[CR] Les Masques de Nyarlathotep

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Lotin
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[CR] Les Masques de Nyarlathotep

Message par Lotin »

Comme d'autres ici et en ce moment même, j'ai réuni un groupe d'amis pour leur faire jouer Les Masques de Nyarlathotep. J'ai donc six volontaires qui ont répondu à l'appel du D100. Deux de mes joueurs ont un emploi du temps compliqué ils ne sont donc pas présents à toutes les séances mais le nombre important (pour moi s'entend) de joueurs permet d'avoir toujours un groupe de 4 à 5 investigateurs prêts à enquêter. Le noyau dur se compose de trois joueuses et ce sont deux d'entre elles qui travaillent à produire les compte-rendus de séance ( :rock ).

J'ai deux joueuses très expérimentées. Une totalement novice en chose rôliste mais qui pratique assidument tous types de jeux de société grâce à son compagnon qui connaît très (trop) bien l’œuvre de Lovecraft et a lu quelques productions rôlistiques associées (surtout la prod. Descartes/Sans Détour et qui ne peut s'empêcher de spoiler les éléments qu'il reconnaît) sans avoir beaucoup joué, pas depuis au moins 20 ans. Les deux autres joueurs sont des amis à qui j'ai fait jouer The Enemy Within de Warhammer et dont les CR trainent quelque-part sur le forum : un ancien novice dont ce sera la deuxième campagne (et les premières cthulhueries) et un autre joueur très "passif" dans sa façon de jouer. Ils sont presque tous novices en la chose lovecraftienne du coup je peux leur faire découvrir la chose par les grands classiques (comme vous le verrez dans les CR). Tout le monde se connaît déjà, ce qui aide grandement à ce que la sauce prenne.

Nous jouons les samedis soirs après un apéro-repas copieux où chacun amène ce qu'il a cuisiné (oui on vieillit et on s'embourgeoise et on a remplacé les pépitos-pschit par de l'osso bucco et du vin italien :lol: ). Les séances de jeu durent entre 5 et 7 heures.


J'ai choisi de jouer en V7 (même s'il doit rester des bouts de la V4 dans ma façon de faire mais je m'en rends plus trop compte). Mes joueurs avaient comme information qu'ils allaient participer à une grande campagne dont ils n'ont pas le titre. Il savent que le cœur des parties se déroulera en 1925 mais que j'agrémente de quelques scénarios introductifs pour poser les cadres (de 1920 à 1925). La première séance fut consacrée à la création des personnages puis fut suivie de la première partie du premier scénario introductif.

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L'équipe presque au complet qui planche studieusement sur les feuilles de personnages :

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L'équipe se compose donc de :

Dorothy Baker, une jeune détective privée qui a repris l'affaire de son père, profitant de sa clientèle et de son réseau après quelques années dans la police.
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Fay Watson, issue d'une famille (au sens large) de forains et autres gens du spectacle et de la scène. Elle travaille avec son frère pour sa mère qui tient un tripot et dispose de quelques filles.
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Elizabeth Grace Franklin profite d'une d'une très bonne situation familiale et d'une fortune acquise suite au divorce de ses deux premiers maris grâce aux compétences de son père, un grand avocat de Boston. Elle est actuellement mariée (1920) avec un professeur d'ethnologie qui enseigne à l'université et dont elle suit aussi les cours.
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Gordon Waters RIP, étudiant en mathématiques à Boston, qui a une passion pour les mythologies dont il essaye de tracer des schémas secrets logiques mathématiques. Il prépare une thèse.
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Vernon Sullivan est un journaliste de New-York (en 1920). Suite à une maladie infantile mal traitée, Vernon a gardé un bras gauche très affaibli.
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Kenneth Cowan est un jeune vétéran de la première Guerre Mondiale. C'est un géant, engagé volontaire il a participé aux combats et y a gagné ses premiers galons d'officier. Il profite de son statut de héros de guerre depuis son retour et cherche quoi faire de sa vie mais ses maigres ressources vont probablement lui causer des soucis.
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Nick Mason est un jeune docteur ayant repris la patientèle de son père qui n'est autre que l'oncle de Elizabeth Grace Franklin. Il se retrouve embarqué dans cette histoire sordide presque malgré lui.
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L'Agent Andrew Patterson est un officier du jeune Bureau of Investigation. Avant sa carrière au BoI il a fait équipe avec Dorothy Baker.
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Les compte-rendus narrent leurs aventures et mêlent deux points de vue. Un premier, plutôt externe décrit les actions de chacun. Le second, en italique dans le texte, reflète les pensées de Fay Watson.

Séance 1 : Création de personnage et introduction du scénario Edge of Darkness.
Séance 2 : Suite et fin de Edge of Darkness et introduction du scénario Les Manteaux Noirs très fortement altéré par l'ajout de Dark Rivals (et de Yacht, rafiot et liqueur d'algues dans une moindre mesure) (1920). Scénarios du collectif @Tristan
Séance 3 : Début des Manteaux Noirs/Dark Rivals (1920).
Séance 4 : Suite des Manteaux Noirs/Dark Rivals (1920).
Séance 5 : Fin des Manteaux Noirs/Dark Rivals (1920).
Séance 6 : Début de Yacht, rafiot et liqueur d'algues (1922).
Séance 7 : Suite de Yacht, rafiot et liqueur d'algues (1922).
Séance 8 : Suite de Yacht, rafiot et liqueur d'algues (1922).
Séance 9 : Fin de Yacht, rafiot et liqueur d'algues (1922).
Séance 10 : Début du chapitre new-yorkais des Masques de Nyarlathotep.
Séance 11 : Suite du chapitre new-yorkais des Masques de Nyarlathotep.
Séance 12 : Suite du chapitre new-yorkais des Masques de Nyarlathotep.
Séance 13 : Fin du chapitre new-yorkais des Masques de Nyarlathotep, avec point de vue d'un 4e personnage en prime.
Séance 14 : Transition entre New-York et Londres.
Séance 15 : Début du chapitre londonien : enquêtes préliminaires.
Séance 16 : Suite du chapitre londonien.
Séance 17 : Suite du chapitre londonien.
Séance 18 : Suite du chapitre londonien.
Séance 19 : Suite (et fin ?) du chapitre londonien.
Séance 20 : Arrivée au Caire.
Séance 21 : Enquête et paranoïa au Caire.
Séance 22 : Suite de l'enquête au Caire (témoignage d'Auguste Loret).
Séance 23 : Suite de l'enquête au Caire, visite de la pyramide de Mykérinos sur les traces de l'expédition Clive et du sarcophage volé.
Séance 24 : Suite de l'enquête au Caire, visite à El Wasta, rencontre avec N. dans la pyramide inclinée.
Séance 25 : à venir.
Dernière modification par Lotin le mer. janv. 02, 2019 8:28 am, modifié 10 fois.
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Re: [CR] Les masques de Nyarlathotep

Message par Lotin »

Saison 1 Episode pilote – Quelques jours au vert
24 février 1920
Acte 1

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Vers la fin du mois de février de l'année 1920, six personnes que rien ne relie sont appelées au chevet de Ruppert Merryweather, les enjoignant par télégramme de le retrouver le 24 février, à son domicile à Boston dans le Massachusetts. Ruppert est un professeur émérite, spécialisé en cryptographie et en mathématiques, aujourd’hui atteint d’une grave maladie. Le contenu de ses messages est enveloppé d'un certain mystère et c'est ainsi qu'en cette froide matinée, chacun va se retrouver, un peu gêné, dans le grand hall d'entrée d’une riche demeure située dans un quartier huppé de Boston, en compagnie d'un majordome distingué. Trois femmes et trois hommes se regardent, se présentent, attendent. Certains connaissent l'hôte, d'autres non. Il y a Dorothy Baker, l'amie de Paul Merryweather, le fils de Ruppert ; Gordon Waters, jeune doctorant en Mathématiques à l'Université de Boston ; Elisabeth Grace Franklin, la fille d'un vieil ami du malade, venue le représenter en cette triste circonstance ; Vernon Sullivan (un journaliste) accompagné de son ami Jackson Elias, écrivain et « neveu » de Ruppert, et enfin Fay Watson, serveuse.

Je ne comprends pas encore ce que je fais là (la curiosité peut-être). Lawrence n'a pas voulu m'accompagner, il dit qu'il s'en fout de cet oncle Aloysius, qu'on l’a jamais connu. C'est vrai qu'à part un portrait de lui et le fait qu'il soit mort très jeune, nous n'en parlons jamais. C'était un original, versé dans le spiritisme, le mesmérisme ou encore le magnétisme...quoi que « original », pour nous, fêteux, ne veuille pas dire grand-chose.

La maîtresse de maison, Agnès, une femme d’un certain âge mais encore d’une belle prestance et très élégante, les accueille enfin et les invite à la suivre au deuxième étage de la vaste demeure, jusqu'à une grande pièce, autrefois bureau maintenant transformée en chambre d’hôpital, au centre de laquelle Ruppert Merryweather, au teint très pâle, repose dans un grand lit, son corps amaigri noyé sous les couvertures et les coussins.

Un mouroir donc... Agnès nous explique à voix basse la maladie de Ruppert, un cancer, qui le ronge peu à peu. Elle est encore belle, malgré son âge et la lassitude qui semble l’écraser. Elle et son fils Paul semblent assez proches de Dorothy, de Jackson et de Gordon. Non, décidément, je ne comprends pas pourquoi on m'a fait venir ici.

À l'arrivée du groupe, le vieil homme se redresse lentement. Cette visite devait être importante pour lui et il semble recouvrer une force qui l’avait depuis longtemps abandonné. Il leur raconte une étrange histoire qui s'est déroulée il y a presque 50 ans : une séance d’occultisme comme il s’en pratiquait tant à la fin du siècle dernier, très en vogue à cette époque. Mais un événement étrange survint un soir et tout prit une tournure bien dramatique. Dans cette histoire, la responsabilité de Ruppert est engagée et il a besoin de l’aide des personnes présentes pour mettre un terme définitif à cette mésaventure afin d’entrer en paix dans le repos éternel. Très affaibli, il leur présente une boîte en carton, dans laquelle, dit-il, il y a tout ce qu'il faut pour leur permettre de comprendre l'affaire, leur expliquant que leurs familles respectives sont toutes impliquées.

D'accord, mais encore ?
Agnès s'approche de Ruppert, visiblement contrariée, et Paul lève les yeux au ciel, ce n'est pas la première fois, visiblement qu'il entend parler de cette histoire. Jackson quant à lui écrit frénétiquement dans un petit carnet.
Nous ouvrons le carton. Il contient une petite boîte en or, imitant un sarcophage égyptien ; Vernon se jette dessus, serait-il un spécialiste ? Il la retourne, la regarde sous tous les angles... la soupèse. Hum… il semble plus intéressé par le matériau que par l’objet lui-même ! Une enveloppe jaunie avec un petit renflement sur laquelle est écrit le mot « Vieille Ferme » et un vieux cahier, très abîmé, accompagnent cet étrange artefact.


Lily Grace prend l’enveloppe et l’ouvre ; elle contient un vieil acte de propriété daté de 1873 pour une ferme sur la route nord de Ross’s Corner. Elle sort également une clef, en partie rouillée.

Gordon Waters s’applique à révéler le contenu du cahier : c’est un journal tenu par Ruppert et relatant des faits survenus en 1873 et 1874. Ruppert et un groupe d'étudiants, sous couvert d’un club de lecture, se sont livrés à des séances de spiritisme jusqu’à une nuit de mars 1874 où tout a basculé. L'oncle de Fay en est mort tandis que le père de Gordon en a perdu la raison puis la vie quelques mois après dans une maison de repos. Les médecins ne sont jamais parvenus à le calmer et il a passé des semaines à hurler sans s’arrêter lorsqu’il n’était pas sédaté. Les noms des différents membres de ce “club de lecture” révèlent que tous les personnages présents sont liés par le sang (à l'exception de Vernon) à ce funeste groupe qui s’était baptisé la Confrérie Obscure et qui était dirigé par un certain Marion Allen. La ferme de Ross’s Corner avait été acquise pour que les étudiants se livrent à leurs séances en toute tranquillité ; et choisie en raison de son isolement. Ils y pratiquèrent plusieurs cérémonies. La première avait eu pour objectif d’invoquer l’esprit de l’ancien fermier et ce fut un échec. Par la suite, Allen se procura des artefacts égyptiens et sous son impulsion, le groupe se tourna alors vers des rites plus douteux de “magie noire”.

Tu parles d'un club... Paix à ton âme Tonton. Apparemment, après avoir échoué à faire venir l'esprit du fermier, ils auraient appelé un esprit soi-disant bienveillant contenu dans un arthropode (je ne sais même pas quelle peut être cette bestiole) coincé dans un fragment d'ambre lui-même enfermé dans le petit sarcophage en or (où est-il passé d'ailleurs ?).

Ainsi, en ce jour du 19 mars 1874, dans la ferme au nord de Ross's Corner, le groupe entama une cérémonie complexe décrite en détail dans le journal de Ruppert. Après des heures de litanie, une chose est apparue, d'abord invisible, éthérée, sous la forme d'une fumée noire à la surface de laquelle de petites bulles éclataient, puis une voix terrible s'est élevée. Les membres de la confrérie, assis en cercle autour d'un pentacle, ont vu soudainement un monstre aux mille mâchoires révélé par la poussière d'Ibn Ghazi qu’Allen jetait par petites poignées. Sous le regard incrédule de ses compagnons, Aloysius se leva et avança vers le monstre. Avant qu’aucun n’ait pu réagir, cette abomination s’était jetée sur lui et le démembra avec sauvagerie. Richard Elias, alors pris de panique, s’était levé à son tour effaçant une partie du pentacle et des signes marqués au sol provoquant immédiatement la libération et la fuite de la Chose.

Si Ruppert a pu retranscrire les faits c’est parce qu’il était le Custode (le gardien) chargé de surveiller les autres. Allen pensait qu'il était possible de renvoyer la Chose là d'où elle venait, mais les autres furent trop choqués ce soir-là pour tenter de refaire la cérémonie. Quelques jours plus tard, ils revinrent et ils entendirent des bruits dans le grenier. Mais ils avaient toujours trop peur. Le temps passa, Elias finit par mourir dans son asile, Marion Allen disparu également. Et aujourd’hui cela va être le tour de Ruppert. Aussi, le temps presse. La créature maléfique paraît être liée à la fois à ceux qui l’ont invoqué et au lieu où cela s’est produit (cette fameuse ferme, dont nous détenons maintenant la clé) et elle ne peut s'en éloigner tant que le Custode est encore en vie. D’après Ruppert, elle ne peut cependant accéder qu'au grenier, seul endroit où ils n'ont pas barbouillé les murs de symboles.

Le récit du vieux Ruppert, prenant allure testamentaire, devient alors clair pour le petit groupe serré autour de Gordon lisant ce vieux journal : réparer l'erreur, renvoyer l’esprit, que les descendants finissent ce qui a été commencé. Sceptiques, ils décident, plus par sympathie que par réelle conviction, de mener une petite enquête. Dorothy et Lily Grace se rendent alors chez leurs parents respectifs afin d'interroger leurs pères, membres survivants du club. Ces derniers, obtus, refusent d'admettre la véracité des propos de Ruppert, répétant le laïus accidentel utilisé lors de l'enquête de police. Pour eux, tout ce qui s’est passé ce soir-là fut le fruit de leur imagination. Dans cette ambiance sordide ils crurent alors voir des choses qui n’existaient pas. Aujourd’hui ils sont convaincus que ce n’était qu’affabulation et que Ruppert a bien tort de se tracasser encore avec cela.

Mon père ne sait rien, je lui ai tout raconté mais rien ne lui rappelle cette histoire, aucun document ne traîne dans nos cartons...la vie nomade ne s'encombre pas de vieilleries.
Je ne sais que penser, cela me paraît tellement burlesque mais en même temps quelque chose s'est réveillé, un souvenir, une perception, je revoie la vieille Jeronima et sa boule de cristal, ses cartes et ses bricoles antiques... et le regard de ses clients.


Ils décident ensuite d'enquêter sur Ross's Corner dans les archives journalistiques mais aucune mention ne fait état d'accidents bizarres ou de disparitions.
Les informations récoltées à la bibliothèque de Boston par Gordon et Vernon témoignent cependant d'une correspondance avec le fragment d'ambre renfermant l'esprit bienveillant et du manuscrit retraçant l'acte cérémoniel d'invocation de ce dernier. Cet ouvrage en latin, intitulé le Kybalion d'Honorius, avait alors été retranscrit par Marion Allen pour l'ensemble des membres du cercle.

Impossible de mettre la main sur ce foutu bouquin. Allen devait l'avoir, mais nous ne trouvons strictement rien non plus sur lui. À l'université, nous avons seulement appris qu'il n'avait pas terminé son année d'étude en 1874 et qu'il était en mort en 1875. Nous aurons peut-être plus de chance demain, Gordon et Vernon ont laissé (non sans réticence) le sarcophage en or à un professeur d'égyptologie qui saura peut-être nous en dire plus.

Au terme de cette journée, Dorothy, Gordon et Vernon décident de rester sur Boston afin de continuer leurs investigations.

Le petit groupe se retrouve le lendemain en fin de matinée. La visite chez le professeur d’'égyptologie permet de confirmer la provenance du sarcophage : il aurait été mentionné dans un ouvrage relatif au monde des morts et peut être attribué au pharaon Nophru-Ka de la 14e dynastie selon certaines sources ou de la 4e selon d’autres ; il est aussi appelé le « Pharaon Noir ». Il y a une inscription hiéroglyphique sous le couvercle, difficile à traduire, le professeur d’égyptologie parvient néanmoins à déchiffrer les mots “sagesse, chercheur de vérité/sagesse, Fils de Thot”.

Nous voilà bien rendu avec ça, mais progressivement l'idée de pratiquer le rituel fait son chemin dans nos esprits. Ça nous fera une ballade à la campagne... Si seulement on pouvait mettre la main sur ce fucking Kybalion...

La clé du rituel est contenue dans le Kybalion d'Honorius, malheureusement introuvable. Le père de Lily Grace n'en a gardé aucune copie et lorsque le groupe se retrouve devant la demeure de Ruppert c'est pour apprendre que ce dernier vient de trépasser. Armés de couronnes de fleurs, c'est avec tristesse qu'ils se rendent à la veillée mortuaire, mais aussi avec l’espoir de pouvoir se faufiler dans la bibliothèque et peut-être d’y trouver l’ouvrage.

« S’il l'avait eu, j'espère bien qu'il aurait pensé à nous le donner » remarque Lily Grace...elle n’a pas tort.

N'ayant plus d'autres choix que de se rendre à la ferme de Ross's Corner, le petit groupe hétéroclite décide de prendre la route l'après-midi même. Non sans mal car Lily Grace, qui a un mauvais pressentiment, tarde à se laisser convaincre ; et elle n’accepte qu’à condition que tous s’y rendent fortement armés. Ils espèrent trouver un poste de police sur place, mais il n’y en a plus depuis longtemps. Aussi, ils ne s'attardent pas et après avoir demandé leur chemin, se dirigent directement vers la ferme.

Un chemin de terre rongé par les herbes folles et criblé de nids de poule conduit vers l’antique propriété ; au bout de quelques mètres la voiture de Fay s'embourbe. Obligés de la dégager pour continuer d'avancer, ils remarquent que le petit bois longeant le chemin se compose d'arbres rachitiques, presque morts. Arrivés devant la maison et les dépendances, tout leur apparaît délabré, les murs de la grange sont effondrés, le puits au centre de la cour est presque rasé, la cabane des toilettes est ouverte aux vents, les carreaux de la verrière sont cassés. Tout est recouvert d'une végétation très dense, s'immisçant à travers chaque recoin des bâtisses et jurant avec le paysage désolé du petit bois. Le silence est assourdissant, pas un oiseau, pas un animal pour se faire entendre ; même au cœur de l’hiver un tel calme est inhabituel. En s'approchant de la maison, Gordon sursaute tout à coup, il dit avoir vu passer une ombre devant l’œil de bœuf du grenier. Est-ce le fruit de son imagination, exacerbée par les récits hallucinés de Ruppert sur la Chose monstrueuse ? En examinant les alentours, ils ne trouvent que désolation, des outils rouillés du cabanon aux murs qui s’effritent et partout cette végétation étouffante, empêchant jusqu'à même d'ouvrir un volet. Ils décident alors de pénétrer dans la maison.

Je ne suis pas tranquille, je ne saurais dire pourquoi ... un pressentiment. Je ne suis pas la seule, nous avons chacun pris une arme. Lily Grace possède un fusil et semble bien disposée à s'en servir au cas où et cela me rassure de sentir le poids de mon revolver dans mon sac. Je ferme la marche... nous sommes dans le hall d'entrée, il y fait sombre et heureusement Dorothy possède une lampe torche. Un couloir s'ouvre devant nous avec de part et d'autre deux portes donnant sur d’autres pièces.

Accroché au mur sur un portemanteau, un vieux veston pend tristement. Dorothy s'en empare fouillant les poches. Elle y découvre les papiers d'Aloysius Watson restés là depuis une cinquantaine d'années. Le groupe décide de bifurquer sur la droite vers la première pièce lorsque soudainement Fay hurle de terreur.

Je l'ai vu, je le jure, une silhouette, là derrière moi, j'ai vu son reflet dans le miroir... je me suis retournée mais rien… Vernon essaye de me rassurer, c'est le vent, l'ombre d'un nuage... je ne sais plus... cette maison me met mal à l'aise...

À la lueur de la lampe torche, c'est avec stupeur qu'ils découvrent le lieu du rituel d'invocation. Tout est là, comme décrit dans le journal : le pentacle, les bougies, la cheminée, et les signes gravés, partout, sur chaque boiserie, chaque montant de fenêtre et de porte. Le mobilier de la pièce a été minutieusement entassé dans un coin et tout est recouvert de poussière, tout est vieux, pourrissant et sur le point de se désagréger. Les angles des murs et du plafond sont recouverts d’étranges taches et coulures noires comme si un liquide visqueux avait suinté du grenier, mais tout est sec maintenant. En s'avançant doucement, tout en prenant garde de ne pas altérer les signes encore visibles du pentacle, le groupe remarque au centre de ce dernier un petit amas poussiéreux encadré de deux bougies noires.

« Le fragment d'ambre » suggère Gordon. Tout cela devient tellement « réel » … à l’extérieur, le vent a forci, on l'entend de plus en plus.

Alors qu’ils entrent dans la cuisine, ils observent des traces de pas dans la poussière allant de la porte en face à une petite porte sur le côté. Cette dernière donnant sur une cave, chacun y descend en file indienne. Dorothy passe la première et atteint le sous-sol ; elle s'avance sur la terre battue détrempée, des rats filent à travers leurs jambes, les mordants au passage.

Tout s'est passé trop vite, Dorothy à terre, un homme s'élançant vers nous, la voix de Lily Grace intimant de s'arrêter, des coups de feu... j'ai essayé de le stopper puis, de le rattraper dans l'escalier et je ne sais plus à quel moment j'ai sorti le pistolet de mon sac mais j'ai fini par tirer... il est mort... il me semblait avoir visé les jambes... Jackson nous regarde complètement effaré. C'est cette maison, elle nous porte sur les nerfs… je n'arrive même pas à m'occuper de Dorothy qui est encore dans les vapes.



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Dernière modification par Lotin le lun. avr. 23, 2018 5:38 pm, modifié 3 fois.
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Saison 1 Episode pilote – Quelques jours au vert
25 février 1920
Acte 2

L'homme qui s'était réfugié dans la cave semble être un vagabond, aux vêtements élimés, au visage ravagé par l'adversité. Vernon remarque que les traces de pas repérées dans la poussière semblent bien correspondre à ses chaussures et en l'examinant de plus près, il apparaît sur les épaules de son pardessus et sur son crâne de petites cicatrices encore fraîches faisant penser à des brûlures. Il est en outre recouvert de petites morsures.

Les rats ?

Après avoir, décemment, recouvert le corps inerte d'un vieux linge qui traînait dans la cuisine, l'examen de la maison reprend. Des craquements et des grincements proviennent subitement du grenier.

Une chouette ?

La pièce suivante, qui devait être une chambre est quasiment entièrement occupée d'étagères sur lesquelles de nombreux livres sont en phase de décomposition avancée. Près d'un poêle à bois la présence d'un petit lit témoigne de l'aménagement de fortune du vagabond. Tout autour ils remarquent une myriade de tâches noirâtres - telles des gouttes. En fouillant les étagères, Vernon découvre une vieille boîte à cigares et à l’intérieur, un petit cylindre en métal contenant de la poudre et des feuillets manuscrits avec un très long texte en latin.

Le chant d'invocation d’Honorius et la poudre d'Ibn Ghazi ! On va le faire, on va vraiment pouvoir le faire...
L'horloge ! L’horloge sonne ! et des bruits ! des bruits qui viennent de la cuisine ! Dorothy et Gordon s'y précipitent, mais rien, l'horloge s'est arrêtée, elle indique 2h01.


D’autres sons, des glissements, des chocs et même une sorte de feulement semblent venir d’au-dessus, du grenier. Ces bruits sont une source de stress pour tous désormais. Seul Vernon garde encore un peu de son sang-froid avançant toujours une explication, plus ou moins plausible, plus ou moins rationnelle… Malgré ces peurs, le groupe poursuit son exploration de la ferme. La dernière pièce inspectée est encore une chambre dans laquelle trois lits sont installés. Sur l'un d'entre eux un sac contient les papiers de Marion Allen, derniers vestiges du départ brusque de la Confrérie Obscure. Depuis cette salle, un escalier mène à une trappe et au grenier. Les investigateurs tergiversent : que faut-il faire maintenant ?

Ils veulent y monter ! Toutes les pièces sont recouvertes de glyphes ou je ne sais quoi sauf le grenier. C'est ce qui est écrit non ?

Gordon commence à gravir l'escalier, qui s'apparente plus à une échelle de meunier, lorsque soudain une marche complètement vermoulue cède sous son poids. Un juron éclate, Gordon s’est coincé la jambe, son pantalon s’est déchiré et un peu de sang perle le long de son mollet. Plus agacé que réellement blessé, il redescend en grognant, aidé de Vernon. Ce dernier monte précautionneusement mais alors qu'il passait la tête à travers l'ouverture du plafond, une grosse armoire s'abat violemment sur lui. L’esquivant heureusement de justesse, elle obstrue cependant une partie du passage.

M'a pas l'air bien normal tout ça... la lampe torche est morte, heureusement nous avons les bougies découvertes dans la cuisine... et toujours ces bruits, des portes qui claquent, des grincements, et le vent, encore le vent... Courageusement, Dorothy monte ensuite, pousse l'armoire et s'introduit dans le grenier, nous à sa suite (enfin, sauf pour Gordon, il regarde fâcheusement ses mains). Aucun signe gravé là-haut, le sol est entièrement recouvert de poussière mais nous remarquons ces éternelles traces noires, comme si le plancher avait été brûlé sur toute sa surface.

De nombreux squelettes de petits animaux jonchent le sol, certains cadavres ne sont pas entièrement décomposés et semblent avoir été vidés de leurs entrailles. Le vent s'engouffre par l’œil de bœuf ouvert aux intempéries. Le froid est terrible. Au même moment, la maison résonne de bruits étranges, l'horloge se remet à sonner.

Lily Grace est subitement prise de panique, elle refuse de rester une minute de plus dans ce grenier et redescend dans la chambre. Elle est suivie de près par Fay, soulagée de ne pas s'attarder en ce lieu. Rejoignant Gordon, ils échangent un regard lourd de sens, envahis de doutes et de peurs. L'inspection du grenier ne révèle aucune trace concrète de la Chose, mais suggère une présence malsaine les enveloppant. De nouveaux bruits se font entendre dans la cuisine et ils se précipitent, mais une fois de plus rien ne semble avoir bougé sauf peut-être la porte d'un placard qui n'aurait pas dû être ouverte. Le cadavre rigide gît toujours lamentablement sur le sol, ne faisant qu’accroître l'angoissante atmosphère de ce début de soirée. La nuit est déjà presque tombée. Ils décident alors de retourner à la salle du rituel afin de commencer la cérémonie au plus vite. Pris d'un doute quant à la bonne marche à suivre, Fay (non mécontente de pouvoir s'occuper l'esprit) reprend le vieux carnet de Ruppert et se plonge dans les détails du rituel.

Minuit ! Il faut attendre minuit...

Vernon, dont le caractère cartésien et dubitatif de la chose occulte commence à s'émousser, propose de s'occuper du feu de la cheminée en utilisant les vieux meubles stockés dans un coin tandis que Gordon et Jackson s'affairent pour retracer à la craie les symboles du pentacle légèrement effacés. Pendant ce temps Dorothy et Lily Grace décident d'inspecter la vieille verrière, grignotée, remplie de plantes sauvages et d'arbustes jusqu'à cet arbre qui traverse le plafond. Une trappe au centre donne accès à un petit sous-sol dans lequel seul le minuscule squelette d’un animal fouisseur est découvert. Elles s'attachent ensuite à refermer toutes les portes de la maison protégées par les symboles, aidées de Jackson qui suggère de bloquer la porte de la verrière à l'aide de la massive horloge. Malheureusement, l'antique cheminée ne tire pas suffisamment, peut-être à cause des plantes grimpantes qui couvrent la façade et obstruent les ouvertures dont certainement l’évacuation de la cheminée. Lentement, la pièce se remplie d'une épaisse fumée blanche, les obligeant à ouvrir la porte d'entrée.

Vernon, se détachant de la chaleur bienveillante du feu, se propose de récupérer quelques victuailles laissées dans les voitures. Accompagné de Gordon et de Lily Grace armée de son fusil, ils s'enfoncent dans la noirceur de la nuit. Alors que Lily Grace reste sur le perron de la maison pour faire le guet, Gordon s'arrête, tétanisé après seulement quelques mètres. Une ombre vaguement humanoïde surgit près du cabanon puis disparaît dans la nuit. Reprenant leur chemin, c'est avec consternation qu'ils constatent que les pneus de la voiture de Fay sont crevés et qu'une étrange substance visqueuse les recouvre. Gordon, reprenant ses esprits entreprend de recouvrir des mêmes symboles observés dans la maison la deuxième voiture. Sur le chemin du retour, jetant un œil vers le grenier, ils ne peuvent que remarquer à nouveau une ombre enveloppée d'une fumée noire.

Il se passe des choses là-dehors... ne t'en occupe pas, reste concentrée. Alors, les deux grandes bougies noires au centre, Ok, il suffira de les rallumer ; les membres du cercle, assis les jambes croisées autour du pentacle, le Custode dans un coin de la pièce, un chant en latin qui est sensé duré deux heures mais que nous devons lire à l'envers afin d'inverser le rituel...

De retour à l'intérieur, si ce n'est le bruit du vent, le crépitement intense de la cheminée et les grincements du grenier, le groupe connaît un moment de calme aidé par la douceur du feu et de la nourriture, leur remontant quelque peu le moral. Les bruits de la cuisine se faisant toujours entendre, Gordon décide de déplacer les meubles afin de vérifier un quelconque passage qui n'aurait pas été protégé par les symboles. Profitant du temps restant, il décide de continuer à retracer ceux du pentacle en s'aidant de ce qu'il a pu voir en inspectant la maison, ne voulant rien laisser au hasard. Minuit s'approche, les derniers préparatifs sont mis en place. Vernon se tient près de la cheminée, muni de la poudre d'Ibn Ghazi, Lily Grace prend place en dehors du cercle et sera la nouvelle Custode, chargée de veiller sur ses compagnons. Chacun s'installe, prêt. Ne pas répéter les erreurs de la dernière fois, sachant que le moindre faux pas serait dramatique.

Le chant commence, initié par une poignée de poudre lancée dans le feu de la cheminée. L’odeur qui se dégage alors est horriblement âcre et une fumée légèrement verdâtre se développe prenant rapidement des reflets métalliques assez irréels. Les bruits s'intensifient, d’abord un grand sifflement, puis des grattements et des chocs sur le plancher du grenier. Lily Grace peut presque ressentir les vibrations de la maison qui semble prendre soudainement vie, le plafond et les murs se recouvrent d'un liquide noir, les phares de la voiture, là-bas, s'allument. De longues minutes passent, le chœur tient bon malgré les incessantes gouttes brûlantes tombant du plafond. Subitement les pleurs hystériques d'une femme se font entendre à l’extérieur près de la fenêtre où se tient Lily Grace. Celle-ci tente de lui parler mais seuls ses pleurs lui répondent allant de la verrière jusqu'à la porte d'entrée. La mystérieuse femme frappe à la porte, encore et encore jusqu'à ce que cette dernière cède. Lily Grace se tient prête, le fusil braqué sur l'apparition. Cachant son visage avec ses mains, la femme s'approche malgré les injonctions de la gardienne. Gordon a juste eu le temps d'apercevoir son visage, marqué de deux globes oculaires vides ruisselants d'un liquide noirâtre, avant que la créature ne se jette sur Lily Grace. Elle riposte immédiatement en faisant feu, touchant la femme au milieu du torse et la projetant en arrière. Ayant relevé la tête un moment, Gordon s'aperçoit alors que la porte de la cuisine est ouverte. Le voyant écarquiller les yeux, Lily Grace comprend et se dirige rapidement vers le fond de la pièce, rassurant Gordon, l'encourageant à continuer le chant. A travers la porte ouverte, elle s’aperçoit que le corps du vagabond a disparu et quelques bruits étouffés semblent provenir de la pièce, mais ils sont couverts par le bruit du vent à l’extérieur et la litanie de la cérémonie. Finalement, après quelques minutes d’observation, elle referme la porte, et se tient à nouveau aux aguets.

Je ne tiens plus, il faut que je m'arrête, trop fatiguée... Dorothy aussi semble épuisée, elle s'arrête également... juste deux minutes, le temps de reprendre notre souffle... il ne faut pas que la litanie s’interrompe mais les gars ont l'air de tenir...

Des pas traînants se font entendre du côté du couloir d'entrée, Lily Grace les a entendus et elle se déplace rapidement pour trouver un bon angle de tir – s‘il veut passer par là, elle ne le laissera pas avancer plus avant – et, en effet, alors qu'ils se font plus proches, un coup de feu fend l'air, coupant quasiment la cible en deux. Le clochard s’écroule, une seconde fois ; un liquide noir et épais s’écoule de ses nouvelles blessures.

Et le rituel continue. Les chocs dans le grenier sont de plus en plus violents. Soudain une voix sifflante et glaçante résonne fortement ; elle hurle dans une langue inconnue des investigateurs, leur évoquant peut-être de l’allemand. Une fumée dense, noire, bouillonnante s'insinue progressivement entre les lattes du plafond, la Chose arrive. Reprenant son attention sur ses compagnons, Lily Grace s'aperçoit que Gordon s'agite frénétiquement, elle va vers lui, tente de le rassurer. “Des araignées !!!” crie-t-il. Il se met debout, puis se calme subitement mais essaye d'avancer vers le centre du cercle. Lily Grace tente de le retenir, mais elle n’est pas assez forte pour cela. À ses côtés, Dorothy ne peut que constater avec effroi qu'il va reproduire l'erreur d'Aloysius. Se jetant sur lui pour l'arrêter, il s'affale par terre mais le monstre est là, attrape sa tête. Dorothy l'attire vers lui, le dégageant de cette chose invisible. Gordon reste inerte sur le sol. La fumée est de plus en plus dense, Vernon comprend et jette, dans un ultime effort, une poignée de poudre avant de s'évanouir à son tour, suivi de près par Jackson qui ne tient plus non plus. Seules Fay et Dorothy continuent, coûte que coûte le chant liturgique. Elles la voient maintenant, l'ineffable monstruosité aux mille mâchoires.

Elle est là... tenir encore... ne pas s'arrêter... une explosion ? Il faut continuer, continuer, Dorothy semble à bout... continuer.... continuer.....
Quelqu'un parle....
C’est Lily Grace, elle a posé ses mains sur mes épaules, elle est devant moi, je la vois maintenant. Elle dit : « c'est fini ».


La cérémonie s'achève, une déflagration s'est produite au centre du pentacle, réduisant le morceau d'ambre en poussière. Le calme est revenu dans la ferme, seul le vent s'engouffrant dans le grenier laisse entendre son gémissement. Mais lui aussi a fortement décru, ce n’est plus la tempête qui secouait la maison il y a quelques heures. Dorothy et Fay arrivent à peine à se redresser et finissent par s'endormir à même le sol. Les garçons ne reprennent pas connaissance mais ils respirent normalement et semblent juste aussi endormis. Espérant que le rituel de désinvocation a fonctionné, Lily Grace veille ses compagnons le reste de la nuit.

Au petit matin, chacun s’affaire, mécaniquement. Les restes cadavériques des abominations de la Chose sont jetés dans le puits, les roues de la voiture sont réparées et c'est circonspects qu'ils rejoignent la ville de Boston. Seules Dorothy, Fay et Lily Grace ont clairement vu la monstruosité, instillant en elles une nouvelle réalité. Gordon n’a repris connaissance que quelques minutes, visiblement très mal en point, ils le conduisent à l’hôpital dès leur arrivée sur Boston.

