[CR] Des nouvelles d'Itras By

Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
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Emöjk Martinssøn
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Message par Emöjk Martinssøn »

Ça fait quelques temps que j'ai commencé une campagne d'Itras By à table tournante : 9 joueuses et joueurs, dont 4 sont présent.e.s à chaque partie. Nous avons joué à ce jour 4 épisodes, et on ne va sûrement pas s'arrêter là...
Ozen en a déjà causé dans la section idoine du forum, puisque je squatte son blog avec mes comptes-rendus. Avec son autorisation, je les posterai ici en décalé (comme ça, si vous êtes trop en attente de la suite, vous pouvez aller voir chez lui, il y aura toujours un épisode d'avance).


Itras By , si vous ne connaissez pas, est un jeu norvégien qui permet de vivre des aventures surréalistes dans une ville (qui porte elle-même le nom d’Itras By), qui ressemble aux grandes métropoles occidentales des années 1920-1930. On baigne entre une sorte de fantasy urbaine mâtinée de cité des enfants perdus. Les personnages y sont nécessairement étranges et les aventures farfelues. Le système s’appuie sur des tirages de cartes: cartes de résolution, qui peuvent relancer l’aventure par le biais de péripéties, et cartes « Chance », tirés par les personnes autour de la table (au rythme d'une maximum par personne et par session) pour introduire des effets de décalage dans la narration.

Le premier épisode fait suite à une session de création de monde en bac à sable: chacun, en plus de son personnage, a produit un certain nombre d’éléments : lieux, personnages non joueurs et organisations, dont je me suis servi ensuite pour créer les embryons d'intrigue (car le jeu marche énormément à l'impro). Comme il y a beaucoup de PJ, je les présenterai rapidement lors de leur première apparition, puis je réaliserai en début de chaque session un petit dramatis personæ histoire de vous indiquer qui est qui.


Acte I : une âme contre un gorille


Dramatis Personæ

Soeur Augusta (jouée par Clémence) : religieuse / rebouteuse, s’y connaît en plantes + anatomie humaine.
Description : Une dame d’une quarantaine d’années, grande et maigre, à l’apparence quelconque. Elle porte le voile et la robe bleu sombre des soeurs de son ordre, ainsi que le médaillon de platine représentant Itras entourée de lumière.
Qualités dramatiques : Très pieuse, très curieuse (surtout en médecine), un peu illuminée.
Aimants à intrigue : orpheline, ne sait pas qui sont ses parents / l’Entité Noire veut la détruire / à la recherche des “membres perdus” / procure des contraceptifs aux prostituées dans le plus grand secret, contre les ordres de sa supérieure
Personnages connus : le Gorille Prophétique, les filles de la rue des Nymphes, Soeur Vestine (la mère supérieure)

Ida Jerricane (jouée par Eugénie) : cracheuse de feu dans un cabaret.
Qualités dramatiques : se rêve en grande artiste.
Aimants à intrigue : rend des services à tout le monde (logeur, voisine, Père Shade, Gorille).
Description physique : brunette, coupe à la garçonne et accroche-coeurs, tutu de danseuse et veste d’homme.

Amandine Beaulieu (jouée par Guylène) : pseudo-artiste défoncée sans le sou.
Qualités dramatiques : débauchée, optimiste.
Aimants à intrigue : Vie sexuelle libérée, dépendante à plusieurs substances.
Personnage connus : des parents, qui l’ont reniés. Sa voisine, avec qui elle entretient une relation cordiale… Du moins jusqu’à la semaine dernière.
Description : châtain aux yeux verts cheveux courts, maigre comme ceux qui n’ont pas assez mangé, pas très féminine. Un rire cristallin qui fait tout son charme malgré sa dégaine.

Jonas StJones (joué par kiraen) : joueur de blues malchanceux.
Qualités dramatiques : Poissard, Inspiré, Optimiste désabusé.
Aimants à intrigue : La recette de la gnôle du Père Shade, Les prophéties du gorille, La malédiction de l’Ange de Church Hill.
Personnages connus : Ida Jerricane (rencontrée chez le père Shade), La fille de joie (ma cousine), un inconnu qui lui a proposé de devenir le meilleur joueur du monde à une croisement de rue un soir. Ils ont fini par boire un pot à la part du diable.
Description : costard usé, une clope au bec, chapeau de feutre, un regard fatigué mais rieur.


Scène 1 : Un ange, du blues et un thé à la gnôle

Une lourde après-midi de juillet dans la cité d’Itras ; en ce dimanche ensoleillé, une légère brume circule dans les rues, de plus en plus dense à mesure que l’on se dirige dans les hauteurs.

Du coup pas mal de gens restent terrés à l’intérieur ; c’est le cas de Jonas StJones, bluesman de son état, en pleine fin de concert au salon de thé de Mme Elga. Les dames de la ligue de vertu que visite StJones de temps en temps pour tâcher de se défaire de son alcoolisme chronique ; pour elles, il joue de l’ancien, du classique, jusqu’à se laisser aller à son bon vieux blues, des choses pas très respectables que les dames désapprouvent (sans pouvoir s’empêcher de battre discrètement la mesure). StJones achève de jouer « Hardwood », une chanson sur ces bancs durs qui nous accueillent lorsqu’on n’a pas de maison, et qu’on a trop bu, parce que votre femme vous a quitté, et que le seul moyen de retrouver confiance en l’humanité est de s’asseoir sur un banc et regarder les gens passer c’est une chanson sans paroles).

Perdu dans sa musique, StJones ne voit pas, dans les premières rangées, parmi les vieilles dames, Amandine Beaulieu, une jeune artiste de sa connaissance, en pleine conversation avec l’Ange de Church Hill. Amandine tente de le convaincre que l’œuvre qu’elle lui a vendu n’est pas finie : il faut le compléter, pourrait-il lui rendre pour quelques jours ? Il s’agirait simplement d’affiner le lustre des plumes du corbeau du coin gauche… L’Ange est embêté : il explique à Amandine en se grattant l’auréole que le tableau est déjà promis à un acheteur, pour une somme fort rondelette, un certain Jeff l’Usurier qui a approché l’Ange pour lui demander spécifiquement l’œuvre d’Amandine.

Jeff l’Usurier, cela dit quelque chose à Amandine, qui se souvient d’un dialogue sibyllin dans l’appartement au-dessus de chez elle… Le nom n’est pas inconnu non plus à StJones, qui aperçoit Amandine dans la salle, assise seule à une table, en train de boire du thé.

L’Ange propose à Amandine de l’accompagner à son rendez-vous avec Jeff ; avant qu’elle ne puisse répondre « oui », StJones s’assied à la place occupée par l’Ange. Les deux partagent une flasque d’alcool dans leurs tasses de thé, en se cachant de Miss Wellington.
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Scène 2 : Mission sacrée au Chat qui Fume

Pendant ce temps, Sœur Augusta, membre de l’Ordre de la Très Sainte Lumière d’Itras, en visite dans la rue des Nymphes, rend visite à Alicia StJones, une fille de joie qu’elle connaît bien et à qui elle fournit des contraceptifs. « J’ai pensé à toi », dit Alicia, « puisque tu t’intéresse aux gens à qui il manque des membres… ». En effet, Augusta cherche depuis longtemps les personnes qui auraient traversé une mystérieuse tempête avant d’arriver à la cité d’Itras, tempête dans laquelle presque toutes et tous ont perdu un membre. « J’ai pensé à toi », reprend Alicia, « j’ai récemment croisé une femme à qui il manquait une jambe. Je l’ai déjà vue plusieurs fois : elle s’appelle Géraldine Chesterfield, c’est une grosse fumeuse de cigares ». Justement, il y a un magasin de cigares non loin, dans la rue des Fumeurs (qui contient également des magasins de cigarettes, d’allumettes, de pipes, de blagues à tabac, de cendriers… et une officine de pneumologue au bout). Augusta s’engage dans cette allée qui sent la cendre froide et trouve rapidement « Le chat qui fume », à l’enseigne articulée représentant un félin fumant un gros cigare. Le magasin est ouvert ; Augusta entre dans cette grande boutique lumineuse, bien rangée, aux innombrables rangées de présentoirs. Une étiquette indique l’origine de chaque cigare : nord, sud, sud-est… À l’autre bout du magasin, un vendeur derrière son comptoir, un dandy bien propre sur lui accueille Augusta d’un air maniéré. Il vérifie dans son Rolodex : Géraldine Chestefield fait bien partie de ses clients. Cependant, la maison ne donne pas aussi facilement l’adresse de ses clients… Augusta commence par lui proposer des onguents pour rester en bonne santé, mais il est clair que ce qui l’intéresse davantage, ce serait des produits pour inciter ses clients à fumer. Sa boutique prend la poussière et il manque d’acheteurs, ce serait donc une aide non négligeable…

