[CR] Cthulhu Dark - le coffret

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Fabulo
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[CR] Cthulhu Dark - le coffret

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Partie de Cthulhu Dark de 2h30.

PROLOGUE

L'humain, cette singularité dérisoire, est en prise avec un univers titanesque dont il ne comprend que des bribes éparses.
Seule sa folie et son intellect limité lui permettent d'occulter l'absurdité d'un univers sourd à ses lamentations et ses doutes.
Mais parfois le voile des apparences se déchire, pulvérisant les certitudes rassurantes du quotidien.
Et quand ce vernis craque, la terreur n'est pas loin.
Aux confins de nos perceptions ordinaires, des entités inconcevables attendent leur heure.

Vous êtes des détectives privés.
Rationnels, méticuleux et suffisamment cyniques pour déjouer les faux-semblants. C'est pas à vous qu'on va la faire. 

Sauf qu'un jour, on vous confie une enquête a priori anodine dont les ramifications vous mèneront vers un lieu dont on ne revient pas, un lieu où la folie et la mort vous apparaitront comme des tentations inéluctables.


Le Coffret


Les investigateurs ont une agence de détective "Gardner & Stilton" qui périclite, dans la ville de Marblehead.
Leurs noms : Victor Stilton et Peter Gardner.
Ils sont suffisamment aux abois financièrement pour commencer dans le vif du sujet, sans tergiverser sur leurs motivations à enquêter.
Raconté par l'un d'entre eux, comme il l'a vécu (pour rendre le compte-rendu plus dynamique).

 



Des brouzoufs on en avait plus bézef, et les loyers nous tombaient sur la gueule avec la régularité de la neige en hiver. Autant vous dire que quand le téléphone s’est mis à crépiter, on a dit “amen” à toutes les exigences de notre premier client depuis des semaines. C’était le gros Albert Sullivan, un avocat aussi véreux qu’incompétent, et il l’avait mauvaise, à en juger par les tremolos dans sa voix.
On dépoussière les pardessus, astique les insignes “Stilton&Gardner”, la porte claque et nous voilà partis, avec l’entrain du nouveau-né pour la têtée de pognon à laquelle on ne croyait plus.

Sullivan est là, planté derrière son bureau de bois de machin, un truc cher et lourd, dans un décor prestige et kitsch, en train de tripoter un énorme verre de whisky, compagnon des heures sombres. Ses yeux roulent comme des billes de loto, son front dégouline de sueur et sa carcasse tremble de rage contenue.“Faut me trouver le salopard qui a vidé mon coffre”, qu’il fait en guise de bienvenue. On se regarde, Victor et moi, et on secoue la tête d’un air pro. Victor extirpe un carnet et un crayon et feint de prendre des notes, comme à l’école, pour donner le change. Le contenu du coffre-fort ? Un coffret en métal contenant un objet de valeur, héritage du papa Sullivan. Il refuse d’en dire plus, si ce n’est “faut retrouver cette boite au plus vite”.

Les indices sont minces, mais c’est déjà ça : cambriolage de nuit, le chien n’a pas gueulé, des traces de bottes boueuses partout, la serrure forcée au pied de biche, le coffre-fort ouvert proprement, un voisin insomniaque en face. On charcute un peu le voisin, un paralysé bavard qui tue l’ennui en braquant ses jumelles par sa fenêtre pour surprendre le moindre frisson d’événement, dans ce quartier sordide. De fait, il a bien vu une silhouette et même un gars louche : visage de brute, gros sourcils, crâne rasé sur les tempes. Là dessus, il nous tient la jambe sur le chien de Sullivan trop bruyant, sur les impôts trop élevés, sur les moeurs en pleine “dissolution” malgré la Prohibition (“quelle esbrouffe, ça finance les gangsters”). 

On retourne chez Sullivan : la description du cambrioleur colle avec celui d’un client à lui, un certain Franck Muller, petite crapule insignifiante sorti récemment de prison. D’autant qu’il s’entendait bien avec le chien, et avec les animaux en général. Une des raisons pour laquelle il se refait une virginité judiciaire en bossant au parc zoologique de Marblehead. Une vocation.

Voilà une piste, on la lâche plus. Ca va être du gâteau. Direction le zoo. 

