Il y a quelque temps (euphémisme coupable dû au délai de publication de ce texte, c’était début avril), Zgreugneu, @AsgardOdin, @Lotin, @Ego' et moi avons joué à Park Horse Library sur DCNO. Voici donc, enfin, le compte rendu de cette partie qui s’est déroulée en deux séances.
Pack Horse Library est un très chouette jeu de @Léonard, il a d’ailleurs un fil qui lui est consacré.
Pour résumer brièvement, on y incarne des femmes, bibliothécaires ambulantes, qui parcourent à cheval les montagnes du Kentucky des années 30. Chaque partie consiste à réaliser une tournée dans une vallée reculée.
Les règles, très simples, s’inspirent des PbtA (en particulier de Night Witches). On y résout les actions avec 2d6+caractéristiques. Outre le passage ou non de l’obstacle narratif qui l’a déclenché, chaque jet de dés va entrainer l’évolution du personnage sur au moins l’un des points suivant :
- Sa réserve de jetons, symbole de son énergie et de sa capacité d’action et à aider ses collègues.
- La qualité de ses relations avec ses collègues
- Sa réputation au sein de la population
- Le tempérament de sa monture
- Du retard sur la tournée
- Des informations utiles pour la tournée
- Des ouvrages à succès, utiles pour la réussite de la tournée
Il y a 4 archétypes de personnages répartis entre les joueurs, chacun ayant un domaine de prédilection symbolisé par un objet du quotidien (la tasse, la longe, le catalogue et la carte).
Le jeu est avant tout conçu pour fonctionner en MJ tournant. Les parties sont découpées en 4 chapitres, que les joueurs prendront successivement en charge en s’aidant des tables proposées par Léonard, de son inspiration et de celle de ses partenaires. Mais il est aussi possible de jouer avec un seul MJ. C’est cette seconde option, moins orthodoxe, que nous avons choisie pour commencer. Et c’est moi qui m’en suis occupé.
Ce faisant, comme on le verra par la suite, je me suis tout de même pas mal écarté de l’idée originale. Ne serait-ce qu’en l’amputant de son aspect de création collaborative du contexte puisque j’en ai préparé un. Fort logiquement, sans MJ il n’y a pas de préparation et il se construit pendant la partie. Mais il y a aussi eu d'autres conséquences en cascade.
J’ai néanmoins essayé d’éviter de basculer d’une expérience centrée sur les PJ vers une approche plus tournée vers l’intrigue et les PNJ. Ce n’est pas un jeu dans lequel on résout des mystères, on mène des enquêtes ou l'on vit des aventures épiques. C’est un jeu dans lequel on va vers des gens, souvent démunis, pour les rencontrer et leur apporter les livres qu’il leur faut.
J’ai conçu ce contexte (la vallée d’Island Creek) comme un bac à sable, en préparant essentiellement une galerie de PNJ (quelques traits, des liens entre eux, et une photo) et en leur associant des obstacles tels qu’ils sont définis dans le jeu et inspirés de ceux fournis par Léonard.
Les photos en question sont généralement issue des collections années 30 et 40 de Shorpy. J’aurais aimé trouver celle de Naomi Lemon, le seul personnage historique de l’histoire. Malheureusement, ce n’est pas la sienne que j’ai utilisée.
En préalable à la première séance et pour gagner du temps, nous nous sommes mis d’accord sur quelques points quant à notre façon de jouer. Le fait de n'avoir qu'un seul MJ, déjà. Mais aussi notre rapport à l’historicité de la fiction et à d’éventuels sujets difficiles.
Et puis j’avais partagé quelques informations sur la création de personnage pour permettre à chacun de prendre son temps quant au choix de son archétype, d’une photo pour son PJ et de son livre préféré (oui, c’est une idée de génie, les bibliothécaires sont notamment définies par leur livre préféré).
La partie s’est déroulée sur Miro et Discord, avec l’aide d’un bot pour les jets de dés et de deux autres pour la musique (l’un qui diffusait la BO proposée par le jeu, et l’autre une version purement instrumentale, sachant que chacun pouvait écouter celui de son choix ou aucun des deux).
Le tableau était très simple, avec des images du contexte au centre, les 4 feuilles de personnage autour à la manière d’une table, une carte x et quelques aides de jeu de part et d’autre.
À l’image du reste de la partie (qui a duré 3 ou 4 fois plus longtemps que celle que Léonard organisait en même temps), on a pris notre temps pour cette première étape. La création des 4 bibliothécaires nous a occupé une bonne part de la première séance. Cela dit, il me semble que ce ne fut subit par personne. On a vu se dessiner les personnages et des liens se tisser au fil des questions proposées par les livrets.