Le vendeur change soudain d’angle : il y a environ 150 sœurs dans l’ordre d’Augusta ? Que pensent-elles de la consommation de cigares ? Selon Augusta, elles sont plutôt contre, mais l’on peut sans doute s’arranger… Le vendeur s’éclipse dans l’arrière-boutique et revient en portant avec des gants blancs une boîte en métal : des cigares ayant appartenu au dernier pape. L’odeur boisée et fumée émanant de la boîte témoigne de leur saint caractère. Augusta donne l’adresse de son couvent au vendeur, précisant qu’il faudrait d’abord prévenir sa supérieure ; aussitôt, le vendeur hurle « JINGO ! » et une dalle du faux-plafond se soulève, laissant jaillir un petit chimpanzé habillé comme son patron, qui attrape la boîte de cigares et disparaît. Contre cette transaction bien menée, le vendeur (qui semble un instant avoir tout oublié de leur échange précédent) apprend à Augusta que Géraldine Chesterfield se fait livrer des cigares (de fort mauvaise qualité) aux bons soins de Jeff l’Usurier. Sœur Augusta ne le connaît pas, ce qui surprend le vendeur : après tout, comme on dit dans la cité d’Itras, si on cherche Jeff l’Usurier, on finira par le trouver.

Scène 3 : Larmes et chocolats – complainte pour un lanceur de couteaux

Ida Jerricane, cracheuse de feu au cabaret Lilith, passe l’après-midi dans sa chambre, à avaler des chocolats en pleurant après Alfred, le lanceur de couteaux qui l’a quittée pour sa voisine Amandine (ou l’inverse, ce n’est plus très clair). Entre deux poignées, elle se lève pour aller vomir et retour pleurer sur son lit. En ce moment, Ida a souvent la gerbe, elle ne sait pas pourquoi…

Soudain, alors qu’elle se rince la bouche, Ida entend un bris de verre provenant de l’appartement d’Amandine, suivi du son de quelqu’un qui tombe et qui jure. Ida jaillit dans la cage d’escalier, pour gueuler après celle qui ne respecte pas son chagrin ; la porte d’Amadine s’ouvre, et une tête passe par l’entrebâillement. « Oh, désolé, j’ai fait trop de bruit ? » Ida, rouge de colère, claque sa porte, tout en tendant l’oreille. La cambrioleuse monte jusqu’à son palier et frappe à la porte. « S’il vous plaît », demande-t-elle d’une petite voix, « je pense que je me suis trompée d’appartement… Ça me fait bizarre de parler à une porte, vous ne voulez pas ouvrir ? ». Ida ouvre (en laissant la chaine sur la porte) et voit face à elle une dame d’une quarantaine d’années, au visage abîmé par la vieillesse, à qui il manque une jambe. « Est-ce que par hasard, vous auriez une boîte à chapeaux ?
– Non, pas du tout… Je ne porte pas de chapeau…
– Oui mais vous savez, on ne porte pas de chapeau et puis un jour, quelqu’un oublie sa boîte à chapeaux chez nous, et puis on la garde pour ranger nos sous-vêtements…
– Ah parce qu’Amélie porte des dessous français ?
– Oui, elle a un goût raffiné, mais ses dessous sont rangés dans des boîtes à chaussures. J’ai dû mal entendre.
– Ah, dans ce cas, dit Ida en ouvrant la porte à son interlocutrice, je vais vous montrer mes boîtes à chaussures ! »

La femme s’assied, l’air fatigué, et explique à Ida que Jeff l’Usurier l’a chargée de récupérer une boîte à chapeaux dans cet immeuble. Ida frémit, car c’est bien elle qui garde cette boîte pour sa voisine, une femme magnifique qu’elle n’a croisé que deux ou trois fois…
« Je connais peut-être quelqu’un qui aurait ce que vous cherchez, mais elle loge au sous-sol… Je vais vous accompagner ». Ida pense aux cris horribles qu’elle a entendu plusieurs fois provenant de la cave, d’où personne ne remonte jamais, et mijote doucement sa porte de sortie. Comme son logeur lui donne souvent de menues tâches, Ida sait où est rangée la clef.

La femme s’appuie lourdement, suant abondamment, sur les épaules d’Ida. Pendant qu’elles descendent, Ida lui raconte sa vie : elle a commencé comme cible pour lanceur de couteaux, avant d’être en fin de partie de cabaret (pour le ménage), et aujourd’hui elle est cracheuse de feu au Lilith. Elle finit de dérouler son CV à sa nouvelle confidente lorsque du bruit résonne à nouveau dans l’appartement d’Amandine : quelqu’un qui tombe et qui jure. Une femme qui ressemble en tous points à celle qu’Ida porte (sauf qu’il lui manque l’autre jambe) débarque et demande à sa jumelle ce qui prend tant de temps. Elle décide d’accompagner Ida au sous-sol, mais a l’air bien plus suspicieuse que sa sœur, renfrognée là où l’autre serait plutôt guillerette… « Tu te rends compte, madame est lanceuse de couteau !
– Ah ouais ? Alors ça, tu connais ? lui lance l’unijambiste en sortant un couteau de son veston (qui rappelle Alfred à Ida). Si t’essayes de nous blouser, tu vas y avoir droit, tu comprends ? Tu peux la faire à ma sœur, mais pas à moi.
– Vous êtes sœurs, mais c’est passionnant !
– Oui, répond la sœur aimable, je m’appelle Chesterfield, et elle c’est Géraldine !
– Ça suffit le bavardage, on descend. Et Chesterfield, arrête ta comédie, tu n’as besoin de personne pour t’aider. »

Ida tente de ralentir mais Géraldine tape du pied en l’attendant, l’air mauvais. Elle n’a pas le choix : elle leur ouvre la porte de la cave et invite les sœurs à descendre en premier.
« Attends. Comment elle s’appelle, la nana du sous-sol ?
– Amélie Beauchamp. L’interrupteur est en bas des marches.
– C’est drôle, dit Chesterfield, parce qu’il y a une Aurélie Beaulieu dans les étages ! »

Poussée par Géraldine, Ida descend allumer la lumière de la cave, jonchée de caisses de bouteille. Une lumière rouge et blafarde éclaire une partie du dédale qui serpente au-delà. Géraldine attrape Ida par l’épaule et en jouant du couteau, elle la prévient : pas d’entourloupe, sinon elle y passe. Chesterfield commence à l’engueuler : Ida est une chic fille, elle va les aider… Ida profite de l’échange pour remonter en courant et refermer à clef la porte de la cave. Géraldine tape du pied dans la porte et tombe à la renverse.
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Scène 4 : Où l’on ne discerne pas très bien celui qui menace dans la brume… et ce qui se cache dans la cave.

StJones et Amandine sortent du salon de thé, complètement bourrés. Les vieilles du salon de thé les regardent partir d’un air désapprobateur. Amandine pleure après son tableau, et ses hallucinations chroniques. Il faut qu’elle retrouve Jeff, qui espionne sa voisine, en plus ! Il lui en veut personnellement, c’est sûr. StJones est intrigué : il y a une chanson, là-dessous. Ils vont aller voir sa voisine, c’est décidé, même si StJones n’écrit plus depuis qu’il s’est fâché avec le gorille prophétique.

Augusta a récupéré l’adresse de Jeff l’Usurier, non loin de la place des Larmes, au cœur de Church Hill, un quartier où elle n’a jamais mis les pieds. Elle se fraie péniblement un chemin à travers la brume ; elle n’y voit rien, et évidemment elle finit par se cogner contre un passant et lui endommager sa guitare. Les deux acolytes sont complètement saouls et en plein désarroi : « Tu comprends, Jeff veut me piquer mon mec et mon tableau ! ». Voilà qui intéresse Augusta… StJones connaît bien la place des Larmes, c’est un endroit qui lui rappelle de bien mauvais souvenirs. D’ailleurs, quand il se présente, Augusta reconnaît dans le musicien le cousin de la prostituée qu’elle visite fréquemment. Elle distribue une potion au goût infect à Amanda et StJones, qui dessaoulent vite.

Pendant qu’ils discutent, Amanda voit quelqu’un dans la brume, un bâton de craie dans une main et une règle graduée dans l’autre. « Tu n’as pas appris ta leçon, Amandine, tu vas aller au coin… viens mettre le bonnet d’âne… ». L’apparition s’éloigne en riant sous cape.

