[CR][ItO] Les 5 supplices revisités

[Carfax]

Quartier portuaire - Shanghaïdi
Première après-midi en Asidi

Après s’être renseigné auprès des autorités portuaires, Gueding confirme aux investigateurs la présence dans le port du cargo. Ce dernier est retenu à quai et n’a pas encore obtenu l’autorisation d’appareiller. Il s’agit bien d’un navire marchand battant pavillon nippondien et ses soutes sont emplies d’une cargaison  de riz et autres denrées de premières nécessités pour l'effort de guerre, du moins tel est ce que mentionne la déclaration douanière de son capitaine dénommé Tsatsoba.

Souhaitant monter à son bord, suspectant la présence de pièces de la collection Lansdales, un conciliabule s’engage entre les investigateurs et Gueding afin de trouver la meilleure opportunité pour ce faire. Après quelques échanges, une idée germe : user d’un subterfuge tel un contrôle douanier. Dès lors tout est mis en œuvre avec l’appui et les relations de l’agent Gueding pour mobiliser quatre douaniers en soutien ainsi que des uniformes pour habiller le lord et ses amis. Compte tenu de son éloquence et de sa prestance, ce dernier portera les gallons de l’officier supérieur des douanes de sa Majesté dirigeant le contrôle. Respectant les règles d’usage à leur mission, le capitaine du cargo est averti officiellement de cette visite douanière imminente.

En ce milieu d’après-midi, c’est donc huit hommes en uniforme des douanes impériales qui traversent le quartier portuaire de Shanghaïdi envahi d’une brume de chaleur évanescente. Le spectacle est ahurissant pour les trois occidentaux. Une myriade de jonques parcelle la surface de l’eau. Agglutinées les unes aux autres, elles sont de toutes parts masquant le bleu des eaux du port. Sur leur bord, hommes et femmes fourmillent d’activité, qui vendant, qui achetant, qui transportant. Un bourdonnement quasi assourdissant résulte de ce frétillement incessant. Au loin, en retrait, des mâts et des cheminées plus imposants les uns que les autres dévoilent les quais marchants.

 

 

Le groupe trotte d’un bon pas en cette direction. Parfois il s’éparpille et s’égare au fil des obstacles et des flux et reflux de la foule du port mais aussi par la présence amplifiée d’une brume pesante. C’est là, au milieu de cet environnement opacifié que les trois héros croisent à nouveau la route du marchand ambulant. D’un pas gracile, semblant seul en ce lieu pourtant envahi de vie, il s’avance tour à tour vers chacun d’eux offrant ses friandises. Subjugués par son apparition, leurs papilles gustatives en émoi, les trois hommes offrent nulle résistance et gouttent chacun l’offrande. Et comme chaque fois, une phrase litanique envahit leur esprit transcendé et jamais la même :

« Celui qui garde sa propre tombe détient le brûloir convoité par l’Océan. »,

« Ne cherche pas le poisson qui marche et laisse le captif. »,

« La vue des aveugles aperçoit les Gardiens. ».

 

Et fidèle à son habitude, son obole consommée, le vagabond s’évanouit dans les limbes brumeux laissant ses convives tous aussi extatiques que troublés.



à suivre...

[AsgardOdin]

Et fidèle à son habitude, son obole consommée, le vagabond s’évanouit dans les limbes brumeux laissant ses convives tout aussi extatique que troublé.

[Carfax]

A bord du cargo "Shen De" - Port de Shangaïdi
Première après-midi en Asidi

 

 