En effet, la méthode est collégiale chacun exposant les choix qu’il fait (guidé par sa feuille de personnage) et répondant aux questions que les autres lui posent. Les personnages comme l’équipe qu’ils composent apparaissent peu à peu, s’enrichissent les uns les autres, le tout aboutissant à un résultat très humain, cohérent et sur quoi s’appuyer pour jouer. C’est une création de personnage que j’aime beaucoup.
Par contre, je me suis senti obligé de fournir trop de données techniques, de points de règles que je pensais utiles pour éclairer les choix, et ça s’est avéré plus pesant qu’autre chose. Idem lors de l’articulation entre la création de personnages et le début de l’histoire, ça a brisé l’élan de certains.
Première différence par rapport à une partie sans MJ, je connais les obstacles et les PNJ que les PJ sont susceptibles de rencontrer durant leur tournée. Or cette phase de préparation est le moment le plus logique pour que les bibliothécaires essaient de glaner des infos, ou rassembler des ouvrages populaires, ce qui leur permettrait de mettre toutes les chances de leur côté pour une issue heureuse. Cette recherche n’est pas mécanisée. Ou du moins, si un chapitre est constitué d’un ou plusieurs « obstacles » mis en place par le MJ (qu’il soit tournant ou non), le reste est à l’initiative narrative des joueurs. S’ils veulent des informations, ils doivent mettre leur personnage en position d’en trouver.
Donc sans MJ, ces informations et ces ouvrages sont improvisés ou tirés d’une table et vont servir, plus tard, de support à l'élaboration des visites. Puisqu’on a déterminé que tel endroit vit dans une extrême pauvreté, ça va nourrir l’imagination de celui qui devra l'inventer et le décrire. En préparant un contexte, on inverse le processus. Comme je connaissais les PNJ, leurs liens, leurs problèmes, lieux de vie, j’ai proposé des infos et des livres en conséquence. Mais surtout, ayant tout ça en tête, je pense que j’étais plus enclin à évoquer des situations, voire à tendre des perches, sur lesquelles les joueurs pouvaient s’appuyer pour tenter de récupérer des infos ou des ouvrages. Et mécaniquement ça implique des jets de dés. Ils ont donc fait plus de jets dans ce premier chapitre que dans une partie classique. Or les jets entrainent une diminution de la réserve de jetons. À l’issue de la préparation, nos bibliothécaires se sont donc mises en route avec moins d’énergie qu’attendu…
Mais passons à l’histoire, en sachant qu’à quelques très rares exceptions et commentaires près, le résumé qui suit est l’œuvre d'@AsgardOdin (mille mercis à lui) qui n’a pas son pareil pour prendre des notes pendant les parties. Ce n’est donc que peu enrichi et réécrit, c’est concis, subjectif et pour l’essentiel rédigé au fil de l’eau.
Comté de Pike, Kentucky, 1937
C'est la foire à Pikeville, les rues sont bondées, c'est la fête. Nous, les bibliothécaires, devons travailler. Gillian est en retard, elle a abusé de la bouteille hier soir. Elle a également eu du mal à emmener Tom, son chat, dans son sac. Quand elle arrive, Naomi Lemon, la patronne, lui fait les gros yeux. Elle nous fait ensuite un petit discours sur notre première tournée, qui va forcément bien se passer. Après quoi elle file, elle nous laisse la bibliothèque. Nous avons toute la journée pour faire les préparatifs.
Janet prépare les éléments pour le transport : gourdes, cordes, sacoches, etc, ainsi que les montures.
Gillian repère les points importants de la vallée, là où nous allons passer, et les différents itinéraires. Elle choisit la route la plus agréable tout en étant la plus sauvage. Comme elle a croisé le shérif Hogson tout à l'heure, elle décide d'aller le voir pour avoir des renseignements sur notre destination, Island Creek.
Dorothy pense à la liste des ouvrages et se dit que l'idéal serait de caler les livres sur les goûts des gens d'Island Creek. Elle fait une présélection, et attend le retour de Gillian.
Helen aide Dorothy et Janet, notamment dans la réparation des bouquins, en tirant la langue et en exprimant sa satisfaction régulièrement lorsqu'elle y parvient. Dorothy en profite pour glisser quelques livres à réparer en supplément. Elle chantonne de temps en temps également. Tom est allongé sur les genoux d'Helen.
Dans l'écurie, Janet prend particulièrement soin de Jim, le cheval de Gillian. [Action de réconforter sans obstacle 2d6+0 : 4 (échec sans conséquence)]. Il est toujours égal à lui-même malheureusement, toujours aussi vieux. Elle s'occupe ensuite des autres chevaux.