Surprise, devant le zoo, c’est la cohue. Voilà un visage familier : Jenkins, un flic avec qui Victor a gardé de bonnes relations, après s’être fait viré de la police pour des broutilles (enfin c’est ce qu’il dit). Le Jenkins, blême comme un cul de new yorkaise, se ramène, nous salue, pas mécontent de nous voir et de soulager la pression qui l’accable. “Jamais vu ça en trente ans de carrière. Peux pas vous décrire le truc. Faut que vous le voyez de vos mirettes.” Notre petite agence de détective en a vu du rocambolesque, mais rien en comparaison de ce qui nous attend.

Figurez vous qu’un singe du zoo a assassiné un employé à coup de rocher dans la tronche jusqu’à l’aplatir comme un pizza façon tomate en abondance. Le corps s’étale dans le foin sur une flaque de sang encore frais. A côté, un singe pionce du sommeil du juste, anesthésié par une flèchette.“T’es sûr que c’est le singe qui a refroidi ton employé ?” Jenkins acquiesce, aussi perplexe qu’un lion devant une salade végane. “Il l’a même mordu. Et c’est pas tout : il manque un doigt au singe. On lui a tranché net l’index. Si vous pigez ce que ça veut dire, je vous paye un double bacon burger moutarde au Pink Paradise.”

Bon, nous, on est venu pour les biftons de Sullivan et pour retrouver Francky la crapule. La perspective de s’empiffrer reste malgré tout séduisante, creux qu’on est d’être partis de si bon matin remplir notre mission sacrée et notre portefeuille.On interroge, on recoupe les informations, on fait plein de liens logiques, mais ça tient guère debout.

Seule piste : on retrouve dans la paille, dans un coin de la cage, un coffret de plomb vide identique à la description de l'avocat. Je l'empoche.

Manifestement, Franck Muller a surpris le singe en train de tabasser son collègue, lui a tiré une flèchette pour l’endormir, tranché un doigt et s’est débiné. Notre crapule bat la campagne, un doigt de singe dans la poche.

On récupère son adresse, trois courbettes à Jenkins, et nous voilà en route pour une visite surprise chez Muller.
 
Dernière modification par Fabulo le jeu. sept. 21, 2017 5:31 am, modifié 10 fois.
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Fabulo
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le doigt tranché du singe homicide

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Franck Muller et Marie White

 





Chez Muller, ça n’a pas traîné. Faut vous dire que Victor, jamais vu un type pareil. Ce mec est une éponge :  il repère une aiguille dans une botte de foin comme si c’était l’Empire State Building sous son pif. A chaque fois, il me cloue sur place.
Mon truc c’est plutôt le sang-froid. Victor s’étonne souvent que j’ai pas d’écailles sur l’épiderme, tellement je lui parais imperturbable, comme un vieux serpent sournois. L’équanimité, que je lui dis, ça fait chic.
De ce fait, Victor déniche vite des lettres parfumées, planquées dans un fonds de tiroir. Parfumées et enflammées, si on en croit l’écriture maladroite de femme qui promet des consolations à Franck Muller. Il y a de quoi lire, mais c’est pas de la littérature, juste des confessions d’amour d’une innocente à un taulard. Seuls indices : elle est très croyante, étudiante en médecine à Salem University, invoque le nom de son Dieu en vain à chaque tournant de phrases, et signe “Marie W.”. 
On ne s’attarde guère plus dans cette chambre misérable à l’odeur de chaussette humide et de mauvais alcool.

Les ombres s’allongent dans le parc de l’université de Salem, où folâtrent des grappes d’étudiants dans l’herbe grasse. J’ai eu beau écraser le champignon, il nous a fallu trois bonnes heures pour y arriver. Victor fait son numéro de charme, on contourne quelques obstacles administratifs pour finalement arriver à un prof de médecine qui nous confirme l’existence de deux Marie W. parmi ses étudiantes.
L’une d’elle, Marie Walter, est la fille d’un collègue, bien sous tout rapport et en cours de fiançaille. L’autre est Marie White, habitante de Marblehead : pieuse, peu sociable, pas brillante mais appliquée. Un coup d’oeil sur un devoir écrit nous confirme, par son écriture gauche, que c’est bien elle que nous cherchons.
Épuisés, on rentre à Marblehead : il est tard, trop de kilomètres parcourus et de doigt de singe coupé en une seule journée. Une bonne nuit de sommeil s'impose. Demain, on ira rendre visite à Marie White.

