[CR] Des nouvelles d'Itras By

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Arkham
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Arkham »

Chouette épisode encore une fois!

Itras By est en promo en PDF sur DTRPG, j'avoue que j'ai craqué :D
The most important aspect of a story is how it affects the characters in it, not whether the characters manage to save the world in the end.
Jeepform rpg piece of cake
Emöjk Martinssøn
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Re: [CR] Des nouvelles d'Itras By

Message par Emöjk Martinssøn »

Et tu as bien fait :D

La fin se rapproche, l'épisode 14 est déjà en ligne sur le blog de La partie du lundi et l'ultime épisode devrait l'être dans une quinzaine de jours maximum...
J'écris des mini-JdR par dizaines !
Emöjk Martinssøn
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Message par Emöjk Martinssøn »

Acte 14 - Le Ménage de printemps

Prologue
Quelque temps plus tard…

C’est à présent le printemps à Itras By. La ville est encore en bazar : des immeubles sont reconstruits, des palissades et des chantiers bourgeonnent un peu partout. Beaucoup de bâtiments sont en ruines, et beaucoup de gens sont à la rue, ou logeant chez leurs proches. Ida Jerricane, elle, loge dans le nouvel immeuble de Martin Poicreux ; comme il est à présent assisté de trois orphelins, et qu’Ida n’a pas encore trop de retard de loyer, elle n’a pas à autant aider qu’auparavant.

Un matin, en ouvrant sa porte, elle trouve un tableau contre sa porte, accompagné d’une enveloppe où il est écrit : « Pour Ida ». Elle contient un mot d’Amandine : « Le cœur d’une mère est un abîme, au fond duquel se trouve toujours le pardon. Amandine Bonheur ». Le tableau, lui, représente Ida sur la scène d’un cabaret, entourée des bananes. Autour, on voit la ville : monsieur Crane sur un escalier en apesanteur, en train d’endormir le Dieu Machine en arrière-plan ; la tour de la Lune, que Cléanthe, Jonas et l’Étranger gravissent, poursuivis par des bananes ; et tout au fond du tableau, sur les collines où habitent les notables de la ville, un homme bien mis, aux cheveux poivre et sel, sur son balcon, regarde directement la spectatrice.

Ida, en ce moment, cherche du travail ; elle assiège tous les établissements susceptibles de recevoir quelqu’un de sa qualité, c’est-à-dire pas beaucoup puisqu’ils ont presque tous été détruits pendant la tempête, mis à part La Part du Diable, peut-être…

Monsieur Crane, lui, flotte dans un état second depuis les événements de la tempête. Continuant son escalier, il s’est construit une tour, au sommet de laquelle il enfile les verres de whisky-qui-aurait-pu-être, repensant à la révélation que lui a faite Itras sur son origine. Au fond du verre lui viennent des visions d’une existence idéale, de plus en plus précises : une cité d’Itras moins absurde.

Plus rien n’a de sens : ni lui, ni la cité d’Itras, ni ses habitants… et puisque ses pouvoirs lui permettent de changer les choses, il ne se gêne pas, en commençant par les plus légers détails (pour s’échauffer). Et quand il sera prêt, il faudra s’occuper de l’Entité Noire, à présent qu’Itras n’est plus…

On sonne soudain en bas de sa tour, interrompant ses rêveries : passant la tête par les créneaux, il aperçoit une silhouette encapuchonnée à la façon des adorateurs de Nindra. Il descend les escaliers, et va ouvrir à Frère Matteo. Ce dernier a un mouvement de recul, autant parce que monsieur Crane empeste l’alcool qu’à cause de la vision de sa main ectoplasmique.

« Monsieur Crane ! Je venais prendre vos nouvelles, cela fait un moment que vous ne venez plus à nos réunions…
– Oui, excusez-moi, je… J’avais besoin de réfléchir un peu à tout ça… Alors, les sacrifices, ça se passe bien ?
– Je dois vous dire que de grandes choses se profilent pour nous autres. Vous avez dû entendre parler de ce qu’il s’était passé au couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras ? Vous savez, depuis le départ d’Itras, il paraît que tout part à vau-l’eau au couvent… La Sœur Supérieure a bien du mal à tenir ses fidèles ! Et c’est pour cela que je viens vous voir : la rumeur de la ville nous a colporté votre… Enfin, vos… Euh, votre état actuel… Et on se disait que peut-être, vous pourriez…
– Mais oui, absolument ! Mais vous savez, mes pouvoirs marchent beaucoup mieux quand j’ai une vue dégagée.
– Vous voulez que je vous amène chez le coiffeur ?
– Non. Le mieux, c’est de me dire quand l’attaque se fait, et je m’en occuperai depuis ma tour. Ce que je vais envoyer dans la figure des nonnes, elles vont le sentir passer, je vous le dis.
– Vous… Vous êtes sûr de bien viser, monsieur Crane ?
– Absolument. Je ne rate jamais ma cible. Regardez ! »

Monsieur Crane fait un geste vers un immeuble non loin, qui s’écroule aussitôt.

« Euh, très bien…
– Ahah ! Vous avez vu comme il est tombé !
– Je… Je vais vous laisser, du coup… On vous enverra… quelqu’un…
– Très bien, et gloire à Nindra. Vous serez au sacrifice de ce midi ?
– Mais bien sûr, je n’en rate aucun !
– J’irai peut-être faire un saut…
– Oui… Ça vous ferait du bien de voir des gens…
– C’est que je suis occupé, avec la ville à reconstruire… à déconstruire… Enfin, c’est un peu pareil. »

Scène 1 : « C’est pas dangereux, ce qu’on s’apprête à faire ? »
Au couvent, c’est en effet un peu le bazar : le bâtiment, bien qu’ayant souffert pendant la tempête, est toujours debout, mais en y revenant, sœur Augusta a retrouvé sœur Vestine, morte à côté de la caisse de la boutique de souvenirs. De plus, une rumeur court selon laquelle Itras serait revenue en ville, avant de décider de la quitter. Cela vaut-il alors encore la peine de l’adorer ? La ville va-t-elle continuer à exister ? Ne vaudrait-il pas mieux arrêter de prier, enlever ces robes de bure qui grattent, et profiter un peu de la vie ? Sœur Augusta fait bonne figure devant ses consœurs (« Si Itras est venue deux fois, elle peut revenir une troisième… »), mais tout cela lui pèse et elle aspire, elle aussi, à un peu de tranquillité… La seule chose qui l’aide à tenir, c’est qu’elle a rajeuni d’une vingtaine d’années depuis qu’elle a pris la charge.

Mais sœur Augusta trouve surtout un peu étrange la mort de sœur Vestine, et décide de décider d’invoquer son esprit en demandant de l’aide à sœur Noëlle, spécialisée en nécromancie et jusqu’à récemment interdite de pratique. Sœur Noëlle accepte avec joie de se mettre à l’ouvrage après le couvre-feu : elle est un peu rouillée, mais tout devrait bien se passer…

Le soir même, sœur Augusta retrouve sœur Noëlle dans sa cellule : le lit a été poussé contre le mur, il y a des signes étranges par terre écrits avec une substance douteuse, des bougies un peu partout, et le corps de sœur Vestine par terre.

« Sœur Augusta, dit sœur Noëlle d’une voix artificiellement solennelle. Je vous attendais. Prenez place dans le cercle. Votre esprit est apaisé ?
– Euh… Oui ? C’est pas dangereux, ce qu’on s’apprête à faire ?
– La nécromancie est toujours dangereuse. On ne dérange pas les esprits impunément. Bien, concentrons-nous… Pensez très fort à sœur Vestine. Pensez à un détail d’elle, en particulier. »

Sœur Augusta pense automatiquement à son odeur de cigare.

[Je demande à Clémence de tirer une carte « Résolution ». Pierre lit : « Oui, mais seulement si… Vous pouvez avoir ce que vous voulez, mais seulement si vous êtes prête à faire un sacrifice ».]

Avant, c’était la vitalité de sœur Noëlle qui servait à ramener les morts ; mais elle est un peu rouillée et sœur Augusta comprend qu’il va lui falloir de l’aide pour accomplir tout à fait le rituel. Sœur Noëlle commence à tourner de l’œil, ne parvenant plus à contrôler combien de sa propre force elle met dans le corps de sœur Vestine. Sœur Augusta s’interpose immédiatement et place ses mains sur celles de sœur Noëlle, qui tourne de l’œil : des rides y apparaissent et une chape de fatigue lui pèse soudain lourdement sur le dos. Sœur Vestine ouvre alors les yeux et se relève en reprenant son souffle.

« Sœur Vestine ? lui demande sœur Augusta. Vous vous rappelez de moi ?
– Sœur Augusta ? Mais c’est pas possible… Qui est devenue sœur supérieure ?
– Eh bien, c’est moi !
– Mais vous êtes vieille !
– Écoutez, ne vous tracassez pas pour ça. Pouvez-vous simplement me dire si vous vous souvenez de quelque chose, juste avant votre mort ?
– Oui !! C’est cette peste, cette saltimbanque ! La pire de toutes ! Cette orpheline… Nous n’aurions jamais dû la recueillir… Elle m’a dit… des choses que je ne peux pas répéter ! Elle m’a dit… d’aller me faire voir, moi et toutes les sœurs !
– Et c’est ça qui vous a tuée ?
– Elle ne l’a pas dit en ces termes ! Elle y est allée très fort… À mon âge, j’aimerais bien vous y voir… Cette Jerricane, si je la recroise… Et pourquoi je ne la recroiserais pas, d’ailleurs ?
– Sœur Vestine, restez assise ! Vous allez très vite vous rendormir, et…
– Mais pas du tout ! Je suis revenue à la vie, ce n’est pas pour me rendormir aussitôt ! Je veux en profiter ! Je n’en ai jamais eu l’occasion… Il est temps de vivre un peu !
– Sœur Noëlle, c’est temporaire ce rituel ? Sœur Noëlle, réveillez-vous ! Bon, euh… Sœur Vestine, vous ne voulez pas au moins passer la nuit ici, et on en reparle demain matin ?
– Certainement pas ! D’ailleurs, puisque je suis morte, je ne suis plus tenue par mon serment de sœur, et je quitte ce couvent ! »

Sœur Vestine sort de la chambre et se dirige vers l’entrée du couvent, accompagnée de cris d’épouvante à mesure que les autres sœurs l’aperçoivent. Sœur Augusta interpelle l’une des sœurs plaquée contre un mur du couloir, le visage blanc de peur : « Pouvez-vous me dire quel âge j’ai, ma sœur ?
– Sœur Augusta, c’est bien vous ? Que vous arrive-t-il ? Vous avez croisé le fantôme, vous aussi ?
– Euh, oui, je… Je l’ai vu…
– Vous avez vraiment mauvaise mine ! On dirait que vous avez vieilli de 60 ans au moins ! Vous ne voulez pas vous asseoir ? À votre âge, être debout en pleine nuit ?
– C’est vrai… Merci beaucoup… »

Plusieurs sœurs approchent, un air soucieux sur le visage, au petit soin pour leur supérieure à présent très âgée. Elles la ramènent au lit en lui parlant très fort, et sœur Augusta se laisse faire, effectivement très fatiguée.
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Emöjk Martinssøn
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Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 2 : « Le temps est magnifique, c’est parfait pour acquérir une âme »
Depuis sa sortie de la tour de Nindra, Cléanthe a erré dans Itras, s’appliquant à sentir chaque bourgeon de fleur naissante et se disant qu’il finirait par tomber sur Amandine par hasard. Il lui annoncerait alors la bonne nouvelle : elle allait devenir sa promise, et aurait le droit de ne pas vivre dans un placard. Ce n’est pas encore chose faite ; Cléanthe a pour l’instant surtout croisé beaucoup de loubards, habillés de vêtements en lambeaux et maquillés avec de la suie, qui écrivent des slogans rageurs sur les murs de la cité, signés « Jonas ». Cela lui met à chaque fois du baume au cœur.

Après quelque temps, Cléanthe croise une silhouette qu’il lui semble connaître, même s’il ne l’a jamais vue : un grand homme, à l’air plutôt jovial, vêtu d’un pardessus visiblement trop petit pour lui, vient vers lui à grandes enjambées.

« Bonjour monsieur ! Vous ne sauriez pas où je pourrais acheter une âme, par hasard !
– Bonjour ! Il se trouve que j’en ai une sur moi !
– C’est merveilleux ! Vous comprenez, j’ai récemment perdu la mienne, et il me semble que je devrais quand même en avoir une !
– Monsieur, vous êtes arrivé au bon endroit, au bon moment. Regardez : le temps est magnifique, c’est parfait pour acquérir une âme. Voici le flacon !
– Mais… C’est la mienne ! Comment cela se fait-il ?
– Oh, le temps est à la coïncidence, c’est tout ! Ne vous posez pas de questions et prenez-la ! C’est gratuit, je ne vous demande rien en échange ! Sauf une chose : soyez heureux !
– Eh bien vous pouvez compter sur moi ! »

L’homme avale d’un trait le contenu du flacon, et ses traits s’affaissent brutalement. On dirait qu’il rétrécit, et qu’il devient plus maussade.

« Ça va beaucoup mieux… Merci, monsieur… C’était effroyable de ne pas avoir d’âme, d’être à la merci de mon bonheur… Depuis que mes reflets se sont enfuis avec ma bouteille, j’étais heureux tout le temps, c’était insupportable… Au moins, à présent, je peux être heureux quand je le décide.
– C’est une bonne chose.
– Vous n’en auriez pas croisé d’autres, par hasard ?
– Des gens un peu petits, avec des pardessus un peu trop grands ? J’en ai croisé un certain nombre, oui… Je crains que les âmes aient été disséminées aux quatre coins de la ville. Je peux déjà vous indiquer qu’il doit y en avoir plusieurs sur une étagère dans le bureau de Jeff l’Usurier. La nouvelle personne a l’air plus accommodant.
– Parfait, j’y trotte…
– Ah, en revanche, j’ai bien peur qu’une partie de votre âme soit tombée dans le puits de Nindra… Mais là aussi, je connais la bonne personne pour vous aider ! Prenez cette carte. Monsieur Crâne est un ami, allez le voir de ma part.
– Merci… Je ne vous retiens pas plus longtemps, d’autant plus qu’il semble que ce monsieur veuille vous parler.

– Francis ! Vous n’avez pas une arme blanche sur vous, hein ?
– Oh non, monsieur Brumaire ! C’est fini, tout ça. C’était une période de ma vie sur laquelle il n’est nul besoin de revenir.
– Fort bien. Alors, comment vous portez-vous ? Vous êtes toujours dans ma maison ?
– Oui, justement ! Vous avez encore beaucoup d’affaires dans le manoir… Et voilà, mon épouse et moi-même… Euh… Nous aimerions que… Enfin, j’ai mes propres affaires, vous voyez… Et donc, euh… Comment le dire avec diplomatie… Faudrait reprendre votre bordel, quoi. On n’en veut plus.
– Ah ! Euh, très bien. Je passerai demain matin pour débarrasser tout ça. Sinon, ça va ? Vous ne m’en voulez pas ? Je vous ai un peu volé votre femme et votre maison, quand même…
– Et vous en êtes satisfait ?
– Ah oui, tout à fait ! La maison n’est pas terrible, mais la femme est vraiment bien.
– Grand bien vous fasse ! C’est parfait !
– Et puis bon, comme vous n’avez plus d’existence légale, on s’est dit que ce n’était pas la peine de vous convoquer pour vous faire signer le transfert de propriété…
– Oh, je l’aurais signé de toute façon… Mais c’est très bien, vous avez pris les devants. C’est une nouvelle vie, Francis ! Vous êtes un homme d’initiative, à présent !
– Du coup, si vous passez devant la maison, ne vous étonnez pas : il y a une tombe à votre nom, mais légalement, on était obligés…
– Aucun problème. Elle est bien au nom de Cléanthe Brumaire ? Quelque part, ça reflète la réalité. Cléanthe Brumaire est mort en mer. Je suis désormais Cléanthe Bonheur : costume blanc, vous voyez ?
– Ah, d’accord ! Je me disais bien que vous aviez quelque chose d’effrayant. »

Scène 3 : «Vous fuyez votre foyer, monsieur Brumaire »
En sortant de chez elle, l’adresse d’un imprésario sous le bras, Ida tombe sur un grand individu ressemblant à Cléanthe Brumaire, les cheveux un peu sales, habillé tout en blanc, en train de sentir des fleurs et de déclamer de la poésie.

