoquer la danse des changements de poste ?
– Peut-être pense-t-il à vous pour un poste de croupier, éventuellement… Moins de cartes, plus de jetons…
– Mais qu’est-ce que vous racontez ? Je vois tout de suite que vous n’avez aucune expérience de navigation, ça ne va pas du tout…
– J’ai l’expérience des cartes, en revanche.
– Bon, on va aller trouver Jeremy pour tirer cette situation au clair.
– Je suis d’accord, et désolé pour votre licenciement abusif. Si je pouvais y faire quelque chose, croyez bien volontiers que je le ferais !
– Mais vous allez faire quelque chose, mon petit gars. Vous allez lui dire que tout cela est une méprise, et que vous n’avez aucune envie d’être responsable des cartes. Vous irez dans la cale ou je ne sais où.
– C’est tout à fait impossible. On m’a confié une responsabilité, je compte bien l’assurer désormais. Peut-être y a-t-il suffisamment de cartes pour deux ? On pourrait faire une bataille, ou un poker peut-être… À deux, la cave n’est pas très grande, mais…
– Bon, écoute. »

Il souffle d’exaspération ; comme ses lèvres sont pincées, le son est un peu étrange.

« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un brandy pour vous remettre ?
– Vos cartes. Vous les maîtrisez à quel point ? Si je vous dis que j’ai un flush au valet par les rois, et que nous devons faire cap sud-est ?
– Je vous réponds belote, rebelote, dix de der et à l’amarrage !
– Mais enfin mon bon monsieur, nous ne sommes plus sur la terre ! La belote… Ce n’est pas un jeu de marin, ça !
– Ah bon ? Quels sont donc les jeux de marin, vous qui semblez tout savoir ? Moi aussi, je peux vous poser des questions !
– Eh bien, la bredouille par exemple ! Vous savez y jouer ?
– Oui, bien sûr !
– Ah oui ? Vous n’avez pas l’air convaincu… Si je vous défiais à une partie de bredouille… ?
– Monsieur, laissons les cartes décider qui les maîtrise.
– Ah oui, c’est comme ça ? »

Cléanthe lui tend la main ; le marin la lui prend et sort un paquet de cartes de sa main libre qu’il lui dépose dans l’autre main.

« Très bien. Monsieur, dans deux minutes sur le pont, une partie de bredouille, et on verra qui y laissera sa langue.
– Monsieur, je relève ce défi. »

Cléanthe décide d’aller chercher Amandine, pour qu’elle puisse admirer sa victoire. Cette dernière a une bonne expérience de la course (surtout pour éviter qu’on l’attrape quand elle vole dans les magasins à la fin du mois) mais peu du vélo. Pendant qu’elle pédale, ses voisines lui parlent en haletant.

« Qu’est-ce que t’as fait toi, pour te retrouver là ?
– Je viens d’arriver… C’est le capitaine qui m’a assignée là… aux rames…
– Qu’est-ce que tu lui a dit pour qu’il t’envoie là ?
– Mais rien de particulier… Je lui ai dit que je m’appelais Amandine Beaulieu, et que… que j’étais peintre et moussaillonne… et que je cherchais à atteindre l’amour heureux…
– L’amour heureux ? Mais t’es pas bien de lui avoir dit ça ! Tout le monde sait que le capitaine a autant d’amour heureux que de dents dans la bouche !
– C’est pas vrai… Il a eu une histoire d’amour malheureuse récemment, et je lui ai rappelée… Ça m’arrive tout le temps, ça, j’arrive pas à me mettre bien avec les gens qui ont des ruptures récentes, je leur mets mon bonheur dans la tronche à chaque fois. J’ai un problème de communication… Vous savez, c’est pareil avec mon ancienne voisine, la mère de mes bananes, j’avais du mal à gérer… C’est un vrai problème ! À chaque fois, je la mettais face au fait accompli que ses histoires d’amour marchaient pas… Elle avait pas d’ascendant sur moi, donc ça marchait pas ! Là, le capitaine, il a du pouvoir, évidemment… Vous croyez que je pourrais me rabibocher avec lui ?
– Écoute, ce qu’il faut, surtout, c’est lui montrer que tu détestes l’amour, que tu ne veux pas en entendre parler, et tout ira bien !
– D’accord, d’accord… Et euh, vous faites ça combien d’heures par jour ?
– Comment ça ? Mais tout le temps !
– Et c’est quand la pause repas ?
– La pause ?! Mais on nous apporte à manger, et puis c’est tout, quoi !
– Mais comment je vais faire pour dire au capitaine que ça va pas du tout, et que j’aime pas l’amour, et tout ça ?
– T’inquiète pas, on va faire passer le mot. »

La cycliste tapote l’épaule de sa voisine de devant, sans s’arrêter de pédaler.

« Eh, fais passer le mot : la petite demoiselle veut parler au capitaine ! »
La phrase est relayée ainsi jusqu’au devant de la cale, juste à temps pour que Cléanthe entende dire à Sylviane : « Eh, y a une nana là-bas, elle veut embrasser le capitaine !
– Oh, elle cherche les ennuis celle-là… Monsieur, excusez-moi mais c’est réservé aux dames, ici.
– Oui, je viens en chercher une, à vrai dire… Une dame récemment arrivée… Il faudrait qu’elle monte sur le pont rapidement, parce qu’il va y avoir un duel de cartes. Un duel de bredouille.
– Oh là, qui sont les infortunés qui se sont lancés dans cette affaire ?
– J’ai la chance d’être le futur vainqueur, et l’ancien navigateur est le futur perdant.
– Attendez, vous avez défié Vania ?
– C’est lui qui m’a défié, à vrai dire, mais…
– Vous savez qu’il est champion national de bredouille ?
– Champion national d’un bateau ? Ça ne me fait pas peur. J’ai moi-même concouru dans les meilleurs cercles d’Itras By… Dans tous les cas, permettez-moi de vous demander où est cette demoiselle que je viens chercher. Amandine ! Amandine !
– Écoute, mon gars, t’as pas envie que ta fiancée voie ça, crois-moi.
– Je ne vois pas pourquoi la personne que j’aime n’assisterait pas à mon triomphe.
– Bon, de toute façon, je ne peux pas la laisser sortir. Ce sont les règles : une fois à la cale, toujours à la cale. C’est comme ça.
– Il n’y aurait pas un arrangement à pouvoir trouver ? Une règle, ce n’est pas fait que pour taper sur les doigts…
– Quoi ? s’écrie Amandine en entendant ces mots. Non, j’ai rien fait ! C’est pas moi !
– Permettez ? dit Cléanthe, avant de s’élancer vers Amandine.
– Eh, revenez ! »

La maîtresse d’équipage lui court après et lui saisit les épaules.

« Qu’est-ce que j’ai dit ? Pas d’hommes ici. Ça perturbe la cadence.
– Madame, veuillez s’il vous plaît lâcher ce costume neuf et reluisant.
– Ah, Cléanthe !
– Amandine ? Je vais me battre en duel de cartes tout à l’heure… Et j’aurais aimé savoir si tu pouvais te libérer pour venir me voir…
– Je vous préviens, je compte jusqu’à trois !
– Et après, quatre ?
– Non. Après « trois », je lâche mes tatouages.
– Écoutez, je ne veux pas d’ennuis avec vous…
– Un. Deux.
– Amandine, peut-être pourrais-tu… Je vais rejoindre l’entrée, je ne peux manifestement pas rester, mais… Dans cinq minutes, sur le pont ; tu me verras triompher d’un homme qui paraît-il est champion national de bredouille.
– Mais tu ne vas pas jouer à la bredouille ? Enfin, Cléanthe !
– Bien sûr que si ! Nous sommes marins, maintenant ! Il faut se plier aux coutumes locales !
– Tu as raison… J’arrive ! »

Amandine descend de son vélo, sans écouter les protestations de Sylviane.