« TU VAS OUVRIR, OUI ?!
– Mais je vous ai dit qu’elle était au fond la boîte à chapeaux ! Ça ne sert à rien de rester à côté de la porte ! insiste Ida en sanglotant.
– Mais oui Géraldine, elle a dit que c’était au fond, opine Chesterfield. Tiens d’ailleurs je sens quelque chose, je me demande si —
– Chesterfield ?! QU’EST-CE QUE T’AS FAIT À MA SŒUR, TOI ! Je vais aller voir, mais je te préviens, si tu m’entourloupes… »

Une pointe de couteau traverse la porte. Quelques minutes s’écoulent ; plus un bruit ne provient de la cave. Rassérénée, Ida remonte dans les étages, et avant de rentrer chez elle, va faire un tour chez Amandine. L’appartement est un bazar sans nom ; il pue la térébenthine, des blocs de glaise trainent ça et là, et dans un coin, une boîte à chaussures retournée laisse échapper quelques dessous affriolants. Ida prend la boîte et la traîne sur le palier, vengeance mesquine, avant de rentrer chez elle s’effondrer pour manger des chocolats.

Scène 5 : Où l’on entend enfin reparler du gorille prophétique

Ida se redresse soudain : c’est l’heure de son rendez-vous avec le gorille prophétique, comme tous les dimanches à 16h ! Elle attrape quelques fraises à l’un des nombreux fraisiers qui peuplent son appartement, les fourre dans une jolie boîte, et dévale les escaliers à nouveau.

La brume s’est épaissie dans les rues de la cité, et le trio avance au jugé. Fatalement, ils finissent par rentrer dans une passante et lui écraser sa boîte de fraises. Ida est folle de rage.

« Chère voisine, vous avez des relations bien déplaisantes, qui ne connaissent apparemment pas la notion de porte. Vos amis dépravés ont retourné votre appartement. Elles ont sorti une boîte à chaussures pleine de dessous français et les ont répandu sur le palier.
– J’ai été cambriolée ?! Mais il faut appeler la garde grise ! Qu’ont-elles pris ?
– J’ai surtout l’impression qu’elles ont déversé des tonnes de déchets », rétorque Ida d’un air pincé.

[Je décide à ce moment de tirer une carte « Chance » pour pimenter la confrontation. Je tire : « Un peu plus tard… Trois heures se sont écoulées. Décrivez l’état actuel des personnages ; vous n’avez pas le droit de décrire ce qui s’est passé dans ce laps de temps ».]

Trois heures plus tard, Amandine, StJones et Ida sont dans l’appartement de la première, toujours en train de s’engueuler. Ida a fini par raconter sa confrontation avec Géraldine et Chesterfield, et alors qu’Amandine l’inonde d’insultes, son téléphone sonne.

« Allô, pourrais-je parler à Jonas StJones s’il vous plaît ?
– Comment vous savez qu’il est là ? Que lui voulez-vous ?
– Dites-lui que c’est de la part d’une vieille amie, Amandine. J’appelle de la part des Gollups. »

[Les Gollups sont une institution de la cité, une sorte d’institut de sondage appelant les gens régulièrement pour leur poser toutes sortes de questions, des plus banales aux plus dérangeantes.]

« Allô ?
– Monsieur StJones ? Je vous appelle de la part de votre amie Miss Wellington. Les Gollups nous ont chargé de vous poser quelques questions. Tout d’abord : à la centaine près, combien de pas avez-vous fait aujourd’hui ? Prenez votre temps.
– 143.
– Deuxième question : quand avez-vous parlé au gorille prophétique pour la dernière fois ? Si c’était aujourd’hui, étiez-vous au courant qu’on l’avait kidnappé ? Prenez votre temps.
– La dernière fois que je lui ai parlé, ça s’est mal passé et je ne veux pas m’en souvenir.
– D’accord, je vais mettre “ne sait pas”.
– Dernière question : savez-vous ce qui…
– Avec des fraises. Au revoir », lâche StJones avant de raccrocher.

Le téléphone sonne à nouveau. C’est Amandine qui décroche.
« Il a dit “avec des fraises”.
– Oui mais ça ne rentre pas dans mes cases… Pouvez-vous lui demander s’il sait quel genre de choses se fait secrètement livrer Miss Wellington ?
– Il dit que oui, des boîtes à chapeau avec des fraises. »

Dans son couvent, sœur Augusta prie avec ferveur pour oublier la terreur qui l’a envahie lorsqu’elle a pénétré dans l’immeuble d’Ida et d’Amandine. En remontant dans sa cellule, elle croise sa supérieure, sœur Vestine, plutôt fâchée d’avoir reçu 235 cigares sans avoir été prévenue. Du haut de ses 16 ans, sœur Vestine explique doctement à sœur Augusta que le couvent ne consomme que de la chique, et que, de plus, ces cigares n’appartiennent pas au Saint Père mais à un protestant.

Dans l’appartement d’Amandine, StJones apprend à Ida que le gorille prophétique a disparu, sans doute parce qu’il n’a pas reçu ses fraises dominicales (en même temps, il dissimule une culotte d’Amandine dans sa poche, avant de faire semblant de la retrouver).

L’engueulade entre Amandine et Ida continue, et se transforme vite en pugilat (que StJones accompagne à la guitare). Trois heures plus tard, les esprits calmés, elles discutent de la disparition du gorille : StJones suggère que Jeff est derrière tout ça, il faudrait le retrouver ; Ida est moyennement pour, Amandine est plutôt d’accord, afin de récupérer son tableau. La discussion s’échauffe vite à nouveau, mais est coupée court par un bruit de pas – au singulier – dans l’escalier.
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Scène 6 : Où finalement, il semble que l’on puisse ressortir indemne de la cave

Ida se cache derrière un canapé au moment où Géraldine apparaît dans l’encadrement de la porte.

« ELLE EST OÙ, TA VOISINE ? LA CRACHEUSE DE FEU QUI M’A ENVOYÉE AU SOUS-SOL ? » Un couteau se plante à quelques centimètres d’Amandine, qui demeure impassible.
« Elle est partie chez Jeff l’Usurier. Elle m’a dit que deux personnes avaient cambriolé mon appartement, ce qui est…
– Ce qui est exact. On s’est trompées d’appartement.
– Oui, on est désolées », renchérit Chesterfield qui apparaît à son tour.

StJones est surpris : que fait ici l’une des membres de la ligue de vertu de Miss Wellington ?
« Bon », coupe Géraldine. « Puisque ta voisine est chez Jeff, et que tu veux y aller aussi, chez Jeff, pour récupérer ton tableau, eh bien allons-y toutes, chez Jeff. »

Elles commencent à descendre l’escalier.
« Eh, rends-moi ça, c’est à moi, lâche Géraldine à Amandine en opinant vers le couteau.
– Ah ouais ? Bah plus maintenant.
– OUI C’EST SON TRUC ÇA, ELLE PIQUE LES CHOSES AUX GENS ! » intervient Ida, malgré elle, depuis le dessous du canapé.

Géraldine attrape Amandine d’un air méchant.

[Guylène décide de tirer une carte « Résolution » pour savoir si elle parvient à faire un croche-patte à Géraldine. Clémence lit la carte (à Itras By, c’est un autre joueur que celui qui tire qui lit la carte et l’interprète) : « Oui mais… Vous réussissez, mais quelque chose qui n’a rien à voir se passe mal pour vous ou quelqu’un à qui vous tenez. »]

Géraldine tombe à la renverse pendant qu’Amandine détale. Elle voit la guitare de StJones s’écraser dans la cage d’escalier. Dans l’appartement, Géraldine attrape les cheveux d’Ida, folle de rage. « Il paraît que t’es artiste de cirque, hein ? Le trapèze, tu connais ? » Et elle balance Ida par la fenêtre du 3e étage. Ida fait un saut magnifique avec retourné carpé, vrille et atterrissage en roulade, avant de se relever en saluant son public invisible et de décamper vers le zoo. Amandine l’aperçoit, et décide de la suivre.

Après les vêpres, Augusta décide de faire le mur malgré les ordres de sœur Vestine, et malgré la terreur qu’elle ressent encore. Elle décide d’aller se calmer en marchant parmi les animaux endormis du zoo. Il fait de toute façon trop chaud pour dormir.