« Cléanthe !! s’exclame-t-elle. Cléanthe Brumaire !
– Je vous connais, vous ! Mais oui, vous êtes cette artiste fabuleuse !
– Ah, enfin quelqu’un qui reconnaît mon talent !
– Mais bien sûr ! Vous êtes celle qu’Alfred a quittée ! Le malotru, il n’aurait jamais dû.
– De toute façon, Alfred est désormais décédé…
– Excusez-moi, j’avais oublié. Mais vous savez ce qu’on dit : “un de perdu, dix de retrouvés” !
– Mais vous allez pas faire comme Amandine et essayer de me caser avec tout ce qui passe, vous aussi !?
– Ah, je ne vais rien essayer du tout ! C’est à vous de faire un petit effort. Regardez ! Le monde est en fleur, il y a des gens plein la rue ! Regardez ces braves jeunes gens qui ne demandent qu’à vivre une histoire d’amour…
– Eeeeeeeeh, t’as pas un sou ?? beugle un mendiant crasseux un peu plus loin.
– Brave homme ! Je n’ai que ça, mais tenez.
– Mais c’est d’la merde, ça ! J’veux du fric ! Toi, là, t’as pas du fric ?
– Vous savez jouer de la guitare, monsieur ? lui demande Ida.
– Ouais, bien sûr, ouais…
– La chance frappe à votre porte… murmure Cléanthe.
– Eh bien donnez-moi votre carte, et je vous recontacte dès que j’ai un programme pour un numéro… Mais j’allais dire quelque chose à monsieur, vous permettez ? Monsieur Brumaire.
– Ida Jerricane, c’est ça ! Vous êtes la mère biologique de ces merveilleuses bananes !
– C’est ça. Figurez-vous que je me pose une question : vous étiez censé retrouver Amandine pour vous occuper ensemble d’elles, et je vous trouve tout seul dans la rue, baguenaudant le nez au vent. C’est comme ça que vous comptez entretenir une famille ?
– Mais c’est vrai que je baguenaude, ma foi ! Parce que mes pas me portent vers Amandine ! Présentement ! Dans les jours qui viennent ! Quand l’opportunité se présentera ! Si ça se trouve, elle est au coin de la rue !
– Vous fuyez votre foyer, monsieur Brumaire. Je vous connais, vous êtes tous pareils ! Ça dit que ça va chercher des clopes et ça revient jamais ! Elle n’est pas au coin de la rue, monsieur Brumaire, et vous le savez très bien ! Vous êtes en train de fuir !
– Certainement pas. Je cherche un foyer à mon foyer, plutôt.
– Ah, vous cherchez un appartement ? Tenez, entrez au 4bis, parlez de ma part au propriétaire, il a actuellement quelque chose à louer. Ce sera un peu petit pour tout le monde avec les bananes, mais je sais qu’Amandine saura s’épanouir et s’exprimer dans un tel logement !
– Ce sera parfait, ma foi. Je dirai que je viens de votre part.
– Tout à fait, et comme ça, je vous aurai à l’œil…
– Vous voyez, vous êtes la voie qui me mène à mon nouveau foyer. C’est merveilleux.
– Mais je vous préviens ! Si je vous trouve avec une autre radasse à l’étage d’en dessous, ça va très mal se mettre, monsieur Brumaire ! Parce qu’Amandine, elle a l’air bien accrochée, et il est hors de question que vous lui fassiez du mal. Vous avez compris ?
– Madame Jerricane.
– Mademoiselle.
– Mademoiselle Jerricane, je suis parfaitement heureux avec Amandine, et…
– Manifestement non, puisque vous n’êtes pas avec elle !!
– Mais que vous êtes possessive, ma foi ! Comme si le bonheur ne pouvait pas se vivre aussi à distance !
– Le coup du bonheur à distance, on me l’a fait plusieurs fois, monsieur Brumaire. Et je vous assure que quand vous êtes la distance, ce n’est pas du bonheur.
– Ma chère, vous avez dû vivre de sales épreuves…
– Ah non, pas le coup de la compassion, en plus !
– Tenez, prenez un peu de ce flacon de violette !
– C’est vrai que ça sent bon… Bref : 4bis, monsieur Poicreux, de la part de Jerricane, au 3e.
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Emöjk Martinssøn
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Scène 4 : « C’est la violette, ça fait ce genre de choses »
– Vous ! crie quelqu’un. Ida ! Enfin je vous retrouve ! »

Un homme entre deux âges, extrêmement bien mis, s’approche d’Ida et de Cléanthe. Ida reconnaît en lui l’homme qui était au fond du tableau.

« Oui, c’est moi ! dit-elle. J’ai eu un petit accident de carrière, vous devez être au courant… Ma loge a brûlé au Lilith, ça a été très désagréable…
– Oui, je…
– … et puis j’ai perdu mon partenaire de numéro qui était un guitariste de grand talent, mais…
– Mais oui, c’est…
– … et ensuite, j’ai été au phare, où j’ai fait un numéro éphémère mais assez ébouriffant…
– Oui, et…
– … et il se trouve que j’ai ensuite pris un peu de temps de retrait, pour me ressourcer un petit peu…
– Mais oui, mais…
– … pour revenir sur mon enfance, et j’ai quelque part fait la paix avec moi-même. Je peux à nouveau reprendre pied dans la scène artistique d’Itras.
– Mais oui, justement ! Si vous saviez l’argent que j’ai dépensé pour vous retrouver ! Depuis que je vous ai vue sauter de cette fenêtre d’un air si gracieux, je me suis dit : “Il me faut cette artiste !”. Et le spectacle que vous aviez donné à la nuit de Murlon, c’était, je me permets de vous le dire, bouleversant !
– J’en étais assez fière moi-même, sourit Ida.
– Mais je ne me suis pas présenté ! »

L’homme sort une carte embossée en argent, sur laquelle est écrite en lettres cursives « Jeremy Finkelton, noble ».

« Jeremy Finkelton ?
– Oui, c’est moi. Et je suis à la recherche d’une femme comme vous, madame Jerricane. J’ai besoin de monter un spectacle, et je pense que vous êtes la personne idéale pour tenir le premier rôle.
– Magnifique ! Monsieur Finkelton, je suis à vous !
– Mais c’est parfait ! Bonjour, monsieur, dit Finkelton à Cléanthe.
– Bonjour. Vous êtes extrêmement élégant, monsieur.
– Merci. Bien, écoutez, je vois que vous êtes… avec des… gens… Passez chez moi, l’adresse est sur la carte, et nous parlerons de tout cela tranquillement. Mais faites vite : ce désir brûle en moi depuis longtemps, et maintenant que je le touche du doigt, c’est… Ah, c’est merveilleux !
– Avec plaisir. Vous ne le regretterez pas, monsieur…
– Finkelton. J’en suis persuadé. Excellente journée à vous ! »

Finkelton lève la main et un cocher arrive aussitôt au galop ; il monte dans une magnifique calèche, tirée par de somptueux chevaux sur lesquels le soleil étincelle, et disparaît.

« Alors moi c’est Jeannot, reprend le petit homme sale qui attend toujours à côté d’Ida. J’ai mis mon adresse.
– Merci Jeannot… Nous vous rappellerons…
– OK… Sinon, t’as pas une p’tite pièce ?
– Non, désolée…
– Toi non plus ?
– Non…
– Bourgeois ! »

Il crache un vieux mollard aux pieds de Cléanthe et s’éloigne jusqu’au bout de la rue : il grimpe dans une poubelle et remet le couvercle par-dessus sa tête.

« C’est la violette, dit Cléanthe, ça fait ce genre de choses !
– C’est vrai ? Vous m’impressionnez, monsieur Brumaire !
– Je suis content qu’on vous témoigne la reconnaissance que l’on vous doit en tant que grande artiste. Vous avez fait beaucoup de sacrifices : vous vous êtes séparée de votre famille, vous avez fait une grande carrière, et maintenant que la renaissance d’Itras arrive, enfin on vous reconnaît à votre juste valeur !
– La renaissance d’Itras ?
– Le printemps, quoi.
– Ah oui, ça ! Comme tous les ans, en somme !
– Oui ! C’est ça qui est formidable ! Bon. 4bis, c’est ça ? Je connais monsieur Poicreux, je m’en vais le saluer avant de… Mais Ida ! Avant toute chose, accepteriez-vous de me rendre un service, à moi et à Amandine ?
– Elle a besoin d’un service ? Dites toujours…
– Voilà, il faut que je vide ma maison. Maintenant que Francis est installé avec mon épouse, il veut installer ses affaires, et je dois débarrasser les miennes… Et j’en ai vraiment beaucoup…
– Vous cherchez un garde-meuble ?
– Pas du tout ! Je n’ai besoin de rien, tant que j’ai Amandine ! Je cherche quelqu’un pour m’aider à organiser une brocante !
– Oh, j’adore ça !! C’est magnifique, je prends tout en charge ! Ne vous inquiétez pas, je m’en occupe !
– Parfait ! Je vais voir monsieur Poicreux ; avec un peu de chance, je dors dans l’appartement ce soir ; je vais pouvoir prendre un bain ; et demain nous allons à ma maison faire ma brocante !
– Magnifique !
– Parfait ! »

Scène 5 : « Et si on disait que maintenant pour être adorateur de Nindra il faudrait avoir huit membres ? »
Monsieur Crane regarde dans la direction du couvent, décidé à en fragiliser les fondations, ainsi que le point d’entrée que choisirait une armée pour y frapper. Ainsi, il pourrait à la fois se débarrasser des sœurs et des adorateurs… Au loin, il voit une sœur qui sort en gesticulant et essaye d’attraper des passants dans la rue pour les embrasser. Des gardes gris finissent par approcher et l’emporter au poste. Il voit aussi Cléanthe et Ida discuter en pleine rue, ce qui l’émeut : ils croient encore en la vie et le bonheur, s’ils savaient…

Une fois les fissures créées où il le souhaite, monsieur Crane se rend au sacrifice du midi dont son confrère lui avait parlé plus tôt. Les caveaux des adorateurs de Nindra sont plongés dans la pénombre, comme à chaque sacrifice, et des murmures circulent, jusqu’à ce que quelqu’un lance : « Ça y est, il est arrivé ! ». Des bougies s’allument alors partout et tous les adorateurs de Nindra font un demi-cercle autour de monsieur Crane, derrière qui la porte se ferme. Le comptable des adorateurs s’avance.

« Monsieur Crane, enfin vous êtes venu !
– Oui, j’étais très occupé à lutter contre nos ennemis.
– Oui oui, nos ennemis… Bon, je dois vous avouer quelque chose : il n’y a pas de sacrifice aujourd’hui. Nous sommes tous ici réunis pour votre bien, monsieur Crane. »

Pour toute réponse, monsieur Crane liquéfie une araignée non loin.

« Calmez-vous ! Nous sommes tous vos amis, et…
– Je dois vous avouer que c’est pas vraiment l’impression que ça me fait.
– Bien. On s’était dit que vous pourriez vous asseoir dans ce fauteuil…
– Je préfère rester debout.
– Bon… Nous avons… Nous sommes plusieurs à nous préoccuper de votre état… On tient beaucoup à vous, monsieur Crane, et si vous le permettez, j’ai préparé un petit mot… Je vais vous le lire, et ensuite ce sera à frère Mattéo…
– Vous voulez finir comme cette araignée, mon bon ami ? Vous êtes pressé de rejoindre Nindra ?
– Vous me posez des questions difficiles, monsieur Crane, car selon notre crédo, nous souhaitons tous ressembler à l’araignée, et rejoindre Nindra est ce que nous désirons le plus chèrement au monde, mais d’un autre côté… »
Monsieur Crane lui liquéfie une main pour le faire taire.

[Je demande à Pierre de tirer une carte « Résolution ». Clémence lit : « Le conflit empire ! La tension monte alors que le conflit, le problème ou les enjeux montent d’un cran ».]

Ignorant les cris de douleur de son collègue, monsieur Crane remarque soudain que l’araignée dont il s’était occupée est réapparue, et qu’il y en a à présent deux. De même, deux mains repoussent au poignet du comptable. Les frères se regardent et commencent à chuchoter entre eux.

« Mais oui ! finit par s’exclamer frère Mattéo. Bien sûr ! Il faut que vous nous liquéfiez tous ! Comme ça, on sera deux fois plus pour attaquer le couvent !
– Vous voudriez pas plutôt ressembler à des araignées pour vous rapprocher de Nindra ?
– Oui… Si vous voulez…
– Et si on disait que maintenant, propose un frère, pour être adorateur de Nindra il faudrait avoir huit membres ?
– Ouais, c’est une bonne idée ! renchérit un autre.
– Bon, reprend le comptable, ne nous emballons pas. Nous allons faire la queue. Je suis sûr que frère Crane saura s’occuper de nous tous ! Vous êtes sûr, frère Crane ? Ça va pas trop vous fatiguer ?
– Écoutez, ce genre de transformation est un peu fatiguant… Qui sont les meilleurs guerriers ici ? Les plus forts ?
– Forts physiquement ? Parce que sinon, je suis très fort aux mots croisés, et…
– Je veux dire dans des domaines qui vont vous servir contre le couvent d’Itras !
– Bin, si on leur propose une compétition de mots croisés… C’est des sœurs, elles s’ennuient beaucoup dans leur couvent… Ou alors on pourrait les défier à l’aviron !
– Pas mal… Une course depuis le port et vers le large, alors…
– Euh, mais… Jusqu’où ?
– Justement ! répond mystérieusement monsieur Crane. C’est une compétition de courage ! Les premiers qui feront demi-tour auront perdu.
– Je sais pas pourquoi, mais ça me paraît une bonne idée. Monsieur Crane, vous allez nous multiplier les bras, et puis comme vous connaissez du monde, vous allez vous charger de l’organisation !
– Très bien », accepte monsieur Crane en reprenant un peu de whisky.

Monsieur Crane se met à l’ouvrage : tout ne se passe pas comme prévu, puisque les adorateurs n’avaient pas prévu que le processus ferait atrocement mal, mais les choses sont en route.
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Scène 6 : « Souvenez-vous, sœur Augusta, c’est la foi qui compte, pas les muscles »
Le lendemain matin, sœur Augusta se réveille un peu plus en forme.

« Sœur supérieure, un adorateur de Nindra est à notre porte ! » lui annonce une consœur en la secouant. « Il demande à vous parler ! Un certain Crane, je crois. »

Sœur Augusta se lève, percluse de courbatures, enfile sa robe et fait sa toilette avec difficulté, puis se rend jusqu’à l’entrée en s’appuyant sur un bâton appartenant autrefois à sœur Vestine. Tout cela prend bien une demi-heure.

« Bonjour, monsieur Crane ! C’est pour quoi ?
– Sœur Augusta ! Comment allez-vous ?
– Oh, je me suis sentie mieux… J’ai pris un petit coup de vieux…
– Bon… Vous savez, cette histoire de guerre de religion… J’ai trouvé une idée pour régler ça définitivement. Vous verrez que le mot est bien choisi. Puisque la religion est avant tout une question de foi, nous allons pouvoir mesurer qui de nous deux a la plus grande conviction. Ça vous paraît censé, n’est-ce pas ?
– Oui, à peu près… Mais je ne vois pas comment vous allez faire cela…
– Grâce à une compétition d’aviron. J’ai eu l’idée d’un dispositif révolutionnaire. »

Monsieur Crane a l’air complètement ivre, mais sa proposition semble sérieuse. Sœur Augusta jubile intérieurement : elles vont les écrabouiller.

« Vous avez une grande salle dans votre couvent ?
– Oui, bien sûr !
– J’ai inventé un dispositif de retransmission en direct des images. J’ai appelé ça la Panavision. C’est un don de Nindra. Mais vous, comme vous êtes la sœur supérieure, je vous convierai à regarder cela depuis ma tour. Et toutes les sœurs et disciples qui ne participeront pas à la compétition assisteront à la retransmission depuis la salle de votre presbytère. La compétition aura lieu dans le port : le premier équipage qui fait demi-tour démontrera son manque de foi !
– D’accord, mais… Y aura-t-il des gardes-cotes pour accompagner la course ? Parce que ça peut aller loin, sinon…
– La foi suffit, non ?
– Oui, certes… Bon, j’accepte, à condition que la Panavision soit aussi retransmise au poste de police voisin.
– Super ! Vous allez rencontrer mon équipe de huit champions ! Venez les gars ! »

Huit adorateurs baraqués, dotés chacun de quatre bras et quatre jambes, s’approchent maladroitement (ils ont encore un peu de mal avec la coordination).

« Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ?!
– Ils ont été touchés par la grâce de Nindra !
– Voilà qui ne va pas nous faciliter la tâche… Mais j’ai quand même confiance en mes sœurs.
– Souvenez-vous, sœur Augusta, c’est la foi qui compte, pas les muscles.

Scène 7 : « Ma chère, nous allons organiser une réconciliation lors de cette brocante »
Cléanthe, après avoir réussi à faire croire à Martin Poicreux qu’il avait assez d’argent pour lui payer un loyer, sort de l’immeuble et constate avec un sourire satisfait qu’Ida a employé les orphelins du logeur pour distribuer des prospectus dans tout le quartier et faire la réclame de la brocante. En échange, les orphelins lui remettent d’autres tracts, que leur ont donné « des gens avec plusieurs bras », qui font la réclame d’une grande course d’aviron entre les adorateurs de Nindra et le couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras.

« Regardez ça, Ida !
– On gagnerait sans doute à déplacer la brocante sur le port…
– C’est une excellente idée ! Si jamais sœur Augusta concourt, on pourra l’encourager.
– Ah, il y aura sœur Augusta ? Euh… On devrait peut-être organiser la brocante à votre domicile, alors…
– Ida, vous avez eu une idée géniale, pourquoi revenir dessus ? Vous n’avez pas encore confiance en vous, ma petite…
– C’est pas ça… C’est plus que j’avais pas tout le contexte…
– Vous avez un problème avec sœur Augusta ?
– Non. Pas du tout. Enfin… Je sais pas si Amandine vous l’a dit, mais… Quand j’étais plus jeune, j’étais orpheline au couvent d’Itras. Et vous savez, c’était pas la joie tous les jours, monsieur Brumaire.
– Oui, j’ai eu l’occasion de rencontrer quelques enfants qui en sortaient… Néanmoins, je puis vous assurer une chose : c’est que sœur Augusta est une bonne personne. Je l’ai rencontrée plusieurs fois et je peux vous assurer qu’il n’y aura pas de problème avec elle. D’ailleurs, ma chère, nous allons organiser une réconciliation lors de cette brocante.
– Mais pourquoi tout le monde veut me réconcilier avec mon passé…
– Je ne vous réconcilie pas avec une période ! Je vous réconcilie avec une personne qui en vaut la peine. La période qui m’importe, c’est le présent. Vous n’êtes pas de cet avis ?
– Si…
– Allez ! Avec les gains de la brocante, on fera un grand repas, et on mangera tous ensemble, et ce sera magnifique ! »

Ida finit par accepter. Elle donne aux orphelins les directives sur comment organiser les lots, comment mélanger un truc pourri avec un truc qui en vaut la peine pour que les gens n’achètent pas que ce dont ils ont besoin, comment tout ça va être transporté au port, et elle part voir Jeremy Finkelton.

Un fiacre l’attend justement en bas de son immeuble, conduit par un magnifique alezan noir et un cocher en livrée avec des gants blancs. Sur la porte du fiacre, les lettres « JF » sont entremêlées. Alors que les rues d’Itras sont plutôt cahoteuses, le voyage est parfaitement lisse, et le fiacre glisse jusqu’aux beaux quartiers, à la périphérie de la ville, là où il n’y a que de beaux manoirs.

Un immense jardin parsemé de centaines de fleurs surplombe la plus grande demeure de toutes, celle de Finkelton. Un deuxième majordome ouvre la porte du fiacre, un troisième celui de la maison, un quatrième lui offre à boire : ils ont tous la même tête.
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Scène 8 : « Ida Jerricane ne peut pas être autre chose qu’Ida Jerricane »
Ida est à peine assise depuis une minute, en train de regarder les immenses bibliothèques du salon où elle se trouve et les tableaux de maître accrochés aux murs (ainsi qu’un daguerréotype de son spectacle de la nuit de Murlon) ; ou plutôt, au bout d’une minute pendant laquelle elle essaye toutes les positions assises, sans trouver celle qui la mettrait le plus à son avantage, Jeremy Finkelton jaillit dans la pièce et lui fait immédiatement un baise-main.

« Quel plaisir, mademoiselle ! Je suis ravi. Ça va, vous avez trouvé facilement ? Vous voulez quelque chose à boire ? À manger ? Une chanson ? Ah, vous voulez peut-être que des jongleurs nous distraient pendant notre conversation ?
– Si vous voulez… »

Finkelton tape dans ses mains : aussitôt, deux jongleurs, l’air exténué, se traînent dans le salon et commencent à jongler.

« Qu’est-ce que vous en pensez ? C’est pas terrible, je sais… Mais bon, c’est tout ce que j’ai trouvé… Allez, allez vous-en ! Vous nous gênez ! Bien. Mademoiselle Jerricane. Voilà, pour le spectacle…
– Oui ! Vous avez parlé de premier rôle ?
– Oui ! Il faut que vous ayez le premier rôle, c’est indispensable ! Dites-moi, au niveau projection de flammes, vous atteignez quelle distance en moyenne ?
– Écoutez, j’ai souvent été en espace clos, donc je n’ai pas vraiment de notion de mes propres limites…
– Dans ce cas, passons au jardin ! Nestor, vous nous apporterez une bouteille de… kérosène ?
– De Père Shade, plutôt.
– De Père Shade, très bien ! Prenez la bonbonne à la cave. »

Finkelton saisit délicatement le poignet d’Ida et l’entraîne dans le jardin de derrière, encore plus grand que celui de devant.

« Nestor ? Vous installerez des cibles, s’il vous plaît. Et la bonbonne ici, pour mademoiselle Jerricane. Avec une paille. Et la jarre avec les torches, là. Mademoiselle, vous êtes prête ? »

Ida sort son briquet fétiche, fait claquer une ou deux fois le capot, et fait cramer la première cible à quinze mètres sans problèmes. La deuxième, à trente, lui pose un peu plus de difficultés ; la troisième, à soixante, est simplement effleurée. Elle ne tente pas la quatrième.

« Bravo, bravo ! C’est fantastique, s’écrie Finkelton, c’est beaucoup plus que ce que j’imaginais ! Vous dépassez toutes mes espérances !
– Mais pourquoi vous aviez mis une quatrième cible, alors ?
– Quelles sont vos vues… Je vais me permettre d’être direct. Qu’est-ce que vous pensez de Nindra ?
– Personnellement, vous voulez dire ? Je… Oh, pfff… Ça dépend des jours ?
– Par exemple, imaginons de manière totalement hypothétique… Exercice de pensée… Imaginons que Nindra venait à disparaître, qu’est-ce que vous en penseriez ? Est-ce que… Non, je ne veux pas vous influencer.
– Écoutez, dans la mesure où ça ne bouleversera pas mon quotidien, et ça fera plaisir à un grand ami à moi…
– Oh oui !
– … je pense que j’en serai plutôt satisfaite. Ne serait-ce que parce qu’il ne va pas bien en ce moment. Je lui ai rendu visite plusieurs fois… Ah pardon, je pensais à deux grand amis à moi…
– Ah oui !
– … dont l’un ne va pas bien, et je pense que vraiment, ça serait lui rendre service.
– Vous avez un ami qui n’aime pas Nindra ?
– C’est pas une question d’aimer, c’est quand même son futur mari…
– Tiens donc.
– … mais la passion, comment dire, se dissout au bout d’un moment. Et on a envie de vivre sa vie aussi… Parfois, le mariage peut être un peu trop définitif.
– Et comment s’appelle cet ami ?
– Monsieur Crane !
– Nestor. Sortez tout ce qu’on a sur monsieur Crane. Je vois, je vois, je vois… Bon écoutez, très bien. On va repasser au salon, je vais vous montrer les croquis que j’avais en tête pour le spectacle. »

Sur le bureau du salon, Finkelton étale des dizaines de croquis et explique : « Pour commencer, j’avais pensé à une sarabande de danseurs, comme ça, tout autour de la scène… Pour l’accompagnement musical, je ne suis pas sûr : j’avais éventuellement pensé à demander à Tom, le chanteur, quelque chose comme… Ça me vient comme ça… “Mort à Nindra ! À bas Nindra !” Vous voyez, quelque chose de joyeux. Et puis ensuite, il y aurait un spectacle en ombres chinoises, et puis vous. Sur scène, au centre. Des tambours pour marquer le coup…
– Ça me paraît indispensable, sur un air comme ça…
– … et là, Nindra… Je veux dire une réplique en papier mâché de Nindra, n’est-ce pas, serait sur scène…
– Vous voulez que je fasse Nindra ? Vous savez, je sais pas si je pourrai être à la hauteur, parce que ça m’est arrivé au grand opéra de jouer un ange…
– Ah, mais…
– … mais j’ai raté la descente avec les ailes en fausses plumes, ça a été froissé…
– C’est-à-dire que…
– … du coup, j’ai pas pu terminer, alors que j’étais pourtant première figurante.
– En fait, non…
– Moi, ce qui me gêne, c’est le côté ”plusieurs membres”, vous voyez ?
– Oui, mais en fait, je pense que… Ida Jerricane ne peut pas être autre chose qu’Ida Jerricane. Vous êtes, au plus profond de vous, une Jerricane. Et ce que je vous propose, ce n’est pas d’être Nindra, mais plutôt de sublimer Nindra, en quelque sorte, en l’incendiant.
– Ah, ça !
– Oui, c’est un… euh… »

Il sort une petite carte de sa manche et la lit.

« C’est une déclaration artistique sur le non-sens de la vie, n’est-ce pas, et comment nous sommes nos propres limites. Voilà, c’est ça.
– C’est passionnant. Il faudra envoyer ce laïus aux critiques.
– Oui, oui, on fera ça… Ils seront nombreux dans la salle… Qu’est-ce que vous en pensez, alors ? Et puis donc ensuite, bien sûr, grand feu de joie, nous dansons tous autour en chantant quelque chose du style “Nous sommes libres ! Vive la vie !”, et puis c’est la fête. Qu’est-ce que vous en pensez ? Soyez franche. Je suis ouvert à toute critique.
– Alors sur certains détails, ça peut encore paraître légèrement vulgaire ou convenu, mais on peut travailler là-dessus. C’est un premier jet. Mais sur le fond, l’idée de base m’emballe complètement.
– Vous m’en voyez ravi, mademoiselle Jerricane. Alors évidemment, nous n’avons pas parlé du salaire, mais votre prix sera le mien. D’ailleurs, je le double immédiatement.
– C’est parfait.
– Je ne vous sens pas convaincue… Je vais le tripler.
– Magnifique, monsieur…
– Finkelton. Fort bien ! Bon, j’imagine que vous devez un peu vous entraîner… Je vais mettre tout ça en place, et je pense que d’ici… demain ? Après-demain ? Ça vous irait ?
– Pour une représentation finale ou pour un filage ?
– Alors, pour tout vous avouer, je pensais à une représentation unique… Ça créera l’événement.
– Sans filet ? J’ai toujours rêvé de faire ça !
– Demain 16h, alors ! Ça vous va ?
– C’est parfait ! J’ai une brocante dans l’après-midi, mais à quatre heures ce sera plié.
– Eh bien, je suis ravi ! Je vois que je ne me suis pas trompé. Surtout, mademoiselle Jerricane, économisez votre souffle, entraînez-vous, si vous pouviez aller jusqu’à 60 ce serait parfait, mais sinon, pour l’instant, c’est très bien. Je pense qu’on va faire de grandes choses ensemble.
– Merci beaucoup pour votre confiance, monsieur…
– Finkelton. Nestor va vous raccompagner. »

Un premier domestique raccompagne Ida jusqu’à la porte ; un deuxième jusqu’à l’entrée du jardin ; un troisième conduit le fiacre jusqu’au port, où Ida demande à être déposée.

« Quel gentleman, ce monsieur… Ah oui, Finkelton ! déclare Ida au cocher pendant le trajet. C’est quand même quelqu’un de goût, ça se voit tout de suite !
– Oui.
– C’est incroyable, je savais que ça m’arriverait, mais c’est incroyable que ça m’arrive maintenant, après tout ce que j’ai vécu ces derniers temps…
– Bien sûr, madame.
– … vous savez, la vie a pas toujours été facile…
– Oui, madame. Tout à fait, madame. »

Scène 9 : « Pourquoi brûler alors qu’on peut donner ? »
Quand Cléanthe arrive devant son ancien chez lui, toutes ses affaires sont déjà devant la maison. « Quel brave homme que ce Francis ! » pense-t-il. « Il m’a déjà simplifié la tâche ! ». Francis l’observe justement par la fenêtre et ouvre la porte dès que Cléanthe approche.

« Ah, Cléanthe, j’ai pris la liberté de…
– Vous avez bien fait ! Vous m’avez économisé au moins une heure de travail.
– Oui oui, tout à fait… Vous prenez tout, donc ? Parce que si vous voulez, on peut brûler des choses…
– Pourquoi brûler alors qu’on peut donner ? Cela fera le bonheur d’autres familles !
– Oui oui, sans doute… Par contre, je vais pas vous aider, hein.
– Je comprends, aucun problème ! Vous avez déjà votre propre emménagement à faire !
– Voilà, c’est ça ! »

À l’étage, l’ex-femme de Cléanthe observe la scène par la fenêtre ; elle tire le rideau dès qu’elle croise le regard de son ancien mari.

« Bon, reprend Francis, mais vous êtes venu tout seul pour tout ce bazar ?
– Non, j’ai trois orphelins avec moi qui vont m’aider !
– Ah, oui. Très bien. Bon… Et bien… Voilà… voilà voilà… Et bien, bonne suite, comme on dit.
– Francis, merci pour tout. Vous avez admirablement tenu la maison en mon absence. Tellement que vous vous y êtes installé, et c’est tout à votre honneur. Je vous ferai parvenir un cadeau…
– Non non ! Non !! C’est euh, c’est vraiment pas la peine !
– Si si, j’insiste ! Quelque part, vous savez, vous avez changé ma vie !
– Si vous pouviez adresser votre cadeau au zoo, alors, plutôt qu’ici…
– Tout ce qui vous fera plaisir, Francis !
– Bon, et bien… voilà, hein… Je vous souhaite… Hein, comme on dit…
– Tout à fait. Je n’aurais pas mieux dit. Francis ? »

Cléanthe sort sa fiole de violette.

« Non, merci, vraiment… proteste Francis.
– C’est indispensable. Ça va avec la maison, et ça ne fait pas partie de mes affaires. Je n’en ai plus besoin.
– Bon, bah merci… Je… Je vais y aller. »

La porte se referme et un bruit d’éclat de verre se fait presque aussitôt sentir.

Cléanthe ramasse un chapeau de paille parmi ses affaires et le chausse, pour se donner un air champêtre, tandis que les orphelins commencent très péniblement à déplacer le barda jusqu’au port.

« Les enfants, leur dit Cléanthe alors qu’il finissent de cracher leurs poumons, quelques heures plus tard, choisissez ce que vous voulez, puis je m’occupe du reste.
– Bah moi, je vais prendre… Ah non, tout est moche… Merci monsieur, mais j’ai pas envie…
– Comme vous êtes généreux, les enfants… »
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Scène 10 : Le vent tourne
Avant de retourner à la tour, monsieur Crane avertit l’un des adorateurs de Nindra : « Quand tout le monde est installé dans la salle avec la Panavision, viens me voir ». Puis il poste en bas de chez lui deux gros mastards, avec instruction de rester cachés jusqu’à son appel ; il ne faudrait pas effrayer sœur Augusta qui s’en vient justement.

« Ça va aller, sœur Augusta ? lui crie très fort dans l’oreille son accompagnatrice, en surarticulant. Vous avez besoin que je vous accompagne ?
– Non, ça ira, merci… Allez plutôt voir les festivités…
– Oui, qu’est-ce qu’on va s’amuser !! Allez, je reviens tout à l’heure. Pas tout de suite, hein, tout à l’heure !
– Pff, qu’est-ce que ça me saoule… »

Sœur Augusta soupire ; entre ces attentions inutiles et les murmures qu’elle entend derrière son dos au couvent, ce ne serait pas étonnant qu’on cherche à la remplacer bientôt… Elle emprunte l’ascenseur nouvellement installé et arrive au dernier étage, où se trouve une sorte de grande véranda avec vue sur toute la ville, en particulier le port. Enfin, il y a une longue-vue, mais il faut y insérer des pièces. « Je l’ai créé comme ça, je ne sais pas pourquoi… » s’excuse monsieur Crane.