Tous les matins à une heure où le soleil darde à peine, Marie White va lire la Bible au parc. C’est ce que nous raconte la concierge. On dégaine les insignes de détective, on demande à voir la chambre de Marie. La vieille carne est réticente : on n’a pas de mandat de perquisition, elle connaît les lois, le cousin de son beau-frère est dans la police, etc.
Elle veut rien entendre. Va falloir sortir Jenkins le joker. Elle appelle le commissariat, marmonne des trucs et nous passe le combiné : un flic au téléphone nous raconte que Jenkins est occupé sur un nouveau homicide perpétré ce matin au parc mais que la perquisition est autorisée.
Dans la chambre, tout respire la candeur d’une jeune pucelle, des peluches, de la littérature d’amour, du rose un peu partout, sauf que…
Sauf qu’une tornade a balayé tout ça : un crucifix au sol, des cheveux coupés dans la salle de bain, des assiettes en porcelaine brisées au sol, des traces de sang et des papiers éparpillés un peu partout qui s’avèrent être...des pages arrachées à une Bible.

Et sur le mur, tracé en lettres de sang, d’une écriture maladroite, celle de Marie White : “Vengeance”.
Dessous une liste de prénoms féminins, une demi-douzaine : Samantha, Virginia, Lola…

Mauvaise farce ? Délire d’une cinglée ? Victor me regarde mi-souriant mi-inquiet, hausse les épaules et retourne interroger la concierge. “Marie White est partie lire au parc de bon matin, et oui, elle serait revenue il y a quelques temps, elle avait l’air nerveuse, mais non, je ne l’ai pas vu de près, juste à travers les rideaux et j’étais occupée. Puis elle est resté un moment dans sa chambre et est ressortie, j’ai entendu son pas pressé. Non, je ne sais rien d’autre. Mais que s’est il passé ?”

C’est là dessus qu’on s’est regardé avec Victor…”Jenkins est occupé sur une nouvelle affaire, un homicide perpétré au parc…” nous a dit le flic au téléphone. Echo sinistre. Il y a eu comme un flottement, on est resté là, à imaginer cette étudiante bigote, à l’écriture de gamine, à la chambre chargée de niaiseries sentimentales...et qui se livrerait à un homicide, puis rentrerait chez elle, dévasterait son appartement, écrirait sur les murs en lettre de sang, avant de repartir.

On secoue tous les deux la tête.

Dans cette affaire, rien ne tient debout. Un singe amputé assassine un employé. Une oie blanche qui peinturlure de sang les murs de sa chambre et déchire sa Bible...Il doit forcément y avoir quelque-chose ou quelqu’un d’autre impliqué derrière tout ça.

Oui, mais quoi ou qui ? Et comment le savoir ?

C'est à ce moment que j'ai commencé à comprendre.
Cette enquête consistant à retrouver un cambrioleur du dimanche ne sentait vraiment pas bon, et ça ne serait pas du "gâteau" comme on s'était un peu rapidement bercé à l'imaginer.
 
Dernière modification par Fabulo le jeu. sept. 21, 2017 5:32 am, modifié 3 fois.
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Fabulo
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le doigt tranché du singe homicide

Message par Fabulo »

Impression de déjà-vu. Jenkins, encore plus blême que la veille, nous interpelle à l’entrée du parc. “C’est la série noire, encore un meurtre à vous retourner les tripes. Cette fois pas de singe ni de doigt coupé. Pour le reste, je vous laisse seuls juges.” Et il sirote un peu de son café froid, désignant du menton la scène de crime où s’affairent déjà quelques représentants de l’ordre.
Affalé sur le dos, le cadavre lacéré d’un pauvre diable, comme si une fourchette géante s’était acharné sur lui. Deux trous béants lui tiennent place d’yeux, on a réduit son visage à une masse informe, un steack tartare bien saignant...Fait plutôt froid pour un jour de novembre, mais le frisson vient d’ailleurs.
Ok pour retrouver des bidules de valeurs ou des chiens perdus, mais là...Ca va un peu loin.
Victor se déleste de son petit-déjeuner contre un arbre pendant que Jenkins m’explique : “on a retrouvé des cheveux longs dans la main de la victime, ainsi qu’un collier avec un crucifix en bois...Jamais vu une attaque d’une telle sauvagerie. Le meurtrier a bien du lui filer une quarantaine de coups avec un objet fin et effilé, un genre d’aiguille ou de clous très long.”
“Cheveux longs, clou et crucifix ? Va falloir interroger Jésus.” que je lui balance pour faire le malin et dédramatiser.