Tenant sa casquette d’officier sous le bras, le commandant Tsatoba penche quelque peu son buste en avant pour accueillir la délégation douanière « Bienvenue à bord du « Shen De » contrôleurs ! ». L’homme est de petite taille mais rigueur et sévérité semble rimer avec sa personnalité. Premier à poser pied à bord du cargo, Richard répond d’un parfait salut militaire puis ne peut manquer de lever ses yeux vers la cheminée du bâtiment peinte d’un vert délavé. D’aussi près, ce qui semblait être un hippocampe stylisé représente plutôt une créature marine folklorique sûrement issue de contes nippondiens. D’un rapide coup d’œil au pont, il constate sa désertification, aucun homme d’équipage à la tâche. « Merci commandant. Nous procédons, comme vous en avez été averti par les autorités portuaires, à un contrôle douanier routinier. Me confirmez-vous que seules des denrées alimentaires emplissent vos cales ? Par ailleurs, je ne vois nul homme d’équipage ? » questionne Richard. « Oui officier, le chargement du « Shen De » est conforme à notre déclaration douanière. » répond Tsatoba dans un anglais sans accent et complète froidement « Mon équipage a pris ses quartiers à terre en attendant l’autorisation d’appareiller. Je suis seul à bord. Souhaitez-vous débuter votre contrôle par les soutes ou le pont, officier ? ». Un des quatre agents douaniers, certainement mécontent de son recrutement improvisé pour cette mission mascarade, propose de se séparer en deux groupes pour écourter la visite. Une intervention qui a le don d’hériter Richard qui sèchement avance « Nous débuterons tous par examiner le ventre du navire, si vous n’y voyez pas d’objection commandant Tsatoba ? ». « Nullement officier mais je ne vous accompagne pas. Je serai et vous attendrai à la salle des cartes, j'ai à faire. » prévient le marin nippondien.



à suivre...

[Carfax]

Dans les soutes du cargo "Shen De"

Le cargo est de belle taille. Après avoir rejoint sa poupe sans rencontrer âme qui vive puis emprunté une échelle pigmentée de rouille, les huit douaniers s’engouffrent dans les soutes du navire en franchissant une première écoutille. Cette première soute est d’un volume réduit. Toute sorte de bouts et autres cordages et filets marins sont entassés là. Une odeur iodée prégnante mélangée à des relents mazoutés agresse immédiatement les narines des douaniers. Une forte humidité règne, la faute à l’eau de mer stagnante qui noie le fond de cale de quelques centimètres et dans laquelle patauge désormais le petit groupe pour rejoindre l’écoutille opposée. D’une main ferme, Thomas l’ouvre et débouche dans la salle des moteurs. Cette soute est bien plus profonde que la précédente. Un pont métallique surélevé avec deux longues chaines en guise de gardes corps s’élance vers l’avant du navire. Impossible d’en apercevoir l’extrémité car la soute est plongée dans le noir que seul une faible lampe accrochée au plafond tente de repoussé en grésillant. Le groupe s’engage sur la passerelle puis stoppe après quelques mètres d’avancée. Gueding s’inquiète « Nous sommes dans la salle des machines apparemment. Curieusement, celle-ci semble inondée. Regardez sous nos pieds ! » Puis il ordonne en désignant les douaniers venus en renfort « Vous quatre, allez voir où mène cette passerelle ! ». Alors que les quatre hommes poursuivent en file indienne plus avant, Thomas penché en avant scrute le fond de la soute. Une surface aqueuse est nettement distinguable. Elle affleure la passerelle noyant les caissons des machineries. Saisissant une pièce d’un shilling dans sa poche, il l’abandonne à la gravité. Plouf ! Brisant la surface de l’eau, celle-ci s’y enfonce et se perd à la vue de l’investigateur. Songeur, Thomas exprime son inquiétude à ses amis « C’est étrange toute cette eau ? Cela ne me dit rien qui… ». Depuis leur dos, un bruit métallique résonne et son écho envahit toute la salle. L’écoutille s'est brutalement refermée.

 

Thomas et Richard se précipitent tous deux vers la porte close. Leurs pas de course font vrombir les grilles de fer sous leurs pieds. Dans ce vacarme métallique, Gueding qui n’a toujours pas bougé, hèle les douaniers partis en éclaireurs. Hésitant quelques secondes, Ian prend recule et tourne son anneau en songeant à son entrée en ce lieu. Sa vue se floute, le voilà nauséeux mais, dur constat, son saut en arrière dans le temps n’est pas assez important. Au bout de la passerelle, Thomas atteint pour la deuxième fois l’écoutille. Déçu, il opte et part en direction des douaniers restés silencieux aux appels de Gueding.

