Système très léger qui n'empiète pas sur la toute-puissance arbitraire du MJ tyrannique. Pardon : qui permet un jeu narratif fluide. Pardon : on a joué OSR retro-hard-core-vintage.

Nous sommes dans le royaume d’Escampette, dans les vapeurs d’alcool de la taverne du Dragon Ivre, où nous retrouvons Gilbard l’assassin-sorcier, Caspyf le nain voleur et Altan le guerrier, autour d’une liqueur de sueur fermentée de drakoss à poils bleus.
Poussés par le désoeuvrement, se délestant de leur dernier pécule et fuyant le courroux d’une justice implacable, ils sombrent dans les délices de l’ivresse, maudissant le sort (qui s'acharne, comme à son habitude). En effet, la milice a mis leur tête à prix, pour des larcins obscurs dont on les accuse, à raison.
Caspyf s’indigne que la récompense pour sa capture soit si faible : après tout, il a dérobé le chaudron royal ! M’enfin, buvons…
Alors bien sûr sort de l’ombre l’incontournable espion sournois, dont la capuche masque les traits. Furtif, il se joint à la tablée et brandit menaces d’une main (les affiches pour la prime de capture de Caspyf et Altan) et l’or de l’autre. Il fait son petit laius d’une voix mielleuse et lourde de menace : si ces messieurs consentent à accomplir une mission de la plus haute importance pour le roi Archibald IV le Furieux, ils auront une solide récompense, leur casier judiciaire sera effacé et ils bénéficieront d'un bannissement irrévocable du royaume...mais surtout ils auront la vie sauve, évitant le déplaisant supplice du pilori-décapitant.
“Je suis mandaté par la milice pour vous proposer cette offre qu’on ne saurait refuser, vous en perdriez la tête. Je suis certain que la clarté de votre jugement, quoiqu’entamée par les sueurs fermentées de drakoss à poils bleus, vous guidera vers un choix pertinent.”
On conclut un accord, un parchemin d’engagement magique est signé, on accepte la présence du Chevalier Bourgas, un colosse engoncé dans une armure rutilante et bruyante, le bâtard du roi, qui veillera au bon déroulement de la mission.
Quelle mission ?
Ganache, le prince héritier a disparu, capturé pendant la nuit, au nez et à la barbe des gardes du palais. Des témoins prétendent l’avoir aperçu sur le port commerçant de Clapotis, drogué et habillé en soubrette, accompagné d’un Troll et de son équipage d’orcs pirates. Leur bateau volant, le “Pantouflard” serait parti de bon matin vers l’Est, survolant les brumes acides de l’Océan du Frisson, en direction des Iles Suspendues de l’Epouvante. Rien que ça.
Deux volapûks attendent sagement au petit matin nos héros sur le promontoire numéro sept, qui fait face à l’immensité bouillonnante de l’Océan du Frisson. Les volapûks sont des espèces de volatiles grassouillets et bavards, au long bec et au regard fuyant.
Et c’est ainsi, les jambes encore molles de la beuverie de la veille, accompagnés du taciturne Chevalier Bourgas, que les aventuriers enfourchent ces bestioles volantes et se jettent dans les bras de la Providence.
Le voyage se passe sans encombres, on vole à vive allure dans les cieux, au dessus de l’Océan du Frisson qui bientôt justifie son nom énigmatique : l’étendue liquide convulse de bouillonnements inquiétants et parfois des tentacules en jaillissent, avides de proies égarées. Manifestement, la baignade serait fatale.
Mais voici que nos volapüks -Levinas et Cioran-, pour tromper l’ennui du voyage, entament leur fameuse discussion, qui fait leur réputation de bavard. Levinas, de sa voix de crécelle, lance les amabilités: “Mon cher Ciroran, poser le transcendant comme étranger, c’est interdire à la relation métaphysique avec l’Opaque Immaculé de s’accomplir dans l’ignorance des hommes et des choses. La dimension du Néant s’ouvre à partir du tourment d’une fulgurance quintessentielle. Une relation avec le Transcendant – cependant libre de toute emprise du Transcendant – est une relation assymétrique. C’est là que le Transcendant, infiniment Autre, nous sollicite et en appelle à nous.”
Cioran, dubitatif, rétorque : “Passer du mépris au détachement semble aisé. Pourtant c'est là non pas tant une transition qu'un exploit, qu'un accomplissement. Le mépris est la première victoire sur le monde; le détachement, la dernière, la suprême. L'intervalle qui les sépare se confond avec le chemin qui mène de la liberté à la libération.”
Les passagers s’amusent de ces verbiages incongrus...dans un premier temps. On finit par les supplier de se taire - en vain. Lorsque la citadelle maudite où vivrait le troll pirate apparait dans les brumes du soir, silhouette ténébreuse dressée sur une île suspendue dans les airs, un vif soulagement se lit sur les visages. Plutôt mourir broyé par un Troll enragé que subir plus longtemps ces billevesées de volatiles…