Au matin, une aube grisâtre se leva et nous reprîmes notre route vers le sud laissant la tour de la Colline du Tyran derrière nous. La forêt se transforma. Elle s'assombrit noircissant notre cœur et anéantissant notre volonté de poursuivre plus loin. Seul le murmure apaisant de Radagast nous teint d'une mélancolie tenace et dangereuse. L'odeur aussi changea. Des relents de chairs putrides se substitua à ceux de végétaux en décomposition. Ici, l'humus n'était plus brun mais noir. Tout est corrompu, tout est horreur et seule la présence de mes compagnons laissa ma raison garder. Il fut dur et pénible de trouver la moindre sente. Nous progressions lentement, courbé et abattu dans des eaux saumâtres et croupissantes. Bourbiers et marécages absorbaient nos bottes et chacun de nos pas était éreintant. Et puis par magie, nous tombâmes sur un petit tas moussu s'accrochant à une souche sur lequel fleurissaient deux fleurs violettes. Radagast s'en approcha et caressa délicatement de ses doigts les fragiles pétales. D'une voix grave mais infiniment douce, il s'exprima. "L'espoir ne doit jamais disparaître de nos cœurs. La forêt lutte encore et toujours même ici. Pouvons-nous en faire autrement ? Luttons mes amis et tenons !". Une telle beauté en un tel lieu réchauffa notre allant.
Trois jours après, le marécage s'étendit et les îlots de terres s'évanouirent peu à peu. Nous marchions sur un sol spongieux parfois même les pieds dans une eau croupie peu profonde. Nul doute que nous approchions du Pont de Tourbe. Un choix s'invita. Emprunter le pont offrirait un parcours plus aisé pour franchir ce marais mais serait aussi plus périlleux avec les patrouilles orques. Poursuivre dans le marais, s'y aventurer serait plus sûre quant aux mauvaises rencontres mais ô combien dangereux pour qui s'y perdrait. Le sage brun nous demanda de choisir et nous optâmes pour le pont. Radagast nous pria de prendre garde aux orques. Vêtus de métal, ces orques viendraient de Dol Guldur et ils nous fraudaient alors fuir sans même engager le combat. Nous regards s'assombrirent.
Beleg prépara une pâte dont il a le secret. Nous nous en badigeonnâmes le visage et les mains pour nous dissimuler au mieux. Enfin nous repartîmes. Nous distinguâmes plus loin à travers les branches des arbres une structure suspendue constituée de rondins mal équarris. Elle dominait le sol de trois ou quatre mètres et s'appuyait d'arbre en arbre. Vieille et abîmée, la large passerelle n'inspirait pas confiance. Je soupirais lorsque je réalisais que ce pont nous mènerait à Dol Guldur. Attentif aux moindres bruits, une nouvelle fois j'apposais une oreille sur un tronc tuteur pour ressentir ses vibrations. La passerelle était empruntée. Du nord ou du sud, je n'aurai su le dire, une troupe s'y déplaçait. Nous décidâmes néanmoins d'y grimper et cela se révéla plus laborieux qu'espérer.
Le pont s'élargissait sur trois mètres. Ses rondins sont humides et moussus. Certains sont brisés par endroit, d'autres en décomposition avancée. Mais il ne fit aucun doute que le pont servait car les branchages envahissant le passage étaient brisés ou même taillés à la hache et la mousse au sol envahissant les rondins était écrasée et foulée. Nous empruntâmes la passerelle vers le sud en progressant avec grande discrétion. Malheureusement, Vannedil posa un pied sur une poutrelle pourrie qui se brisa sous son poids et chuta au sol dans un bruit retentissant. Ce grand fracas se retentit comme un écho fuyant. Nous nous figeâmes. J'espérais secrètement que s'il fut perçu par une oreille ennemie, il serait interprété comme le son d'une vielle branche craquant sous le poids des ans.
Encore une heure. Nous marchons toujours avec prudence, Myhra nous éclairait quelques mètres devant. Soudainement, elle fit volteface et revint vers nous. Elle avait entendu des reniflements et des borborygmes couverts par des grognements intempestifs. Je les distinguais nettement à présent, tout comme Beleg qui nous affirma que l'on parlait orque. Des ordres tels "Avancez !" ou "Ne traînez pas !". Ni une ni deux nous grimpâmes dans les hautes branches deux deux arbres piliers et nous enveloppâmes dans nos capes. Des pas lourds approchèrent. Sous nos yeux une petite compagnie d'orques passa. Les deux premiers étaient chétifs mais vifs avec un arc dans le dos, derrière eux deux orques plus massif avançaient portant chacun une longue lance. Ils devançaient un autre plus imposant et ossu armé également d'une lance mais aussi d'un fouet. Il l'agitait pour en menacer ses congénères tout en éructant des ordres. Derrière le mastodonte, deux de corpulence plus fine suivaient. Leur peau était plus verte que celle des précédents. Aucun d'eux ne portait une armure bardée de fer. Finissant la marche, deux derniers orques tout aussi chétifs que les deux premiers. Passant sous nous, l'un des deux s'arrêta et renifla l'air avec avidité. Mon dos se raidit. Il humait l'air tout en épiant mes alentours puis le marais sous la passerelle. Au-devant, son acolyte pesta car assurément tous deux prenaient du retard et il craignait le courroux de leur chef. Lorsque je les vis s'éclipser au loin j'expirai un souffle d'air.