 

Ses deux mains sur la poignée de la porte marine, aidé de son compère, Thomas force à se crisper la mâchoire. Peu à peu, la poignée tourne laissant entrevoir l’espoir d’une ouverture. Mais en vain, le mécanisme est sciemment entravé depuis l’extérieur. Reprenant leur souffle dans cet air vicié d’iode, les deux hommes fédèrent à nouveau leur effort pour une dernière tentative désespérée.

 

Glong !

Plus loin. Derrière eux. Quelque chose vient de chuter sur la passerelle. Le bruit est sec puis se rapproche.

Dlong, dlang, dlong, … 

Le son résonne, bourdonne. Richard tourne le regard. Une boule roule vers eux. Rebondissant sur les grilles de métal de la passerelle, sa cinétique s’essouffle peu à peu. Mais lorsque le lord identifie l’objet, il ne peut refréner un haut le cœur. La tête tranchée de l’agent Gueding, les yeux révulsés figés dans une expression de terreur, vient heurter ses pieds. Lentement, comme figé dans le temps, Richard lève son regard. Là, à quelques mètres, géante, une créature obscène le dévisage. De forme humanoïde, de plus de deux mètres cinquante de haut, obèse, visqueuse et dégoulinante, tel un poisson sur pied à la gueule dentée, elle écarte de sa patte antérieur le corps étêté de l’agent impérial qui choie dans l’eau depuis la passerelle. Un long filet de sang s’écoule de l’une de ses deux mains griffues. Sous ce corps difforme, la passerelle plie et grince de douleur lorsqu’elle entreprend de s’avancer vers les deux hommes. « Euh..., Thomas... » chevrote le lord alors que, derrière lui et tout afféré à son travail de force, son ami n’a pas encore conscience du danger imminent.

 

Spoiler:

Shen De - Image Luzy - Les 5 supplices

 

Ian court. Ses pieds frappent lourdement la passerelle. Il n’a pas idée du drame qui s’est joué et qui se joue encore derrière lui. Horreur ! En bout de passerelle, devant une nouvelle porte marine mais entrouverte cette fois-ci, les corps démembrés et déchiquetés de trois douaniers entravent le passage. Sous la passerelle, l’eau tourbillonne, comme agitée anormalement. Stoppant sa course, haletant, au bord de l’écœurement et n’écoutant que son courage, le major enjambe le charnier et se risque à franchir son seuil.

 

Peu véloce, mollement, la créature approche. Reculant d’un pas et laissant Thomas en première ligne, Richard appose sa main gantée sur la paroi proche de l’écoutille condamnée. Il souhaite faire chuter le monstre dans l’eau depuis la passerelle en ouvrant un passage sous ses pattes. Il espère juste que celui-ci sera assez large pour que son piège fonctionne.

 

Une onde pansue se propage sur la surface aqueuse. Surgissant du passage magique ouvert à côté de l’écoutille, le montre vient de plonger lourdement dans les eaux profondes de la soute en lâchant un borborygme roque. Dans sa chute, il s’en est fallu d’un rien qu’il n’emporte d’un coup de patte le lord avec lui. Mais ses griffes n’ont fait que trancher les chairs de Richard. « Un moindre mal » grimace-t-il à l’idée de prendre un bain forcé avec une telle bête. Profitant de cette opportunité inespérée, les trois investigateurs s’élancent sur la passerelle afin d’atteindre au plus vite son extrémité opposée.

Ian est interdit. Jamais il n’aurait imaginé être à nouveau témoin d’une telle épouvante. La mise en scène est strictement le même, macabre, morbide. Cinq hommes disposés aux cinq angles d’un pentacle parfait subissent chacun un immonde supplice. Comme au théâtre des ombres, la salle beigne d’une couleur verdâtre alimentée par des braseros disposés en ses coins dans des jarres en verre. Mais ici, ce n’est pas une frêle femme qui est prisonnière en son centre, non, ici, c’est un homme. A genoux, recroquevillé sur lui-même, un pistolet tenu par sa main droite et posé sur sa tempe, il pleurniche dans son bel uniforme des douanes impériales.

