Le savoir est le pouvoir, cette vieille maxime me trotte dans la tête alors que je mets les pieds pour la première fois depuis des années dans les ruines de mon enfance. Le pouvoir est le pouvoir, il n’y pas de meilleure règle à connaître. La personne qui pense que la plume est plus forte que l’épée remet beaucoup de choses en perspectives quand il a vingt centimètre de fer planté dans le bide. Sachant ce que nous allions devoir affronter, ignorant ce que nous allions découvrir, je ne peux qu’approuver plus que jamais la lucidité des quatre jeunes personnes sous le choc qui ont prêté serment de devenir forts ensemble, en apportant par chacun une pierre complémentaire à poser sur la route de notre destin. Le pouvoir a bien des visages et face à ces monstres, il aura ceux de quatre amis, frères de coeur, déterminés et concentrés.
J’arrête mon cheval à l’entrée de ce qu’il reste de notre passé, les superstitions ayant encore assez la vie dur dans les régions reculées pour que personne n’y reconstruise quoi que ce soit. Un village fantôme, à moitié détruit, probablement hanté pour ce que j’en sais, il mérite de l’être en tout cas. J’attache mon compagnon de route à un arbre non loin et pénètre dans la grande rue, du moins l'appelaient-on comme ça gamins. Je nous revois en train de la descendre en rigolant, poursuivis par un cri colérique bien connu …
“Bande de vauriens ! Revenez ici tout de suite !
_ Désolé M’sieur Cartis ! On vous jure qu’c’était un accident, criais-je sans réussir à contenir un rire bien plus accusateur et sincère que mes propos.
_ P’tit couillon ! Je m’en vais l’dire à ta mère, tu verras la correction que tu vas prendre !
_ Ho ? Quelle correction va prendre mon fils ?”
Je m’arrêtai net face à la femme sortant tout juste d’un coin de maison. Elle portait son arc en bandoulière et tenait plusieurs lapins dans sa main. Elle avait les yeux gris rieurs que son fils avait hérité et affichait toujours une sorte de fierté et assurance sereine.
“Ho ! B’jour mère !
_ Pas de mère avec moi, je connais tes paroles mon fils. Rak, je te croyais plus raisonnable et mûr que mon fils.
_ C’est arrivé vite m’dame, je suis désolé. Rak baissa les yeux, gêné et honteux.
_ Barett, même chose, je vous pensais tous les deux capable de tenir mon fils sur un chemin plus honorable.
_ C’est qu’il parle vite, déclama Barett, et des fois, on s’met à faire des choses avant de réaliser ce qu’on fait.
_ Vous êtes tous les deux de beaux menteurs avides des mêmes bêtises que mon fils.”
Elle soupira et se tourna vers les plus âgés du groupe, faisant un signe à Cartis le boulanger d’attendre un peu avant de parler, renforçant encore plus la rage déjà bouillonnante de celui-ci. Tout le village savait et s’amusait des colères du vieille homme, Dex vit dans le regard bien connu de sa mère une étincelle de malice contenue.
“Jack, Irda, vous êtes sensés être les plus âgés ici, c’est quoi vos excuses ?
_ Aucune, déclama laconiquement Jack, l’ennui peut-être.
_ Désolé m’dame ! On regardait ailleurs. Vous savez ce que c’est, répondit de son côté la petite blonde mignonne et espiègle.
_ Au moins, vous êtes un peu plus convainquant que les autres.”
La bande de jeunes inconscients que nous étions échangea des regards complices et amusés pendant que le vieux boulanger expliqua comment une balle avait pu traverser une fenêtre et tombé précisément dans le sceau de farine rempli…
Tout en avançant, le sourire que j’avais aux lèvres en pensant à ce souvenir disparu aussi sec devant l’entrée d’une maison familière…
Le cri des blessés avaient remplacés celui des monstres. Hagard, j'errais dans les rues, le pendentif ensanglanté de ma mère dans la main. Les murs rougeoyaient d’ombre de flammes sur des traces sanglantes. Personne ne faisait attention à moi, j’avais laissé Rak et Barett aider les rares survivants. C’était peut être de l'égoïsme mais je n’arrivais pas à penser aux autres, mon esprit restant sur la dernière image sordide et irréelle de mes parents. Je réussi pourtant à reprendre une partie de mes pensées en apercevant Jack, assis par terre, pleurant en silence en tenant un corps dans ses bras. Je reconnu de suite la chevelure blonde et m’avança.
“Jack … c’est … c’est Irda ?”
Il tourna la tête, m’offrant un regard plus hanté encore que celui que j’imaginais lui renvoyer. Il caressait la chevelure blonde et sans un mot, confirma d’un geste mes plus sombres pensées.
