Session n°1 [Étaient présents les joueurs d’Alphédius, de Yok et de Jusseau.]
La Kaldavie est une terre de légendes. On dit qu’elle abrite des royaumes féériques, des géants et des trolls. On raconte que jadis il y avait un dragon, le plus puissant de son espèce, et qu’il régnait sur la Kaldavie. On dit aussi qu’il fut tué par le plus jeune de ses fils et que ce dernier a pris sa place. On dit enfin que la Mère des épées gît quelque part et qu’elle attend patiemment qu’un héros vienne la tirer…
Il y a quelques mois, les éclaireurs du Roi ont remonté une partie des côtes kaldaves et repéré un lieu propice à une installation. De leur côté, les Patrouilleurs ont écumé les archives impériales et en ont tiré une
carte.
La Kaldavie s’étant replié sur elle-même pendant cinq siècles, il n’y a quasiment pas eu de contact et la plupart des informations récupérées ne sont que des hypothèses basées sur l’ancienne province impériale : on ignore si la capitale provinciale est encore debout ; on ne sait pas ce qu’est devenue la V
e légion, ni ce qu’elle était censée garder.
Quatrième jour de la semaine Basse du Dragon en l’an 803.
Au début du printemps, après une semaine de navigation vers le nord-est à travers une mer agitée, le navire d’
Alphédius accoste en terre kaldave. De hautes falaises noires bordent la côte, percées ici et là par des fjords étroits. Dans l’un d’eux, une large cuvette a été choisie pour être le lieu du débarquement : elle ne dispose que d’un accès vers l’intérieur des terres, aisément défendable, et des ruines éparses semblent indiquer une activité humaine passée.
Alphédius fait donc débarquer ses hommes et supervise l’établissement d’un camp de base sur une hauteur qui domine la baie.
Jusseau monte lui-même sa tente tandis que
Yok s’empare d’une hache dans les fournitures de la Patrouille et se dirige vers un bosquet situé non loin. Il aperçoit non loin un corps de ferme en piteux état :
Lorsqu’il pénètre dans les bâtiments délabrés, les esprits lui apprennent le destin macabre de ses derniers occupants : ils ont été dévorés. D’ailleurs, les ossements humains qui restent portent des marques de dents.
Yok ramasse un pendentif de bronze qui fera un parfait réceptacle pour ses esprits et quitte les lieux. Il continue son chemin jusqu’au bosquet, repère un petit arbre et entreprend de l’abattre. Sa besogne achevée,
Yok ramène son arbre et l’installe devant sa tente. Il constituera un totem tout à fait satisfaisant et nécessitera plusieurs jours de travail.
Autour de sa tente,
Jusseau entend bien tracer un périmètre sacré. Il s’empare d’un fragment de lance consacré et creuse un sillon. Ce n’est qu’une fois sur le point d’achever son œuvre qu’il heurte une roche et brise sa lance. Mortifié, il contient sa colère et va méditer ce funeste présage à l’écart du camp.
Le Capitaine laisse à ses hommes le soin de creuser un fossé et, accompagné de quelques Patrouilleurs, va inspecter la construction en pierre qu’il a repérée non loin de la sortie du fjord. En s’approchant, il constate qu’il s’agit d’un temple en ruines :
Alphédius jette un rapide coup d’œil à l’intérieur. Dans la poussière, il décèle les traces d’un passage régulier, dont les dernières doivent remonter à quelques jours à peine. Timothée, le jeunot du groupe, propose avec enthousiasme d’y monter la garde. Le Capitaine note sa bonne volonté mais entend s’occuper lui-même de la surveillance : il appose un sortilège d’alarme tout autour du camp. Pour leur première nuit en Kaldavie, la Patrouille prend un repas chaud tandis que le Capitaine rappelle avec emphase l’importance de leur mission.
Cinquième jour de la semaine Basse du Dragon en l’an 803.
Au matin, la Patrouille s’éveille tranquillement. L’alarme posée par
Alphédius n’a pas sonné. Tandis que
Yok s’attèle à la sculpture de son totem et que
Jusseau communie avec son dieu, le Capitaine envoie une demi-douzaine de ses hommes quadriller les environs immédiats. Parmi eux, Timothée a les yeux cernés : il explique qu’il a veillé toute la nuit et qu’il n’a rien aperçu du côté du temple. En revanche, il est presque sûr d’avoir vu des silhouettes le long de la falaise, au nord du camp.
Alphédius le félicite pour son initiative et décide de pousser les investigations de ce côté. Les Patrouilleurs longent la falaise jusqu’à tomber devant une entrée :
À proximité, ne subsistent que les fondations de ce qui devaient autrefois être d’imposantes bâtisses. On repère des traces de pieds nus humains, plutôt récentes.