Bon, je vous la fais courte : on a fini par recoller les morceaux : la petite Marie a buté ce quidam, lequel s’avère être un proxénète de Boston qui se ravitaillait jadis en filles à Marblehead. Jenkins ne l’a pas vu depuis un paquet de temps, et il devait avoir une sacrée bonne raison pour venir traîner à Marblehead, où quasiment tout le monde le connaît et le déteste.

Victor s'essuie le vomis au coin de la bouche et nous dit comme ça que “peut-être Marie White est une ancienne fille de joie et que les noms en lettres de sang sur le mur de sa chambre, ça serait des noms d’autres filles...et qu’elle compte se venger. Peut être que le proxénète était sur sa piste, on a entendu d'elle qu'elle avait un passé énigmatique et retrouvé des faux papiers chez elle...elle a peut être fui un bordel sans s'acquitter de ses dettes...”
Moi, ça me va comme hypothèse, vu la façon dont elle a déchiré sa Bible, lacéré le proxénète et gribouillé le mot “Vengeance” sur le mur.

Mais toujours pas d’explication pour le singe, pas moyen de retrouver Muller et sa maudit boite, et un gros point d’interrogation sur ce qui a pu pousser cette gentille Marie à défigurer et poignarder aussi sauvagement son ancien employeur, tout proxénète qu’il soit.

On comprend sans mot dire qu’il va falloir intercepter Marie White, parce qu’elle a l’air déterminée à faucher ses anciennes collaboratrices. Victor réfléchit un instant puis annonce : “Chez Marie White, j’ai vu un guide des horaires de bus...la page concernant Marblehead-Boston était arrachée...Elle a certainement pris un bus…”

Seulement, on a pris du retard avec ces papotages et à l’heure qu’il est, elle doit être déjà loin…
 
Dernière modification par Fabulo le dim. sept. 17, 2017 6:33 pm, modifié 1 fois.
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Sammael99
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le doigt tranché du singe homicide

Message par Sammael99 »

Très sympa !

J'adore le ton.
Mozart n'a pas écrit que le Boléro de Ravel. Mais aussi plein d'autres trucs beaucoup moins connus (comme le canon de Pachelbel). - Le Grümph
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Fabulo
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le doigt tranché du singe homicide

Message par Fabulo »

Pas si loin que ça, au final. Jenkins passe quelques coups de fil et on retrace Marie White : des employés de la compagnie de bus confirment avoir vu cette fille au regard vide, avec les cheveux coupés en pétard façon hérisson insomniaque, à l’air perturbée. De Marblehead à Boston, il y a quelques arrêts pause pipi lors du parcours : une chance à saisir.

Que le conducteur de bus prolonge un arrêt, sous prétexte d’un ennui mécanique...et nous laisse le temps d’arriver en voiture à l’un de ces arrêts. Et qu’on dépêche quelques flics en civil sur place, avec la description de Marie White, pour éviter les débordements éventuels.

Je ne suis pas prêt d’oublier cette folle équipée, pied au plancher, avec Jenkins et Victor, la pluie hostile  crevant les nuages sombres de cieux tourmentés, et qui mitraille notre dérisoire véhicule secoué par le vent, sur la longue route sinueuse menant à Boston, dans les profondeurs de forêts aux arbres démesurés, penchés silencieusement sur nous, trois dérisoires humains, le coeur battant, priant pour ne pas arriver trop tard. J’entrevoyais l’image terrifiante de jeunes filles baignant dans leur sang, massacrées par la fureur d’une bigote devenue folle, la petite étudiante niaise, Marie White, variable impossible d’une équation meurtrière.