Les garçons semblent presque dans le déni, refusant de croire à l'apparition du monstre. Le système défensif de l'inconscient se met en branle…

Dès le lendemain de cette harassante journée, John Brenner, l'avocat de la famille Merryweather, les invite à déjeuner dans un grand restaurant réputé de Boston. Ainsi, le 29 février, un dimanche, le petit groupe se retrouve « Chez François » ; à l'exception de Gordon, encore hospitalisé. Ils sont accueillis par un homme corpulent d'une cinquantaine d'années, dégarni, les yeux cernés. Exécuteur testamentaire de Ruppert, il présente les dernières volontés du défunt à ceux qui ont réussi à régler son problème.

Nous héritons de la ferme. Tu parles d'un cadeau, on aurait dû la brûler.

Outre l’héritage de la maison, ils sont également invités, dans les deux ans, à entreprendre un voyage sur le yacht personnel de Mr Charles D. Winsworthy, illustre personnage réputé pour ses fêtes dans les eaux internationales. Un ami de Ruppert à qui il devait une faveur.
Le repas est excellent. Après leur horrible aventure à la campagne, cette parenthèse mondaine est un moment tout à fait savoureux. C’est hélas le prélude à un nouvel instant d’étrangeté totale. Au moment du café, John Brenner se lève et en passant derrière Fay, la mord brusquement au niveau de la veine jugulaire. Témoignant d'une dextérité sans faille, Dorothy l'intercepte et le plaque immédiatement au sol.

WHAT the FUCK ?
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Lotin
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Saison 01 Episode 01 – Saturne dévorant un de ses fils
29 février 1920
Acte 1

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En ce dimanche ensoleillé, tout avait plutôt bien commencé au grand restaurant « Chez François » : un repas tout à fait cordial et la perspective réjouissante d’un voyage sur le magnifique yatch du richissime C. D. Winsworthy. Après l’effroyable épreuve de la ferme de Ross’s Corner, la vie semblait retrouver son déroulement normal. Pourtant, alors que le serveur vient juste de prendre la commande des cafés, l'improbable agression de John Brenner à l'encontre de Fay fait planer un moment d'effroi dans la salle bondée du restaurant. Les cris de Dorothy, de Lily Grace, de Vernon, de Jackson et de Fay résonnent tandis que les clients restent interloqués face à cette étrange situation.

Mais qu'est-ce qui lui a pris ? Merde, ça fait un mal de chien, il y a du sang partout...

Lily Grace s'empresse de couvrir d'une serviette la blessure de Fay tout en appelant l'aide d'un médecin. Un homme d’un certain âge se précipite et parvient à arrêter le saignement. Mais la jeune femme a besoin de soins plus adaptés car la blessure est loin d'être superficielle. De plus, elle est très pâle tant à cause de la douleur qu’en raison de la violence et de la surprise de l’agression. Le vieux médecin recommande de la conduire rapidement à l’hôpital. Pendant ce temps, Dorothy a maîtrisé l'homme de loi, sans grande difficulté toutefois car il a aussitôt perdu connaissance suite à son incompréhensible geste perpétré. Il gît sur le sol, tandis que Vernon se penche sur lui pour vérifier s’il respire encore.

Quelques minutes après, quatre policiers font leur entrée dans le restaurant, le personnel les a certainement alertés et ils n’ont pas perdu de temps pour se déplacer dans ce restaurant fréquenté par toute la bonne société de la ville. En arrivant, ils croisent Lily Grace et Fay qui s’apprêtaient à partir pour l’hôpital. Leurs explications sont sans doute un peu confuses et ils refusent de les laisser passer. Dubitatifs, deux d'entre eux les interrogent sur les faits ; après avoir écouté leur version et certainement inquiets devant l’état de Fay, ils finissent par accepter qu’elles partent, mais leur proposent de passer au commissariat le lendemain matin. Les deux autres agents s'occupent d'interroger Vernon et Dorothy. Se remémorant le déjeuner, Vernon explique qu’il avait remarqué que l’avocat semblait être quelquefois un peu distrait, tout en restant cependant très affable et agréable. Mais rien n’avait véritablement annoncé ce retournement de situation.
Les policiers interrogent également les autres témoins de la scène sans insister pour autant, inutile d’importuner ces « braves gens ». Enfin, ils entreprennent de transporter, avec beaucoup d'égards toutefois, le corps toujours inanimé de John Brenner.

Pendant ce temps, Lily Grace et Fay se sont rendues à l’hôpital le plus proche.

Ils m'ont fait une injection (contre la rage ??) et ont changé mon bandage… Ils sont très gentils, mais pourquoi me regardent-ils comme ça ??!! Ils sont tous aux petits soins, Lily Grace a dû leur faire miroiter de jolis pourboires. Elle aussi a quand même l’air inquiète... oh my God ! Il faut que je rentre m'allonger.

Après avoir raccompagné Fay chez elle et l’avoir confiée à son frère avec force recommandations de calme et de repos, Lily Grace décide de passer chez son avocat de père pour le questionner sur Brenner. Maître White le connait très bien car il est comme lui spécialisé dans le droit de la famille et s’occupe le plus souvent d’affaires de successions ; il a, en outre, une très bonne réputation. Rien n’aurait pu laisser présager, à priori, d'un tel comportement. Daddy n’en croit pas ses oreilles !

Le lendemain, vers le milieu de matinée, Fay a un peu récupéré du poil de la bête. Elle retrouve ses amis devant le commissariat. Hors de questions d’en rester là ! Elle est bien décidée à porter plainte contre Brenner. Ils apprennent alors, un peu surpris, que l'homme de loi a été relâché la veille. Il lui a fallu quelque temps pour reprendre connaissance, mais il semblait assez peu marqué. En revanche il a été incapable d’expliquer son geste. Comme il a payé sa caution et que c’est un homme de bonne réputation, les policiers n’ont pas vu de raison de le retenir. Il avait toutefois laissé une note aux policiers à l'intention du groupe, les invitant à se rendre chez lui pour leur présenter des excuses. Très partagés sur l’attitude à avoir, la petite troupe décide néanmoins de s'y rendre immédiatement.

Great ! Il s'excuse ! Rien que ça... et voilà qu'il nous invite à nouveau, chez lui, cette fois...

Un majordome en livrée du nom de Williamson ouvre la porte d'une maison de maître localisée dans les quartiers chics. Tout cela a un petit air de déjà vu pour eux et ils se revoient il y a quelques jours à peine chez Ruppert Merryweather. Tant d’événements se sont produits depuis…

Williamson est légèrement méprisant et semble hésiter quand Vernon explique la raison de leur venue. Il finit par assener avec une moue réprobatrice que son maître n'est pas à son domicile et leur indique ostensiblement la sortie.

Il ne sait pas à qui il a affaire ! Lily Grace est peu habituée à se faire rabrouer de la sorte par un simple larbin et ça l’a vraiment mise en boule ! elle a pris un accent qu’on parfois les gens de la haute et qui m’énerve beaucoup d’habitude, elle s’est mise à l’appeler Wilson (exprès ?) et elle a réussi à le déstabiliser. Quelle teigne ! Elle a demandé à voir quelqu’un de la famille et non par un domestique ! Le majordome s’est mis à bégayer et a fini par nous laisser entrer... joli !

Il s'efface alors, les menant vers Johanne, l'épouse de Brenner. Cette dernière, la cinquantaine à l'allure rigide et au visage osseux, d'un air hautain, répète à nouveau les dires de Williamson. Non, son mari n'est pas à la maison, il est parti depuis une heure en voyage d'affaire et n'a laissé aucune instruction les concernant. Lily Grace lui explique alors la situation, la morsure de Fay, le désir de son époux de les revoir dans les plus brefs délais afin de finaliser la succession de Ruppert Merryweather.
Se radoucissant quelque peu, elle leur livre avec résignation la triste vérité. L’avocat a été interné. A peine rentré, il avait été pris d’un nouveau coup de folie et avait agressé une des femmes de chambre, la mordant avec la même violence dont il avait fait preuve envers Fay.
Catastrophée, son épouse avait fait appel au célèbre psychiatre britannique Sir Frederic Hicks de passage dans la ville qui s’était immédiatement déplacé. Sur ses conseils, il avait été conduit à la maison de repos du « Doux Séjour » au nord de Boston.

Bon, ce n'était pas spécialement contre moi : il s'est aussi acharné sur le cou de la bonniche !

Mrs Brenner, suivie de Williamson, les conduit ensuite dans le bureau de l'avocat. Il s'agit d'une grande pièce où trône un bureau massif en bois sombre ; de nombreuses étagères sont remplies de livres et plusieurs tableaux ornent les murs. Ces derniers sont des œuvres plutôt classiques : des scènes de chasses, des natures mortes ou des portraits. Un d'entre eux cependant dénote fortement avec le mobilier général du bureau et attire immédiatement le regard de Lily Grace, de Vernon et surtout de Jackson. En effet, cette reproduction d’un tableau très sombre du peintre espagnol Goya « Saturne dévorant un de ses fils » parait absolument déplacée ici, cela les hypnotise presque. Johanne leur explique que son époux l'a acheté très récemment, il y a quatre semaines environ, à la Boston Royal Art Galery.

Sur le bureau, en cherchant les documents nous concernant, nous tombons sur un dossier, posé en évidence sur lequel est écrit un nom : Brady Whitcombe... l'agenda de Brenner est dessous. Il y a un étrange dessin dessus, du griffonnage plutôt, difficile à comprendre, on dirait une porte, avec des traits grossiers tout autour...étrange ! en le feuilletant, même rapidement on peut bien constater que l'écriture de Brenner s'est fortement dégradée depuis ces dernières semaines.

Vernon feuillette le dossier Whitcombe, une affaire de meurtre... il trouve ça étonnant qu'un avocat spécialisé dans les droits de successions s'y intéresse.
Johanne Brenner quitte un moment le bureau laissant le petit groupe en compagnie du majordome. Souhaitant fouiller un peu plus dans les affaires de Brenner afin de trouver des indices quant à son étrange comportement, Lily Grace exige un verre d'eau forçant Williamson à se retirer. Ils en profitent alors pour fouiller dans les tiroirs et regarder sur les étagères, mais rien n'attire leur attention, excepté toujours le regard dément de Saturne sur le tableau. Ils trouvent les documents concernant la succession de Rupert en leur faveur mais décident de le laisser en place, ces derniers n'ayant aucune valeur tant qu’ils ne sont pas signés. En revanche, le dossier sur le meurtre intrigue fortement Vernon qui le glisse discrètement dans son veston prenant également l'agenda de Brenner.
Ils se retrouvent tous chez le « Daddy », de Lily Grace pour le déjeuner et se plongent dans les détails du rapport d'enquête de l'affaire Brady Whitcombe.

Il y a six semaines, Casey Grescht, un embaumeur, a été retrouvé assassiné sur son lieu de travail, un funérarium dans la banlieue de Boston. Il a été découvert par Ronald Craiger, un policier faisant sa ronde et ayant remarqué une vitre brisée dans la salle de travail de la morgue. Le corps de Grescht reposait nu sur une table d'opération. Ephraïm Sprague, le médecin légiste, situe la mort à environ deux heures du matin, suite à une injection massive de produits chimiques utilisés normalement pour l'embaumement des cadavres. Cela a dû provoquer une lente et cruelle agonie, laissant des stigmates de brûlures sur tout le corps. Les piqûres sont localisées au niveau du cou et du ventre et ont été effectuées alors que la victime était encore en vie ; des traces de luttes témoignent qu'il s'est débattu.
Le principal suspect est Brady Whitcombe, l'employé de Grescht depuis un peu plus d'un an. Ne pouvant fournir aucun alibi, il a été placé en garde à vue et semble le coupable tout désigné. En effet, c'est un homme au passé mouvementé qui a grandi dans un orphelinat de Philadelphie. Il a fugué plusieurs fois et a été souvent interpellé pour vols, cambriolage et effraction. Il a purgé une peine de trois ans de prison pour avoir agressé physiquement sa petite amie de l’époque Laura Cheszerki. À sa sortie, son agent de probation Gregory Bielin lui a trouvé un poste au funérarium.

Une note manuscrite sur une marge d'une page mentionne un lien de parenté entre Whitcombe et Brenner, expliquant l'intérêt que porte ce dernier à l'affaire.

Dans le rapport de Luther Harden, le détective chargé de l'enquête, il est question de la haine que voue Whitcombe à son employeur, corroboré par les dires de son agent de probation, ainsi que par son ami Frasier Higgs, un chauffeur de taxi. La comptabilité de Grescht montre en effet qu'il sous-payait largement Whitcombe, profitant probablement de son statut de prisonnier en réinsertion. Rien n'a été volé sur les lieux du meurtre, ce n’est donc certainement pas l’œuvre d’un rôdeur. Seules les traces de pas de la victime et du présumé coupable ont été repérées dans le funérarium. L’affaire à l’air mal engagée pour Brady Whitcombe surtout qu’il ne dispose d’aucun alibi.

Un échantillon de sang se trouvant au niveau de la vitre brisée a été prélevé. Ce dernier est de type B, comme celui de Brady Whitcombe. Cependant, l'échantillon indique un taux anormalement élevé de 70% de bilirubine qui n'apparaît pas sur le test effectué sur Brady lors de son arrestation.

Brenner pense que c'est le point faible de l'enquête et qu'une troisième personne s'est introduite dans le funérarium. Il émet également l’hypothèse de plusieurs agresseurs car d’après ses observations une personne seule n’aurait pas pu maîtriser l’embaumeur.

Digérant le repas autant que la quinzaine de pages du rapport d'enquête et vérifiant le terme « bilirubine » dans le dictionnaire, ils sont de plus en plus intrigués par cette sordide histoire.

– Bilirubine, subst. fem :
Prononc. : [biliʀybin]. Étymol. et Hist. 1865 méd. (Littré-Robin : Bilirubine). Composé de bile* et de rubine*.
Principal pigment biliaire de qui la bile tient sa couleur jaune brunâtre et d'où dérivent, par oxydation, les autres pigments biliaires, en particulier la biliverdine. La bilirubine se forme dans le système réticulo-endothélial et provient de la dégradation de l'hémoglobine par ouverture du cycle porphyrique et perte de fer.

À ce qu’ils comprennent, c’est une maladie du sang liée à un problème au niveau du foie. Et cela peut provoquer chez le patient une remarquable… jaunisse.

Ils décident ensuite de se rendre à la galerie d'art de Boston pour enquêter sur l’œuvre de Goya. Comme dans le bureau de Brenner, les peintures sont de styles très classiques à l’exception de quelques tableaux de l'artiste espagnol, fidèlement reproduits par des copistes de Kingsport. Le galeriste confirme l'achat du tableau il y a quelques semaines par Brenner pour la somme de 2750 $. Ce prix exorbitant étonne même Lily Grace plus habituée que les autres membres du groupe à évoluer dans une classe sociale élevée. L'employé n'a cependant rien remarqué d'étrange ou d'inhabituel lors de la visite de l'avocat, qui, semble-t-il, est tombé en admiration devant ce Saturne.
Suite à cette visite, ils prennent la voiture de Lily Grace pour rejoindre le funérarium localisé dans la zone périphérique de Boston sur South Sentinel Street. Accolé à un petit cimetière, le bâtiment principal du petit complexe funéraire s'étage sur deux niveaux et la devanture annonce « The Morning Side Funeral Parlor ». Tout est fermé et les rideaux sont tirés. Faisant le tour par le cimetière, ils remarquent une petite porte portant les scellés de la police et, à proximité, la fenêtre à la vitre brisée par laquelle l'assassin s'est introduit. Faisant peu cas du caractère illégal de leurs actions, Vernon passe la main par le carreau cassé, actionne la clenche de la fenêtre et se faufile à l'intérieur suivi de près par les autres. Ils se retrouvent alors dans la salle d'embaumement, où le meurtre a été commis. Une table argentée est localisée au centre de la pièce et le sol carrelé est incliné vers cette dernière. De nombreuses étagères, avec toute une collection de bocaux et de fioles, sont disposées contre les murs. Il y a des espaces vides entre certains bocaux, comme s'il en manquait.

Il y a encore des traces de sang sur la table, et d'autres choses... Vernon est tout pâle, il trouve ça révulsant. Il y a beaucoup de traces de pas par terre.

En s'approchant d'une étagère, Vernon remarque dessous un morceau de verre brisé provenant probablement de la fenêtre. Quelques cheveux bruns mi-longs y sont attachés. Pourtant d’après ce qu’ils ont lu dans les rapports de police, ni la victime, ni le suspect ne présentent une telle chevelure. Ayant dans l'idée de les faire examiner par un ami de Dorothy, Vernon en récupère quelques-uns qu'il met dans un récipient vide et remet le fragment de verre à sa place.

Bravo les flics !

La pièce attenante se révèle être un bureau qui a été intégralement fouillé par les policiers et ils ne trouvent rien de plus. La salle de présentation, au murs noirs, ne présente pas non plus grand intérêt. À l'étage, ils font face à une petite porte fermée à clé qui doit mener aux appartements privés de Grescht. Y pénétrer est très tentant mais après quelques instants d'hésitation, ils réalisent qu’ils ont déjà bien outrepassé leurs droits et décident de quitter les lieux pour se rendre à la prison et rencontrer Brady.
Là-bas, après avoir expliqué leur venue aux gardiens, ils sont amenés dans une grande salle grillagée où les attends un jeune homme menotté aux cheveux bruns coupés très court. Sa chemise largement ouverte laisse apparaître de nombreux tatouages (serpents ailés, scorpions, dagues, croix...). Ses traits sont très anguleux avec un nez retroussé, des yeux verts et une oreille percée arborant un anneau en argent. Rien de plaisant n'émane de ce visage au regard fuyant et somme toute, assez laid. Il marmonne, en réponse aux interrogations de Lily Grace, qu'il n'est pour rien dans le meurtre de son patron et qu'il était chez lui à ce moment-là. Ils se rendent compte très vite qu'il ne dit pas tout et insistent en lui posant des questions, lui laissant entendre qu'ils pourraient croire à son innocence, tout comme Brenner, un avocat éminent et membre de sa famille qui plus est.

Il ne connaît pas Brenner, il n'a plus de famille depuis longtemps et a été brinquebalé dans des orphelinats...mais pourquoi Brenner s'intéresse-t-il tant à lui ?

Se ravisant, il finit par leur raconter que le soir de l'assassinat, il a entendu Grescht téléphoner à un certain Reaper. Les quelques bribes de phrases qu'il a pu écouter concernaient des poisons utilisés sur des corps et il a pu discerner « leur compte est bientôt bon ». Pendant toute la conversation, Gretsch chuchotait avec un ton de conspiration et Brady a pensé qu’il tenait peut-être là une raison de faire chanter son employeur et de récupérer un peu de l’argent dont il l’escroquait en le sous-payant. Il a rejoint Frasier son ami, chez Joe's Grill, un speakeasie miteux, pour essayer de fomenter un plan contre Gretsch. Il a finalement passé le reste de la soirée au bar ne trouvant rien de convaincant à faire.
Brady a donc bien un alibi, mais il n’est pas vraiment utilisable devant un tribunal et aucune des personnes ayant pu le voir ce soir-là dans le bar n’acceptera de témoigner en sa faveur.

Après avoir quitté Brady, le petit groupe se rend au 701 Noyes Street au domicile de Frasier. Ce dernier étant absent, ils partent l'attendre au dépôt de taxi. Frasier est un homme à la stature imposante, avec des mains gigantesques, âgé d'une quarantaine d'années. Des cheveux gris bouclés lui tombent sur les épaules, une fine moustache décore sa lèvre supérieure et le tatouage d'un serpent son bras droit. Ne racontant rien de plus que ce qu'ils savent déjà de la bouche de Brady, Vernon lui déclare qu'il aurait pu fournir aux inspecteurs l'alibi de son ami.

Bon d'accord, les speakeasies sont illégaux mais c'est quand même moins grave qu'un meurtre non ?

Troublé par l'histoire du coup de téléphone le soir de l'assassinat, le groupe décide de retourner au funérarium pour pénétrer dans les appartements privés de Grestch. Munis d'un pied de biche et de leurs revolvers, vêtus de vêtements sombres, ils se retrouvent à la nuit tombée devant la fenêtre brisée. La porte de l'étage cède rapidement et ils s'aperçoivent que les policiers ont également effectué ici une fouille intensive. Ils cherchent cependant un moment dans chaque pièce de ce petit appartement mais rien de particulier ne les interpelle et c'est possiblement par dépit qu'ils décident d'éventrer le matelas de la chambre. Stupéfaits, ils y découvrent une note manuscrite.

Reaper,
Le plan de G a commencé pour éliminer les goules.
Vous pouvez continuer à me contacter en me laissant des messages au bureau de l’I.T.
SURTOUT N'ALLEZ PAS LE VOIR DIRECTEMENT.
Nous disposerons bientôt de leurs tunnels pour notre propre usage et
le Chaos Rampant frappera la terre sous les pieds des ignorants.
Les fous !
Priez le Père aux millions de favoris.
Sonneillon

Cette lettre les rend très perplexes et ils décident de se retrouver dès le lendemain matin pour continuer d’enquêter sur ce meurtre qui prend décidément un caractère de plus en plus mystique.

Des goules maintenant ? Un monstre sorti d'on ne sait où n'était pas suffisant ?
Vernon et Dorothy ont apporté les cheveux à un spécialiste. Les résultats seront prêts dans une semaine, le 09 mars. Lily Grace a dû débourser 100 $.
On est allé ensuite à la bibliothèque pour se renseigner sur les goules. Elles sont décrites dans la littérature, et notamment chez E. A. Poe (un auteur du XIXe siècle), le plus souvent comme des créatures aux pieds fourchus, affectionnant les cimetières pour se repaître des cadavres. Elles peuvent se transformer en femmes pour attirer leurs victimes. Certains auteurs les mentionnent comme étant les épouses des vampires, etc. (la blessure à mon cou se rappelle soudain à mon bon souvenir...).
On a filé ensuite chez Ephraïm Sprague, le médecin légiste, puis chez l'inspecteur en chef de Boston, chargé de l'enquête. Ce dernier, avec sa grosse moustache et sa logique implacable a tiqué en nous voyant débarquer à cinq... Bon d'accord, on aurait peut-être dû laisser Dorothy y aller toute seule... Ils ne nous ont rien appris de plus que ce qu'on a déjà lu dans le rapport. Grestch n'avait apparemment aucune famille, aucun ami...enfin, aucun connu des services de la police...


En début d'après-midi, après leur visite au commissariat, ils se rendent chez Sir Hicks, le psychiatre de Brenner. D'une soixantaine d'années, c'est un homme élégant arborant une magnifique moustache qui les accueille assez froidement. Il leur avoue néanmoins que Brenner est dépendant aux opiacés depuis plusieurs années entraînant progressivement des crises de folies de plus en plus violentes. Son comportement ces dernières semaines l'a donc obligé à le faire interner au centre de repos du « Doux séjour ». Il ne voit aucun inconvénient à ce qu'ils rendent visite à Brenner s'ils le souhaitent et il les invite même à s'adresser au directeur du centre de sa part.

Après une heure de route, nous arrivons devant une grande bâtisse encadrée d'un parc arboré. Le directeur, Mickaël, semble très affable et tout en nous conduisant vers la cellule de Brenner nous explique qu'ils ont été obligés de lui administrer une forte dose de sédatif pour le calmer. Il est, paraît-il, en pleine crise de manque. Mais d'après lui, ce n'est pas à l'opium car les symptômes lui semblent différents. Ici aussi, il a essayé de mordre une infirmière...

Brenner est très pâle, le teint un peu jaunâtre, et les calmants l'empêchent de tenir des propos cohérents. Impossible de discuter plus avant, les seuls mots qu'il perçoivent comme un disque rayé sortant de la bouche du malade sont « rêve », « Federal Street », « la porte noire » et « sourire ».


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Saison 01 Episode 01 – Saturne dévorant un de ses fils
02 mars 1920
Acte 2

Dès leur retour sur Boston, en passant chez le père de Lily Grace, ils rencontrent Kenneth Cowan : un véritable géant d'une trentaine d'années, ancien officier militaire. C'est un ami de John Brenner qui l'a contacté il y a peu pour lui demander de l'aide à enquêter sur le meurtre de Gretsch et à innocenter Brady. Johanne Brenner l'a orienté vers cet étrange groupe d'amis qui semblait également intéressé par l'affaire. Les présentations faites, ils décident assez facilement de collaborer et lui résument ce qu'ils ont pu découvrir jusqu'à présent tout en passant sous silence certains passages...embarrassants.

Ayant reçu une note de Gordon, les prévenant de sa sortie de l'hôpital, tout ce petit monde se met en chemin jusqu'à la maison de leur ami. Personne ne répond alors qu'ils sonnent plusieurs fois. La porte est cependant ouverte et en entrant ils découvrent, stupéfaits, leur compagnon inconscient sur le sol du salon.

En rentrant chez lui dans l'après-midi, encore sonné, le visage tuméfié, le crâne bandé, Gordon s'est étonné d'avoir tout l'avant-bras gauche recouvert de gaze. Les événements des jours précédents ont laissé une impression malsaine dans son esprit embrumé et avare de souvenirs. Ne pouvant ou ne voulant faire face à une peur insondable, il a passé une partie de la journée à siroter quelques verres de whisky de contrebande confortablement installé dans son canapé. Ne plus penser. Les vapeurs éthyliques l'aidant, il a fini par trouver la force d'enlever le bandage à son bras afin d'examiner la blessure. Celle-ci lui rappelle fortement les petites morsures qu'il avait observé sur le corps inanimé du vagabond dans la ferme. Le souvenir de cet épisode martèle l'intérieur de son crâne, tout comme l'apparition de dizaines d'araignées lors d'un sinistre rituel. Son bras s'agite soudainement, il ressent des picotements et voit des petites bosses qui s'agitent sous sa peau. Terrifié et suant à grosses gouttes, il observe la blessure qui se couvre alors de ces satanées bestioles à huit pattes qu'il a subitement en horreur. Il hurle encore et encore jusqu'à s'effondrer brutalement.

Lorsqu'il se réveille, il voit le visage inquiet de ses compagnons en train de le dévisager et de l'appeler sur un ton inquiet. Ce n'était donc pas un rêve... Regardant son bras alors qu'il se redresse, reprenant un peu de contenance, il s'aperçoit que la blessure à son bras s'est étendue. Ou bien est-ce encore une hallucination ? Ne disant mot, il concentre son attention sur Kenneth Cowan, un nouveau venu ? Il ne peut se souvenir. En revanche, il reconnaît bien Dorothy, Vernon, Fay, Jackson et Lily Grace qui s'efforcent de lui raconter les aventures auxquelles ils ont été confrontés depuis qu'ils se sont quittés lors de leur retour de Ross's Corner. Leur récit ne fait qu'attiser encore plus son esprit embrouillé. Qui est donc John Brenner et pourquoi diable ont-ils besoin d'enquêter sur le meurtre de ce croque-mort ?

Ne voulant pas dévoiler le caractère mystique de leur épopée devant Kenneth, ils évitent de faire trop de commentaires sur les blessures de Gordon, mais Dorothy, Lily Grace et Fay ne peuvent s'empêcher de s'étonner de cette blessure au bras, certaines que le monstre qu'elles n'oublieront jamais l'avait uniquement attaqué à la tête. Il leur demande encore avec insistance d'examiner cette blessure étrange, certain d'avoir eu affaire à des araignées. Elles essaient de le rassurer, ne remarquant rien qui pourrait s'apparenter à des piqûres d'insectes, allant même jusqu'à vérifier les murs ou le tapis. Elles sont déconcertées par l'attitude de leur compagnon, qui, même s'il a subi un choc, semble vraiment changé.
Recouvrant toutefois ses esprits, Gordon s'étonne, à l'instar de Vernon, de Jackson et de Lily Grace, du tableau de Goya chez Brenner. Parfaitement informé du mythe de Chronos et de l'acte de cannibalisme qui en découle, il jette alors un regard en coin au cou pansé de Fay.

Sans plus attendre, malgré la nuit tombante, ils décident de se rendre sur Federal Street, ce nom d'une rue que Brenner répétait en boucle. C'est un secteur assez mal famé qui, d'après Vernon, abrite les fumeries d'opium de Boston. Par prudence, chacun prend la peine de s'armer avant de s'y rendre.

Le quartier qu'ils traversent pour atteindre Federal Street est un dédale de rues délabrées, de venelles crasseuses et désertes, flanquées de bâtiments semblant abandonnés ou tout du moins aux fenêtres closes, inhospitalières. Arpentant la rue, ils remarquent qu'un seul bâtiment arbore une porte noire comme dans la litanie démente de Brenner.

Alors que Kenneth se dirige vers la ruelle faisant l'angle avec le petit immeuble, Gordon frappe instantanément à la porte, plusieurs fois et de toutes ses forces, mais personne n'ouvre ou ne réponds. Il peut entendre cependant quelques voix assourdies, d'origines asiatique. Il rejoint finalement les autres qui se sont engagés dans le ruelle. Cette dernière est truffée d'immondices et de débris, il y règne une odeur nauséabonde. Lily Grace se pince le nez en grimaçant, paraissant tellement en décalage avec son manteau en fourrure dans cet environnement miséreux. Un petit soupirail au ras du sol donne sur ce qui est vraisemblablement la cave du bâtiment. Kenneth, en se penchant, découvre dans la pénombre, une salle aux murs entièrement capitonnés. Il arrache facilement de ses gonds le soupirail, mais sa haute taille et son imposante carrure l'empêche de se glisser à travers l'ouverture, tout comme Fay et Dorothy. Aussi, seuls Gordon et Lily Grace (confiant son luxueux pardessus à Dorothy) pénètrent discrètement dans le sous-sol, munis de lampes torches et d'armes. Jackson, Vernon et Fay retournent vers Federal Street où ils se cachent dans un recoin pour surveiller l'entrée principale de l'immeuble.

La cave capitonnée possède une seule porte et une grille, juste en-dessous du soupirail, donnant probablement sur les égouts d'où émanent des odeurs méphitiques. Le sol et les murs sont couverts de tâches douteuses. Alors que Lily Grace s'approche de la porte, elle est rappelée subitement par Gordon, un air de panique dans les yeux. Il crie presque : « Regarde, je n'ai pas d'ombre ! ». Il passe et repasse la lampe le long de sa main, ébahi. Lily dubitative est bien obligée d'acquiescer, remarquant sa propre ombre se profilant sur le mur. Consciente de l'étrangeté de cette situation, elle ne laisse rien transparaître et tente de le calmer, bien plus préoccupée présentement par tout le raffut qu'ils font et le danger auquel cela les expose. Trop tard ! Des voix se font entendre de l'autre côté de la porte tandis que le judas s'ouvre, laissant entrevoir un œil qui les observent. Là-haut, dans la ruelle, Kenneth et Dorothy, encore interloqués par les jeux de lumière des lampes, ne peuvent que constater avec effroi que la porte s'ouvre brutalement.

Tandis que Gordon fuit vers l'arrière, Lily Grace, en position de tir, braque fermement le revolver que Dorothy lui a donné. Elle fait face à trois hommes asiatiques, menaçants, dont l'un est armé d'une machette, qui lui paraît bien trop grande. Tandis qu'elle réfléchît rapidement à la manière dont ils vont bien pouvoir se sortir de ce mauvais pas, elle entend la voix craintive de Gordon crier derrière elle : « C'est une erreur !». Avec audace, elle rétorque sans ciller qu'ils sont de la police. Cet aplomb ne suffit malheureusement pas, se rendant compte de son erreur en le disant et sachant pertinemment qu'elle et Gordon ne ressemblent en rien à des agents. Sans grande surprise, elle voit l'un des hommes se jeter sur elle. Il la frappe violemment, elle essaie de riposter mais déséquilibrée, elle rate son coup. Gordon tente de répliquer mais ne s'en sort pas mieux. Kenneth, en revanche, posté au niveau du soupirail, aguerri par son expérience militaire et voyant une opportunité de tir met en joue à son tour l'agresseur et, cette fois, atteint sa cible qui s'écroule sur le sol. Après une légère hésitation, les deux autres hommes reculent prestement vers la sortie traînant leur compagnon offrant à Lily Grace et à Gordon une occasion inespérée de fuir. Malgré sa blessure, Lily Grace, encore debout et menaçante, continue à pointer son arme sur les deux hommes tout en encourageant Gordon à rejoindre la ruelle. Elle hésite à faire feu de nouveau mais reprenant ses esprits, elle rejoint Gordon et s'extrait de cette horrible cave.

Qu'est-ce-qu'il se passe là-bas ? On vient d'entendre des cris et des bruits...des coups de feu ? On se regarde avec Vernon ne sachant trop quoi faire...Jackson a encore un air totalement effaré...Merde, quatre bonhommes sortent du bâtiment, ils sont armés...et se dirigent vers la ruelle...bon, on fonce !

Alors que Gordon et Lily viennent juste de passer le soupirail, quatre hommes à l’air menaçant s'avancent vers eux. Heureusement, ils sont rapidement pris en tenaille par Fay et Vernon, armes tendues, qui les obligent à se calmer. Lâchant leurs armes, ils se pressent contre le mur de la ruelle. Le groupe tergiverse un moment. Rentrer dans le bâtiment pourrait les faire avancer dans leur enquête, mais maintenant que la discrétion a échoué et que l'effet de surprise est perdu, ils se sentent coincés. Bien qu'en position de force, ils n'ont aucune idée de ce qui les attends encore à l'intérieur.
Soudain, une sirène de police se fait entendre non loin, rappelant tout le monde à la réalité et les forçant à fuir malgré la déception de ne pouvoir entrer dans la fumerie.

On en prend un en otage ? Au point où en est ? Non ? Bon.

De retour chez lui, Gordon remarque avec consternation qu'il n'a pas retrouvé son ombre et que sa blessure a franchement empiré, recouvrant presque tout l'avant-bras. Les veines marbrées et le visage marqué, il finit par demander sans retenue, ce qu'il s'est passé à la ferme, ne gardant que quelques bribes de souvenirs de la nuit. Est-ce que tout s'est bien terminé ? Ce satané rituel a-t-il réellement fonctionné ? N'ont-ils pas commis une erreur ? Lily Grace ne peut que répéter que la Chose a disparue, qu'il n'y avait plus de bruits, plus de fumée, plus de vents et que le morceau d'ambre s'est désagrégé.

Devant le regard interrogateur de Kenneth face à leur dialogue, le groupe décide de lui raconter l'épisode de Ross's Corner et de la Chose invoquée. Relativement cartésien, il ne sait que penser de cette abracadabrante histoire, remarquant néanmoins l'air hésitant des trois hommes et le caractère obstiné des trois femmes quant à la réalité des faits.

On s'est loupé quelque part ? Est-il possible qu'une partie de la Chose se soit « incarnée » dans Gordon ? Lily Grace se demande ce qu'il se passerait si on refaisait le rituel...mais même si on en avait les moyens (pas de poudre, pas d'ambre), est-ce que cela fonctionnerait ? Oh God, elle parle de retourner dans cette maudite ferme...

Convenant de l'état anormal de Gordon, ils optent pour une solution plus simple et se rendent, sans plus tarder, à l'hôpital afin qu'il subisse des tests plus poussés. Ils apprennent avec effarement, Gordon le premier, qu'il s'est en réalité enfui la nuit précédente. Il n'en a aucun souvenir et n'a repris « connaissance » que dans l'après-midi, jurant qu'on l'avait laissé sortir. Son médecin Dr Andersen étant absent jusqu'au lendemain, une infirmière l'installe dans une chambre. Les autres investigateurs décident de rester à son chevet, des fois que l'envie le reprenne d'aller se promener on ne sait où. Ils se relaient tour à tour pour le surveiller pendant son sommeil agité, ponctué de paroles murmurées dans un langage incompréhensible.

De l'arabe ?

Au matin, le médecin prescrit un baume pour faciliter les cicatrisations des blessures, mais ne semble pas plus alarmé que ça par le teint pâle voire jaunâtre de Gordon et malgré les injonctions de Lily Grace réclamant des analyses sanguines. Le Dr Andersen leur propose, pour les rassurer, de repasser d'ici deux à trois jours pour constater de l'évolution des ecchymoses.

Fatigué par cette nuit agitée, chacun regagne donc son domicile respectif tout en se donnant rendez-vous plus tard à la bibliothèque.

Il y a des traces de terre sur le sol et une odeur étrange dans mon appartement...une odeur de putréfaction...de charogne ? Un rat crevé ? J'ai regardé partout, mais rien... rien ne semble avoir bougé ou disparu...