Alphédius fait de la lumière avec son bâton et guide la petite troupe à l’intérieur : le couloir, large de plusieurs mètres et au moins aussi haut, semble taillé au cordeau. De temps en temps, des alcôves sont percées de part et d’autre. Suffisamment grandes pour qu’un homme s’y asseye, elles sont vides.
Quelques minutes plus tard, les Patrouilleurs débouchent dans une large salle carrée. Le couloir continue à travers le mur d’en face et des alcôves y sont également présentes. Mais cette fois, elles ne sont pas vides : détritus, restes animaux ; l’une d’elles a visiblement servi de fosse d’aisance. Partout l’on peut voir des empreintes boueuses.
Au camp,
Jusseau et
Yok entendent des clameurs venir du temple en ruine. Là-bas, deux silhouettes sont en train de passer à tabac une troisième. Le Clerc et le Chaman vont voir et, le temps qu’ils arrivent sur place, ils constatent que les deux hommes ont cessé de frapper leur victime. L’un d’eux, assis, se fait bander la tête par son camarade. Tandis que
Jusseau s’enquiert de la situation,
Yok va examiner le corps du troisième larron.
Il s’avère que l’individu en question est un troglodyte dans un état de décomposition avancé. Le Clerc pose des questions. Il détermine rapidement l’origine du mal et s’avance dans le temple. Là, ils découvrent que la dalle menant vers la crypte est brisée. Le bouclier de
Jusseau se met à luire doucement tandis qu’il mène le petit groupe sous terre, où ils se rendent compte que le mur du fond est percé d’un tunnel taillé à même la roche. L’odeur de décomposition se fait plus forte.
Le Clerc décide d’attendre qu’
Alphédius soit revenu pour aller plus loin et fait ressortir les Patrouilleurs. Il demande un volontaire pour monter la garde avec lui, et le dénommé Samrin, connu pour sa piété, reste à ses côtés.
Yok retourne sculpter son totem.
Dans les tunnels,
Alphédius examine les murs mais entend des bruits de pas précipités qui s’approchent. Alors que des grognements se font entendre, le Capitaine dispose ses hommes pour faire face à la menace. Une dizaine de troglodytes font irruption et se jettent immédiatement sur la Patrouille. Surpris,
Alphédius évite de justesse un coup de massue, tente de riposter de son bâton et prend un second coup qui le jette à terre. Aussitôt, deux Patrouilleurs s’interposent entre lui et l’assaillant. Même si la situation est confuse, la Patrouille, mieux armée et bien entraînée, semble rapidement prendre le dessus. Déjà plusieurs troglodytes gisent à terre.
Comme le combat tourne en leur faveur, certains hommes s’élancent dans le couloir à la poursuite des fuyards.
Alphédius tente bien de retenir ses hommes mais ne parvient pas à se faire entendre. Afin que ceux-ci ne se retrouvent pas en difficulté, le Capitaine envoie les autres dans la même direction. Il ne garde auprès de lui que deux hommes, dont l’un présente une vilaine entaille au sommet du crâne.
Alphédius l’examine et lui administre rapidement une potion de soin, lui sauvant sûrement la vie. Laissant là les deux hommes, il part à la recherche des Patrouilleurs partis en avant.
Il débouche peu après dans une large salle. Là encore on trouve des alcôves. Mais surtout, il y rejoint les Patrouilleurs, lesquels ne déplorent aucun blessé et semblent reprendre leur souffle. Et puis il y a les cadavres. Des troglodytes. Ceux qu’ils ont poursuivi certes, mais aussi des femmes et des enfants. Les hommes expliquent au Capitaine qu’ils n’ont pas eu le choix, que ces choses les ont attaqués et qu’ils n’ont fait que se défendre. Mais
Alphédius sent bien que cette tuerie risque d’effriter le bel idéalisme de ses troupes. Il improvise donc une harangue et rappelle à tous leur mission ici : ramener la civilisation dans ces terres sauvages, rétablir l’Empire dans toute sa splendeur et bâtir une société dans laquelle ces monstres dégénérés n’ont pas leur place.
Ayant mis fin à leurs doutes, le Capitaine entreprend d’examiner les lieux, qu’il reconnait comme étant de facture naine. La salle, haute de plafond, est percée de trois couloirs. L’un semble s’enfoncer plus avant dans la falaise ; le second descend dans les profondeurs ; enfin le troisième est une pente douce qui remonte vers la surface et qu’il décide d’inspecter.
Pendant ce temps,
Jusseau monte la garde. Brusquement, il entend des chocs sourds venir de sous la terre.
Yok, qui a aussi entendu, accourt avec quelques hommes, mais le bruit cesse.