Cette histoire arrive à son terme mais encore aujourd’hui, j’ai beau y repenser, l’explication la plus probable me paraît pourtant impossible. L’accepter signifierait laisser des pans entiers de ma raison au vestiaire, et j’aimerais autant poursuivre mon petit bonhomme de vie avec la certitude, même fausse, mais un tant soit peu stable d’un univers rationnel où l’humain a sa place et sa liberté n’est ni un luxe ni une illusion. 

Finalement, nous voici devant ce restaurant de bord de route, bloc défraichi de béton aux grandes vitres, surmonté d’une enseigne au néon qui clignote comme une pute vous ferait de l’oeil. 
Un rayon de soleil timide perce d’entre les nuages, pas de quoi se mettre à danser à poils, mais ça réconforte, après ces heures harassantes à poursuivre un bus. 
Lequel bus est garé là, sur le parking, avec le chauffeur qui s’affaire dans son moteur, comme un dentiste dans la gueule d’un lion. Il n’est pas bon acteur, le bougre, mais qu’importe : il a su ralentir la progression de Marie. 

Au soulagement succède la tension. Va falloir y aller finement si on veut coincer la fugitive. La façon dont elle a étendu et brutalisé un proxénète réputé pour être un beau salopard, ça vous file un vertige. On ne dit rien, mais je sens une tension palpable. Jenkins tripote la crosse de son flingue, Victor interroge du regard l’entrée du restaurant, à l'affût du moindre indice. Va falloir la jouer finement.

Un chien rapeux passe devant nous. On entend le brouhaha indistinct des voyageurs qui s’impatientent, ayant depuis longtemps dépassé le stade du dessert, et désireux de repartir maintenant. 

En prenant l’air dégagé de touristes poussés par une petite faim, on s’approche du restaurant. Ah ça, on n’est pas meilleur acteur que le chauffeur de bus, c’est rien de le dire : nos visages alourdis par l’angoisse, en sueur, nos regards scrutateurs, et nos dégaines de dure-à-cuir, ça doit pas convaincre grand monde qu’on est trois glandeurs en quête d’un hot dog moutarde…

Comme toujours c’est Victor qui repère la table vide quasi immédiatement. Un regard circulaire nous confirme que Marie White n’est pas là. Reste les toilettes. Ou alors elle aura flairé l’embrouille et sera partie depuis un bout de temps.

Une serveuse épuisée nous dit que “ouais, messieurs, en effet, y a une brune un peu grasse et pas causante, avec des ch’veux coupés par le diable un soir de cuite, et elle est allé aux toilettes, son omelette refroidit mais bon, j’espère que ce satané bus va repartir, j’en ai plein les jambes de ce troupeau de touristes geignards, et vous, vous prendrez quoi ? Café ?”

On se regarde. En quelques mots murmurés, tout est dit : Victor fait le tour derrière le restaurant pour bloquer les issues de secours. Jenkins et moi, on se dirige vers les toilettes...
 
Dernière modification par Fabulo le mer. sept. 20, 2017 4:52 pm, modifié 2 fois.
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le doigt tranché du singe homicide

Message par Fabulo »

@Sammael99 Content que ça te plaise. :bierre:
Je rédige le climax qui fut quelque peu chaotico-épique.
Et l'épilogue.
Puis je mettrai la trame du scénario, qui tient en une page, et a (heureusement) souffert des improvisations en cours de jeu.
Les joueurs étaient bougrement perspicaces et j'ai eu la main légère sur les jet de Folie.
A la prochaine session, maintenant qu'ils sont adoubés, je vais faire monter la pression dramatiquement.  :mrgreen:
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Fabulo
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le doigt tranché du singe homicide

Message par Fabulo »

Dès que j'entre, je comprends qu'elle est là au rire étranglé et à la respiration lourde, derrière la porte de la seule cabine de toilettes occupée, côté femmes. Dare-dare, je cours prévenir Jenkins de me rejoindre : il explore les toilettes côté homme. Vides celles-ci.