Lorsque Dorothy arrive devant la maison de ses parents, un jeune homme l'interpelle. Il dit avoir un message pour elle. L'enveloppe qu'il lui tend est adressée autant à elle, qu'à Vernon, Jackson, Elisabeth Grace et Fay. L'interrogeant sur la personne qui lui a remis le pli, le messager déclare qu'il s'agissait d'un vieil homme vêtu d'un grand manteau et à l'allure étrange, sautillant plus que marchant. Ouvrant la lettre, des effluves nauséabondes de terre humide s'en dégage. Le papier paraît étrangement vieux, très épais, orné de dessins en filigrane ; arraché semble-t-il d'un cahier. L'écriture et le texte sont exécrables, difficile à déchiffrer et, de surcroît, rempli de fautes et de ratures. Dorothy parvient néanmoins à comprendre l'essentiel du message :

« Je sais ce qui se passe et je peux vous aider.
Vous êtes en grand danger.
Rencontrez-moi ce soir à 22h à la décharge de Boston.
N'en parlez à personne. Les ombres ont des enfants et des sœurs.
Venez ! s'il vous plaît. »

Lorsque que l'on se retrouve plus tard devant la bibliothèque, Dorothy, après nous avoir informé de la lettre qu'elle a reçue, décide de partir à la décharge en compagnie de Jackson et de Vernon pour reconnaître les lieux. De notre côté, avec Lily, nous allons rechercher aux registres de l'étal civil des informations concernant Gretsch (un nom d'origine allemande), Sonneillon (un patronyme protestant français du XVIIe siècle), Reaper (il y en a beaucoup trop) et enfin Brenner. Ce dernier a deux sœurs. La plus jeune est morte à l'âge de 18-20 ans, l'aînée est toujours en vie, mariée à un certain Lockart.

La décharge municipale de Boston est un lieu immense entièrement ceint d'un grillage de trois mètres de hauteur. La porte principale, à deux battants, est ouverte et quelques hommes accompagnés de chiens circulent parmi les énormes monticules de détritus et les carcasses de voitures. Il n'y a aucun bâtiment et lorsque Dorothy s'approche des hommes, elle remarque que ces derniers ressemblent plus à des squatters qu'à des employés. Feignant cependant de s'adresser à eux comme s'ils étaient au travail, elle leur demande la permission de rentrer pour tenter de dénicher quelques babioles. Pour 1 $, ils s'effacent aimablement, lui indiquant qu'à la nuit tombée les portes sont cadenassées. En vadrouillant parmi les déchets entassés, elle se rend vite compte de l'inextricable labyrinthe qu'est cet endroit et des innombrables cachettes possibles. Une fois passée la partie dépotoir, le petit groupe débouche dans une zone constituée des égouts suintants d'une matière visqueuse et des bassins de décantation enrobés d'une immonde odeur. Ils remarquent cependant un petit portillon de ce côté, plus discret que l'entrée principale et accessible en voiture. Ils pourront facilement forcer le cadenas et s’introduire de ce côté.

À la bibliothèque, Gordon et Kenneth se renseignent sur d'éventuelles histoires de disparitions d'ombres mais ils ne trouvent rien de vraiment utile ; quelques références à des croyances populaires en Afrique ou chez les Amérindiens. Aucune mention de ce Chaos Rampant mentionné dans la note trouvée chez Gretsch, n'est répertoriée dans les archives et le nom de Sonneillon n'évoque qu'une ancienne famille de Boston remontant au XVIIe siècle et dont les derniers représentants auraient disparu dès cette lointaine époque. Encore une impasse !

L'heure du rendez-vous approche. Chacun s'est préparé, s'est armé.

Gordon, encore marqué par les événements sur Federal Street, s'est acheté une arme pour parer à toute éventualité ce soir. Dorothy nous conduit jusqu'au portillon. Le cadenas est, en effet, facile à crocheter...le grille grince un peu...God, ça pue la mort ici ! C'est à vomir...

Ils pénètrent un peu avant 22 h dans la décharge et se dirigent à la lueur des lampes torches vers les égouts et les bassins. L'odeur qui s'en dégage est à la limite du supportable et chacun s'avance précautionneusement, les narines pincées. Seul Gordon, étonnamment, ne semble pas gêné. Ne voyant aucune âme qui vive, ils bifurquent vers les amoncellements de détritus se découpant dans la faible clarté qui émane des lampes. Alors qu'ils déambulent au milieu de ce paysage fantasmagorique, ne sachant vers où se diriger, Fay a soudain, la très nette impression qu'ils sont suivis, observés, peut-être même pire, encerclés. Ils s'arrêtent enfin, attendent. Le temps passe, lentement, quand soudain, une grande silhouette trapue se dessine au loin. Alors qu'elle s'approche vers eux, d'une étrange démarche sautillante, de nombreux sifflements se font entendre tout autour d'eux. La panique les envahie, mais coincés, leur chance de fuir paraît impossible. La créature humanoïde n'est plus qu'à quelques mètres maintenant. Elle est vêtue d'un grand pardessus noir. Son visage est émacié avec des pommettes saillantes et des crocs surdimensionnés lui conférant un air vaguement canin. Elle se présente à eux, d'une voix gutturale, ânonnant un « Magellan ». L'odeur qui de dégage de cet être cauchemardesque est autant insupportable que les déchets qui les entoure. Immédiatement, ils comprennent qu'ils font face à une goule, créature jusque-là imaginaire.

Cette...chose...Magellan...a énormément de mal à articuler correctement, il commence à nous expliquer qu'il nous a vu rôder autour du funérarium.

Soudain, il lève une main crochue et tourne son affreuse tête vers Gordon, dans un mouvement défiant toute logique anatomique, s'adressant à lui dans un langage totalement inconnu. À la grande surprise des autres membres du groupe, celui-ci semble le comprendre parfaitement et lui rétorque « Je suis avec eux depuis le début ».

La créature ne s'attarde cependant pas sur Gordon et revient sur les membres du groupe – de plus en plus déconcertés et impressionnés – leur expliquant qu'il a besoin de leur aide pour découvrir qui a tenté de les exterminer.

Les investigateurs préfèrent ne rien cacher et révèlent alors leur découverte lors de la fouille chez Gretsch et de sa volonté d'empoisonner des cadavres pour atteindre indirectement les goules et prendre possession de leurs souterrains ; hélas, ils ignorent tout du poison utilisé et n'ont aucune piste sur l'objectif de l'embaumeur. Ils précisent que celui-ci ne devait pas agir seul, mais ils ne connaissent que les noms de deux complices et les initiales du troisième. L'interrogeant à leur tour, Magellan ne semble pas connaître Reaper, Sonneillon ou encore le Chaos Rampant. En revanche, selon lui, les initiales I. T. pourraient signifier « l'Imperial Theater », un théâtre construit vers 1870 et aujourd'hui désaffecté. Il avoue sans hésitation avoir tué Gretsch et leur explique qu'il connaît Brenner.

Ils sont en train de transformer Brenner en l'un des leurs, d'où l'opium et d'autres drogues. Pour qu'il protège leurs intérêts... Lorsqu'on l'interroge sur Gordon, il nous dit qu'il n'est pas des nôtres... Il annonce « vous n'auriez jamais dû quitter ce monde »... mais qui ?!

Tout à coup, un bruissement étrange retentit depuis les profondeurs de la nuit. Lily Grace et Kenneth discernent un flash lumineux dans le ciel qui se rapproche rapidement. Sans réfléchir, ils s'écartent subitement, imités par leurs compagnons. Un bâton de dynamite explose alors à quelques mètres d'eux, les projetant violemment au sol. Autour d'eux les créatures, sifflent, jappent, chuintent « trahison », « traître ». Sonnés, le groupe se dirige vers la sortie quand soudain une goule, se présentant sous le nom de Khan, leur barre le passage. Sans équivoque, il les prévient qu'il les tuera si jamais ils les trahissent. Hochant nerveusement de la tête, ils entendent soudain, du côté de la porte principale le crissement de pneus d'une voiture. Ils se précipitent alors dans leurs propres véhicules dans l'espoir de poursuivre leurs assaillants, mais ceux-ci se sont enfuient ne laissant aucune trace.

Ils décident alors, sans plus attendre, de se rendre à l'Imperial Theater.
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Lotin
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

Message par Lotin »

Acte 3
03 mars 1920

Ils hésitent presque à filer directement à l'Imperial Theater, mais considérant leur extrême fatigue suite à ces événements, ils préfèrent se rendre à l'hôpital. Même superficielles, mieux vaut soigner les blessures causées par l'explosion et rentrer se reposer.

Lorsque, le lendemain matin, Vernon et Kenneth sortent de l’hôtel, ils sont hélés par un jeune garçon qui leur tend un bout de papier épais et jauni, plié en quatre. Le message, griffonné d'une écriture exécrable, est signé Khan. Il dit être en possession d'informations intéressantes et souhaite rencontrer les investigateurs aux premières heures de la nuit dans la première maison à gauche de Brooks sur Clarke's Commons Street. En dépit des menaces proférées lors de leur rencontre, cette goule accepterait-elle de les aider ?
Les deux jeunes hommes rejoignent leurs compagnons, comme prévu la veille, à l'université. Tous constatent avec soulagement que Gordon semble avoir repris des forces. Très excité, c'est avec une frénésie presque hystérique (voulant tout savoir des malédictions, des créatures incarnées, de la perte de son ombre...), qu'il questionne l'égyptologue auquel ils avaient montré le petit sarcophage. Ce dernier répond avec flegme à ses questions impatientes. En effet, il existe toujours des histoires de malédictions liées aux mondes des morts de l’Égypte antique, mais rien qui ne soit réellement prouvé. Gordon a l’air bien décidé à reprendre des recherches sur l’affaire de Ross’s Corner. Les explications de l’égyptologue ne sont pas satisfaisantes et il décide de retourner une fois encore à la bibliothèque. Les autres le suivent un peu contraints, tentant de l’aider, mais rien ne semble répondre à ses interrogations. Ils découvrent, en revanche, une note sur une archive journalistique concernant Marion Allen, assassiné à La Nouvelle-Orléans dans des circonstances mystérieuses. Son corps avait été découvert mutilé, la langue tranchée. Marion soupçonneux avait prévenu la police quelques jours plus tôt, se sentant menacé et poursuivi à cause d'un artefact égyptien qui n'était, alors, plus en sa possession.

Mais qui est, présentement, toujours dans la poche de Vernon...

Ils décident ensuite d'aller à l'Imperial Theater pour repérer les lieux. Le grand théâtre de Boston est loin de sa gloire passée ; le vaste bâtiment paraît s'effriter dans un quartier qui a connu des jours plus fastes. Le petit groupe déambule autour de la zone grillagée du bâtiment, vérifiant les différents accès à la cour intérieure afin d'anticiper leur prochaine venue. Les quatre portillons sont fermés, mais Dorothy remarque néanmoins sur l'un d’eux que les cadenas sont graissés laissant penser qu'il est utilisé régulièrement. Rien n'indique cependant que le théâtre est occupé, toutes les fenêtres étant murées. Ne voulant pas s'attarder plus longtemps en pleine journée sous le regard inquisiteur des passants, et sous la pression de Gordon dont l'état s'est à nouveau détérioré, ils le raccompagnent chez lui.
Des cernent sombres se sont creusées sous ses yeux, il se tient légèrement courbé comme s’il portait un poids énorme sur les épaules. Tous sont inquiets face au mal inexorable qui semble le consumer. Ne voulant rien avaler, il les presse de lui venir en aide, leur montrant l'évolution de ses blessures qui, maintenant, ont envahi son autre bras. Il insiste pour qu'ils lui dessinent les signes protecteurs sur le corps, il les supplie de le ramener à la ferme, tenter d'inverser le sort. Ses compagnons ne savent plus comment le calmer. Il est vrai que son état empire, son visage est de plus en plus marqué par la fatigue. Les glyphes qu'ils se résignent à tracer sur son corps semblent réagir au contact de ses blessures. Sa peau devient soudainement très pâle. Lily Grace est d'avis de retourner à Ross's Corner. Elle insiste un peu, persuadée que faire à nouveau le rituel à l’envers pourrait être une solution. Mais certains ont des doutes : il n’y aura peut-être pas assez de poudre et certains symboles ont disparu à jamais. Le groupe tergiverse longtemps. La matinée est déjà bien avancée et, s’ils partent pour la ferme, même pour minuit, ils ne pourront pas être au rendez-vous fixé par Khan. Ils se souviennent alors que Magellan avait évoqué l’état « anormal de Gordon ». Peut-être qu’il saurait quoi faire. Ils décident donc d’essayer de le contacter et retournent à la décharge pour lui laisser un mot, sous le regard à la fois étonné, moqueur et suspicieux des indigents qui fouillent les ordures. La petite troupe hétéroclite passe difficilement inaperçue : Lily Grace et ses vêtements chics, Vernon et sa moustache soigneusement taillée, Dorothy scrutant les lieux, Kenneth qui les toise du haut de ses deux mètres... sans parler de Gordon et de sa mine défaite.

Ensuite, Lily Grace, Dorothy, Vernon, Jackson et Kenneth se rendent au point de rendez-vous que leur a donné Khan afin d'inspecter les lieux avant la tombée de la nuit. Gordon, lui, décide de se rendre dans un club réputé ésotérique nommé « Les mystères d'Isis ». Fay, ne voulant pas le laisser seul, l'accompagne. Ils ne trouveront rien de plus pouvant intéresser de près ou de loin à l'état de Gordon.

Pendant ce temps, de retour de Clarke's Commons Street, les autres membres du groupe passent devant l'Imperial Theatre et Dorothy place un petit fil sur les grilles d'accès à la cour afin de vérifier, plus tard, si le passage a été emprunté.
La fin de l'après-midi se rapproche et chacun se questionne sur la conduite à tenir. Faut-il retourner à Ross's Corner ? Préférer le rendez-vous avec Khan ? S'introduire dans le théâtre ?
Gordon, dépité, finit par accepter de les accompagner dans les faubourgs de Boston jusqu'à la maison indiquée par la goule. Clarke's Commons Street est une petite rue dans un des quartiers les plus pauvres de la ville, flanquée de maisonnettes de fortunes, aux jardinets jonchés d'ordure et aux fenêtres cassées. La maison de Khan, voisine d'un ancien magasin général du nom de Brooks, est la plus vétuste de ces pitoyables constructions.

Il est 18 h 30...nous sommes devant ce taudis. Kenneth, Gordon et Jackson se sont planqués dans une maison abandonnée en face. On frappe. Pas de réponse. La porte est ouverte, Vernon s'introduit en premier, muni de sa lampe torche. On appelle Khan...le silence nous répond.

Ils pénètrent dans un couloir étroit avec une porte de part et d'autre. Bifurquant vers la gauche, ils entrent dans ce qui fut autrefois un salon donnant sur une salle à manger. Tout est dévasté, le sol est jonché d'immondices, de boues, les rares meubles sont brisés. S'approchant de la cuisine, ils entendent un léger bruit, rappelant le goutte-à-goutte d'un robinet qui fuit. Leurs pas sur le sol carrelé émettent un bruit de succion. Éclairant de la lampe torche, ils s'aperçoivent qu'ils pataugent dans une énorme flaque de sang. Vernon projette la lumière vers le haut et découvre avec horreur un corps sans tête suspendu au lustre par les pieds. Examinant le cadavre, ils remarquent trois larges plaies, telles des griffures, qui tailladent le torse du malheureux. Par-dessus ces blessures, un étrange symbole a été tracé avec son sang : une sorte de soleil encadré de parenthèses. Aucune trace de la tête, mais considérant la stature et les vêtements, il semble qu'il s'agisse de Khan. Il tient serré entre ses doigts un bout de papier jauni sur lequel rien n'est inscrit. L'examinant de plus près, ils peuvent lire l'en-tête en filigrane : « Imperial Theater ».
S'engageant dans la pièce suivante, Dorothy, suivie de Fay, entend un léger bruissement ou un chuintement venant d'un des angles de la pièce. Fay braque sa lampe vers le plafond et se retrouve face à face avec une étrange et énorme créature, la tête en bas, aux crocs acérés, munie de grandes ailes et de longues pattes la faisant ressembler à un grand échassier. Sans perdre une minute, Dorothy lui tire dessus blessant la bête qui pousse alors un cri lugubre. Elle se détache subitement et s'envole vers la cuisine, percutant au passage Lily Grace et l’assommant à moitié. Vernon, Fay et Dorothy continuent à la viser, mais elle parvient à défoncer un mur brinquebalant et s'enfuit par le jardin laissant des traces de sang derrière elle. Kenneth, qui a accouru en entendant les coups de feu, s’apprête à la poursuivre, mais la nuit est trop noire et le monstre déjà loin.

Ils se dirigent alors vers l'hôpital afin de soigner Lily Grace, affaiblie. Le médecin qui s'occupe ensuite de refaire le bandage de Gordon s'inquiète de l'état de ses blessures, les plaies ne semblent pas vouloir cicatriser. En sortant de l'hôpital, de plus en plus alarmés, ils décident de repasser par la décharge municipale espérant avoir des nouvelles de Magellan, mais le message est toujours à sa place et nul ne répond lorsqu'ils appellent.
La soirée étant déjà bien entamée, ils abandonnent l'idée de retourner à la ferme et il ne leur reste plus qu'à se rendre à nouveau à l'Imperial Theater pour tenter de dénouer toute cette histoire. Pressentant qu'ils risquent d'affronter de graves dangers, ils s'arment tous jusqu’aux dents.

Le petit bout de fil accroché à la porte de la grille a disparu et celle-ci est ouverte. Ils s'approchent d'une petite porte latérale fermée à clef. Vernon, se surprenant lui-même, parvient rapidement à crocheter la serrure au grand étonnement de ses compagnons qui ignoraient ce talent. Ils pénètrent dans un long couloir bordé à gauche par les loges et à droite par un grand rideau rouge séparant le backstage de la scène. Un fin rai de lumière filtre de derrière le rideau et provenant des balcons supérieurs des gradins. En visitant les différentes petites pièces sur leur gauche, ils découvrent un petit bureau sur lequel repose un carnet de papier jauni similaire au message de Khan. Le rendez-vous était donc un piège et le message un faux destiné à les attirer dans la maison où les attendait sûrement l'horrible créature. Redoublant de prudence ils s'enfoncent vers l'escalier qui les conduit sur les premières travées.

Ça grouille de rats et de cafards !

Alors qu'ils s'engagent dans un nouveau couloir, un chuintement les alerte et une créature ailée, semblable à celle de Clarke's Commons Street, leur fait soudain face. Toutefois, l'effet de surprise ne joue plus en leur défaveur cette fois. Elle fonce sur Kenneth, mais les autres ripostent et la bête tombe lourdement, morte. Les tirs ont résonné dans tout le bâtiment abandonné, révélant leur présence. Tandis que ses camarades scrutent avec inquiétude les alentours, Gordon, doucement, s'approche de la bête et, sous leurs regards ébahis, lèche un peu de son sang. Semblant le trouver à son goût, il commence même à grignoter la chair de la bête. Les autres sont effarés et passablement écœurés, mais ne peuvent réfléchir plus longtemps, car des voix plus haut se font entendre. Ils aperçoivent trois hommes étrangement vêtus de robes colorées. L'un d'eux les désigne du doigt en hurlant « attaquez-les ! ». Deux bêtes ailées se détachent alors subitement du plafond volant vers eux. Une des bêtes descend en piqué sur Gordon qui relève tout juste la tête de son affreux festin ; la créature s'arrête face à lui, le regardant intensément puis fait subitement volte-face repartant vers les hauteurs de la grande salle. En revanche, l'autre volatile se dirige vers Fay et l'attaque avec virulence pendant que les hommes au balcon se mettent à tirer. Le combat fait rage pendant quelques minutes. Vernon, Fay et Kenneth essayent de maîtriser le monstre pendant que Dorothy et Lily Grace visent les hommes au loin. Enfin, l'un d'eux, visiblement le chef, celui qui avait ordonné l'attaque, est touché et s'effondre amenant les deux autres à s'enfuir. Malheureusement, une des balles a atteint Gordon qui s'est effondré. Soudain, une vapeur sombre commence à s’élever autour de son corps. Impuissants, ses compagnons ne peuvent que regarder avec effroi leur ami se liquéfier ; sa chair semble fondre et devenir un fluide visqueux noirâtre libérant la fumée noire qui accompagne la créature maudite de Ross's Corner. La Chose est là. Elle, qui avait pris possession pendant quelques jours du corps de Gordon, l'empêchant de guérir, Elle, le forçant à agir étrangement, Elle, reconnue par Magellan... Leur pire crainte se réalise. Les créatures ailées, effrayées, fuient à leur tour, dans un terrible claquement d'ailes. La fumée s'évapore ne laissant qu'une grande flaque noire sur un plancher à moitié consumé.

Farewell Gordon Waters !

Choqué par la soudaine disparition de leur compagnon, le petit groupe s'éloigne instinctivement et mécaniquement vers les balcons supérieurs. Ils inspectent le corps de l'homme. Ce dernier, d'origine africaine, est vêtu d'une longue robe à capuche noire avec un poignard accroché à un ceinturon. Ils entreprennent de fouiller le reste du théâtre et découvrent d'autres tenues de ce genre accompagnées d'armes et d'un petit objet sculpté en bois représentant une planche incurvée posée sur deux petites colonnes.
Après avoir inspecté l'ensemble de l'édifice, ils se rendent à la décharge où rapidement ils font face à Magellan. Ils lui racontent ce qu'il vient de se passer. Après un silence, ce dernier finit par les remercier d'avoir résolu le problème de son étrange communauté. Il leur explique que les créatures ailées sont parfois appelées les messagers des Dieux et qu'elles peuvent être contrôlées par des sorciers. Il ne semble pas vouloir s'attarder sur le sujet, mais il ajoute toutefois qu'il est inutile qu'ils cherchent à revoir Brenner qui fait maintenant partie des siens et que tout va rentrer dans l'ordre. Le questionnant sur Gordon, il déclare qu'en effet, il était mort depuis longtemps, maintenu en vie que par l'esprit malfaisant. Le cœur serré, ils quittent le domaine des goules, souhaitant ne plus jamais avoir à faire à elles.

Quelques jours plus tard, ils apprennent la fuite de Brenner de la maison de repos et la libération de son « neveu ». Les papiers concernant la succession de Ruppert Merryweather sont finalisés et ils héritent officiellement de la ferme de Ross's Corner.

Deux ans ont passé après ces terribles événements. Chacun a retrouvé le cours de sa vie. Vernon, notre journaliste, est retourné à New York et s'est spécialisé sur les chroniques de meurtres mystérieux et, à ses heures perdues, se passionne pour les antiquités... Dorothy a acquis beaucoup d’expérience en deux ans. Elle a repris seule l’affaire de son père et gère ses affaires de main de maître. De plus, elle n'a à ce jour aucune affaire non résolue à son actif ; débordée d'appels, elle a maintenant un assistant qui lui sert de secrétaire. Lily Grace est retournée auprès de son mari et tous deux sont partis en expédition en Amérique du Sud pour étudier les communautés indiennes des forêts ou quelque chose du genre. Jackson a voyagé en Europe et en Afrique et a écrit un nouveau livre sur des histoires de cultes : « The black Power ». J'ai reçu un exemplaire dédicacé... pas eu le temps de le lire. De mon côté, je m'occupe avec Lawrence de la gérance d'un speakeasy, The Red House. Kenneth s'est joint à nous en tant qu'associé et, bien sûr, vu le gaillard, il est maintenant responsable de la sécurité. Ça marche plutôt bien et c'est vite devenu un lieu incontournable, rempli d'une faune interlope mêlée à des gens de la haute... Lily Grace vient nous rendre parfois visite avec quelques amis cherchant à s'encanailler.
Fortement soudés par nos aventures, nous nous retrouvons régulièrement... souvent autour de la tombe de Gordon...


Au mois d’août 1922, Dorothy, Fay, Lily Grace, Vernon et Jackson reçoivent une invitation de Charles D. Winsworthy pour participer à une croisière d'une dizaine de jours à bord de son yacht, le Hettie. Le bateau prendra la mer le 12 septembre prochain depuis New York et naviguera le long de la côte jusqu'au Canada. Il rejoindra Québec en remontant le Saint-Laurent puis repartira jusqu'à St Pierre et Miquelon avant de revenir à New York.
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Lotin
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

Message par Lotin »

Compte-rendu du scénario Yacht, rafiot et liqueur d'algues de @Tristan Lhomme (par deux des joueuses incarnant Fay Watson et Lily Grace Franklin). Je préviens, c'est du compte-rendu roleplay et narratif, c'est donc long.

SAISON 1 EPISODE 2 – YACHT, RAFIOT ET LIQUEUR D’ALGUES 

ACTE 1

C’était une belle matinée de mi-septembre, le 12 septembre 1922, précisément. New York baignait dans un soleil éclatant et une douce brise avait remplacé la pesante atmosphère de l’été.
Sur le port régnait l’agitation habituelle : les cris des dockers qui chargeaient d’immenses paquebots, avec sur les ponts des voyageurs endimanchés qui hurlaient des « good bye » et une multitude de cliquetis et de chocs métalliques s’échappant des bateaux maltraités par les roulis. Et planant au-dessus de tout ça, une odeur tenace d’iode et de poissons avariés, même dans cette partie des quais réservée aux transports de passagers.

C’était par une matinée semblable, et à quelques centaines de mètres seulement, que Lily Grace était venue accompagner son Samuel et qu’elle avait regardé le bateau s’éloigner. Il y avait quelques mois à peine. La dernière fois…

Et ce matin elle regardait à travers la vitre du taxi, accompagnée du sympathique Jackson Elias qui plaisantait avec son jeune cousin Nick. La Ford T, chargée de bagages, se frayait difficilement un chemin à travers les badauds et les malles, les caisses et les valises qui encombraient les quais.

Elle n’avait pas vraiment envie d’être là, ni de faire cette croisière : une boucle d’une quinzaine de jours depuis New York jusqu’à l’embouchure du Saint-Laurent, puis jusqu’à Québec et, au retour, une étape à Saint-Pierre-et-Miquelon. Assez peu d’escales en somme, ils allaient passer le plus clair de leur temps en mer, à ne rien faire, peut-être à s’ennuyer un peu et surtout elle se doutait qu’ils allaient profiter de l’éloignement de la côte pour ne plus se préoccuper de la prohibition et boire plus que de raison… Il fallait espérer que les autres voyageurs seraient d’une compagnie agréable ; elle ne connaissait même pas leur hôte, le richissime Charles D. Winsworthy.
Mais Daddy avait tellement insisté : « Cela te changera les idées ! et puis tu seras avec Nick et tes amis ». Elle considéra son cousin, assis à côté d’elle. Il semblait excité comme une puce ! Ce voyage l’enthousiasmait tellement, un petit break avant de commencer sa nouvelle année d’études en médecine.

Jackson aussi avait l’air ravi avec son teint halé. Il rentrait tout juste d’Afrique après avoir passé presqu’une année entière en Grande Bretagne, ils avaient tous bien ri, la veille chez Vernon, quand il avait expliqué qu’il n’avait même pas défait sa valise et qu’il espérait trouver un service de blanchisserie à bord du Hettie. Il était tout heureux en leur offrant des masques qu’il avait ramenés. Lily Grace n’aimait pas trop l’art africain, mais il y en avait déjà à la maison que Samuel avait ramené de ses expéditions, elle lui trouverait bien une place…
Avant l’été, Jackson qui avait des contacts en Amérique du Sud l’avait aidée à organiser les recherches ; il s’était montré si serviable, comme beaucoup de ses amis… Oui, tout le monde avait été tellement gentil ! mais lui, au moins, était un peu plus efficace que la plupart des autres, même si cela n’avait pas vraiment servi à grand-chose.

Le taxi s’arrêta au bout du quai devant un magnifique voilier blanc, le bois luisait et les parties métalliques étincelaient. Il était doté de deux grands mâts. Il lui parut plutôt gigantesque pour un navire de plaisance, mais les Winsworthy avaient clairement les moyens de s’offrir ce genre de jouet.
Derrière leur taxi, celui de Dorothy, Fay et Kenneth se gara après quelques difficiles manœuvres. Les deux jeunes femmes bondirent hors du véhicule tandis que Kenneth s’en extirpait en dépliant difficilement ses presque deux mètres, tout en allumant une cigarette. Dorothy et Fay étaient resplendissantes dans leurs robes toutes neuves. Lily Grace les observa en souriant : elles avaient fière allure et elle avait bien fait d’insister pour les leur offrir. Avant leur départ de Boston, les trois amies s’étaient octroyées une journée de shopping pour l’occasion. Après avoir écumé les boutiques bon marché, Lily Grace avait réussi à les traîner chez de vrais couturiers et à leur faire essayer des vêtements plus appropriés à un séjour en compagnie de personnes… de qualité. Évidemment, elle avait payé les robes, les chapeaux assortis et le repas qu’elles avaient pris ensemble après ses heures d’essayages harassantes. Qu’importe, l’investissement en valait la peine : Fay et Dorothy ressemblaient un peu plus à des… ou plutôt un peu moins à des…

Surtout c’était la première fois depuis des semaines qu’elle avait ri sincèrement. Elle les avait même convaincues de lui emprunter des manteaux de fourrures, car il pouvait faire froid au Canada et il était hors de question que ses amies se promènent sur le pont d’un yacht avec des manteaux en laine qui ressembleraient à ceux des matelots.

Lily Grace avait l’habitude d’évoluer dans ces milieux où les apparences sont si importantes et elle ne voulait surtout pas que ses amies se cloîtrent dans leurs cabines parce qu’elles se sentiraient mal à l’aise. Enfin… il y avait quand même assez peu de risques de ce côté-là, déjà la très avenante Fay hélait les matelots sur le pont leur demandant avec son inimitable accent s’ils allaient se bouger où la regarder monter les valises toute seule, puis elle éclatait de rire devant leurs yeux écarquillés et leur précipitation maladroite. Nick ouvrait de grands yeux, il devait penser que sa cousine avait quand même de drôles de fréquentations. La confrontation de ces deux mondes promettait d’être assez divertissante et Lily Grace se dit que son cher Daddy avait eu raison, une fois de plus : cela allait lui changer les idées.


Sur le pont, le commandant du Hettie les accueillit avec un sourire et une convivialité de circonstance, un peu forcés, tout de même. Engoncé dans son uniforme impeccable, le commandant Alan O’Brien était un homme entre deux âges, mais encore d’assez belle allure. Sur le pont, de petits groupes discutaient avec des assiettes et des verres d’eau ou de jus de fruit à la main. Sur les tables étaient dressés des plats de tranches de rôtis, des pyramides de crevettes, des coupes débordant de fruits et une dizaine de gâteaux et tartes, bien sûr tous différents. Il y avait même des croissants, comme à Paris ! Enfin, Lily Grace doutait qu’ils soient aussi bons… et puis il n’était que 10 heures, toutes ces victuailles étaient plutôt écœurantes.
Le commandant les accompagna jusqu’au buffet où un gros bonhomme aux cheveux gominés, un peu trop serré dans un costume jaune pâle, tenait d’une main un cigare et de l’autre une tranche de cake dégoulinante de marmelade qu’il goba goulument avant d’ébaucher un geste pour leur serrer la main. L’esquiver aurait été terriblement impoli, Lily Grace se félicita de porter des gants et s’amusa néanmoins des mines déconfites de ses compagnons qui n’en avait pas. Seuls Nick et Jackson parvinrent à l’éviter, le premier en se précipitant avec un petit cri sur les croissants, le second en s’enfuyant vers un autre convive en lançant joyeusement :

« Plug ! mon cher… Quel plaisir de vous revoir ! »

Le gros bonhomme se présenta : Elias Saphir, producteur de spectacles à Broadway et de films pour le cinéma. Il parlait fort mais riait encore plus fort… Il parut très amusé lorsque les jeunes personnes du groupe se présentèrent : une tenancière de « salon de thé » et son associé, une détective privée, un étudiant en médecine et … « une jeune femme très occupée, mais à rien de très passionnant, en tous cas pas autant que le cinéma … » précisa Lily Grace. Elle était bien décidée à ne pas parler de sa situation actuelle, inutile de gâcher l’ambiance. Elle embraya en posant mille questions :

« Est-ce qu’il connaissait le grand Charlie Chaplin et le beau Rudoph Valentino ? Et cet autre acteur, si drôle… Buster Keaton ? Est-ce que c’était long de faire un film ? Sur quel projet travaillait-il en ce moment ? »

Détourner la conversation, une habitude…

Elias Saphir s’avéra être un interlocuteur très sympathique, il leur parla de ses derniers spectacles et en profita pour leur présenter certains autres invités, notamment la très belle Katarina Claus qui allait tenir le premier rôle dans un de ses musical à Broadway pour la prochaine saison. Une beauté blonde, grande et sculpturale et un peu hautaine, Nick, Kenneth et surtout Elias en restèrent tous bouche-bée. Il les conduisit aussi auprès d’Elisa, l’épouse de leur hôte, Charles D. Winsworthy, très jolie aussi mais dans un genre très différent : une pétulante rousse avec une robe au décolleté très plongeant et enchaînant les éclats de rires. Celle-ci prit le relais pour poursuivre les présentations. Ainsi le petit groupe fit la connaissance de Louise Adams, une jeune anglaise étudiante en histoire et très charmante ; Nick sembla immédiatement conquis… Puis, elle leur présenta Max Hansen, un jeune homme à l’air absent qui eut le temps de soupirer au moins dix fois pendant leur court échange comme si ce genre de banalités mondaines l’affligeaient au plus haut point. C’était un compositeur et musicien ; Elisa précisa que ses dernières pièces avaient reçu un accueil très remarqué et que son grand talent ne tarderait pas à être largement reconnu. Il parut un peu gêné par le compliment et, pour se donner un peu de contenance, il tourna la tête pour regarder la mer au loin sans ajouter un mot. Une caricature d’artiste torturé pensa Lily. Elisa les amena ensuite vers un homme bien plus âgé mais aussi peu loquace : Henry Tanner était le fondé de pouvoir de Charles D. lui aussi paraissait s’ennuyer ; il était évident qu’il était là plus par devoir que par choix, pour travailler et non pour se distraire avec les autres invités. La joyeuse Elisa eut plus de répondant auprès du passager suivant, celui que Jackson s’était empressé de rejoindre à leur arrivée et avec qui il conversait depuis. Pelham Bannister, alias Plug, était un prolifique auteur de romans d’aventure. Cette fois, ce fut le tour des jeunes femmes de bégayer car, avec son allure nonchalante, tenue légèrement négligée et cheveux un peu trop longs, avec sa cigarette soulignant un sourire séducteur, il ne pouvait pas les laisser indifférentes.
La dernière personne qu’elle leur présenta fut Norman Winsworthy, son beau-frère, un bel homme lui aussi, la jeune trentaine, très avenant. C’est lui qui les conduisit jusqu’à leurs cabines où les bagages étaient déjà entassés. Il leur demanda comment ils connaissaient son frère et sembla à la fois surpris et amusé quand ils lui répondirent qu’en fait ils ne l’avaient jamais rencontré. Ils avaient reçu l’invitation en remerciement d’un service rendu au regretté Ruppert Merryweather.

« Oh oui ! Ruppert était un vieil ami de mon frère… Eh bien ! C’est pour le moins singulier ! J’espère que vous passerez un bon séjour en notre compagnie. Rassurez-vous, moi-même je ne connais pas certaines des personnes qui sont sur ce bateau, nous profiterons de ce voyage pour faire connaissance !
Les cabines sont un peu petites, j’en suis désolé. Mesdemoiselles, j’espère que vous parviendrez à cohabiter dans celle-ci, dit-il en considérant avec circonspection, les bagages entassés entre les lits. Messieurs, il y a une cabine pour deux et une autre pour une seule personne. Je vous la recommande en raison de votre grande taille, ajouta-t-il en s’adressant à Kenneth, vous serez probablement plus à votre aise.
Je vous en prie, prenez votre temps pour vous installer. Nous appareillerons dès que mon frère nous aura rejoint. »

Lily Grace évalua avec un léger déplaisir la taille de la cabine encombrée et des banquettes. Elle s’attendait quand même à un peu mieux, mais elle savait bien que les voyages en mer rimaient avec petits espaces et promiscuité. Bah ! Elle avait connu pire et les expéditions qu’elle avait faites avec Samuel vers l’Amérique du Sud l’avait amenée à affronter des conditions bien plus spartiates.

Oh my God ! Quelle idée avait-elle eu d’emporter autant de malles et de valises ? Elle savait pourtant voyager léger ! Un coup d’œil à ses compagnes lui fit soupçonner qu’elles devaient se faire la même réflexion…

Après s’être longuement contorsionnées, pour atteindre des tenues plus légères et pour les enfiler, en riant de leurs positions improbables, en équilibre sur une malle ou allongées sur les couchettes, elles regagnèrent le pont. Juste à temps pour assister à l’arrivée de leur hôte mystérieux.