Scène 7 : Où tout le monde prend des nouvelles du gorille et où l’on célèbre presque un mariage

Après s’être fait promettre par Chesterfield que sa guitare lui sera remplacée (il l’a rarement vu autant remontée contre sa sœur), StJones décide d’aller au zoo à son tour. Il arrive en même temps que tout le monde, devant le portail qu’un gardien est en train de fermer à clef.

« Désolé, le dimanche, on ferme à 23h, surtout qu’on prend nos précautions avec ces histoires de disparition… »

Sœur Augusta le presse d’en dire plus : aussitôt, le gardien sort des chaises pliantes avec des coussins en velours, tire un petit théâtre, fait signe à StJones de jouer en Si Bémol, et rejoue le drame avec des marionnettes : quelqu’un de louche s’est approché de la cage du gorille, et lorsque la brume s’est dissipée, il n’y avait plus personne. La seule chose qu’il reste, c’est la dernière prophétique que le gorille avait frappée sur sa machine. Le gardien l’a récupérée, mais ne semble pas prêt à la leur donner : bien des gens seraient prêts à donner cher pour l’entendre… Amandine commence à faire du gringue pour le convaincre.

[Je demande à Guylène de tirer une carte « Résolution ». Eugénie lit « Oui, mais seulement si… Vous pouvez avoir ce que vous voulez, mais seulement si vous êtes prête à faire un sacrifice. »]


Enchanté par les avances d’Amandine, le gardien rougit, met un genou à terre, sort une boîte de sa poche, et la demande en mariage. Ça tombe bien, sœur Augusta peut officier ! Amandine accepte. StJones joue la marche nuptiale pendant qu’Augusta unit « mademoiselle Beauchamp » et Francis Gownes, le gardien, dans les liens sacrés d’Itras.

Le gardien, empli de joie, offre la dernière prophétie du gorille à Amandine en cadeau de mariage.

[J’avais préparé dix prophéties, j’en tire une au hasard, on ne peut plus appropriée : « Non Jeff, t’es pas tout seul… ».]

Amandine range la prophétie dans son corsage sans la lire aux autres. Le gardien suggère qu’ils se retirent pour leur nuit de noces ; pour sauver Amandine de l’embarras, StJones demande de refaire la cérémonie, car Augusta a oublié de demander si quelqu’un s’opposait à leur union. Le gardien reprend la prophétie, et on reprend tout depuis le départ. Au moment d’unir (à nouveau) les époux, StJones s’oppose farouchement au mariage : le gorille est amoureux d’Amandine, il ne peut laisser le gardien l’épouser. Fou de rage, le gardien déchire la prophétie en mille morceaux, car une prophétie déchirée n’est plus une prophétie ; il découvre par la même occasion que sa femme ne s’appelle pas Amélie, mais Amandine. Dégoûté, il refuse de leur ouvrir le zoo ; il rentre dans sa roulotte et tire le rideau.
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Scène 8 : Où l’on finit par découvrir l’intérieur du zoo

Pas de problème, on peut quand même faire le mur en passant par le rocher des éléphants. StJones escalade en premier.

[Je demande à kiraen de tirer une carte « Résolution ». Guylène lit « Le conflit empire ! La tension monte alors que le conflit, les problèmes, les enjeux montent d’un cran. »]

Alors que StJones escalade, une voix stridente et nasillarde, celle de Gérald la mouette, retentit. « GÉRAAAAAAAAAALD N’AIME PAS ÊTRE DÉRANGÉÉÉÉÉÉÉ ! » StJones tente de parlementer, mais Gérald est une tête de pioche : il veut des sardines ou rien. Francis en a sans doute ?

À l’intérieur de la roulotte, on entend de gros sanglots : le gardien est en train de rejouer sa rupture avec Amandine sous forme de marionnettes. Ida tente de le réconforter : elle se glisse sous la couette avec lui et tous deux se mettent à manger des chocolats en pleurant.

Gérald ne décolère pas : StJones sent les sardines, et la mouette lui picore le visage. En tentant de se protéger, StJones dégringole dans la cascade des girafes. La voie est barrée pour Amandine et Augusta : seule solution, passer par l’étroit enclos des écureuils. Aucun problème, sauf qu’Augusta macule de boue sa robe, c’est Vestine qui va être contente… La lessive ne se fait qu’une fois par semaine au couvent, et elle n’a pas de rechange.

Le gardien a fini par s’endormir à force de pleurer : Ida le borde, l’embrasse sur le front, puis lui prend ses clefs et entre dans le zoo par la grande porte.

Tous les quatre se retrouvent devant la cage du gorille prophétique. C’est bien triste de la voir vide. D’après StJones, le gorille a juré de ne plus jamais faire preuve de violence, c’est sans doute pour ça qu’il a quitté le zoo sans opposer de résistance.

À l’intérieur de la cage, tout est comme d’habitude : de la paille partout, une petite table avec quelques fraises et une grosse boîte de sucre, un piano à queue poussiéreux, et une machine à écrire. Le seul indice, dans tout ça, c’est une bague de cigare dans la paille : une bague sur laquelle un chat qui fume est dessiné.

Un bruit se fait entendre : un lion est debout contre la grille, en train de pianoter sur les barreaux tout en fumant une cigarette d’un air détaché. Le gardien n’était pas dans son assiette aujourd’hui, il n’a pas beaucoup nourri les lions… Pendant qu’il menace le groupe, Ida attrape la bouteille de whisky de StJones, demande du feu à Phil le lion, et crache une immense gerbe de flammes. Phil est plutôt impressionné (et en profite pour rallumer sa cigarette). Un peu plus calme, il leur apprend que Jeff l’Usurier avait rendu visite au gorille un peu plus tôt dans la journée, à l’heure où d’habitude une femme vient lui donner des fraises. Le gorille, d’ailleurs, était triste comme la pluie toute la semaine, au point de ne pas avoir écrit une seule prophétie (à part, donc, celle qu’il a tapée avant de partir) ; si ce n’était pas pour celle qui lui donnait des fraises, selon Phil, il serait parti depuis longtemps. Sur ce, le lion, toujours aussi affamé, salue le groupe et disparaît dans l’obscurité pour aller dîner quelque part.

Tout le monde est d’accord : Jeff l’Usurier se cache derrière tout ça. Ida n’est pas très partante pour aller le voir ; à côté d’un lion qui fait de l’esprit, il est bien plus inquiétant. La tour d’Itras sonne minuit. Ida et Amandine commencent à se crêper le chignon : lorsqu’Augusta les sépare d’un air sèvre, Ida a soudain une vision de son enfance au couvent, sans qu’elle puisse se l’expliquer… Elle se gratte d’un air nerveux.

Scène 9 : D’un petit homme à l’âme en bouteille

Les quatre finissent par aller voir Jeff, dont la boutique ouvre à minuit. Ils passent devant la roulotte du gardien ; des bruits de repas se font entendre derrière la porte. Ida jette un œil et voit le lion, une serviette à carreaux autour du cou, en train de manger une bonne choucroute. Le gardien n’a pas l’air d’être là…

Alors qu’ils se mettent en route, StJones leur raconte le soir où il a rencontré un Ange, place des Larmes, un sacré enfoiré qui se grattait continuellement l’auréole (peut-être l’avait-il piquée à quelqu’un d’autre). Il lui avait proposé un marché : il pouvait le rendre célèbre. Quand StJones avait refusé (il tient un tant soit peu à son âme, impossible de faire de la musique sans), ça l’avait mis dans une sacrée rage.

Un peu plus loin, un petit homme à l’air triste, dans un imperméable trop grand pour lui, aborde StJones en lui tirant la manche.