Samrin demande au Clerc de bénir son arme, ce qu’il fait volontiers même si, étrangement, il éprouve quelque difficulté à lancer son sort.
Jusseau prend ensuite la direction des opérations et décide de mener la Patrouille dans la crypte.
Alors qu’ils descendent sous le temple, le bruit reprend de plus belle, comme si quelqu’un ou quelque chose de gros frappait comme un sourd contre un mur. À nouveau le bouclier de
Jusseau se met à luire. Et là aussi, le Clerc rencontre une résistance, comme si son dieu le mettait à l’épreuve. Il n’en mène pas moins le groupe dans le tunnel creusé dans la roche. À ses yeux expérimentés, le complexe ressemble fort à d’antiques catacombes, mais toutes les sépultures ont été profanées. Des corps manquent.
Une vingtaine de mètres plus loin, au fond du tunnel,
Jusseau repère une masse imposante. À peine discernable dans l’obscurité, elle semble écraser méthodiquement ses poings sur la paroi du fond. Hésitant, le Clerc fait appel à son dieu et lui demande conseil : sur sa rétine s’imprime brièvement l’image de son marteau ; dans ses narines parvient brusquement une violente odeur de nécromancie.
Le Clerc tonne alors des imprécations et enjoint ses camarades à occire le monstre.
Jusseau frappe son bouclier de son marteau et se campe fermement au milieu du tunnel lorsque la chose se retourne vivement. Son apparence est pour le moins effrayante : des morceaux de cadavres cousus entre eux, agrémentés d’ossements et de débris divers. Si
Yok ignore ce dont il s’agit,
Jusseau reconnaît là une abomination nécromantique, un golem de chair incontrôlable.
Et d’ailleurs, celle-ci charge furieusement les Patrouilleurs.
Jusseau dispose rapidement ses hommes sur les flancs et provoque la bête. Il n’a pas le temps d’armer un coup que l’abomination le propulse sur plusieurs mètres. Bien sûr,
Yok et les Patrouilleurs en profitent pour larder l’abomination de coups, mais ils subissent eux aussi son ire : le Chaman percute violemment un mur et tombe à genoux.
Comme le monstre lui tourne le dos,
Jusseau se relève et lui assène un coup de son marteau. La rotule de l’abomination cède et celle-ci s’affaisse brusquement en arrière, forçant le Clerc à reculer précipitamment.
Yok, toujours à terre, jette l’un de ces totems qu’il affectionne tant. Quand il se brise en heurtant le sol, il relâche un esprit qui attire à lui l’abomination. Mais le Chaman, encore sonné après le coup encaissé précédemment, le jette malheureusement vers la sortie. La retraite est bloquée.
Jusseau avise rapidement deux blessés parmi les Patrouilleurs, réunit les autres et réitère son défi. Aussitôt le monstre fait volte-face et charge derechef. Le Clerc attend jusqu’au dernier moment pour se jeter sur le côté, mais sous-estime la vitesse de l’abomination qui le jette à nouveau au sol. Là,
Yok empale le monstre et le tue sur le coup, mais son adversaire s’effondre sur lui de tout son poids.
Côtes brisées, poumons déchirés,
Yok perd connaissance. Il ouvre les yeux et se retrouve dans une étrange forêt, aux arbres gris et au ciel d’un blanc laiteux. Un immense éléphant s’approche de lui et le Chaman reconnaît là l’esprit ancestral que l’on nomme parfois la Mort. Mais alors que
Yok s’apprête à parler, le paysage s’estompe, une forte odeur de décomposition se fait sentir, et il se réveille dans son corps perclus de douleurs, aux côtés de ses camarades.
Au même instant,
Alphédius revient de son expédition. La rampe grimpe lentement vers la surface, il faut presque une heure pour la remonter. Mais son extrémité s’est effondrée et les Patrouilleurs n’ont pas sur eux les outils nécessaires pour déblayer. De retour au camp, il est immédiatement avisé de la situation dans la crypte par
Jusseau venu chercher l’infirmier. Le Clerc expose rapidement les détails de la rencontre avec l’abomination pendant qu’il accompagne le Capitaine et l’infirmier jusqu’aux blessés.
Dans la crypte, un homme souffre d’une côte cassée et respire avec difficulté.
Yok, depuis quelques minutes, ne ressent plus la douleur. Il se sent même de mieux en mieux. Lorsque l’infirmier arrive pour l’examiner, ce dernier se fige un instant, prend le poignet du Chaman qui se laisse faire mais assure qu’il va bien. De longues secondes s’écoulent. L’infirmier ne comprend pas. Il demande à
Jusseau de prendre le pouls du Chaman et le Clerc s’exécute : rien.
Yok est mort et pourtant il parle.