Charles D. Winsworthy émergea du couloir des cabines un peu après midi. C’était un homme qui approchait la quarantaine, encore avenant et athlétique malgré une silhouette alourdie, mais ses tempes commençaient à se teinter de gris et son visage était marqué de rides fines mais bien nettes. À ce moment, en outre, ses yeux s’étrécissaient derrière des cernes profondes et sombres ; il avait visiblement peu dormi et la belle clarté de cette fin de matinée semblait le faire atrocement souffrir, une migraine probablement. Il salua chacun poliment, se déclara enchanté de faire la connaissance des amis de « ce cher Ruppert » puis demanda en souriant au commandant de larguer amarres.
Un bruit de moteur se fit entendre et le grand yacht s’éloigna lentement du quai. Comme Nick s’étonnait qu’on n’utilisât pas les voiles, Norman lui expliqua qu’elles seraient déployées une fois en mer, pour sortir du port, les moteurs étaient plus pratiques. Nick observait tout avec l’émerveillement d’un enfant :

« J’ai toujours rêvé de devenir marin, vous savez », laissa-t-il échapper à plusieurs reprises.

Un peu gênée, Lily Grace lui tapota le bras en ajoutant :

« Heureusement mon aventureux petit cousin est plus doué pour les études et la médecine… »

ACTE 2

À peine les assiettes du brunch furent-elles rangées que le commandant annonça que le déjeuner allait être servi. Pas le temps de digérer… Lily Grace se félicita de n’avoir rien grignoté et de s’être contentée d’orangeade.

La salle à manger se trouvait à côté des cabines. C’était une pièce un peu étroite, comme toutes les autres sur le bateau, mais luxueusement ornée de boiseries rutilantes.
Lily Grace se retrouva coincée entre le commandant et le très insipide Max Hansen. Une fois épuisés tous les sujets climatiques, la conversation tourna court. Heureusement Elias Saphir se trouvait en face d’eux et il fit preuve d’un grand entrain racontant de nombreuses anecdotes sur son métier et les spectacles qu’il avait financés jusque-là et d’un enthousiasme certain pour décrire ceux qu’il s’apprêtait à monter. Il alla même jusqu’à proposer, d’un air amusé, un rôle pour Nick dans sa dernière pièce « Terreur sur New-York ». Sous ses dehors un peu balourds, il s’avérait être un homme sympathique et ne se prenant pas du tout au sérieux.
Autour de la table, les conversations allaient bon train. À l’autre bout de la pièce, Nick semblait boire les paroles de sa jolie voisine, Louise Adams tandis que Fay déployait tout son charme auprès de Norman. Bien que le repas fut succulent, des langoustes en constituaient le point d’orgue, Charles grignota à peine, se contentant de jus de fruits. Elias Saphir, en revanche, amusa toute la tablée en décortiquant maladroitement les crustacés. Il était évident qu’il en rajoutait pour satisfaire son public ; c’était peut-être un comédien frustré qui s’était reconverti en producteur, se dit Lily Grace en riant de bon cœur.

Kenneth s’éclipsa rapidement avant la fin du repas, la salle à manger était trop exigüe pour sa grande carcasse. Fay regarda avec une pointe de jalousie Katarina qui prenait ostensiblement le bras de Norman Winsworthy. Le message était clair : propriété privée ! Les deux tourtereaux disparurent du côté des cabines. Lily Grace accompagna Elias Saphir dans le salon où Henri Tanner s’installa pour lire un journal et la plupart des autres invités montèrent sur le pont et visitèrent la salle des machines où deux matelots s’activaient. Nick, aux anges, n’arrêtaient pas de leur poser des questions. Sur le pont arrière, un tournoi de bridge fut improvisé et Louise et le capitaine dominèrent largement les débats. Lily Grace eut droit à un récit circonstancié de Fay et Dorothy qui avaient formé une équipe. Louise et le capitaine avaient semblé parfaitement à leur affaire, surtout la jeune anglaise qui, en dépit d’une naïveté apparente, les avait tous floués. Le soir même, les filles en bonnes Américaines pensaient qu’elles pourraient prendre leur revanche au poker, d’autant que Louise avait avoué ne pas savoir jouer à ce jeu de cartes. Elles en riaient d’avance.
Et ainsi, après un nouveau repas copieux, tout le monde se rendit dans le salon : on organisa les tables et on ressortit les cartes de leurs étuis. Mais, étonnement les choses ne se déroulèrent pas vraiment comme prévu : une fois de plus Louise les écrasa tous. Lily Grace qui n’était pas très douée pour les jeux de cartes s’amusa pourtant beaucoup en voyant, uns à uns, les joueurs très sûrs d’eux déchanter face au talent évident de la jeune femme. Nick paraissait totalement charmé.

Oh God ! que ce garçon est naïf, se dit Lily.

Le seul à lui donner un peu de fil à retordre fut Norman. Mais à la différence de Louise qui faisait preuve d’une belle désinvolture, cherchant essentiellement le plaisir du jeu, le frère cadet de Charles prenait vraiment la chose au sérieux, s’agaçant même lorsqu’il ratait un coup ou que la chance souriait plus à l’un de ses adversaires. Au bout de quelque temps, il proposa même de jouer de l’argent, mais sa proposition ne remporta guère de succès.
Lily Grace partit se coucher assez tôt, mais la musique et le bruit du jeu ne se prolongèrent pas très longtemps dans la nuit.

Le deuxième jour fut calme. Après un opulent petit déjeuner, Lily Grace qui était une des premières levées s’installa au soleil sur le pont avec un bon livre et regarda les invités émerger les uns après les autres. L’après-midi, une certaine routine commença à s’installer avec la deuxième manche du tournoi de bridge : cette fois, Lily Grace participa, en duo avec Norman, mais comme les autres la veille, ils se firent battre à plate couture par Louise et le capitaine. Norman était peut-être doué pour le poker, mais le bridge, c’était visiblement une autre affaire.
Le soir, on sortit des eaux territoriales américaines et de nombreuses bouteilles firent leur apparition à la table du repas puis pour accompagner la musique et le poker en soirée. De très bonnes bouteilles, d’ailleurs : des vins français, du champagne, du whisky écossais et des rhums vieux. Elias Saphir se révéla un grand amateur. La soirée se prolongea un peu plus que la veille.

Le troisième jour ressembla beaucoup au deuxième et le quatrième énormément au troisième.
Petit à petit, tous apprirent à mieux se connaître et certains petits secrets émergèrent. Norman se révéla être un joueur invétéré et il était criblé de dettes. Kenneth surprit un soir une dispute entre les deux frères Winsworthy, Norman demandant de l’argent à Charles qui refusait de lui en prêter plus. Ce dernier passait ses fins de soirées et une partie de ses nuits enfermé dans son bureau pour travailler, soit seul, soit en compagnie du taciturne Henry Tanner. Pendant ce temps, certains petits gestes et regards appuyés firent rapidement soupçonner à Lily et ses amis qu’il y avait quelque chose entre Elisa et Elias Saphir : une relation certainement beaucoup trop intime. Louise aussi semblait avoir quelques petits secrets qu’elle s’efforçait soigneusement de cacher : elle ne parlait jamais de ses études d’Histoire et ne paraissait d’ailleurs guère intéressée par le sujet. Sa rencontre avec Charles D. Winsworthy ressemblait un peu à un coup monté. Tout cela n’était pas très naturel…

Le cinquième jour, le tournoi de bridge approchait de son terme. La finale opposa, sans surprise, Louise et le capitaine à une équipe plus inattendue : Fay et Dorothy. Norman organisa des paris sur l’issue de la rencontre. Évidement la plupart des passagers misèrent sur le couple qui avait survolé le tournoi depuis le début. Par solidarité, Lily Grace fut l’une des seules à soutenir ses deux amies et à la surprise générale, elles remportèrent la victoire sur le fil.

La croisière continua ainsi tranquillement, dans un esprit plutôt bon enfant. La plupart des invités cherchant à se divertir sans excès et les journées ensoleillées et un peu routinières s’enchaînèrent tranquillement. Les rives du Saint-Laurent déroulèrent leurs paysages verdoyants jusqu’au 19 septembre, lorsque le Hettie arriva à Québec. Tout le petit groupe descendit avec plaisir sur la terre ferme. L’agitation de la ville fut une source de joie après ces journées en huis clos et ils allèrent tous dîner dans un excellent restaurant. Malgré la bonne ambiance générale, Dorothy remarqua une certaine tension entre Elisa et Charles qui s’adressaient à peine la parole. Ce soir-là, Elias Saphir se comporta étrangement avec Fay, la draguant manifestement.

Le lendemain chacun avait quartier libre. Lily Grace et Nick en profitèrent pour passer voir leurs oncles et tantes canadiens. Ce fut un moment très agréable mais beaucoup trop rapide à leur goût car le Hettie devait repartir en fin d’après-midi.
Pendant ce temps, Fay et Kenneth profitèrent de l’escale pour faire quelques emplettes. Ils remontèrent à bord avec de lourds sacs et des cartons visiblement très chargés. À la nuit tombée, ils s’éclipsèrent un long moment avant de rejoindre les autres dans la salle à manger, l’air harassés et passablement débraillés. Mais ils étaient tous deux d’excellente humeur.

Chacun retrouva rapidement ses petites habitudes, tandis que le yacht descendait le Saint-Laurent et reprenait la mer en direction de Saint-Pierre-et-Miquelon. Lecture, jeux de cartes, agréables conversations, copieux repas rythmant la journée et soirées très arrosées.

Kenneth avait pris l’habitude de se coucher parmi les derniers après avoir discuté, une partie de la soirée, avec les matelots et le capitaine à la timonerie. Il assista ainsi à deux altercations entre Charles et d’autres passagers à une heure où ils se croyaient certainement seuls. D’abord, il se disputa avec Max Hansen, lui demandant de réécrire une pièce musicale tandis que l’autre refusait disant qu’il n’avait pas le temps. Avec le mélange d’exaspération et d’arrogance qui lui était habituel, il ajouta qu’il n’avait pas l’intention de gâcher son talent sur ce genre travail. Le ton monta rapidement, mais le musicien sortit rapidement du bureau et rejoignit sa cabine.
Le lendemain une scène assez similaire opposa le riche industriel à l’auteur à succès, le séduisant Plug. Là encore, le différent portait sur une histoire que Charles lui demandait de retravailler. Le refus fut poli mais ferme ; la conversation tourna court.

Le temps avait nettement fraîchi mais restait agréable. En revanche, la relation entre Elisa et Charles devenait de plus en plus glaciale.
Le 22, une rapide escale s’organisa à Saint-Pierre et Miquelon. Les voyageurs purent descendre se dégourdir les jambes pendant que les matelots chargeaient de nombreuses caisses de tous types d’alcool. Fay et Kenneth semblaient dépités : les bouteilles étaient bien meilleur marché ici qu’au Canada. Ils demandèrent à Lily Grace si elle pouvait leur prêter un peu d’argent pour faire quelques achats… Elle se doutait bien du genre de souvenirs qu’ils souhaitaient ramener de cet îlot perdu… Qu’importe, Lily Grace n’était pas du genre à leur faire la morale pour cela.
Ils revinrent très vite, la mine réjouie et reprirent le même manège que quelques jours plus tôt.
Le navire regagna la mer dès le lendemain matin.

Le 24, peu avant le dîner, alors que Lily Grace, Fay et Dorothy se préparaient tranquillement dans leur étroite cabine, elles entendirent un cri venant du pont. Elles se précipitèrent. C’était Louise. Elle les appela avec enthousiasme : des dauphins ! Ils escortaient le Hettie ! Comme c’était amusant ! Plusieurs passagers avaient bondi hors de leur cabine, alertés par le cri et tous accueillirent avec soulagement cette nouvelle. En se penchant au-dessus de la rembarde, Lily Grace observa une dizaine de silhouettes, assez allongées, nageant effectivement autour du bateau. En revanche, elle ne reconnut pas spécialement des dauphins, il s’agissait juste de masses brunes ; il n’y avait aucune nageoire qui dépassait. Mais il faut dire que le soir était en train de tomber et on n’y voyait plus très bien. D’autres remarquèrent également que cela ne s’apparentait pas trop à des poissons, peut-être plus à des otaries… un petit débat commençait à s’installer quand une des créatures se prit dans une des hélices. Une longue traînée pourpre jaillit dans le sillage et se mêla à l’écume. Cela jeta un froid parmi les spectateurs et amena un silence gêné. Et c’est alors qu’un hurlement strident fendit l’air. Un cri mi-animal, mi-humain. Lily Grace en fut sincèrement ébranlée, autant par son étrangeté que par la rage qui s’en dégageait. Tous se pressèrent à l’intérieur et il fallut plus d’un verre pour réchauffer l’atmosphère et détendre les convives.

Le 25, la journée n’apporta aucun nouvel évènement, mais le temps devint maussade et il plut une partie de la journée, obligeant les passagers à se terrer à l’intérieur des cabines ou des petites pièces communes. En fin de soirée, Kenneth redescendant vers sa cabine après avoir fumé une dernière cigarette sur le pont en compagnie des matelots surprit Louise qui s’introduisait en douce dans la cabine d’Elisa et Charles. Il se cacha pour observer et quelques minutes plus tard la vit ressortir en tenant un petit objet indéterminé à la main.
Le lendemain matin il raconta la scène à ses compagnons et tous surveillèrent la jeune anglaise de plus en plus mystérieuse. Les filles étaient particulièrement soupçonneuses mais Nick et Jackson se moquaient d’elles, leurs reprochant bêtement d’être jalouses. Oh les hommes ! Un joli minois et ils sont prêts à tout gober sans sourciller…

ACTE 3

Il plut encore toute la matinée et la mer était bien plus agitée qu’elle ne l’avait été depuis le début du voyage. Une nouvelle journée d’enfermement s’annonçait. Vers midi, plusieurs personnes s’’étonnèrent de ne pas voir Charles. Elisa expliqua un peu gênée qu’il avait dû dormir dans son bureau comme cela lui arrivait parfois lorsqu’il travaillait tard. Le petit groupe se déplaça en file indienne jusqu’au bureau. On frappa… pas de réponse. On insista et on appela… Toujours rien. Norman essaya d’ouvrir la porte, mais elle était fermée à clef. Elisa commença à sangloter. Tous le monde était inquiet. Lily Grace sentit son estomac se serrer, elle avait un mauvais pressentiment. Kenneth et Norman enfoncèrent la porte à coup d’épaule et disparurent à l’intérieur. Difficile d’y voir quoi que ce soit, depuis cet étroit couloir, avec tout ce monde agglutiné. Norman poussa un cri :

« Charles ! Charles ! Non ! c’est impossible ! »

Nick se fraya un passage :

« Je suis médecin ! Que se passe-t-il ? il est blessé ?» dit-il d’une voix tremblante et sans assurance.

Le capitaine entra derrière lui. Norman ressortit, le visage blême et les yeux affolés. Comme Elisa cherchait à avancer, il l’attrapa au passage et l’entraîna vers sa cabine.

« Non, ce n’est pas utile que tu voies ça ! »

Lily Grace, Fay et Dorothy jouèrent des coudes pour atteindre l’entrée de la pièce. Nick se penchait sur le corps inanimé de Charles. Ses gestes étaient un peu hésitants mais restaient précis. Charles était effondré sur son bureau, un coupe-papier encore planté dans le dos et du sang sombre et déjà séché souillait sa veste claire. Nick bégaya qu’il avait dû être tué au milieu de la nuit, peut-être vers 3 ou 4 heures. Les filles se faufilèrent à l’intérieur : il ne semblait pas y avoir eu de lutte. Tout était en ordre. Sur le bureau, gisait des livres de compte ouverts et quelques papiers éparpillés et tâchés par le sang. Des signes étranges avaient été tracés avec du sang sur le rebord du meuble, des lettres, peut-être un E, un L et un I, ou un H et un T ou un bonhomme assis face à un autre debout… Nick fit remarquer qu’il avait dû mourir rapidement et selon lui il était peu probable qu’il ait eu le temps de les tracer lui-même ; pourtant il avait des traces de sang sur les doigts. Dorothy commença à fouiller méthodiquement la pièce. Comme le capitaine s’étonnait de son attitude et demandait à tous de sortir, Lily Grace intervint pour expliquer que Dorothy exerçait la profession de détective privé et que c’était certainement la personne la mieux placée pour procéder aux premières observations et interroger les personnes présentes. Vu la situation, il était évident que le meurtrier était l’un des passagers ou des matelots. Après une courte hésitation le capitaine accepta l’aide que proposaient ces invités un peu étranges ; il devait se sentir un peu dépassé par la situation et comme ils semblaient assez sûrs d’eux, il finit par céder.

Ils prirent donc les choses en main. Les passagers furent emmenés dans le salon, où ils restèrent sous la surveillance de Kenneth. Ils furent prévenus qu’on allait les interroger un par un. Seule Elisa, complètement prostrée, fut autorisée à aller se reposer dans sa chambre. Nick l’accompagna et lui administra des calmants. Lily Grace lui conseilla d’en profiter pour fouiller la pièce. Un peu penaud, il s’acquitta toutefois de cette tâche de manière aussi consciencieuse que possible mais ne releva rien d’anormal.
Le bureau fut soigneusement inspecté. D’après Henry Tanner qui était certainement celui qui y avait passé le plus de temps après Charles, il ne manquait rien. Toutefois, la clef de la porte avait disparu, tout comme celle du coffre-fort. Aucune empreinte de pas, aucun objet particulier ne retint leur attention, en fait, il semblait même que le meurtrier avait soigneusement nettoyé l’espace autour du corps ; il paraissait méthodique et réfléchi. On pouvait peut-être écarter l’hypothèse d’un meurtre commis sous l’emprise d’une pulsion.
Sur un des meubles se trouvait un manuscrit assez épais intitulé « La Fleur du Bronx ». Il s’agissait vraisemblablement de la pièce dont Charles avait discuté avec Max Hansen et Plug.
Fay pour sa part décida de s’atteler à la comptabilité. Elle réunit les livres de compte et partit s’enfermer dans sa cabine pour travailler au calme. Pour se donner un peu de courage, elle emporta aussi une bouteille avec elle et ce ne fut pas de trop car ces opérations complexes étaient bien plus ardues que les calculs auxquels elle se livrait pour faire tourner sa petite affaire. Elle y passa plusieurs heures ; à la fin les chiffres dansaient hors des lignes, sous ses yeux, la fatigue ou peut-être l’alcool… Et tout ça pour un résultat décevant, car elle ne trouva rien de choquant ni même d’un peu suspect.
Dorothy et Lily Grace commencèrent à fouiller les cabines. D’abord, celle de Louise que Kenneth avait vu se promener la nuit précédente. C’était une pièce assez petite, bien que la jeune fille bénéficiât de plus de place que les trois amies. Quelques vêtements avaient été laissés sur les chaises, mais dans l’ensemble tout était assez bien rangé. Rien ne sortait de l’ordinaire et aucune clef ou aucun document particulier ne retint leur attention. En insistant et en vidant les tiroirs, Dorothy tomba sur une boîte à bijoux, cachée dans une boîte à chapeau dans laquelle un double fond a été aménagé. Elle l’ouvrit à tout hasard ; il y avait là beaucoup de bijoux de femme mais aussi d’homme et, avec étonnement, elle reconnut un de ses pendentifs. Elle doutait de l’avoir perdu, Louise avait dû le prendre dans ses affaires ; était-ce pour cela que la jeune anglaise s’introduisait dans les cabines la nuit ? Lily Grace vérifia si l’un des objets lui appartenait mais ce n’était pas le cas. Elles conservèrent le coffret, bien décidées à tout faire pour confondre la voleuse.
Elles passèrent ensuite à la cabine d’Elias Saphir. C’était l’amant d’Elisa, il disposait donc d’un bon mobile pour éliminer le mari. En entrant, une désagréable odeur de tabac leur souleva le cœur. Des mégots de cigares gisaient dans plusieurs cendriers en cristal. Il y avait aussi plusieurs bouteilles d’alcool, toutes vides et des verres posés un peu partout. Sur l’oreiller, dans le lit défait, Dorothy remarqua un long cheveu roux. Elisa en était sans aucun doute la propriétaire…
En ressortant dans le couloir, Dorothy et Lily Grace entendirent des éclats de voix provenant du salon où étaient rassemblés les passagers. Plusieurs s’invectivaient et s’accusaient mutuellement. Les lettres tracées sur le bureau, différentes selon les intervenants, semblaient au cœur des débats. La voix autoritaire du capitaine s’éleva soudain pour appeler au calme.

Dorothy et Lily Grace retrouvèrent Nick et le capitaine. Ils allaient commencer les interrogatoires et elles leur firent part de leurs découvertes, en particulier du coffret à bijoux. Nick, d’abord dubitatif, parut ensuite bien dépité à la vue de sa propre montre gousset dans la boîte à bijoux. Lily Grace se dit qu’il commençait à en pincer sérieusement pour Louise. Le pauvre ! C’était peut-être une de ses premières déceptions amoureuses, mais certainement pas sa dernière… Elle en savait assez long dans ce domaine…
Le capitaine qui avait beaucoup moins d’état d’âme insista pour commencer par interroger cette « malfaiteuse ». Hélas, les hommes sont toujours faciles à manipuler pour les jolies filles. Elle commença à prendre un air contrit et Nick lui fit remarquer que la kleptomanie était une maladie. Ce à quoi elle acquiesça tristement. En moins de deux paroles, elle réussit à les embobiner et à détourner les soupçons de sa personne vers le groupe d’amis, révélant que tous les membre du groupe cachaient des armes dans leurs bagages.

« Ils sont effrayants, ils sont armés jusqu’aux dents ! même les femmes ! »

Il est vrai que tous avaient emporté de qui se défendre : un vieux réflexe. Kenneth transportait même un véritable arsenal. En cherchant des bijoux dans les cabines, Louise avait dû le remarquer et elle suggéra au capitaine d’aller vérifier. Inutile de compter sur Nick pour retourner la situation, loin de se fier à sa famille, il préféra abonder dans le sens de la voleuse. Dorothy et Lily Grace furent interrompues alors qu’elles commençaient à fouiller la cabine d’Hansen et de Plug. Le capitaine leur tomba dessus et leur demanda de le suivre jusqu’à leur cabine. Lily Grace nota le sourire discret mais assez satisfait de Louise qui trottinait dernière les deux hommes.

« Toi, ma jolie, tu ne perds rien pour attendre », pensa-t-elle en frappant à la porte avant d’entrer dans la pièce.

Fay était allongée sur son lit, au milieu de livres de compte ouverts ; elle avait pris des notes dans un carnet mais semblait un peu abattue. L’intrusion inopinée de tout de ce petit monde la tira de sa torpeur. Louise indiqua au capitaine quels sacs ouvrir, sous le regard assassin des trois jeunes femmes. Nick fit mine de faire la morale à sa cousine, mais elle le remit en place assez sèchement.

- « Oui, nous avons pris des armes… et après, on ne sait jamais ! il y a bien des histoires de pirates non… », commença Fay. Le capitaine les observa sceptique.
- « Et puis chacun est libre de posséder des armes, c’est un droit constitutionnel ! », renchérit Lily Grace.
- « Bien sûr, madame. Mais dans ces circonstances, il n’est pas concevable que vous ayez des armes. Il y a eu un mort ! » dit le capitaine.
- « Mais il a été poignardé, pas tué avec une arme à feu », remarqua Dorothy.
- « Certes, mais je me vois dans l’obligation d’emporter vos revolvers », dit-il en prenant les armes.
- « Et encore ! Ce n’est rien à côté de ce que possède le grand », insista Louise.
- « Vous êtes bien renseignée, vous ! Vous avez donc visité toutes les cabines pour commettre vos méfaits ! coupa Lily Grace. Il y a des preuves indéniables de ses crimes et c’est à nous que vous vous en prenez ! » ajouta-t-elle en se tournant vers le capitaine.

Nick allait ouvrir la bouche, mais elle le fusilla du regard et il ne dit rien. Néanmoins, tous se déplacèrent vers la cabine de Kenneth et très vite ils trouvèrent le fusil de guerre et l’énorme couteau de l’ancien soldat. Le capitaine, l’air perplexe, emmena cet arsenal dans sa cabine en disant qu’il allait les mettre sous clef. Un coffre fermé à clef contenait déjà un fusil, pour la sécurité du navire. Lily en profita pour dire le fond de sa pensée à son cousin qui essayait de se donner une contenance devant Louise.

Furieuse, elle tourna les talons et retourna avec Dorothy fouiller la cabine du romancier et du compositeur. Elle s’attela à cette tâche avec hargne et récupéra petit à petit son sang-froid. Hélas, la pièce ne leur apporta aucun indice. Il y avait beaucoup de carnets appartenant à Plug et remplis de notes de toutes sortes, il est vrai qu’il passait des heures à griffonner dans ses cahiers. Un peu comme Jackson d’ailleurs ; ce devait être une habitude d’écrivain.

Elles s’attelèrent ensuite à la cabine de Tanner, mais là encore elles firent chou blanc. C’était une pièce sans un vêtement abandonné, sans objets personnels, comme des photos, seulement deux livres : une Bible et un exemplaire d’un des romans de Bannister, avec un marque page plutôt près du début. Un lit fait avec rigueur, rien de désordonné. Bref, une chambre aussi insipide et ennuyeuse que son propriétaire. Si Fay avait été là, elle aurait pu dire « aussi chiante que lui ».

Dans la chambre, impeccablement rangée de Katarina, elles trouvèrent des papiers d’identité russes au nom d’Ekaterina Klossowski. Ils n’étaient d’ailleurs pas particulièrement bien cachés et c’est le seul secret que semblait avoir la superbe blonde.
Dorothy et Lily Grace étaient moroses. Pas le plus petit début de piste. En dehors du coffret de Louise, elles n’avaient rien déniché ; et encore, cela prouvait seulement que c’était une voleuse mais cela n’aidait pas vraiment à résoudre le meurtre. Il y avait un tueur à bord et il était impossible pour l’instant de le confondre.

Pendant ce temps, le capitaine et Nick poursuivaient les interrogatoires. Après avoir raccompagné Louise dans sa chambre, ils passèrent à Tanner. Le fondé de pouvoir ne leur appris rien de nouveau. Charles était son patron, comme son père avant lui. Il n’avait ni animosité, ni amitié particulière envers lui. Il leur expliqua que Norman allait hériter de la compagnie et de l’immense fortune familiale ; il en était très modérément contrarié car il leur avoua qu’il doutait un peu des compétences de Norman. Mais de toutes façons, il n’avait pas son mot à dire, donc il continuerait à faire son travail sans état d’âme.

Ce fut ensuite le tour du frère. Norman semblait sincèrement affecté par la mort de son frère. Il paraissait même un peu perdu, ne sachant que faire. Il leur dit qu’effectivement ils avaient eu des mots, quelques jours plus tôt à cause de ses dettes, mais ce n’était pas la première fois et Charles finissait toujours par céder. De toutes façons ses dettes étaient probablement une goutte d’eau pour des personnes aussi riches.

Dorothy et Lily Grace arrivèrent au moment où Katarina entrait dans le petit salon. Elles lui montrèrent les papiers d’identité qu’elles avaient trouvé et l’actrice leur répondit sans ciller qu’ils étaient bien à elle. Son père avait occidentalisé leur nom suite à leur arrivé aux Etats-Unis en 1915 après avoir fui Moscou. Ne faisant aucun mystère de ses origines, elle leur avoua que sa famille avait fait fortune dans le commerce de pierres précieuses. C’est par son ami Elisa qu’elle avait été introduite dans la famille Winsworthy. Elle déclara qu’entre Norman et elle, cela avait été le coup de foudre et qu’ils se fréquentaient depuis plusieurs mois. A ces mots, les filles comprirent que c’était surtout la situation financière et sociale de Norman qui l’intéressait vraiment, et puis c’était un bel homme ce qui ne gâchait rien au tableau. Charles avait toujours été charmant avec elle, comme avec la plupart des gens d’ailleurs. Cela dit, elle ne le rencontrait que dans un cadre mondain et elle ne savait absolument rien par exemple de ses affaires, et à vrai dire elle ne s’y intéressait même pas.

Dorothy et Lily Grace insistèrent ensuite pour interroger à leur tour Louise. Cette fois la belle anglaise fit moins la maline. Plus incisives et malgré les protestations d’un Nick désemparé, elles finirent par réussir à lui faire avouer son imposture : elle n’était absolument pas étudiante et vivait plutôt bien de ses petits larcins réalisés dans la haute société à laquelle elle se mêlait habituellement. Sa rencontre avec Charles avait été soigneusement organisée. Tandis que la pluie battait aux hublots, Louise pleurait des larmes de crocodile sans émouvoir ses interrogatrices. Le capitaine lui intima de regagner sa cabine et de ne pas en sortir jusqu’à nouvel ordre.

Dans le salon, l’ambiance tournait au vinaigre. Après les invectives, les regards soupçonneux et un silence pesant avaient gagné les passagers. La pluie qui les empêchait de sortir et le roulis de plus en plus violent n’arrangeaient rien à la situation. En fait, il faisait vraiment un temps de chien ! Plusieurs commençaient même à avoir le mal de mer.

Les interrogatoires continuèrent donc dans cette ambiance morose et presque irréelle. Norman puis Henry Tanner apportèrent quelques informations sur la situation économique de l’entreprise qui semblait très prospère.

Max Hansen en revanche ne leur apprit rien si ce n’est que définitivement c’était un personnage très désagréable. Quant à Plug, il ne connaissait pas Charles avant ce voyage et il avait été invité très clairement car Charles voulait qu’il réécrive les dialogues d’une mauvaise comédie musicale. Mais il avait refusé et Charles n’avait aucun moyen de le forcer à le faire. Et dans tous les cas, il n’avait aucune raison de le tuer pour si peu. Effectivement …

Au tour d’Elias Saphir, le ton fut plus houleux. Sa relation avec Elisa et les signes sur le bureau ne jouaient pas en sa faveur. Il se défendit pourtant bien, expliquant qu’ils avaient mis un terme à leur relation et qu’il ne risquerait pas sa carrière d’une telle manière. Il était, aussi, au courant de l’opérette de Charles et avait accepté de la produire mais n’en avait pas vu une ligne jusqu’à présent.

La dernière à être questionnée fut Elisa. Elle était encore en état de choc et complètement dévastée. Il y avait un contrat de mariage et n’avait donc pas grand-chose à gagner à la mort de son époux. Elle avoua sans trop de difficulté qu’elle avait eu une liaison avec Elias Saphir ; cela remontait à assez longtemps d’ailleurs. Charles l’avait découvert, mais là encore, en cas de divorce, elle aurait reçu une confortable pension et n’avait donc guère d’intérêt à tuer son époux.

Le principal héritier était Norman. Mais le décès de son frère le propulsait à la tête de l’entreprise familiale et il ne semblait pas que ce soit sa plus grande ambition. Ce dernier semblait hagard, ne semblant pas réaliser les évènements, buvant plus que de raison.

Bref, après cette première série d’interrogatoires et de fouilles, il fallait bien constater que les pistes ne se bousculaient pas. Des secrets, de petits mobiles, mais rien qui paraisse suffisant pour commettre un meurtre…
Dernière modification par Lotin le lun. août 20, 2018 10:51 am, modifié 2 fois.
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La suite.

ACTE 4

Le repas du soir fut servi comme d’habitude mais on était loin de la gaieté des jours précédents. Non seulement les passagers n’avaient pas faim pour certains, mais avec la tempête qui grossissait à l’extérieur plusieurs n’auraient de toutes façons rien pu avaler et sûrement pas Nick qui fut l’objet d’une « private joke » de la part des matelots, lui faisant avaler un café salé pour lutter contre le mal de mer, « un vieux truc de marin !».

En recoupant plusieurs fois sa part de tarte, Lily Grace songeait que l’une des personnes avec qui elle vivait depuis plusieurs jours, avec qui elle avait dû converser, partager un verre, rire certainement… une de ces personnes avait assassiné Charles Winsworthy. C’était invraisemblable !

Pendant que tout le monde était en train de manger (ou d’essayer), Nick et Fay en profitèrent pour fouiller la salle commune, à la recherche de la clef ou de tout autres indices. Lily les vit passer la mine dépitée et compris qu’ils n’avaient rien trouvé. Elle les vit se diriger avec Kenneth vers la porte qui menait à l’extérieur. Mais qu’allaient-ils faire dehors par ce temps ? Elle se leva pour essayer de les dissuader mais elle n’atteint le couloir que pour voir la porte se rabattre et claquer dans le vent non sans laisser entrer des trombes d’eau. Mais quelle mouche les avait piqués ?
Comme elle approchait de la porte, à la lumière d’un éclair, elle vit Fay glisser et tomber sur le pont trempé par l’orage et soumis au gite du creux des vagues. Kenneth se précipita et réussi à la ramener à l’intérieur tandis que Lily tenait la porte se retrouvant trempée jusqu’aux os en quelques secondes. Fay se tenait l’épaule en grimaçant sous la douleur et le diagnostic fut sans appel : clavicule cassée ! Ils la menèrent dans leur cabine. Nick lui immobilisa le bras et lui donna des anti-douleurs. Il n’y avait pas grand-chose de plus à faire. Ils voulaient fouiller les chaloupes. Nick quant à lui était allé voir la timonerie et interroger le capitaine et la salle des machines dans le pont inférieur.

Les passagers ne trainèrent pas longtemps ce soir-là et tous regagnèrent leurs cabines en silence et bien plus tôt que d’habitude. Seul Plug et Elias s’accordèrent un petit verre en discutant du meurtre et de la présence, après tout assez étrange, de ce petit groupe hétéroclite. Dorothy et Lily Grace décidèrent de rester aussi. Une fois tout le monde couché, elles s’installèrent dans l’obscurité du salon, en face du couloir, bien décidées à surveiller les faits et gestes de chacun. Kenneth et Nick viendraient les relever plus tard. Mais le sort en décida autrement.

Elles attendaient depuis à peine plus d’une heure quand Fay surgit dans le couloir en disant qu’il y avait un drôle de bruit, comme si quelque chose tapait sur la coque. Dorothy et Lily écoutèrent attentivement mais ne perçurent rien. Elles la raccompagnèrent, en essayant de la rassurer, les médicaments devaient troubler ses sens et lui donnaient peut-être des hallucinations. Mais à peine avaient-elles réussi à la recoucher qu’un cri leur parvint de la l’extérieur. Saisissant chacune un manteau, elles se précipitèrent. Cela venait de la timonerie ; les matelots semblaient courir dans tous les sens, le capitaine hurlait des ordres contradictoires. Plusieurs passagers sortirent des cabines, il y avait plusieurs voies d’eau… Le Hettie était sur le point de couler.
Dans la panique, Dorothy, Lily et Kenneth se précipitèrent vers la cabine du capitaine, hors de questions de partir sans les armes, avec un tueur parmi eux… Puis tous se précipitèrent aux chaloupes. Étonnement, l’une était pleine de caisses d’alcool qui furent jetées à la mer sans plus de ménagement tandis que Fay et Kenneth s’agitaient bizarrement.
Tous réussirent à prendre place dans l’un ou l’autre des canots, mais les amis furent séparés : Fay, Kenneth et Lily d’un côté, Dorothy, Nick et Jackson de l’autre.

En quelques minutes, le magnifique yacht disparut dans les flots emportant avec lui le corps de son propriétaire, sépulcre aquatique.

La mer était déchainée ; les chaloupes se soulevaient et retombaient, menaçant de chavirer à chaque instant. Dans la nuit, Lily discernait à peine l’autre canot, lorsqu’un éclair fendait l’obscurité. Elle avait froid, ne sentait plus ses pieds ni ses doigts. Elle avait peur aussi. Allaient-ils tous périr ici ? Elle pensait à Samuel : avait-il aussi vécu la même situation avant de disparaitre. Perdue dans ses pensées, elle regardait sans comprendre les matelots et Kenneth qui s’agitaient essayant d’attraper une corde pour se rapprocher de l’autre chaloupe. L’espace d’un instant entre deux creux de vagues, elle discerna une forme blanche qui tombait de l’autre canot. À cette distance, impossible de voir de qui il s’agissait. La scène était effrayante : on entendait les cris entre les rafales et le tonnerre et par intermittence on voyait les gens se pencher vers l’homme à la mer, puis tout disparaissait dans un écran d’écume. Elle reconnut Dorothy et Jackson en train de hisser l’homme hors de l’eau :

“oh my God ! C’était cousin Nick !”

Les chaloupes se rapprochèrent enfin. Nick semblait aller bien même s’il était totalement détrempé mais il avait aussi l’air très en colère. L’eau s’accumulait à l’intérieur des chaloupes et il fallait écoper en permanence. Autour des deux petites embarcations, des formes apparaissent entre les vagues : des dauphins certainement ou des phoques… Et puis il y eut des coups sur la coque. Lily essaya en vain de se souvenir si ces bêtes étaient carnivores. Au loin, à la lumière intermittente des éclairs il lui sembla voir des têtes hors de l’eau… mais elle devait divaguer… Plusieurs personnes essayèrent de repousser les créatures avec leurs rames. Mais très vite les coups s’arrêtèrent et les étranges animaux s’éloignèrent.

