Session 37 - La Bibliothèque du Marchand de Sable
Encore alcoolisés de leur passage Chez Régis, les Démons viennent donc de se retrouver les deux pieds dans la neige sur un petit chemin étroit au milieu d'une impressionnante forêt de pins. Au loin, quelques loupiottes clignotantes leur font miroiter la possibilité d'un village. Sans trop savoir comment ils sont arrivés là, les rougeauds décident de descendre le sentier en direction des petites masures en bois. Alors qu'ils débattent de l'endroit où ils se trouvent (Luc suggère que Chez Régis les a expédié en Laponie, Tristan est persuadé d'être dans la matrice et Félix pense être dans une autre Marche), un traîneau volant tiré par quatre rennes passe dans le ciel. Ho, ho, ho !
En arrivant au village, les PJ sont accueillis par une odeur sucrée, mélange de barbapapa et de caramel mou. Les autochtones les saluent avec bonhommie, mélange de gros costauds et petits joufflus en salopettes vertes et rouge. Le groupe a peine le temps de mettre les pieds dans les rues illuminées et enguirlandées du bourg qu'on leur propose qui des sucres d'orge, qui de la tarte pomme et du chocolat chaud. Les Démons se montrent plutôt bougon, d'autant que toutes leurs questions finissent invariablement par : « Mais non gros béta, nous sommes au Pays du Toujours-Noël ! ».
Le groupe prend son mal en patience (certains avec plus de difficulté que d'autres) et rencontrent un Père Noël tout de vert vêtu qui distribue des joujous de sa hotte aux enfants qui s'approchent de lui. Luc, qui lui demande une hache de bataille maudite, reçoit un équipement de viking en bois et Tristan et Félix tentent d'extirper du bonhomme des informations. L'atmosphère douceureuse et la naïveté enthousiaste des habitants du coin leur tape sévèrement sur le système mais en dépit de leur mauvaise humeur, le Père Noël (qui semble n'être qu'un Père Noël parmi d'autres) ne se laisse pas abattre. Avec enthousiasme, il leur suggère de rendre visite à l'aveugle du clocher, le vieux Niels, avant de leur souhaiter joyeux Noël et d'être interrompu par une demi-douzaine de marmots.
Les Démons attrapent un elfe de passage pour savoir où trouver le clocher et on les envoie vers une tour de bois où une gigantesque cloche en chocolat est suspendue. Après s'être arrêtés, le temps que Félix boive son vin chaud à la canelle, le groupe traverse la place sous une musique d'orgue de Barbarie et de chœurs de Noël puis grimpent les 600 marches de la tour. Là, un homme en veston de cuir rembourré et aux lunettes opaques en bois ressemblant à une version plus âgée de Nielle, l'Ange de Blandine du bar, les reçoit. Avec la sympathie propre aux habitants des lieux, il propose aux PJ une tisane, une soupe, un gâteau ou même un bisou.
Après quelques explications, Niels se révèle être un Démon de Beleth en charge de la surveillance de la Marche des Rêves et des Cauchemars, monde parallèle et onirique accessible uniquement en rêvant, où les PJ semblent avoir débarqué par inadvertance. Il nie avoir un quelconque rapport avec Nielle, l'Ange rencontré Chez Régis, mais répond volontiers aux questions des trois voyageurs égarés. Les Démons sont sûrs de ne pas rêver et pensent donc avoir raté une Marche en sortant de Chez Régis : au lieu de se retrouver sur Terre, ils sont arrivés dans la MRC. Niels leur recommande donc de ne pas mourir (mourir dans un rêve permet de se réveiller mais si les PJ ne rêvent pas…) et surtout de suivre le
fil de l'histoire. En effet, la MRC s'inspire du subconscient de ceux qui s'y trouvent et le moyen le plus simple d'en sortir est de mener l'arc narratif du rêve à sa fin.
Les Démons, déjà bien frustrés d'être bloqués ici, proposent des idées plus ou moins violentes (égorger tous les elfes, tuer le Père Noël) mais Niels les prie d'éviter de mettre trop le souk dans ses affaires, puisqu'après tout il vit ici 20 heures par jour. Gédéon, un petit elfe rondouillard interrompt la conversation car il a un superbe dessin à montrer à Niels (qui, rappelons-le, est toujours aussi aveugle). Tristan se propose pour décrire le dessin et y reconnaît, dessiné à gros traits, un grand blond barbu, que Gédéon appelle « Le Grand Blond », un voyageur passé par Toujours-Noël il y a quelques jours en faisant, semble-t-il, grande impression. Le groupe bondit sur son siège et fait le lien avec l'Archange Gabriel. Toujours selon l'elfe, le Grand Blond était à la recherche d'un ami à lui, un vieux monsieur aux cheveux blancs avec des lunettes, toujours le nez dans un livre. Mais quand il a appris qu'il n'y avait pas de livres à Toujours-Noël, il est parti par la forêt.