« Excusez-moi, je vous entendais parler… Vous cherchez une âme ? Vous voulez en acheter une ? La mienne, je n’en ai plus l’utilité », ajoute-t-il en sortant une bouteille de sa poche intérieure. « Je ne veux pas vous embêter, enfin, si vous avez un peu de temps…
– Eh bien, nous nous rendons chez Jeff l’Usurier, mais accompagnez-nous donc, monsieur… Monsieur ?
– Henry Bludgeon. Très bien, si ça ne vous dérange pas… Et puis vous savez ce qu’on dit sur Jeff l’Usurier : “Si vous cherchez Jeff l’Usurier, il finira par vous trouver”. Alors, cette âme… C’était une nuit un peu comme celle-ci… Tout allait bien, la vie me réussissait : j’étais marié, je venais d’avoir une augmentation au travail, et puis j’ai rencontré la mauvaise personne. C’était une personne plutôt jeune, bien habillée, à l’air d’un ange… Il était accompagné d’un petit singe… On a discuté, j’étais prêt à ouvrir mon âme à n’importe qui cette nuit-là, et c’est ce que j’ai fait. Il a fait des choses avec cette âme, vous pouvez pas savoir… Je pouvais plus la supporter. Je l’ai mise en bouteille, mais même cette bouteille, maintenant… Je vous en prie, prenez-la, contre n’importe quoi. J’en ai honte.
– Quand l’avez-vous rencontré ?
– Je sais plus, la lune était… » Il se tourne vers la lune. « T’étais comment déjà ?
– J’étais pleine, répond la lune, c’était il y a deux pleines lunes.
– C’était près de la rue des Nymphes ?
– Je ne sais plus ; vous savez, tous les quartiers se mélangent par de telles nuits. Je me souviens, il appelait son singe “Jingo, mon petit singe rigolo”. Sur le moment, ça m’a fait rire…
– Si ça peut vous rendre service, je peux la prendre, dit Ida.
– Moi je ne peux plus y toucher, mais si vous arriviez à la nettoyer…
– On fait la lessive une fois par semaine dans mon couvent, intervient Augusta. Je peux essayer… Si j’arrive à la nettoyer, je vous la rendrai.
– Non ! On peut pas se faire nettoyer l’âme par n’importe qui, râle StJones. C’est moche ce que vous faites, et ça m’étonne pas de l’Ordre de la Très Sainte Lumière. Donner son âme au diable ou aux nonnes, c’est pareil. »
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 10 : Chez Jeff l’Usurier

Malgré tout, Henry confie sa bouteille à Augusta, et disparaît dans la brume. Entre deux nuages, les quatre réalisent qu’ils sont sur la place des Larmes depuis tout à l’heure. Une file de gens fait la queue devant l’échoppe de Jeff l’Usurier ; des acheteurs attendent patiemment leur tour. Le groupe décide plutôt de vendre quelque chose : la prophétie, ou plutôt, la phrase tapée par le gorille qu’Amandine recopie au fusain sur un autre bout de papier (les fragments de la prophétie d’origine s’enflamment).

[Je demande à Guylène de tirer une carte « Résolution » pour savoir si la prophétie reste valable. Kiraen lit la carte « Oui, mais… vous réussissez, mais le coût de votre succès vous rattrape bientôt (une ou deux scènes plus tard) ». Il ne la montre pas aux autres.]

Le groupe se dirige vers l’autre entrée, hélés par les acheteurs, et entrent chez Jeff. Une secrétaire à l’air pincé et aux traits tirés les accueille et leur demande ce qu’elles vendent, et ce qu’elles désirent en tirer. Leur objet : une prophétie, acquise légitimement en cadeau de mariage. La propriétaire : Amélie Beauchamp, logée au 4e A. Leur prix : des informations sur Géraldine Chesterfield, qu’on leur rende le gorille prophétique et le tableau d’Amandine. Elles prennent un ticket et vont patienter en salle d’attente.

À peine sont-elles assises que le téléphone sonne [c’est la conséquence décidée par kiraen, c'est lui qui joue le PNJ dans le dialogue qui suit]. Amandine décroche, c’est un Gollup pour elle.
« Bonjour, une question s’il vous plaît : avez-vous bien recopié illégalement une prophétie du gorille au fusain ?
– J’ignorais que c’était illégal, mais oui, en effet.
– Quel épaisseur, le fusain ?
– 4 millimètres.
– Avez-vous toujours la prophétie sur vous ?
– La copie, oui. L’original s’est… Auto-combustionnée.
– Veuillez épeler… »

Quatre jours passent dans la salle d’attente. Ida cherche son nom dans la salle d’attente : elle finit par trouver un entrefilet sur Leda Kérosène (« petit spectacle sans joie au cabaret Lilith. On a vu mieux, mais pour un samedi soir, pourquoi pas ») ; rouge de honte, elle arrache l’article et le mâche. Augusta feuillette son missel en fusillant du regard Ida : du gâchis de papier, quelle honte (Ida se gratte). StJones roupille. Amandine feuillette les magazines de bricolage et fabrique des étagères.

Un employé finit par tracer leur numéro sur l’ardoise et leur fait signe de les suivre.

Le bureau de Jeff est une très longue pièce ; les quatre s’assoient de chaque côté de la porte. À l’autre extrémité, une silhouette se dresse derrière un bureau. Quand il leur parle, Jeff semble être juste à côté d’eux. « Alors comme ça, on a une prophétie à vendre ? Donnez ». L’employé tend un plateau en argent sur lequel Amandine dépose la copie de prophétie ; chaussé de ses patins (pour ne pas rayer le parquet), il entreprend de traverser la pièce pour remettre le plateau à Jeff. C’est long.

« C’est pas une prophétie, ça », oppose Jeff. « Une prophétie déchirée, recopiée, n’est pas une prophétie. Pour cette… copie, vous voulez un tableau ? Des informations sur mon employée ? Un gorille ?
– On peut négocier, avance StJones. Le gorille suffira. »
– Ah non ! rétorque Amandine. Bon, dit-elle à l’employé, dites à monsieur Jeff que c’est moi l’auteure du tableau que vous avez acheté.
– Ah parce qu’en plus, répond Jeff, vous avez donné un faux nom à ma secrétaire ? Bon. Je ne vais pas acheter votre prophétie… mais vous avez autre chose de grande valeur que j’aimerais acheter. Votre vie. Vous êtes prête à me donner combien pour que je vous laisse sortir d’ici en vie ?
– Un autre tableau.
– Décrivez.
– C’est une port sur une mer de sable (« très original », grince Ida).
– Poursuivez.
– Des bateaux coulent dans le sable. Le ciel est vert, une mouette regarde le spectateur, et un ange flotte sur le ponton, une main se grattant l’auréole.
– Pas mal. Le titre ?
– Un nouvel espoir.
– Pas terrible. Vous avez une semaine. Sortez (elle s’exécute). Autre chose ?
– Le gorille.
– J’y tiens, et malheureusement, vous n’avez rien à me vendre.
– La tranquillité de votre affaire, intervient StJones.
– Détaillez.
– Ce serait dommage que des gens vendent tout et n’importe quoi à votre file de clients…
– Exemple.
– Eh bien, je me demande ce qu’ils iraient payer pour une âme (Ida et Augusta lui font les gros yeux).
– Décrivez l’âme.
– Une âme sale. Tellement sale que son propriétaire n’en voulait plus. Dans une petite bouteille. Une lueur comme une luciole, mais bleue, tourbillonnante, un peu comme les brumes de la ville ce soir.
– Intéressant. Contre-proposition : le gorille contre l’âme. »

Tout le monde se tourne vers Augusta, tordue par l’hésitation.
– Mais enfin, il me l’a confiée pour la laver, son âme, je ne peux pas la donner !
– Il reviendra jamais, répond Ida.
– Et puis ça paiera pour toutes celles que vous avez volées, vous et votre ordre », insiste StJones.

Augusta ne distingue pas Jeff, mais il lui semble qu’il la regarde droit dans les yeux.
– Décision ?
– Si je refuse, que se passe-t-il ?
– Pas de transaction.
– Comment savoir que le gorille est en bonne santé ?

Jeff claque des doigts ; son employé tire un écran du plafond, un projecteur à manivelle d’un cabinet. Un film en noir et blanc se met en marche : on voit le gorille frappant sur la machine (la caméra est floue, on ne voit pas ce qu’il écrit). La caméra recule légèrement, et on aperçoit une main sur l’épaule du gorille ; on reconnaît immédiatement (sans l’avoir jamais vue) celle de Jeff.
– Monsieur l’Usurier, dit StJones, avant de prendre une décision hâtive, peut-être devriez-vous en parler à votre associé.
– Précision ?
– Vous savez très bien de quoi je parle : nous avons tous lus cette prophétie.
– Décision finale ? » tranche Jeff en se tournant vers Augusta.

Augusta hésite encore. Après tout, Phil le lion leur a dit que le gorille était parti de son plein gré, et il a l’air en parfaite santé… De quel droit le remettre dans sa cage ?
« Je ne peux pas me défaire de l’âme de ce pauvre homme…
– Mais il reviendra jamais ! répète Ida. Il vous a dit ça parce que vous n’auriez pas voulu d’une âme sale, on sait bien ce que vous y faites dans votre orphelinat !
– Mais qu’est-ce qu’il vous prend à vous aussi ? Et qu’est-ce que vous en savez, de ce que nous faisons ?
– Je le sais parce que j’y ai grandi ! Mais j’ai réussi à me sauver !
– Les transactions personnelles se font à l’extérieur, intime l’employé.
– Très bien, dit Augusta, piquée au vif. J’accepte ».
Et elle pose la bouteille sur le plateau d’argent.