ACTE 5

Jamais de sa vie elle n’avait eu aussi froid. Son manteau était complètement détrempé. Elle avait mal aux bras à force d’écoper. Impossible de dire depuis combien de temps ils étaient là.
Finalement, la tempête commença à se calmer. Certains s’étaient endormis. Lily Grace somnolait en écopant machinalement.
Petit à petit le ciel s’éclaircit et le matin gris et froid arriva enfin. Les deux chaloupes glissaient sur une mer d’huile au milieu d’un brouillard cotonneux. La capitaine regarda les instruments qu’il avait réussi à sauver et indiqua une direction dans laquelle les plus valides commencèrent à ramer.
Au bout de quelques temps une immense forme sombre jaillit de la brume, un immense cargo. Mais il restait silencieux et immobile ; la coque était rongée par la rouille, mais à l’avant on pouvait encore distinguer les lettres blanches du nom, Mary Flanders, et du port d’attache, Gand.

Les naufragés appelèrent, d’abord en vain, puis une tête farouche apparut sur le pont, suivie d’une deuxième et d’une troisième. Une échelle de corde se déroula jusqu’à eux.
Avec difficulté, les anciens passagers se hissèrent à bord ; Kenneth dut aider Fay, handicapée par son bras en écharpe. Pour Lily Grace aussi ce fut une épreuve : elle n’était pas très sportive en temps normal et là, c’était encore pire, après une nuit dans le froid, avec un manteau en fourrure qui pesait une tonne et qu’elle finit par abandonner dans la chaloupe et avec cette échelle à l’état douteux… Et que ce bateau était haut !

À bord, ils furent assez mal accueillis par des matelots à la mine patibulaire qui leur prirent évidemment leurs armes. Le pont était également couvert de rouille et tout était décrépi autour d’eux. À travers un dédale de couloirs, on les conduisit jusqu’au capitaine de cet étrange navire. Il se trouvait dans une partie en bien meilleur état, de grandes salles fortement éclairées et à la décoration clinquante, dans l’une se trouvait un grand bar, avec de grandes étagères chargées de quantité de bouteilles d’alcool. Ils comprirent enfin, ils se trouvaient dans un tripot clandestin, installé hors des eaux territoriales américaines.

Le capitaine « Johnson » se présenta à eux ; c’était un homme souriant mais peu sympathique pourtant. Il leur expliqua sans détours qu’ils étaient une gêne pour lui. Il acceptait cependant de leur offrir l’hospitalité, tant qu’ils ne fouinaient pas trop : ils pouvaient circuler librement sur le pont et au premier niveau, mais si on les trouvait ailleurs, ils seraient jetés par-dessus bord. Pour repartir, ils allaient devoir convaincre un de ses « associés » de les ramener, mais il faudrait certainement payer et cela risquait d’être un peu long.
Inutile de protester… après tout, ils étaient sauvés, du moins pour le moment.

Les matelots les amenèrent ensuite dans leurs « quartiers » : deux pièces rouillées et puantes en vis-à-vis et séparées par une coursive en mauvais état. Les marins leur donnèrent des vêtements également douteux mais secs et des couvertures à la propreté approximative. Il fallut encore se changer sous leur regard concupiscent. Les jeunes femmes se cachèrent les unes les autres ; Lily Grace réussit même à conserver son Derringer hors de leur vue.
Puis on leur proposa de leur donner à manger. On était loin du luxe des repas du Hettie, en fait ce n’était même pas très bon, mais tous avaient si faim qu’aucun ne rechigna. Le cuisinier, un petit chinois revêche répondant au nom de Su, leur ordonna, dans un anglais approximatif, de laver leurs assiettes. Ce qu’ils firent sans broncher, bien décidés à faire profil bas tant que leur situation resterait aussi précaire.
Rassasiés, ils rejoignirent leurs quartiers. Lily Grace s’endormit comme une masse, malgré l’odeur désagréable, la couverture qui grattait et le sentiment d’insécurité qui pesait sur ses épaules. Fay la réveilla quelques heures plus tard ; la nuit était tombée et de la musique leur parvenait des « salles de réception ».

Après un brin de toilette, avec de l’eau froide et un peigne que l’une des passagères avait sauvé du naufrage, les filles se dirigèrent vers le bruit et la lumière. Elles retrouvèrent les hommes attablés autour d’un plat avec la même pitance que quelques heures plus tôt. Le cuisinier semblait toujours d’aussi mauvaise humeur. Lily remarqua que Katarina discutait discrètement avec Nick pendant le repas.
Dans une des salles, des tables de jeux s’organisaient. Un groupe de « clients » venait de monter à bord, des marins. Norman ne put résister et sortit, d’on se sait où, quelques billets verts avant de s’installer à une des tables, véritablement truquées, d’après ce que Fay, habituée à ce genre milieu, pouvait en juger. Elias offrit des verres aux passagers pour leur remonter le moral. Fay tenta d’engager la conversation avec un des marins pour voir s’ils étaient disposés à les ramener, mais la conversation tourna court. Henry Tanner et le capitaine demandèrent à un autre de poster une lettre pour eux en échange d’une contrepartie sonnante et trébuchante.

Lily se dit qu’elle pourrait bien en faire autant, essayer de joindre Daddy pour qu’il envoie de l’aide ; mais comment faire ? Elle n’avait pas pu récupérer d’argent avant le naufrage et ses bijoux et vêtements de couturiers ne pourraient désormais plus servir qu’aux poissons… elle en portait bien quelques-uns mais son alliance et ses boucles d’oreilles était un cadeau de Samuel. Hors de questions pour elle de s’en séparer. Elle était perdue dans ses réflexions, quand Nick vint l’interrompre. Il lui raconta que Katarina lui avait donné rendez-vous. Elle savait qui était le meurtrier de Charles et celui qui l’avait poussé hors de la chaloupe.

- « Comment ? Quelqu’un t’a fait tomber à l’eau ? Ce n’était pas un accident ?
- Non, on m’a poussé ! grinça Nick en rougissant de rage. Mais je n’ai pas vu qui c’était. Katarina était là, avec Norman, Henry Tanner, le capitaine et Plug.
- Bon, c’est donc un de ceux-là. Mais ça pourrait aussi être Katarina. Il pourrait y avoir un piège.
- Oui c’est pour ça que je t’en parle, évidemment !
- Ok, ok ! Où est-ce que vous devez vous rencontrer ?
- Sur le pont supérieur à minuit.
- Très bien. On va y aller avant avec Dorothy et Kenneth et on surveillera tes arrières. »

Peu avant l’heure, Dorothy et Lily Grace se faufilèrent sur le pont. Il faisait toujours aussi froid et une fine bruine ruisselait et s’insinuait partout. Katarina était en retard. Nick faisait les cent pas en l’attendant, surveillé par Kenneth, posté en arrière. De l’autre coté du pont, Dorothy remarqua une étrange silhouette qui furetait dans l’ombre. Elle prévint Lily et toutes deux décidèrent d’essayer de s’approcher. L’homme de petite taille se tenait courbé et clopinait d’une manière assez grotesque. Il s’approcha du bord, passa par-dessus le garde-corps, glissa le long de la coque puis plongea silencieusement. En bas, les filles parvinrent à distinguer plusieurs têtes émergées de l’eau. Un étrange dialogue s’ensuivie, ressemblant à du français mais dans un flot incompréhensible de gargouillis. Une des silhouettes dans l’eau donna alors une sacoche au premier homme qui, tournant la tête aperçu les filles qui les observaient. Ils plongèrent alors soudainement. Lily Grace et Dorothy attendirent mais nulle forme ne remonta à la surface. Cela leur rappela ces effrayantes apparitions qui accompagnaient ce qu’ils avaient d’abord pris pour des dauphins. Ces… « choses » les avaient donc suivis jusqu’ici ?

Après quelques minutes, Dorothy et Lily Grace rejoignirent Nick. Elles le trouvèrent presque au bord de l’hystérie.

- « Mais où vous étiez passées ?
- On a vu une chose vraiment étrange…
- Peu importe ! Katarina n’est pas venue et j’ai seulement trouvé une de ses chaussures ! Oh my God ! »

Nick, suivi de Kenneth, inspecta alors le pont jusqu’à finalement découvrir derrière des caisses et des cordages, le corps de la jeune femme. Elle avait visiblement été trainée ici pour y être cachée. Des marques bleutées autours de son cou ne laissaient aucun doute sur la manière dont on l’avait tuée. Lily essaya de calmer son cousin. Ils s’interrogèrent sur la pertinence de donner l’alerte. D’abord, ils pouvaient être accusés de ce meurtre, Nick ou Kenneth en tous cas, car il fallait quand même une certaine force pour étrangler quelqu’un. Et puis, quelle pouvait être la réaction de leur nouvel hôte, le capitaine Johnson…. Un tueur à bord de son bateau, cela pouvait être synonyme d’un aller simple à la mer pour tous ces passagers « gênants ».

Par élimination, ils établirent que les seules personnes à la fois dans la chaloupe avec Nick et assez proche d’eux au repas pour entendre Katarina étaient Norman et Henry Tanner. Le premier se trouvait dans la salle de jeu la dernière fois qu’ils l’avaient vu. Ils s’y précipitèrent. Norman était engagé dans une partie très tendue avec trois marins. Elias qui était là en train de siroter un whisky leur expliqua que l’enjeu était une place pour Katarina et lui dans le bateau des marins… il leur confirma en outre qu’il avait passé la soirée à jouer et n’était pas sorti.

Le coupable était donc Henry Tanner !! Mais comment le confondre ? Ils avaient besoin de preuves plus solides. Dépités, ils décidèrent néanmoins d’aller se coucher et d’attendre le lendemain pour reprendre leurs investigations.

Les filles rentrèrent dans leur cabine, elles n’eurent pas le cœur de réveiller Fay pour lui raconter leur soirée. La pauvre souffrait le martyre avec sa clavicule cassée, si elle avait réussi à s’endormir, inutile de la réveiller.

Malheureusement pour Fay, la nuit qui s’engageait n’allait pas lui permettre de se reposer. Ce sont des cris qui la réveillèrent en sursaut moins d’une heure après le retour des filles. Des cris horribles et glaçants. Ils semblaient venir des entrailles du navires, en dessous de leur cabine. Lily saisit son Derringer, faute de mieux, et les trois jeunes femmes sortirent en se serrant les unes contre les autres. À l’extérieur, elles retrouvèrent Nick, Jackson et Kenneth qui avaient trouvé une lourde barre de fer. On leur avait interdit de se promener dans la cale, mais là c’était un cas de force majeure. Et puis, il n’y avait personne sur le pont ; les matelots du Mary Flanders devaient dormir ou s’éterniser au bar ou dans la salle de jeu. On entendait encore de la musique et donc ils n’avaient certainement pas entendu les cris.

Les amis s’engagèrent alors dans les escaliers brinquebalants qui descendaient dans le navire. De nouveaux hurlements brisèrent le silence et leur indiquèrent la direction à suivre. Ils s’enfoncèrent lentement dans les couloirs obscurs, à l’air vicié par l’humidité et de vieilles émanations d’hydrocarbures. Très vite, ils tombèrent sur un premier corps, sur le seuil de la cale. Dorothy et Lily reconnurent la silhouette qu’elles avaient guettée plus tôt dans la soirée. De près, le corps était encore plus difforme qu’elles n’auraient imaginé ; mais difficile de dire ce qui était le plus effrayant de ses malformations troublantes ou des affreuses blessures qui mutilaient ce pauvre éclopé. Il semblait avoir été attaqué, dans le dos, par un animal sauvage tant ses blessures ressemblaient à des griffures. L’homme, au teint livide, portait un sac en bandoulière dans lequel se trouvait une douzaine de pièces d’or d’origines diverses et un flacon portant une étiquette usée, avec la marque « A. G. Ackermann Glass Works ». De la petite bouteille, débouchonnée, émanaient de fortes odeurs d’iodes, d’algues et de poissons avariés.

Des traces de sang s’éloignaient de la scène, s’enfonçant encore dans la cale. Ils les suivirent prudemment. Au bout de quelques mètres, ils trouvèrent un second corps, un matelot certainement, qui gisait dans une mare de sang, aussi horriblement défiguré que le précédent. À côté du cadavre, était étalé un liquide visqueux avec la même odeur que le flacon. Il formait un étrange dessin géométrique. Ils suivirent des traces de ce même liquide sur les murs qui remontaient de la cale jusque dans la cuisine. En entrant, ils découvrirent le corps de Su, mort.
De nouveaux hurlements se firent alors entendre depuis la salle du dancing et s’accompagnaient d’autres bruits de chocs, d’objets renversés et de verre brisé. Ils remontèrent aussi vite que possible. Il y avait cette fois beaucoup plus de monde sur le pont : des matelots qui se précipitaient aussi vers les cris, les passagers du Hettie et d’autres employés de ce casino clandestin, réveillés par le vacarme et l’air hagard. L’agitation se concentrait dans les salles de réception. Lily Grace serrait très fort son petit pistolet ; le cœur battant. Qu’allaient-ils trouver là-bas ? En approchant, elle remarqua des effluves nauséabonds de poissons en décomposition. Ils croisèrent plusieurs marins terrorisés qui s’enfuyaient.

Ils ralentirent l’allure pour approcher plus prudemment ; des coups de feu retentirent. Le bar était un vrai champ de bataille, tables et chaises renversées, plusieurs personnes à terre, du sang au sol et sur les murs. Et puis, au milieu de cette confusion, une masse énorme et mouvante. Lily Grace n’en croyait pas ses yeux, mais qu’est-ce que c’était que cette chose ? Une gelée sombre, avec des griffes ou des crocs… la forme changeait en permanence… ah mais non ! elle était en train de se dédoubler !
Un marin tira dessus, les balles s’enfoncèrent sans même la ralentir. Les armes blanches ne lui faisaient pas plus d’effet. Le monstre gélatineux et puant, enfin les deux monstres désormais, avançaient et engloutissaient tout sur leur passage.

Quelqu’un cria : « Du feu ! »
Oui ! Il fallait essayer de la brûler. Ils attrapèrent des bouteilles d’alcools forts et les jetèrent sur l’une des créatures. L’alcool l’éclaboussa quand elles se brisèrent au sol. Le monstre se tourna vers eux. Dorothy sorti son briquet et comme elle commençait sont geste elle fut bousculée et tomba devant la chose. Lily et Fay se retournèrent et virent Henry Tanner qui pivotait déjà pour s’enfuir ; par reflexe elle pointa son Derringer et tira. L’homme touché s’effondra, à la surprise de Lily, qui ne pensait pas pouvoir abattre quelqu’un avec cette arme minuscule.

Pendant ce temps, Dorothy s’était relevée et avait jeté le briquet. L’horrible gelée s’enflamma, se tortillant dans de pitoyables convulsions, fauchant au passage Fay, qui tomba. L’odeur était insupportable mais la chose finit par s’effondrer, voire totalement fondre. Sans plus attendre Kenneth s’empara d’une bouteille d’alcool et de son briquet et maîtrisa la deuxième abomination, non sans être, lui aussi, légèrement brûlé par la bête qui tentait de se débattre.

Le feu commença à se propager dans les salles, alimenté par la grande quantité d’alcool qui se trouvait là.

Le navire tout entier allait sans doute brûler. Les survivants se précipitèrent vers les bateaux qui avaient accosté ce soir-là et les canots de sauvetage. Lily et ses amis n’eurent pas de mal à trouver de la place d’autant que leur geste héroïque avait sauvé bien des vies et les spectateurs les accueillirent donc sans se faire prier.

Quelques jours furent nécessaires pour rejoindre la terre ferme et par précaution, ils accostèrent de nuit, quelque part entre Portland et Portsmouth. Le soir même Nick et Lily regagnaient le doux foyer de Daddy qui écouta leur incroyable périple en faisait les gros yeux. Ils omirent cependant de lui parler du monstre-gelée, remplaçant cet épisode par une simple bagarre entre marins.

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Lotin
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

Message par Lotin »

Compte-rendu de l'épisode new-yorkais des Masques de Nyarlathotep par deux de mes joueuses épaulées par un troisième joueur, pour varier les plaisirs. Mes joueurs se font plaisir à écrire c'est donc long très romancé, de plus ça dévoile des secrets de la campagne à mort donc joueur potentiel passez votre chemin.

Saison 2 Episode 1 – Rendez-vous (New-York)
Acte 1
Janvier 1925


Suite à leur aventure sur le Hettie en septembre 1922, Dorothy Baker, Kenneth Cowan, Jackson Elias, Elisabeth Grace Franklin, Nick Mason et Fay Watson avait chacun repris le cours de leur vie sans qu’aucun événement d’ordre mystique, macabre ou surnaturel ne vienne perturber leurs habitudes. Alors que Lily Grace se remettait péniblement de la disparition de son mari, son cousin Nick finissait ses études et installait son propre cabinet médical à Boston même. Fay et Kenneth nageaient à nouveau dans les bas-fonds de la vie nocturne au Red House et Dorothy continuait à se faire un nom et à se constituer une clientèle importante.

Au cours des trois années suivantes, ils reçurent régulièrement des nouvelles de Jackson, parti par monts et par vaux, à la recherche d’informations susceptibles de l’aider pour son roman sur « Les procès en Sorcellerie » ; et en 1923, un télégramme leur parvint disant qu’il avait retrouvé la trace du Kybalion d’Honorius ! Le 13 janvier 1925, un nouveau télégramme arriva. La teneur du message, empreint d’excitation, les enjoignait de le rejoindre le 15 janvier 1925 à 20h précise à l’hôtel Chelsea de New-York, chambre 410. Il disait avoir des informations cruciales au sujet de l’expédition Carlyle mais les suppliait de rester discrets.

Relativement perplexe, connaissant de très loin l’histoire de l’expédition Carlyle et ne voyant pas trop en quoi une vieille histoire de chercheurs de trésors pouvait les concerner, Lily Grace, Kenneth et Fay partirent cependant ensemble de Boston, heureux de pouvoir retrouver leur ami et acolyte dans moults aventures rebondissantes, impatients d’entendre ses récits de voyage, déçus cependant de ne pas retrouver Dorothy, Vernon et Nick qui n’avait pu se libérer à temps.

À leur arrivée sur New-York, la ville leur apparaît entièrement recouverte de neige. L’hiver est rigoureux cette année-là et de nombreuses tempêtes s’abattent sur la partie ouest des États-Unis. La ville fourmille. De nombreuses voitures sillonnent les avenues, le métropolitain vrombit dans les sous-sols. Ils se garent devant l’hôtel Chelsea à 20h. Le bâtiment en brique rouge accuse les années passées mais, malgré des prix bon marché, il demeure assez bien entretenu.

Après s’être renseigné auprès du réceptionniste, ils montent jusqu’au 4e étage et frappe à la porte de la chambre. Aucune réponse. Un homme s’approche alors dans le couloir, la trentaine, arborant un air étonné de trouver des personnes devant la chambre. Il se présente - Andrew Patterson, du Bureau of Investigation (BoI) – et leur explique qu’il est venu à la demande de Dorothy. Il ne s’attendait pas à ce que d’autres personnes soient au rendez-vous. Alors que chacun commence à se présenter, Kenneth entend des chuchotements provenant de derrière la porte, plusieurs voix d’hommes. Il ouvre la porte brutalement et est saisi par le froid qui règne dans la chambre ainsi que par la présence de deux hommes, noirs, armés de grandes machettes, prêts à bondir sur lui. Il réussit à stopper l’un des hommes mais ne peut empêcher l’autre de lui asséner un violent coup sur le torse. Il parvint à maintenir l’un d’entre eux dans l’encadrure de la porte. Andrew et Fay tentent de tirer Kenneth vers le couloir, sans succès, alors que ce dernier continue de se faire malmener sous les cris désespérés de Lily Grace. Kenneth, du haut de ses deux mètres occulte complètement le passage vers la chambre. Andrew réussit malgré tout à tirer sur l’homme qui s’effondre. Tandis que Fay s’occupe de la profonde entaille de Kenneth, Lily Grace et Andrew pénètrent dans le vestibule, enjambant le corps des deux africains vêtus pauvrement. La porte sur la droite qui donne dans la chambre proprement dit est entrouverte, le froid est de plus en plus intense. La chambre est entièrement retournée, des affaires traînent sur le sol, l’armoire est ouverte, tout semble avoir été minutieusement fouillé. Et au milieu de ce capharnaüm, une vision d’horreur ; le corps sans vie de Jackson est étendu sur le lit.

Andrew aperçoit par la fenêtre ouverte, deux silhouettes se précipitant par l’échelle de secours. Par réflexe, il se précipite vivement, descendant les marches quatre à quatre. Les deux hommes s’engouffrent dans une voiture, suivie de près par Andrew qui, usant de sa plaque d’agent fédéral, a réquisitionné la voiture d’un automobiliste. Malheureusement, les deux hommes se faufilent dans les petites rues du quartier de Harlem et parviennent à semer l’agent Patterson.

Pendant ce temps, dans la funeste chambre 410, Kenneth, Lily Grace et Fay examinent le corps de leur ami. Entièrement nu, Jackson gît sur le dos, un large poignard planté dans son torse. Sur son front, un signe est gravé au couteau ; des rayons, évoquant vaguement un soleil, entourés d’une parenthèse. Ils ne reconnaissent que trop bien ce signe, déjà observé sur le torse de la goule prénommée Khan. Abattus et profondément choqués, les trois amis s’efforcent de fouiller la chambre et découvrent le sac à dos de Jackson caché sous le lit que les assaillants n’avaient pas eu le temps de découvrir.

Trois policiers, prévenus par des clients effrayés de l’hôtel, arrivent sur ces entrefaites. Lily Grace et Fay prennent soin de ranger dans leur sac à main les affaires de Jackson. Il n’est pas question pour elle de laisser de précieux indices aux forces de police, indices qu’ils ne comprendraient sûrement pas. Comment expliquer ce signe vu sur une goule ou ce lien peut-être avec le Kybalion qui permet d’invoquer des créatures abominables. Non, trop de questions en suspens, la décision est prise – un regard suffit – elles en diront le moins possible. Kenneth mutique hoche la tête imperceptiblement.

Ils sont rapidement interrogés par le lieutenant Martin Poole, plus que circonspect par la présence de ces trois individus au milieu de trois cadavres. L’interrogatoire tourne court cependant, car Andrew Patterson, revenant de sa course-poursuite les met hors de cause et décide de prendre les choses en main, écartant le lieutenant Poole de l’affaire. Il s’empresse de contacter les agents du BoI afin de passer en revue la scène du crime.

Prenant des chambres dans un hôtel (moins miteux d’après Lily Grace), ils prennent soin d’étudier le contenu du sac de Jackson. C’est avec tristesse qu’ils découvrent sa pipe, ses lunettes, sa flasque et surtout ce petit cahier noir sur lequel, constamment, il griffonnait.

- « Ça nous agaçait tellement » lance Fay en ouvrant le carnet pendant que Kenneth, retenant ses larmes, offrait une goutte de la flasque encore pleine à ses compagnons : « à sa mémoire ».

Dans son journal, Jackson raconte comment en août 1923 en cherchant les « Papiers des procès en sorcellerie », un de ses amis de l’université Miskatonic, le doyen Bryce Fallon, lui a fait savoir qu’une bibliothèque privée de la succession Hobbhouse allait être mise aux enchères. L'évaluation des ouvrages de la succession, gérée désormais par la famille Cobb, avait été entre-temps confiée à Charles Leiter de l'université. Jackson avait réussi, en se faisant passer pour un étudiant auprès de la famille Cobb, à avoir accès à la liste des ouvrages dans laquelle figurait le Kybalion. Quelques jours plus tard, le doyen prévenait Jackson que Leiter avait été retrouvé mort dans son bureau et que, par conséquent, il avait été remplacé par un certain William Hampton. Ce dernier découvrit alors que Leiter créait des faux avec l'aide de Cecil Hunter, un étudiant en art. Intrigué, Jackson réussi à se faire transmettre le certificat de décès de Leiter par le docteur John Wheatcroft qui concluait à une insuffisance cardiaque massive et soudaine, rare chez un homme ne dépassant pas la cinquantaine. L'étudiant, quant à lui, fut, peu de temps avant le décès de Leiter, interné à l'asile d'Arkham suite, apparemment, à une crise liée à forte consommation d'alcool et d’opiacés.

Finalement, lors de la vente aux enchères à New-York à la galerie Doyle, le Kybalion fut acheté par un riche africain à un prix exorbitant. Un autre livre retint cependant l'attention de Jackson - le livre d'Ivon - qui, chose étonnante, faisait partie d'une série d'ouvrages ayant appartenu à Roger Carlyle. Le livre, trop cher, ne trouva cependant aucun acquéreur. À partir de là le récit de Jackson devient moins prolixe, il semble s'être plongé dans l'histoire de l'expédition Carlyle. La dernière phrase qu'il écrivit le 18 avril 1924 fût « Cette histoire de l'expédition Carlyle est passionnante ! Je comprends pourquoi elle avait fait tant de bruit à l'époque !! ».

- « D’après son passeport, il est parti trois mois plus tard en Égypte » énonce Lily Grace, « puis au Kenya en juillet. Il y est resté presque un mois. Ensuite, en Chine, à Hong-Kong puis à Shangaï. Le 15 octobre, il embarquait pour l'Australie et enfin direction Londres. Il est revenu sur New-York il y a à peine deux jours ! ».

Dans son portefeuille, ils découvrent la photographie d'une vue de Shangaï, une carte de visite d'une entreprise d'importation « Emerson Import », avec inscrit au dos le nom Silas N'Kwane, une boite d'allumettes provenant d'un restaurant ou d'un bar « Le tigre trébuchant. Fête et amitié à Shangaï » sur Lantern Street et une carte de visite de la Fondation Penhew à Londres.

Quatre lettres attirent leur attention. La première est signée d'Arthur Emerson, qui déclare à Jackson avoir des informations qui pourraient l'intéresser. La deuxième est signée de Miriam Atwright, de la bibliothèque universitaire de Boston. Jackson recherchait un livre particulier qu'elle regrette de ne plus avoir mais indique que d'autres volumes pourraient le satisfaire. La troisième missive émane de Joseph Von Arvelde qui lui confirme avoir bien connu Anastasia Burnay. La quatrième lettre, enfin, n'est pas adressée à Jackson mais à Roger Carlyle. Il s'agit d'une correspondance datée du 3 janvier 1919 écrit par un certain Faraz Najir. Ce dernier proposait à Carlyle de lui rendre visite au Caire, rue des Chacals afin de lui proposer des pièces très anciennes qu'il espère pouvoir lui vendre.
Enfin, le dernier document était un dépliant sur la conférence du professeur Anthony Cowles de l’université Miskatonic, la veille à New-York, sur le culte des Ténèbres.

Le lendemain matin, ils passent un moment avec Vernon Sullivan afin de lui annoncer la triste nouvelle, puis se rendent à la maison d’édition Prospero Press au 581 Sherman Avenue afin d’y rencontrer Jonah Kensington, éditeur et ami de Jackson. Jonah, profondément bouleversé par la nouvelle, transmet au petit groupe tout ce qui concernait les dernières recherches de Jackson, que ce dernier lui avait confié ou envoyé.
Ils récupèrent ainsi un petit paquet de coupures de presse relatant l’expédition Carlyle en Egypte jusqu’à l’étrange disparition de ses membres au Kenya, où ils avaient décidé d’aller afin de se reposer suite à leurs éprouvantes recherches dans les tombeaux égyptiens. L’instigateur du projet, Roger Carlyle, éminent dandy de la haute société new-yorkaise, séduisant séducteur aux nombreuses conquêtes, s’était allié les compétences de cinq autres personnes : le très respecté archéologue britannique Sir Aubrey Penhew, la photographe Hypathia Masters, le psychanalyste de renom Dr Huston et un homme répondant au nom de Jack Brady. La cinquième personne intégrée à l'équipe n'est jamais mentionnée dans les coupures de presses, mais Jackson avait découvert qu'il s'agissait d'une femme d'origine congolaise du nom d'Anastasia Burney. Il suspectait d'ailleurs une aventure entre elle et Roger. La disparition du groupe fit la une des journaux et la sœur de Roger Carlyle, Erica, alla même jusqu’à enquêter sur place. La police conclut finalement que les meurtres avaient été perpétrés par des membres de la tribu Kikuyu alors que l’expédition entamait une excursion dans la vallée du grand rift, au nord-ouest de Nairobi.

Les courriers ou les pages de son journal que Jackson avait envoyé à Jonah sont dithyrambiques, surtout ceux concernant son voyage au Kenya. Ils découvrent avec stupeur que leur ami était persuadé que les membres du groupe étaient encore vivants. À la lecture des pages de son journal sur son enquête au Kenya, il est, en effet, persuadé que l'enquête a été bouclée à la va-vite pour couper court aux interrogations de la sœur de Carlyle. Il s'est rendu lui-même sur les lieux du massacre que les villageois appellent les Landes Stériles, seul, car même son guide trop superstitieux refusait de s'y rendre, il disait que les lieux étaient maudits par « le Dieu du Vent Noir des montagnes du Nord ». Effectivement, même Jackson, sur place, ressenti physiquement la désolation des lieux.
Il put, quelques jours plus tard, s'entretenir avec un certain J. Kenyatta, qui lui confirma que le culte du Vent Noir était dirigé par une prêtresse et que les tribus locales haïssaient la Langue Sanglante. Alors que Jackson exprimait son scepticisme face aux croyances de cet homme pourtant cultivé, ce dernier lui lança un regard intense et déclara calmement « le dieu de la Langue Sanglante n'est pas d'Afrique ! Pas d'Afrique ! » en lui serrant la main un peu trop longuement.

Peu de temps après, il rencontra le lieutenant Selkirk qui découvrit les restes de l'expédition Carlyle. Il raconta que les cadavres étaient dans un état de conservation remarquable. Les cadavres avaient été déchirés et éparpillés dans la clairière, d'une manière tellement systématique que c'était d'une « inquiétante étrangeté ». Il confirma, enfin, qu'aucun membre blanc de l'expédition n'avait été retrouvé, seuls les cadavres des porteurs jonchaient le sol de la plaine.

Enfin, Jackson rencontra un homme du nom de Nelson Nails qui affirmait avoir vu Jack Brady en 1923 à Hong Kong, rue Wang Shin au « Lys jaune » ! Pour Jackson, il n'en fallait pas plus, il tenait en effet quelque chose !

Se renseignant sur le culte de la Langue Sanglante, Jackson entendit beaucoup de croyances locales qui mentionnaient des histoires d'enfants volés, de sacrifices indicibles, de créatures aux énormes ailes...

Parmi les documents, ils découvrent une carte postale d’Australie que Jackson avait envoyé à Jonah. Il y décrit un grand Désert de Sable dans lequel les légendes, dit-il, sont la clé du mystère Carlyle.

Jonah tient dans sa main un dernier feuillet. Il hésite, un instant, à leur donner mais finalement leur tend une page sur laquelle ils reconnaissent avec difficulté l'écriture de Jackson.

- « Je l'ai reçu il y a peu de temps, depuis Londres. » déclare Jonah, arborant un air contrit.

Kenneth commence alors à lire, de sa voix basse, marmonnant à moitié :

- « Bien des noms, bien des formes, tous semblables et tendant tous vers le même but...... les rêves, les mêmes que Carlyle ?... les dossiers du psychanalyste... ils vont ouvrir la porte... des gouttes de sang qui forment des rivières... les livres de Carlyle... l'océan saura-t-il me protéger... Mary si j'avais su… Hurlons ensemble ».

Jonah ajoute que les seules autres informations qu'il a pu avoir de Jackson lors de son séjour à Londres sont les noms de ses deux contacts : James Barrington de Scotland Yard et Mickey Mahoney, éditeur du journal « The Scoop ».

Très vite, ils se rendent compte et éprouvent, presque maintenant comme une habitude, le caractère ésotérique de l’enquête de Jackson. Des histoires de mythes, de cultes et de rituels, sans frontière ni chronologie qui résonnent et ricochent sur leurs aventures passées. Inconsciemment, Kenneth effleure de sa main le petit sarcophage en or blotti dans la poche de son veston…

Hâtivement, et peut-être pour éviter de ressasser les sentiments qui les accablent, ils décident de poursuivre l’enquête de Jackson, bien décidés à faire la lumière sur son meurtre. Ainsi, Lily Grace se rend immédiatement à l'hôtel Kensington, rencontrer le professeur Cowles avant qu’il ne reparte sur Boston. Ce dernier, accompagné de sa fille Eva, lui explique brièvement la teneur de ses recherches sur le culte des Ténèbres en Polynésie et dans le sud-ouest du Pacifique. Il montre les diapositives de sa conférence représentant des photographies de monolithes sculptés, auxquels il fait clairement le lien avec le culte de la Chauve-Souris. Il souligne que de nombreuses attaques ont eu lieu chez les aborigènes, les victimes présentant toutes des traces étranges de blessures, tels des milliers de petites morsures.

Fay, pendant ce temps, récupère la voiture et se rend au domaine Spencer, le domicile de Joseph Von Arvelde. Au bout d'une heure de petites routes, elle finit par arriver en pleine campagne, regrettant d'avoir décidé de partir toute seule. Elle est reçue immédiatement par un majordome qui l'installe dans un petit salon à la décoration exotique. De nombreux trophées de chasse ornent les murs. L'homme âgé qui, finalement, s'approche d'elle ne fait qu'empirer son malaise naissant. Von Arvelde arbore un grand sourire en la voyant mais ses cheveux blancs épars et en broussaille, son complet élimé et ses grands yeux inquisiteurs lui donnent un air de savant fou. Ne voulant pas lui dire la vérité, elle explique qu’elle vient de la part de Jackson en réponse au courrier qu’il lui avait envoyé. Excité, Von Arvelde s'empresse de décrire Anastasia comme l'une des personnes les plus intéressantes qui lui ai été donné de rencontrer, rencontre qui a eu lieu une seule fois. D'après lui ses talents de poétesse n'ont rien à envier aux plus grands noms de ce monde, et c'est avec fierté qu'il lui tend, sous cadre, un poème qu'elle lui a généreusement donné. A la lecture du poème, décrivant son Congo natal, Fay remarque immédiatement qu'il s'agit là, en effet, d'une œuvre d'un très haut niveau intellectuel. Peu habituée à ce genre de littérature, elle note cependant que la maîtrise de l'anglais est accomplie chez Anastasia. Chose étonnante pour une personne dont ce n'est pas la langue d'origine.

Bafouillant des excuses envers son hôte, elle prend congé rapidement alors que ce dernier se lançait dans l'explication de ses propres recherches. Une histoire de chaînon manquant et de gorilles albinos. Elle n'écoute que d'une oreille, pressée de rejoindre l'habitacle de la voiture, dans laquelle il lui semble respirer à nouveau.

Andrew, plus concerné par le meurtre étrange, que par Jackson lui-même ou ses « lubbies » rejoint le bureau fédéral afin de dépêcher ses troupes sur les autopsies ou la recherche d’indices concernant les assassins, mais l'identification de ces derniers n'a rien donné de concluant jusqu'à présent. Fronçant les sourcils, il ne peut s’empêcher de ressentir sa frustration face aux méthodes peu orthodoxes des amis de Dorothy qui ont délibérément soustraits des informations importantes aux forces de l’ordre. Capitulant cependant, pour d’obscures raisons qui lui échappent, il lance un « Faîtes au mieux, et vite ! » à ses collègues avant de sortir d’un pas pressé pour retrouver ses « quoi d’ailleurs ? Équipiers ? Il va falloir que j’aie une petite conversation avec D. ! »
En sortant, il croise le lieutenant Poole qui, ne semblant pas lui tenir rigueur de l'avoir éclipsé de l'enquête, lui tend un porte-document dans lequel, déclare-t-il, des éléments pourraient lui être utile. Le remerciant, gêné, il découvre une compilation d'articles relatant des meurtres étranges de personnes diverses et variées mais portant toutes la même marque que Jackson au front.

- « J'ai tout de suite fait le rapprochement lorsque j'ai vu le corps de votre … ami » surenchérit Poole, visiblement réjoui devant l'air embarrassé de l'agent fédéral Patterson.

Kenneth, pendant ce temps, se rend à l'Emerson Import sur les quais, pour tenter d'établir un lien avec Jackson Elias. Il y rencontre Arthur Emerson, gérant de l'entreprise, qui leur indique que le nom inscrit au dos de la carte, Silas N'Kwane, est en fait celui d'un de ses principaux clients. Ce dernier tient une échoppe dans Harlem, Ju-Ju Boutique, qui fait importer d'Afrique par Emerson, et principalement de Mombasa au Kenya des objets typiques des folklores locaux : masques, bibelots, armes et apparats traditionnels des peuples nègres. A. Emerson est l’agent américain d’un exportateur kenyan, Ahja Sing, et son seul client est la Boutique Ju-Ju.
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

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La suite.

