[CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

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Fabulo
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[CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par Fabulo »

Cette courte mais intense session de jeu qui s'achève à peine fut motorisée par "Into the Dungeon", un hack maison à peine modifié de "Into the Odd", ce qui a permis de jeter des d20 en invoquant Aléa et Padbol, les dieux du dé capricieux.
Système très léger qui n'empiète pas sur la toute-puissance arbitraire du MJ tyrannique. Pardon : qui permet un jeu narratif fluide. Pardon : on a joué OSR retro-hard-core-vintage. :mrgreen:

Nous sommes dans le royaume d’Escampette, dans les vapeurs d’alcool de la taverne du Dragon Ivre, où nous retrouvons Gilbard l’assassin-sorcier, Caspyf le nain voleur et Altan le guerrier, autour d’une liqueur de sueur fermentée de drakoss à poils bleus.
Poussés par le désoeuvrement, se délestant de leur dernier pécule et fuyant le courroux d’une justice implacable, ils sombrent dans les délices de l’ivresse, maudissant le sort (qui s'acharne, comme à son habitude). En effet, la milice a mis leur tête à prix, pour des larcins obscurs dont on les accuse, à raison.
Caspyf s’indigne que la récompense pour sa capture soit si faible : après tout, il a dérobé le chaudron royal ! M’enfin, buvons…
Alors bien sûr sort de l’ombre l’incontournable espion sournois, dont la capuche masque les traits. Furtif, il se joint à la tablée et brandit menaces d’une main (les affiches pour la prime de capture de Caspyf et Altan) et l’or de l’autre. Il fait son petit laius d’une voix mielleuse et lourde de menace : si ces messieurs consentent à accomplir une mission de la plus haute importance pour le roi Archibald IV le Furieux, ils auront une solide récompense, leur casier judiciaire sera effacé et ils bénéficieront d'un bannissement irrévocable du royaume...mais surtout ils auront la vie sauve, évitant le déplaisant supplice du pilori-décapitant.
“Je suis mandaté par la milice pour vous proposer cette offre qu’on ne saurait refuser, vous en perdriez la tête. Je suis certain que la clarté de votre jugement, quoiqu’entamée par les sueurs fermentées de drakoss à poils bleus, vous guidera vers un choix pertinent.”
On conclut un accord, un parchemin d’engagement magique est signé, on accepte la présence du Chevalier Bourgas, un colosse engoncé dans une armure rutilante et bruyante, le bâtard du roi, qui veillera au bon déroulement de la mission.
Quelle mission ?
Ganache, le prince héritier a disparu, capturé pendant la nuit, au nez et à la barbe des gardes du palais. Des témoins prétendent l’avoir aperçu sur le port commerçant de Clapotis, drogué et habillé en soubrette, accompagné d’un Troll et de son équipage d’orcs pirates. Leur bateau volant, le “Pantouflard” serait parti de bon matin vers l’Est, survolant les brumes acides de l’Océan du Frisson, en direction des Iles Suspendues de l’Epouvante. Rien que ça.

Deux volapûks attendent sagement au petit matin nos héros sur le promontoire numéro sept, qui fait face à l’immensité bouillonnante de l’Océan du Frisson. Les volapûks sont des espèces de volatiles grassouillets et bavards, au long bec et au regard fuyant.

Et c’est ainsi, les jambes encore molles de la beuverie de la veille, accompagnés du taciturne Chevalier Bourgas, que les aventuriers enfourchent ces bestioles volantes et se jettent dans les bras de la Providence.

Le voyage se passe sans encombres, on vole à vive allure dans les cieux, au dessus de l’Océan du Frisson qui bientôt justifie son nom énigmatique : l’étendue liquide convulse de bouillonnements inquiétants et parfois des tentacules en jaillissent, avides de proies égarées. Manifestement, la baignade serait fatale.

Mais voici que nos volapüks -Levinas et Cioran-, pour tromper l’ennui du voyage, entament leur fameuse discussion, qui fait leur réputation de bavard. Levinas, de sa voix de crécelle, lance les amabilités: “Mon cher Ciroran, poser le transcendant comme étranger, c’est interdire à la relation métaphysique avec l’Opaque Immaculé de s’accomplir dans l’ignorance des hommes et des choses. La dimension du Néant s’ouvre à partir du tourment d’une fulgurance quintessentielle. Une relation avec le Transcendant – cependant libre de toute emprise du Transcendant – est une relation assymétrique. C’est là que le Transcendant, infiniment Autre, nous sollicite et en appelle à nous.”

Cioran, dubitatif, rétorque : “Passer du mépris au détachement semble aisé. Pourtant c'est là non pas tant une transition qu'un exploit, qu'un accomplissement. Le mépris est la première victoire sur le monde; le détachement, la dernière, la suprême. L'intervalle qui les sépare se confond avec le chemin qui mène de la liberté à la libération.”