Soupirant, je continue mon chemin, prenant conscience que ce n’était pas tant le village qui était hanté que ma propre personne. Chaque détour pouvant autant me faire sourire que pleurer mais c’est avec un courage que je ne soupçonnais pas avoir que je fais maintenant face à mon ancienne maison, mon ancien foyer. L’odeur fantomatique de gibier cuit me vint naturellement, ainsi qu’un chant lointain…
J’observais avec affection ma mère préparer le repas pendant que mon père, grand bûcheron au coeur tendre ramenait le bois pour alimenter le feu. Ce que j’aimais le plus, c’était d’entendre ma mère chanter alors qu’elle préparait la cuisine. J’aimais sa voix, elle y faisait vivre chaque mot, chaque rime comme un tableau magnifique, une porte vers un monde qu’elle m’invitait à fouler avec passion. Je m’y réfugiais et mes souvenirs les plus marquants restent encore aujourd’hui les moments où ma mère et moi chantions au coin du feu pendant que mon père écoutait avec tendresse avant de nous applaudir une fois que nous avions terminés. Une belle vie, jusqu’à cette nuit. Tout alla très vite et pourtant, tout paru une éternité en même temps. Les premiers grognements, mon père tombant au sol, lâchant la hache ayant échoué à le défendre, le torse déchiqueté pendant que ma mère décapitait l’horrible créature avec son épée. Ma mère me poussant vers notre petite cave avant d’en cacher et camoufler l’entrée comme elle pouvait. Deux créatures entrant, à peine visible par les interstices du plancher derrière lesquelles je collais mon regard inquiet. Elle, combattant avec rage et détermination, tranchant le bras du premier lycan, hideux, monstrueux, bien loin des contes déjà sensés faire peur aux enfants. Le deuxième en profita et d’un coup de griffe, décapita ma mère avec une facilité horrifiante. Un cri d’horreur à l’extérieur, couvrant de justesse le mien qui venait juste de m’échapper alors que la tête roula au sol avant de me faire face de l’autre côté du bois, m’offrant un regard de surprise et de douleur. Les créatures s’éloignant vers l’autre cri et la paralysie qui m’habitait. Ce ne fut que bien plus tard, à la voix rassurante de Barett hurlant à Rak que j’étais là que mon esprit revint difficilement à la terre ferme et à la réalité de ce qui venait de se passer. Je posai mes yeux sur Barett qui tenait la porte de la cave ouverte et je me mis à pleurer …
Toujours aucune trace des autres, laissant à mon pèlerinage présent le recueillement que je souhaitais lui donner. Un dernier arrêt sur ma liste, je lève les yeux au ciel un moment, remet une mèche noir derrière l’oreille pointue et je me met en route vers l’arbre. Il reste toujours majestueux, ce vieux compagnon de jeu, me dis-je alors que j’avançais en haut de la petite colline centrale au village qu’il surplombait de son âge vénérable. Je souris en mettant la main sur son écorce, saluant un vieil ami, témoin de nombreuses bêtises tout comme celui du serment qui lia notre vie future à celle de notre passé.
L’aube s’approchait, les monstres s’étaient enfuis. Les rares survivants dont nous faisions partie regardèrent le pied de l’arbre avec dégoût et horreur. Je ne me souviens plus si j’avais vomis, probablement, mais je me souviens que d’autre l’ont fait, plusieurs fois. Les monstres avaient déchiquetés plusieurs victimes et pour une raison incompréhensible, avaient posés les membres ensanglantés au pied de l’arbre où ils formaient un décorum étrange, morbide et à la signification que je cherche encore à comprendre aujourd’hui. Nous étions tous les quatre côte à côte, le regard fixe, triste, sévère et colérique. Des mots furent prononcés, des mots scellant le destin de quatre jeunes hommes, destinés à venger la mort de personnes aimés, à trouver l’origine d’un massacre aussi incompréhensible et à s’assurer qu’aucune autre famille, aucun autre village n’ait à subir ça. Une partie de moi savait alors quelle route j’allais prendre pour m’y préparer, pavée d’une curiosité dévorante et d’un besoin de comprendre l’incompréhensible.
“Dex, sale raclure ! Tu pensais quand même pas m’échapper !”
Je me retourne, surpris, pensant avoir à faire à l’un de mes compagnons pour vite prendre conscience que la voix m’est certes familière, mais pas comme je l'espérais. Face à moi se trouve un homme à la forte corpulence et aux habits sobres mais riches, entourée d’une bande de trois malandrins à l’air récemment embauchée pour un quelconque méfait que je soupçonnais être cogner très fort sur ma personne, si je devais m’engager sur le terrain des suppositions.
“Marcus ! Que me vaut le plaisir ? Fâché pour le livre ? Je vais te le rendre tu sais, pour un ouvrage supposé unique et ancien, je n’y ai guère trouvé le bonheur escompté.”
Fouillant dans ma sacoche, j’en sors un vieil ouvrage poussiéreux qui de fait, ne m’avait guère apporté de réponses. Après avoir suivi le mentorat d’un ancien professeur de collège bardique, je m’étais engagé à trouver le plus de savoir possible sur cette race particulière de Lycans, ce qui m’avait amené très récemment sur la piste d’un ouvrage unique, propriété d’un commerçant voulant se faire passer pour le collectionneur cultivé qu’il n’était clairement pas. Le susnommé marchant s’empourpre à mes paroles et avant de le laisser hurler les choses auxquels je m’attends, je l’interromps.