Acte 2
Janvier 1925


Suite à cette entrevue, les investigateurs réunis, décidèrent de suivre cette piste et se rendirent au 1, Ramson Street dans Harlem afin d'y rencontrer ledit Silas N'Kwane. Discrète, la boutique était blottie au fond d'une cour sombre et déserte, encadrée de hauts immeubles aux façades tristes et décaties. Un quartier de clapiers où s'entassait, dans la pauvreté la plus complète, une population noire principalement originaire des états du Sud ayant fui la ségrégation et les persécutions d'une vie d'esclave. En fait de liberté, ces populations majoritairement rurales découvrirent que la « grosse pomme » était véreuse et rongée, elle aussi, par la misère et la violence.

Sur place, le froid piquant de l'hiver et la lumière de ce mois de janvier donnaient à l'endroit une tonalité sordide. Quelques cris lointains dans les ruelles, aboiements de chiens et bruits de portes qui claquent paraissaient étouffés par le tapis de neige persistant qui recouvrait la ville depuis maintenant plusieurs semaines. Tous frissonnèrent en descendant de l'automobile qui les avait conduits dans ce Harlem désolé. Était-ce le froid ? L'angoisse de ce lieu abandonné ? Un rapide coup d’œil alentour et la petite équipe s'avança d'un pas pressé vers le porche donnant accès à la cour où ils devaient trouver la fameuse échoppe Ju-Ju. En passant sous le porche, une brise en courant d'air leur glaça les os. L'endroit était sinistre à souhait. Quelques laissés-pour-compte étaient entassés là, en petits groupes de deux ou trois pauvres bougres et qui grognaient autour d'un tonneau métallique d'où sortaient quelques flammes timides. Une odeur rance parvint aux narines de l'agent Patterson qui commença à se demander si cette incursion était vraiment nécessaire. Au moins une occasion de passer quelques minutes à l'abri de ce vent glacial, pensa-t-il. Lily Grace et Fay menaient le petit groupe, un papier à la main où figuraient l'adresse de la boutique. Le grand Kenneth, le visage crispé par le froid, tira une dernière bouffée sur sa cigarette avant de replonger la main au fond de la poche de son costume sombre. En passant à hauteur des quelques clochards assis sur des cartons, le silence se fit et les yeux se braquèrent, inquisiteurs, sur ces « encostumés » qui hésitaient en débouchant sur la petite cour. Il y avait là une autre devanture, un prêteur sur gages ayant mis la clé sous la porte dont ne subsistait que l'enseigne délavée. La devanture du local était presque entièrement recouverte de journaux et de vieilles affiches en lambeaux. Une faillite de plus.

L'entrée de la Ju-Ju Boutique, elle, était droit devant mais n'affichait pas davantage d'attrait. Rideaux tirés et façade sans fraîcheur donnèrent le ton. Seul un rai de lumière filtrant au travers des tissus orangés tirés sur la vitrine indiquait que l'endroit était fréquenté. Lily poussa la porte qui grinça et agita une clochette qui sonna discrètement. L'équipe s'engouffra à l'intérieur, les uns derrière les autres, serrés et pressés. Il y avait là quatre individus : trois hommes noirs pauvrement vêtus discutant avec un quatrième, plus grand, assez mince mais portant des vêtements de facture respectable et une petite paire de lunettes brillantes aux cerclages ovales. Sûrement le gérant et trois de ses clients... Alors que l'équipe entrait et s'avançait, la conversation entre les quatre hommes s'arrêta nette et quatre paires d'yeux semblèrent scruter les investigateurs avec une certaine insistance.

L'agent Patterson, sentant la gêne ambiante, et ne voulant pas éveiller davantage la méfiance, décida alors de laisser ses acolytes prendre le premier contact et fit mine de faire un inventaire rapide des étagères et placards de ce bric-à-brac sans nom. Statuettes, colifichets, masques et vieux ouvrages s'y côtoyaient en effet sans ordre, entassés sur des meubles en bois noir. Des rayonnages emplis d'objets, dont certains plutôt mystérieux, vraisemblablement africains pour la plupart. Il y avait là des armes traditionnelles, symboles d'apparat, des colliers, des pierres colorés ternies par la fine couche de poussière ambiante. Une odeur grasse dans laquelle se mêlaient effluves rances et humides, embaumait les lieux. Un encensoir fumait calmement, libérant un parfum exotique et légèrement piquant qui peinait à masquer la puanteur de moisissure régnant dans certains coins de la petite échoppe.
Andrew Patterson était bien mauvais comédien. Ce qui ne l'avait guère aidé jusqu'ici. Aussi, son costume sur mesure et son air faussement détaché attirèrent sur lui l'attention des trois clients qui, après un regard rapide et entendu avec le plus grand des individus, quittèrent la boutique quelques secondes après l'entrée des intrus dans la place. Et alors qu'ils passaient devant Kenneth en le frôlant, celui-ci les toisa d'un œil circonspect, ne les quittant des yeux que lorsqu'ils eurent refermé la porte derrière eux. Patterson, d'abord gêné de les avoir visiblement chassés, mais surtout intrigué par ce départ quelque peu soudain, décida alors de les suivre à bonne distance. Après un bref coup d’œil entendu vers Kenneth, il quitta donc la boutique sans mot dire et leur emboîta discrètement le pas dans les ruelles du quartier.

A l'intérieur, Lily Grace s'avança lentement, demandant d'un ton innocent :

- « Monsieur Silas N'Kwane ? »
- « Lui-même », répondit tranquillement le grand noir, en baissant légèrement les fines lunettes de l'arête de son nez, comme pour mieux voir son interlocutrice.
- « Bonjour monsieur. Voilà, nous vous serions reconnaissants si vous pouviez nous faire profiter de votre expertise en examinant un objet que nous avons apporté. »
- « Bien. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Êtes-vous enquêteurs ? Si j'en juge par votre mise et celle de votre collègue, qui vient d'ailleurs de quitter mon échoppe, je dirais que vous êtes de la police… »
- « Non, bien sûr, non… » tenta de rassurer Lily en fronçant les sourcils. « Notre ami a en effet quelques soucis avec les endroits trop exigus, mais nous sommes simplement des curieux. En réalité, un de nos amis nous a confié cet objet en nous chargeant d'en dresser une sorte de… carte d'identité… »

Tout en parlant, et après que Fay ait tiré de son long manteau l'objet en question, rapidement emballé dans un linge souillé de crasse, Lily le déballa et le tendit au gérant de la boutique. C'était bien la longue dague à lame courbe retrouvée la veille sur – ou plutôt dans – le corps de leur ami Jackson . Bien sûr, et comme pour conjurer la terreur que faisait rejaillir sur eux cette arme et les images encore vivaces de leur ami éventré, ils avaient pris soin de la nettoyer soigneusement avant de l'emballer. Ce fut donc une lame étincelante qui fut présentée à Silas N'Kwame, aussitôt sortie de son fourreau de chiffon.
Ce dernier la considéra d'abord sans la toucher puis, au bout de quelques secondes, se décida à la prendre en main afin de l'observer plus en détail. Une rapide évaluation au cours de laquelle son œil ne sembla ni interpellé ni intrigué, comme si l'objet ne lui était pas si étranger…

Lily Grace reprit alors :

- « Pouvez-vous nous confirmer son origine africaine ? »
- « En effet, un premier coup d’œil m'autorise à vous le confirmer », dit l'antiquaire d'une voix calme et grave. Puis il poursuivit :
- « C'est un objet d'apparat, peut-être une arme de chef. »
- « Très bien, mais quelle est sa valeur ? Si mon ami décidait de s'en séparer par exemple, pensez-vous qu'il pourrait en obtenir un bon prix ? Cet objet serait-il susceptible d'intéresser quelqu'un de désargenté ? »
- « C'est un objet assez coûteux d'après ce que je peux en juger. Sûrement pas à la portée de n'importe quelle bourse. »
Sentant l'intérêt éveillé des deux jeunes femmes, N'Kwane poursuivit :
- « Pour davantage de précisions, et si besoin était, j'aurais cependant besoin de quelques jours pour affiner l'expertise. Pour ce faire, quelques recherches et comparaisons s'imposent. Pourriez-vous me laisser cet objet quelques jours afin que je l'examine plus en détail ? »

Cette question, d'une innocente apparence, intrigua immédiatement le groupe. Lily, soupçonneuse mais un peu forcée par le sens de cette interrogation, choisit d'accepter la proposition. Tous surent à ce moment qu'il était fort probable que cette arme disparaisse, tout comme celui auquel ils la confiaient.

Cherchant à cacher sa gêne, Lily Grace ne prit pas le temps de se concerter avec ses collègues et répondit d'un ton assuré :

- « Bien sûr… De combien de temps auriez-vous besoin ? »
- « Disons… », N'Kwame réfléchit une seconde et demanda finalement « Pouvez-vous revenir dans trois jours ici-même ? Je pense pouvoir vous en dire davantage avec ce délai. »
- « Entendu, alors nous reviendrons dans trois jours. »

Pendant quelques secondes encore, le petit groupe fit mine de visiter la boutique. Et pour tenter de dissiper un peu plus les soupçons du gérant, Fay feignit un intérêt soudain et accru pour des breloques étalées là et finit par en faire l'acquisition, moyennant quelques dollars froissés qu'elle sortit précipitamment de sa poche. La petite comédie achevée, les investigateurs quittèrent la boutique avec l'impression d'avoir été dupés à leur propre jeu. Ce Silas N'Kwane était en effet resté stoïque et sûr de lui, et même plutôt tranquille aurait-on pu conclure. Durant quelques secondes, tous trois crurent même percevoir dans son œil un éclat de malice laissant envisager qu'il avait bien joué son affaire.

Et si ce n'était que de la simple innocence ? Cette idée quitta presque instantanément l'esprit des investigateurs alors qu'il se lancèrent à nouveau dans le froid pinçant de la cour. En repartant vers l'automobile, ils repassèrent sous le porche et croisèrent à nouveau les regards insistants et, pour tout dire, suspicieux des clochards noirs croisés quelques minutes auparavant. Certains avaient disparu, sûrement pour aller s'installer ailleurs, ou mieux, se mettre à l'abri, mais ceux-là étaient restés là, telles des sentinelles en alerte d'un objectif improbable. C'est en tout cas ce que pensa Kenneth en marchant vers la voiture. Une fois de plus, par défiance, il leur lança un regard appuyé ; à la fois pour mieux observer tous et chacun, et comme pour leur intimer de détourner le regard. Mais rien n'y fit et les trois regagnèrent le véhicule, poussés par un malaise de plus en plus pressant. L'impression de n'être ici ni à leur place, ni les bienvenus.



Acte 3
Janvier 1925


Pendant ce temps, à quelques centaines de mètres de là, Andrew Patterson cherchait à en savoir davantage sur les clients croisés à la Ju-Ju Boutique et partis précipitamment lors de l'arrivée des investigateurs. En sortant de la cour, l'un des trois prit à droite et deux autres à gauche. Il semblait à Patterson que les trois hommes se connaissaient mais ce n'était sûrement qu'une fausse impression. « Bon, mettons le plus de chances de notre côté » pensa Patterson en suivant les deux individus partis à gauche. Mais quelques dizaines de mètres plus loin, les deux se séparèrent eux aussi et tandis que l'un partit vers le brouhaha lointain des grands boulevards, l'autre continua sa route dans le quartier, à travers les ruelles sombres et étroites. D'immeuble en immeuble, le pas s’accélérait. Sûr de n'avoir pas été repéré, l'agent du Bureau maintint sa filature à bonne allure et parvint finalement au pied d'un bloc de briques rouges aux fenêtres sales dont certaines étaient brisées. Le coin n'avait pas l'air bien différent des quelques pâtés de maison qu'il venait de croiser. « Un parfait coupe-gorge » pensa-t-il… Mais il se décida.

La porte passée, les bruits de pas semblèrent s'arrêter au premier étage. Une odeur d'urine, de crasse et de poubelle agressa immédiatement son odorat et sembla s'insinuer jusqu'au tréfonds de sa gorge. Un mouchoir sur le nez, il souffla fort pour expirer les miasmes provenant de ces effluves infectes, avant de le glisser à nouveau dans sa poche. Vérification de l'équipement ; arme chargée, cran de sûreté actionné, le temps de glisser l'automatique dans le holster de cuir froid, et l'agent entama prestement l'ascension des deux volées de marches pour ne pas perdre sa cible. Arrivé sur le seuil de l'étage, une porte se ferma doucement juste là, la deuxième sur la gauche dans le couloir. Quelques pleurs assourdis d'enfant, des voix d’habitants dans les appartements, au sol une moquette marron sale et plus qu'effilochée. L'endroit était bien à l'image de ce quartier mal famé, sordide et de plus en plus inquiétant. Patterson s'approcha prudemment de la porte qu'il soupçonnait être celle que sa cible venait de refermer derrière lui. Il avait encore fraîche à l'esprit la visite d'une chambre d’hôtel la veille. Celle-là même où il avait découvert un cadavre éventré dans un bain de sang ; celui de Jackson Elias. Il chassa cette image morbide mais l'impression d'effroi persistait. Deux secondes d'écoute l'oreille collée à la porte, pas de bruit. Il se décida donc à frapper. Le temps de la réponse, Patterson rajusta sa veste de costume et se racla la gorge. Des pas se firent entendre de l'autre côté, la porte s'entrouvrit doucement. Derrière, un jeune homme noir, les yeux visiblement rougis par la fatigue – qui ne le serait pas de vivre dans un tel gourbi ? – et les traits tirés se présenta timidement dans entrebâillement. Pour ne pas intimider davantage l'individu, Patterson fit un léger pas en retrait, motivé en cela par l'odeur nauséabonde de renfermé qui venait de s'échapper de l'appartement, portée par le courant d'air. L’œil méfiant et presque apeuré, l'inconnu souffla doucement :

- « Oui ? »
- « Bonjour mon brave. Je… pardonnez-moi mais… je souhaiterais vous poser quelques questions à propos de la boutique Ju-Ju. Je vous y ai croisé tout à l'heure et j'aimerais avoir quelques renseignements au sujet de l'endroit et de son gérant. »
- « Euuuh… Vous êtes de la police ? »
- « Non, du tout » assura maladroitement Patterson en montrant très rapidement une carte d'abonnement au cinéma de son quartier. Pour ajouter à la confusion, il enchaîna rapidement et en parlant vite « Je suis des services d'hygiène et nous enquêtons sur certains lieux du quartier… et euh… il se trouve que cette boutique fait partie des lieux qui m'ont été attribués. »
- « Ah. Pourtant vous avez l'air d'un flic... »
- « Je vous répète que non. Ne vous fiez pas à mon allure… simples recommandations du Bur… du ministère qui m'envoie. »
- « Et ? » interrogea le jeune noir.
- « En vous suivant ici, je ne cherchais pas à vous effrayer. Mais je me suis dit que nous serions peut-être plus tranquilles si… eh bien, si nous nous trouvions dans un endroit plus discret pour converser, vous me comprenez ? »
- « Je crois oui… mais je ne comprends pas ce que vous me voulez... »

L'agent enchaîna d'un air concentré :

- « Vous fréquentez régulièrement les lieux ? Est-ce un endroit prisé du voisinage ? »
- « Régulièrement non. J'y passe de temps en temps, les objets qu'on y trouve sont typiques des régions dont est originaire une partie de ma famille. Peu de gens la fréquentent, je pense. »
- « Ah… et sur quoi fondez-vous cette observation ? »
- « Comment ça ? »
- « Je veux dire, vous affirmez que peu de gens la fréquentent... »
- « Ah, eh ben quand j'y vais, y'a jamais grand monde dedans quoi... De là à affirmer que peu de gens la fréquentent...»
- « En effet, très bien. Et que savez-vous exactement de son gérant, Silas N'Kwane ? »
- « Pas grand-chose en fait… mais c'est un Monsieur dans le quartier, une sorte de bienfaiteur quoi »
- « C'est à dire... »
- « Bah il est bien habillé et son affaire a l'air de bien tourner... »
- « Et ça fait de lui un bienfaiteur ? »
- « Vous avez vu l'état du quartier ? Ici, les gens n'ont rien, alors quand quelqu'un réussit, on le considère un peu comme un Monsieur... »
- « D'accord. Et depuis combien de temps tient-il cette échoppe ? »
- « Quelques années je dirais. J’sais rien de plus.
- « Si je comprends bien, la réputation de ce monsieur est excellente ? Vous-même n'avez jamais remarqué de gens à l'air, disons… peu recommandable dans ou autour de cette boutique ? »
- « Euuuh… non j’vois pas. Mais je suis qu'un client… et qu'est-ce que ça a à voir avec l'hygiène ? Bon, maintenant excusez-moi mais j'ai des trucs à faire alors si vous avez fini... »
- « Eh bien, oui, bien sûr, je ne veux pas vous importuner, je vous remer... »

Pas le temps de terminer que la porte se referma doucement au nez de Patterson. Voilà bien une visite sans intérêt… A ne pas vouloir éveiller trop vite les soupçons du voisinage et de la clientèle, on ne peut rien récolter d'utile. L'agent s'engouffra dans les escaliers pour redescendre dans la rue en pensant que les méthodes du Bureau, quoique parfois brutales ou par trop expéditives, avaient au moins le mérite de donner des résultats, même maigres.

« Merde », souffla-t-il, soucieux et presque honteux d'être passé pour un tocard aux yeux de ce pauvre noir. Après quelques mètres, l'agent tenta de se rassurer en pensant à ses nouveaux collègues. C'étaient là une bande hétéroclite et un peu étrange, mais qui auraient peut-être eu plus de chance que lui. Après s'être allumé une cigarette, Patterson grogna à nouveau : « Quel con, dans quel bourbier Dorothy m'a-t-elle encore fourré ? ».

De retour devant le porche, Andrew lança un regard rapide et presque inattentif à la voiture mais constata que les trois camarades s'y trouvaient blottis. Voyant la silhouette imposante de Kenneth à travers la vitre arrière embuée, il fut comme rassuré, accéléra le pas et s'y engouffra lui aussi. Surpris par l'irruption soudaine de l'agent dans l'habitacle, tous sursautèrent. Kenneth eut juste le temps de crisper sa main droite sur le manche de son imposant couteau, gardé à portée de main sur la banquette arrière, avant de relâcher son étreinte en constatant que ce n'était que Patterson. L'agent du Bureau leur fit un rapide rapport de sa filature :

- « Rien. Ces bougres se défilent ou ne savent rien. J'ai préféré ne pas trop les cuisiner avant qu'on apprenne quoi que ce soit… Et de votre côté ? Que nous dit ce Monsieur Silas ? »
- « Pas grand-chose », répondit à voix basse une Lilly Grace pensive.
- « Ou alors il cache un beau jeu ce bâtard », enchaîna Fay.
Kenneth, peu enclin aux bavardages jusqu'à présent, s'alluma une autre cigarette et passa sa main sur la vitre latérale pour en essuyer la buée. Son regard se porta sous le porche, en direction des sans-abris dont on ne distinguait d'ici que les silhouettes éclairées par la faible lueur de leur lanterne de fortune. En les désignant d'un hochement de tête, il grogna :
- « Ces trois-là m'intriguent aussi… Presque plus que ce grand nègre à lunettes. Pourquoi rester là par un tel temps de chien si ce n'est pour surveiller quelque chose ? Ou quelqu'un... »
Patterson se redressa sur son siège et se tourna vers le porche.
- « C'est vrai que ces trois-là n'ont pas bougé et il m'a semblé qu'on les avait dérangés en arrivant. Vous avez remarqué leurs regards ? Et ce silence coupable qu'ils ont observé durant tout le temps de notre présence dans la cour. »

Fay s'impatientait et lança :

- « Bon, qu'est-ce qu'on fait ? Apparemment ce monsieur n'est pas très disposé à la discussion et de toute façon, on a merdé notre entrée… Personnellement, je serais d'avis de lever le camp et d'aller s'en jeter un quelque part… »

L'agent du Bureau fronça les sourcils en entendant cette idée. Mais Fay rassura en précisant :

- « Juste de quoi se réchauffer quoi, on gèle ici... »

Kenneth sourit discrètement et après quelques secondes, brava le silence désapprobateur de Patterson en suggérant d'aller planquer dans cette foutue cour pour avoir les idées plus claires sur ce qui se passait dans le coin. Patterson approuva. Mais comment passer devant ces trois loqueteux sans attirer l'attention car le porche semblait être l'unique accès à cette boutique. L'ancien militaire sortit de sa poche une flasque de whisky et l'agita lentement sous les yeux du fédéral, un peu outré, ou en tout cas désabusé.

- « Je vais tenter de les distraire un peu… Les temps sont durs, le froid est mordant, peut-être qu'ils seront réceptifs à mes arguments ces poivrots-là. Pendant ce temps Andrew, et sans vouloir te commander, tu pourrais peut-être détourner tes yeux effarouchés de cette flasque et tenter de pénétrer dans cette bicoque abandonnée, celle du prêteur sur gage. Ça a l'air mort et l'endroit pourrait faire un beau perchoir d'où observer tout ce petit monde en toute discrétion. Alors ? » lança le géant en souriant et soufflant la fumée par les narines.
- « Mouais, en effet… On pourrait faire ça et j'essaierai d'oublier que je suis entouré de hors-la-loi, de… de bandits et de va-nu-pieds » répondit Patterson d'un air provocateur et agacé.
- « Excellent ! » Kenneth saisit la poignée de la portière arrière droite et avant de l'actionner, il souffla d'un air presque amusé :
- « Mesdames, merci de patienter quelques minutes, nous serons aussi brefs que possible ! » et il se lança à l'extérieur du véhicule, claqua fermement la portière, rajusta sa veste, et s'élança d'un pas sûr en direction du porche. Patterson, surpris qu'on ne prît davantage de temps pour préparer ce petit coup, glissa sur la banquette, suivit du regard son compagnon et lorsque celui-ci fut au contact des clochards, sortit à son tour de l'automobile, quoique dans un style plus discret.

Prise de court, Fay soupira : « Ben voyons... » avant de s'excuser du regard auprès de Lilly Grace.

Les deux se suivaient de quelques mètres. Kenneth arriva à hauteur des hommes sous le porche, s'accroupit et, faisant mine d'empathie, engagea une conversation banale sur le froid, la neige et la rudesse d'une vie de sans-abri. D'abord surpris, les trois hommes semblèrent se détendre à la vue de la flasque que ce géant leur tendit discrètement. Le premier en prit une lampée qui laissa d'abord peu d'espoir aux autres et la tendit à son camarade de droite en s'essuyant la bouche. L'ambiance parut proposer le moment idéal à l'agent Patterson qui se glissa maladroitement le long du mur opposé d'un pas discret mais empressé, masqué par la carrure imposante de son compagnon. Le petit groupe sembla d'abord ne pas prêter attention à ce mouvement. Arrivé à hauteur de la devanture du prêteur sur gages, l'agent Patterson se tourna une dernière fois pour s'assurer de la discrétion de sa manœuvre. Faute d'attention, le sol un peu gelé à cet endroit lui fit perdre légèrement l'équilibre et alors qu'il était tout proche de la porte, il dérapa et percuta une poubelle qui se renversa dans un fatras métallique . Le temps de se relever et d'épousseter sa veste, le regard qu'il lança en direction du groupe lui confirma que sa chute avait attiré l'attention des trois clochards que Kenneth tentait de distraire. Ce dernier pensa alors « Mais quel corniaud… La pègre a encore de beaux jours devant elle, pour sûr. »

Suite à cette pathétique manœuvre, Patterson se dit qu'il était désormais inutile de tenter quoique ce soit de discret. Il fit mine de jeter un œil intrigué à l'intérieur, de l'autre côté des affiches déchirées qui recouvraient la façade mais ne distinguant rien et, résolu à ne pas attirer davantage l'attention sur lui – était-ce encore seulement possible ? -, il rebroussa chemin et pressa le pas en passant devant la compagnie imbibée, honteux de son incompétence du moment. Kenneth, reprit une lampée de sa flasque et se releva pour quitter les lieux d'un pas lourd qui traduisait son désarroi.
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Lotin
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

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La suite.

Acte 4
Janvier 1925


En arrivant à la voiture, Patterson monta en silence. Fay se retourna sur son siège et lui jeta un regard interrogatif, tandis que Kenneth s'installait lui aussi à l'arrière en poussant sans ménagement son compagnon. La jeune femme interrogea :

- « Alors ? »

Un silence gêné lui répondit. Quelques secondes qui intriguèrent Lily Grace qui se retourna elle aussi mais sans mot dire. Kenneth rétorqua finalement :

- « Alors on a merdé. Voilà. De toute façon, impossible de décoller ces trois-là de leur bout de trottoir, pire que des morpions sur… enfin impossible quoi. »
- « Tout est de ma faute » assuma l'agent fédéral d'un air contrit.
- « On s'en fout Andrew, c'est pas le problème… Enfin, t'es quand même pas une flèche toi, ça fait longtemps que tu bosses pour le Bureau ? Tu m'as pas exactement l'air d'un fin limier en fait… J'me disais…
- « Bon, ça va, on a compris, pas la peine de le crucifier dans la bagnole. » coupa Fay d'un air exaspéré.

Lily Grace, un peu tendue interrogea la petite assemblée :

- « Et maintenant messieurs les détectives… On fait quoi ? »
- « On pourrait suivre mon plan de tout à l'heure, non ? Aller se réchauffer quelque part pour réfléchir… » répondit Fay d'un air satisfait. Pas de réponse à l'arrière. Les deux hommes regardaient par la fenêtre, chacun de son côté. Lilly démarra alors la voiture et fit demi-tour sec pour garer la voiture dans un angle discret. Elle coupa le moteur et, désignant un petit café de quartier discret presque en face du porche, invita ses collègues à aller se réchauffer un peu tout en gardant un œil discret sur les mouvements de la cour pour la journée.

Quelques minutes plus tard, devant un café noir, tous les quatre se concertèrent sur la suite des événements de la journée. Sans trop de complexe envers son collègue du Bureau, Kenneth déposa les dernières gouttes de la flasque de Jackson dans son café et en servit également quelques-unes à sa patronne. Fay approuva et se réjouit un sourire malin au coin de la bouche. Rapidement, elle se reprit et, s'adressant à Patterson :

- « Désolé Andrew, c'est ça où l'hypothermie… Tu te vois appeler une ambulance ici et maintenant ? Je sens plus mes pieds, j'ai besoin d'un remontant. »

Et Kenneth de rebondir :

- « Laisse tomber l'ambulance, l'agent Patterson est tellement doué qu'il pourrait y foutre le feu rien qu'en ouvrant la portière... »
Coupable de sa déconfiture, Andrew sourit de bon cœur mais ne répondit pas à la provocation.

Après une heure de discussion, le groupe décida finalement de se séparer pour le reste de la matinée. Ainsi, Fay et Kenneth proposèrent de se rendre à la salle de ventes où devaient se tenir les transactions d'ouvrages intéressant les investigateurs. Et en particulier, un livre, le Kybalion, ayant également intéressé de près Jackson Elias et après lequel il semblait courir depuis quelque temps. Lily et Andrew devaient, de leur côté, rester postés là, au chaud certes, à scruter d'éventuels mouvements autour de la boutique. Or, la fin de matinée fut très calme dans le quartier, peu de passage et encore moins sous le porche. À vrai dire, ces deux-là commençaient à s'ennuyer ferme…

Deux heures plus tard, Fay et Kenneth étaient de retour de la galerie Doyle avec peu d'informations intéressantes, hormis le fait qu'un certain Silas N'Kwane se trouvait être l’acquéreur du fameux ouvrage tant prisé de Jackson. La planque dans le bistrot du quartier, même si elle n'avait rien apporté, trouvait en tout cas une justification. Ce Monsieur N'Kwane, c'était maintenant confirmé, méritait toute l'attention que les investigateurs commençaient à lui porter.

Mais alors que les heures s'égrainaient, l'impatience commençait, elle aussi, à monter, et c'est Lily Grace qui posa à nouveau la question :

- « Et maintenant ? »

L'évocation du souvenir de Jackson, le Kybalion désormais en possession de Silas N'Kwane, cette boutique qui n'accueillait décidément pas beaucoup de clients, les investigateurs devaient en effet réorienter, ou du moins élargir leurs recherches, mais tout en conservant un œil sur l'antiquaire africain.
C'est alors que leur revint l'évocation du voyage fait par la sœur de Roger Carlyle dans le but de retrouver sa trace suite à l'annonce de la disparition de l'expédition. Erica Carlyle avait en effet entrepris, confiait une de ses amies au reporter d'un quotidien local, de partir sur les traces du riche héritier afin de conclure une enquête qui lui semblait mal menée. Dans le meilleur des cas, elle le retrouverait et si le pire était effectivement arrivé, elle pourrait alors rapporter la dépouille de son frère pour lui donner des funérailles dignes de son rang et de son nom. D'après le suivi des articles, cette seconde expédition, quoique plus discrète, fut relayée dans ses grandes étapes. L’Afrique sauvage et mystérieuse n'avait finalement pas livré de trace des disparus, et c'est sans succès que la jeune femme devait faire voyage retour, malgré l'aide sur place de membres d'une tribu que cette quête avait sensibilisé, on ne sait pour quelle raison.

Décision fut alors prise d'aller rencontrer Erica Carlyle afin de l'interroger sur ce qu'elle avait pu obtenir comme informations durant son séjour sur place et d'en apprendre davantage sur ses adjoints locaux. Peut-être aurait-elle par là même une idée sur cette affaire, plus précise que celle proposée par les journaux. Lily ne tenait plus en place, et elle se dit qu'un peu de mouvement lui ferait le plus grand bien. Fay et Kenneth étaient également intrigués par cette sœur intrépide et tous trois se désignèrent volontaires pour se rendre à son domicile et tenter d'entrer en contact avec elle. Andrew, touché dans son orgueil d'enquêteur par son échec du matin, se proposa spontanément pour rester sur place quelques heures encore, peut-être serait-il aux premières loges d'un mouvement, d'une visite éventuelle à la boutique.

La propriété Carlyle, à l'écart du centre, n'était pour autant pas secrètement cachée. Fay, Kenneth et Lily firent à peine une heure de trajet avant de se garer à proximité des hautes grilles qui gardaient le petit parc attenant. En s'approchant à pas tranquille du domaine, l'architecture de la bâtisse leur sembla hors norme. La demeure affichait là un luxe qui leur parut en complet décalage avec les bas-fonds dont ils étaient sortis à peine une heure auparavant.

Kenneth grommela :

- « D'accord… Et ils sont combien à vivre là ? »

Lilly, moins choquée que ses compagnons par l’opulence des lieux, répondit calmement :

- « D'après ce que j'ai compris, Roger et sa sœur sont les derniers héritiers de la famille. Donc… elle doit vivre seule. »

Arrivés au portail, on pouvait voir d'autres bâtiments, un grand garage accolé à la façade principale et d'autres petites dépendances, en partie masquées par la végétation du parc. Un des battants du portail d'entrée n'étant pas fermé à clé, l'équipe en profita pour entrer et se dirigea calmement vers la grande porte de la demeure. Leur arrivée fut remarquée par un, puis deux, puis trois hommes à l'air austère et concentré. Ces derniers étaient postés là, aux abords de la maison et l'un deux, qui se trouvait à quelques mètres de l'entrée mais qu'ils n'avaient d'abord pas vu, s'avança vers le groupe, une main dans le dos et l'autre tenant le bas de son veston. Son pas sûr et rapide fit ralentir instinctivement les investigateurs qui se demandèrent alors s'ils n'avaient pas fait une erreur en franchissant le portail sans attendre. Ils allaient presque faire demi-tour quand l'homme arrivant à leur hauteur les interpella :

- « Mesdemoiselles, monsieur… Je vais vous demander de rester où vous vous trouvez, de me décliner vos identités et le but de cette intrusion. Vous êtes sur une propriété privée et il ne me semble pas avoir reçu de consignes concernant un rendez-vous aujourd'hui. »
- « Monsieur, entama aussi sec Lily, nous ne sommes pas des intrus, seulement des visiteurs. Nous souhaiterions rencontrer, s'il est possible, Madame Erica Carlyle. Nous aimerions nous entretenir avec elle dans le cadre d'une enquête que nous menons. »
- « Une enquête ? Et vous êtes ? »
- « Je connaissais moi-même, quoique de loin, Monsieur Roger Carlyle et nous enquêtons nous aussi sur la disparition d'un ami dans des circonstances… disons… mystérieuses. Nous avons appris que Madame avait effectué un voyage pour tenter de retrouver son frère et c'est de ce voyage que nous aimerions parler avec elle. Serait-elle disponible et disposée à satisfaire cette requête ? »
- « Je vais me renseigner mais restez où vous êtes s'il vous plaît. »

L'homme à la carrure imposante, fit un signe discret de la main pour appeler un de ses collègues, un type tout aussi robuste que lui. Quelques mots murmurés dans sa direction, sans toutefois quitter le petit groupe des yeux, et le second s'éloigna d'un pas rapide vers la demeure. Il en ressortit quelques instants plus tard et revint vers les investigateurs un air grave sur le visage. Quelques mots au surveillant de l'équipe et ce dernier leur asséna :

- « Navré mais Madame est occupée et ne souhaite pas s'entretenir avec vous. Je vais vous demander de quitter cette propriété maintenant. Je vous raccompagne. »
- « Attendez, nous ne serons pas longs, nous compr... »
- « Je suis désolé Mademoiselle, interrompit l'homme, c'est non. »
- « C'est Madame ! », reprit Lily d'un air outré.
- « Ouais. » ajouta Fay ne contenant pas sa frustration.

Tous les trois tournèrent les talons et, suivant les indications polies mais fermes du garde, se dirigèrent vers le portail puis vers l'automobile. Sur le chemin Fay lâcha :

- « Eh bah les amis, quelle journée trépidante... » Puis elle ajouta, amusée : « Pas mal ce gaillard… Pas commode, mais pas mal... ».

Kenneth remarqua :

- « Une vraie petite milice. Il faut bien avoir des raisons, et des moyens, pour s'entourer comme ça. Ça ne vous semble pas étrange la présence de tous ces types ? La plupart sont visiblement armés et ont l'air de faire le guet, j'en ai vu un autre qui se tenait dans le parc en arrivant. Ils doivent bien être six ou sept. »
- « C'est vrai que c'est un peu inhabituel, c'est un quartier plutôt tranquille. » répondit Lily.
- « Peut-être un peu parano la Carlyle, va savoir... » lança Fay.
- « Mouais… En tout cas, pas très sociable. » conclut Kenneth.

La voiture quitta le quartier en ronflant et reprit la route de Harlem où les attendait Andrew.


Acte 5
Janvier 1925


Encore une heure et demi passée dans ce bouge glauque sans que rien ne se passe. L'agent Patterson tournait une cuillère dans une tasse aussi vide que ses poches. Il avait bien une petite liasse de quelques dollars mais il ne pouvait se résoudre à boire encore ce goudron que le tenancier lui faisait prendre pour du café. Il doutait aussi sérieusement de la qualité des club-sandwiches au rat ou des bretzels au cheveux gras. Un coup d’œil au dehors de temps à autre mais rien ne se passait. Le regard du patron se faisait depuis un moment de plus en plus insistant et, alors que le gros de la clientèle du midi avait quitté l'établissement, il lança en direction d'Andrew :

- « Et pour ce monsieur, ce sera ? »

Andrew tourna les yeux vers le comptoir, hésita puis se leva pour aller s'accouder au zinc.

- « Écoutez, je suis navré mais je n'ai plus un cent en poche et j'attends des amis qui doivent venir me récupérer en auto. Avec ce froid, vous n'allez tout de même pas me mettre à la porte... »
- « Ouais, mais ça fait déjà un moment que vous n'avez plus consommé, je vais être obligé de vous demander de partir, la météo c'est pas mon rayon. »

Andrew jeta à nouveau un œil par la vitrine sale du troquet, à demi habillée d'un rideau crasseux. Le vent avait un peu forci et trimballait des feuilles de journaux sur la chaussée humide. En dernier recours, un peu agacé aussi, il sortit sa plaque, la posa tranquillement sur le comptoir et regarda fixement le barman visiblement ébranlé par l'objet. Il considéra Andrew différemment. L'agent en profita pour glisser calmement :

- « La boutique Ju-Ju, ça vous dit quelque chose ? »
- « Euh, ben oui m'sieur, elle est juste là au fond de la cour. »
- « Je le sais ça. Et vous connaissez monsieur Silas N'Kwane ? »

Le barman hésita, regarda autour de lui et se pencha vers Patterson :

- « Oui et non... »

Un silence de trois secondes s'installa. Andrew glissa alors la main dans sa poche et en sortit un billet d'un dollar. Le barman le regarda mais ne réagit pas. Patterson posa alors cinq dollars sur le précédent et son interlocuteur se rappela soudain :

- « N'Kwane, c'est un monsieur dans le quartier. Tout le monde vous le dira, son affaire marche bien... »
- « Pourtant je n'ai pas vu un client de la journée et croyez-moi, j'ai bien regardé. » rétorqua Andrew.