Les passagers s’amusent de ces verbiages incongrus...dans un premier temps. On finit par les supplier de se taire - en vain. Lorsque la citadelle maudite où vivrait le troll pirate apparait dans les brumes du soir, silhouette ténébreuse dressée sur une île suspendue dans les airs, un vif soulagement se lit sur les visages. Plutôt mourir broyé par un Troll enragé que subir plus longtemps ces billevesées de volatiles…
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Fabulo
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Re: [CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par Fabulo »

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Heureusement, le débat des volapüks est bientôt couvert par le vacarme formidable d’une cascade d’eau qui remonte de la mer vers l’île du Troll. Un immense mur liquide, défi au bon sens et à la gravité, déploie ses ondulations sous les flèches orangées du soleil mourant.
L’île est un amas de verdure au sommet duquel se blotit un tas de ruine, identifié par nos héros comme étant le donjon où se terre l’infâme Troll. Nulle trace toutefois du bateau volant.
Avec prudence, les deux volapüks se posent en contrebas d’un sentier menant au donjon. On les laisse à leur discussion, non sans avoir pris soin de leur retirer les sacs de vers frémissants dont ils se nourrissent. Le volapük moyen est réputé pour sa déloyauté et sa fourberie : il serait donc hasardeux de tenter le diable en leur laissant assez de nourriture pour qu’ils rebroussent chemin.

Les quatres aventuriers se hissent sur un sentier aussi tortueux et vicieux qu’un cerveau de gobelin, parmi les rocs glissants et les arbustes décharnés, sous la mitraille d’un vent badin. Dans leur dos, le murmure de la voix nasillarde des volapüks s’amenuise : "l’argument ontologique de l’existence des licornes invisibles ne tient qu’à condition d’accepter une réforme des antinomies de la raison pure, ce qui conduirait à une téléologie fataliste, où l’absence des preuves serait le fondement d’un doute métaphysique, source de…"

Devant l’entrée obscur du donjon que ne garde nulle porte, à même le roc, des gravures obscènes étalent un mauvais goût d’une rare évidence, confirmation que des orques habitent ce lieu. Des scènes de massacres, d’orgies, de pillages et insultes griffonnées se cotoient dans un joyeux bordel, qui heurte le regard et retourne les estomacs les plus solides. Les aventuriers échangent un long regard où se disputent l’approbation (“nous y sommes”) et le dégoût (“quel art décadent”).

Bourgas, le bâtard du roi, dans un concert de casserole, semble soudain plus préoccupé de serrer les boulons de sa rutilante armure que d’incarner les vertus chevaleresques en affrontant le danger (tapi dans l’ombre, comme chacun sait). Qu’à cela ne tienne, ses compagnons le laissent en retrait et s'avancent dans ce long couloir puant, comme autant de cacahuètes dérisoires dans le gosier d’un buveur de bière...
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Fabulo
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Re: [CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par Fabulo »

Dans une salle au bout du couloir, quatre gamins orques jouent au crâne-balle, absorbés dans ce jeu orque consistant à s’envoyer un crâne humain à coup de pieds, en gueulant aussi fort que possible. La seule règle qu'on connait à ce jeu est de parvenir à assommer les autres joueurs avec le crâne : le dernier debout l'emporte. Comme toute activité orque, brutale et débile, la finalité reste obscure, si ce n’est un prétexte pour éliminer les plus faibles, dans un concours de violence immodérée.

Le crâne vole en direction d’Altan, le frôle et s’écrase contre le mur. Profitant de la poussée de rage que cette incivilité lui inspire, il se précipite vers les braillards et donne de la lame, bientôt rejoint par Caspyf et Gilbard. On ne fait pas dans la dentelle, soucieux qu’aucun garnement n’aille donner l’alerte.

Un des gamins parvient pourtant à cogner à une porte pour signaler la présence d’intrus, avant de rendre son dernier souffle (fétide). Les héros se plaquent au mur, Gilbard et Altan de chaque coté de la porte, et le nain, couteaux en main, se positionne bien en face, dans la pénombre. Le temps se fige.

Bientôt la porte s’ouvre et en émerge un orque vacillant et balbutiant, interrompu dans sa partie d’osselets, autre prétexte à l’intermutilation féroce entre congénères. Il patine dans le sang du gamin au sol, écarquille les yeux de surprise, tourne la tête : la lame experte d’Altan la détache d’un coup net et précis, tandis qu’un couteau lancé par Caspyf lui cloue le coeur.

On se chamaille à savoir à qui revient cette victoire : est il mort par le couteau ou par l’épée ? Difficile de trancher, estime t on, jamais avare de calembour.

