MrHIver a écrit : ↑mar. sept. 12, 2017 3:23 pmEn parlant d’émerveillement, je voudrais revenir sur un élément qui m'a saisi un peu plus haut dans ce fil, à propos des rencontres et des règles de "conflit social". J'ai vu que la 1ere rencontre avec une troupe d'éclaireurs elfes avait été proche de la catastrophe, et que dans leurs commentaires de partie les joueurs avaient trouvé que ces elfes faisaient "vraiment peur".
Si c'est bien une chose qui me semble difficile à rendre auprès de rôlistes endurcis, c'est cette notion de crainte et d'appréhension d'une adversité, notamment dans un conflit social...
Peut-on en savoir plus sur ce qui a pu amener cette rencontre à ce niveau d'intensité et à faire ainsi "peur" à nos héros ?
Avant de te répondre en détail, je tiens à préciser que les mécanismes de LAU n'ont pas d'effet direct sur les émotions ressenties par les joueurs - de leur propre aveu. L'impact le plus important est indéniablement la mise en scène, la montée de la tension graduelle en amont, et le poids de l'univers
(un Elfe archer de la TdM n'est pas banal... alors une douzaine). Le seul aspect mécanique qui joue ici est la certitude ressentie par les joueurs :
c'est sans filet. En cas d'échec total, le résultat de la négociation peut être aussi violent qu'une flèche entre les deux yeux.
Le MJ n'est pas là pour faire plaisir à une bande d'ami•e•s. Pas plus que de se donner en spectacle. Il est là pour rendre vivant et aussi crédible que possible un monde dans lequel évoluent les personnages. Au point de s'effacer si possible, devenant simple spectateur le temps d'un choix cornélien par exemple.
Enfin, qu'on gère les tests au fur et à mesure comme le veut le jeu, ou en fin de négociation comme le préfère Sammael, ne change strictement rien
(je viens d'en faire l'essai à deux reprises pour le fun ce soir). L'essentiel est d'appliquer le résultat final sans tergiverser dès que le seuil de Tolérance est dépassé.
JdR et Émotions
C'est un sujet que j'aime beaucoup, et même s'il est bien plus vaste que ceux du présent fil, ou un peu hors-sujet, je ne résiste pas à l'envie d'en discuter.
C'est également un sujet sensible, sur lequel nous - rôlistes - ne nous accordons pas toujours facilement. Sans doute parce que nous ne recherchons pas les mêmes choses dans notre loisir, et peut-être également parce qu'il éveille chez certains d'entre nous de douloureux souvenirs d'une époque où il ne faisait pas bon pratiquer le jeu de rôle "trop intensément".
L'eau a coulé sous les ponts, et contrairement au tout début des années 2000, le sujet ne sent plus le souffre. Du moins, j'en ai l'impression.
La première question que l'on peut se poser : doit-on ressentir des émotions en jouant, ou doit-on faire semblant d'en ressentir ?
Je crois pour ma part - aujourd'hui - qu'on peut agréablement mélanger les deux (alors que j'ai été un fervent défenseur de la première école). Qu'il n'y a pas d'obligations, juste des possibilités. Que l'on peut jouer ensemble en ayant des attentes différentes, si tant est que l'on accepte et respecte l'autre, ses envies, ses préférences.
En ce qui me concerne, si je voulais uniquement faire semblant, je ferai du théâtre en amateur. Quand je veux uniquement jouer à un jeu, je joue à un "jeu pas drôle". Quand je veux uniquement ressentir des émotions, je regarde un film ou je me plonge dans un roman. Le jeu de rôle me permet de marier les trois. En tout cas quand ça marche bien.
Provoquer une émotion
Il existe certainement une multitude de méthodes, et une infinité de rôlistes. Comme auparavant, je ne prétends nullement donner une recette universelle, juste des pistes de réflexion. Sans doute encore moins ici qu'ailleurs, car je change continuellement d'approche, selon les personnalités de mes partenaires de jeu, mes découvertes ou mes propres inspirations.
Aussi paradoxal que ça puisse paraître, la première de mes règles est de
ne pas chercher à provoquer une émotion. Se focaliser sur un but à atteindre aussi fragile est pour moi le meilleur moyen de me planter, d'obtenir un effet artificiel, un simulacre. Il faut que ça se passe naturellement, y aller au feeling. Ne pas hésiter à remettre une bonne idée à une autre fois si on ne le sent pas. Ou au contraire suivre une inspiration imprévue sans craindre de se planter
(la peur est la petite mort... du MJ aussi).
La seconde - et encore plus importante - est de
ne pas franchir les limites de mes partenaires de jeu. N'ayant pas une liste détaillée sur laquelle me baser, je me fie à ma connaissance de chacun d'entre eux et à mon empathie. Il faut donc avancer pas à pas, être à l'écoute de l'autre, ne pas hésiter à lever le pied et - toujours - en discuter entre deux séances, notamment si l'on se pose des questions : personne n'est à l'abri d'une erreur d'interprétation. C'est une marque d'intérêt qui renforce la confiance mutuelle, composante essentielle.
La troisième - où l'on aborde à nouveau le contrat social du groupe - est que l'on a beau ne pas avoir envie, ne pas oser ou ne pas réussir à ressentir des émotions soi-même
(que l'on soit joueur ou MJ),
il est interdit d'empêcher l'autre d'y parvenir. Ça peut sembler aller de soi, et pourtant, le meilleur moyen - et le plus commun - pour empêcher les émotions d'éclore, c'est de charrier, de dédaigner, de tourner en ridicule, ou de juger celui qui réussit à mieux s'immerger que soi. Surtout que l'effet d'entraînement peut parfois bluffer les plus blasés ou les "
on me la fait pas". Bloquer l'autre revient dans ce cas à ne pas se rendre service à soi-même.