Pendant ce temps, dans la bibliothèque, entre un homme imposant. Nous reconnaissons immédiatement le maire KJ Day, accompagné de son assistante. Il pose un regard conquérant sur la petite pièce. Tom plante ses griffes dans les jambes d'Helen au bruit violent de la porte. Il nous salue et nous demande où sont nos collègues et madame Lemon. Il a besoin de nous, la Ville a besoin de nous. À sa demande, madame Harrisson, son assistante, vient nous donner des tracts pour sa réélection, pour que nous allions les distribuer. Il veut que nous parcourions la foire pendant quelques heures et fassions savoir qu'il faut bien voter. Dorothy lui demande s'il y a des livres à nous rétrocéder. [Action d’argumenter face à un obstacle, 2D6+0 : 4 (échec et perte d'un jeton)]. Le maire lui répond qu'avec tout ce qu'il fait pour nous, il peut demander un petit service.
À ce moment-là, Janet revient, sentant le crottin et la paille, ce qui fait reculer légèrement le maire. Dorothy lui explique la situation en quelques mots, et Janet demande s'il n’a pas des gens censés le faire. Le maire insiste. Janet attrape la pile de tracts, et s'en va, accompagnée d'Helen et de Dorothy. Le maire nous raccompagne comme s'il était chez lui avec une petite tape sur l'épaule, sauf Janet qui sent le crottin.
Dorothy cherche du regard un groupe de gamins de 10-12 ans et en trouve un près de l'Église. Elle leur propose une petite somme pour aller distribuer des tracts à sa place et Janet en prend quelques-uns pour aller en donner ici ou là. [Action de ruser face à un obstacle avec l’aide des 2 autres, 2d6-1+2 jetons : 9 succès au prix d’une perte de réputation]. Les gamins sont super contents, mais le maire l'apprend. Et il ne l’oubliera pas.
Gillian est sur le marché, pour chercher des informations, en privilégiant les femmes. Elle se méfie des hommes. Si elle ne trouve pas, elle se dirigera vers le journal local avant, en dernier recours, de se tourner vers le Shérif Hogson. Elle en profite pour acheter un peu de tabac. Elle recherche plus précisément les producteurs d’Island Creek. [Action de tâter le terrain sans obstacle, 2d6 : 5 (échec sans conséquence)]. Elle parcourt les allées du marché mais fait chou blanc. Elle voit bien des choses louches, des gamins qui passent des tracts, mais personne qui peut la renseigner. Elle repère aussi quelqu'un qui propose de l'alcool sous le manteau, et en profite pour acheter une bouteille avec les quelques sous qu'il lui reste. [Faute de trouver, elle utilise son action spéciale Informée qui lui garantit deux infos sans lancer les dés]. Le fournisseur discret connaît la zone. Près du petit village de Kewanee, à Paynee Hollow, il a un ami bûcheron qui pourrait la dépanner. Gillian organise déjà un trajet mental pour passer voir cet ami. Il lui apprend aussi qu’un gosse qui venait de Kewanee, Sullivan, a été amené à l'hôpital.
Le journal local confirme l'information, il a eu un accident dans une scierie, il a la jambe amochée. Pas nécessaire d'aller voir le shérif, donc, conclut Gillian.
Petite discussion posée autour du repas à propos de Tom, le chat, et du gosse, à qui les bibliothécaires aimeraient rendre visite et lire un livre.
Dorothy a une illumination : il suffit de regarder les bouquins empruntés dans la région d'Island Creek pour savoir ce que les habitants aiment et s'en inspirer pour faire une liste d'ouvrages [Action de tâter le terrain sans obstacle, 2d6-1 : 8 succès en dépensant un jeton]. Elle trouve un livre qui correspond parfaitement. Dans les notes, à côté des emprunts, une bibliothécaire se plaint qu'on la harcèle parce qu'un mineur voudrait qu'on lui procure une édition du Capital de Marx. Il s’appelle Mickael Perry. Nous avons le livre, mais il a été écarté de la collection, jamais prêté. Dorothy le prend dans ses sacoches.
De leur côté, Gillian et Helen vont à l'hôpital tandis que c’est Janet qui va finalement voir le shérif.
Elle ne tarde pas à le trouver, il patrouille dans la foire. Il l'avertit que c'est dangereux, surtout pour un groupe de femmes, qu'il a eu des rapports inquiétants, que des malfaiteurs traînent dans ce coin et détroussent les gens [info donnée gratuitement, c’est une erreur]. Il nous conseille officiellement de ne pas y aller. Ils aiment l'ordre, la sécurité et les hommes à poigne à Island Creek. Il nous engage à fuir si on croise quelqu'un. Il est lui aussi en campagne d'ailleurs, Janet le voit serrer les mains à de nombreuses personnes.