« Très bien, dit Jeff. Le gorille sera au zoo demain matin.
– Il va bien ? demande Ida d’une petite voix.
– Ça ne fait pas partie de la transaction. » Au moment où Augusta va quitter la pièce, suivant StJones et Ida, il ajoute : « Géraldine Chesterfield vous contactera demain matin. Considérez cela comme un bonus pour une transaction satisfaisante ».

Scène 11 : Le Blues du gorille en cage

Le lendemain matin, Amandine, Ida et StJones sont au zoo dès la première heure. Le gorille est dans sa cage, l’air plutôt triste. Ida lui donne une fraise, ce qui lui redonne un léger sourire. StJones s’installe à côté de lui au piano, et ils entament un air tous les deux ; une musique qui parle du jour où StJones a découvert un tableau dans la rue, qui ressemble fort à celui qu’Amandine va bientôt peindre, à travers duquel il est passé sans s’en apercevoir (c’est une métaphore de la vie). La chanson s’appelle « un nouvel espoir ». Gérald regarde la scène d’un air chafouin, pendant qu’Amandine le dessine.

La caméra s’éloigne lentement de nos protagonistes, et passe devant la roulotte du gardien. Un petit écriteau est accroché à la porte : « Changement temporaire de propriétaire ».

Au couvent, Augusta s’est faite engueuler comme pas possible par Vestine : elle est enfermée dans sa cellule. Son sac est plein de traces d’âme, ça va être compliqué de le ravoir.

Son téléphone sonne : c’est Chesterfield.
« Enfin !
– Je peux pas vous parler longtemps, ma sœur n’est pas loin…
– Il faut que je vous parle de toute urgence ! Je fais une enquête personnelle sur les gens à qui il manque un membre, et je voulais vous voir pour en parler.
– Je ne peux pas parler de ça, elle m’en voudrait terriblement.
– À QUI TU CAUSES ?
– C’est rien, c’est euh… un Gollup ! Il voulait savoir combien de sucre je mets dans mon thé à la ligue !
– Tu raccroches, maintenant, grogne Géraldine.
– Oui oui… Au revoir monsieur ! Je vous rappelle », ajoute-t-elle à l’intention d’Augusta, avant de raccrocher.

Rideau.

(Et merci à Ozen pour les intertitres !)
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Arkham »

Ouah! 8O
Je ne connaissais pas du tout ce jeu, le résultat est... incroyable!
Super CR, j'espère qu'il y aura une suite!
Petite question, je suis assez fan du principe de résolution des actions, mais ce n'est pas un peu frustrant pour tes joueurs qu'un autre tire les cartes pour eux?
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Il y aura définitivement une suite, oui, puisqu'on a joué 4 épisodes et que quelques-uns sont prévus pour fin août / début septembre. Le CR de l'épisode 2 est déjà sur le site d'Ozen (voir le lien en premier message), les autres arriveront avant la fin août, dès que j'ai le temps de les taper !

Je laisse mes joueurs traînant ici répondre à ta question concernant les cartes (Ozen, mass, kiraen) mais a priori je n'ai ps la sensation qu'ils se soient sentis frustrés. Être dans un état de surprise constant fait partie du jeu, ce qu'émulent également les cartes Chance...
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Ozen »

Arkham a écrit : Petite question, je suis assez fan du principe de résolution des actions, mais ce n'est pas un peu frustrant pour tes joueurs qu'un autre tire les cartes pour eux?
Alors non, c'est pas frustrant. C'est... différent, mais pas frustrant. Comme le joueur qui tire propose en sus une péripétie et que les propositions des cartes de résolution sont parfois zarb, ça donne des résultats assez funs, et ça te force à répondre à un mini challenge, soit tactique, soit de roleplay qui relance ton personnage, te force souvent à sortir de ce que tu avais prévu pour lui. Mais ça le met en valeur quel que soit le résultat, et donc ton action acquiert un poids qu'il est fun de jouer.
Le ciel étoilé a des constellations rares et prodigieuses qui ont pour mission de se rapprocher sans cesse et doucement des mondes misérables et de les éclairer peu à peu d’un jour qui commence par être crépusculaire et qui arrive à être flamboyant

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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par mass »

Si dans le jeu de rôle, on recherche le contrôle total de son personnage, j'imagine que c'est frustrant. Dans ce genre de table avec ses joueurs, le contrat est établi dès le depart, la narration est la base de tout. Donc même si ton personnage en chie, parce que les autres en ont décidé ainsi et que cela donne de la substance a l'histoire, c'est le top du top.
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Arkham »

Je vois... C'est assez enthousiasmant comme principe en tout cas! :)
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par mass »

Oui c'est très enthousiasmant surtout que tout les joueuses avec qui j'ai joué sont très proactives et n'hésite jamais devant les propositions des autres.
Maintenant l'ambiance est très surréaliste, j'aimerais tester avec une ambiance plus réaliste.
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Arkham »

En effet, et j'imagine que l'impro des autres joueurs sur ton propre perso ajoute au côté loufoque. Par contre autant j'imagine bien ce système tourner avec des jeux type Lacuna, un peu "perché", autant dans un contexte plus réaliste comme tu dis je pense que le meujeu aura pas mal de boulot pour éviter que ça déborde du cadre!
En tout cas si tu te lances, j'attends le CR avec impatience :D
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Et voici l'Acte 2 ! Pour rappel, il y a toujours un CR d'avance sur le blog d'Ozen.

Acte II : le ton et l'odeur de l'amour

Dramatis Personæ


Amandine Beaulieu (jouée par Guylène), pseudo-artiste défoncée sans le sou,
Qualités dramatiques : débauchée, optimiste
Aimants à intrigue : Vie sexuelle libérée, dépendante à plusieurs substances
Personnage connus : des parents, qui l’ont reniés. Sa voisine, avec qui elle entretient une relation cordiale… Du moins jusqu’à la semaine dernière.
Description : chatain-rousse aux yeux verts cheveux courts, maigre comme ceux qui n’ont pas assez mangé, pas très féminine. Un rire cristallin qui fait tout son charme malgré sa dégaine.
Lors de la dernière session, elle s’est brièvement mariée à un employé de zoo et s’est violemment crêpée le chignon avec sa voisine de chambre Ida Jerricane.

L’Étranger (Joué par Mass), Bel et Naïf étranger
Qualités dramatiques : Beau et énigmatique, naïf, toujours là pour faire plaisir à quiconque
Aimants à Intrigues : La femme magnifique, n’a pas de lien avec la ville.
Il faut bien le dire, on ne sait pas grand chose de lui sinon qu’il erre en ville, très beau, dans son grand pardessus, tentant de rendre heureux ceux qu’il croise. Par ailleurs, il vit chez Miss Wellington, 85 ans, la présidente de la ligue de vertu qui a bien voulu accepter de le loger à son arrivée en ville. Certains l’ont vu se promener tout à fait nu dans la demeure.

Cléanthe Brumaire (Joué par votre Ozen), Homme riche qui essaie de trouver un sens à la vanité de son existence.
Description : Un petit homme très sage, fin de quarantaine, ni beau, ni laid mais bien entretenu, l’air mélancolique. Un costume parfaitement entretenu, chaque jour une fleur différente à la boutonnière, une grosse chevalière (avec une pierre bleue) à l’index droit. Fume de longues et fines cigarettes avec un air légèrement efféminé, tics nerveux.
Qualités dramatiques : Notable bien installé dans la bonne société / Curieux, pour tuer l’ennui / Plus une connaissance est improbable, plus il est susceptible de savoir / Joueur (presque) professionnel.
Aimants à intrigues : Terriblement endetté (Jeff l’Usurier) / A la recherche de la femme magnifique / Convoite un pouvoir supérieur (Le Maître d’école)
Personnages connus : une femme, qu’il a épousé et qu’il a oublié quelque part dans sa grande maison / quelques souteneurs choisis dans la rue des Nymphes.


Quelques temps plus tard…


Scène 1 : Beaulieu et belle femme

Amandine est dans son lit, et son lit est dans une salle de théâtre. Tout autour d’elle, d’autres lits ; en face d’elle, un rideau s’ouvre lentement avec un bruit de manivelle rouillée. Sur scène, de petites marionnettes de quelques centimètres de haut ; Amandine a besoin d’utiliser ses jumelles pour distinguer que ces marionnettes sont celles d’elle-même, de Jason StJones, de Sœur Augusta et d’Ida Jerricane. Lorsque la pièce commence, ces marionnettes sont chacune dans leur coin, puis elles s’agitent et discutent entre elles sans bruit (on n’entend que le bruit des chiffons qui frappent la scène).