[@Ozen demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « Le vent tourne. La température, les sons et les odeurs changent. Chaque joueur décrit un élément qui est bouleversé. Si quelqu’un faisait une drôle de tête pendant cette scène, il est changé en Grimasque ».]

La brise souffle depuis la mer : alors que les adorateurs de Nindra posent leur bateau sur la surface de l’eau, une affreuse odeur de charnier s’élève, envahissant le port puis l’ensemble de la ville. Sœur Augusta, qui avait senti l’orage avant les bouleversements précédents de la ville, devine des nuages noirs gorgés de pluie à l’horizon, très loin ; mais personne ne semble rien remarquer… Les nuages s’étendent vers la gauche, puis vers la droite, et finissent par encercler la ville, toujours ensoleillée pour le moment. L’air se met à crépiter légèrement : il suffirait de claquer des doigts pour provoquer une étincelle. Dès que les gens ou les gens se cognent, on frôle le début d’incendie… Au loin, très faiblement, on entend un léger gémissement mécanique, comme si une machine était en train de lentement se remettre en marche…

Toujours est-il que la course est en train de se préparer, et la brocante aussi. Cléanthe est derrière son stand, qui fait plusieurs centaines de mètres de long ; il est tout seul mais affiche un sourire radieux, malgré l’odeur de mort qui a fait déserter tous les badauds. Ida descend de son fiacre sur ces entrefaites.

« Monsieur Brumaire ! Vous ne savez pas ? Je vais avoir un premier rôle dans un show monstrueux !
– C’est magnifique, Ida ! Et je suis sûr, à sentir l’air autour de moi, que cette brocante va marcher du feu d’Itras !
– On me confie le rôle de la terrasseuse de Nindra !
– C’est formidable ! Mais qu’allez-vous faire après, une fois que vous aurez terrassé Nindra ? Vous allez reprendre la ville à votre compte ? Monter à la tour de la Lune ? Cracher des flammes à la face des nuages ?
– Mais enfin, monsieur Brumaire… Quand on terrasse Nindra, les gens applaudissent, on salue une première fois, on se retire, ils se lèvent, on revient, ils saluent, ils envoient des fleurs, on se retire, on attend un petit peu, ils ovationnent, on revient, on salue… Ça occupe, vous savez !
– Ah oui, je n’avais pas vu les choses comme ça.
– Il faut absolument que je prévienne monsieur Crane ! Je pense que c’est le genre de spectacle qui pourrait le revigorer un peu.
– Ça fait bien longtemps que je n’ai pas vu monsieur Crâne, je ne pourrais vous donner plus de nouvelles que vous n’en avez déjà eues…
– Mais je sais où il habite ! Il est dans la tour, là-bas… Vous savez, à l’emplacement de notre ancien immeuble avec Amandine.
– Aaah ! Ah oui, je n’avais pas fait le rapport…
– Tout va bien, monsieur Brumaire ?
– Les gens ne sont pas très nombreux, quand même… »

Un homme arrive, un mouchoir sur le nez et la bouche.

« Excusez-moi, vous vendez un désodorisant, ou quelque chose pour se protéger le visage ?
– Ah oui, même ça Francis l’a mis sur le trottoir… C’était pour les toilettes, mais ça pourrait…
– Oui oui oui, très bien ! Combien ?
– C’est-à-dire que je n’ai pas fixé de prix… Euh, prenez-le !
– MAIS NON ! s’écrie Ida. Monsieur Brumaire, ce n’est pas comme ça que nous faisons une brocante !
– Ah, il l’a dit, il l’a dit ! proteste le passant.
– Non, il voulait dire “prenez-le, en échange de…” Une strophe de quatre vers, ça ira.
– Euh, bon…
– En hexamètre, renchérit Cléanthe.
– Oh non, c’est trop cher… En alexandrins.
– D’accord, mais c’est bien parce que je n’avais rien demandé au début !
– Très bien. Bon, alors… Ce beau brumisateur me sera fort utile, / Car vu la puanteur qui règne sur la ville / J’en vaporiserai à tort et à travers / Et peu importe, au fond, si ça me fait voir vert. Voilà ! Ça vous va ?
– À ce prix-là, dit Ida, je pense que monsieur peut prendre aussi un mouchoir.
– Ah oui ! Vous êtes notre premier acheteur, vous avez droit à la boîte de mouchoirs. »

Le passant s’éloigne en pulvérisant autour de lui.

« Une bonne journée ! lui crie Cléanthe. Et si vous rencontrez quelqu’un sur votre passage, n’oubliez pas : brocante Bonheur ! Euh, Brumaire !
– Vous aurez pas grand monde, à mon avis…
– Le temps est magnifique ! Je suis sûr du contraire. »

Scène 11 : « Je suis un homme presque marié ! »
« Monsieur Brumaire, où sont les enfants ? lui demande Ida.
– Je leur ai dit de prendre ce qu’ils voulaient et je les ai renvoyés chez eux.
– Vous savez qu’ils n’ont pas de chez eux… Ce sont des orphelins.
– Ça ne m’avait pas effleuré l’esprit…
– Attention, monsieur Brumaire, on frôle l’irresponsabilité ! Et vous savez que je ne confierai pas mes bananes à quelqu’un d’irresponsable ! »

[Je décide de tirer une carte « Chance ». Je lis : « Avarice ! L’avarice empêche l’un des personnages présents – PJ ou PNJ – de se comporter rationnellement. Que désire-t-il, et de quoi refuse-t-il de se séparer ? ».]

Une femme très fardée avec une petite ombrelle, un mouchoir de soie sur la figure, parcourt le stand depuis un moment. À une cinquantaine de mètres d’Ida et Cléanthe, elle s’arrête, l’air surpris, et sort des affaires de Cléanthe un affreux presse-papier en bronze massif, en forme d’antilope, avec une corne cassée. Elle se met soudain à pleurer, et le sourire de Cléanthe quitte son visage.

« Tout va bien, monsieur Brumaire ? lui demande Ida. Ne la fixez pas comme ça !
– Excusez-moi, madame ! Ce n’est pas à vendre, c’est une erreur !
– J’aurais pourtant fort aimé en faire l’acquisition ! répond la dame d’une voix haut perchée.
– Qu’est-ce que vous en offrez, madame ? demande Ida.
– J’offre… C’est-à-dire que ce presse-papier appartenait à mon grand-père…
– Eh bien c’est fort dommage, maintenant il est à moi ! intervient Cléanthe.
– Je… Vous savez, mon grand-père… Avec ce presse-papier… Je me souviens encore comment il a assommé le voleur qui essayait de s’introduire chez nous…
– On a tous nos petits soucis, madame.
– Il vous ressemblait un peu, mais en plus jeune…
– Mais je l’ai eu de mon père, ce presse-papier !
– Ah oui… Bon, je suis prête à n’importe quel prix !
– C’est dommage.
– Vous ne voulez pas vous en séparer ?
– C’est un objet qui est très cher à mon cœur : je l’ai placé sur un bureau et je l’ai oublié pendant 25 ans. Mais il était toujours là. Il a vécu avec moi de nombreuses années.
– Je comprends… Je suis prête à vous offrir mon… »

Elle se penche à l’oreille de Cléanthe et lui murmure quelque chose d’obscène.

« Madame !?
– Deux fois si nécessaire.
– Elle a dit combien ? demande Ida.
– Madame, vous êtes obscène. Je suis un homme presque marié. Maintenant, veuillez quitter mon stand ! Et par là, c’est plus rapide !
– Vous entendrez parler de moi, monsieur.
– J’espère bien que non !
– Ça n’est pas comme ça qu’on vend des objets à une brocante, monsieur Brumaire ! proteste Ida. Le début, c’était très bien, “je ne m’en séparerai jamais”, tout ça, pour faire monter les enchères… Mais au moment où la personne est prête à payer, il faut y aller !
– Mais Ida ! Écoutez, je veux bien répondre à vos principes, mais votre discours est contradictoire ! Cette dame, ce qu’elle me proposait, c’est… Je préfère vous le murmurer…
– QUOI ?! Mais dis-donc, morue, tu sais que tu parles à un mec presque marié !? Ah bah bravo ! Pour un presse-papier, en plus ! Et tu vas me faire croire que ça a une valeur sentimentale !
– En même temps, sur le port, c’est normal d’y croiser des morues… » murmure Cléanthe.
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Scène 12 : « Euh… Je veux être portée… vers mon destin ! »
Pendant ce temps, la course est sur le départ : : les adorateurs de Nindra montent dans une barque et prennent trois rames chacun, tandis que les sœurs, menées par sœur Josèphe font de même. Un arbitre, recruté pour l’occasion, siffle dans son sifflet, et les barques se mettent en route, s’éloignant vers l’horizon.

Depuis une petite estrade que monsieur Crane a aménagé au-dessus du lit à baldaquin de Cléanthe, pour apaiser leurs protestations de concurrence déloyale, les commentateurs de la radio d’Itras décrivent la situation à leurs auditeurs : « On voit que la compétition est rude entre les deux équipes, ils s’agonisent d’injures en se dirigeant tout droit vers la sortie de la ville, droit vers ces nuages qui tournent à la périphérie depuis tout à l’heure, on se demande bien ce qu’il va arriver quand ils atteindront la zone d’orage, malheureusement il n’est pas sûr que nos visiomètres puissent retransmettre à cette distance, mais ne vous inquiétez pas car notre envoyé spécial montera sur sa propre barque pour vous décrire l’action en détail à la radio, évidemment ! ».

Au couvent, la salle principale est pleine à craquer : tout le monde est installé devant le grand écran de toile tendue. C’est l’heure pour monsieur Crane de tenter de faire s’écrouler le bâtiment.

[Clémence demande à Pierre de tirer une Carte « Résolution ». Eugénie lit : « Non, mais… Une autre chose positive arrive à la place, sans rapport avec ce que vous tentiez de faire ».]

Il se concentre depuis sa tour : la pièce centrale vibre, les adorateurs et les sœurs se précipitent vers l’écran pour en tenir les poteaux, afin de ne rien manquer de la course… Mais la concentration de monsieur Crane est brisée par un toussotement dans son dos.
« Je suis occupé ! Qu’est-ce qu’il se passe ?!
– Patron… Euh, camarade… Euh, confrère… C’est-à-dire que quelqu’un m’a remis ça pour vous…
– Ouvrez-le moi, j’ai la main occupée !
– Oui… C’est un très joli faire-part… Une invitation pour deux personnes dans une loge VIP au grand spectacle de la mort de Nindra.
– C’est à quelle heure ? Aaaaaaah…
– 16h, demain.
– OK, je viendrai…. Gnnnnnnn…
– De la part d’Ida Jerricane.
– Sœur Augusta, vous voulez veniiiiiir ?
– Hein ? Excusez-moi, je regardais le port, qu’est-ce qu’il se passe ? Oh bin oui, pourquoi pas, ça me ferait plaisir de voir un spectacle ! Mais euh… Vous allez bien, monsieur Crane ? Vous allez l’air de… »

Les efforts de monsieur Crane sont en vain, il a trop été déconcentré. Il s’écroule à genoux, exténué.
« Allez, reposez-vous et venez suivre la course, voyons. C’est pas le moment de travailler !
– Non, nous avons autre chose à faire. Dites-moi : jusqu’où seriez-vous prête à aller pour servir Itras ?
– Vous savez, je suis déjà allée bien loin…
– Iriez-vous jusqu’à mettre votre vie en danger pour blesser mortellement un de ses ennemis ?
– Ce ne serait pas la première fois, soupire sœur Augusta d’un air blasé.
– Dans ce cas, j’ai une proposition à vous faire. Buvez ceci. »

Monsieur Crane lui tend une fiole de bonté pure.

« Ce n’est pas un truc du Père Shade, quand même ?
– Non. C’est de l’essence d’Itras.
– Où est-ce que vous avez récupéré ça ?!
– Bin, à la boutique du couvent, voyons ! J’en ai acheté un plein tonneau !
– Ah oui… Oh, à ce propos, vous vous rappelez avoir vu sœur Vestine mourir ?
– Écoutez, euh… On parlera de ça en chemin, il faut qu’on y aille ! Vous avez bu ? Très bien. Gardes ! Saisissez-la, nous allons l’offrir en sacrifice à l’Entité noire !
– Oh là là… On aura vraiment tout vu…
– Ne vous inquiétez pas, lui murmure monsieur Crane, ça fait partie du plan…
– On sera rentrés avant la nuit ? Parce que je suis un peu fatiguée… Et ce soir c’est compote… »

En même temps qu’on la descend de la tour, sœur Augusta se sent reprendre des forces. Au bas de l’escalier, les mastards la déposent délicatement, un air d’extase sur le visage, et tombent à genoux devant elle en pleurant.

« Vous êtes si belle…
– C’est la première fois de ma vie qu’on me dit une chose pareille !
– Mais relevez-vous, voyons ! rouspète monsieur Crane. Nous devons l’amener en sacrifice pour Nindra ! »

Sœur Augusta sent ses cheveux blonds flotter au vent, tandis qu’elle flotte à quelques centimètres du sol.

« Désolé, on savait pas ! pleurent les mastards.
– Jouez le jeu, lui murmure monsieur Crane sans vraiment lui jeter un regard. Dites que vous voulez être portée vers votre destin !
– Euh… Je veux être portée… vers mon destin !
– Non, nous ne sommes pas dignes de vous toucher ! Je préférerais me couper les mains plutôt que vous toucher !
– Bonne idée, allez vous couper les mains ! râle monsieur Crane. On va y aller à pieds, tant pis. »

Tous deux quittent les lieux, accompagnés d’une musique céleste et de pétales de fleurs, et se dirigent vers les souterrains.

Les petits bourgeois comme toi, j’en mange quatre au petit déjeuner
Au port, cela fait plusieurs heures que Cléanthe n’a rien vendu. Et puis cela fait un moment que les rameurs ont disparu à l’horizon, il n’y a même plus de distraction pour passer le temps.

« Je n’ai pas reconnu sœur Augusta, dit-il à Ida, vous croyez qu’elle concourt encore ?
– Amandine disait qu’elle est sœur supérieure ; ça m’étonnerait qu’on laisse une sœur supérieure faire du bateau…
– Ah, je l’ignorais !
– Monsieur Brumaire… Ça fait combien de temps que vous n’avez pas vu Amandine ?
– Je ne répondrai pas à cette question.
– Qu’est-ce que vous avez fait d’Amandine ?
– Mais je n’ai rien fait d’elle ! C’est plutôt ce qu’elle a fait de moi, la véritable question…
– Voilà, c’est lui ! crie soudain la femme de tout à l’heure, à présent accompagnée.
– C’est toi qui veux pas vendre un presse-papier à ma donzelle ? demande un homme habillé en garde gris qui porte un orgue de barbarie sur son ventre.
– Monsieur… Monsieur comment ?
– Monsieur Jeannot !
– Monsieur Jeannot, votre demoiselle m’a susurré des mots inquiétants à l’oreille. Elle m’a dit que… »

Cléanthe les lui répète à voix basse.

« Ouais, et alors ? demande Jeannot.
– Eh bien je suis désolé, je ne vends pas un presse-papier en échange de… ce genre de choses.
– Vous êtes difficile ; pour ce prix-là, je vendrais bien des choses… Bon, vous demandez quel prix, alors ?
– Il n’y a pas de prix, c’est une erreur. Il est retiré de la vente.
– Dans ce cas, imaginons que je vous casse la gueule et que je vous le vole ?
– Vous voulez essayer de me l’acheter en me cassant la gueule ?
– Non, je veux vous le voler.
– Ah, d’accord… Mais avant de me casser la gueule ou après ?
– Ça dépend si vous êtes conciliant… »

[Pierre demande à tirer une carte « Chance ». Il lit : « L’ombre. Le temps s’arrête et vous entrez en conversation avec votre ombre. Elle a les mêmes qualités et capacités que vous, mais elle peut aussi entrer dans des endroits hors de votre atteinte ».]

Alors qu’il se met en position de combat, et pendant qu’Ida commence à prendre les paris, Cléanthe voit son ombre s’allonger sur le sol et sent le temps s’arrêter.

