1.)
Quoi que c'est ?
SIGMATA: This Signal kills fascists
2.)
Vous en avez entendu parler où pour la première fois ?
Peut-être ici mais je n'y ai fait attention qu'après avoir découvert
Cryptomancer, le précédent jeu de Chad Walker.
3.)
Achat compulsif, impulsif ou réfléchi ?
Réfléchi parce que j'avais de bonnes raisons de l'attendre, compulsif parce que j'ai pris le PDF alors que j'attendais la version papier (qui m’amènera peut-être à repasser à la caisse)
4.)
Vous pensiez trouver quoi ?
J'avais des attentes très précises après avoir lu et testé
Cryptomancer.
Ce dernier était un jeu qui introduisait, via des systèmes magiques, les problématiques de hacking, de cryptographie et de sécurisation des systèmes d'information dans un univers medfan. C'était aussi un jeu qui s'inspirait de l'affaire Snowden et qui avait une dimension politique qui, à mon sens, était intellectuellement convaincante (le jeu m'a amené à être plus curieux que je ne l'étais sur les problématiques de contrôle de l'information) mais un peu désincarné. La couleur medfan générique empêchant de prendre complètement au sérieux cet aspect (
Cryptomancer reste un jeu ludiquement fascinant et très amusant à jouer).
Parce qu'il se situe dans un univers plus proche du nôtre, une uchronie 80's où les USA ont sombré dans le fascisme, SIGMATA me semblait émotionnellement plus engageant.
Une interview de l'auteur sur un site anarchiste et antifasciste mi-chemin entre la discussion sur le game-design et la réflexion politique avait fait considérablement grimper mes attentes. L'auteur de jeu y parlait de stratégie de résistance politique avec une approche très analytique et un discours parfois rentre-dedans sur la nécessité d'être capable de construire des alliances de situations à contre-courant des exigences de pureté politique. C'était convaincant et donnait très envie de voir comment il allait ludifier cette réflexion riche sur les méthodes de résistance politique.
5.)
Vous avez trouvé quoi ?
C'est d'abord un jeu à l'univers et aux thématiques évocateurs et c'est aussi une réussite éditorial.
SIGMATA est très bien écrit, c'est à la fois la conséquence d'un auteur qui sait où il va, qui s'est renseigné sur son sujet, qui a une vision forte et claire, et d'un très bon travail sur le style. C'est aussi un univers qui, malgré l'uchronie, les 30 ans d'écart temporel et le fantastique (on y incarne des super-héros dont le corps s'est transformé en machine), est proche de nous et se nourrit d'inquiétudes bien réelles (même si le jeu évite élégamment de citer le nom de "Trump").
On est donc dans une Amérique fasciste et le texte fait un gros travail de contextualisation pour permettre de comprendre comment on en est arrivé là, comment ce régime autoritaire fonctionne et qu'est-ce qu'il implique. C'est aussi, comme pouvait l'être l'univers de
Cryptomancer, un univers passionnant par le gameplay qu'il implique. Deux éléments ressortent :
Élément 1 : La nécessité de transmettre le
Signal, une onde qui permet de réveiller les pouvoirs des PJs et qui peut se transmettre par signal radio (on est amené à mettre en place des radios FM pirates), par modem et par téléphone ce qui impliquent des intrigues basées sur le hacking de hardware.
Élément 2 : La nécessité de transmettre le
Signal, le message de la Résistance, auprès du peuple (en menant par exemple des manifestations, en rendant publiques les actions des PJs et en pensant à leur impact médiatique) et des diverses factions politiques s'opposant au Régime. Ces factions sont très opposées (des gun-nuts libertariens, des ultra-libéraux, des fondamentalistes chrétiens et des socialistes financés par l'URSS), ont chacune leurs grosses faiblesses internes (pour le dire gentillement) et il faut savoir gérer leurs radicalités et créer des alliances entre-elles.Ce dernier élément implique une réflexion sur les méthodes, notamment en évitant les crimes de guerre (même si le jeu ne prône pas une totale non-violence). C'est un point sur lequel on sent une grande réflexion de l'auteur qui dépasse le cas US (il cite régulièrement des mouvements de résistance moyen-orientaux par exemple). SIGMATA est issu d'un foulancement et dans les bonus se trouvaient des settings additionnels (non-US). Je ne sais pas s'ils seront rendus disponibles aux non-backers.
Le jeu propose aussi trois systèmes de résolution portant sur le combat, les scènes d'infiltration et un - plus général - pour les scènes "d'intrigue". Ces systèmes sont très carrés et gèrent les situations d'une façon abstraite mais tactiquement intéressante. Ils fonctionnent tous sur une logique de risques que la situation fait peser sur les PJs (à chaque tour le MJ doit ajouter des points de risque sur un ou plusieurs PJ) et que les PJs vont chercher à infliger à l'adversité. Arrivés à 10, les risques permettent de surpasser l'adversité ou de mettre hors-combat/tuer les PJs.Les PJs peuvent en gros choisir entre 4 actions qui changent de nom entre le type de scène mais on globalement toujours les mêmes effets (en étant chacune associée à une caractéristique différente) :
*Infliger un peu de risque à l'adversité
*Diminuer son score de risque
*Diminuer le score de risque d'un autre PJ
*Infliger beaucoup de risque à l'adversité mais en augmentant son propre niveau de risque
Ce système offre une grande liberté de description (on peut penser à des jeux comme
Wuhsu ou
Abstract Dungeon) mais au prix d'une certaine abstraction : ce que les joueurs décrivent n'a finalement pas grande importance (seul le choix entre les 4 actions compte techniquement) et le fait que les mêmes mécaniques couvrent des actions très différentes peut sans doute être vécu comme trop abstrait par certains joueurs.
6.)
Allez vous vous en servir ?
J'espère bien ! Le jeu est long, 330 pages, mais c'est lié à la richesse de son univers. Les enjeux ludiques de plein d'éléments potentiellement "actionnables" du cadre de jeu (donnant lieu à des situations de jeu intéressantes) sont décrits en quelques pages très didactiques (de courts mais lumineux développements sur l'organisation/les conséquences d'une manifestation, le hacking téléphonique à l'époque des standards d'appel, etc.). Tout assimiler est complexe mais on peut sans doute organiser une partie rapidement en isolant deux-trois éléments qui nous semblent intéressants (ou en demandant avant la partie aux joueurs quels aspects de la résistance politique et technologique leur parlent particulièrement).
7.) En conseilleriez vous l'achat ??
Sans trop d'hésitations (si ce n'est celles portant sur les systèmes abstraits de combat/infiltration/intrigue qui ne me parlent pas tant que ça). C'est assurément un des jeux les plus impressionnants de ces derniers mois.