Scène 4 : « Vous savez, si on n’a pas les règles de base, on part sur le mauvais pied… »


« Excusez-moi, mais d’une part je dois m’entretenir avec le capitaine, et d’autre part, je dois assister à un duel de bredouille, qui pourrait très bien mener à un amour malheureux, ce qui, j’en suis sûre, me réconcilierait avec le capitaine. Et puis il faut bien que quelqu’un nous représente ! Pour les votes, comment on va faire si personne de la cale n’y va ? La phase des votes, à la bredouille, est quand même essentielle ! Je me propose donc pour représenter les filles de la cale.
– Tu n’as pas tort, mais qui va te remplacer pendant ce temps-là ? Je ne peux pas avoir une place.
– Je crois qu’il y a un gorille en cuisine… suggère Cléanthe. Ce n’est pas un homme, ça ne contrevient pas à la règle !
– Ma foi…
– Et il est resté très longtemps dans une cage très petite, il a besoin de faire de l’exercice !
– Je dois dire que je n’y avais jamais réfléchi, mais je suppose que… Très bien ! Amandine, va me chercher ce gorille. Je te préviens, s’il n’est pas là dans cinq minutes, je te tiendrai responsable. »

Amandine file donc en cuisine, en embrassant la joue de Cléanthe au passage. Cléanthe rougit.

« Chère madame, dit-il à Sylviane, je vous remercie sincèrement, du fond du coeur, d’avoir réussi à trouver un arrangement. »

Il lui fait une courbette, et remonte vers le pont, certain d’avoir à présent le soutien nécessaire pour gagner son duel.

En cuisine, Jonas passe beaucoup de temps à faire des dés à huit faces tout à fait bancals.

« Mais enfin, l’admoneste le cuisinier, c’est quand même pas compliqué ! Un dé à huit faces, c’est la première chose qu’on apprend en cuisine !
– Je vous avais prévenu. Mon régime est surtout liquide, vous savez. J’essaye..
– Écoute, si c’est trop compliqué, je suppose que je pourrais faire mon ragoût avec des dés à six faces… Voire à quatre…
– Ça changera pas grand chose, patron. Je vais y arriver, mais ils s’échappent ! Vous savez, tailler des dés, ça réveille en moi une âme d’artiste !
– Un artiste en cuisine, moi j’ai rien contre…
– Si vous me laissez improviser sur la taille des oignons, peut-être que je pourrais en faire quelque chose…
– Bon, écoute. Tu m’as l’air d’un gars débrouillard, je te laisse gérer ça. Tant que Barnabé fait le gros du travail, de toute façon, on ne devrait pas avoir de soucis. Mademoiselle, le repas n’est pas encore prêt !
– Oui, bonjour… Je venais vous emprunter Barnabé, rapidement… Ils ont besoin de lui à la cale pour ramer !
– Ah non ! Non, non, non. Non non non non non non.
– Mais il n’y en a pas pour longtemps, juste pendant le duel de bredouille… D’ailleurs, peut-être que quelqu’un de chez vous devrait venir pour le vote ?
– Un duel de bredouille ? Qui sont les infortunés qui se lancent dans cette affaire ?
– Visiblement, c’est Cléanthe Brumaire et quelqu’un d’autre dont j’ignore l’identité. Je pense que s’il y a un duel de bredouille, de toute façon, l’heure du déjeuner va être retardée, donc vous pouvez mettre le ragoût en attente…
– Et voilà. Comme d’habitude, on me dit « fais à manger le plus vite possible, il faut que tout le monde en ait »… Et à la moindre contrariété, c’est tout mon planning qui est fichu en l’air. On n’est pas considérés, ici…
– Mais vous avez raison… Moi c’était pareil quand j’étais à Itras, les gens…
– HOP HOP HOP ! Chhhhhht ! Malheureuse ! Ça va pas, non ? Ça va, personne ne vous a entendue. Mais ne dites plus des choses pareilles, enfin ! On ne parle pas de sa vie à Itras…
– Aaaaah, mais c’est pour ça que j’ai fâché le capitaine ! Je comprends mieux… Vous savez, si on n’a pas les règles de base, on part sur le mauvais pied…
– C’est quand même évident, quoi ! On est sur un bateau : on parle pas du passé.
– Mais je savais pas, moi ! Alors quand je me suis présentée au capitaine, je lui ai dit qu’à Itras, j’étais peintre… Et puis je lui ai dit que je voulais aller à l’amour heureux, parce qu’on est en train de vivre une histoire d’amour heureux avec… avec quelqu’un, et visiblement…
– Et en plus vous lui avez parlé d’amour heureux… Ma pauvre petite ?
– Comment je peux me rattraper ? On m’a dit de lui dire que je détestais l’amour, mais…
– C’est un bon début. Il faudra aussi que vous prouviez que vous êtes une vrai marin.
– Et qu’est-ce que je peux faire pour ça ? Chanter des chansons ?
– Quel type ?
– Des chansons paillardes ? J’en connais plein.
– Oui, très bien, bonne idée. Et puis… Je suis désolé de vous dire ça, mais… Avec votre… silhouette…
– Bah quand même ! Je sais que j’ai pris quelques kilos ces temps-ci, mais faut pas rigoler, quoi !
– Vous n’avez aucune blessure.
– Ah… Alors c’est pas vrai. Attendez, coupez la manche de ma chemise, s’il vous plaît.
– C’est un peu haut, pour moi…
– Attendez, je m’accroupis. Allez-y. Prenez le couteau de Jonas.
– Pile au moment où je commençais à être à l’aise… Regardez, celui-là j’y ai fait douze faces !
– Très bien Jonas ! On va tirer quelque chose de vous ! Alors attendez… »

Le cuisinier déchire la manche d’Amandine.

« Et voilà, dit celle-ci triomphante, qu’est-ce que vous dites de ça ? Un cœur avec écrit « A + A » en cicatrice sur mon épaule ! C’est quand même pas mal… Et d’ailleurs, vous remarquerez que c’est pas tout à fait fini, parce que j’ai arrêté avant la personne qui m’a fait ça.
– Mais voilà, très bien ! Une histoire d’amour malheureuse qui vous a laissé des traces… Ça devrait bien marcher. »

Jonas commence à jouer de la guitare dans un coin de la cuisine.

« Et en plus, c’est vrai que monsieur est musicien ! Très bien, vous allez pouvoir faire des chansons paillardes tous les deux !
– Je fais pas trop là-dedans, vous savez…
– Jonas, c’est pour la cause, dit Amandine. Va falloir te mettre au jus ; maintenant c’est les chansons paillardes.
– Au jus, mais ça va pas ! T’as vu ce que ça a fait la dernière fois ?
– Va falloir te mettre à la page, quoi, tu vois. Comme dit Cléanthe, il faut qu’on se fonde dans la masse.
– Ook, ook !
– Barnabé a raison ! Si j’avais voulu être payé à la page, je serais resté là-bas…
– Mais Barnabé, je ne parlais pas pour toi, évidemment ! Ce qu’il est susceptible, quand même… Quand je dis « à la page », je ne parle pas de la page de tes prophéties, je dis juste qu’il faut être à jour, tenir compte du contexte dans lequel on est. Donc Jonas, il va falloir se mettre à la chanson paillarde, désolée. Ou alors à la chanson de marin genre « j’ai une femme dans chaque port et je suis malheureux et j’ai des tatouages écrits à l’encre de mon coeur de l’océan de mes larmes », quoi !
– Ah, s’il faut parler d’être malheureux, ça je sais faire !
– Commence par là, et on arrivera bientôt à la chanson paillarde. Tu sais, on fait partie d’une grande famille maintenant. La marine, c’est une grande famille de frères qui se serrent les coudes…
– J’ai déjà une famille.
– Mademoiselle, renifle le cuisinier, je ne sais pas d’où vous sortez… mais vous étiez faite pour être marin. C’est tellement vrai, ce que vous dites…
– Je le ressens au plus profond de mon cœur.
– Une bredouille ! entend-on depuis le pont. Un duel de bredouille !
– Bon, Barnabé, il faut que tu descendes à la cale pendant le duel, j’ai besoin que tu me remplaces parce qu’il faut que je soutienne Cléanthe et que je représente les filles de la cale. Promis, y en aura pas pour longtemps et je viens te chercher après. »

Le gorille croise les bras et regarde Amandine d’un air circonspect.