« Attends, dit-elle. Je vais nouer ses lacets ensemble, et ensuite, quand il sera déséquilibré, tu lui mets un coup à la pointe du menton ! Ça va le sécher d’un coup, tu vas voir ! Tu peux le faire, le bonheur est avec toi !
– Là, comme ça, j’ai pas une chance… Et s’il me massacre devant Ida, elle va aller le répéter à Amandine… Oui, noue-lui ses lacets ! Mais sinon… T’es heureuse, toi aussi ?
– Bien sûr, puisque nous allons gagner ? Qu’est-ce qui rend plus heureux que le bonheur ? C’est tout ce qui compte, n’est-ce pas ?
– Oui, c’est vrai !
– Ça va te faire plaisir de lui casser la tête, hein ?
– Tu sais, je voulais te dire… C’est un plaisir de t’avoir pour ombre !
– Mais tout le plaisir est pour moi ! On forme une si bonne équipe… »

Le temps reprend : le garde gris avance, et son ombre se casse la figure, mais lui continue à avancer. Tant pis, Cléanthe tente quand même de le frapper au menton ; Jeannot esquive et lui en met une.

« Les petits bourgeois comme toi, j’en mange quatre au petit déjeuner ! lance-t-il.
– Eh bien vas en manger d’autres ! Je ne suis pas un petit bourgeois ! Maintenant, je suis un très petit bourgeois. Mais si vous voulez quelque chose d’autre sur mon stand, faites-vous plaisir, c’est offert par la maison !
– Non, c’est le presse-papier qu’on veut ! glapit la femme à la voix haut perchée.
– Celui-là ? »

Cléanthe met un coup de presse-papier en pleine tête de Jeannot.

« Ah ouais, c’est comme ça ? crache ce dernier. T’as vu que je me suis mis à l’orgue de barbarie, je vais te jouer un petit air ! »

Et Jeannot d’assommer Cléanthe à coup d’orgue.

« C’est bon que pour faire danser les singes, rétorque Cléanthe.
– Ah ouais ? Eh bien danse, petit singe !
– Dis donc, radasse ! dit Ida à la femme. T’avais besoin de ramener ton mec pour te payer un presse-papier ? Tu sais que ce gars va se marier avec ma meilleure amie ? Et toi tu viens lui raconter des insanités ? Tu nous prends pour qui ?
– Un petit bourgeois qui vend ses affaires sur le port, comme ça, alors que ça pue la merde, je n’ai rien à lui dire !
– Eh bin vas sentir ailleurs si ça sent meilleur !
– Viens me le répéter ! »

Ida lui tire les cheveux, et la scène en bataille générale.

Scène 13 : « Nous sommes bien d’accord qu’Amandine n’est pas obligée de connaître cet épisode de notre vie ? »
[Je demande à @Ozen et Eugénie de tirer une Carte « Résolution » pour décider de l’issue du combat. Je lis : « Non, malgré que… ».]

Même si Jeannot finit par rattraper son retard sur son ombre et se prendre lui aussi les pieds dans ses lacets, et même si Ida a nettement plus d’expérience en matière de pugilats de taverne d’après-spectacle, elle et Cléanthe se prennent des objets de la brocante dans la figure et finissent par avoir la main basse. Jeannot et sa femme, victorieux, se prennent bras-dessus bras-dessous et soupèsent le presse-papier d’un air satisfait.

« C’était un plaisir de faire affaire avec vous, dit-il sarcastiquement. Allez viens Mimine, on rentre !
– Oh oui, et on pourrait…
– Ça, tu l’as dit !
– Quelle vulgarité… soupire Ida.
– Nous sommes bien d’accord qu’Amandine n’est pas obligée de connaître cet épisode de notre vie ? demande Cléanthe.
– Ils étaient vingt, vous avez brillamment défendu son honneur… Je vous soutiendrai, monsieur Brumaire.
– Vous ne pensez pas que si on lui cache quelque chose, elle va… Enfin, il ne faudrait pas qu’il y ait de malentendu sur le fait qu’on s’est fait casser la gueule ensemble ? C’est un peu… Je n’aime pas lui mentir, quoi.
– On n’en parle pas, et voilà !
– Oui, mais imaginez que je la croise là, tout de suite, avec ma face tuméfiée… Et je ne veux pas dire, mais… Ça va être difficile de monter sur scène demain, Ida… Elle vous a quand même laissé une belle trace de talon sur le front.
– Monsieur Brumaire, laissez tomber la brocante. Oubliez tout. Ce qui est important, là tout de suite, c’est mon visage. Avec vos contacts, vous connaissez bien quelqu’un qui pourrait me remettre d’aplomb ? Au moins un fard extraordinaire, quelque chose…
– Ah, je connais un phare un peu plus loin sur le quai…
– Non, celui-ci a été détruit.
– Eh bien décidément, je ne connais plus ma ville ! Eh bien… J’ai un parfumeur de ma connaissance… Il fait aussi le maquillage, le ravalement de façade, la maçonnerie, et la plomberie même.
– C’est ça ! Monsieur Crane a été capable de construire un escalier à partir de rien, je pense qu’il peut me ravaler la façade assez facilement !
– Si vous voulez… Mais qu’est-ce qu’on fait de tout ce bazar ? Et aussi, la tribune, techniquement, elle est à moi ou… ?
– Écoutez, ne dites rien et laissez-la telle quelle. Si quelqu’un vient vous réclamer quelque chose pour avoir bâti dans une zone publique interdite, vous dites que c’était pas vous.
– Moi, j’en ai un peu rien à faire de ces objets, de toute façon… On pourrait tout aussi bien les laisser là…
– Vous ne teniez qu’au presse-papier, en fait ? C’était la peine de faire tout ça pour lui ?
– Il y avait aussi ma collection d’estampes… Je vais la laisser là. Votre visage est plus important.
– Très juste. Allons-y. »
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Scène 14 : « Vous voyez !! C’est pour ça que je fais tout ça !! »
En bas de la tour de monsieur Crane, un petit écriteau est suspendu : « Je suis parti régler un problème de vermine, je reviens tout de suite ».

« Oh non, c’est trop ballot ! se désolé Ida.
– Ne vous en faites pas, la rassure Cléanthe. On a eu de la chance jusqu’à présent ! On s’est retrouvés, on a organisé cette brocante, vous avez eu un engagement… La journée est merveilleuse ! C’est un petit contretemps, c’est tout ! On va partir… par là, tiens, on va suivre ces pétales, et je suis sûr qu’on va tomber sur Monsieur Crâne. Allez, suivez-moi !
– Bon, d’accord… »

Et en effet, en suivant un écho de musique diaphane, Cléanthe et Ida rejoignent monsieur Crane et sœur Augusta alors qu’ils étaient sur le point d’entrer dans les égouts. Ida, à la vue de la sœur, ne ressent pour une fois pas d’eczéma, mais une sorte de caresse.

« Monsieur Crane ! s’exclame-t-elle. Vous avez reçu mon invitation ?
– Madame Jerricane ! Oui, absolument. Mais dites-moi… Je suis sur le point d’aller dératiser les égouts, vous voulez m’aider ?
– Monsieur Crâne ! le salue Cléanthe. Décidément, nous nous croisons toujours au sommet d’une bouche d’égout…
– Ah, vous vous connaissez ? demande Ida.
– Mais absolument ! Nous avons visité les égouts ensemble, et nous avons même fait une partouze avec l’Étranger…
– Oh, monsieur Brumaire ! lance sœur Augusta d’une voix cristalline. Je vous reconnais !
– Sœur Augusta ? Vous êtes radieuse !
– Merci, c’est très gentil ! Je me sens beaucoup mieux depuis tout à l’heure…
– Mais que s’est-il passé ?!
– Depuis qu’on s’est vus ? Oulà, beaucoup de choses… Je ne sais pas, monsieur Crane m’a fait boire quelque chose qui m’a revigorée…
– Vous ! intervient monsieur Crane à l’encontre de Cléanthe. Ça vous dirait, un an de loyer gratuit ?
– Je dois dire que oui, ce serait très généreux de votre part…
– En échange, vous allez m’aider à dératiser les égouts. J’ai un très très gros rat. J’ai en ma possession ce contrat… Si vous le donnez à monsieur Poicreux, il vous donnera à peu près tout ce que vous voulez.
– Comment vous dire non dans ces conditions ?
– Tant qu’on en est à s’échanger des services pour le plaisir… rebondit Ida. Monsieur Crane, je veux bien vous donner un petit coup de pouce en échange d’un ravalement de façade !
– Avec grand plaisir ! Attendez… Serrez les dents… Et voilà !
– Ma chère Ida, vous avez le visage parfaitement symétrique, c’est étonnant ! dit Cléanthe.
– Oui, je n’ai refait que la moitié, dit monsieur Crane, c’était plus sûr. Enfin vous voilà l’idéale de vous-même ! Tenez, regardez dans ce miroir que je viens de créer. »

Ida regarde dans le miroir : elle voit un petit homme à l’air triste, au costume trop grand pour lui, qui fait les mêmes gestes qu’elle.

« Euh… Vous appelez ça un idéal, monsieur Crane ? C’est-à-dire que je ne suis pas sûre que ce monsieur crache du feu…
– Excusez-moi, dit l’homme, mais qu’est-ce que je fais là ?
– Monsieur Bludgeon ?
– Oui ? Vous… Vous voulez acheter mon âme ?
– Mais qu’est-ce que vous faites encore dans un miroir ?
– Je sais pas… Je n’étais pas là, et puis maintenant je suis là…
– Vous voyez !!! hurle monsieur Crane, soudain très pâle. C’est pour ça que je fais tout ça !! J’en ai marre…
– Mais enfin, dit Cléanthe, ce n’est que le reflet de monsieur Bludgeon !
– Mais il est dans un miroir…
– Je vous la donne, sinon… continue Bludgeon.
– Vous savez, monsieur Bludgeon, lui dit Ida, il faudrait essayer de la porter vous-même, à un moment… Parce que là, vous la confiez à des inconnus qui en font un peu n’importe quoi…
– Je vais la prendre pour vous, intervient Cléanthe. Je vous expliquerai, Ida, c’est très compliqué… Prenez-lui son âme. Je gère tout ça.
– Vous êtes sûr que ça vous rendrait service, monsieur Blugdeon ?
– Oui…
– Vous allez pas revenir en pleurant, en disant que vous l’avez perdue, que vous n’arrivez pas à en pêcher une, et tout ça ?
– Non… Je sens que c’est ce que je désire le plus.
– Bon, je la prends pour vous faire plaisir, alors. »

Ida plonge la main dans le miroir et attrape la bouteille que lui tend Bludgeon ; lorsqu’elle retire sa main, le miroir se brise et tombe à ses pieds.

« Bon, on y va ? demande monsieur Crane, rasséréné par une rasade de son whisky.
– Qu’est-ce que vous voulez en faire, monsieur Brumaire ? demande Ida.
– La prendre et la mettre de côté pour une personne qui en a besoin. Vous me la laissez ? Allez monsieur Crâne, on y va.
– Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas, murmure sœur Augusta. »

Scène 15 : « C’est pour un rendez-vous avec l’Entité noire »
Dans les égouts, il règne une odeur aussi pestilentielle que sur le port ; les mêmes remugles n’en finissent pas de passer dans la tranchée centrale. Au loin, on aperçoit un petit amas en flammes en train de flotter. Cléanthe et monsieur Crane mènent la troupe jusqu’à la galerie d’art, où le même tas de cheveux sert de gardien.

« Mmmbonjouurrrrrr…
– C’est pour un rendez-vous avec l’Entité noire, dit monsieur Crane. Est-elle disponible ?
– Mmmjjjje ne sais paaaas… M’occupe que de la galerie…
– S’il vous plaît… demande sœur Augusta. Vous pourriez pas nous rendre service ? Ce serait vraiment très gentil…
– Hmmmm… Qu’est-ce que vous voulez ?
– Nous voudrions parler à l’Entité noire, pour faire un sacrifice.
– Hmm… Pour une déesse, l’entrée est gratuite… Tarif réduit pour les autres ?
– Le phare n’est plus là, dit Cléanthe, mais j’ai toujours ma carte de réduction.
– Hmmmmm… Gratuit pour vous aussi…
– Moi, je suis le futur mari de Nindra, quand même. J’ai pas droit à une réduction de conjoint de divinité ?
– Hmmvous avez votre carte ?
– Bien sûr.
– Très bien, tarif réduit pour vous… Et pour vous, tarif plein. 12 et 6… Ça fait 18.
– Soyez sympa… demande Ida. S’il vous plaît…
– 18.
– Zuite, dit Cléanthe. Allez, c’est réglé, hop. »

La chose aux cheveux tire son bureau sur le côté, laissant l’entrée libre à la galerie qui expose toujours les mêmes œuvres pornographiques. La seule nouvelle œuvre est une sculpture en résine de l’Étranger en apesanteur, en train de donner du bonheur à la fois à Géraldine et à Chesterfield. En contrebas, sœur Eusébie est représentée en nionne, en train de faire des choses dégoûtantes.

« J’aurais pas pensé que Géraldine… balbutie Ida. Et Chesterfield !
– Ah, ils ont vécu une histoire compliquée, tous les trois… soupire Cléanthe.
– Tous les quatre, précise sœur Augusta en montrant la nionne.
– J’en ai été le témoin malheureux depuis que tout cela a commencé dans les toilettes de Victor Oppheimer. »

Les quatre personnages traversent la galerie et arrivent à un embranchement ; à droite, cela mène vers les adorateurs de Nindra, et à gauche… on ne sait pas trop. Les salles des adorateurs sont totalement désertes, il n’y a que le responsable de l’entretien qui hante les couloirs.

« Monsieur Crane ? dit-il. Vous n’êtes pas à la retransmission de la course ?
– Non… Nindra m’a contacté, et j’ai quelque chose de pressant à… L’Entité noire a besoin d’être nourrie, et je lui ai amené une proie de choix : la sœur supérieure du couvent d’Itras.
– Pour de vrai, monsieur Crâne ? lui demande Cléanthe.
– Oui, absolument ! dit monsieur Crane en accompagnant sa réponse d’un énorme clin d’œil. »

Monsieur Crane mène les autres à travers la salle avec l’immense guillotine qui descend très lentement, en ignorant les supplications de l’homme attaché en dessous.

« Pitié, tuez-moi, j’en peux plus !!
– Tout va bien, monsieur ? demande Ida.
– Monsieur Crane, dit sœur Augusta, pourquoi vous ne l’avez pas tué ?
– Mettez un terme à mes souffrances !!
– Vous êtes sûr ? demande Ida. Ça vous ferait plaisir ?
– C’est un chemin religieux, explique monsieur Crane. Ne brisez pas son cheminement spirituel.
– C’est un cheminement spirituel ? demande Ida à l’homme.
– Non, je veux juste mourir !
– Il dit ça parce qu’il est stressé… Il était très motivé, au début. Bon, là, il est dans la partie un peu difficile, quand ça pique le nerf, alors forcément…
– Dire que je l’ai connu au moment où la guillotine était tout en haut ! remarque Cléanthe.
– J’en peux plus, pitié…
– Allons, allons, ça va passer, dit Cléanthe. Vous avez déjà tenu neuf ans… Vous êtes presque au bout !
– Bon, bah bon courage… dit Ida.
– Je refuse de le laisser ainsi, dit sœur Augusta. »

Elle se concentre et remplace les mauvaises pensées de l’homme par des choses plus positives.

« Ah, c’est fantastique ! Crie-t-il. Encore ! Encore !
– J’y suis peut-être allée un peu fort… Bon, au moins il n’a plus l’air de souffrir. »

Elle rejoint les autres devant le mur des hurlements.

« Vous êtes des ratés ! hurle le mur. Votre vie ne vaut rien ! Le bonheur n’est qu’une illusion ! Tout pouvoir te quittera ! Les gens se moqueront de toi pendant ton spectacle !
– Ne l’écoutez pas, dit monsieur Crane, et buvez ça. Faites passer, une bouteille chacun.
– Pourquoi ces voix pleurent-elles ? demande sœur Augusta, qui n’entend que leur souffrance. Attendez, je vais arranger ça…
– Tu vas y arriver ! hurle soudain le mur. Je crois en toi ! Tu es presque au bout ! Le bonheur est à portée de main ! Ton spectacle va tout déchirer ! »

C’est ensuite le passage devant les geôles, à travers les barreaux desquelles se tendent les mains des prisonniers.