Sur le chemin de l'hôpital, Gillian demande un peu d'argent à Helen pour aller acheter des arachides pour le gamin. Elle part en courant vers le marché avant de revenir triomphante. Elle se tâte à manger discrètement une ou deux cacahuètes sans se faire voire d'Helen. Nous sommes accueillis par une infirmière en chef peu aimable. Helen sort un bouquin pour lui montrer qu'elle est bibliothécaire. L'infirmière en chef exprime son doute quant à l'intérêt pour un enfant, mais nous désigne l'entrée d'un dortoir et le lit d’Allister Sullivan. Helen lui dit qu'elle compte lui lire Tortilla Flat.
Le gamin se raidit lorsqu'on arrive et tourne la tête. Gillian tente une approche notamment en lui présentant les arachides. Il jette un petit coup d'œil, retourne la tête, mais on le sent hésiter. Il nous dit qu'il n'a pas le droit de nous parler. Helen s’assoit sur le bord du lit et le questionne avec une voix douce, comme celle qu’elle prend avec ses enfants. Gillian lui tend une cacahuète pelée. [Action de réconforter sans obstacle et avec l’aide de Gillian, 2d6+0 + 1 jeton : 11 succès et obtention de l’info sans contrepartie (sauf qu’ici, à l’inverse de la scène avec le shérif où j’ai oublié de demander un test, celui-ci n’avait pas à être fait puisque c’est juste le complément de la seconde info gratuite de l’action spéciale de Gillian)]. Son grand-père lui a confisqué Tarzan en accusant le livre de le perturber et d’être à l’origine de l’accident. Son grand-père c'est Ed Sullivan (la tête de bois). Helen le rassure, elle s'engage à repousser le prêt et passer chercher l'ouvrage à la prochaine tournée. Elle lui tend le sachet en entier, au désespoir de Gillian. Il demande s'il est toujours possible de se faire prêter les bouquins à l'hôpital. Et Helen lui prête un livre, à ce gamin enthousiaste qui veut devenir explorateur. Allister propose à regret des arachides à Gillian qui avance la main et se la fait claquer par Helen. Gillian tente alors de suggérer de distribuer des cacahuètes au dortoir, mais se fait à nouveau rabrouer par Helen.
Comme on peut le voir, à l’issue de ce chapitre, nos bibliothécaires avaient réuni 3 nouvelles sur la vallée et un ouvrage populaire. Mais Dorothy s’était fait une mauvaise réputation auprès du maire et elles y avaient mis tant d’énergie que 5 jetons avaient été dépensés. Autant de capacité d’action en moins pour la suite. Alors que, si je me souviens bien, Léonard disait qu’il y avait plutôt un ou deux jets de dés sur ce chapitre, dans ses parties. Et c’est ici que c’est achevé notre première séance.
Le lendemain matin.
Dorothy vérifie sa mule, ses bagages, ses fontes, etc. Dorothy vérifie tout. De son côté, Gillian s’assure une dernière fois de l’itinéraire. Elle en profite pour prendre une lampée, planquée aux toilettes, mais rien n’échappe à Dorothy. Elle ne dit rien, mais la juge !
Helen est bien contente, pas inquiète. « Nous sommes culturellement bien armées », se dit-elle en prenant sa guitare et se mettant à chanter pour inspirer du courage à toutes.
Janet a préparé de la nourriture, une bouteille d'eau, et a empli ses fontes de tout un tas de matériel, sans oublier sa hache. Elle a aussi pris son fusil, au cas où. Surtout pour dissuader, d’ailleurs. Elle sait ne pas être une tireuse d'élite.
Nous nous retrouvons derrière la bibliothèque. Gillian est soulagée de voir le fusil, bien qu’Helen trouve ça surnuméraire. Dorothy n'est pas trop inquiète non plus : Gillian nous a préparé un itinéraire bucolique.
Le temps est portant bien morose, sous ce petit crachin qui fait un bruit sourd et étouffe tout le reste. Helen est moins à l'aise sans guitare, donc elle demande à Dorothy de l’accompagner. Celle-ci se lance, « profiter du moment présent, de ce qu’on a » disait sa mère.
Quelques doutes sont émis sur la pertinence du trajet, mais Gillian connaît son affaire. Elle ouvre d’ailleurs la marche. Au bout d’un moment, alors qu’elle accélère en poussant un peu le vieux Jim, Gillian contourne un rocher dans le but de boire un coup discrètement. Mais elle tombe devant une dizaine de silhouettes encapuchonnées devant trois personnes à genoux, sans doute pour les initier. Nous autres, valeureuses bibliothécaires, surgissons rapidement à sa suite.
Quatre d’entre eux se rapprochent. Surprise, Gillian n'a pas rangé sa flasque, mais la planque rapidement au coup de coude de Janet. Dorothy entame la conversation, comme pour s’assurer de notre itinéraire. Le leader tourne autour de nos chevaux en nous demandant si nous sommes les fameuses bibliothécaires. On propose un livre en guise de réponse. Il exige alors de vérifier notre catalogue pour s’assurer qu’il respecte les bonnes mœurs.