« Ook.
– Allez, Barnabé, sois chic ! »

Barnabé soupire et ouvre à la volée la porte de la cuisine.
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Emöjk Martinssøn
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Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 5 : Le duel de bredouille


« Tu sais ce que ça veut dire, Amandine ? lui demande Jonas. Tu vas devoir accepter une prophétie, sinon il va t’en vouloir pendant des jours…
– Bon, lui dit le cuisinier, je te rappelle que ton vote représente la cuisine ! Donc vote bien, parce qu’après on est déclassés, et ça c’est mauvais pour nous…
– J’ai toujours été contre le vote.
– Oui, bah les marins, ils sont pour. Tout se règle par le vote, ici ! On n’est plus à Itras, ici ! Y a plus une araignée qui décide arbitrairement de nos faits et gestes !
– Ouais enfin, que les autres décident pour moi parce qu’ils ont dit qu’ils votaient, je suis pas d’accord non plus… Y a personne qui décide de ce que je fais !
– On soumettra ça au vote. En attendant, il faut que t’ailles voter pour nous. Tu votes pour le vainqueur de la deuxième manche ; statistiquement, c’est toujours lui qui remporte le match au final.
– Alors excusez-moi, se gausse Amandine, mais c’est un peu un gros raccourci. Il y a quand même un paquet de fois où quand la quinte de douze est remplie avant le coucher de soleil sur le troisième méridien… Dans ces cas-là, c’est le vainqueur de la première manche, incontestablement.
– Oui, d’accord… mais je crois que vous ne connaissez pas les règles de la bredouille sur bateau. Excusez-moi, mais il suffit que l’adversaire aie une déformation physique pour que tout cela soit considéré comme nul et non avenu.
– Sauf s’il a passé l’équateur avec un valet de trèfle !
– Je suis d’accord, mais si on joue à la variante du pendu, c’est l’inverse.
– Oui, alors vous pouvez pas jouer à la variante « bateau » et à la variante du pendu, normalement, c’est pas autorisé…
– La « variante » du bateau ? Mais c’est sur un bateau qu’a été inventée la bredouille, ma p’tite dame !
– Peut-être, mais les règles officielles sont maintenant les règles terrestres, et vous le savez très bien !
– Les règles officielles, pff… C’est parce qu’elles sont édictées par les gens de la ville ! Et vas-y que je sais lire…
– N’empêche qu’elles sont en miles terrestres, et non en miles marins. J’y peux rien.
– Oui, bin ici, on joue avec les règles du bateau, c’est comme ça. Donc Jonas, tu votes…
– On joue en miles marins, donc ?
– Non mais est-ce que le capitaine a une tête ? Non. Bah voilà. Donc on joue en miles marins. Donc Jonas…
– Y a un truc que j’ai pas bien pigé, dit Jonas. C’est quoi une manche ? Comment on sait qu’elle est terminée ?
– T’inquiète pas, tu le sauras, va. Allez, dépêche-toi, tu vas rater le coup d’envoi ! »

Sur le pont, une foule s’est amassée autour de Vania le pendu et Cléanthe. Le premier regarde le deuxième d’un air méchant ; le deuxième chantonne une petite chanson et fait des passes avec les cartes en les mélangeant rageusement. Jeremy, le capitaine, arrive sur ces entrefaits.

« Je vois que monsieur, à peine arrivé, sème la zizanie sur mon bateau…
– Vous parlez de cet individu avec une corde au cou ?
– Non, je parle de vous, monsieur Cléanthe Brumaire.
– Il doit y avoir malentendu… Vous m’avez nommé navigateur, et cet individu me dénie ce droit.
– Je vous ai dit que vous alliez aider à la navigation ; mais de toute évidence c’est un poste qui ne vous suffisait pas… Enfin, puisque vous avez invoqué la bredouille, on ne peut pas s’y soustraire… Bon, faisons au plus vite. Vous avez initié le duel, c’est donc à vous de commencer avec les imprécations d’usage.
– Oui, bien sûr, bien sûr… Euh… Bordel de sac à merde avec un noeud autour du cou.
– Ha ! Espèce de double visage, du plâtre sur la gueule !
– Espèce de… vergue qui claque au vent.
– Espèce de grande gigue urbaine ! »

La foule, y compris Amandine, murmure à ce mot. Jonas ponctue d’un accord rageur.

« Appât à méduse, rétorque Cléanthe.
– Mais un peu, oui ! Et j’en suis fier !
– Ça ne m’étonne pas ! Marin de terre ferme !
– ÇA SUFFIT ! Je vais t’écraser, je vais te plier, je vais te redistribuer, et tu vas tout perdre, Brumaire !
– Mais moi je vais te couper avant, et tu montreras le petit as tout riquiqui qu’il y a au fond de toi !
– Bien ! coupe Jeremy. C’est assez. Passons à la première manche. Vania, tu as le choix de la couleur…
– Dans ce cas, je dis « bleu ».
– Monsieur Brumaire ? Bleu, ça vous convient ?
– Bleu, ce sera très bien.
– Parfait. »

Jeremy s’avance vers Cléanthe avec deux jeux de cartes ; Cléanthe prend celui de la main gauche. Vania prend l’autre, le regarde, et fait un grand sourire carnassier à son adversaire.

« Bien, reprend le capitaine. Je vous rappelle que comme d’habitude, vous avez deux minutes pour préparer vos coups. Messieurs, préparez vos atouts ! »

Cléanthe déplie son jeu devant lui. Il ne contient que des as de toutes les couleurs (y compris l’as de tatouage, qui est bleu sur une épaule). Il retire tous les as bleus du jeu pendant que Vania avale ses cartes une par une, en les mâchant sans le quitter des yeux. Cléanthe fait disparaître une carte derrière son oreille pour le distraire, ce qui décontenance un peu Vania. Au même moment, la cloche sonne et le pendu se rue sur Cléanthe ; ce dernier lui jette ses cartes au visage, en rafale. Vania glisse sur une des cartes et s’étale les quatre fers en l’air, provoquant l’hilarité de tout le monde sur le pont.

« C’est son pied marin qui a glissé, commente Cléanthe d’un air amusé.
– Tu sais ce qu’il te dit, mon pied marin ? Mon pied marin, il te dit « brelan » ! »

Vania se relève et ponctue son mot de trois claques à Cléanthe.

« Monsieur joue comme un tailleur ! »

Cléanthe lui saisit la main, sort ses as bleus et lui en colle un au front du plat de la main.

« Ça, ça fait un.
– Ha, un as bleu ! Mais c’est exactement ce qu’il me fallait pour compléter ma suite ! »

Vania étale sur le pont une suite : as, deux, trois, quatre, cinq, six, sept bleus.

« C’est une suite, admet Cléanthe, mais sans figure, ça ne bat pas un heptet d’as bleus ! »

Cléanthe jette ses six as bleus restants sur la suite. Vania se retourne excédé vers la foule, qu’il prend à témoin : « Mais ? Il doit monter, là !
– Désolé, dit le capitaine, mais Vania a raison. Une suite, vous devez monter dans les cordages avant de pouvoir faire votre coup.
– Je vous prie de m’excuser. »

Cléanthe tente de monter dans les cordages ; mais il a beau être le plus heureux des hommes, Cléanthe a toujours des problèmes avec son corps.

[Je demande à Ozen de tirer une carte « Résolution ». Guylène lit : « Oui, mais seulement si… Vous pouvez avoir ce que vous voulez, mais seulement si vous êtes prêt à faire un sacrifice. Décrivez comment le personnage comprend qu’un sacrifice est nécessaire pour atteindre son but ».]