Les flingues en main, on approche de la cabine à la porte close. Toujours cette respiration intense, rauque et des petits gloussements désordonnés, signes d'une santé mentale au moins vacillante. On se regarde avec Jenkins, en secouant la tête d'un air de dire : "c'est elle, et elle est cinglée...". Je me risque à l'interpeller : "Marie White, nous savons que vous êtes là...Ouvrez cette porte, nous ne voulons aucun mal."
Rires encore. Puis s'élève une voix dénaturée où se mêlent des accents enfantins ponctués de râles, de balbutiements, de sifflements. Difficile de saisir les mots prononcés, noyés dans ce fleuve de bruits étranglés mais l’essentiel nous parvient - une haine joyeuse s’en dégage.
"Venez donc me chercher, Messieurs...Hinhinhin...que faites vous dans les toilettes des femmes ?! Hin hin...que cherchez vous ? que voulez vous ? une petite gâterie...sachez que j'ai résilié récemment mon contrat avec mon ex-employeur, une petite ordure de proxénète...unilatéralement...hin...hin...il n'en a pas cru ses yeux...haha..."
Mouais, elle a pété les plombs, c'est sûr. Mais cette voix...Ca sort vraiment de cordes vocales humaines ?

Là dessus, on entend du brouhaha, une dame corpulente, son corps mou frissonnant de rage, portant robes à fleur, lunettes en cul de bouteille et une cascade de cheveux teintée, vient d'entrer dans les toilettes. A l'entendre beugler immédiatement, on comprend qu'on a affaire à une scandaleuse, le genre qui cherche la moindre occase pour donner de la voix, humilier un serveur, s'indigner d’une broutille et signaler son mécontentement avec force bruit. L'emmerdeuse. Manquait plus que ça. A travers la sueur qui me pique les yeux, je vois sa bouche maquillé en cul de singe déverser des injures, ça mitraille fluide, on sent la mégère habituée à ne pas s’en laisser conter.

La vue de nos flingues ne semble pas l'impressionner. Jenkins la fusille du regard dans l'espoir qu'elle la boucle. En vain. Bien sûr son petit cinoche attire les clients désoeuvrés du restaurant et bientôt c'est une foule compact qui se presse à l'entrée des chiottes, poussée par l’humaine curiosité. Ca va pas nous faciliter la tâche. Me reviennent mes pensées : va falloir la jouer finaud. C'est foutrement mal barré.

On ne sait plus trop où donner de la tête, ni comment endiguer ce bordel lorsque soudain la porte des toilettes s'ouvre en force, le cadenas craque, et Marie, le cheveux en pétard, l'oeil fou bondit, mi rampante, mi grognante, à quatre pattes. Elle court se réfugier dans un coin, un couteau en main, sa pupille danse, ivre du délire qui la hante.

A partir de là, tout s'est passé très vite.

Victor nous a rejoint, fendant la foule. Jenkins pète les plombs, je saigne du nez brutalement sans raisons, des chuchotements étranges se font entendre accompagnés d'un souffle glacial, un frisson s'empare des personnes présentes; tout devient flou, des nausées me retournent le bide. 

Marie se précipite sur moi, couteau en avant. Victor dégaine son flingue, Jenkins s'interpose va-savoir-pourquoi, se prend une balle, s’écroule. La blonde gueularde m'agrippe la cheville, je la cogne sauvagement, étonné par ma propre violence, je vise Marie, shoote et la blesse. Elle se relève, titube, en sang, et se jette sur Jenkins pour le poignarder, en hurlant de rire. Victor la vise, les toilettes sont maintenant envahies de clients fascinés et silencieux, le sang gicle ici et là, au gré des coups de couteaux et des balles qui sifflent.

Et tout le monde semble avoir le regard fixé sur la main droite de Marie.

Même moi. Bien malgré moi.

A l’index de sa main droite scintille l'éclat sombre d'une bague...

Seul à conserver mon légendaire sang-froid dans cette cohue, je finis par neutraliser Marie, hurlante, la bave aux lèvres, râlant des injures. Je lui arrache son couteau et, saisi d'une intuition fulgurante, je lui tranche net l'index où brille la bague. Je me dégage, enferme précipitamment le doigt embagouzé dans le coffret en plomb.

Quelque-chose comme une brusque accalmie soudain.

Le temps se fige.

Un silence irréel.

 
Dernière modification par Fabulo le jeu. sept. 21, 2017 10:50 am, modifié 1 fois.
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[CR] Cthulhu Dark - le coffret (suite et fin)

Message par Fabulo »

 
Que dire de plus ?