Nous quittâmes nos perchoirs avec appréhension. Mais Beleg brisa une branche. Un craquement net. Nous restons aux aguets. Par malheur, la branche est restée solidaire du tronc et pendait. Un indice malheureux de notre passage. La saisissant, je la brisais et laissais choir au bas de la passerelle. Elle provoqua des remous d'eaux. Entre temps, Beleg était parti au-devant pour nous annoncer la fin brusque de la passerelle. Avec une déclivité peu abrupte, elle descendait vers le sol pour déboucher sur des poutrelles enjambant le marais d'îlots en îlots. Nous suivîmes les traces des orques mais soudain dans ce labyrinthe elles se divisèrent. Nous optâmes pour les moins marquées.
Misère. Nous voilà au fond d'une profonde fosse. Piégés. Seule
Myhra put l'éviter d'un bond salvateur.
Vannedil me porta assistance pour m'extirper mais mes efforts ne firent que l'enfoncer un peu plus dans le fond boueux de la fosse. Nous pestions.
Beleg n'eut guère plus de réussite dans son escalade. Les parois étaient lisses, la terre s'effritait sous nos prises. Piégés. Nous hélâmes
Myhra pour qu'elle nous porte une poutrelle. Elle s'exécuta avec difficulté mais y arriva. Fort de cette échelle improvisée, nous arrivâmes après de longues minutes à nous extirper de ce mauvais pas. Nous étions épuisés. Radagast nous encouragea. Ces mots nous remobilisèrent et bien lui prit car
Myhra aperçut un orque s'avancer dans le dédale des îlots asséchés. Il était concentré sur son environnement proche et avançait en fouinant le sol à la recherche de traces. Très vite un second le rejoignit. Non loin nous étions piégés sur notre îlot près de la fosse. Nous pressentions néanmoins que le temps nous offrait l'opportunité de nous enfuir. Nous optâmes pour deux solutions distinctes.
Myhra et
Vannedil s'enfoncèrent dans le bourbier pour filer au sud rejoindre la sente orque. Avec
Beleg nous primes à l'ouest en sautant la zone marécageuse que surplombait précédemment le billot de bois abandonné dans la fosse. Mes bottes s'enfoncèrent profondément dans le sol spongieux et je m'affalais. Nous étions vus. Plus leste,
Beleg bondit sans mal derrière moi. Il s'accroupit puis sortit une torche qu'il alluma en murmurant une litanie. La flamme pris et brilla. L'elfe d'un geste ample lança la torche vers les orques. Comme obnubilés, les deux plus chétifs plongèrent un regard hypnotisé sur la flamme. Malheureusement, les deux lanciers les avaient rejoints tous comme leur chef. Les trois nouveaux arrivants nous chargèrent.
Beleg en première ligne lâcha ses premiers traits. Je me relevais avec une inquiétude vive, leur troupe n'était pas complète car nul doute qu'il s'agissait là de celle croisée.
Beleg faisait face à la charge. Je courus à son secours tirant au clair
Nimgalgor. Ma lame pâle blanchit dans le crépuscule naissant. Je criais "
Engeance de l'Ombre fuyez Nimgalgor ! Fuyez la lame blanche, fuyez son tranchant !" et leva haut l'épée elfique. Tout autour, terrorisées, les créatures s'enfuirent dont trois cachées dans les eaux croupissantes du marécage. Seul leur chef se figea tout comme les deux premiers chétifs toujours obnubilés par la flamme elfique. Le gros orque éructa un grognement. D'un pas il s'approcha de la torche enflammée de
Beleg et l'écrasa de son pied étouffant la flamme. Rageur, il se tourna vers nous et nous chargea.
Beleg recula me laissant seul face à l'assaut. Mais des salves volèrent par-dessus de ma tête et se fichèrent dans son poitrail sans pour autant le stopper. Ma précipitation à l'embrocher me joua un mauvais tour car mon épée ripa sur son armure de cuir. L'orque, immense, armait son geste pour m'embrocher. Par bonheur, une deuxième salve tirée par mes compagnons vint le cueillir et le monstre s'écroula à mes pieds. Nul temps de tergiverser, je posais un pied sur le corps inerte et bondit en avant sur les chétifs qui reculaient tout en encochant une flèche à leur arc. Dans mon dos,
Vannedil recula pour trouver un meilleur angle de tir. Tout proche d'une profonde poche d''eau du marais, il échappa d'un réflexe inné à l'assaut d'un orque surgissant de celle-ci. Malheureusement, le jeune homme ne put éviter la lame ébréchée de l'orque. Son cri perça nos oreilles. La main pressant une mauvaise blessure au flanc,
Vannedil tentait de se désengager.
D'une première frappe, ma lame transperça l'orque. La deuxième lui trancha la tête qui voltigea. Au loin, les fuyards apeurés grimpaient sur le Pont de Tourbe. Mais je ne les poursuivis pas. Sur ma droite,
Myhra s'était précipitée et avait engagé la lutte contre le deuxième orque. Je vins la soutenir et, très vite, l'orque s'écroula au sol dans son sang. Nous nous tournâmes. Aidé de
Beleg,
Vannedil avait éliminé son assaillant. Le silence s'imposa. Le silence après l'assaut. Non loin, Radagast nous héla. Il avait trouvé plus au sud la suite du Pont de Tourbe.
à suivre...
fin des sessions 6, 7 et 8