Cléanthe commence à monter dans les cordages ; malgré sa maladresse, il ne s’en sort pas trop mal, mais se rend soudain compte que son costume tout neuf s’est accroché aux hameçons d’un filet qui séchait là. S’il veut continuer à monter, il va finir avec un costume en lambeaux, mais s’il redescend, c’est considéré comme un forfait… Que va penser Amandine si elle le voit en hardes ? Au diable les costumes, Cléanthe persiste tout de même dans son escalade et finit en caleçon à pois rouges, chaussettes hautes avec élastiques et petit maillot de corps blanc, sur lequel il est écrit « visitez le zoo d’Itras ». Une grappe de rires l’accompagne ; le capitaine croise les bras et peine à réprimer un petit sourire.

« Hilarité du public… Vania remporte la première manche ! Monsieur Brumaire, vous pouvez redescendre.
– Une manche, une manche… grommelle Cléanthe. Une manche de pull-over, tout à moins !
– S’il vous plaît, gardez vos jeux de mots pour la suite. Bien, à l’issue de cette première défaite, monsieur Brumaire, voulez-vous déclarer forfait ?
– Non.
– Très bien, je vais donc demander au public de voter une première fois… Qui vote pour Vania le pendu ? »

Une majorité de mains se lèvent, y compris Amandine.

« Qui vote pour Brumaire le déculotté ?
– C’est le caleçon ou le maillot de corps qui me vaut cette punition ? demande Cléanthe à sa fiancée. »

Amandine lui répond d’un clin d’œil. Jonas, quant à lui, ne vote pas, puisqu’on ne lui a dit de voter qu’au deuxième tour.

« Bien, reprend Jeremy, une minute de pause avant la deuxième manche. »

Amandine file vers Cléanthe tandis que d’autres marins entourent Vania. Elle lui éponge le front d’une serviette.

« Te laisse pas abattre, d’accord ? J’ai voté contre toi parce qu’il faut faire croire que tu vas perdre, et ça fera encore plus la surprise à la deuxième manche ! C’est une stratégie, t’inquiète pas !
– Il est coriace, le pendu. Et puis ils sont tous de son côté… Heureusement que tu es là pour me soutenir. Et je suis désolé pour l’état de mes sous-vêtements. Je te promets de faire des efforts à l’avenir.
– Ce qui m’a impressionnée, c’est ton courage. »

Cléanthe se redresse d’un coup, et se retourne vers son adversaire tandis que Jonas joue une marche funèbre.

« Par contre, reprend Amandine, interdiction de parler d’amour heureux devant le capitaine ! Sinon, ça va mal finir… Et le navigateur, hésite pas à l’attaquer sur son physique, le fait qu’il est bleu, qu’il est noyé ! Et puis sur son métier, dire qu’il est mauvais avec les cartes, tu vois ?
– Oui, oui… Ce sont de très bons conseils…
– Va falloir être sale.
– Bien, coupe le capitaine, deuxième manche ! Messieurs, prenez place. »

Cléanthe ôte la serviette de son cou et fait quelques passes avec ses mains, comme un boxeur.

« Bien, deuxième manche… Traditionnellement la manche des rimes. Je vous rappelle que nous sommes dans une partie de bredouille, nous attendons donc des rimes en « ouille ». Je vous rappelle aussi que tout recours à une aide extérieure est strictement puni par la planche. Nous ne prenons pas ces choses à la légère. Monsieur Brumaire, vous êtes le perdant de la manche précédente, c’est donc à vous d’ouvrir.
– Vania, vous ne me laissez pas beaucoup de choix… Le pendu en haut du mât pendouille, par le trou de son pantalon, on voit ses couilles.
– Mais ! proteste Vania. Il a pas joué de carte !
– C’est vrai, dit Jeremy. »

Cléanthe lance négligemment les six as qu’il avait encore en main devant lui.

« Regardez, ils sont bleus comme votre bouille.
– De ta main tu te dépouilles ? On voit bien que tu joues comme une nouille… T’aurais pas un peu la trouille ? »

Vania abat un carré de huit.

« Monsieur est joueur, monsieur triche… Monsieur serait-il un peu arsouille ? Monsieur ne le sait pas encore, mais il a déjà perdu cette partie de bredouille. Quelle est cette étrange couleur sur ta face ? Quel est ce qui te barbouille ? De cette partie, mon ami, tu finiras bredouille.
– Ça fait deux fois bredouille… proteste quelqu’un dans la foule. »

Cléanthe joue une carte au hasard, prise du paquet que Vania lui avait confié lors de leur rencontre ultérieure. C’était un jeu de tarot : il sort le pendu, à l’envers. Vania bleuit plus encore à la vue de cette carte.

« Et… et… et moi je pense que je suis aussi bleu que tes couilles ! Tellement tu te répands que t’en files la chtouille et… »

Il tend un doigt tremblant vers Amandine.

« …et ta fiancée, euh… Quand elle te voit, jamais elle mouille ! »

Plusieurs marins se donnent des coups de coude grivois pendant que Vania abat deux valets en croix.

« Dis-donc, grenouille ? Tu veux qu’on s’embrouille ? Espèce de fripouille, tu vas voir c’que j’vais mettre dans ta margoulette ! »

Cléanthe sort un cavalier.

« Qu’est-ce qu’il y a, la tambouille ne passe pas ?
– Margoulette, ça rime pas… proteste quelqu’un dans la foule.
– C’est vrai. Mais c’est un cavalier.
– Avec un cavalier, c’est accepté, opine Jeremy. C’est une rime cavalière.
– Eh bien, reprend Vania, tu ne me fais pas peur, Brumaire ! Non, qu’il tombe de la rouille, qu’il pleuve, qu’il mouille, qu’il vente, qu’il souffle…
– Tu as la trouille ? Pars donc en vadrouille, Vania, avant que je te ratatouille !
– Je… je… Je pense que tu triches ! Permets que je te fouille !
– Non, je ne permets pas ! Je ne voudrais pas que tu me chatouilles !
– Eh bien, dit le capitaine, malgré la puissance de vos rimes, Brumaire, vous allez devoir répondre aux accusations. Videz vos poches.
– Oui, Brumaire, montre ce que tu magouilles, vieille fripouille !
– Ne t’acharne pas sur moi, tu finiras bredouille.
– Ça fait trois fois « bredouille » ! Trois fois !
– Ah, dit le capitaine, trois fois « bredouille, c’est la fin de la manche. Bien, c’est un peu irrégulier, mais intéressant. Procédons au vote. Qui vote pour monsieur Brumaire ? »

Amandine lève haut sa main, ainsi que Jonas. La majorité du public les suit ; Vania rougit un peu (c’est difficile à dire).

« On dirait bien que Vania part en quenouille… commente Jonas.
– Bien. Qui vote pour Vania ? »

Une ou deux mains se lèvent ; Vania lance un regard méchant à la foule, ce qui fait relever quelques mains de plus, mais pas assez pour gagner.

« Hmm… Égalité. Je vois que nous avons à faire à des joueurs de qualité. Bien, en cas d’égalité, vous savez ce qu’il se passe. Le premier à faire pleuvoir des grenouilles est déclaré vainqueur du match. »

Jeremy frappe dans ses mains ; Vania commence immédiatement à monter au mât à toute vitesse.

Scène 6 : Tomber comme des grenouilles en mer


[Ozen demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « Babel. Pour le reste de la scène, tout dialogue est prononcé dans un dialogue imaginaire que les personnages comprennent, mais pas les joueurs ».]


Une fois en haut du mât, Vania exulte : « Wahaha, gekso waha pusba !
– Baskari midavoshnik ! dit Amandine à Cléanthe d’un air stupéfait.
– Skariwum, maramitlo… répond Cléanthe.
– Bushla, bushla, ajoute Jonas.
– Ook, ook ! »

Cléanthe lève les mains au ciel pour appeler les grenouilles : « Oubouglougloubouglouglou !
– Baszda, waha, kumulala ! » hurle Vania.

Il commence à faire le tour de la vigie de plus en plus rapidement ; de la fumée s’élève autour de lui, et descend vers le pont.

« Glagla, glabou, glaglaglabou ! » s’écrie Cléanthe.