Dorothy sort un livre de sa sacoche qu'elle pense susceptible de beaucoup leur plaire et leur laisse jeter un petit coup d'œil. Janet se souvient qu'elle avait ajouté une bible dans les fontes de chacune et fait en sorte que ça se voit. Gillian, elle, se met à pester fortement sur le fait que ces hommes touchent les fontes de sa monture. [Action de s’imposer face à un obstacle avec l’aide des deux autres : 2D6+0 + 2 jetons : 9, succès au prix d’une perte de réputation].
Pendant ce temps, une des personnes agenouillées, une femme, s’est relevée et s’approche d'Helen pour nous proposer de se joindre à elle. Elle fait remarquer (est-ce de l’angoisse dans son regard ou un simple regret ?) qu’elle est la seule dame, qu’elle aimerait bien de la compagnie. Helen lui répond que nous sommes pressés. Pour s’en débarrasser, elle lui demande un prospectus en proposant de l'amener à la bibliothèque.
Finalement, leur chef farfouille rapidement les fontes de Dorothy. Mais quand Gillian rue de plus belle dans les brancards tout, ils se reculent, gênés, et nous pouvons continuer. En partant, nous sentons que loin d’avoir apaisé leurs soupçons, nous nous sommes mis le KKK à dos [c’est l’effet de la perte de réputation lié au succès mitigé de l’action ci-dessus. Nous avons cependant été embêtés pour l’attribuer. Mécaniquement, c’est Dorothy qui avait entrepris l’action et jeté les dés, c’est à elle que ça revenait (et comme c’était sa seconde, ça impliquait d’ailleurs la perte du personnage à l’issue de la tournée). Narrativement, ça semblait plus impliquer l’ensemble du groupe, ou Gillian qui s’était fait beaucoup plus remarquer. C’est sur elle que nous nous sommes accordés, la réputation du groupe n’étant pas définie. À noter que techniquement on pouvait aussi choisir un retard sur la tournée, mais ça semblait moins naturel. Impliquer la monture ou les sentiments entre PJ encore moins. Cela dit, on aurait aussi pu décolérer narrativement la conséquence négative de l’incident lui-même]. En s’éloignant, une question tracasse le groupe : le chef du KKK avait-il le gros ventre du maire ? Peut-être, difficile à dire.
Alors que Gillian croise des doigts intérieurement en espérant que personne ne fasse remarque son chemin pourri, Dorothy lui propose de passer par une autre route au retour.
Plus loin, Helen se porte au côté de Gillian, lui pose la main sur l'avant-bras et lui dit qu'elles sont là, qu'elles peuvent l'aider à s'en débarrasser. Feignant de ne pas comprendre, elle répond qu'elle a besoin de sa cigarette. Comme elle insiste, Janet lui montre sa flasque en prétendant que c'est un médicament. Helen rappelle à nouveau qu'on ne la juge pas et qu'elles sont là pour elle [Action spéciale Une petite attention : Gillian récupère un jeton sans lancer les dés]. Gillian finit par détourner l'attention de tous en évoquant les sandwichs. En dehors de cette petite péripétie, c'est une chouette chevauchée. En fin de matinée, nous organisons une halte pour manger. On devrait arriver à Kewanee en début d'après-midi.
Il fait beau, désormais. Nous sommes proches d'une rivière, il y a de quoi boire. Nous discutons paisiblement à propos de l'organisation de l'après-midi, comment nous allons-nous répartir la tournée dans la vallée. On entend le bruit caractéristique des pages d'un livre qu’on feuillette. Mais nous sommes en train de manger ! En nous retournant, on découvre un ourson noir en train de lire le Tortilla Flat d’Helen. Janet vérifie immédiatement si la mère est quelque part, et la repère à une trentaine de pas avec deux autres petits. Gillian jette son sandwich au loin pour éloigner l'ourson [Action de ruser face à un obstacle, 2d6+0 : 12 ! succès sans contrepartie, et Gillian choisit de dépenser un jeton pour tisser un lien avec Janet]. La mère et l'ourson se sont précipités vers le sandwich. Helen se jette sur son livre pour le récupérer. Nous nous éloignons rapidement avant que Gillian nous montre sa carte.
C’est ici que se manifeste la principale différence d’approche d’avec une partie classique de Pack Horse Library. Là où les joueurs choisissent habituellement une vallée à visiter au sein d’une liste de noms fournie avec le jeu, je l’ai imposée. Et là où les MJ tournants improvisent ce qu’on y trouve avec l’aide de tables et de ce qui a été joué avant, je l’ai peuplée au préalable.