 

Courir. Le plus vite possible. Enfin, cette fichue passerelle laisse entrevoir sa fin ; une porte grande ouverte d’où émane une lueur verte. Thomas s’y engouffre suivi du lord qui manque se faire happé par une deuxième créature surgissant, tout proche, des eaux sombres. Thomas vire volte et d’une poigne ferme extirpe son ami de cette mauvaise passe puis, poussant d’une épaule, engage la fermeture de l’écoutille. Richard se relève et lui prête secours. Plus que quelques centimètres. Mais soudainement, un énorme avant-bras bleuté et visqueux s’immisce dans l’entrebâillement annihilant leur effort. Thomas s’arque boute. D’une main, Richard tire sa canne-épée et pointe l’appendice. Une lutte acharnée s’engage. Les deux hommes cèdent du terrain. Une deuxième créature pousse. La pression est terrible, trop forte. L’écoutille s’ouvre à la volée expulsant en arrière les deux hommes. Mais dans leur précipitation, les deux monstres se gênent mutuellement et s’entravent dans l’ouverture.     

 

Prudemment et prenant grand soin cette fois de n’effacer aucune ligne du dessin géométrique tracé au sol, Ian avance vers le désespéré. Au fond, une nouvelle écoutille à peine entrouverte laisse apparaître un large filet lumineux le long de l’interstice. « Hé l’ami, pas de bêtise… » l’interpelle-t-il doucement. Le douanier tourne sa tête. Abandonnant son arme au sol, il se relève les yeux hagards, encore larmoyant. Brusquement, il saisit violemment le col du major et s’écrit hystérique « On va tous crever ! Nous sommes en enfer ! On va crever ici ! ».

 

Un sursis. Il n’en fallait pas plus pour Thomas. La créature se pulvérise en poussière, sa pense percée par la canne-sagaie de l’aventurier. La magie de l’arme a opérée. De son côté, en maître escrimeur, Richard vient de crever l’œil de la seconde. Dans un râle puissant, elle esquisse une retraite. L’opportunité est trop belle. Les deux hommes se précipitent et ferme l’écoutille qui tremble immédiatement sous les coups de butoir du monstre borgne coincé derrière.



à suivre...

[LeGros]

Pinaise de pinaise ! que c'est chaud !

[AsgardOdin]

La tension devait être palpable..

[Carfax]

@LeGros , @AsgardOdin  : et c'est pas fini...j'essaye de vous écrire la fin de notre dernière séance de jeu au plus vite. Quoiqu'il en soit, nous avons fini l'acte 2 et reprendrons fin août la suite car le groupe se disperse pendant le mois estival à venir...

EDIT : puis aussi vous donner mes orientations et digressions par rapport à la trame du scénario officiel.

[Carfax]

Dans les soutes du cargo "Shen De"

« Le diable est en ce lieu ! On va tous crever ! »

Pris de folie, ses deux mains tétanisées et accrochées au col de la redingote du major, le douanier survivant éructe et postillonne au visage de l’officier. Ian tente de desserrer l’étreinte qui enserre son cou.

« Bon Dieu, reprenez-vous donc ! Et lâchez-moi, vous m’étranglez ! ».

Le major suffoque, la force de son opposant est herculéenne, décuplée par son effroi. Paniqué, ce dernier crie de plus belle.

« Je vais crever ici. Il les a démembrés, éventrés. C’est votre faute ! Je vais crev… ».

Une giclé de sang chaud asperge le visage de Ian. L’étau se relâche. Le major absorbe goulûment une bouchée d’air. Les yeux du douanier se révulsent. Il hoquette et sa bouche expulse une nouvelle traînée sanguine. Une lame longue d’une dizaine de centimètres transperce son bas ventre.