Amandine apporte les accessoires nécessaires à Cléanthe : un balai-brosse, un seau d’eau de mer… Jeremy l’arrête en plein geste : « Hhhaaa zzaaa hhhhhhu, zaglalalala !
– Milaslavitch maradoufsiouch, proteste Amandine.
– Hhhha zlmlmlml, mrmrmrhhhh.
– Ha ! Naragacias !
– Zzzzmmlll…. Zamalin, zama !
– Klatuva », dit Cléanthe en ouvrant les mains.

Amandine s’avance pour serrer la main du capitaine, mais Jonas s’interpose d’un air sévère : « Igazak mator télévok.
– Ah, mator télévok naza… dit Amandine. Marakévich.
– Zona kératol.
– Kératol… grommelle le capitaine. Zakamodof.
– Kératol nikanassader ! rétorque Jonas.
– Kératol nichdeboune. »

Amandine regarde Jonas d’un air choqué.

« Kératol… commence Jonas. Ivobésséla… Saronadav !
– Sendréma, sendréma », dit Amandine.

Jeremy leur fait comprendre d’un signe que cela se règlera plus tard, et se tourne vers Cléanthe, qui a toujours les mains tendues vers le ciel et hurle : « Klatomir ! Klatomir ! ». La fumée se répand autour d’eux, comme de la brume. Des éclairs se mettent à zébrer le ciel.

[Guylène demande à Ozen de tirer une carte « Résolution » pour savoir s’il parvient à faire pleuvoir des grenouilles en premier. OldGnou lit : « Oui, et… Vous réussissez et parvenez à faire plus que prévu. Peut-être même un peu trop ? ».]


Les grenouilles commencent à tomber ; d’abord quelques petites rainettes délicates qui tombent sur le pont avant de s’élancer un peu partout, puis la taille des grenouilles augmente alors que l’averse devient de plus en plus écrasante, jusqu’au moment où un crapaud de 4 ou 5 kilos tombe sur la vigie, dont le plancher a été sévèrement usé par les circonrotations effrénées de Vania. La vigie se brise net ; Vania tombe et sa corde de pendu se prend à l’artimon. À nouveau pendu, il s’agite alors que les grenouilles continuent à tomber.

Le capitaine s’agite : « Pataputu ! Zabatatutu ! Pabatapu !! ». Les marins se précipitent d’un côté du bateau et font descendre une barque dans l’eau ; Jeremy fait signe à Jonas, Amandine et Cléanthe de les aider. Amandine aide à hisser les cordages, sans y mettre beaucoup d’effort, tandis que Cléanthe s’adresse au capitaine : « Aru, ta ?
– Zabatapu !! Tégueudeu, sé… Zaponef !
– Ah, zemak zemak, remarque Jonas.
– Zabalof… »

Une grenouille tombe dans le col du capitaine, qu’il recrache aussitôt.

« Ah, zabulutufufu ! Zabulu dezebedebu. »

Cléanthe se tape sur la poitrine et n’en démord pas.

« Arouné !
– Zabbabbaaaah ! »

Jeremy court vers une porte en leur faisant signe de les suivre.

« Palafné, acquiesce Amandine.
– Ich ich lévak, opine Jonas.
– Térégu.
– Nobésialasionéva.
– Lévadrafich.
– Olasabiélarus, nonahé ! »
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Emöjk Martinssøn
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Scène 7 : Mutinerie et réclamations


Le capitaine fait les cents pas dans sa cabine.

« Un pendu sur un bateau, ça porte malchance, ça…
– Vous voyez bien que c’est le sort qui a frappé, capitaine ! lui dit Amandine.
– Si ces grenouilles continuent de tomber, c’est surtout le bateau qui va couler !
– C’est vous qui avez demandé… remarque Cléanthe. Il m’avait un peu cherché, aussi.
– Je n’ai rien demandé : ce sont les règles. Je ne peux rien contre.
– En tout cas, vous n’avez toujours pas tranché sur le vainqueur.
– On en parlera si on arrive à le récupérer sur pied.
– Si on décroche ce pendu, ça devrait s’arrêter, non ?
– J’espère… En attendant, qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Vous aviez besoin de le provoquer dès votre arrivée sur le bateau ?
– Mais non ! C’est lui ! Je lui ai juste dit qu’il était relevé de ses fonctions…
– Mais ça ne va pas ou quoi ?! Vania est un excellent navigateur ! Sans lui, nous serions perdus depuis longtemps !
– Vous m’aviez dit de m’occuper des cartes… Je crois qu’il y a eu un malentendu, ou bien vos ordres ne sont pas très clairs, capitaine !
– Mes ordres sont très clairs, mon bon monsieur. C’est vous qui n’êtes pas très clair.
– En tout cas, vous ne pouvez plus rien dire quant à ma probité de marin.
– Quelles sont vos véritables intentions en venant sur ce bateau, Brumaire ? Vous me cachez quelque chose, je le sens.
– Moi ? Mais c’est vivre une histoire d’amour magnifique avec cette demoiselle formidable !
– Ah ah ah ! rit faussement Amandine. Il a toujours le mot pour rire ! »

Elle se tourne de façon à ce que le capitaine puisse distinguer sa cicatrice sur l’épaule. Les lambeaux de costume de Cléanthe redeviennent noirs l’espace d’un instant.

« Mon cher Cléanthe, ajoute Amandine, l’amour heureux, ça n’existe pas, et tu devrais le savoir ! Si nous sommes sur ce bateau, c’est pour souffrir. De toute façon, il n’y a que de la souffrance, ici, et nous sommes là pour apprendre ce qu’est la vie, la vraie.
– Je préfère ça, dit le capitaine.
– Mais, euh… Quid de la croisière et des mouettes qui piaillent autour de nous, et de notre amour naissant… »

La fleur de Cléanthe commence à se recroqueviller à sa boutonnière. Amandine lui marche sur le pied.

« Ah oui ! Malheur, horreur ! Terrible, terrible ! Je me suis mis avec cette demoiselle pour vivre une histoire d’amour malheureuse, c’est tragique, elle m’a fendu le cœur déjà au moins trois fois en moins de vingt-quatre heures…
– Nous sommes donc d’accord que vous ne vous aimez pas ?
– Non ; tout au plus puis-je témoigner d’une certaine sympathie pour les bananes dont cette personne est la mère.
– Des bananes ?!! Vous êtes la mère de bananes ?
– Euh… non, non, je… J’en ai eu la garde pendant un temps…
– Je vous préviens : j’apprends qu’il y a des bananes sur mon bateau, et vous débarquez immédiatement. Personne n’introduit de banane sur mon bateau sans mon autorisation expresse.
– Mais bien entendu, capitaine ! Cela va de soi !
– Dites-moi, capitaine… intervient Jonas. Est-ce que je pourrais introduire des bananes sur votre bateau ?
– Pour quoi faire ?
– Pour la cuisine.
– Ah, dans ce cas, évidemment ! Ça fait longtemps qu’on n’a pas mangé de bananes au chocolat. »

Amandine sent des vibrations dans sa poche.