Or techniquement, en arrivant dans la vallée, les joueurs doivent choisir les endroits où leurs personnages vont vivre les faits marquants de leur tournée. Alors, plutôt qu’une liste de noms, je me suis dit qu’une carte serait plus sympa à proposer. J’ai mis un peu de temps, mais en récupérant et personnalisant le magnifique travail de Loisel et Tripp pour le Magasin général, ça a donné ceci :
Spoiler:
Honnêtement, j’étais assez fier du résultat. Je crois d’ailleurs que ça a produit l’effet escompté, donner le sentiment d’être face à une grande vallée, peuplée, et pleine de possibilités.
Entre les obstacles conçus par Léonard et les PNJ que j’avais préparés, j’avais de quoi alimenter des visites dans chaque endroit désigné par un nom sur la carte. Les joueurs avaient donc le choix de s’organiser à leur guise en fonction de leurs envies et des informations qu’ils avaient déjà récoltées en ville. Reprenons donc le récit d'AsgardOdin.
Gillian nous propose de nous séparer en deux équipes : Dorothy et Helen à Kewanee, Gillian et Janet à l'extérieur (les plus sauvages).
Dorothy se dirige vers l'Église qui sert de salle de classe. Helen, par contre, s'arrête à l'entrée de la ville devant la scierie d'Ed Sullivan qui n'est autre que le maire de Kewanee. Il cesse immédiatement le travail dès qu’Helen arrive et vient l'invectiver. Elle essaie de se montrer cordiale, mais il lui interdit de revenir à Kewanee après une dernière visite aux habitants. Il fouille dans ses affaires et rend l’exemplaire de Tarzan.
Helen tente de le convaincre du bienfondé du programme en lui proposant alors des bouquins sur les thématiques liées à l'effort manuel (scierie/menuiserie). [Action d’argumenter face à un obstacle, 2D6+1+1 grâce à l’info : 4 (échec et perte de réputation)].
Elle mentionne être passée voir Allister et lui avoir amené des cacahuètes. Mais la tension monte encore d’un cran, il rétorque que ce n'est pas un animal. Il agresse verbalement la pauvre Helen qui se sent toute petite. Tentant alors le tout pour le tout, elle profite d’un instant de silence pour le mettre au défi et lui montrer de quel bois elle se chauffe. Elle s’avance vers l’atelier et lui dit qu’elle peut découper des planches plus vite qu'il ne le pense. [Action de retrousser ses manches face à un obstacle, 2D6+0 : 4 (l’obstacle est néanmoins passé puisque c’est le 2e échec mais au prix d’un jeton)]. Le maire finit par la prendre un peu en pitié et rend les armes. Sa colère est passée. Helen en profite pour essayer de lui refourguer un bouquin qui lui correspond [Action de lire ou faire lire, 2D6-1 : 3 (échec, perte d’un jeton et la tournée prend du retard)] Ed Sullivan la sort de chez lui bien qu'elle ait essayé de lui donner un livre sur les pères fondateurs.
Pendant ce temps-là, Gillian insiste fortement auprès de Janet pour aller voir les bûcherons, mais faute de pouvoir avancer sa réelle motivation, elle finit par se laisser convaincre d’aller à la mine (Dorothy leur a confié le Capital qu’elle a apporté). La ville champignon minière semble à moitié abandonnée. Il n’y a que des hommes, noirs de charbon, à peine sortis du tunnel. Ils prennent des ordres d'un contremaître quand les bibliothécaires arrivent. Quand ils s’aperçoivent de leur présence, ils se redressent un peu, font les fiers et sourient. Le contremaître Fludd, lui, semble surpris et pas forcément content. Il file rapidement dans les baraquements, laissant les deux femmes au milieu de l’équipe de mineurs.
Ils sont contents de les voir, de discuter, d’avoir des nouvelles. Ils se dispersent bientôt en direction de leurs baraquements pour aller chercher leurs bouquins à rendre. Quand Janet et Gillian les suivent, le contremaître revient et se met grossièrement en travers de leur chemin. Il fait maladroitement la conversation, prétend qu'il est content de les voir par ici. Gillian, qui veut passer, dit que c'est le Président Roosvelt lui-même qui leur a demandé d'aller voir chaque Américain. Il lui répond que « c'est bien », mais jette des coups d'œil inquiet vers une maisonnette. Il tente de prendre Gillian par l'épaule pour la raccompagner, mais elle se met à hurler. Il se recule d’un coup, feignant de ne pas comprendre, prétendant qu'il voulait juste les raccompagner gentiment. Il pensait qu'elles avaient fini puisque tous les autres sont au fond de la mine... Gillian tente alors de bluffer en disant avoir vu quelqu'un. Il se retourne, surpris. [Action de tâter le terrain face à un obstacle avec l’aide de Janet : 2D6+0 + 1 jeton : 8, succès au prix d’une perte de réputation]. Fludd n'apprécie visiblement pas la façon de faire de Gillian, mais ne peut plus décemment s’interposer ; surtout que les mineurs reviennent.