Les PJ s'enquièrent auprès de Niels pour savoir comment quitter l'endroit. Le Beleth leur liste quelques issues possibles à l'univers de poche du Toujours-Noël. Les Démons décident d'éviter la forêt (à cause des loups), hésitent à se rendre au Cratère Lunaire de Fromage et se rendent finalement, guidés par Gédéon, au Puits Glacé. Tristan profite du voyage pour remarquer que les enfants du coin semblent « décalés » par rapport à la réalité et en déduit qu'il s'agit de rêveurs. Surjouant l'enthousiasme naïf, il prend donc à partie quelques dormeurs pour leur offrir des pilules avec l'espoir que les bambins conserveront ce souvenir positif des drogues bien au chaud dans leur subconscient. Félix de son côté tente de briser la naïveté de Gédéon en lui parlant du travail à la chaîne des enfants et de syndicalisme. Les deux Démons ressentent toutefois un léger malaise et décident de se taire le restant du trajet.
Arrivés au Puits, les PJ se jettent dedans en pensant très fort au Grand Blond. Ils tombent un mètre plus bas dans ce qui ressemble à des égoûts. En émergeant, ils débarquent dans tentaculaire ville aux allures cyberpunk où tout semble appartenir à la même mégacorporation : W.I.P. Changement radical de décor, alors que les PJ errent dans un mélange de cyberautoroutes, de cyberbouges mal famés et de cyberdealers qui leur propose le BlueSpeedo le moins cher de la Death Area, choomba! Un partout, des publicités lumineuses mettant en scène une top-modèle noire vante le slogan « Black is beautiful », le tout sous un ciel gris et pluvieux.
Après une première déconvenue avec le patron du premier bar du coin, ayant culminé en l'arrivée de la cyberpolice, le groupe se rend au Stinkin' Blue Boy. Le rade puant et crasseux leur a été recommandé pour sa réputation et il ne démérite pas : le fond de panier des runners du coin semble s'y trouver, prêt à tuer père et mère contre quelques cybercrédits. À peine entrés, le barman (qui ne semble même pas avoir les moyens de se payer des robots-employés) les traite de pédales et les invite à dégager, mais une cliente un peu plus sympa le recadre et leur paie sa tournée.
Tristan se renseigne auprès d'elle sur la visite récente d'un grand blond, probablement un type important. La runneuse suppose qu'il fait référence à M. Blondin, dont la rumeur sur les networks veut qu'il soit un vice-président d'une corpo concurrente avec une liste d'accréditations impressionnante. On raconte qu'il s'est rendu à la DOW Tower n°1 et n'en est jamais ressorti. Pendant qu'ils discutent, Luc et Félix remarquent accoudé un peu plus loin au bar une nouvelle version de Niels. Niant à nouveau les avoir rencontrés, il se présente cette fois-ci comme Nihil, blouson en ThermoCuir© et lunettes miroir Ray-Ban© sur le nez. Après avoir répété les avertissements d'usage (ne pas mourir, suivre le fil), Nihil leur explique que le W.I.P. est un
work in progress de Beleth. Il n'y actuellement que deux issues au pocket universe: une fenêtre du dernier étage de la DOW Tower et un tapis roulant de l'usine JunkStuff. Après avoir demandé gentiment, les PJ reçoivent de Nihil des accréditations spéciales pour accéder à la tour DOW et se mettent donc en chasse de Gabriel.
Au milieu des pantins corporatistes en costard, les Démons détonnent pas mal mais les accréditations fonctionnent et ils peuvent donc accéder au 512ème étage de la tour de verre, d'acier et de chrome. Une fenêtre du salon panoramique est ouverte et, contrairement aux autres, elle donne sous un paysage de montagnes rouge brique et de ciel bleu azur. Les Démons se jettent par la fenêtre, priant pour rattraper l'Archange rapidement… et tombent quelques mètres plus bas sur un nuage.