Un peu gêné, le barman semblait réclamer des yeux une récompense sans oser cependant le formuler. L'agent du Bureau glissa un nouveau billet de cinq sur le zinc. Et à nouveau, la mémoire revint au gaillard :

- « Je dirais que monsieur Silas, il est respecté … et même un peu craint… peut-être. »
- « Des gens ou des mouvements étranges autour de cette boutique ? » interrogea Patterson en ajoutant une nouvelle prime devant lui.
- « On parle de disparitions… de meurtres même pour les plus audacieux. Est-ce que tout ça est vrai ? Possible. » puis il se recula en ramassant le petit magot qu'il glissa rapidement dans sa poche, craignant peut-être en avoir trop dit.

L'agent Patterson, convaincu de tenir un os, impatient et aussi décidé à se mettre quelque chose sous la dent avant le retour de l'équipe, décida d'abandonner sa planque pour se rendre à nouveau dans la cour. Peut-être pourrait-il tenter à nouveau de s'introduire dans l'échoppe abandonnée du prêteur sur gages. Et les clochards-espions, étaient-ils toujours là ? Il ajusta sa veste après avoir raccroché son insigne sur le revers de sa poche intérieure et poussa la porte du bar pour se jeter dans les bourrasques froides. Quelques pas et il arriva sous le porche. Décidément, ces trois gars, clochards ou quoiqu'ils soient, étaient bien attachés à l'endroit ! Cette fois, Andrew était décidé à ne pas les ménager, quitte à les menacer pour les faire partir, il devait agir et sortir de cette mélasse. Il s'avança d'un pas lent sous le porche et, s'adressant aux trois hommes assis en rond, lança d'un ton ferme :

- « Messieurs, agent fédéral, je vais vous demander de quitter les lieux, une enquête est en cours ! »

Alors qu'il n'avait pas fini de s'exclamer, deux des hommes se levèrent en le voyant approcher et se mirent à le fixer d'un regard rougi et étrange. Patterson, pour ne plus hésiter, passa lentement sa main sous le pan de sa veste et empoigna son 38. En l'extrayant de son holster, il actionna le cran de sûreté, l'arme était prête à tirer. Mais il la garda pendante, ne voulant pas la pointer directement sur les trois suspects. Soudain, il ralentit son pas car, alors qu'il dégainait, les deux hommes déjà debout avaient sorti chacun un couteau et se mirent à faire front, face à l'agent. Le troisième se leva lui aussi et ramassa une sorte de bâton qui se trouvait à côté de lui. Patterson comprit immédiatement les intentions du groupe, fermement décidé à en découdre. Il comprit aussi à cet instant, confirmant ainsi les intuitions des investigateurs, que ces trois-là n'étaient certainement pas des clochards mais bien des hommes de main dudit Silas. Ne voulant pas envenimer davantage la situation, Patterson s'arrêta d'abord puis recula lentement tout en fixant les trois gorilles. Comme pour leur signifier le changement soudain de situation, il rangea son arme et s'éloigna, la rancœur et la frustration au ventre. Arrivé dans la rue, il entendit le bruit du moteur de l'automobile qui s'approchait et, se retournant machinalement, il aperçut Lily et Fay assises à l'avant du véhicule. Rassuré mais pressé de quitter les lieux, il fit quelques pas dans leur direction et monta rapidement à l'arrière.
Tous échangèrent sur leurs impressions et quelques minutes plus tard, la voiture quitta la ruelle pour faire le tour du pâté de maison ; il devait bien exister un moyen d'entrer dans cet immeuble autrement que par cette cour sombre et menaçante.

Contournant les barres, l'équipe se retrouva dans une rue plus importante et fréquentée, Lily gara la voiture et tous les quatre se mirent à marcher pour tenter de trouver une autre entrée. Au bout de quelques minutes, Kenneth repéra une porte qui paraissait fermée depuis un moment. L'endroit semblait correspondre à la façade du prêteur sur gages et de la fameuse cour, mais côté vie. En cette heure avancée de l'après-midi, et malgré le froid glacial de l'hiver, le secteur était trop fréquenté pour tenter quoi que ce soit. Les investigateurs décidèrent donc de se replier et de revenir un peu plus tard, à la tombée de la nuit. En attendant, ils disposaient de temps pour se reposer et se replonger dans les quelques indices dont ils disposaient, sur les traces des assassins de ce pauvre Jackson. Et décidément, Erica Carlyle serait d'un grand secours pour éclairer certains points. Elle, qui est partie sur les traces de l'expédition, avait forcément glané quelques informations et connaissait peut-être même personnellement certains des membres de cette équipée.

Le soir venu, après quelques heures d'attente et de repos, l'équipe se mit en marche pour tenter de s'infiltrer dans la planque décidée quelques heures plus tôt. Sur le seuil, le crochetage rapide de la porte d'entrée du local désaffecté se fit en toute discrétion. À l'intérieur, les investigateurs découvrirent un lieu peu accueillant, malodorant mais offrant, comme supposé, un point de vue très intéressant sur la cour et l'entrée de la boutique Ju-Ju. La planque se mit ainsi en place, au premier étage du bâtiment dont les fenêtres encrassées surplombaient directement les lieux. Et visiblement, la boutique de « Monsieur Silas » connaissait une activité nocturne bien réelle et peut-être plus soutenue même qu'en journée. Les trois faux clochards du porche furent relayés quelques dizaines de minutes après le début de la surveillance par trois autres noirs, il s'agissait donc bien d'hommes de main à la solde de l'antiquaire. De réguliers allers et venues animèrent aussi la cour cette nuit-là, des petits groupes d'hommes noirs défilèrent ainsi entre la ruelle et la boutique dont les lumières restèrent allumées toute la nuit durant. L'équipe supposa rapidement que la boutique devait avoir une autre entrée cachée et qu'elle devait sûrement abriter autre chose que des vieilleries africaines. Plusieurs heures passèrent ainsi, alternant moments de calme relatif et de relève de la garde sous le porche. De leur côté, les investigateurs se relayaient eux aussi à la surveillance de ce petit manège.

Très tôt le matin suivant, alors que Kenneth fumait sa énième cigarette et que le jour commençait à peine à poindre, le géant réveilla brusquement ses compagnons. Une demi-douzaine de ces « clochards » sortirent de la boutique en direction de la ruelle. L'ancien militaire, qui n'avait pas quitté des yeux le petit groupe reconnut avec certitude au moins deux des hommes à qui il avait offert de sa flasque et peut-être un troisième. Ce Silas était en fait à la tête d'une équipe de sbires qui quittaient les lieux, sûrement pour redonner à la boutique ses airs de conservatoire tranquille.
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Lotin
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Acte 6
Janvier 1925


Le calme revenu dans la cour, Fay et Lily sortirent lentement de leur torpeur poussiéreuse et, dès qu'elles furent disposées à reprendre un peu d'activité, proposèrent de suivre la piste Erica Carlyle mais en la prenant par un autre bout cette fois-ci.

Dans les journaux mentionnant son expédition, un nom était en effet apparu d'abord discrètement, mais qui finit par intriguer les enquêteurs, celui de Victoria Post. Victoria était présentée dans un article comme une amie d'Erica Carlyle et elle s'adressait, dans ledit article, aux reporters au nom de la riche héritière. Peut-être un point de faiblesse dans la cuirasse Carlyle. En tout cas, un angle d'approche qui permettrait peut-être de rencontrer la principale intéressée ou d'en savoir davantage sur elle et sur l'affaire en contournant son refus de communiquer. Un rapide passage à l’hôtel pour une toilette expéditive, un rafraîchissement plus que bienvenu après une nuit agitée dans cette échoppe sordide, et les deux jeunes femmes se mirent en route. Victoria Post tenait en fait une galerie d'art en ville dont il fut très facile de se procurer l'adresse. S'y rendant, Fay et Lily feignirent d'abord un intérêt pour certaines productions peintes, flânèrent quelque temps et, aiguillant la conversation vers Erica, firent part à Victoria de leur désir de rencontrer l'héritière. D'abord gênée par la demande mais finalement séduite par la sympathie, et l'acquisition d'une toile par les deux jeunes femmes, Victoria finit par leur accorder de tenter de convaincre son amie qu'un simple entretien ne l'engageait que peu et pourrait peut-être même aider à comprendre ce qui s'était passé en Afrique et ce qui était arrivé à son frère. La galeriste indiqua qu'Erica était très choquée par cet épisode douloureux et que c'était certainement pour cette raison qu'elle refusait de rencontrer quiconque susceptible de la rapprocher de cette histoire malheureuse. Pour autant, elle accepta de jouer le rôle d'intermédiaire et d'introduire ces dames auprès de son amie. Utilisant le téléphone dont disposait son établissement, elle s'isola dans un bureau en retrait de la salle d'exposition et reparut quelques minutes plus tard. Erica acceptait finalement de rencontrer Fay et Lily à son domicile.

Enthousiastes malgré la fatigue de la nuit précédente, les deux jeunes femmes ne s'attardèrent pas davantage et prirent congé de Victoria Post, non sans l'avoir remercié chaleureusement de ce coup de pouce qui pourrait leur être d'une aide précieuse. Les deux jeunes femmes se mirent ainsi en route, sans plus attendre, comme si la rapidité de réaction leur assurait une chance supplémentaire. En fait, elles jubilaient de cette opportunité nouvelle et, pensant à leurs compagnons restés en planque dans ce local puant de Harlem, se dirent qu'enfin quelque piste pourrait se dégager et faire avancer leurs investigations. La route leur parut plus longue que la veille, sûrement un effet de leur impatience. Arrivées devant la demeure Carlyle, Lily gara l'automobile plus près du portail. Une seconde avant de descendre, les deux jeunes femmes échangèrent un regard enjoué et complice. Fay précisa :

- « Va falloir la jouer fine, on n'aura peut-être pas deux occasions comme celle-là... »
- « Sûr. Mais Andrew et Kenneth n'étant pas là, je dirais que la finesse est peut-être de notre côté aujourd'hui. Essayons de ne pas la brusquer tout de même, tu as raison. »

Elles descendirent de la voiture et s'avancèrent, sûres d'elles, vers le portail où un garde les attendait déjà. Ouvrant le battant grinçant du portail avec un léger sourire, il s'écarta pour les laisser passer en échappant un discret « Mesdames ». Lily reconnut le gaillard de la veille et lui sourit, un air satisfait sur le visage. Alors qu'elles approchaient de la demeure, une belle jeune femme blonde parut sur le seuil, accompagnée d'un grand type, tout aussi peu aimable que ceux qu'elles avaient croisé des yeux dans le parc et devant le garage. Assurément, les lieux étaient bien gardés et les observations de Kenneth s'avéraient exactes. La jeune Erica affichait un sourire triste et presque imperceptible. Son regard traduisait toutefois une pointe de curiosité, en tout cas elle semblait dévisager ses hôtes, comme pour tenter de comprendre sans leur parler le but de leur visite. Lily et Fay furent invitées à entrer et, suivies du géant qui accompagnait Erica – son garde du corps, Joe Corey, présenta-t-elle - furent conduites et installées dans ce qui ressemblait à un petit salon confortable. Il y avait là de beaux tableaux, portraits et scènes rurales du siècle dernier. Un buste austère trônait sur la margelle de la petite cheminée éteinte. Une odeur de bois ciré et de suie embaumait la pièce, l'ambiance était chaleureuse et rassurante. Une belle bibliothèque en bois sombre présentait des ouvrages anciens juste à droite de l'entrée. Les deux jeunes femmes s'installèrent dans un petit sofa de type européen tandis qu'Erica s'assit dans un fauteuil confortable en face d'elles.
Erica ouvrit :

- « Mon amie Victoria me dit que vous souhaitez m'entretenir d'un sujet particulier. En quoi puis-je vous aider ? »
- « Eh bien, à vrai dire Mademoiselle, entama Lilly, nous sommes en effet venues échanger avec vous sur un sujet dont nous savons qu'il vous est douloureux de parler. Nous vous présentons par avance nos excuses si cela vous gêne, c'est certainement le cas, et nous nous associons à votre peine. Nous avons en effet perdu, nous aussi, un ami cher ces derniers jours et nous savons désormais qu'il enquêtait sur l'expédition Carlyle. Nous sommes venus hier pour vous rencontrer mais... »
- « Je suis au courant, interrompit Erica. Pardonnez mon refus mais cette histoire est encore trop épouvante pour moi et je cherche à me protéger de ce qui pourrait m'y ramener, j'espère que vous me comprenez. »
- « Bien sûr, bien sûr. Nous ne voulions pas vous paraître cavalières mais nous désirions ardemment vous rencontrer afin de bénéficier de votre expérience, de vos rencontres et de votre ressenti sur cette triste affaire. C'est pourquoi nous nous sommes permis de passer par votre amie dont nous avons trouvé le nom dans un article de journal local relatant votre propre expédition. »
- « Je ne me félicite pas d'une telle publicité mais c'est exact. J'ai préféré que Victoria s'occupe de ces contacts, les journalistes ne sont pas toujours des plus délicats et je souhaitais tout de même que la chose soit communiquée publiquement. »

Fay enchaîna :

- « Nous avons lu dans ces articles le suivi de vos investigations, dans les grandes lignes bien sûr, et il s'avère que certaines pistes nous sont communes. Nous cherchons à comprendre ce qui est arrivé à notre ami. »
- « Qui était-il cet ami ? » interrogea Erica d'un air intrigué.
- « Il s'agit de monsieur Jackson Elias, son nom ne vous dira certainement pas grand-ch...

En entendant ce nom, Erica, visiblement furieuse, se lève, invectivant Fay et Lily.
- « Sachez, Mesdames, que ce nom m'est amplement familier. Ce monsieur, comme vous dîtes, est venu plusieurs fois me harceler, à tel point que j'ai dû porter plainte à la police. Je ne veux plus en entendre davantage et vous prierai de quitter immédiate... »

A son tour, Lily l'interrompit :
- « Nous sommes réellement navrées, quoique peu étonnées par ses manières. Il pouvait être tellement exalté parfois...mais il enquêtait sur la disparition de l'expédition Carlyle et nous avons hérité de ses nombreuses notes. Nous tentons donc de reprendre l'enquête où il l'a laissée car il nous est apparu que cette affaire a des côtés sombres sur lesquels nous souhaiterions apporter quelque lumière. Sa disparition nous a bouleversées et en guise d'hommage, nous essayons, avec nos modestes moyens de contribuer à faire aboutir sa dernière quête. Cela nous aidera sans doute à faire le deuil et surtout à comprendre les circonstances de sa disparition. »
- « Je vois », lança Erica d'un ton amer, puis se radoucissant « Il est parfois difficile d'accepter certains événements de ce genre. Que puis-je apporter à votre enquête ? »
- « Pour commencer, et pardon si je suis indiscrète, poursuivit Lily, mais nous avons pu constater en arrivant que vous étiez plutôt… entourée. Y aurait-il une raison à de telles dispositions de sécurité ? »
- « En effet, j'ai été victime d'agressions à mon domicile, j'ai dû prendre des mesures. Ces messieurs m'assistent et me permettent d'avoir des nuits plus tranquilles. »
- « Agressions ? Qui pourrait bien en avoir après vous ? »
- « Hormis votre ami ? De jeunes noirs se sont introduits à deux reprises dans ma propriété, à quelques jours d'intervalle il y a des mois de cela. Je ne sais ni ce qu'ils me voulaient ni ce qui les a conduits ici mais il s'en est fallu de peu. Mes gardes ont abattu deux de ces individus et deux autres ont eu le temps de prendre la fuite. Il semble que ce soient des déshérités si j'en juge par leur accoutrement et leur mine. Peut-être ont-ils été attirés par l'appât du gain, une riche héritière, seule dans sa grande propriété, une aubaine pour ces gens de peu. »

Lily et Fay échangèrent un regard inquiet. Toutes deux se rappelèrent alors les rubriques de faits divers mentionnant des meurtres sauvages commis ces dernières années dans différents quartiers de New-York. Des éventrations et des marquages barbares au front des victimes. Ce fut également le sort de ce pauvre Jackson, mais elles n'en parlèrent pas devant la jeune femme pour ne pas l'effrayer davantage. Ces jeunes noirs s'aventurant dans les quartiers riches à deux reprises pourraient correspondre au signalement des sbires de Silas N'Kwane, et ne pas être là uniquement attirés par la fortune…

Fay enchaîna :

- « En effet, c'est assez effrayant, je comprends votre inquiétude. »
- « Dans les notes de notre ami, expliqua Lily, figurent certains noms à propos desquels nous aimerions avoir des précisions. Par exemple, est-ce que l'évocation d'un monsieur Jack Brady vous dit quelque chose ? »
- « Bien sûr, oui. Jack était un ami de mon regretté frère. Il lui a sauvé la mise alors que cet imprudent de Roger a été pris dans une rixe et ils sont devenus très proches par la suite. Roger s'était ensuite arrangé pour le blanchir d'une sordide accusation de meurtre. C'est un homme loyal me semble-t-il, héros de la Grande Guerre puis mercenaire de son état, multilingue, un homme bien. »
- « Très bien, dit Lily penchée sur son carnet. Nous avons également trouvé le nom d'une certaine Anastasia dans les notes de notre ami Jackson, ce nom vous est-il familier ? »

Erica fronça les sourcils et son visage sembla s'assombrir. Relevant les yeux du tapis, elle répondit :

- « Oui, en effet, il m'est familier, même si je préférerais ne l'avoir jamais entendu. Il s'agit d'une conquête de mon frère, une femme à la beauté singulière si j'en juge par l'attitude de Roger lorsqu'il fréquentait cette… jeune femme, cette négresse. Elle semble avoir eu sur lui une emprise qui dépasse tout entendement, on pourrait même dire qu'elle l'avait envoûté. Il la considérait comme une « déesse » ou une « prêtresse », ce sont ses mots. Lorsqu'il revenait de ces rencontres, Roger était différent, les yeux rougis, l'air hagard, étrange réaction chez un homme qui se contrôlait pourtant fort bien d'ordinaire. »

Comme pour contourner le malaise qui s'était installé, Lily détourna l'attention :

- « Inhabituel en effet. L'amour fait parfois faire des choses… étranges. Nous avons d'autres noms à vous soumettre, connaissez-vous un certain Robert Huston ? »
- « C'était un membre éminent de l'expédition, un psychanalyste. C'est lui qui a eu l'idée de cette folle équipée , un homme très charismatique également que ce Huston, bel homme, bien mis et que je qualifierais également d'envoûtant par son regard et sa verve charmeuse. Il avait reçu mon frère en consultation sur mes conseils et il doit, de ce fait, posséder un dossier sur Roger. »

Tandis qu'elle griffonnait et triait les informations, Lily s'égara un instant dans ses pensées. Fay enchaîna :

- « Autre membre de l'expédition, une certaine Hypathia Masters... »
- « Oui, une photographe. D'ailleurs assez douée me semble-t-il. Roger a également eu quelques relations avec cette jeune femme, mais sans lendemain. »

Lily enchaîna avec compassion :

- « Parlez-nous un peu de lui... »
- « Depuis quelque temps, mon frère fréquentait les bas-fonds de Harlem. Je ne comprends pas ce qui l'a poussé à de telles errances, peut-être éprouvait-il le besoin de s'extraire de sa condition. Quelle idée… Cette Anastasia n'est peut-être pas étrangère à cette lubie soudaine, une sorcière que celle-là... »

L'atmosphère s'alourdit quelque peu. Erica, d'abord disposée, sembla incommodée par cet entretien et ses réponses devinrent plus lacunaires et évasives alors qu'elle racontait l'histoire de son expédition, celle que les deux jeunes femmes avaient lue dans les rubriques des journaux new-yorkais. À la fin de son récit, Fay tenta pourtant d'aller plus avant dans les indiscrétions, quitte à surprendre la jeune héritière.
- « Nous avons aussi appris que votre frère possédait certains ouvrages mentionnés par notre regretté ami, ouvrages susceptibles de nous aider à éclairer certains points de toute cette histoire. Pouvez-vous nous confirmer ? »

Hésitant un moment, Erica se leva finalement et fit quelques pas vers la fenêtre dans l'angle de la pièce. Lily et Fay n'avaient d'abord pas remarqué mais il y avait là un imposant bureau bien en ordre à cet endroit. Erica se pencha derrière le meuble et en sortit une cassette qu'elle présenta ouverte devant les deux investigatrices. Sans les laisser faire, elle sortit quatre ouvrages qu'elle posa sur la table basse devant elle, referma le petit coffre et le posa à ses pieds. L'inventaire rapide des livres révéla à Fay et Lily des titres singuliers.

Le premier, Les Manuscrits Pnakotiques d'une couverture en cuir vert avec au centre un pentagramme gravé, portaient quelques annotations, visiblement de la main de Roger, ce que confirma Erica reconnaissant l'écriture de son frère. Une marque d'imprimerie Tremisa & Fils était daté de 1496. Rédigé dans un anglais archaïque, il sous-titrait « d'après les parchemins et traduit du grec par l'auteur à la lumière de nouvelles révélations ». Le second, les Passages choisis du Livre d'Ivon, semblait avoir souffert des affres du temps et était de rédaction manuscrite, sûrement un très vieux livre. Les pages, très abîmées, étaient remplies d'illustrations obscènes et affreuses. Le troisième, qui portait en médaillon un jolie pierre translucide polie, s'intitulait Le peuple du Monolithe. C'était un petit recueil de poèmes, une centaine de pages imprimées et dont la page de garde était dédicacée : « Pour Mr R.C. J'espère que vous trouverez ces mots aussi inspirants que l'ont été les vôtres pour moi lors de notre dernière rencontre. Saluez Anastasia. Tyler. ». Les marges arboraient de complexes et opulents motifs géométriques. Le dernier ouvrage, écrit à la main, était un journal intime intitulé La vie d'un dieu et signé de Montgomery Crampton. D'une couverture au revêtement étrange, il comportait, glissée dans la première de couverture, une page manuscrite également rédigée de la main de Roger Carlyle.

Certainement que la lecture de ces ouvrages pourrait apporter des pistes supplémentaires aux investigateurs. Ils étaient en tout cas mentionnés dans les notes de Jackson et devaient avoir un intérêt pour comprendre certains nœuds de l'affaire. Il paraissait évident qu'il leur fallait disposer de temps pour les étudier, les comprendre et établir d'éventuels liens.

Les deux femmes se regardèrent un instant et, se tournant à nouveau vers Erica, Lily demanda timidement :

- « Pardonnez-moi mais nous autoriseriez-vous à emporter ces ouvrages pour prendre le temps de les consulter plus avant, ce ne serait l'affaire que de quelques jours... »
La jeune femme blonde considéra les enquêtrices et après avoir discrètement tiré la pile de livres de son côté de la table, joignit les mains et répondit finalement :

- « Mesdemoiselles, je ne vous connais pas et j'accepte aujourd'hui de vous rencontrer pour évoquer une affaire que je tente d'oublier depuis des années, tant ma peine est grande et pesante. Mon frère a disparu, comme vous le savez. Je suis cependant plutôt encline à considérer avec bienveillance ce qui pourrait aider à dénouer les derniers mystères entourant la disparition de cette expédition. Mon voyage au Kenya ne m'a pas entièrement convaincue et je pense que les autorités locales ont bâclé leur enquête. Accuser les Kikuyus alors qu'ils m'ont été d'une aide précieuse m'a toujours semblé factice. Vous m'avez l'air d'avoir des raisons de comprendre également. Mais avant de vous accorder ce geste de confiance, je vous demanderais de me communiquer tous les documents en votre possession sur cette affaire. Cela m'autoriserait à considérer l'ampleur de vos efforts et de votre implication dans l'enquête que vous menez, une sorte de garantie, un gage de notre confiance mutuelle. »

Hésitantes et un peu acculées, Fay et Lily se trouvaient embarrassées de se séparer des seuls éléments tangibles, des noms, des lieux et autres révélations encore discrètes de cette affaire. Les affaires de Jackson en échange des livres de Roger… Le deal n'était pas malhonnête en apparence, mais pouvait tout de même comporter un certain risque de ne pas revoir ces documents. Or c'était tout leur édifice qui tenait là. Après quelques secondes, elles acceptèrent finalement la proposition d'Erica et cédèrent la sacoche contenant toutes les pièces.

Lily conclut :

- « Nous vous remercions de votre confiance, et nous vous assurons que nous suivrons les termes de ce contrat tacite. D'ici quelques jours, ces ouvrages auront peut-être livré des éléments décisifs. Si c'était le cas, nous vous en tiendrions informée. Merci encore pour votre aide. »
- « Je vais vous faire raccompagner, et il est bien entendu que tout ce que vous entreprendrez ne doit, en aucun cas, me mettre en cause. Je compte sur votre discrétion. »
- « Bien entendu. » déclarèrent Fay et Lily de concert.

Erica se leva, salua les investigatrices d'un geste de tête sur le seuil de la porte et quitta la pièce avec les documents en main.
Le garde resté à l'entrée du bureau invita Lily et Fay à le suivre et les raccompagna jusqu'au portail. Les deux jeunes femmes se dirigèrent vers le centre, rendre compte de cet entretien et de cet échange à Kenneth et Andrew, restés en planque.


Acte 7
Janvier 1925


Les deux hommes avaient maintenu leur surveillance une bonne partie de la journée au-dessus de la boutique. Une journée plutôt calme. Mais en fin d'après-midi, quatre hommes, dont Silas, sortirent de la boutique en groupe serré et se dirigèrent vers la ruelle d'un pas rapide. Andrew, intéressé par ce déplacement prévint, par un léger coup de pied, Kenneth qui s'était assoupi assis par terre. En lui expliquant la situation, il se leva rapidement, réajusta le holster de son arme, enfila rapidement sa veste et jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre.

- « Ça bouge. Je les suis. » dit l'agent d'un ton décidé.
- « Quoi ? Qui ça ? »
- « N'kwane et trois de nos clochards viennent de quitter les lieux, je vais essayer de les filer » dit Patterson en quittant la pièce d'un pas pressé.
- « Fais gaffe cette fois. Et pas d'héroïsme débile !»

Kenneth resta seul. Il se frotta les yeux et reprit sa place sur la chaise branlante qui leur servait de vigie.

Dehors, Patterson courut en direction de la cour. Il tourna à l'angle de la rue et ralentit finalement son pas après quelques mètres pour ne pas trop éveiller l'attention. Plus que quelques mètres et il arriverait dans la ruelle. Au moment où il allait tourner, une voiture passa devant lui. Elle était occupée par les quatre noirs qu'il venait de voir dans la cour, il en était sûr. Un peu surpris, il se jeta sur la chaussée après le passage de l'automobile et jetant un œil dans la direction opposée, il aperçut un tacot qui roulait doucement vers lui. L'agent attrapa sa plaque et se mit en travers de la ruelle en brandissant l'écusson doré. Le conducteur eut l'air surpris et un peu effrayé de cette irruption soudaine. Il s'arrêta devant Patterson qui se plaça à côté de la portière du conducteur. En recollant sa plaque sur la vitre fermée, il dit d'un ton sec :

- « Agent fédéral. Je réquisitionne ce véhicule. »

L'homme à l'avant se glissa sur la droite du siège d'un mouvement lent. Il ne comprenait visiblement pas tout ce qui se passait. Patterson ouvrit la portière et finit de le bousculer côté passager en s'asseyant au volant. En claquant la portière il vit au loin la voiture sombre qui s'éloignait. Il démarra et suivit la direction des « clochards » en auto. Quelques rues plus loin, les cibles marquèrent une halte devant un immeuble de briques. Patterson se gara à bonne distance pour observer le manège sans être repéré. Les quatre occupants de la voiture étaient descendus, deux d'entre eux s'étaient glissés dans une des entrées de l'immeuble tandis que les deux autres étaient restés là devant, barrant le passage.

L'agent fédéral se résolut à ne rien tenter. Frustré, il nota l'adresse et resta quelques instants à attendre un hypothétique mouvement.

L'homme à côté de lui tenta à voix basse :

- « Écoutez, j'veux pas d'histoires alors si vous avez fini… j'ai des choses à faire, j'aimerais partir. »
- « Encore un peu. » grogna Patterson sans quitter l'immeuble des yeux.

Mais au bout de quelques minutes, résigné à ne rien pouvoir tenter sans éveiller de soupçons ou pire, se trouver en conflit ouvert avec ces noirs, décida de repartir vers la boutique et la planque.
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Acte 8
Janvier 1925


Là-haut, Kenneth comptait les minutes et commençait à trépigner. Aussi, lorsque Andrew entra dans la planque, Kenneth se leva d'un bond et marcha à sa rencontre.

- « Alors ? » interrogea-t-il ?
- « Ils se sont garés pas loin d'ici, j'ai pris l'adresse mais ces petits malins ont laissé deux gars à l'entrée, j'ai perdu les autres. Et toi, toujours rien ? »
- « Non. Non. Toujours rien. Bon, écoutes. Je commence à en avoir marre de perdre mon temps ici. Alors voilà ce que je propose : on y va, on entre et on en a le cœur net. Ce type pue, c'est évident. Des faux clochards qui guettent les environs, le Kybalion, Emerson Import, on a des tas de raison de se dire que ce mec est plus que louche. Alors au lieu de tergiverser, on tranche et on va voir, fouiller, c'que tu veux, mais c'est maintenant. »
- « On devrait attendre encore un peu… Les filles sont parties, attendons au moins qu'elles reviennent et on voit. »
- « Andrew, fais ce que tu veux, moi je descends. En plus ça a l'air mort depuis que tes types sont partis, on dirait que la boutique est fermée.
- « Bon. Je leur laisse un mot et je te suis. »

Les deux s'avancèrent dans la cour d'un pas prudent. Sous le porche, les vigies sans-abri avaient disparus. Aucune lumière non plus à travers la vitrine. Kenneth tenta de pousser la porte mais elle résista. L'endroit était en effet fermé. Andrew se glissa devant Kenneth et sortit les aiguillons de sa poche intérieure. Une vieille serrure à la portée de son crochetage. Un coup sec et bien ajusté et un déclic retentit. Il poussa doucement la porte en essayant d'éviter le tintement inéluctable de la clochette au-dessus, en vain. La boutique avait l'air calme en cette fin d'après-midi. Les deux hommes se glissèrent à l'intérieur rapidement en regardant partout. Kenneth jeta un œil dans la cour mais pas de mouvement. Aussitôt, les deux enquêteurs se dirigèrent vers le comptoir d'accueil. Ils fouillèrent vite le meuble à la recherche de l'ouvrage acquis quelque temps plus tôt par Silas N'Kwane. Mais pas de livre. Simplement quelques factures, bons de réception et notes personnelles sans rapport apparent avec leur affaire. Andrew s'acharna sur le contenu des maigres tiroirs tandis que Kenneth entreprit de fouiller l'arrière-boutique en quête d'une issue cachée.

Pendant cette incursion, Lily et Fay se garaient devant la planque. Découvrant la note laissée à leur intention, elles se dirigèrent vers la boutique, inquiètes pour leurs collègues. En arrivant, Fay poussa la porte brusquement, ne se doutant pas de la scène qu'elle découvrirait. Un sac était en cours et en percevant leur arrivée, Andrew se figea une seconde, surpris. Lily échappa :

- « Qu'est-ce que vous faites ? »
- « On cherche » répondit l'agent fédéral en retournant à son dépouillement. « Il doit bien y avoir quelque chose… »

Lily resta un instant immobile. Fay, fonçant vers le comptoir où fouillait Patterson, chuchota un peu fort :

- « Et vous l'avez trouvé ? »
- « De quoi tu parles ? » demanda Lily qui se joignit finalement aux recherches dans l'arrière-boutique.
- « Bah… Le Kybalion ! » répondit Fay.

Kenneth les avait entendu entrer et suivait de loin les échanges. Il allait abandonner la pièce et diriger son attention ailleurs quand il crut deviner un découpage dans le vieux parquet, sous un petit bahut vide. Il se laissa presque tomber au sol pour vérifier et put s'apercevoir qu'il y avait en effet là la poignée d'une trappe sous le meuble. Il le poussa d'un coup pour en avoir le cœur net et appela finalement ses collègues :

- « Venez voir, je crois qu'on a quelque chose ! »

Tous accoururent et Kenneth ouvrit la trappe prudemment. Patterson glissa la main dans le pan de sa veste et sortit son arme. Fay fit de même. La trappe découvrit un escalier en vieille briques assez abrupt. L'endroit était sombre et une odeur de moisissure et d'humidité acre remonta vers l'équipe penchée sur l'ouverture.

- « Ok. Bonjour l'odeur » commenta Fay.
- « Pas très engageant, en effet » ajouta Lily.

En éclairant les escaliers avec leurs lampe-torches, les quatre constatèrent une descente abrupte, quelques marches qui donnaient sur un couloir en terre battue.

Au bout du couloir une large porte en chêne massif arborait un entrelacs de symboles. De lourdes barres de fer scellaient l'entrée. Andrew entreprit de sortir ses outils de crochetage mais rien n'y fit. Kenneth et Lily, patiemment, commencèrent à dégonder la porte. Le temps s'étira, aiguisant la peur et l'excitation de Patterson et de Fay, qui surveillaient le couloir, attentifs au moindre bruit suspect. Il leur fallu une bonne vingtaine de minutes avant de pouvoir ouvrir la porte et ils pénétrèrent enfin dans une vaste salle aux murs en pierres, d'une hauteur de plafond d'au moins cinq mètres. Au centre, une énorme dalle circulaire était posée et semblait recouvrir un puits au-dessus duquel pendouillaient des perches et des lanières en cuir. Des tâches brunâtres entouraient le sol de la dalle autour de laquelle avaient été installés des tambours. Une mini grue était plaquée contre le mur du fond et vers la droite un rideau semblait fermer une alcôve. Kenneth s'en approcha et, avant même d'écarter les rideaux, senti une forte odeur de putréfaction. En effet, quatre corps gisaient à même le sol. Quatre corps apparemment dans un état de décomposition avancé qui, lorsque Kenneth se pencha sur eux, commencèrent à se mouvoir, à ramper et à s'agripper à la jambe du géant. D'un réflexe fulgurant Kenneth attrapa son poignard et frappa de toute ses forces sur l'un des moribonds, lui laissant l'opportunité de s'extirper. Andrew et Fay avaient déjà sorti leurs armes et tirèrent, accompagnées de Kenneth qui, d'un tir expert, logea une balle dans la tête la plus proche. Mais comment tuer ce qui est déjà mort, les quatre corps mouvants continuaient inexorablement à avancer.

- « Le feu ! » cria Lily, qui se précipitait déjà vers la boutique pour trouver de quoi fabriquer des torches tandis que les trois autres tachaient de tenir à bonne distance les morts-vivants. Elle revint rapidement avec des linges et de l'huile qui s'embrasèrent rapidement. Aucun son ne sorti de ces abominations lorsque, crépitant, ils se recroquevillèrent au sol pour, enfin, s'immobiliser.

Après un bref moment de torpeur, le regard fixé sur les quatre silhouettes brûlées, le groupe avança vers l'alcôve dans laquelle ils découvrirent un petit renfoncement où une grande peau de léopard protégeait quelques objets. Lily les sorti tour à tour pour les mettre dans un sac : une grande cape, une paire de gants en pattes de lion peut-être, avec encore les griffes ; un grand masque africain en bois, étonnamment très léger. Il représentait un visage terrifiant au sourire figé planté de crocs, avec des yeux exagérément gros, une crinière en paille et partout des symboles en spirales qui semblait représenter des plaies ; un petit bol en cuivre poli dans lequel un message adressé à Silas était signé « Le grand prêtre de la Chauve-Souris des Sables » ; un sceptre sculpté en bois, décoré de symboles égyptien ; un diadème constitué d'une fine bande de métal gris sur lequel courait des décorations aquatiques et enfin un livre écorné « Les sectes secrètes d'Afrique ».

- « Bien, le puits maintenant » lança Kenneth, « m'est avis qu'on ne devrait pas trop s'attarder par ici ».

Aidés d'Andrew, ils déplacèrent la dalle. Des cris jaillirent des profondeurs, leur glaçant le sang. Leur regard fut attiré vers le bas. Un énorme ver s'entortillait au fond du trou. Il possédait deux énormes mâchoires et des dizaines de visages humains se tordant de douleur, hurlant, étaient incrustés dans son corps. Face à cette vision d'horreur, seuls Lily et Kenneth réagirent, rallumant une des torches de fortune qu'ils lancèrent dans le puits. La créature se contorsionna un moment avant de s'immobiliser, les cris s'arrêtèrent enfin.

« L'animal domestique de Silas... » pensa à voix haute Lily et lorsqu'elle releva la tête pour retrouver un peu de contenance, elle fut effrayée de voir Fay, le visage dans ses mains, répéter en boucle « les visages, les visages, les visages... ». Elle se rapprocha d'elle doucement en l'appelant et lorsque leur regard se croisèrent, Fay se détourna immédiatement, apeurée, en criant « non, pas les visages ! ». Ramenant son attention sur Andrew, elle vit que celui-ci se balançait d'avant en arrière, le regard hagard, les gestes saccadés. Il regarda Kenneth, et prit d'une rage soudaine attrapa son holster et le braqua sur ses compagnons. Kenneth ne prit pas le temps de l'en dissuader, et d'un coup de poing précis assomma l'agent fédéral qui s'effondra au sol.