« Nous ne nous comprenons pas, capitaine ; ce n’est pas pour les manger, c’est pour qu’elles aident à la cuisine.
– Mais on n’a pas besoin d’aide… Tristan se débrouille très bien…
– Vous aimez la sauce au chocolat ? Eh bien, il n’y a pas meilleure sauce au chocolat que celle préparée par des bananes.
– Bon, de toute façon, tout cela est hypothétique. Nous n’avons pas de bananes… Peut-être en achèterons-nous au prochain arrêt, mais…
– Je ne suis pas sûr de cautionner le trafic d’esclaves, capitaine…
– À ce sujet, dit Amandine, j’aurais aimé parler de mon affectation… Vous voyez, je me sens pas trop à ma place dans la cale ; j’ai l’impression que les personnes qui y sont ne sont pas très marins dans l’âme, et ça me pose un problème… Moi, j’ai le corps marqué de coutures, je peux pas chanter des chansons avec les personnes là-bas, je vais heurter leur sensibilité…
– Mouais. Où est-ce que vous vous verriez, alors ?
– Tout dépend de vos besoins… J’ai cru comprendre qu’il y avait un poste qui s’était libéré à la navigation ?
– Oui, effectivement, je pense que monsieur Brumaire n’est pas très apte à ce poste.
– Je vous demande pardon ?
– Non, en fait, je voulais dire que vous avez besoin de deux personnes à la navigation, et Vania, d’après les cris d’horreur qu’on entend actuellement à l’extérieur… va devoir être remplacé très bientôt…
– Oh, il en a vu d’autres, ne vous inquiétez pas. C’est pas une pendaison de plus qui lui fera peur.
– Bon, peut-être puis-je aider aux cordages, alors ?
– Très bien. Une femme aux cordages, ça motivera les troupes.
– Capitaine, reprend Cléanthe, il me semble que quant aux cartes, j’ai montré mes prédispositions…
– Ah oui ? Eh bien dans ce cas, en attendant que Vania récupère, vous allez nous mener à notre prochaine destination. Nous avons un arrêt à faire au camp Soissage. Je compte sur vous pour nous y mener sans encombre.
– C’est comme si c’était fait.
– Tant qu’on y est, dit Jeremy à Jonas, vous n’avez pas des récriminations ?
– Moi ? J’en ai marre de ce bateau. J’en ai marre de ces règles. J’en ai marre de ce capitaine sans tête qui dicte sa loi ! J’en ai marre !
– Donc vous déclarez une mutinerie, en quelque sorte ?
– Ouais, c’est ça ! Au moins jusqu’au dîner.
– Très bien, j’ai le poste parfait pour vous. »

Jeremy fait résonner une petite clochette ; une femme avec un crochet à la place de chaque main et la bouche cousue fait son entrée.

« Henriette, mets-moi ce monsieur aux fers, il vient de se mutiner. On le débarquera à la taule.
– Capitaine, intervient Cléanthe, vous êtes un rustre et traitez bien mal cet homme qui essaye légitimement de se mutiner. »

Il gifle Jeremy ; sa main passe au-dessus du col du capitaine sans rien heurter.

« Qu’est-ce à dire ? Vous aussi, vous voulez goûter aux fers ?
– Non : je demande une danse des changements de poste.
– Je vois que monsieur apprend vite… Très bien. Contre qui voulez-vous échanger votre poste ?
– Contre vous.
– Ah ah ah ! Contre moi ? Très bien. Ça m’amuse. Comme le veut la coutume, je choisis la danse : une gigue. Sur la planche.
– Dans ce cas, je choisis la musique : un fox-trot.
– Un fox-trot gigué sur la planche ? Je vois que monsieur pense que sa victoire à la bredouille lui permet tout ! Nous n’avons malheureusement pas de quoi jouer le fox-trot.
– Je vous demande bien pardon ? dit Jonas.
– Vous avez quelqu’un que vous avez mis aux fers qui pourra faire ça très bien.
– Et je pourrais l’accompagner aux percussions, ajoute Amandine.
– Attendez, vous parlez du vieux François ?
– Non, de Jonas StJones.
– Monsieur est musicien ?
– Absolument.
– Et vous ne me l’avez pas dit avant ? Vous m’avez laissé vous mettre en cuisine ?
– Votre ton autoritaire et votre assurance, ma foi fort séduisante, ne m’a pas laissé en placer…
– Vous avez un instrument ? le coupe Jeremy.
– J’ai ma guitare, et un banjo.
– Très bien, retrouvons-nous sur le pont, dans ce cas. Le temps d’enfiler mes habits de danse, et j’arrive.
– Avez-vous un piano à bord ? Barnabé pourra en jouer.
– Je vais le chercher », dit Amandine.

Scène 8 : La danse des changements de poste


Dans la cale, Sylviane est hors d’elle.

« Mais enfin, aidez-le ! Vous voyez bien qu’il ne tient pas sur ce vélo !
– Excusez-moi, mesdames… intervient Amandine. Je pense que c’est votre jour de chance : il y a une danse des changements de poste sur le pont entre les deux capitaines. Si vous voulez semer la pagaille pour ne plus être au ramage, c’est maintenant ou jamais.
– Une danse des changements de poste ? dit Sylviane. Je veux voir ça ! Décidément, depuis que vous êtes arrivée, ça n’arrête pas !
– Nous sommes un peu comme ça, vous savez… Allez viens Barnabé, on a besoin de toi pour jouer au piano !
– Ooooooook ! »

Cléanthe fait moins le malin : il n’avait pas prévu deux duels dans la journée, et le capitaine a l’air d’un plus fameux adversaire que Vania.

« Jonas, on va y arriver, vous pensez ?
– Bien sûr. Vous connaissez la musique, vous avez déjà vu les pas ; il suffit de vous souvenir de cette soirée… Souvenez-vous, à la part du Diable !
– Oui, je ne danse pas trop mal, mais bon… Tous ces gens à défier… Tous ces changements sociaux… Toute cette animation… Je n’en ai pas vraiment l’habitude…
– Avouez-le, que ça vous plaît.
– Bon, oui. Si vous aviez vu l’air malheureux d’Amandine quand elle a dû désavouer ses bananes devant cet individu horrible… Et vous, on ne vous traite pas comme ça : vous êtes un musicien de premier ordre, mon cher Jonas, et vous avez tout à fait le droit de vous mutiner. C’est dans votre sang d’artiste d’être rebelle.
– Absolument. La mutinerie est l’essence de l’art.
– Eh bien, si je suis capitaine, je vous laisserai vous mutiner dans la foulée.
– Vous me faites plaisir. Gigue sur fox-trot, donc !
– Je me suis dit que ce rustre ne devait pas souvent avoir le temps de débarquer pour écouter les musiques actuelles…
– Absolument. Et il se trouve que nous avons travaillé sur un morceau avec Barnabé avant de partir. Je pense qu’on pourra adapter le tempo.
– Oook !
– Le voilà, souffle Amandine. Votre partenaire musical.
– Ma chère Amandine, lui demande Cléanthe, auriez-vous par hasard quelques talents de couturière ? Croyez-vous que votre âme artistique pourrait me tailler, dans ce magnifique rideau, un costume rapide et seyant pour le fox-trot ?
– Il me faudrait un endroit calme et à l’abri de tous les regards… J’aurais besoin d’une aide de la part des… des petites…
– Eh bien, nous garderons la porte de cette cabine.
– Mama, mama ! piaillent les bananes à peine sorties.
– Chht, mes petites ! Il faut pas faire de bruit. Vous allez aider maman à faire un costume pour Cléanthe, d’accord ?
– Oui, un costume pour papa !
– Mais il faut pas qu’on vous voie, d’accord !
– Oui ! Papa capitaine !
– Oui, on veut que papa devienne capitaine, parce que le capitaine, il vous aime pas ! Alors il faut qu’on aide papa !
– Mama, tu veux qu’on tue le capitaine ?
– Pas tout de suite. On verra après. Par contre, s’il y a un problème, je veux que vous sauviez papa !
– Mama, mama ! Y a un petit frère qui a disparu ! »

Amandine recompte ses bananes ; en effet, il en manque une.

« Il a dû aller se promener, il doit pas être bien loin, vous inquiétez pas… » essaye de les rassurer Amandine.

[Je demande à Guylène de tirer une carte « Résolution » pour savoir si elle parvient à créer le costume sans se faire prendre. Je lis : « Oui, sauf si… Vous réussissez, sauf si un autre personnage-joueur sacrifie quelque chose pour vous en empêcher ». Personne ne se manifeste.]


Les bananes voltigent autour d’Amandine et s’empressent de l’aider, pendant que Jonas passe en revue avec Cléanthe les différents mouvements du « Fox-trot des âmes perdues ». Cléanthe a rencontré sa femme (celle qu’il a rangée dans un placard) à des cours de danse, il n’a donc aucun mal à mémoriser les pas. Après la répétition, il enfile son nouveau costume et sort sur le pont.
Des grenouilles mortes jonchent le plancher ; les marins les jettent à la mer, parfois en croquant dedans à belles dents. Tristan, le cuisinier, traîne derrière lui un panier qu’il remplit du plus de batraciens qu’il peut pour le dîner à venir. Les marins s’écartent en voyant arriver Cléanthe : face à lui, le capitaine, en collants brillants jusqu’à mi-cuisse, veste aux boutons étincelants et porte-lantenne sphérique à facettes à la place de la tête, se tient d’un air défiant.