Les flics, sous fifres de Jenkins, finissent par intervenir et dégager tout ce beau monde, recenser les blessés, trier les agités, agripper la blonde qui me menace d'un procès, et prodiguer les premiers soins. 
Il a fallu quelques jours à Jenkins pour être de nouveau sur pied, entre les coups de couteau et la balle qu'il s'est pris dans le buffet : mais c'est un costaud, le genre de gars pas bien épais mais coriace. Victor et moi, ça nous a donné le temps de souffler - les autorités nous ont lâché la bride, le temps de mener l'enquête sur les circonstances. Qui a tiré sur quoi, comment, pourquoi ? Légitime défense et tout le tralala.

Marie White est décédée de deux balles généreusement offertes par Victor et moi, pour la neutraliser. Quant à son doigt manquant, tranché, ça a suscité des interrogations du médecin légiste mais cette incongruité a rapidement été noyée : on a des preuves accablantes que Marie White a buté le proxénète, c'est une orpheline qui s'adonnait à la prostitution...Personne n'est venu réclamer son doigt, l'affaire est classée.

Avec Victor, dans l'agence, le cul posé sur le divan rapé, on regarde fixement le coffret de plomb. Dedans repose (et pourrit tranquillement) le doigt tranché de Marie White, orné d'une bague. On boit du café, du whisky, on se lève, marche en long, large et travers, rallume une clope, échafaude des hypothèses. Et Muller ? Où est il ? Cette bague c'était le contenu du coffret, fruit du cambriolage chez Sullivan ?

Quand on apprend que le père de Sullivan, jadis archéologue, a fini à l'asile après avoir assassiné sa femme, et qu'il était à l'époque en possession de la bague, une bague découverte lors de ses fouilles archéologiques, on lui rend une visite de courtoisie. Il est bourré de médocs, son oeil divague, il balbutie mais à l'évocation de la bague... il se met à hurler comme un dément, tortiller en tous sens, et jure de n'être pas responsable de la mort de sa femme...On sort précipitamment, sous l'oeil réprobateur du psy ("je vous ai dit de ne pas le provoquer, il a besoin de repos").

De retour à l'agence, on finit par oser formuler à voix haute la seule hypothèse capable de relier les événements : Muller a cambriolé son avocat Sullivan, piqué le coffre contenant la bague, coffret qu'il a planqué dans la cage du singe, au zoo où il travaille, car il a des grosses dettes envers le Milieu, et ça lui a paru un endroit plus sécurisé que sa piaule.

Le singe s'empare de la bague et...devient furieux, tue un employé. Muller arrive, découvre le spectacle, anesthésie le singe, aperçoit qu'il porte sa bague, n'arrive pas à l'extirper, lui coupe le doigt et s'enfuit.
Il arrive chez sa fiancée, la douce Marie White et lui confie la bague. Il repart, inquiet des retombées de l'incident du zoo, et de sa fuite précipitée. Marie White n'écoute pas ses consignes et plutôt que de planquer la bague, elle la porte. De bon matin, elle va alors lire la Bible au parc, comme à son habitude.
C'est ce moment que choisit le destin pour mettre sur sa route le proxénète qui l'employait à Boston, avant qu'elle ne décide de tourner la page. Il est bien décidé à la retrouver pour s'expliquer avec elle et récupérer du pognon qu'elle lui a piqué pour financer sa nouvelle vie. Prise d'un accès de fureur incontrôlable, elle refroidit le proxénète avec une violence inimaginable pour une jeune fille aussi passive d'ordinaire. Elle n'aurait pas fait de mal à une mouche, mais à un proxénète, si.

C'est alors qu'elle décide d'aller se venger de ses collègues, filles de joie qui l'ont si durement moquées et maltraitées jadis. Elle part pour Boston...et nous l'interceptons à temps.

Cette séquence d’événement colle. A peu près. On échange nos impressions sur la scène finale, le chaos sanglant dans les toilettes : oui, il s’est bien passé quelque-chose de pas naturel, une folie s’est emparé de tous les individus présents, et la violence collective a atteint un paroxysme anormal...jusqu’au moment où j’ai enfermé la bague dans le coffret.