“C’est navrant toute cette histoire. Si tu n’avais pas fais ta fine gueule en m’autorisant à la consulter comme je le souhaitais, je ne me serais pas trouvé contraint de te l’emprunter. Sois honnête avec toi même un peu ! Tu ne l’utilisais pas, dis toi qu’il est passé dans des mains plus à même d’en apprécier sa valeur intrinsèque.
_ QUE … QUOI ! Maudis soit-tu ! Je me contrefous de ce livre ! Tu as couché avec ma femme espèce d’ordure !!!! POURQUOI !!!!!
_ Ha, ça … Disons que tu ne l’utilisais pas beaucoup non plus, donc plus ou moins les mêmes raisons en fait. J’imagine que c’est elle qui t’as dit où me trouver. Je parle décidément beaucoup trop sur l’oreiller moi.”
C’est étonnant le corps humain, il peut prendre des couleurs tellement inattendues. Je n’imaginais en tout cas pas voir un jour quelqu’un dépasser le rouge colère pour atteindre un nouveau palier virant vers le pourpre prune.
“TUEZ MOI CE FILS DE PUTE !!!”
Les trois hommes s’étaient déjà avancés pendant ma diatribe et se mettent maintenant en position d’encerclement. Un petit sourire aux lèvres, la main gauche posée sur ma rapière et la droite commençant à tracer des signes discrets, je sifflote, paisiblement. Intrigués mais trop stupides pour comprendre, les trois assaillants se jettent presque simultanément sur moi. Ils n’avaient pas vu l’aura légèrement blanche qui m’entoure maintenant, ni l’air qui s’était mis à crépiter. Alors que leurs lames s’approchent dangereusement de ma zone de confort, je finis mon sifflement en murmurant avec une joie non retenue.
“Boum”
La vague de choc, accompagnée d’un bruit de tonnerre furieux, repousse les trois hommes en arrière et au vu du sang sortant des oreilles de deux d’entre eux, je viens de diviser les forces en présence par deux, voir trois vu que je doute fortement des capacités martiales du bedonnant marchand. Laissé le troisième homme sonné, je m’avance vers Marcus, reprenant le livre en main et lui tendant dans un geste calme et apaisant.
“On en reste là ? Reprends ton livre et part d’ici, je n’ai aucun plaisir à verser du sang ici alors ne me force pas à y ajouter le tiens.
_ Je … je le reprends (Il m’arrache le livre des mains). Mais ne crois pas que ça soit terminé pour autant !
_ Si ça l’est. Rentre chez toi, occupe toi mieux de ta femme, elle le mérite crois moi, et oublie mon existence.”
Marcus m’observe un moment et c’est trop tard que je prend conscience du petit sourire qu’il arrivait difficilement à contenir. Je me retourne pour voir le troisième homme charger, la pointe commençant à effleurer mon armure et je me dis que mon arrogance vient de me tuer pour de bon cette fois. Pourtant, le bruit sourd d’un carreau transperçant un crâne contredit mes propos et le troisième et dernier malandrin s’effondre à mes pieds, laissant à peine une égratignure. Jack m’observe un moment, abaissant son arme et d’un signe de tête, me demande si ça va. Je lui répond de la même façon et me retourne vers un commerçant aux teintes vertes maintenant.
“Disais-je, avant d’être très peu civilement interrompu. Prends ce livre, rentre chez toi et oublie moi. Nous avons un accord ?
_ … Heu oui oui … (Marcus n’arrivait pas à quitter Jack des yeux.)”
Jack se met à mes côtés alors que le marchand s’enfuit à une vitesse étonnante pour sa condition physique, provoquant un petit éclat de rire de ma part.
“J’ai faillis pas te reconnaître et viser le mauvais, s’amusa l’homme qu’était devenu Jack.
_ Tu as bien changé aussi mon ami. C’est bon de te revoir.
_ Pareillement. Je rêve où c’est un violon qui sort de ta sacoche ? Oublie ça, plus important, j’ai tué quelqu’un qui le méritait rassure moi ?
_ Ha, oui ! Enfin je pense, vu sa gueule. Un certain malentendu qui a faillit me coûter la vie, je t’en dois une.
_ Qu’on soit clair, vu ce qui nous attend, personne ne devra jamais rien à personne. On est ensemble jusqu’au bout.
_ Jusqu’au bout.
_ Bon, maintenant, bouge toi et aide moi à faire disparaître les cadavres avant que nos chers compagnons d’église te posent plus de questions que moi.
_ Cela serait fâcheux en effet.”
Je souris à mon compagnon, mon frère d’arme, de coeur et de deuil et je l’accompagne vers les corps encore fumants de trois mercenaires malchanceux dans leurs choix de contrat…