Dos à l’écoutille, Thomas et Richard écarquillent leurs yeux. L’horreur récidive. Le pentacle, les suppliciés, folie que tout cela ! Mais au centre de la soute, leur ami est en danger. Trois créatures humanoïdes au faciès étrangement ichtyen se sont glissées depuis l’ouverture opposée. De taille humaine, vêtus tels des marins, leurs yeux sont globuleux et des cheveux sales et filasses garnissent leur crâne. Armés de longs couteaux, ils se sont précipités sur le major et le douanier épouvanté que le premier d’entre eux vient de poignarder d’un violent coup d’estoc dans le dos.

D’un coup de pied, Ian repousse la première créature et, si d’un réflexe miraculeux il évite le poignard de l’assaillant positionné à sa gauche, il ne peut rien contre la lame qui s’abat sur sa droite. « Trop bête, pas ici, pas maintenant ! » songe-t-il. Le sifflement est strident. Surgissant derrière lui, la canne-sagaie pulvérise la menace en un nuage de poussière. Puis tout va très vite. Une détonation. Le crane de la créature sur sa gauche explose. Le lord n’est pas étranger à ce maître tir. Mais le major n’est pas en reste et achève de son arme l’assassin du douanier d’un tir entre ses deux yeux. Lorsque le son des deux détonations cesse de se répercuter sur les parois de la soute, un silence troublant emplit le lieu désormais baigné d’une lumière blanche provenant de l’écoutille opposée, abandonnée grande ouverte par les trois assaillants.

Mais cette vive lumière n’est pas ce qui trouble les trois rescapés. Ni même l'horreur innommable des corps suppliciés. Non, ce qui les fait frissonner d’inquiétude, c’est cette forte odeur âcre si tristement familière qui s’immisce et se répand depuis l’ouverture. Mais aussi ce bruit métallique de raclement de chaînes...



à suivre...

[nonolimitus]

Superbe 

Je me suis délecté à la lecture, depuis hier, de l'intégralité de tes CR !

J'ai hâte que vous jouiez la suite !

Encore 

[Carfax]

...Je me suis délecté à la lecture...

Voilà un nouvel encouragement qui me fait chaud au cœur. Un grand merci .

[nonolimitus]

...Je me suis délecté à la lecture...

Voilà un nouvel encouragement qui me fait chaud au cœur. Un grand merci .

Ecrire un CR est un acte de courage en soi. C'est pas forcément facile et çà prend du temps (j'en sais quelque chose, j'en rédige, parfois...).

Donc, quand on en lit un et qu'on l'apprécie, il est IMPORTANT de le signaler à l'auteur qui, par cet encouragement, sera motivé à prolonger son effort et à nous régaler de nouvelles histoires.

Ne pouvant pas jouer à tout et suffisamment souvent, c'est très agréable de pouvoir "jouer" par procuration grâce aux talents littéraires de certains 

[AsgardOdin]

Et le talent littéraire de l'auteur de ces CR's est indéniable !
J'attends la suite parce que l'attrition semble bien présente déjà, ils auront peut être dû mal à survivre à un nouveau combat..

[Carfax]

çà prend du temps

Oh que oui !

ils auront peut être dû mal à survivre

Suite et dénouement demain. Écriture en cours ...

...et merci encore à tous deux pour les sympathiques compliments

[Carfax]

Dans les soutes du cargo "Shen De"

 

Thomas se fait violence. Il s’accroupit et examine les corps des humanoïdes abattus. « Voilà donc les marins du « Shen De » ! » pense-t-il. Déglutissant péniblement, sa gorge serrée, il ose porter un long regard circulaire pour examiner attentivement les cinq suppliciés. C’est une vision insoutenable mais il veut en avoir le cœur net. Les visages des martyrs, du moins ceux encore identifiables, offrent bien ce même faciès de carpe, yeux globuleux, large bouche dentée, cheveux fillasses. Leur tenue également montre la même similitude que celle qui vêt les deux cadavres à ses pieds. Il n’y avait pas prêté attention en pénétrant ici, bien trop préoccupé à préserver sa vie et sa santé mentale, mais, oui, ces suppliciés sont bien des hommes d’équipage. « Diantre, quel maléfique apprenti sorcier s’exerce ici ? » s’interroge-t-il. La soudaine baisse de la luminosité ambiante lui fait perdre le fil de ses pensées. Comme alerté, ne présageant rien de bon, Il lève ses yeux sur l’écoutille ouverte et peste « Nom de dieu ! Est-il fou ? ».