Les voici désormais dans un monde onirique de nuages solides, de montagnes, de bateaux volants et d'appareils aériens fantastiques où des super-héros en slip rouge flottent dans les airs en côtoyant des biplans de la Grande Guerre. Les Démons sont toutefois bloqués sur leur petit nuage et, eux, ne parviennent absolument pas à voler en dépit de plusieurs essais infructueux : Félix est rattrapé in extremis par Luc et Tristan chute dans le grand vide… avant de traverser le décor, de se retrouver à nouveau tout en haut de la poche onirique et de s'écraser lourdement sur un nuage en surplomb. Hélas, hêler les habitants et les rêveurs ne suffit pas à attirer leur attention. Luc décide donc de prendre les choses en mains. Il attend qu'un bateau passe en-dessous de son nuage et se jette dessus.
Pris d'une inspiration maléfique (666), le Malphas se met à voler dans les airs comme une fusée et après quelques pirouettes se plante sur le pont d'un vaisseau pirate, manœuvré par une demi-douzaines de loups de mers édentés. Épatés par une telle démonstration de vol et par l'audace du jeune homme, le capitaine pirate, du nom de Ratatine-ta-gueule, se met au service de Luc. Le navire met donc le cap vers les nuages où Félix et Tristan sont toujours échoués. Quelques discussions avec les autochtones plus tard et les Démons rejoignent Neil, nouvel avatar du Démon de Beleth qui s'est aménagé un salon bourgeois dans la nacelle d'une montgolfière. Neil leur donne à nouveau les explications d'usage, leur propose une tasse de tisane tilleuil-menthe et liste des issues possibles de la poche.
Les Démons passent ensuite à l'école de vol où un étranger a été aperçu il y a à peine quelques heures. Un grand blond a effectivement appris à voler puis a posé des questions sur une éventuelle librairie dans le coin. Les instructeurs de vol (un ersatz de Superman et une bonze bouddhiste) l'ont alors dirigé vers la Bibliothèque du Marchand de Sable, derrière la zone des éclairs. Luc commande le vaisseau pirate de s'y rendre et les matelots souquent ferme pour traverser l'orage tout en chantant une chanson sur la beauté de « Noire Sœur d'Icare ». Après quelques minutes de tempête, la zone de danger est traversée et le navire s'amarre à une petite plateforme rocheuse suspendue dans les airs. Dessus, une petite boutique est installée et son enseigne indique sobrement : Bibliothèque du Marchand de Sable.
Les PJ remercient chaudement Ratatine-ta-gueule et son équipage et pénètrent dans la librairie. Entendant des voix de l'arrière-boutique, le trio infernal s'engage dans un labyrinthe d'étagères et d'ouvrages. La bibliothèque semble produire un souffle profond, comme une lente et immense respiration qui se dégageraient des livres. À mesure que les Démons s'avancent plus profondément, les voix semblent doucement se rapprocher et la nature des lieux change. Après quelques minutes, ils ont quitté la petite librairie pour se retrouver dans une immense bibliothèque aux voûtes de pierre et aux étagères colossales. Cent mètres plus loin, les voilà dans une cage d'escalier dont les fenêtres donnent sur une immense forêt. Encore plus loin, les murs sont métalliques et rouillés et les rayons éclairés par des néons blâfards. Félix examine un livre hasard (il s'agit du dossier de mise en examen de Jacques Chirac dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris) et le repose.
Les Démons retiennent leur souffle et finissent par arriver dans un immense puits en spirale, aux murs couverts de livres. Au centre du puits, une série d'énormes lustres en cristal pendent le long d'un filin métallique, illuminant chaque étage d'une clarté dorée et rassurante. Quelques étages plus bas, sur une plateforme aménagée avec un bureau, un lutrin et un téléphone, deux personnages discutent. Le premier est petit, fin, cheveux dressés sur la tête, en lunettes et redingotes et les Démons devinent qu'il s'agit de l'Archange Yves. L'autre est grand, musclé, aux cheveux blonds : c'est Gabriel. Le trio s'approche discrètement pour écouter la conversation.
Yves — Quel est ton problème, Gabriel ? Tu as fais tout ce chemin juste pour me parler ?
Gabriel — Je je ne sais plus quoi faire, Mikaël, et tu le sais. Mon frère… mon frère refuse de continuer.