Pas d'émotion sans immersion
Contrairement à une salle de cinéma où tout le monde est tourné dans la même direction, et dans le noir, nous nous dévisageons tous en pleine lumière à longueur de séance de jeu. Il est donc bien plus délicat de se laisser aller. Pour y parvenir le mieux est de prendre son temps, tout en fournissant tous les éléments nécessaires permettant aux participants de s'immerger dans l'univers, et donc d'y croire.
Cela peut passer par les
descriptions. Non pas en noyant ses camarades sous une avalanche de détails inutiles et assommants, mais en décrivant de temps en temps un élément de la scène de manière vivante pour attirer l'attention, et qui sonne vrai pour la captiver.
Par exemple si la description des flammes qui dansent et crépitent lors du bivouac est une bonne chose, ajouter que de face la chaleur du feu est difficile à supporter alors qu'en même temps votre dos subit le froid de la nuit, est encore mieux. Cette anecdote rappellera des souvenirs réels aux campeurs de votre bande, leur rendra la scène plus crédible, plus facile à imaginer. Ils vont d'eux mêmes rajouter d'autres détails dans leurs têtes ou dans leur jeu
(des odeurs, des sensations, ...), et donc "y être" d'autant plus et entraîner les autres.
D'autres éléments facilitent l'immersion :
bande son composée de bruits naturels. Quoi de mieux pour y croire que le bruit de la pluie, du tonnerre ? C'est souvent plus immersif et facile à placer qu'une musique. Penser
TableTop Audio.
Les
illustrations. Ne serais-ce que parce qu'elles complètent les descriptions et font gagner un temps précieux. Voir le visage de son perso, de celui de ses compagnons exposés sur la table, permet également de se projeter, d'imaginer plus précisément les scènes.
La
décoration. Les
accessoires. Par exemple une feuille de personnage complétée par des feuilles vieillies, le tout placé entre deux feuilles en bristol noir, et relié grossièrement par de la ficelle rêche, et l'on obtient un dossier immersif.
L'éclairage. Bas, clair et centré sur l'espace de jeu, tamisé tout autour. Cela renforce l'ambiance, l'intimité, l'aspect mystérieux.
Mise en pratique
Dans les zooms narratifs qui précédent la rencontre avec la patrouille d'Elfes, les descriptions de l'ambiance de plus en plus lourde des marais va être cruciale. Peu à peu, sans tout déballer d'un coup : les eaux stagnantes, troubles, sombres, la pagaie difficile à manier à cause des plantes lacustres, l'insecte que l'on observe écrasé dans sa main alors qu'il venait de se gorger de votre sang, la difficulté à respirer l'air lourd, la chaleur moite, les odeurs corporelles de ses compagnons, les vêtements humides, le fait de penser à l'armure métallique pesante puis à l'incalculable profondeur sous la barque, le bois ou le cuir qui craque à chaque mouvement, les armes qui prennent trop de place dans la barque, l'évaluation négative de sa propre capacité à se battre aisément dans un tel esquif, le cri lointain d'animaux inconnus qui baisse en intensité peu à peu, la sensation d'être observé, les formes indéfinissables parmi la semi-pénombre
(arbre mort ? créature ?), etc. Tout ceci fait croître la tension peu à peu. Descriptions ponctuées de scénettes secondaires composées de différents tracas bénins
(périls fournis par le scénario).
Au moment où, surgie de nulle part, la patrouille des Elfes leur barre la route, les encerclant, arcs bandés et flèches encochées pointées sur eux, la
pression est concrète. Ils voient plusieurs Elfes, en devinent certains, mais rien ne leur dit que d'autres ne sont pas cachés parmi les ombres. Lorsque leur chef contenant sa colère leur pose question sur question en ne leur laissant pas le temps de réfléchir, tout en dardant un regard plein de haine vers les deux nains, ils n'en mènent pas large
(et je parle de la joueuse et des joueurs). Autant les plus jeunes
(trentenaires : 3 à 20 ans de JdR) que les plus aguerris
(quadra ou quinqua : + de 30 ans de JdR). Chaque échec au cours de la scène d'interaction leur a fait craindre le pire. Et enfin, lorsque l'Elfe les chasse menaçant, ils s'éclipsent au plus vite, trop heureux de s'en être sortis à si bon compte.
Je ne pense vraiment pas que cela ait été dû à mes capacités surnaturelles d'animateur
Sérieusement, et sans fausse modestie, je pense que c'est plus une question de méthode. Les mêmes qui permettent par exemple d'augmenter la tension dans un thriller ou un film fantastique : y aller crescendo, par petites touches, surprendre par du bénin juste avant de sortir le grand jeu.
Anecdote amusante : le joueur qui indique dans le sondage que "
les archers elfes font peur" n'est pas celui qui m'a donné la sensation d'être le plus intimidé au cours de la partie. Vive les sondages
Pour finir, j'ajouterai que la Terre du Milieu simplifie grandement la tâche, alors que l'on peut craindre tout le contraire tant elle peut paraître intimidante avant d'y jouer. Que ce soit parce que nous avons été émerveillés enfants ou adolescents par les livres comme toi, ou que les films nous ont marqués, nous sommes tous plus sensibles à l'atmosphère spécifique de cet univers, donc l'immersion en est facilité.
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Il est 5h du matin, la ville s'éveille et j'ai passé une nuit blanche à réfléchir et écrire. Je vais aller dormir un peu avant de bosser.