« S’il vous plaît, libérez-nous ! Je suis prêt à tout !
– Mais oui, on va vous libérer ! dit Cléanthe.
– Pitié !
– Très bien, oui ! Sœur Augusta, un petit coup de lumière magique ?
– Ou alors on pourrait les rendre heureux d’être dans leur cellule… dit-elle.
– On n’a pas le temps ! proteste monsieur Crane. Allez, hop ! »

Il claque des mains et ouvre toutes les portes. Un grand silence se fait entendre. Personne ne bouge.

« Mais tirez-vous, enfin ! Ou je fais s’écrouler le plafond !
– Arrêtez, s’il vous plaît !
– Mais sortez !
– Non !
– Démerdez-vous, alors ! Jamais contents, ceux-là… »
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Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 16 : Et de trois
Une fois dépassées les geôles, les personnages arrivent devant un très long couloir, au bout duquel se trouve un puits entouré de crânes qui crachent continuellement du sang. Le puits est fermé par une lourde grille, mais monsieur Crane la fait exploser.

« C’est pas l’heure du sacrifice ! protestent les crânes.
– Entité noire ! entonne monsieur Crane. J’ai un cadeau pour toi ! Celle que tu m’as demandé il y a si longtemps !
– Vous savez ce qu’on est censé faire avec cette chose ? murmure Ida.
– Vous lui balancez votre bouteille à la gueule dès qu’elle arrive, chuchote monsieur Crane. Elle s’y attendra pas… »

On entend un grondement venant des tréfonds de la terre, qui se rassemble dans le puits et monte, jusqu’à ce qu’un ectoplasme noir jaillisse. Cléanthe lui lance immédiatement sa bouteille : elle est absorbée par l’Entité, se dissout à l’intérieur et la fait hurler de douleur. L’Entité se tourne vers sœur Augusta et se jette sur elle.

« Hmmmm ! La nonne ! Enfin ! ENFIN ! »

Lors de leurs confrontations précédentes, sœur Augusta était terrorisée, mais cette fois-ci, elle sait quoi faire.

[Eugénie demande à tirer une Carte « Chance ». Elle lit : « Ne regarde pas l’abysse. Un des personnages a soudain envie de faire quelque chose qu’elle va regretter : elle le fait quand même ».]

Sœur Augusta réfléchit très vite : elle est à présent un concentré de bonté, fatal pour l’Entité noire si elle l’avale. Est-elle prête à payer le prix de sa vie ? C’était peut-être sa mission sur terre… Elle ferme les yeux et accepte son sort. Elle s’élève de plusieurs mètres au-dessus du sol, irradie d’une lumière éclatante… Puis ce sont les ténèbres alors que l’Entité noire se referme sur elle et la tire dans le puits. Quelques secondes de silence s’écoulent, puis on entend la base du puits trembler, de plus en plus, fissurer le sol sous le pied des personnages…

Puis une sorte de lumière liquide se déverse du puits (un effet pyrotechnique salué par Ida), en même temps qu’on entend les cris d’agonie de l’Entité noire, et les chants les plus beaux jamais entendus. Enfin, le bruit retombe, et c’est à nouveau l’obscurité et le silence.

Monsieur Crane s’incline devant le puits : « Sœur Augusta », dit-il, « tu as bien travaillé. Et de trois ». Sans attendre, il se relève et se dirige vers la sortie. Ida regarde la fiole qu’elle n’a pas eu le temps de lancer, et décide de la garder pour monsieur Poicreux. À moins qu’elle en boive à l’apogée de son spectacle ?

« C’est une bonne idée, lui dit monsieur Crane. Imaginez ce qu’on vient de vivre, mais au milieu des spectateurs ! Et en Panavision, en plus !
– Parce que vous allez le diffuser en Panavision ? Oh, ça c’est très gentil, monsieur Crane ! Mais vous avez diffusé les droits avec monsieur… Euh, monsieur…
– Finkelton ? Non, mais c’est à voir…
– C’est quand même dur, le bonheur… soupire Cléanthe. Il y a des femmes magnifiques qui s’en vont d’Itras By toutes les semaines…
– Amandine est toujours là, le rassure Ida.
– C’est vrai… C’est ma femme magnifique, sourit-il. Mais pour les autres, ça doit être dur. »

Scène 17 : « Ils sont combien ? — Ils sont nombreux. »
Le temps passe vite dans les égouts : lorsqu’Ida, monsieur Crane et Cléanthe ressortent, c’est déjà presque l’heure du spectacle. Ils se pressent jusqu’au cabaret Lilith et Cléanthe et monsieur Crane s’installent dans le public tandis qu’Ida se faufile en coulisses. « Souvenez-vous, une bonne rasade d’essence de bonté pure avant de cracher le feu ! » lui dit monsieur Crane avant de rejoindre sa place. « Moi, je vais me fabriquer une arbalète pour ça, au cas où… ».

« Mademoiselle Jerricane ! s’exclame Jeremy Finkelton dans l’arrière-salle. Je me suis inquiété, je n’avais plus de nouvelles de vous… Mais j’imagine que les artistes doivent se concentrer avant leur spectacle… C’est parfait en tout cas, j’ai confiance en vous. Vous vous sentez capable ?
– Oui, tout à fait ! Je me suis… entraînée, pour ainsi dire.
– Bon, donc rappelez-vous : la farandole, les slogans, tout ça… Vous arrivez, lumière sur vous, roulements de tambour, Nindra, enfin la réplique de Nindra arrive, vous lui mettez le feu, apothéose, applaudissements, triomphe.
– Ils sont combien ?
– Ils sont nombreux. »

Dans le public, Cléanthe remarque un nombre assez élevé de gardes gris, répartis dans la salle. Dans un coin, Vivien McVincent compte ses billets d’un air satisfait. Jeannot n’est pas là, mais le requin policier qui avait arrêté Jonas StJones, si, ainsi que Victor, le garde amoureux de l’Étranger.

« Excusez-moi, lui dit ce dernier, je voulais vous dire… Depuis la dernière fois, je me suis dit que s’il y avait moyen, je suis prêt à lui donner une nouvelle chance… Parce que j’ai fait ce que j’avais à faire avec des anges factices, mais bon, c’est pas pareil quand même…
– Je crois bien que vous avez laissé passer votre chance, mon ami. L’Étranger est reparti.
– Il a quitté la ville ?
– L’ami. La bonne chose, avec les fantasmes, c’est de les entretenir jusqu’à la fin, sans jamais les assouvir.
– Ouais…
– Mais si ! Vous n’aurez pas à être déçu ! Vous resterez toujours dans la potentialité d’un bonheur avec cet étranger !
– Mais vous, par exemple, vous ne réalisez jamais vos fantasmes ?
– Moi je n’ai pas de fantasmes. Avant, je n’en avais pas car je trouvais cela trop coûteux en bonheur, et depuis que je suis un homme comblé, je n’en ai pas vraiment besoin non plus…
– Bon, d’accord…
– Mais l’ami, vous avez pensé à… Il y a un autre ange en ville ! L’Ange de Church Hill !
– Ah oui ! Ah… Oui… C’est pas trop mon type… Mais bon, j’imagine qu’un ange et un ange, c’est pareil…
– Moi je dis ça, c’est pour vous, hein ! Et puis vous pourrez garder cette petite relation potentielle avec l’Étranger dans votre cœur comme un trésor caché.
– Sans doute… dit-il d’un air triste. Bon, je crois que le spectacle va commencer… Euh… Bon spectacle… Je vous conseille de ne pas rester jusqu’à la fin, par contre.
– Pourquoi ? On m’a bien expliqué : il faut rester, après l’artiste sort de scène, puis on l’acclame, puis elle revient, puis elle ressort de scène, puis elle revient, puis on lui donne les bouquets, puis après elle sort de scène, et puis après une ovation, et elle revient, et ça peut durer longtemps !
– Oui… Ça va pas tout à fait se passer comme ça, à vrai dire… On a reçu l’ordre d’arrêter tout le monde pour conspiration contre Nindra, et…
– On peut attendre après l’ovation, au moins ?
– Ben, c’est-à-dire qu’il paraît que Nindra elle-même va venir punir l’artiste, alors…
– Mais non ! Quand elle verra le numéro d’Ida, elle ne pourra qu’être ravie d’avoir une artiste de cette trempe dans sa ville !
– Bon, je pourrais pas dire que je vous ai pas prévenu.
– Victor, vous êtes un chic type ! Merci beaucoup. Mais tout va bien se passer, vous allez voir !
– Mouais, je sais pas… À quoi bon, de toute façon…
– Monsieur Crâne, ça se boit, votre truc ?
– Si vous voyez que les choses ne se passent pas comme prévu… Mettons qu’il y a une créature qui ne veut pas votre bonheur qui se pointe, vous en buvez une pour vous protéger, et vous courrez dans la direction opposée le plus vite possible. Vous êtes un type bien… Vous méritez pas qu’il vous arrive de mauvaises choses.
– Monsieur Crâne, vous aussi vous êtes un chic type ! J’ai eu des scrupules de vous donner cette carte d’adorateur de Nindra, je dois l’avouer, mais j’ai l’impression que ça a été pour le mieux pour vous, et que vous vous épanouissez dans ce que vous faites ! »

« Non, mais elle pourra pas venir, explique Ida à son maquilleur, c’est normal, il faut qu’elle s’occupe des bananes, et c’est pas un spectacle pour elles…
– Oui, madame.
– … c’est vrai que ça va manquer un peu, j’aurais bien aimé qu’elle soit là…
– Je comprends, madame.
– Madame est demandée sur scène, annonce un autre domestique. »
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Scène 18 : Personne ne défie Nindra
Dans la salle, les lumières s’éteignent et la pièce commence. Sur scène, on voit de faux murs en stuc, et de jeunes rebelles ressemblant très vaguement à Jonas cassent leur guitare dessus avant d’y tagguer « À bas Nindra ! », « Nindra doit partir » et autres slogans du même acabit. De faux gardes gris les dégagent, sous les protestations du public (y compris quelques vrais gardes gris). Un halo de lumière est soudain projeté sur scène, et Ida fait son entrée : son maquillage lui donne de grands yeux et une petite bouche et elle regarde ce qu’il se passe avec grand étonnement. Les jeunes rebelles commencent à faire des cercles autour d’elle en répétant : « On n’a pas peur de Nindra ! Qu’elle vienne, on va lui montrer de quel bois on se chauffe ! On a la grande Ida Jerricane avec nous ! ».

« Je vais lui demander de faire un numéro pour mon mariage », murmure Cléanthe à monsieur Crane dans la salle.

Les jeunes rebelles se mettent à jouer très mal de leur guitare en scandant le nom d’Ida, vite repris dans la salle. Ida récupère des flasques posées en bord de scène et crache quelques flammes artistiques pendant quelques minutes, jusqu’à ce qu’un coup sourd retentisse à l’autre bout de la salle. Un autre halo de lumière s’allume : un amas de papier mâché, ressemblant vaguement à une araignée tirée par un fil, avance vers la scène en couinant. Depuis un haut-parleur mal réglé, on entend une voix clamer : « Je suis Nindra ! Qui me défie ? ».

Finkelton, en coulisse, donne le signal à Ida : elle avale deux flasques et commence par faire une première flamme qui fait le tour de la créature, comme une première phase au combat. « Personne ne défie Nindra ! », chevrote la voix depuis la fausse araignée, qui continue à avancer.

Dans la salle, plusieurs gardes gris se lève ; une partie se met devant les entrées, et les autres se dirigent vers la scène. Monsieur Crane désépaissit discrètement le mur le plus proche, au cas où une sortie précipitée s’avère nécessaire…

Des gardes gris montent sur scène : ils ont l’air beaucoup plus réalistes que ceux de tout à l’heure. Ida comprend que c’est son moment : les tambours battent à tout rompre. Elle prend une grande inspiration, et crache une immense flamme sur l’araignée, qui prend immédiatement feu.

Plusieurs choses arrivent alors en même temps : elle sent des gardes gris qui l’attrapent chacun par un bras en prononçant son arrestation pour sédition contre Nindra ; au même moment, tous les non-gardes gris de l’assistance se lèvent et applaudissent à tout rompre ; Finkelton arrive sur scène en hurlant « VICTOIRE ! » ; les alarmes incendies du cabaret se déclenchent ; et Cléanthe et monsieur Crane se rendent compte que ce n’est pas une odeur de papier mâché brûlé qui flotte, mais plutôt de chair insectoïde…

Des cris horribles d’agonie se font entendre : monsieur Crane se précipite sur Nindra et l’achève à coups de bouteilles d’essence pure. L’araignée se liquéfie en une flaque de chair fondue ; Cléanthe, pour éviter de souiller ses chaussures, se met debout sur sa chaise, ce qu’Ida prend pour une acclamation. Des gardes s’approchent, mais monsieur Crane s’enfuit en passant à travers le mur qu’il avait travaillé, après avoir attrapé Cléanthe par le col. Il referme le passage après l’avoir franchi.

« Ce n’était pas censé se passer comme ça ! proteste Cléanthe. Et l’ovation d’Ida ?
– Vous voyez pas qu’on allait se faire arrêter ? »

Ida comprend que les deux gardes ne sont pas en train de l’élever en l’air pour célébrer son triomphe mais de la tirer vers la salle. Elle entend deux coups sourds à côté d’elle : Finkelton, une canne-épée à la main, lui fait signe de s’enfuir au plus vite.

« Mais, et le rappel ? demande-t-elle.
– Euh… Plus tard, le rappel ! Disons que c’est un troisième acte surprise ! Suivez-moi !
– Formidable ! »

Scène 19 : « Mais mon épouse est dehors dans la cohue… Et les bananes ! »]
Ils passent en coulisse, en se débarrassant des gardes gris qui leur barrent le passage, et ils sortent par derrière. Finkelton fait monter Ida dans un fiacre, direction son manoir ; Cléanthe et monsieur Crane, qui se trouvent non loin, sont invités aussi.

« Bon alors, demande Ida sur le trajet, sérieusement, sans prendre de pincettes, qu’est-ce que vous en avez pensé ?
– J’arrive pas à croire que ça ait marché… balbutie monsieur Crane.
– Attention, ne salissez rien ! prévient Finkelton. Ah, mais vous êtes le fameux monsieur Crane ? On va avoir beaucoup de choses à se dire… »

Le fiacre commence à s’éloigner ; Finkelton soulève la banquette arrière, en sort un tromblon, et tire à travers la fenêtre sur les gardes qui les suivent, tandis que monsieur Crane fait s’effondrer la chaussée.

« Mais alors, demande Cléanthe, quand ont lieu les ovations ?
– Eh bien, figurez-vous qu’il y a un troisième acte surprise ! jubile Ida. J’adore ces spectacles itinérants ! Bon, c’est toujours difficile de déplacer le public, on en perd entre-temps, mais il se passe toujours des choses pendant le trajet…
– Vous ne vous déconcentrez pas : vous êtes vraiment une vraie artiste. »

Au manoir de Finkelton, un majordome fait progresser tout le monde à travers le jardin à petites foulées ; à l’intérieur, un autre majordome ferme tout à clef.

« Ne vous inquiétez pas ! » dit Finkelton. « J’ai un salon fait pour ça ! »

Il les fait descendre en sous-sol, dans une cave aménagée avec des canapés, un grammophone et une table garnie de bons alcools.