« Je suis presque prêt », dit Cléanthe. Il ajuste à sa veste un bouquet de violettes, pendant que les marins installent deux planches sur le côté du bateau. Vania observe la scène d’un air hagard en se tenant la gorge. Le capitaine monte d’un pas assuré sur l’une des deux planches, suivi par Cléanthe, moins assuré. Henriette, à l’aide de ses crochets, tire un piano sur le pont ; Barnabé s’y assied, regarde le clavier d’un air dédaigneux et jette un coup d’œil à Jonas, à qui on tend un banjo.

« Messieurs, dit le capitaine, quand vous voulez, giguez. Ou plutôt, foxez. Et que le meilleur danse.
– One, two, one, two, three, four ! » entonne Jonas avant de se mettre à jouer.
La chanson est sans paroles mais évoque un petit homme à l’air triste aux habits trop grands. Jeremy se met immédiatement à danser avec maestria ; il avance, recule, saute et se rattrape sans difficulté, et sans quitter Cléanthe des yeux. Cléanthe, lui, a du mal sur la planche étroite, et fait du surplace. Jonas casse soudain le rythme à un endroit qu’il avait au préalable signalé à Cléanthe ; Jeremy est désarçonné mais se rattrape vite.

Amandine, qui observe la scène, comprend que Cléanthe ne va pas pouvoir gagner à la régulière ; il a trop peur du vide. Elle se retire dans un coin du pont et fait sortir une demi-douzaine de bananes, qui piaillent aussitôt.

« Mamaaaa !
– Il faut que personne ne vous voie, mes chéries. Passez le long de la coque et allez grignoter la planche du capitaine.
– Oui, on va grignoter le capitaine !
– Non, non ! La planche du capitaine !
– Ooh… Mais on a faim, maman !
– Non, je vous donnerai à manger après ! Allez-y et revenez illico ! »
Les bananes s’éloignent en scintillant.

[Je demande à Guylène de tirer une carte « Résolution ». Ozen lit : « Oui, mais… Vous réussissez, mais au prix de quelque chose ou quelqu’un qui vous rattrapera bientôt, une ou deux scène plus tard ». Épiphanie décide de faire payer le prix à Guylène immédiatement.]


Les bananes commencent à grignoter la planche ; Cléanthe, se disant que ce qu’il a fait jusque là ne suffit pas, entame une gigue endiablée et saute sur la planche du capitaine pour lui montrer sa bravoure, au moment pile où la planche en question cède. Tous deux tombent à l’eau et disparaissent dans les flots.
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Emöjk Martinssøn
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Scène 9 : Anarchie en marinie


Les marins se regardent entre eux ; Jonas accélère le tempo et donne un air inquiétant à sa musique ; Amandine regarde la planche rongée.

« PLUS DE CAPITAINE ! hurlent les marins. ON FAIT CE QU’ON VEUT ! »

C’est l’anarchie totale : certains marins font la roue, nus, tandis que d’autres vont piller les réserves d’alcool de la salle des cartes. Plusieurs d’entre eux encouragent Jonas et le gorille prophétique à jouer quelque chose de gai.

« Je sais pas faire, s’excuse Jonas.
– Bon… Joue-nous quelque chose de pas trop triste, alors !
– Ça marche. »

Jonas joue la musique la plus triste qu’il connaît, puisqu’il peut faire ce qu’il veut.
Amandine se rue vers l’eau avec un bout à la main, et le lance à la mer.

Dans l’eau, Cléanthe, qui ne sait pas nager, coule à pic. Il entend une voix mélodieuse à ses oreilles : « On n’en voit pas beaucoup des comme ça par ici… ». Une sirène lui fait face et le regarde d’un air gourmand. Cléanthe lui sourit et rajuste sa boutonnière ; la sirène le prend dans ses bras et se met à lui caresser le visage.

« Repose-toi, tout va bien maintenant… Je vais t’amener à bon port.
– Chère madameblblblb, je dois vous détromperlblblbl… Mon corps appartient à une autre charmante personneblblblb, qui n’est pas là présentement, maisblblblb…
– Ce n’est donc pas un problème !
– Eh bien silblblb, vous voyezblblb, parce quellblblblb…
– Écoute, mon beau, tu manques d’air. Je te sauve et nous vivons un amour bref mais passionné, ou tu meurs noyé. »

Cléanthe lui désigne la surface, littéralement à bout de souffle. La sirène hausse les épaules : « J’ai jamais de chance avec ceux qui se noient… ». Elle commence à s’éloigner, et Cléanthe sent le bout s’agripper autour de ses vêtements. Il s’y agrippe tandis qu’Amandine le ramène sur le pont.

« Ça va, tu respires ?
– Oui, j’ai… J’ai résisté à la tentation. Je ne m’attendais pas à ce que les habitantes de la mer soient si seyantes, mais je lui ai bien fait comprendre que j’étais déjà pris !
– Ah, mon Cléanthe ! »

Amandine se jette dans ses bras.

La frénésie des marins finit par se calmer ; ils s’éloignent chacun de leur côté, certains hilares, d’autres (ceux qui écoutaient Jonas jouer) en larmes. Aucun ne se jette par dessus bord, cependant, et Jonas se dit qu’il a trouvé son public.

« Il faudrait peut-être renommer le bateau… suggère Amandine. “Le bateau sans capitaine”, quelque chose comme ça… »

Henriette se plante devant Cléanthe, dégoulinant sur le pont, et croise les bras : « Hmm hmm ? Hmmmm ? » demande-t-elle. Amandine sort un de ses ciseaux de couture, mais Henriette recule d’un air terrifié.

« Mais ça va pas ! crie un marin torse nu non loin, un aquarium fiché dans la poitrine. Qu’est-ce que vous voulez faire à Henriette ?!
– On a l’impression qu’elle veut nous dire quelque chose, mais on ne la comprend pas très bien…
– Comment ça ? C’est clair, pourtant ! Monsieur est maintenant capitaine, et il doit nous dire où nous diriger !
– Eh bien… commence Cléanthe. Déjà, il faut que nous réorganisions un peu cette nef pour pouvoir être en état de continuer notre route, non ? Rétablir Vania à son poste de navigateur, nommer Amandine Beaulieu ici présente seconde de ce bateau, et Jonas StJones musicien officiel du bord.
– Je pense que personne ne s’élèvera contre ces décisions…
– Bien. Dans ce cas-là, faisons voile tout de suite vers la terre de l’amour heureux.
– Je connais pas ça, moi…
– Il paraît que c’est une terre très loin à l’ouest, au-delà des mers. Nous irons découvrir ce territoire que personne n’a visité, à part quelque voyageur en guenille qui a pu revenir à Itras en parler…
– Bon, eh bien c’est vous le capitaine… »

Frank le marin va échanger quelques mots avec Vania, qui regarde Cléanthe d’un air très surpris. Il hausse les épaules à l’annonce de leur destination, et rentre dans la salle des cartes.

« Mon cher Cléanthe… lui murmure Amandine. Il faudrait peut-être dire un mot à l’équipage au sujet des bananes…
– Oui, tu as raison. Tristan, c’est ça ? Rassemble l’équipage sur le pont. »
Tristan se met au centre du pont et se met à vagir, joint par Gérald, jusqu’à ce que l’équipage se rassemble. On amène à Cléanthe un tabouret ; il monte dessus.