Ils remontèrent à la surface l'esprit vide, Kenneth portant Andrew et Lily essayant de rassurer Fay. Cette dernière ne pouvait se résoudre à la regarder et lorsque qu'elle émergea dans la boutique remplie de masques qui semblaient la toiser, elle fut à nouveau prise de panique, suppliant Lily de tout brûler. La tentation était grande mais d'innocentes personnes vivaient dans les appartement surplombant la boutique.

De retour à l'hôtel, ils s'effondrèrent. Kenneth installa Andrew et se posta à côté de lui. Lily et Fay partagèrent la même chambre. Leur nuit fût agitée, emplis de rêves obscurs. Au matin, les visages accusaient les événements de la veille. Lily, éreintée, semblait ne pas réaliser la sordide rencontre avec les créatures de la cave du Ju-Ju. Kenneth avait à peine dormi, surveillant Andrew qui s'était débattu, en sueur, toute la nuit. Ce dernier s'était étonné de voir son œil tuméfié, peu rassuré par le « désolé » de Kenneth. Quant à Fay, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir la gorge nouée en les regardant. Son propre visage dans le miroir, l'avait, un instant, dégoutté.


Acte 9
Janvier 1925


Vers midi, ayant repris un peu de vigueur, ils appelèrent le cabinet de feu Dr Huston. Le verdict de la secrétaire fut sans appel ; tous les dossiers du regretté docteur avaient été récupérés par l'Ordre des Affaires Médicales et n'étaient accessibles que pour des confrères. Lily raccrocha d'un air rageur, puis reprit le combiné.

- « Janis, c'est… »
- « Pardon, Nick ! C'est moi Lily Grace. Je n'ai pas le temps de t'expliquer mais il faut absolument que tu nous rejoignes à New-York... »
- « Je sais, mais c'est urgent. Écoute Jackson est mort, il a été assassiné et... »
- « Assassiné, oui, je te raconterais mais viens ! »
- « Non ! Ce soir ! »
- « Oui parfait ! »

« Dieu, qu'elle est efficace ! » songea Fay alors que Lily transmettait l'adresse de l'hôtel à son cousin.

- « Et voilà, on l'a notre ticket d'entrée pour le dossier Carlyle !» annonça fièrement Lily devant le sourire approbateur de ses compagnons.
- « Allez, ne restons pas là, allons jeter un coup d’œil à l'immeuble où Silas s'est introduit hier » enchaîna Andrew, visiblement remonté malgré son visage tuméfié.

L'immeuble en question, comme la plupart des bâtisses de Harlem, était dans un état de délabrement avancé. Lily et Fay restèrent dans la voiture tandis que les garçons s'approchèrent doucement. Les portes et fenêtres étaient condamnés, couverts d'affiches publicitaires ou de propagande. La porte avait l'air cependant solidement verrouillée. Ne voulant pas se faire remarquer plus que nécessaire, ils repartirent rapidement. Lily, au volant, remarqua une voiture qui semblait les suivre. Elle bifurqua à travers les petites rues, la voiture était toujours là.

- « Prends la grande avenue là, que l'on s'éloigne du centre » ordonne Paterson.
- « Ils ont arrêté de nous suivre » dit calmement Kenneth au bout d'un moment
- « Sûr ? »
- « Oui, rentrons à l'hôtel »

En attendant Nick, ils décidèrent de se plonger dans les livres de Carlyle. La lecture était plus que fastidieuse, certains étaient écrit en vieux anglais, un autre en français, un autre ne semblait avoir aucune logique narrative. Tous leur laissaient un sentiment très néfaste.

Nick arriva en fin d'après-midi. Ne lui laissant pas le temps de poser son léger bagage, ils lui racontèrent leur mésaventure depuis leur arrivée. Sceptique, après tout il n'était venu que pour ce pauvre Jackson, il posa ses yeux sur le masque africain posé sur le lit. Fronçant ses sourcils, il l'examina de plus près. Non, il ne pouvait se tromper. Les dents qui hérissaient la bouche étaient humaines. Il en était certain. La légèreté du masque semblait anormale également. Cela lui rappela un article qu'il avait lu au sujet d'une expédition qui avait ramené du Congo un bois extraordinairement léger. L’expédition Angley Richards, ça lui revenait. La moitié de l'équipe n'avait pas survécu...

Il attrapa ensuite la paire de gants. Les griffes de félin avaient une teinte marron. Du sang séché vraisemblablement.

- « Nous avons récupéré tous ces objets dans la cave de ce Silas, hum, après les ... et avant le puits et, hum... » bafouilla Fay, ne sachant comment décrire ce qu'ils avaient vu. Elle attrapa le diadème et le posa sur sa tête. « De quoi j'ai l'air ? »
- « Super » ironisa Kenneth en attrapant le sceptre, qu'il relâcha aussitôt. « Merde, ça picote ! »
- « Comment ça ? » dit Andrew en l'attrapant à son tour et qui sentit immédiatement comme une décharge électrique lui envahir l'avant-bras. « Aïe ! Tu devrais enlever ce serre-tête, Fay... ».

Nick les regardait incrédule ; dans quoi s'étaient-ils encore fourrés ?

Le lendemain, Nick se rendit, en qualité de médecin, récupérer le dossier de Roger Carlyle sur sa psychanalyse avec le Dr Huston. Les autres membres du groupe s'apprêtaient à le rejoindre mais à peine furent-ils sorti de l'hôtel qu'ils remarquèrent trois hommes noirs décidés à les suivre. Cette fois, au lieu de tenter de les semer, ils firent brusquement volte-face, obligeant les hommes à faire aussi demi-tour. Andrew s'engouffra dans l'hôtel - « Je reste en planque dans la chambre de Kenneth » - tandis que Kenneth s'élança à leur suite, suivi de Fay et Lily. Fay, abandonna rapidement la course-poursuite, incapable de suivre les grandes enjambées du géant et Lily se laissa distancer mais tint bon. Les trois hommes finirent par se séparer, Kenneth ne se laissa pas distraire, verrouilla sa cible et continua à courir. Il le rattrapa à l'angle d'une rue, se jetant sur lui et le stabilisa au sol. L'homme se débattit mais un coup puissant l'immobilisa immédiatement. Des passants commençaient à s'agglutiner et à crier autour des deux hommes et Kenneth aurait été bien en peine de leur expliquer quoi que ce soit si Lily n'était pas arrivée sur ces entre-faits. D'une voix hystérique, elle se mit à crier que l'homme à terre lui avait voler son sac et que ce charmant jeune homme l'avait pris immédiatement en chasse, lui sauvant la vie. Oh oui, il aurait droit à une très belle récompense, mais en attendant, comme elle est quelqu'un de civilisé, elle ne fait pas justice elle-même, elle va de ce pas remettre aux mains de la justice ce voleur, cet énergumène, ce nègr...

- « C'est bon, ils sont partis » lui dit Kenneth en souriant « viens, ramenons-le à l'hôtel ».

De retour dans la chambre, ils attachèrent l'homme encore inconscient à une chaise sous le regard intéressé des filles.

- « Quand même, il ne faudrait pas que mon cousin voie ça » chuchota Lily.
- « Il suffit de ne pas le faire rentrer dans cette chambre, et puis on va juste le bousculer un peu, on aura peut-être enfin des réponses à nos questions » lança Andrew en retroussant ses manches tandis que Kenneth s'allumait une cigarette en se dirigeant vers la salle de bain. « Vous n'avez qu'à rejoindre Nick comme c'était prévu, on se retrouvera plus tard ».

En sortant de la chambre, elles entendirent Andrew dire à Kenneth : « Vas-y ! Réveille-le ». Elles échangèrent un regard coupable, quoique satisfait.

Elles retrouvèrent Nick dans un petit bistrot. Il tenait, souriant, un porte-document.
- « Le dossier Carlyle mesdames ! Avec, en prime, celui de la sœurette...A votre service. Vous en avez mis du temps ! Ils sont où Sherlock et Watson ?»
- « Parfait » éluda Lily, espérant que son ton ne trahissait pas ce qui venait de se passer et ce qui allait se passer, « merci Nick ». Elle sourit.

Le psychiatre n'avait reçu Roger Carlyle en consultation que trois fois. La première séance eut lieu le 11 janvier 1918. Roger lui parla essentiellement d'un rêve qu'il faisait régulièrement. Un rêve dans lequel il se fond dans un être déifié. La deuxième séance, huit mois plus tard, fut consacré essentiellement à Anastasia, sa prêtresse. Huston étonnement constate qu'elle sera une « terrible rivale pour son autorité ». A leur troisième rencontre, les notes de Huston deviennent bien moins professionnelles et tout ce qu'il écrit est : « si je ne le suis pas C me dénonce, si je le suis je ne serais plus en mesure de l'analyser. Quel sera alors mon rôle ? ».

Ils restèrent encore un moment attablés, essayant de comparer les notes de Huston avec ce que a pu dire Erica ou penser Jackson. Tout semble revenir à Anastasia Burney qui semble avoir envoûté autant Roger que le psychiatre. Le rêve de Carlyle trouve un écho autant dans le livre « La vie d'un dieu » et l'extrait qu'il avait recopié (« et que je devienne, pour une part, un dieu ») que dans les propos incohérents de Jackson lorsqu'il était à Londres (« les rêves, les mêmes que Carlyle »).

La nuit commence à tomber lorsqu'ils revinrent à l'hôtel. Ils retrouvèrent Andrew et Kenneth, dans le hall, en train de boire un café.

- « Salut ! On sort, on va manger ? J'invite ! » s'exclama Andrew en enfilant sa veste. Sur le chemin, Fay demanda discrètement : « Alors ? », « Alors rien, cet homme est un parfait illuminé, il a tenu bon et n'a fait que fixer le livre La vie d'un Dieu qui traînait sur le lit et tout ce qu'il a bien voulu nous dire c'est qu'il servait la Langue Sanglante ».
- « Comme dans le journal de Jackson » ajouta Kenneth, « J'ai faim » annonça-t-il en remontant le col de son manteau pour se protéger de la neige et du vent glacial qui s'engouffraient dans les avenues.

En sortant du restaurant vers 22h, ils décidèrent de repasser devant l'immeuble dans Harlem. Ne voyant personne dans la rue, Andrew et Kenneth décidèrent de passer à l'action. La porte céda face aux coups répétés d'épaules de Kenneth. Le hall d'entrée était entièrement vide si ce n'est des tas de décombres qui jonchait le sol. Au sous-sol ou dans la cour, c'était le même spectacle. Convaincus qu'il devait exister un passage secret comme dans la boutique Ju-Ju mais ne voulant pas s'éterniser, ils rejoignirent les autres à la voiture et proposèrent de se rendre dans la planque du Pawn Shop pour observer la boutique. La planque avait été entièrement fouillée. Les hommes de Silas n'avaient pas fait les choses à moitié. Ils savaient où ils logeaient, avaient repéré leur va et vient. Il était dangereux de rester. Mais Kenneth s'était avancé jusqu'à la fenêtre et pointa du doigt la cour de chez Ju-Ju. Une dizaine de personnes s'affairaient dans la cour. Un camion de chez Emerson import s'engagea dans la ruelle. Les hommes en déchargèrent un gros colis qu'ils rentrèrent dans la boutique. Impuissants devant tant de monde, ils partirent discrètement, intrigués par la grosse malle. « On aurait dit un cercueil » déclara l'agent Patterson.
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

Message par nonolimitus »

@Lotin : c'est passionnant !!! 

Faut jouer plus souvent qu'on en ai plus à lire  :bravo: :bravo: :bravo:
Le DIEU avec du gobelin dedans !!!

« Vivre, ce n'est pas sérieux ce n'est pas grave, c'est juste une aventure, presque un jeu... »
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Re: [CR] Les Masques de Nyarlathotep

Message par Lotin »

nonolimitus a écrit : mar. oct. 09, 2018 5:25 pm @Lotin : c'est passionnant !!! 

Faut jouer plus souvent qu'on en ai plus à lire  :bravo: :bravo: :bravo:

Merci ! T'as de la chance, voilà la suite et fin de l'épisode new-yorkais. Rédigé par un 4e joueur incarnant le Dr. Mason. On est bien avancé dans l'épisode londonien qu'ils vont probablement terminer samedi prochain, ils sont à la bourre dans leur résumé.

Acte 10
20 Janvier 1925


Étant intervenu sur la demande de ma cousine, j’ai identifié pour sa bande d’ésotéristes qu’un des livres en leur possession était couvert de peau humaine. Mais le plus dégoûtant fut de voir qu’un joli masque traditionnel africain était serti de dents humaines… Ma cousine et sa bande ont des goûts… éclectiques !

Je suis venu exprès depuis Boston jusque dans les neiges de New York. Je ne sais toujours pas ce que je fais avec cette bande, et je n’ai qu’une hâte : celle de retrouver la chaleur douillette de mon cabinet.

Je viens d’apprendre que ce pauvre Jackson, massacré, sera inhumé demain. Il fut un bon et plaisant compagnon lors de l’affaire du Hettie et j’ai eu grand plaisir à le rencontrer. Quel dom-mage ! Quel gâchis ! Oui, un gaspillage humain à n’en pas douter. À l’hôtel où nous sommes, l’ambiance est morne. Les gens sont atterrés, l’atmosphère est pesante. Ils passent leur temps à compulser ces manuscrits impies dans l’espoir de… je ne sais même pas pourquoi ils les lisent ni même ce qu’ils cherchent… À mon sens, c’est une perte de temps…

Finalement, épuisés, - je distingue nettement la fatigue sur leurs visages - ils décident d’aller se coucher et nouvelle lubie de ma cousine : il faut dormir certes, mais armés !!! Elle me rend dingue et ne fait qu’augmenter la nervosité du groupe… J’ai presque l’impression de me sentir plus en sécurité, seul, à l’extérieur, dans les rues new-yorkaises qu’avec eux… sensation étrange… Mais bon, pour J.E. nous nous devons de retrouver son ignoble assassin. En cela je les suis totalement.

Lundi 21 janvier 1925

Le lendemain matin, le rendez-vous est pris avec le cimetière d’Evergreen, à Brooklyn. Nous sommes chaleureusement accueillis par le pasteur Laurence O’Dell ainsi que par le lieutenant Poole qui est venu pour l’occasion. On distingue aussi, parmi la foule, Joe Corey, le garde du corps de Miss Carlyle. Un certain Vernon - tout le monde semble ému de le voir ici - est effon-dré. Il semblait proche de J.E. Étrangement Jonah, l’éditeur de Jackson est absent. Cet enter-rement est d’une tristesse, malgré le beau discours du pasteur. J.E. est inhumé seul, sans famille, mais surtout avec nous pour seuls amis… Il méritait mieux !

La présence de Joe Corey intrigue Fay. Elle décide de le suivre lorsqu’il quitte la cérémonie avant sa fin. Cet homme, un peu brusque, lui révèle qu’il était seulement venu non pas par sym-pathie, mais pour vérifier que nous connaissions bien Jackson comme ils l’avaient affirmé à Miss Carlyle avant mon arrivée. Cela laisse Fay pantoise qui revient vers nous.

Nous trouvons l’absence de Jonah étrange, même le père O’Dell semble inquiet. Le lieutenant Poole fait fi de nos inquiétudes et part travailler. De notre côté, nous décidons d’aller au bureau des éditions Prospero. La secrétaire nous reçoit, mais il nous faut insister pour qu’elle daigne chercher à joindre son patron. Personne ne répond au téléphone. Après une brève hésitation -on sentait bien qu’elle commençait aussi à s’inquiéter-, elle nous glisse l’adresse personnelle de l’éditeur de Jackson. Nous nous y rendons sur-le-champ.

Arrivés à destination, nous toquons à la porte. Personne. Nous faisons le tour et, ô stupeur, la porte arrière est ouverte… complètement fracturée. Et bien entendu le pire fut à venir… après avoir visité le rez-de-chaussée, nous montons à l’étage pour découvrir Jonah et son épouse mas-sacrés durant leur sommeil, une marque hideuse incisée maladroitement sur le front. Mes cama-rades reconnaissent cette marque (« toujours la même marque, depuis le meurtre de Khan glis-sent-ils »).

Un tour d’horizon rapide montre que le ou les individus coupables de ce forfait sanglant étaient seulement venus pour tuer ! Rien ne semblait avoir été touché ou pillé. Décidément le sort s’acharne contre nous. La police « immédiatement » prévenue, nous attendons les secours. Le lieutenant Poole arrive et constate l’inévitable… Il nous interroge alors et nous lui narrons nous derniers faits après qu’il nous a quittés à la cérémonie. Il a l’air inquiet et pour raison d’enquête, nous demande de ne pas quitter la ville. Après quelques autres questions, il nous libère.

Les filles ont alors l’idée de partir au journal - le N.Y. Pillar Riposte - pour enquêter. Pas grand-chose à se mettre sous la dent là-bas. La photo du pilier étrange, publiée lors d’un article sur l’expédition Carlyle, proviendrait d’un journal africain : le Nairobi Star.

La piste des meurtres relatés par le journal ne nous mène à rien non plus. Pour le journal, ça sent juste le satanisme sensationnel et ça fait vendre des tirages. Encore une voie de garage…
Direction Emerson Import. Lily G. veut soudoyer le personnel pour avoir le fin mot de cette histoire de caisse livrée au Ju-Ju. Cousine Lily tente son numéro de charme, mais n’arrive à rien que l’argent ne puisse faire de mieux… après avoir graissé la patte de cet olibrius de patron, d’un geste sec, ce dernier arrache la page des comptes import/export de la boutique Ju-Ju et nous la donne. Je ne sais pourquoi, mais Fay murmure « comptabilité… champagne… ». Après une brève lecture des données, et une comparaison entre les dates des livraisons et celles des différents meurtres, nous ne trouvons aucune correspondance. Nous remarquons seulement que la boutique Ju-Ju importe beaucoup d’œuvres d’art, au moins deux fois par mois après 1924 pour seulement 4 expéditions vers le Kenya. Mais qu’ont-ils pu renvoyer ???

Lily G. a une nouvelle idée : l’office de l’immigration. Elle semble avoir une dent contre le pa-tron de la boutique : Silas N’Kwane et quand ma cousine a une cible devant elle, elle ne la lâche pas… je me souviens lorsque nous étions enfants… non, plus tard les souvenirs…

Une fois à l’office nous devons attendre très longtemps, pour un résultat négatif. Rien… Dès que nous en sortons, nous nous rendons compte que le soir est tombé et qu’il fait très froid, il neige fort. Nous rentrons directement à l’hôtel. La tension parmi nous est palpable depuis le meurtre de Jonah et son épouse. La moindre personne de couleur croisée simplement dans la rue déclenche chez nous des réactions… racistes.
La soirée se passe. Les filles s’enferment pour faire de la lecture tandis que Kenneth fume. Je les laisse à leurs affaires et vais me coucher.


Mardi 22 janvier 1925

Le lendemain matin, nous décidons de retourner voir le vieil excentrique Joseph Van Arvelde. Fay en parle avec un léger accent de dégoût. Mais que s’est-il passé lorsqu’elle a été le voir une première fois ?

Nous questionnons ce gentleman, mais ses réponses ne nous apportent rien que nous ne sa-chions déjà. Il nous laisse voir le poème qui semble avoir perturbé Fay.

Le poème d’Anastasia, muse de Carlyle, est remarquable, son niveau d’anglais est divin. C’est étrange pour une Congolaise dont la langue maternelle est le français. Van Arvelde avoue ne pas savoir où elle aurait pu acquérir un tel niveau d’anglais pour une native de l’Empire belge. Cette dernière ne lui a été présentée que par Carlyle lors de quelques mondanités.

Cousine Lily décide de prendre l’interrogatoire en main. Bon sang cousine, nous n’êtes pas une habile enquêtrice… Les questions de cousine braquent l’explorateur belge, expert en mytholo-gie des gorilles blancs. Seule la présence de Fay semble lui faire crépiter le regard de mille étoiles… il la dévore littéralement des yeux et Fay se sent de plus en plus mal à l’aise. Voyant un ouvrage ancien, je détourne la conservation dessus. Ce monsieur est bibliophile, il a une édi-tion originale du Voyage au cœur des Ténèbres de Conrad. Il l’a trouvé chez un bouquiniste londonien : la librairie Blackwood. À l’occasion, si jamais occasion il y a, il me faudra y aller.
Sur le chemin du retour, le groupe prend la direction de la planque. Finalement au dernier mo-ment, nous prenons le chemin du domicile d’Andrew Patterson. Arrivés chez lui, nous frap-pons à la porte et personne ne répond. Soudain, la porte s’entrebâille doucement. Notre sang se glace, nous craignons le pire… comme chez l’éditeur. Nous entrons… c’est le chaos… Visible-ment on s’est battu dans cette maison. Nous cherchons, nous fouillons… des traces de sang sur les murs… Les filles et Kenneth vont inspecter la cuisine, moi je trouve refuge dans les toi-lettes. J’ai besoin de calme…

Soudain, des voix d’hommes retentissent. Je me fige. Des policiers entrent et arrêtent Fay et Lily, puis ils me trouvent… je sors… presque honteux… Nous ne sommes pas très glorieux…
Direction le poste de police, menotté, humiliés. Quelle affaire ! Au poste nous sommes interro-gés, ils pensent que nous y sommes pour quelque chose dans la disparition de l’agent Patter-son. On nous jette en cellule où nous attendons près de deux heures. Finalement le lieutenant Poole arrive, nous passe un soufflon. Patterson aurait disparu depuis deux jours. On décide de tout raconter à Poole. Cousine et Fay insistent sur le lien entre Ju-Ju et la mort de Jackson. Poole semble dubitatif… il lui faut plus de preuves. Il nous donne rendez-vous au poste de po-lice pour le lendemain 9h précises. Puis il nous libère. Nous avons de la chance… pris dans la maison d’un agent disparu…
Dès notre sortie, je fonce chez un armurier. Je décide enfin de m’armer. Ils ont raison, cette his-toire sent mauvais. Pour une fois, j’écoute ma cousine, je sais très bien que Lily s’y connaît en arme. Cela m’effraie, mais je dois reconnaître qu’elle est de bon conseil. Je prends un ca-libre .45, le poids de l’arme me rassure.

Ensuite le groupe décide d’aller à la planque. Je les suis. Je découvre cet endroit, il y fait un froid glacial. Quelle idée d’attendre la mort glacée dans ce mont de piété désert… Toutefois, je dois bien reconnaître que nous pouvons observer les allers et venues devant la boutique Ju-Ju sans se faire repérer.

Ce soir, à la boutique, il y a une forte activité. On déménage ! Caisses et cartons sont transportés avec frénésie. Ils fuient les lâches !!! Kenneth et Fay décident de rester en planque. Avec cou-sine, nous suivons discrètement la première voiture qui part. Nous les prenons en filature et cou-sine est douée pour cela. Nous ne sommes pas repérés. Ils s’arrêtent à l’angle de la 139e et de Lennox. C’est l’adresse d’un bar, le Fat Maybelle. Deux hommes sortent de la voiture et font de longs va-et-vient avec les cartons. Nous comptons des rotations de près d’un quart d’heure. Pre-nant mon courage à deux mains, et m’armant de l’un des « canifs » de cousine, je sors dans la rue, m’approche discrètement du véhicule et crève les roues arrière. Je reviens m’abriter dans notre véhicule. Dehors il fait froid. Un peu plus tard, une seconde voiture arrive, des hommes en sortent, ils sont rejoints par ceux de la première et ils commencent à la décharger. Enfin, un troi-sième véhicule fait son apparition et le manège se poursuit. Les longs allers et venues nous inter-rogent. Cousine est persuadée qu’ils sortent du bâtiment par l’arrière et vont ailleurs. Nous déci-dons alors de faire le tour du pâté de maisons. Finalement non, cela semble impossible. Nous sommes alors convaincus qu’ils ne sortent pas et restent bien dans le bar.

De leur côté, dans la planque Kenneth et Fay patientent. Au bout d’un long moment, alors que la dernière voiture semble enfin chargée, Silas sort et ferme la boutique. Enfin avec trois hommes, ils montent dans la voiture et partent. Kenneth et Fay en profitent pour aller dans la boutique. Kenneth défonce la porte d’un coup d’épaule. Les rayonnages sont clairsemés, il y a un désordre monstre dans la boutique. Le comptoir est vide. Kenneth et Fay se dirigent vers la cave. La trappe est ouverte, une odeur de chair grillée envahit la pièce. Ils descendent. La grosse porte est aussi ouverte. Au sol de la pièce, des corps brûlés sauf un : un noir avec sur le front la marque bien connue…

Fay s’approche du puits et son regard est attiré vers le fond. Elle y voit le négatif d’un gros ver brûlé. Soudain, elle sent une pression sur sa cheville : une main l’a saisie. Elle pousse un cri et tente de se dégager. D’une torsion, elle repousse la main et interpelle l’individu qui rampe au sol. Son regard laiteux lui suggère qu’il s’agit d’un autre zombie. Le temps que la créature se meuve, Kenneth et Fay filent à l’anglaise et remontent à l’étage. Ils se mettent alors à fouiller la boutique.

Pendant ce temps, toujours dans la voiture, nous voyons arriver le 4e véhicule et Silas en sort. Cousine lâche un juron. Un individu que nous n’avons jamais vu sort du bar et attend Silas. Ils échangent quelques paroles puis entrent. Je propose de mettre le feu, mais cousine refuse. Comme elle conduit, elle démarre en trombe et on retourne à la planque où l’on retrouve nos amis qui nous narrent leur aventure et nous la nôtre. Il est temps, désormais, de rentrer à l’hôtel. Il est plus d’une heure du matin, et nous sommes épuisés. À l’hôtel nous allons directement nous coucher.


Mercredi 23 janvier 1925

Le lendemain, à 9h, nous avons rendez-vous avec le lieutenant Poole. Il n’a toujours aucune nouvelle de l’agent Patterson. L’enquête auprès du voisinage a montré que deux voitures se sont garées dans la nuit de dimanche à lundi devant le domicile de l’agent. Des hommes en sont sortis et sont entrés dans la maison. Il ne sait rien de plus, mais nous apprend que c’est le même voisinage qui nous a dénoncés à la police lorsque nous sommes entrés chez Patterson.

Poole se laisse convaincre d’aller chez Ju-Ju. Nous le suivons à distance. Il prend cinq policiers avec lui et partent à deux voitures. Arrivés sur les lieux, nous restons dans la voiture à attendre. Personne n’a parlé « du zombie de la cave ». Après un petit moment, Poole ressort, un des hommes semble blessé. Je propose mes services, mais l’on m’ignore. Le blessé et deux autres gars montent dans une des voitures puis partent. Poole nous raconte alors sa descente à la cave et sa rencontre avec la créature. Nous décidons de lui donner l’adresse du Fat Maybelle. Poole demande du renfort et une autre voiture arrive peu après. Nous partons alors pour le bar. Arrivée devant, la police s’apprête à livrer un assaut. Les six policiers sont tendus. Ils défoncent la porte et entrent. Nous les suivons. On entre dans une grande salle avec une dizaine de tables et des box le long des murs. Le bar est à droite. Plus loin, nous voyons l’accès vers un escalier. Fay entend du bruit venant de l’étage. Les policiers montent, nous sommes sur leur talon. On dé-bouche dans un couloir donnant sur de nombreuses portes en enfilade. Les policiers frappent aux portes, les premières ouvrent sur des pièces vides. Depuis celles du fond, des voix répon-dent. Les portes s’entrebâillent et nous voyons des gens… des noirs… ils se disent locataires de ces appartements. Cousine me donne un coup dans les côtes : « tu vois, nous avons bien fait de ne pas mettre le feu, il y avait des civils dans l’immeuble » me chuchote-t-elle à l’oreille. Poole décide alors de descendre à la cave. De leur côté Kenneth et Fay restent à l’étage en faction. Avec cousine, nous suivons le lieutenant.

La cave, comme toute cave est pleine d’affaires. Nous remarquons plein de bouteilles de whis-kies de distilleries différentes. Poole fait la moue.

Au sol, je remarque les traces effacées d’un cercle peint sur la pierre. Il y a des marques sur le tracé du cercle, comme si la pierre avait été exposée à la chaleur ou à un acide violent. Les dalles du sol sont brunies. À la vue du cercle, cousine devient livide. Son regard montre qu’elle a déjà vu ce genre de chose… plus tard, il faudra que je songe à lui demander l’histoire de son groupe et qu’elle me dise enfin ce qu’ils ont vécu… Lily murmure « un pentagramme »…

Contre un des murs, un policier découvre, caché derrière des caisses, un tunnel aménagé dans la paroi. Il s’agit d’un petit tunnel, assez étroit. Une seule personne peut s’y glisser à la fois. Faut-il y aller ? Est-ce un piège ?

Le lieutenant prend la décision d’y aller avec son équipe… nous prévenons Fay et Kenneth qui nous rejoignent. Prenant notre courage à bras le corps, on pénètre dans l’obscurité… Au bout de seulement 10 m, nous tombons sur les rails du métro new-yorkais. En face, contre la paroi op-posée, les policiers découvrent une entrée camouflée. Après une brève hésitation, Poole décide d’y aller. Nous lui demandons, nous le supplions presque de demander des renforts. Rien à faire, il a l’air de se moquer du danger et se glisse dans l’ouverture. Nous le suivons… Je passe devant suivi de cousine et de Fay. Enfin Kenneth ferme la marche, sa taille de géant fait qu’il peine à se mouvoir dans ce boyau étroit.

Au bout d’un moment, les policiers stoppent leur marche. On entend au loin des chants. Poole et ses hommes reprennent alors leur progression. On arrive en vue d’une grande salle taillée dans le socle rocheux de NY. Au sol, et en contrebas, un bassin avec dedans un ver énorme couvert de visages humains et des mâchoires béantes. Au centre de la pièce, au-dessus du bas-sin, maintenu par un système de suspension, un cadavre pendu par les pieds se fait lentement dévorer (déguster ?) par la créature. Dans un coin, des victimes sacrificielles, attachées, mas-quées, attendent leur tour…

Six hommes noirs se tiennent autour du bassin. En robe de cérémonie se trouve l’homme qui attendait Silas à l’extérieur. Silas, lui, tient une arme à feu à la main.

Soudain, l’un des policiers tombe à terre et se roule de douleur. Son visage ! On dirait qu’il a vieilli de trente ans d’un seul coup. Aussi soudainement, un autre policier tombe à terre et se roule en boule. Il faut réagir très vite. L’espèce de prêtre tend la main vers moi. Je suis pris d’une grande frayeur, mais la sensation passe très vite. Les noirs se jettent sur les policiers. Un corps à corps s’engage immédiatement. C’est la cohue.

Je tire deux coups qui malheureusement ratent. Fay tire et fait mouche, elle est douée. Le prêtre est propulsé à terre. Lily s’agenouille et prend son temps, respire calmement. Elle vise… Silas ! Pendant ce temps Silas tire et abat un policier. Kenneth qui a réussi à s’extirper de l’étroit boyau tire sur le corps du prêtre à terre qui a un soubresaut à l’impact de la balle. Du sang coule au le sol.

Les policiers se battent comme ils peuvent. Ils sortent leurs matraques et résistent à l’assaut des noirs. Je tire à nouveau sur Silas. Deux coups… je rate… malchance !!!

Fay fait alors l’erreur de regarder la créature. Elle aperçoit l’ignoble chose en train de se hisser hors du bassin, attirée par le sang du prêtre qui coule au sol. D’ailleurs elle attrape le corps et commence à le dévorer.

Lily se concentre, respire calmement et tire… mais elle rate sa cible. Silas, alerté par le tir qui l’a manqué de peu, riposte et tire sur Lily. Malchance encore, il la touche. Kenneth réagit aussitôt, tire sur Silas pour couvrir Lily. Son tir rate l’homme. Je tire aussi sur lui, rate, mais Fay, tou-jours plus chanceuse, elle, le blesse. Lily hurle de rage et fait feu. Son tir fait mouche ! Elle exulte ! Silas est abattu. Enfin ! On dirait presque une vengeance personnelle ? Pour Jackson ?
Kenneth sort son long couteau et éventre l’un des assaillants qu’il coupe presque en deux. Du sang gicle. Je tire et touche, voire tue un autre salaud. Fay met son poing américain et fonce dans la mêlée. Pendant ce temps, Lily se glisse contre la paroi et va libérer les otages. Patterson est parmi eux !!!

Finalement, après quelques échanges, nous prenons le dessus. On gagne ! Vite il faut repartir.
Hélas Poole regarde la créature en train de se nourrir du prêtre. Il blêmit et défaille.

Soudainement des bruits retentissent derrière nous. Les noirs des appartements déboulent du tunnel. Ils brandissent des machettes et se jettent sur nous. La victoire qui était proche nous échappe totalement.

L’un d’eux blesse Fay et Lily. Poole est abattu ! Dead Poole ?

Kenneth lève le bras et assène un grand coup de couteau. Il découpe littéralement son adver-saire. Je tire à bout portant sur l’homme qui se jette sur moi. Il tombe à terre. Fay frappe de toutes ses forces et défonce un gars. Lily tire et blesse son adversaire. Kenneth se tourne vers elle et taillade son assaillant. Un noir m’attaque, je tire, rate… clic… clic… plus de balle ! Deux hommes m’attaquent…

Fay tire aussi et rate. Soudain un BAM retentit. L’adversaire de Lily s’effondre, un gros trou dans la tête.

L’agent Patterson, remis de ses émotions, mais bien contusionné, vient nous prêter main-forte. Il engage un corps à corps diabolique avec l’un des sauvages. Kenneth attaque l’un de mes adversaires et le tranche salement. Plus qu’un ! À l’université j’avais pratiqué le pugilat. J’essaie quelques mouvements, mais échoue dans la manœuvre. Mon adversaire esquive. De son côté Fay frappe son adversaire et lui défonce la mâchoire avec son poing américain. Prise d’une hys-térie destructrice, certainement causée par sa blessure profonde, Lily se jette avec fureur sur mon adversaire et son action me sauve la vie ! L’homme s’effondre, mort, sous l’assaut de Lily. Mon héroïne !

Andrew réussit enfin à se libérer de son adversaire. Meurtris, blessés, et même des morts parmi les policiers, mais victorieux !

Hélas, ce n’est pas terminé… la créature pousse des cris, le réflexe… stupide… je tourne la tête et la regarde… horreur indescriptible… la tête me tourne… mais je me reprends très vite… D’autres que moi auront eu le même réflexe. Je crois deviner à son regard que Fay a vu quelque chose… elle nous dira plus tard qu’elle a cru voir… le visage du prêtre sur le corps de la créa-ture… À côté de moi Poole perd beaucoup de sang. Je lui délivre les premiers soins en urgence. Vite il nous faut évacuer. Lily hurle quelque chose… puis met le feu à la bête. Nous fuyons. Le retour vers l’extérieur se passe comme dans un rêve. Nous nous retrouvons dans la rue, blessés, saignant…

Lily s’effondre, ses derniers actes héroïques auront eu raison de ses forces. Elle est gravement blessée. Je tente de panser ses blessures, je suis pourtant sûr de moi lorsque je lui délivre les premiers soins, c’est tellement simple… sauf que mes mains tremblent tellement que je manque de peu de la tuer. Peut-être est-ce le froid de la rue qui nous calme. J’arrive de justement à arrê-ter le saignement que j’ai aggravé de lors de ma première tentative. Mon cœur bat à tout rompre… elle est sauve… râle… « Silas ! » je crois qu’elle veut encore lui faire la peau… c’est bien Lily ça !

Direction l’hôpital où nous pansons nos plaies. Il nous faut du repos, beaucoup de repos… De son côté la police est fière d’annoncer dans les journaux qu’une secte africaine a été démantelée. Cette secte horrible pratiquait des sacrifices, mais grâce à l’action du lieutenant Poole et de ses hommes au courage héroïque, la menace qui pesait sourdement sur NY a été éradiquée. Le lieu-tenant est félicité et promu. Finalement il l’a bien mérité. Et nous, bien au chaud à l’hôpital, nous nous remettons. Déjà j’entends Lily dans la chambre voisine échafauder de nouveaux plans… je soupire… nous sommes vivants !

Le séjour à l’hôpital se passe bien, on récupère nos forces, on arrive même à plaisanter et à rire. Jackson a été vengé, même si la cicatrice que ça laisse aura bien du mal à se refermer.
Pourtant nous le savons… il nous faut poursuivre l’enquête… ce n’est pas terminé, la piste Car-lyle mène vers Boston, puis Arkham. Enfin, après avoir discuté de nombreuses heures, nous pensons partir prochainement pour Londres.

Peut-être aurais-je l’occasion d’aller voir mon bouquiniste ?
Dernière modification par Lotin le jeu. oct. 11, 2018 11:17 am, modifié 1 fois.
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