Dans la baraque, un homme, Stephen Cox, est étendu fébrile dans son lit. Le contremaître les dissuade une dernière fois d’entrer. Il est tombé malade, dit-il. Quand elles rentrent tout de même, le type se retourne sur son oreiller, les regarde avec des yeux fiévreux, mais dit bonjour. Gilian dit que la lecture lui a sauvé la vie, qu’elle pourra certainement lui venir en aide. « La faute à pas de chance », souffle-t-il en regardant vers le contremaître. Gillian dit qu'elle a un médicament ! Et sort sa flasque. Il est blessé, à tout l'avant-bras bandé approximativement, et c’est bien sale. Janet sort sa trousse de secours et prend sur elle de cautériser à la dure avec un truc de métal mis au feu. Puis elles proposent un bouquin sur la médecine et les bouquins adaptés aux différents mineurs (dont le syndicaliste) présents ici. [Action de lire ou faire lire, 2D6-1+livre+aide de Gillian : 12 ! (succès et Janet choisit de dépenser un jeton pour gagner en réputation, Janet devient l’héroïne des mineurs)]. Tout le monde et satisfait de la livraison de livre et la blessure guérira. En partant, Gillian essaie de faire oublier la méfiance qu’elle inspire depuis son altercation de tout à l’heure en distribuant sa gnôle, mais cela échoue [Action de ruser sans obstacle, 2D6+0 : 6 (échec sans conséquence)].
Pendant ce temps-là, Dorothy entre dans la salle de classe, à Kewanee. Toutes les têtes se retournent vers elle. Au fond de la classe, il y a l'institutrice, madame Graham. Les enfants sont enchantés de la visite. Madame Graham discute avec elle, et dit qu'elle aurait aimé participer. Dorothy essaie de la convaincre de se joindre au programme, notamment l'été. Pour lever ses doutes, elle parle de sa mule, et du fait qu'il y a toujours quelqu'un qui s'y connaît.
Mais quelque chose tracasse l’institutrice. Elles sortent pour parler plus librement. Est-ce que l'organisation accepterait des bibliothécaires de couleur ? Oui avec un peu d'organisation dit Dorothy sans hésiter (tout en imaginant combien ce serait dur à faire accepter). Cela permettrait en plus de toucher une autre partie de la population. Dorothy est convaincue et essaie de la pousser à en dire plus [Action d’argumenter face à un obstacle, 2D6+0 : 9 (réussite au prix d’un nouveau retard)]. L’institutrice évoque la jeune Crystal Mills, qui vit avec ses parents dans une ferme isolée. Elle aimerait beaucoup faire plus que poursuivre le chemin tracé par ses parents. Elle ferait merveille avec nous. Même si elle ne pourra pas rentrer dans l'église, elle pourrait rester à l'entrée et profiter de la lecture, dit Dorothy. Nous parlerions ensuite. Dorothy propose de s’occuper des enfants pendant que Mme Graham va la chercher.
Pendant l’absence de l’institutrice, Dorothy entame la lecture de Don Quichotte, sur un chapitre du milieu, indépendant. [Action de lire ou faire lire, 2D6+0+1 (action spéciale le Bon livre au bon moment) : 6 (échec, une conséquence négative (laquelle ?) et perte d’un jeton)]. Les gamins sont fascinés. Crystal qui arrive avant la fin l’est tout autant. Helen débarque à son tour. Mais dans les cinq minutes qui suivent, Sullivan débarque également. Il fait un esclandre. Il renvoie la jeune Mills chez elle, sans que Dorothy puisse lui parler. Le coup est dur.
[C’était une très belle scène qui me laisse à la fois un grand souvenir grâce à ce que Lotin y a apporté et son contexte, mais aussi une certaine frustration de ma part. Je trouve que Crystal méritait mieux que mes descriptions lacunaires. Ça n’est jamais mon fort, mais je l’ai particulièrement noté à partir de cette scène. Je pense que j’étais naze, la fin est restée sur cette impression, un peu comme si je voulais finir trop vite.]
Toutes dépitées, nous retrouvons Janet et Gillian. Avant de partir de la ville, nous décidons de retourner une dernière fois tenter de convaincre le maire que les bouquins c'est pas si mal et qu'il peut apprendre des choses. Janet se retrousse les manches quitte à lui montrer qu'elle est bûcheronne et qu’elle a sauvé un homme à la mine, aujourd’hui. Helen reste légèrement en retrait. [Action d’argumenter sans obstacle avec l’aide de Dorothy, 2D6+0+reputation+1 jeton : 9 (réussite au prix d’un nouveau retard)]. Il revient finalement sur sa décision, les bibliothécaires pourront revenir à Kewanee. Mais nous sommes à bout, épuisées ou découragées, et ce soir le retour se fera de nuit.