Tel un phalène attirait par une lanterne éclairée dans une nuit noire, Richard s’est dirigé vers l’écoutille ensoleillée qu’il obstrue désormais de tout son corps. De dos et droit comme un "i" sous l’embrasure arrondie, il reste figé, comme médusé par ce qu’il observe. Oui, comme envoûté par la mélopée métallique des chaînes qui s’agitent intensément depuis son approche. Thomas et Ian, qui était resté non loin tout occupé à recharger son arme, rejoignent leur ami sans toutefois observer par-delà la porte. Parfois, prudence est mère de sûreté. Thomas chuchote « Richard ! Richard, que fais-tu ? Point de folie, recule lentement. ». Mais le lord ne bronche pas d’un centimètre. Pris d’empathie, il ne peut détourner son regard.

Immense. Ni face ni appendice nasale. Un corps blanchâtre, famélique et osseux. Scarifié de toute part, la créature meurtrie est entravée. Ses quatre membres sont prisonniers de chaînes aux lourds maillons dont l’extrémité de chacune est solidement scellée au mur. Percevant la présence inconnue du lord, le monstre se contorsionne et tente vainement de déployer ses deux grandes ailes membraneuses, amplifiant la cacophonie métallique jouées par ses chaînes. « Doucement… » souffle Richard d’une voix attristée à son attention. La créature est confinée dans un angle de cette partie de soute exiguë. A son opposé et tout proche d’une échelle verticale menant au pont, une table à la propreté douteuse. Sur celle-ci, de nombreux pots de tailles variées sont posés anarchiquement. Certains sont emplis d’une étrange mixture sanguine. Éparpillés entre les pots, de nombreux instruments chirurgicaux, tels des scalpels et autres outils de dissection, sont visibles. Au milieu de tout ce fatras, un jeu de clés est négligemment abandonné. Le lieu, vide de toute autre présence, baigne dans une lumière ajourée provenant du soleil qui inonde de ses rayons une vaste grille renforcée toute rouillée qui fait guise de plafond.

« Richard ? ». « Richard, recule ! ». Thomas réitère sa requête, tendant son bras pour saisir la manche de son ami. « Le prisonnier. Il est là Thomas. Nous l’avons trouvé. Il est torturé. Il souffre. Il n’est pas humain mais nous oui. Peut-on l’abandonner ainsi. Il faut le libérer. » énonce le lord d’une voix au ton laconique sans même un regard pour Thomas. « Richard, ne sois pas idiot. Souviens-toi des mises en garde du marchand ambulant ... ». Puis, posément Thomas force chaque mot prononcé « … et laisse le captif ! » avant de laisser un blanc puis reprend « Alors tuons le ! Tel sera sa libération. Le relâcher serait prendre le risque qu’il nous attaque ou qu’il sème la panique en ville en s’enfuyant. Es-tu prêt à prendre un tel risque ? ». Toujours hypnotisé, Richard cille des sourcils. « Oui ! ».

Collé au mur et resté en retrait mais témoin de l’échange verbal entre ses deux amis, Ian ne peut refréner sa curiosité. Il glisse d’abord un œil puis, comme aimanté, se contorsionne et franchit le seuil de l’écoutille en frôlant le lord resté parfaitement statique sous l'embrasure. Thomas témoin de cet élan ne peut retenir un juron.  
 

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La créature scarifiée (pour les plus impatients)

Spoiler:

à suivre...

[nonolimitus]

Encore, encore, encore !!!