Les marionnettes de StJones et d’Amandine s’agitent, font quelques pas ensemble avant de rentrer dans celle de Sœur Augusta d’abord, puis celle d’Ida. Amandine n’entend pas ce que se disent les marionnettes mais elle comprend qu’Ida est poursuivie par deux sœurs, Géraldine et Chesterfield ; que Sœur Augusta recherche l’une d’entre elles ; que ces personnages, qui ne se connaissent pas, sont promis à de grandes aventures.

Le rideau tombe brutalement, et se relève aussitôt ; les quatre marionnettes sont ensemble dans ce qui ressemble à un appartement mis sens dessus-dessous. Deux nouvelles marionnettes apparaissent, deux sœurs qui n’ont qu’une seule jambe et se précipitent vers les autres. Une marionnette de gorille apparaît également dans un coin de la scène pour disparaître aussitôt ; les marionnettes d’Ida, StJones, Augusta et Amandine lui courent après en coulisse avant de revenir la tête baissée.

Le reste de la pièce est plus confus : les marionnettes arpentent la scène de long en large avant de s’arrêter devant une petite échoppe sur laquelle est simplement inscrit « JEFF ». Derrière l’échoppe, une marionnette entièrement couverte d’un tissu noir. La marionnette d’Amandine s’avance d’abord, et semble être menacée par Jeff (elle s’éloigne, ses yeux en boutons écarquillés). La marionnette de gorille finit par sortir de l’échoppe et revient dans sa cage, accompagnée des autres marionnettes. Tout finit par un grand concert de piano (totalement silencieux).

Les marionnettes s’avancent toutes vers le devant de la scène pour saluer, mais se trouvent bloquées lorsqu’elles se penchent en avant. Elles sont soudain tirées en l’air alors qu’une voix familière résonne aux oreilles d’Amandine : « Si vous avez aimé ce spectacle, ne manquez pas la suite très bientôt… ». Alors qu’elle reconnaît la voix du maître d’école, des panneaux s’ouvrent dans le fond de la scène, révélant le vieil homme au haut-de-forme et aux bésigles encrassées jonché sur une chaise très haute. Il continue de faire danser les marionnettes en s’adressant à sa spectatrice : « Tu as aimé cette danse ? Tu veux sans doute repartir pour un tour de piste ? Nous allons bien nous amuser ensemble… ». Toutes les lumières du théâtre s’éteignent, à part celles qui pointent le lit d’Amandine, morte de peur. « Je vais venir te trouver, Amandine, très bientôt… Dès que tu te réveilleras… ».

Amandine se réveille dans son lit, tirée de son sommeil par des coups à la porte. Elle enfile une blouse trouée, éponge la sueur de son front, et ouvre à un jeune garçon en habit de livrée, portant une enveloppe sur son plateau d’argent. Il dit être envoyé par Victor Oppheimer, l’un des nobles de la ville qui a hérité de la fortune de son père après sa mort récente ; il a défrayé la chronique, principalement pour sa tête de bœuf (ce qui lui vaut le surnom de « Bêteroc »). Amandine prend l’enveloppe et dépose une piécette dans le chapeau du garçon, qui peste contre sa pingrerie.

Sur l’enveloppe, une écriture soignée indique : « Pour la charmante jeune femme du 4e B ». Or, Amandine habite au 3e A. Elle ouvre tout de même l’enveloppe (« on va dire que je m’en suis rendue compte après », dit-elle à voix haute) : à l’intérieur, un carton d’invitation la convie « à la soirée donnée ce soir au manoir Oppheimer pour le bénéfice des orphelins de Black Bay ».

Amandine va frapper au 4e B, et une voix chantante, cristalline, qui la fait frissonner de pied en cap lui répond : « J’arrive ! ». La réponse semble à la fois murmurée et assez fort pour qu’Amandine l’entende clairement. Une femme magnifique lui ouvre la porte.

« Oh, Amandine ! Quel plaisir de vous voir ! » C’est la musique la plus douce qu’Amandine ait jamais entendu. « Dites-moi, est-ce bien prudent de sortir de chez vous ? La Garde grise n’est pas venue frapper à votre porte ? »

À ces mots, une série de bruits de bottes se fait entendre dans l’escalier : quatre gardes gris montent vers elles au pas de course.

« Ils sont venus me voir ce matin… Je crois qu’ils vous recherchent pour contrefaçon de prophétie… »

Scène 2 : Du règne de l’araignée

Pendant ce temps, Cléanthe assiste à une réunion assommante de la secte des adorateurs de Nindra. Comme d’habitude, elle a lieu dans les souterrains de la ville, auxquels on pénètre par une entrée dérobée après avoir fourni un mot de passe et quelques signes cabalistiques de rigueur. Évidemment, tout le monde est en robe de bure, il y a des cierges noirs, tout cela est assez lassant. Cléanthe n’écoute pas vraiment ce qu’il se dit, il tourne dans sa tête une lettre de démission pour laquelle il n’arrive pas tout à fait à trouver les mots justes. Il fait semblant de psalmodier avec les autres, mais le cœur n’y est pas. Il est donc un peu surpris lorsque son voisin lui secoue l’épaule ; le grand prêtre, derrière son autel maculé de sang, s’adresse de toute évidence à lui.

« Je disais donc », reprend-il d’un ton pincé, « c’est pour cela que Frère Cléanthe nous semble le candidat idéal pour ce travail.
– Bien entendu, répond Cléanthe, légèrement pris de court, après avoir le salut rituel et déférent à son supérieur hiérarchique.
– Très bien. Moi et les autres Frères Adorateurs saluons ton courage et ton abnégation. Nous attendons donc le sacrifice dès ce soir, si possible.
– Cela sera effectué, Grand Prêtre.
– N’oublie pas : pour que le rituel fonctionne, il faut que la femme soit magnifique. »

Impossible de savoir le Grand Prêtre a choisi cet adjectif par hasard ou s’il dissimule quelque intention ; en effet, cela fait quelques temps que flotte dans l’esprit de Cléanthe la vision de cette femme magnifique croisée un soir dans la rue des Nymphes, qu’il n’a pas osé aborder, ne se sentant pas digne d’elle…

Cléanthe retrouve un peu d’enthousiasme à l’idée de kidnapper quelqu’un : enfin un peu de nouveau dans sa vie. « De l’improvisation, une femme magnifique, un but glorieux… Vous avez choisi la bonne personne », répond-il au grand prêtre.

Le reste de la réunion se déroule comme d’habitude : tentative d’invocation de quelque créature obscure (sans succès), lecture de la page du jour du Livre des morts… Dans le vestiaire, alors que Cléanthe range sa robe de bure, un de ses collègues, également membre de la classe supérieure, lui demande s’il va à la soirée d’Oppheimer ce soir.

« Paraît-il que Bêteroc organise une petite sauterie, au profit de je ne sais plus quelle cause… On peut s’amuser, il paraît qu’il y aura de la musique. Je pense que cela peut être amusant, en tout cas. De plus, on dit qu’Oppheimer cherche épouse en ce moment…
– C’est vrai, cela devrait attirer quelques femmes magnifiques, note Cléanthe qui relie les faits dans sa tête. »

Rendez-vous est donc pris pour ce soir ; en attendant, il va rendre visite à son tailleur pour dénicher quelques vêtements appropriés.
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 3 : D’un étranger et de deux sœurs qui ne nous sont pas inconnues

Après une réunion de la ligue de vertu desquelles l’Étranger est un spectateur régulier (il est après tout logé par leur organisatrice en chef, Miss Wellington, qui profite de son jeune et beau corps et le présente partout comme son neveu d’un lointain pays), il est approché par l’une des membres de la ligue, Chesterfield, une dame d’une quarantaine d’années, au visage abîmé par la vieillesse, à qui il manque une jambe. Elle a à lui parler et propose de se retirer dans le petit salon. L’Étranger accepte, en lui décochant son plus beau sourire. Le petit salon ressemble à un bout du grand salon : il y a là un quart de table, une chaise et demie, et ainsi de suite.