[Le retard accumulé pendant la journée implique un retour difficile, avec un obstacle. Alors que les jetons sont quasi épuisés.]
Nous prenons la route principale cette fois-ci, plus question de faire dans le bucolique et l’encapuchonné. Dorothy et Helen semblent ruminer dans leur coin.
En sortant du village, Gillian propose un peu de son remède à Helen pour tenter de la réconforter [Action de réconforter sans obstacle, 2D6-1 : 6 (échec sans conséquence)]. Mais rien n’y fait.
Derrière les montagnes, le soleil se couche. Au bout d'un moment, cette route ressemble de plus en plus à un sentier. Il fait quasiment nuit. Nous semblons perdus. Gillian regarde la carte pour essayer de remonter au dernier embranchement. Janet lui fournit miraculeusement une lampe [Action de retrousser ses manches face à un obstacle, 2D6+0+ J'ai ça dans mon sac + 1 jeton : 5 (échec au prix d’un tempérament âgé pour la monture de Gillian)]. Malgré toute la bonne volonté de Gillian, nous sommes toujours perdus. Ce n’est pas du tout la route principale. Dans le noir, le vieux Jim se cogne légèrement, l'âge semble le marquer plus avant. Néanmoins, tout le monde les sens aux aguets pour essayer de trouver une piste, nous entendons un cours d'eau qui semble résonner pas loin [Action de tâter le terrain face à un obstacle avec l’aide de 2 collègues, 2D6+0+2 jeton : 7 (réussite au prix d’un sentiment négatif envers une Janet)]. Nous retrouvons enfin la route, mais l’épuisement a raison de nos nerfs et Gillian engueule Janet parce qu'elles sont en désaccord sur la route empruntée.
Traditionnellement, nous évoquons notre journée pendant le retour. Mais si Gillian a eu l’impression de vivre une aventure, pour Janet, Dorothy et Helen elle fut si difficile que la tournée s’est avérée particulièrement démotivante.
[Gillian est la seule à qui il reste un jeton, la seule donc à bénéficier mécaniquement de la journée tandis que les autres ont perdu un point de vocation (et donc un jeton en moins pour les éventuelles prochaines tournées).]
Fin de la première tournée !
Même si elle n’était pas tout à fait représentative du jeu tel qu’il est pensé, c’était une très chouette partie, plein de bons souvenirs ! Je crois que c’est partagé par la table, y compris par des joueurs peu convaincus par les PbtA, mais les participants pourront confirmer ou non.
De mon côté, j’aime beaucoup ce jeu ! Son idée, son contexte, son approche. Bien sûr, j’ai quelques réserves sur des détails de sa mise en œuvre, questions de goût en général, mais rien qui ne puisse l’écarter des jeux qui me plaisent.
C’est revenu plusieurs fois, par exemple, on aurait apprécié disposer d’une réputation de groupe. Ou en tout cas de quelque chose qui caractérise l’engagement d’une bibliothécaire dans un conflit au nom du programme plutôt que pour elle-même.
Et bien entendu, il y a des choses qui seraient facilitées par une pratique plus régulière, une maitrise des mécaniques que seule l’expérience permet. On les a senties souvent un peu trop envahissantes, mais il faut se les approprier parfaitement avant d’espérer les mettre en retrait. Par exemple, je n’ai pas eu le réflexe de décorréler les conséquences négatives de l’action alors qu’on peut s’en servir de « réserve narrative » pour éviter de trop empiéter sur le rythme et rester cohérent. Lors de la rencontre avec le KKK, si le joueur avait choisi que le tempérament de sa monture se dégradait, ce qui semblait pour le moins incongru dans ce contexte, lui comme moi aurions pu jouer sa panique, plus tard, face à l’ours. Et annoncer à ce moment-là qu’elle était devenue craintive. Voire s’en servir de support à l’improvisation d’une scène spécifique que ce soit à l’initiative du joueur ou du MJ.
En tant que MJ justement, je me suis parfois senti engoncé dans une structure conçue pour fonctionner sans moi. Par exemple le découpage en chapitres, avec des obstacles qui impliquent un jet de dé. Je pense qu’il faut l’avoir en tête quand on aborde le jeu, même si ça n’est pas obligatoire, il est avant tout fait pour des MJ tournants.
Et puis surtout, il y a un très fort sentiment de difficulté qui commence dès la création de personnages, dont les caractéristiques sont généralement de -1 ou 0. Il est certain que ma gestion du premier chapitre et les dépenses de jetons que ça a induit n’a pas aidé. Mais au-delà de ça, je ne sais pas à quel point j’ai influencé cette perception, à quel point c’est différent à d’autres tables. À lire d’autres retours, je n’ai pas l’impression que c’est le cas partout, au contraire.
En tout cas, je le répète, Pack Horse Library est un chouette jeu, essayez-le.