Se souvenant alors que l’expérience ne se mesure pas au décompte des meurtres, les esprits s’apaisent un peu.
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Arkham
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Re: [CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par Arkham »

Très chouette! J'attends la suite! :)
The most important aspect of a story is how it affects the characters in it, not whether the characters manage to save the world in the end.
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Re: [CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par oneyed jack »

C'est très drôle comme ambiance ! Ça fait beaucoup penser à Lanfeust.
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Fabulo
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Re: [CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par Fabulo »

@Arkham @oneyed jack Content que ça vous amuse, et merci de votre intérêt. Je poursuivrai le récit dans une grosse poignée de jours, je suis en train de tester et rédiger un bidule pour le Game Chef, ça me prend du temps par ailleurs.
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Fabulo
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Re: [CR]Into the Dungeon - L'Atoll du Troll

Message par Fabulo »



Là dessus, on s’introduit à coup de pied, de lame et de poing dans la pièce où deux orques éméchés jouaient aux cartes. Pas le temps de se lever ou atteindre leurs armes que les voilà farcis de beignes par nos héros. Les dés étant capricieux, l’un des orques n’en finit plus de se débattre au grand dam des armes lourdes censées faire du d6 ou du d8, mais qui font du 1 à répétition.

On passe la pièce au peigne fin : rien, pas la moindre trésor ou trappes. On suggère de garder en vie et interroger l’orque survivant, mais trop tard : le Guerrier vient de lui trancher la gorge. “Bah quoi ? Me regardez pas comme ça. C’est des êtres maléfiques, de toutes façons”. Il hausse les épaules, indifférent aux critiques, essuyant sa lame dégoulinante de sang vert.

Niveau coordination et tactique, c’est pas encore ça. On laisse les cadavres aux rats, et retourne dans le couloir. C’est alors qu’on entend comme une immense éructation douloureuse, un son de gorge rauque et puissant, qui fait trembler la muraille, s’éparpiller les rats et vous colle la chair de poule. Droit devant, au fonds de ce couloir, le maitre de lieux manifeste sa colère, son ennui ou sa digestion difficile. Dans tous les cas, ça vibre à en détacher l’humus des rochers, et ça, ça n’est pas bon signe.

Ca ramollit un peu les ardeurs, on estime judicieux de se mettre à l'abri et discuter longuement des options tactiques. L’épée du Chevalier Bourgas se met à vibrer et irradier de crépitements bleutés puis se met à couiner comme un nouveau-né affamé : magique, elle vient de repérer le Mal et ça fait un tintamarre de tous les diables. On expédie le Chevalier s’assurer de la santé des Volapüks, à grand coups dans le séant, qu’il a déjà trempé de trouille.

Le silence revenu, on retient son souffle. Parviennent les vagues échos d’une mélodie orque, tambours de guerre, insultes et obscénités chantées, et claquements d’os...Dans une salle non loin, c’est la fête.

Gilbard l’assassin sorcier extirpe de son manteau de ténèbres quelques parchemins. “Voici des sortilèges achetés à prix d’or au marché ! Nous saurons trouver celui qui convient à la situation. “

Dans cet univers, la magie est facile mais dangereuse : il suffit de lire un parchemin pour qu’il fasse son effet. L’effet conjugué du papier spécial (de la peau de shnork), de l’écriture en sang de dragon-cyclope et des paroles prononcées déclenchent la magie. Le parchemin se disperse alors en poussières.
Nul besoin d’être sorcier ou érudit, d’étrangler des grenouilles ou de plumer des corbeaux, de broyer du poil d’hobgobelins et le mêler à du sang de serpent vierge sous une pleine lune, un jour impair, en invoquant Nyarlatupeth, le Chevaucheur des Vents Contraires.

Seul inconvénient : chaque sort est unique, généralement sans aucune autre description que son intitulé, pour le moins sybillin. Au lanceur de sort de se renseigner ou de tenter sa chance, en spéculant sur les effets possibles.

Voici donc les sortilèges de Gilbard, dont il lit les intitulés à voix haute.
La Transfiguration mimétique du miroir facétieux
La liquéfaction du bulbe à songes
La danse chaotique du pantin pathétique
Les trois guerriers fumeux d'Aztarkos
L'Oeil Nébuleux Vagabond de Naazgaroth l'Indiscret
Le postillon pustulent enflammé du dragonnet grincheux


S’ensuit une discussion âpre qui se conclut par : “lance le sort que tu veux, mais laisse nous le temps de nous éloigner.”

Gilbard prend une profonde inspiration, épluche une dernière fois ses parchemins et jette son dévolu sur “l’Oeil Nébuleux Vagabond de Naazgaroth l’Indiscret…”

Il marmonne les mots inscrits, mi-solennel mi-liquéfié de trouille...

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