« Nouvelles règles de ce navire : désormais…
– À bas les règles ! proteste quelqu’un dans la foule.
– Les règles, ce n’est pas fait que pour taper sur les doigts, mon garçon.
– J’ai rien fait ! pleurniche Amandine.
– Bien. Nouvelles règles de ce navire : Vania est rétabli navigateur…
– Ouais, vive Vania !
– Jonas StJones est désormais musicien du bord.
– Ouais, vive StJones !
– Et Amandine Beaulieu, ici présente, sera mon second.
– Quelles compétences elle a ?
– Toutes les compétences requises.
– La compétence de te coller un gnon si t’es pas content, mon gros ! menace Amandine.
– Ah ouais ? OK.
– D’autre part, continue Cléanthe, à partir de maintenant, les bananes seront tolérées à bord ; les pendus pourront se pendre au mât tant qu’ils le voudront ; et une fois ces règles actées et bien comprises, je cède le commandement du bateau à Jonas StJones, qui m’a demandé une mutinerie.
– Euh… Oui, Jonas capitaine ! Vive Jonas !
– Ah non ! proteste ce dernier. Je veux pas être capitaine ! Je me mutine contre l’ordre établi !
– La mutinerie, précise Cléanthe, c’est trois jours, hein.
– À bas le capitaine ! Vive Jonas !
– Mais je demande à personne de me suivre !
– MUTINERIE ! »

Quelqu’un brise une lanterne sur le pont ; un feu commence à prendre.

« Sortez les saucisses !
– J’ai peut-être montré trop d’enthousiasme, Amandine…
– Je pense que c’était un peu excessif, en effet.
– J’avais envie de leur plaire… »

Les marins se tapent dessus de bon cœur ; plusieurs courent vers Cléanthe avec des couteaux. Il prend Amandine par le bras et court vers la cabine du capitaine. Jonas, lui, reste profiter du chaos ambiant. Il se met à jouer de sa guitare avec les dents.

« Cléanthe, tu crois qu’il faut que je lâche les bananes ? demande Amandine une fois à l’abri.
– Ah ah ah! C’est tellement bien ! On fait n’importe quoi, on court dans tous les sens… On se perd, on se retrouve… C’est formidable !
– Je suis un peu inquiète pour les bananes, moi… J’aimerais bien que ça se calme…
– Oh, il n’y aura pas de problème avec elles…
– La vie en mer n’était pas telle que je l’attendais…
– Moi non plus, mais… Tu préfèrerais quelque chose de plus calme, peut-être ?
– Je sais pas…
– Tu voudrais retourner à Itras ? C’est comme une parenthèse, c’est sympa les deux premiers jours, mais peut-être que sur la longueur, ça va être problématique… Je le comprendrais.
– En même temps, j’aurais bien aimé trouver la terre de l’amour heureux.
– Moi aussi, tu sais… On peut peut-être les laisser s’amuser un peu, et dans une heure ou deux, on reprend le cap ?
– Faisons ça. Mais si ça dégénère trop, je leur lâche les bananes dessus.
– Je n’y vois pas d’inconvénient. »

[OldGnou demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « Avarice. L’avarice empêche l’un des personnages présents (PJ ou PNJ) de se comporter rationnellement. Que désire-t-il ? De quoi refuse-t-il de se séparer ? ».]


Un groupe de marins se dirige vers Jonas StJones.

« Eh, Jonas ! Viens nous aider à tout péter !
– Non ! Jamais ! Ma liberté d’abord ! Je marcherai pas avec le groupe !
– T’es pour le nouveau capitaine, c’est ça ?
– Non !
– Eh, les gars, Jonas est pour le capitaine ! Foutons-le par-dessus bord ! »
Les marins essayent d’enserrer Jonas dans un coin du bateau ; il les tabasse à coups de guitare jusqu’à ce qu’elle se brise. Barnabé en lance quelques-uns par-dessus bord, et la situation dégénère franchement au moment où, de l’autre bout du pont, des marins commencent à sortir des canons.

Amandine, dans la cabine, entend les cris du gorille qui la tirent du moment de tendresse auquel elle s’adonnait avec Cléanthe.

« On a oublié Barnabé ! On peut pas le laisser être blessé ! Et puis il me doit une prophétie !
– Faisons une sortie et mettons-le à l’abri. Il est l’heure pour les bananes d’agir.
– Ouiiiiii ! On a faim ! On va tuer tout le monde ! À mort !
– Les enfants, vous devez protéger Barnabé le gorille et Jonas StJones ! Ce sont des amis à maman et papa ! Les autres, faites ce que vous voulez. Ah, laissez Tristan aussi, il est sympa.
– Mais Jonas il sent pas bon !
– Oui, mais il fait de la jolie musique.
– Oui c’est vrai… »

Les bananes sortent de la cabine et se dirigent aussitôt vers l’un des marins ; elles lui tournent autour, le font s’élever dans les airs, et lorsqu’il retombe, il n’est plus qu’un tas d’ecchymoses. Elles font de même avec les autres qui s’opposent à elle, tandis que d’autres marins prennent peur et se jettent par-dessus bord, ou se barricadent. Les marins qui s’occupaient du canon, eux, tournent leur arme vers les bananes au lieu de Jonas (et donc vers la cabine où sont réfugiés Cléanthe et Amandine). Cléanthe court vers le canon en criant, alors que Jonas les invective : « Bande de connards ! C’est moi sur qui vous tirez ! ».

Les marins refont pivoter le canon vers Jonas. L’un d’eux allume la mèche.

« Je me laisserai pas avoir par vos méthodes fascistes ! Les boulets avec moi ! »

Le canon tire ; avec le recul, il passe par-dessus bord. Un boulet fonce sur Jonas qui ne bouge pas et le regarde avec défiance. Le boulet s’arrête juste devant Jonas, ainsi que le temps. Le boulet tourne lentement autour de Jonas, comme pour le jauger ; il descend doucement et va se placer entre ses jambes. Il commence à s’élever lentement, puis plus vite, puis le temps reprend et Jonas est emporté dans les airs à toute vitesse.

« Ouais, frère boulet ! Volons vers notre libertéééééé…
– Jonas, reviens ! crie Amandine.
– Mama, mama ! Jonas il a fait l’oiseau ! »

Sur le bateau, le pugilat a cessé ; il reste une demi-douzaine de marins sur le pont, qui regardent les bananes en tremblant. Amandine va sonner la cloche : « Temps de mutinerie terminé !
– Oh, déjà ? râle un marin.
– Barnabé, ça va ?
– Ook… »

Le gorille tend son doigt vers le ciel d’un air triste.

« Il va revenir, t’inquiète pas… Je crois… Écoute, on va se changer les idées. Tu m’avais dit que t’irais prendre ma place à la cale si tu pouvais me donner une prophétie… Tu peux me la faire maintenant, si tu veux. »

Barnabé va chercher sa machine à écrire et la tire, penaud, vers Amandine. Il s’installe en faisant craquer les lattes du pont et lui demande son assentiment, puis tapote, un doigt à la fois, sur la machine, avant de lui tendre une carte sur laquelle il y a marqué : « Coupé en deux, coupé en quatre, coupé en six, je n’ai plus de chiffre huit ».

« C’est très joli, Barnabé ! »

Le gorille tend ses deux mains, doigts écartés, et les tend vers le ciel.

« Bah oui, c’est toi qui es coupé en deux… Le chiffre huit, c’est l’infini, et Jonas c’était ton infini à toi… Je comprends… Écoute, Barnabé, l’important c’est d’aller de l’avant. Je pense que tu peux faire carrière sur ce navire ; mais tu peux rentrer à Itras si tu veux. On fait cap sur la terre de l’amour heureux, qui sait ? Si tu viens avec nous, tu vas peut-être rencontrer une gorille superbe là-bas ! Ou un gorille, je sais pas ce que tu préfères !
– Encore plus belle que StJones, ajoute Cléanthe.
– Ook. »

Barnabé tapote une montre imaginaire à son poignet.

« Réfléchis un peu, prends ton temps, rien ne presse. Moi, je crois que je vais dessiner un peu. »

Amandine va chercher son carnet de croquis tandis que Cléanthe joue à se poursuivre avec les bananes.

« Papa ! Papa ! On va te manger !
– Oh non, au secours, ah ah ah ! »
J'écris des mini-JdR par dizaines !
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