Yves — Oui. Samaël ne veut pas revenir aux Enfers… mais c’est son droit. Nous n'avons pas à juger des actions de Celui Qui A Chuté.
Gabriel — Mais alors… et moi ? Qu’attend-on de moi ? Que puis-je y faire ?
Yves — Ton rôle à toujours été d'obéir, Gabriel. Tout comme ton fière, bien que toi tu l’aies toujours su. Vous êtes Ses meilleurs agents. Vous êtes ceux qui accomplissent Ses volontés.
Gabriel (en colère) — Et quelles sont-elles, Mikaël ? Pourquoi ce silence ?
Yves tire de la bibliothèque un petit carnet en cuir rouge qu'il tend à Gabriel. L'Archange du feu bafouille quelques mots et ouvre le livre.
Yves — Oui, Gabriel. C'est ton agenda.
Gabriel — Je le croyais resté au Paradis.
Yves — L’agenda est toujours au Paradis, dans tes appartements. Mais l’agenda est aussi un livre. Tous les livres sont dans la bibliothèque. Lis, ange de lumière. Lis ce qui doit advenir.
Gabriel pose son épée de lumière sur la table et s'assoit sur la chaise. Elle miroite sous les lustres d'une lueur puissante et menaçante. L'archange feuillette les pages du carnet.
« Incroyable… tout est là. Sodome et Gomorrhe, les sourates, l'annonce à Marie… ». Il se tait pour lire puis repose le livre comme s'il lui brûlait les doigts. Yves ramasse l'agenda sans un mot et le remet en rayon, puis il pose la main sur le pommeau de l'épée.
Yves — C’est ainsi que vont les destinées. Ton heure est venue, Gabriel. Il est temps pour toi de partir.
Gabriel — Mais… Samaël ? Et moi ? Qu’adviendra-t-il de nous ?
Yves ne dit rien et se contente de soulever l'arme et de la tendre à Gabriel. L'archange proteste.
Gabriel — Je peux refuser de suivre le plan. Je peux m'abstenir. (il prend l'épée)
Yves — Alors c’est qu’il était écrit que tu ne le férais pas. Tu n’as pas le choix Gabriel. Aucun de nous n’a le choix. Il faut que Sa volonté soit faite. Va maintenant, ange de lumière. Va sans te retourner, car nous ne nous verrons plus qu’une dernière fois.
Gabriel lève l’épée vers le ciel et une lumière aveuglante illumine le puits. Puis il range l'arme et enlace longuement Yves avant de descendre les marches et de disparaître dans le lointain.
Yves se tourne alors vers les Démons : «
Approchez, approchez, invisibles témoins. Le spectacle doit prendre fin, la chute du rideau approche.» Il essuie une larme mais sourtit lorsqu'ils arrivent à son niveau. Il dévisage longuement les Démons en hochant la tête d'approbation. «
Il est temps pour vous de rentrer à la maison, vous avez encore tant à faire avant que la nuit ne vienne. Suivez-moi. »
Comme de coutume avec Yves, les questions des Démons restent sans réponse, l'archange se contenant d'un sourire paternaliste à chacune de leurs interrogations. Félix et Tristan, excédés, se moquent ouvertement de l'Archange tandis que Luc s'interroge plutôt sur pourquoi Yves ne les oblitère pas immédiatement. Au bout d'un petit moment, le groupe arrive dans une allée droite. De part et d'autre, les rangées de livres s'étirent à l'infini. «
Avancez toujours tout droit, sans vous arrêter ou vous retourner. Il ne pouvait pas choisir de meilleurs agents. ». Les PJ protestent mais Yves les abandonne là et ils s'engagent donc dans l'allée. Félix et Tristan, par défi, prennent chacun au hasard un livre dans les rayons en marchant tandis que des bruits de grognements, de mastications humides et de rires lointains se font entendre derrière eux.
Après quelques minutes, tout se modifie à nouveau. Les démons sont dans une bibliothèque : étagères métalliques, casiers en plastique plein de courrier, gros classeurs, néons grésilllants et odeur de cave moisie. Au-dessus d'eux, un bruit familier : celui des trieuses du centre de Tri. Les PJ vérifient qu'ils vont bien mais n'ont pas le temps de beaucoup réfléchir. En effet, M. Fabien déboule dans la cave, pestant qu'il est à leur recherche depuis ce matin. On a retrouvé la trace de Yolande et l'équipe d'intervention doit partir en Suisse en quatrième vitesse. Allez, allez…