« Voilà ! souffle-t-il après avoir tout fermé à double tour. Ouf ! Je pense qu’ici, on sera tranquille, jusqu’à ce que tout ça se calme un petit peu.
– Comment ça ? demande Ida.
– Félicitations, mademoiselle Jerricane ! Je n’y croyais pas, mais vous avez été parfaite.
– Je sais…
– Ça veut dire que… commence monsieur Crane. Nindra ?
– Mais oui, mon bon ami ! Nous avons réussi !
– Mais on tue pas une déesse comme ça, voyons !
– Oh vous savez, de nos jours on tue des déesses très facilement.
– Mais qu’est-ce que c’est que cette déesse en carton… grommelle monsieur Crane.
– Mais ça veut dire que ça va être… compliqué en ville ? demande Cléanthe.
– Oui ! Enfin toute autorité est abolie ! Ça fait des siècles que j’attends ça !
– Mais mon épouse est dehors dans la cohue… Et les bananes !
– Comment ça, des siècles ?
– Non ! intervient Ida. Monsieur… Euh, monsieur…
– Finkelton.
– Monsieur Finkelton, il faut absolument qu’on ressorte, on a des bananes dans la tempête, et s’il y a la Garde grise qui…
– Ida, dit gravement Cléanthe, c’est ma responsabilité.
– Et que la vôtre ? Mais vous me prenez pour qui, monsieur Brumaire ? C’est pas parce que je vous ai confié la garde…
– Ida. Je m’en charge. Tout va bien se passer.
– Vous êtes sûr ?
– Tout va bien se passer.
– Une petite seconde… demande monsieur Crane. Des siècles que vous attendez ça ?
– Mais oui ! Si vous saviez ce que ça a été compliqué !
– Des siècles ? Vous ?
– Oui, je sais, je suis bien conservé. Je fais plus jeune, c’est ça qui vous surprend.
– En fait, vous faites surtout plus vivant que plusieurs siècles…
– Écoutez, c’est pas compliqué : vous fumez un bon cigare tous les jours, un verre de brandy, mais attention, du brandy de qualité, tous les soirs avant d’aller au lit, et vous vivrez des siècles, mon vieux !
– Il a raison, opine Cléanthe.
– Est-ce qu’on pourrait revenir à mes bananes ? demande Ida.
– Oui, est-ce qu’on pourrait rouvrir la porte de la cave, le temps que je sorte ? demande Cléanthe.
– Monsieur, dit Finkelton, vous avez une âme d’aventurier, et j’admire cela. Bonne chance.
– Je vous fais confiance, monsieur Brumaire, lui dit Ida. Ne me décevez pas.
– Vous pouvez, Ida. Et je compte sur vous pour votre spectacle de mariage. »

Cléanthe ouvre la trappe et sort dans la nuit.
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Scène 20 : « J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer »
« Vous êtes qui, exactement ? » demande monsieur Crane à Finkelton.

Pour toute réponse, Finkelton lui tend sa carte de visite, sur laquelle il est inscrit : « Jeremy Finkelton, noble ».

« Bon, mademoiselle Jerricane, je suis un peu embêté… D’un côté, votre spectacle était remarquable, mais de l’autre, je n’en ai pas vraiment d’autres à vous offrir… Mais vu ce que vous avez fait pour moi, je suis prêt à beaucoup. Dites-moi ce que vous voulez, vous l’aurez. Une salle de spectacle à votre nom, le loyer à vie, une pièce en votre honneur… ce que vous voulez.
– Eh bien, je ne sais pas… C’est la première fois qu’on me fait une proposition pareille…
– Je vous proposerais bien de m’épouser, mais toutes mes épouses meurent au bout de quelques dizaines d’années, c’est d’un ennui total…
– Oui, et puis Amandine avait des projets pour ça, donc… Moi, ce que j’aimerais bien, c’est que vous alliez trouver monsieur McVincent pour lui dire de me reprendre.
– Aucun problème : je vais racheter le cabaret Lilith, et ce McVincent fera tout ce que je lui demande.
– Non, en fait ce que je voudrais, c’est que vous lui glissiez ça de façon pas trop ostensible, histoire que toutes les filles de la revue qui passent après ne pensent pas que je suis pistonnée.
– Je comprends, vous voudriez que ce soit sincère. C’est pas évident, mais je vais le faire pour vous.
– Merci, monsieur…
– Finkelton. Bon, écoutez, je pense que les gardes gris se sont un peu calmés… Je vous conseille quand même de porter un masque ou quelque chose pendant quelques jours ; après tout, tout le monde vous a vue sur scène…
– Ah non, proteste monsieur Crane, ne me regardez pas comme ça, votre visage est parfait en l’état !
– Oui, mais il est reconnaissable…
– Attendez, j’ai mieux… Voilà, avec cette capuche c’est parfait. »

Ida le remercie et quitte les lieux.

« Alors, dit Finkelton à monsieur Crane quand ils ne sont plus que tous les deux, Ida m’a dit que vous détestiez vraiment Nindra ?
– Oui…
– Je pense qu’on a des choses à se dire, alors. Asseyez-vous, je vais vous expliquer. »

Monsieur Crane s’assied, son arbalète sur les genoux.

« Ne vous inquiétez pas, nous partageons les mêmes buts… “Partagions”, devrais-je dire maintenant que Nindra est défaite… Itras va pouvoir revenir, c’est tout ce que je souhaitais…
– Itras ne reviendra pas.
– Bien sûr que si ! Elle attendait juste que l’usurpatrice soit déchue de son trône, et…
– J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, dit monsieur Crane en chargeant un carreau sur son arbalète.
– Oui, mais posez ça, vous m’inquiétez un peu… Nestor ? Nestor !!!! »

Monsieur Crane pointe son arbalète sur lui, et scelle la porte.

« Itras ne reviendra pas. »

Cléanthe se précipite dans la rue, où les gardes gris patrouillent en masse. Il se fait rapidement arrêter, mais les gardes cherchent visiblement Ida Jerricane, brandissant le programme du spectacle à tous les passants.

« Vous, là, vous avez vu cette femme ?
– Mais oui, je l’ai vue !
– Où est-elle ? Elle est recherchée morte ou vive !
– Ah… D’accord.
– Si vous l’apercevez, dénoncez-là au commissariat le plus proche !
– D’accord. »

En sortant de chez Finkelton, Ida fait sauter la fiole de bonté pure dans sa main : « Ça », se dit-elle, « ça pourra aider monsieur Poicreux »… Et elle rentre chez elle. À sa grande surprise, Vivien McVincent l’attend sur le palier, un air apeuré sur le visage.

« Ida… Je, j’ai reçu un coup de fil… Je m’excuse pour tout ! Je suis prêt à vous reprendre !
– C’est vrai ?
– Oui, ça… Ça vient du fond… du cœur…
– Oh, vous savez, c’est vraiment mon rêve de terminer ma carrière au Lilith !
– Oui, oui, tous les soirs… Vous serez la vedette…
– Oh, alors ça, ça me fait plaisir que vous ayez vu mon potentiel !
– Oui, c’est ça, votre potentiel…
– Entrez, nous… nous allons discuter du contrat…
– Oui, bien sûr ! »

Au couvent de la Très Sainte Lumière d’Itras, plusieurs sœurs sont dans la grande salle du couvent, en plein débat pour désigner la nouvelle sœur supérieure. Sur l’écran de la Panavision, on voit juste la mer, l’horizon et rien d’autre. La plupart des adorateurs de Nindra assistent au débat, dans le calme et la bienséance, mais les discussions n’avancent pas.

Soudain, quelque chose crève littéralement l’écran : sœur Vestine le traverse en faisant une roulade. Elle est à nouveau jeune et impose le silence.

« Je sais pas ce qui s’est passé, dit-elle, j’étais dans ma cellule et d’un seul coup un flot de lumière m’a recouvert… Bon, c’est quoi ce bazar, là ? Qu’est-ce qu’ils font là, les adorateurs ?
– Ma sœur, c’est que…
– J’veux pas entendre d’excuses ! Et puis c’est l’heure des vêpres, là ! Décidément, je pars cinq minutes et tout va à vau-l’eau ! Allez, on se dépêche, vous allez me nettoyer tout ça, cet écran, j’en veux plus… »

Les sœurs s’activent, paniquées. Où que soit sœur Augusta, elle sait que son couvent est entre de bonnes mains, bien fermes et autoritaires.
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Acte 15 : C't'ainsi la vie

Prologue : Tout va bien… ou presque
Quelques temps plus tard…

C’est toujours le printemps à Itras By ; il fait à présent assez chaud, le temps est lourd, on sent que l’ambiance est électrique et pas seulement métaphoriquement. Quelque chose va éclater, bientôt. Les gens se baladent dehors car le temps est au beau, mais ils demeurent sur le qui-vive (il faut dire que les gardes gris veillent au grain, et qu’outre les StJones, comme on les appelle, qui couvrent les murs de graffitis, on aperçoit aussi en ville, de plus en plus souvent, un petit homme au visage triste et au costume trop grand pour lui, parfois à plusieurs endroits en même temps). Néanmoins, malgré cette ambiance étrange, l’organisation du grand événement qu’est le mariage entre Amandine Beaulieu et Cléanthe Bonheur va bon train : Amandine a invité Ida Jerricane comme témoin (et les bananes comme demoiselles d’honneur), tandis que Cléanthe, à défaut de pouvoir invité l’Étranger, a ramassé la première personne qu’il a croisé dans la rue et qu’il trouvait sympathique (une certaine Xavière).

Xavière est justement en train de réfléchir au discours qu’elle va devoir prononcer lors de la cérémonie. Elle tapote pensivement sur sa machine tout en réfléchissant à voix haute : « Cléanthe Bonheur est un homme… qui va se marier aujourd’hui… dans une ambiance un peu particulière, car son témoin de premier choix est décédé récemment… (Il y a quand même pas mal de gens qui sont morts récemment…) Ainsi que le maître d’école de l’École Élémentaire d’Itras By, qui s’est suicidé dans des conditions quelque peu mystérieuses… et ainsi que Nin— ». Sa main se bloque : impossible de terminer sa phrase. Elle essaye de dessiner une araignée, mais rien n’y fait. Elle retire la feuille de la machine, la froisse et la jette derrière elle, avant de recommencer.

Marek se consacre à sa nouvelle grande passion, pour laquelle il avait temporairement quitté le devant de la scène : sa ménagerie prophétique. Plusieurs fois par jour, il passe devant chaque cage, pour ramasser les prophéties qui pourraient le concerner, tout en répondant le plus rapidement à leurs moindres désirs. Au début, chaque animal écrivait une prophétie différente, mais les animaux se sont vite synchronisés et écrivent désormais tous la même chose : ces prophéties sont-elles dès lors plus puissantes ? Marek commence en tout cas à avoir un bon stock, même si elles ne valent pas celles du gorille…

Pendant l’une de ses visites journalières, Marek entend Georges rouler jusqu’à lui : « Monsieur Marek ! Je voulais savoir si on prévoyait une sortie aujourd’hui ?
– Une sortie ?
– Oui, je veux dire… Vous avez sans doute plein de choses à faire, avec la mort de Nindra… Il faut remplacer Géraldine et Chesterfield…
– Occupe-toi des petites affaires.
– Très bien, je mets des petites annonces pour deux tueuses à gages alors, pas de problème… »

Monsieur Crane est toujours dans sa tour, qui a quelque peu changé depuis les derniers événements : pour tester l’aspect tellurique de ses pouvoirs, il a fait s’écrouler le sol tout autour pour créer un gouffre. Il ne reste plus qu’un mince passage qu’il peut ouvrir à volonté, par exemple pour aller chercher le pain. Il passe le plus clair de son temps à faire deux choses : boire du whisky-qui-aurait-pu-être, de plus en plus, et sonder les limites verticales de la tempête qui s’annonce, pour savoir où s’arrête la réalité. Autant qu’il puisse en juger, au-dessus d’une épaisse couche de nuages, tout va bien. Il a bien essayé de tester les choses dans l’autre sens, mais après plusieurs jours à creuser le sol, il n’a toujours pas touché le fond. Mais ça ne devrait pas tarder : il sent quelque chose qui bloque son avancée, et décide d’aller voir par lui-même de quoi il retourne…

Amandine, elle, a également deux projets en tête : son mariage, bien sûr, qu’elle a découvert en ouvrant le journal un matin (elle a immédiatement appelé Ida pour l’y convier, et espère très fort que ce sera sœur Augusta qui se chargera de l’office), et la transformation de l’École Élémentaire en chantier naval. Maîtresse d’œuvre, elle a passé des petites annonces pour recruter des constructeurs de bateau, et arpente les lieux pour donner des ordres dans tous les sens et superviser l’élaboration d’un rail qui ferait glisser les bateaux depuis le chantier jusqu’au port (qui se trouve à l’autre bout de la ville). Tout cela va lui coûter beaucoup d’argent, mais heureusement, elle va se marier avec un homme riche… Et puis monsieur Crane pourrait peut-être lui transmuter un peu d’or…

Cléanthe, après avoir publié les bans qui annoncent le mariage pour le lendemain, a continué à baguenauder dans les rues de la ville, en revenant de temps à autre à son appartement pour décorer son futur nid d’amour avec les fleurs qu’il a collectées ça et là. Il n’a pas envoyé d’invitations pour le mariage : ceux que ça intéresse finiront bien par être au courant…

Scène 1 : Le retour de Moherat
Après avoir lu les prophéties que ses animaux avaient produit aujourd’hui, Marek attrape les journaux pour apprendre ce qu’il se passe en ville. Il y a beaucoup d’articles politiques spéculant sur ce qu’il va se passer à présent que Nindra n’est plus : Itras va-t-elle revenir ? Si personne ne revient, va-t-on louer la tour de la Lune ? Que faire de la carcasse du Dieu Machine qui jonche tout un quartier ? Marek se rend compte qu’il a manqué quelques développements récents… Plus encore lorsqu’il lit : « Cléanthe Bonheur a la joie de vous annoncer ses épousailles avec sa femme magnifique, Amandine Beaulieu. Tout le monde est convié à la réception, demain, avec vin d’honneur, petits fours. Nous passerons tous ensemble, forcément, une journée formidable ». Marek relit certaines de ses prophéties, qui lui évoquent ce mariage, et décide d’envoyer Georges chercher le lieu du mariage.

« Le mieux, suggère Georges, c’est peut-être de demander à l’un des époux… Je m’en occupe sur le champ. Ah, au fait ! J’ai reçu une candidature pour le poste laissé vacant par Géraldine et Chesterfield ! Une certaine Alicia StJones… Elle patiente dans la salle d’attente…
– Je vais la voir. »

Georges se lève, vacille un peu sur ses rollers, puis s’éloigne. Une fois qu’il a disparu, Marek croit entendre un « Ouiiiiiii ! » de satisfaction.
Il décide de recevoir Alicia au bar plutôt qu’à l’interminable bureau de Jeff l’Usurier. C’est une femme entre deux âges, de toute évidence apprêtée pour l’occasion sans en avoir tout à fait l’habitude : son maquillage est assez vulgaire et ses vêtements plutôt courts, mais on sent qu’elle s’est vêtue des vêtements qu’elle jugeait les plus professionnels.

« Vous postulez pour quoi ? lui lance Marek.
– Euh, bonjour monsieur ! Oui, voilà, c’est pour le poste de tueuse à gages… C’est bien ça ?
– Je sais pas. Vous postulez pour quoi ?
– Euh, c’est votre secrétaire, monsieur Georges, qui m’a dit qu’il cherchait quelqu’un pour remplacer… Attendez, je l’ai noté… Géraldine Chesterfield…
– Vous savez tuer des gens ?
– Bin, euh, oui…
– Vous avez une jumelle ?
– Bin, euh, non…
– Vous êtes embauchée.
– C’est vrai ? Oh, c’est fantastique ! Je commence quand ?
– Quand vous voulez.
– Ah, bin, euh… Tout de suite ?
– Bien. Allez tuer des gens.
– Mais je tue qui ?
– Qui vous voulez.
– Euh, d’accord, mais je serai pas arrêtée ?
– Je sais pas.
– C’est-à-dire, ça m’embêterait…
– Ça fait partie de votre métier, pas du mien.
– Ah, il faut que je les tue sans me faire arrêter, alors ! D’accord ! Et pour le salaire ?
– Combien vous voulez ?
– Bin, euh…
– Je paye en bananes.
– Bin, euh… Je sais pas, trois régimes par mois ?
– Allez. »

Monsieur Crane se dirige vers les profondeurs de sa tour : à mi-parcours, il croise le facteur qui dépose quelque chose dans sa boîte aux lettres (ce n’est pas chose aisée à cause du gouffre, d’ailleurs il tombe dedans). Il descend au plus profond possible, et lorsque les portes de son ascenseur s’ouvrent, il se retrouve face à un couloir déjà creusé… mais pas par lui. Il revêt son chapeau muni d’une lampe frontale et avance dans ce grand tunnel en terre sphérique, large de trois bons mètres et totalement lisse. Au loin, il entend des bruits de couverts qui s’entrechoquent, et finit par rencontrer des dîneurs en train de manger en riant et discutant assez fort autour d’une table en bois. Sur treize tabourets sont assis treize chevaliers qui dévorent des cuisses de poulet et vident des chopines de vin en chantant des chansons. La mine défaite, monsieur Crane s’avance vers eux sans crainte : « Va-t-en, le gueux ! lui lance l’un des chevaliers. On n’a plus de victuailles pour les petites gens !
– Est-ce une façon courtoise de convier les invités, messieurs les chevaliers ?
– Mais pose ce verre, voyons ! On n’a rien pour toi ! Va cuver ton vin ailleurs, pochtron !
– Bien, si vous le prenez sur ce ton…
– Sais-tu seulement à qui tu t’adresses ?
– Moi, je m’appelle monsieur Crane ; j’espérais que vous vous présenteriez et que nous pourrions deviser entre gens civilisés… »

Le chevalier se lève : haut de deux mètres et large d’autant, il en impose. Son visage est couvert d’une grande barbe rousse et couturé de cicatrices ; il regarde monsieur Crane du seul œil qui lui reste.