Alors que Chesterfield sert du thé à l’Étranger, la porte s’ouvre avec fracas et une femme qui ressemble en tous points à Chesterfield (sauf qu’elle fait autant la gueule que sa sœur est souriante) rentre dans la pièce.
« BON ! Tu lui as expliqué ou pas ? Lâche-t-elle, ignorant le beau sourire que lui adresse l’Étranger.
– Eh bien j’étais d’abord en train de servir un thé, parce que je me disais que…
– Ouais ouais, on n’a pas le temps pour ces conneries, coupe Géraldine en s’asseyant à l’envers sur la chaise. Écoute coco, c’est Jeff qui nous envoie.
– Jeff ? Il est pas très gentil, Jeff…
– C’est pas le problème, continue Géraldine en entreprenant de se curer les dents à l’aide de son couteau. T’as refusé un de ses boulots, et Jeff, il aime pas trop qu’on lui refuse des trucs. Ça le rend chafouin. Cela dit, il est pas rancunier, et il a un nouveau boulot pour toi.
– Votre thé, monsieur, dit Chesterfield en s’immisçant dans la conversation. Monsieur comment d’ailleurs ?
– Je ne sais pas… On m’appelle l’Étranger, ici…
– Comprenez ma sœur, continue Chesterfield, nous avons eu du mal à vous retrouver… C’est moi qui suis sotte, je ne m’étais pas rendue compte que nous appartenions à la même ligue… Vous comprenez, quand Jeff n’est pas content, c’est sur nous qu’il passe ses nerfs et c’est un peu pénible, vous en conviendrez…
– Je suis vraiment désolé de vous avoir causé tout ce tort…
– Oh, c’est sans doute un peu de notre faute…
– C’est quand même évident que c’est la faute de cet abruti ! reprend Géraldine. Il se planque, pis il a même pas de nom ! Il refuse les boulots de Jeff ! Je sais pas d’où tu viens, mon loustic, mais continue comme ça et tu feras pas long feu. Écoute, c’est pas compliqué : Jeff, il a beaucoup d’amis, mais parfois ses amis veulent pas lui rendre visite. Ils ont peur de le déranger, tu vois. Donc toi, tu vas aller chercher un de ses amis, et lui dire que Jeff il a vraiment très envie de le voir ! Et si l’ami en question, ce Cléanthe je-sais-pas-quoi, veut pas aller le voir, tu lui dis que Jeff serait vraiment très très malheureux, et puis que Jeff sera aussi très malheureux s’il lui arrivait un accident fatal ! Pis tu lui diras aussi, à Cléanthe Brumaire, que Jeff il aimerait bien avoir un beau cadeau pour son anniversaire ! Il comprendra ce que ça veut dire. Le Cléanthe, tu le trouveras facilement, il va à une soirée ce soir, un truc de richards. Jeff a été invité, mais il est tellement sympa qu’il tient à te filer son invitation.
– C’est quoi un riche ?
– Tu te moques de moi ?
– Non… »
Géraldine soupire à nouveau, puis se tourne vers sa sœur. « Bon, finis de lui expliquer, parce que moi je peux pas, là. »

L’Étranger prend négligemment la main de Géraldine. « Vous savez, lui dit-il, je sens comme des ondes négatives autour de vous… Vous devriez faire quelque chose pour cela, ce n’est pas bon pour votre cœur… » Géraldine se défait de son emprise mais a l’air perturbée. Elle quitte la pièce, clopin-clopant, sans dire un mot.

« Il faut pas en vouloir à ma sœur, dit Chesterfield. Vous savez, depuis la tempête, nous ne sommes plus les mêmes…
– Je ne lui en veux pas, répond l’Étranger après lui avoir souri un peu niaisement. Pourquoi je lui en voudrais ?
– Oh, vous êtes vraiment un chic type, vous alors. Dites, j’abuse peut-être un peu, mais… Ça vous dérangerait si j’allais à la soirée avec vous ce soir ?
– Si cela vous fait plaisir, vous êtes la bienvenue…
– Oh, ce serait vraiment super ! Et puis vraiment, vous avez l’air d’un type tellement… C’est rare de rencontrer des gens gentils par ici…
– Ah vous trouvez ? Moi je trouve que tout le monde a l’air si gentil… Même votre sœur, il faut juste regarder son bon côté…
– Bon écoutez, je vais aller me faire belle, et nous nous retrouvons ce soir au manoir.
– Pas besoin, vous êtes déjà belle », lui répond l’Étranger en lui prenant le menton.

Chesterfield rougit comme une pivoine et s’en va, visiblement confuse. Dans la tasse de thé de l’Étranger, les cristaux de sucre sont remontés à la surface, formant un cœur. Il boit sa tasse d’un air tranquille puis se dirige vers la salle de réception où les vieilles de la ligue l’attendent pour contempler sa beauté.

Scène 4 : Peau de gorille et Peau de zébu

Le tailleur de Cléanthe est fort réputé dans Mint Knoll et accueille l’un de ses fidèles clients avec obséquiosité. Cléanthe s’y rend surtout parce qu’il y a une note, et donc la possibilité de commander sans avoir à sortir d’argent liquide, ce qui est fort vulgaire. Il compte bien y acquérir une veste en peau de zébu qui lui avait tapé dans l’œil, mais pas de veine, la veste a l’air d’avoir disparu de la boutique.

« Monsieur Brumaire, quel plaisir ! l’accueille le tailleur, un petit homme au visage couvert d’un sévère eczéma.
– Oui bien sûr. Mais dites-moi, cette veste en peau de zébu que j’ai vu chez vous il y a quinze jours, l’avez-vous donc vendu ?

Le tailleur est gêné : il vient de s’en séparer ce matin. L’acheteur était sans doute un saltimbanque : il portait une ceinture de couteaux. Cléanthe est très déçu : il a manqué l’occasion de ressembler à un forain.

« Écoutez, monsieur Brumaire… » commence le vendeur pour se rattraper. en tentant d’attraper la manche de son client. Celui-ci lui fait une clef de bras et le projette violemment au sol. « Tout n’est pas perdu (un peu plus fort, s’il vous plaît) ; ce jeune homme m’a confié se rendre chez sa bien-aimée, j’ai de manière totalement malencontreuse entendue l’adresse de cette femme.
– Une histoire d’amour ? Une veste en peau de zébu ? Ça mérite un examen. Relevez-vous et écrivez-moi l’adresse sur ce papier plutôt que de me la murmurer à l’oreille. »

Le vendeur se met en position de boxe française et fait quelques passes avec Cléanthe. Il attrape un papier en reculant, un stylo en avançant, puis tente d’envoyer l’adresse dans la figure de Cléanthe en même temps qu’un uppercut, qui l’évite sans mal et lui bloque à nouveau le bras sans toucher sa peau.

Il faut tout de même un vêtement à Cléanthe pour ce soir : le vendeur lui propose une veste en poil de gorille qui sent fort mauvais mais qui rappelle à Cléanthe le gorille prophétique dont il attend toujours avec ferveur une révélation.
« Très bien, je crois que ce sera magnifiquement assorti à la veste en peau de zébu de l’artiste. On aura des chances de me prendre pour un saltimbanque ce soir, c’est parfait.
– En plus, vous savez que c’est la dernière mode que de porter deux vestes à la fois.
– Vous comprenez, il faut qu’elle soit pratique sous les bras, continue Cléanthe en faisant quelques étirements. C’est pour un kidnapping. »

L’Étranger, une fois sorti du salon de thé, flâne dans les rues de la Cité, comme à son habitude. Il se laisse porter par ses pas et est bientôt abordé par un petit homme à l’air triste, dans un imperméable trop grand pour lui, avec un petit chapeau melon.
« Excusez-moi, je peux vous déranger ? J’ai un problème, et j’aurais vraiment besoin de l’aide de quelqu’un d’aimable… J’ai quelque chose à vous donner, si vous le voulez bien », continue l’homme en sortant de la poche de son veston une petite bouteille translucide. « Vous voulez bien acheter mon âme ? »

L’Étranger n’a pas d’argent, mais l’homme lui propose de lui offrir son âme.
« Mais que ferais-je d’une âme ? Je ne sais même pas ce que c’est…
– Vous n’avez pas d’âme ? Quel bonheur ce doit être… S’il vous plaît, prenez la mienne, faites-en ce que vous voulez, je voudrais juste m’en débarrasser… Vous avez l’air tellement heureux sans âme, j’aimerais être comme vous…
– Si c’est pour vous faire plaisir, donnez-la moi. Mais qu’est-ce que j’en ferai ?
– Elle est tellement sale, elle a tellement été souillée, faites-en ce que vous voulez, je m’en fiche. »

Il salue l’Étranger d’un coup de chapeau, et disparaît.
J'écris des mini-JdR par dizaines !
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