Voilà où nous en sommes.
Ce matin, l’avocat Sullivan a téléphoné. Victor lui a dit que l’affaire était close, que le coffret était perdu et que nous étions désolés de n’avoir su le retrouver. Il avait l’air déçu, contrarié et inquiet. Victor a inventé des pistes flous et des impasses pour lui expliquer que Muller devait être loin, avec son butin, et qu’il valait mieux faire une croix sur lui. 

Le coffret est planqué en lieu sûr. On n’a jamais osé l’ouvrir de nouveau.

Alors que la nuit venait d’étendre son manteau d’ombres, j’ai vu cet homme, en contrebas de l’agence, seul, debout. Le point rouge de sa clope au bec, il semblait attendre et observer. Etait ce Muller ? Je ne pourrais l’affirmer. Si c’est lui, j’imagine sa colère : le coffret lui a échappé et sa dulcinée, la pieuse Marie White, nourrit les vers, six pieds sous terre; salement refroidie par nos soins.

Les années ont passées, et je repense parfois à cette affaire sordide et incompréhensible. Lorsque je croise Jenkins, on évite soigneusement d’en parler, pacte mutuel de silence, peur d’ouvrir des brêches où notre Raison pourrait s’engouffrer.

Comme un écho lointain, les écrits de Shakespeare me reviennent parfois : “il y a plus de choses sur la terre et dans les cieux que dans toute votre philosophie…”
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Sammael99
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le coffret

Message par Sammael99 »

Joli. 
Mozart n'a pas écrit que le Boléro de Ravel. Mais aussi plein d'autres trucs beaucoup moins connus (comme le canon de Pachelbel). - Le Grümph
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Fabulo
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le coffret

Message par Fabulo »

Sammael99 a écrit : jeu. sept. 21, 2017 10:59 amJoli. 
Merci.  ;)

Voici le scénario/trame qui a servi pour jouer cette session :http://affabulations.weebly.com/uploads ... _noire.pdf

(attention, j'ai inversé des noms par erreur dans le compte-rendu par rapport au scénario, Finnigan devenant Sullivan)

J'ai décidé en dernière minute de mettre une "bague" plutôt qu'une "pierre noire", afin d'injecter de l'incongru (le doigt tranché du singe) et de la cohérence (Marie White porte la bague).

Motorisé avec Cthulhu Dark, même si les jets de dés ont été rarissimes, sauf à la fin, lors du climax dans les toilettes, où chacun a pu proposer des idées (jet en opposition). La scène a quasiment été créée collectivement, et chacun a participé à l'intensité dramatique, n'hésitant pas à mettre son personnage en difficulté. Très bon moment de collaboration pour une scène entièrement improvisée.

J'ai un peu bâclé/ellipsé la narration de cette scène, car difficile à retranscrire (et parce que je suis fainéant), mais ce fut particulièrement épique et tendu en jeu.

En jouant cette session, mon but était également de tester si un scénario aussi minimaliste, tenant en une page, permet d'improviser pendant 2h-2h30 sur un one-shot, avec un minimum de préparation (20 à 30 minutes de cogitations avant la partie pour imaginer les persos, le décor, les ramifications potentielles, des idées de scènes et d'indices/témoins/pistes).

Ca a plutôt bien fonctionner mais ça nécessite d'avoir des joueurs qui ne sont pas désarçonnés par le fait de ne pas être guidés par une intrigue linéaire préétabli et savent organiser leurs investigations de façon active.




 
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Ganelon
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le coffret

Message par Ganelon »

Très joli McGuffin, qui permet de varier les personnages ! Curieusement, ça me rappelle le scénario du western Winchester 73 qui voit la moitié du casting s'écharper pour posséder l'arme en question.
Comment on dit dark en anglais ?
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Fabulo
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le coffret

Message par Fabulo »

Ganelon a écrit : jeu. sept. 21, 2017 3:07 pmTrès joli McGuffin, qui permet de varier les personnages ! Curieusement, ça me rappelle le scénario du western Winchester 73 qui voit la moitié du casting s'écharper pour posséder l'arme en question.
Merci, je m'en vais regarder ce western voir de quoi il retourne.  :yes:
 
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Ganelon
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Re: [CR] Cthulhu Dark - le coffret

Message par Ganelon »

Celui d'Anthony Mann, n'est-ce pas. Il existe un remake des années 70, je crois, sans grand intérêt.
Comment on dit dark en anglais ?
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