« Je suis Moherat, tonne-t-il, et ces douze hommes que tu vois là sont mes fiers chevaliers ?
– Ah… Et que faites-vous ici, monsieur Moherat ?
– Nous venons combattre.
– Qui donc ?
– Qui donc ? Ah ah ah ah ah ! Le néant, bien sûr !
– Parlez-moi un peu de ce néant… Je suis désolé, je ne suis pas très au fait de tout cela…
– Si tu buvais un peu moins, clochard, tu te serais aperçu que le néant est en train de grignoter notre ville, et de plus en plus !
– Oh ! Et vous êtes les seuls à combattre le néant ?
– Eh oui !
– Ah… Et il n’y a qu’une seule entrée à cette salle entièrement en terre…
– Pardi !
– C’est fou que personne d’autre ne combatte le néant que vous, braves chevaliers…
– Car nous sommes les envoyés d’Itras ! Nous combattons le néant depuis qu’elle nous a postés aux frontières de la ville ! C’est nous qui empêchons les cauchemars de rentrer ! Mais à présent, la situation est grave, et nous devons intervenir directement au cœur de la cité !
– Seulement vous treize… Vous êtes bien courageux…
– Bon, c’est pas tout ça mais faut qu’on finisse de manger avant de repartir !
– Oui oui, je vous laisse à vos libations, mon seigneur… Profitez bien de votre repas.
– C’est ça ! Allez, du vent, manant ! »

Monsieur Crane fait quelques pas en arrière, puis fait s’écrouler la salle sur eux. Aucun cri ni hurlement ne répond à son geste : à vrai dire, une fois que la salle s’est écroulée, il les entend encore rire, boire et manger de l’autre côté des gravats. Il décide de transformer la terre alentour en plomb, ce qui lui demande beaucoup de forces… et ne change strictement rien (à part que les chevaliers sont à présent en train de roter, de toute évidence à la fin de leur repas). Il se poste comme il peut devant l’endroit où se trouvait l’entrée de la salle, et entend un bruit se rapprocher : la paroi tremble et finit par céder sous les coups de pioche de l’un des chevaliers.

« T’es encore là, toi ? mugit Moherat.
– Oui oui, excusez-moi, je reprenais mon souffle après…
– Sers donc à quelque chose, alors ! Tu peux aller clamer dans les rues de la ville que nous sommes de retour !
– Oui, je… Je n’y manquerai pas… »

Les chevaliers passent devant monsieur Crane et empruntent son ascenseur pour remonter, tandis qu’il va voir le trou qu’ils ont laissé : ils n’ont pas l’air d’avoir creusé, c’est comme s’ils avaient traversé le plomb que monsieur Crane avait créé… Il va falloir qu’il s’y prenne autrement…
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Message par Emöjk Martinssøn »

Scène 2 : Une assassinne bien consciencieuse
En pleine récolte de fleurs dans les rues de la ville, Cléanthe entend une voix féminine derrière lui : « Excusez-moi, monsieur ? Voilà, je suis un peu embêtée, mais je vais devoir vous tuer…
– Ah, c’est fâcheux, effectivement… mais pour quelle raison ?
– C’est que c’est mon métier, en quelque sorte.
– Mais c’est passionnant ! Comment vous appelez-vous ?
– Alicia StJones.
– Vous êtes de la famille de Jonas ? C’est un ami !
– C’est mon cousin ! Ça alors ! Le monde est petit, quand même… Oh bah ça ! Ça me fait bien plaisir de tuer un de ses amis !
– Écoutez, je vous propose quelque chose : je dois me marier demain, pourquoi ne venez-vous pas à la noce ? Vous remettez la mort à plus tard…
– Bah ouais, mais ça m’embête par rapport à mon patron… Je viens de commencer, et le premier jour, il faut toujours être…
– Oui, mais ce qu’il faut, à la vérité, c’est pas trop de zèle, et beaucoup d’application.
– Pff… Je peux pas vous blesser un petit peu, peut-être ? Comme ça je pourrais lui dire que j’ai commencé et que je finirai demain, vous voyez…
– Le problème de la blessure, c’est que si je ne suis pas en état de finir la cérémonie…
– Non, mais un petit truc ! Je vous coupe un doigt… Je vous lacère une oreille…
– Vous avez l’air bien en peine, quand même.
– Bin oui, vous savez, moi j’ai pas tué grand-monde avant…
– Allez, faites-le.
– Vous êtes vraiment un chic type ! Je comprends que vous soyez l’ami de Jonas !
– Vous me promettez d’être à la noce demain ?
– Bin oui, si vous voulez !
– Il y aura des petits fours, à boire, à manger… Vous pouvez même faire un cake et l’amener, si vous le souhaitez !
– C’est à quelle heure ?
– Euh… Au coucher du soleil.
– Très bien ! Et c’est où ?
– Euh… C’est… Dans les nouveaux appartements de monsieur Martin Poicreux.
– Oh, bah d’accord, très bien. Alors attendez, je dois avoir des ciseaux assez affutés… Bougez pas, hein, faudrait pas que je me rate ! »

Alicia coupe le doigt de Cléanthe d’un coup sec ; ce dernier garde le sourire tant qu’il le peut. Elle prend le doigt coupé et le dépose dans un petit mouchoir noir.

« Ça va, j’ai bien fait ? Vous êtes tout pâle, d’un seul coup…
– Mais non, tout va bien… répond Cléanthe d’une petite voix.
– Vous voulez que je vous amène chez le médecin ?
– Ce ne serait pas de refus…
– Vous allez pas mourir maintenant, quand même ?
– Non, non… Vous faites très bien votre travail… Vous avez fait ça avec application, j’en aurai au moins pour une semaine à saigner par le doigt.
– Bon, appuyez-vous sur moi, on va aller voir le médecin. Mais je vous ai pas déjà vu quelque part, vous ? Vous fréquentiez la rue des Nymphes, à une époque, non ?
– C’était il y a bien longtemps… Avant que je trouve la nymphe qui habite mon cœur…
– Ah, quel poète… Oui, je me souviens, vous alliez voir une de mes collègues. Ça alors, le monde est vraiment petit !
– C’était une autre époque…
– Pour moi aussi, d’ailleurs ! C’était avant ma reconversion, j’étais pute là-bas mais je suis tombée un peu malade, ça m’a fait réfléchir…
– Vous avez cherché une solution pour assurer votre avenir, je comprends bien. J’ai de très bonnes amies qui exerçaient ce métier, autrefois… Une paire de jumelles, elles s’appelaient Géraldine et Chesterfield.
– Elles étaient putes ?
– Non, tueuses à gage. Quoique, elles ne disent pas souvent non à un petit passage dans les toilettes avec certaines personnes de ma connaissance… »

Alors que Cléanthe et Alicia se dirigent lentement vers chez le médecin, ils sont interrompus par deux gardes gris.

« Halte-là ! Déclinez votre identité !
– Bonheur, Cléanthe, homme heureux, et StJones, Alicia, support d’un homme heureux jusqu’au médecin.
– Vous êtes blessé ? C’est arrivé comment ?
– Ah, bah en fait, c’est moi qui lui ai coupé…
– Oui, je n’en avais plus l’utilité.
– Vous êtes intimes ?
– Non, je suis Cléanthe.
– Non, je veux dire, c’est votre légitime ? C’est votre… quelque chose ?
– C’est une amie.
– Monsieur est un client, ne vous inquiétez pas ! Je vais m’occuper de lui ! Enfin j’ai commencé, mais je finirai demain soir !
– Bon… Très bien… Alors je note : “Dispute conjugale”… Désolé, c’est pour les comptes. Vous n’auriez pas vu un petit homme à l’air triste avec un manteau trop grand pour lui, par hasard ?
– Pas récemment, non…
– Très bien. Nous le recherchons mort ou vif. Lui ou l’un de ses doubles.
– Oui, quelques-uns se promènent en ville, je crois…
– Un peu trop. Beaucoup trop, même.
– Mais qu’a-t-il fait, exactement ?
– Que n’a-t-il pas fait, vous voulez dire ! Recel d’âme, duplication, usurpation d’identité, déplacement temporel, et j’en passe !
– Effectivement, c’est salé ! Mais ce sont des délits, tout ça ?
– Euh… Euh, oui !
– De quelle juridiction ?
– De… De… Dites donc, vous posez bien des questions, pour un homme heureux ! Vous êtes sûr que vous êtes vraiment heureux ?
– Mais oui ! Et je suis très curieux, surtout ! Je m’intéresse à mon semblable !
– Si vous êtes heureux… Prouvez-le. »

Des fleurs poussent sur la tête de Cléanthe.

« Attends, j’ai un truc pour ça », dit l’autre garde à son collègue.

Il fouille dans son besace et en sort une espèce de flutiau avec une poche en cuir au bout.

« Soufflez là-dedans », dit-il.

Cléanthe souffle dedans, et le flutiau explose.

« Il a explosé le bonheuromètre, je pense qu’on peut lui faire confiance… Allez, circulez, mais…
– Les amis, interrompt Cléanthe, j’ai une proposition à vous faire ! Demain, je me marie.
– Qu’est-ce que ça peut me foutre ?
– Il y aura des petits fours, et un buffet, du vin… Ce sera merveilleux !
– Ah ! Et vous avez besoin de quelqu’un pour la sécurité, c’est ça ? Parce qu’il y a vos ennemis… Un amant jaloux de votre épouse qui va venir pour essayer de vous tuer…
– Non, ça fait partie de la cérémonie, ça ! Non, je pensais plus vous inviter à boire un verre avec nous, et partager le moment, profiter de tout ça, quoi ! Si vous n’êtes pas de garde, naturellement, je ne voudrais pas vous déranger pendant votre service.
– Oh, écoutez, c’est tout à fait envisageable… Lieu et heure de l’opération ?
– À la tombée du jour, aux appartements Poicreux.
– Pas net, ce gaillard-là… Très bien, on pourra enquêter un peu sur lui en même temps.
– Excellente idée ! »

Les gardes saluent Cléanthe, qui a repris quelques couleurs, et reprennent leur ronde. Alicia et lui continuent de déambuler dans les rues, et passent devant un StJones qui est en train d’écrire à la craie sur un mur : « Attention à la bougie des amants ». Il fait un clin d’œil à Cléanthe.

Scène 3 : Pas facile d’occuper tout un régime de bananes
Au chantier naval, Amandine réfléchit à des questions vestimentaires : elle veut se faire sa propre robe de mariée avec l’aide des bananes (même si Ida désapprouverait) avec des lambeaux de tissu de toutes les couleurs.
Les bananes tirent sur sa robe : « Mama, mama !
– Oui, mes chéries ?
– On veut pas que tu te maries, mama !
– Bah pourquoi ?
– Euh, euh, euh… C’est pas bien de se marier !
– Pourquoi c’est pas bien de se marier ? Quand on est heureuse, c’est bien !
– Parce que, parce que…
– Vous resterez nos petites bananes chéries !
– C’est pas vrai ! Tu vas te marier avec un nouveau papa, et tu penseras plus à nous !
– Mais nooooon, mes chéries ! De toute façon, vous viendrez habiter avec nous !
– Si ! Tu vas nous abandonner, comme notre autre maman !
– Mais nooooon… Enfin, est-ce que je vous ai abandonnées ? Est-ce que je vous ai oubliées ces derniers jours ?
– Ouiii…
– Euh… De toute façon… Si vous voulez, pour la cérémonie, on peut partir en quête de plein de sauce au chocolat pour que vous en ayez plein, et euh… Vous savez bien que papa, il vous aime beaucoup !
– Ouiiii… Mais il est bizarre…
– Pourquoi il est bizarre ? Vous disiez pas ça sur le bateau ! »

[Pierre demande à tirer une Carte « Chance ». Il lit : « Trois questions. Le temps se fige ; vous pouvez poser trois questions au personnage de votre choix (PJ ou PNJ) qui doit vous répondre honnêtement. Que vous apportent ces questions ? Pourquoi celles-là en particulier ? ».]

Une petite voix se fait entendre dans la tête d’Amandine : « Peux-tu jurer à tes bananes qu’une fois mariée, tu auras autant de temps à leur consacrer ?
– C’est pas tant le mariage qui m’inquiète que le chantier naval, répond-elle.
– Les bananes, reprend la voix, vous croyez votre maman quand elle vous dit qu’elle vous aime encore ?
– Oui, elle nous aime encore, mais elle nous aime moins ! Mais c’est pas grave, parce qu’on va arranger la situation !
– Qu’est-ce que vous allez faire pour arranger la situation ?
– On va tuer papa, ou on va tuer maman ! On sait pas encore ! »

Le temps reprend ; Amandine s’excuse auprès des bananes. « C’est vrai, maman a plein de projets dans la tête, plein de choses qui se chamboulent… Je suis désolée, j’ai passé moins de temps avec vous… On va corriger tout ça. Et puis quand on sera installés tous les trois, enfin, tous les 500 avec papa, ça va bien se passer…
– C’est maintenant qu’on veut jouer… pleurnichent les bananes.
– Qu’est-ce que vous voulez faire ?
– On voudrait… Euh… S’amuser ! Ouiiiii, on va s’amuser !
– Vous voulez vous amuser où ?
– Euh… Euh…
– J’ai vu que monsieur Crane… Vous vous rappelez de monsieur Crane ?
– Ouiiii ! Il est très méchant !
– Oui, soit. Il a construit une nouvelle tour ; ça vous dirait qu’on aille y faire un tour ?
– Ouiiiii ! On va casser la tour du méchant ! Ouiiii !
– On verra après si on va la casser, d’accord ?
– Bon, d’accord…
– Et on va lui demander ce qu’on peut casser.
– Ouiiiiiii !
– Voilà. Allez, on va se promener, les filles. »

Alors qu’Amandine sort du chantier naval, un homme chaussé de rollers glisse vers elle.

« Excusez-moi, dit-il, on m’a dit que c’était vous la patronne du chantier ?
– Oui, vous êtes ?
– Je suis monsieur Georges, je viens de la part de monsieur Marek. Est-ce que vous avez vérifié avec lui pour votre droit à l’expansion du chantier naval ? Vous savez qu’il faut voir avec lui pour tout ce qui concerne les bateaux…
– Ah bon… Euh non, pas du tout… Parce que c’est une ancienne école que j’ai récupérée et que je suis en train de rénover… C’est pas pareil…
– Si, si, c’est pareil. Je vous conseille de régler ça rapidement : entre vous et moi, monsieur Marek est pas très très commode, et en plus, il a engagé une nouvelle tueuse à gages…
– Non ! Elle a deux jambes ?
– Bah, oui. Toutes les tueuses à gages n’ont pas une seule jambe ! Tout de suite les stéréotypes…
– Bon. Les bananes, vous préférez quoi ? Qu’on aille voir monsieur Crane ou monsieur Marek ?
– Euh… On sait pas… Ils sont tous les deux bizarres et méchants !
– Elles me font une crise d’adolescentes ou quoi ? se dit Amandine, avant de reprendre à voix haute : bon, on va d’abord voir monsieur Marek, et après on ira voir monsieur Crane !
– Pff, nous on voulait l’inverse…
– Bon, on va d’abord voir monsieur Crane, et après on ira voir monsieur Marek !
– Bon, d’accord…
– Très bien. Écoutez, Georges, j’ai du pain sur la planche, mais je passe le voir plus tard dans la journée, d’accord ?
– Ouais, moi je dis ça, c’est pour vous, hein… Je ne suis que le messager.
– D’ailleurs, profitez-en pour lui dire que demain, il y a mon mariage !
– Je pense qu’il est au courant.
– Super ! J’espère qu’il y sera !
– Je relaierai le message. Ah, et il m’a chargé de vous donner ça. »

Georges sort un papier de sa poche ; un papier qui annonce : « Ils ne franchiront jamais la colline maladroite ».

« Ça vient d’où ? demande Amandine.
– Ah, c’est une prophétie !
– De quel animal ?
– Son dindon.
– OK… Merci… »

Georges s’éloigne en roulant et en poussant des cris de joie.
J'écris des mini-JdR par dizaines !
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