Tout de suite la suite, avec la moitié du trajet effectuée entre Orolunga et Kir Sabal. La bataille pour l'âme d'Eku continue.
***
Nous avons quitté l’oracle tous ensemble, Artus et son ami Apdrag (si j’ai bien saisi, son élocution est étrange), Eku et moi, dans une atmosphère de paix retrouvée. La ziggourat avait perdu tous ses artifices, l’escalier descendait sans pièges ni chausse-trappes, sans serpents ni chwingas jusqu’à la jungle, où la base de l’édifice se noyait dans un nid de tulipes bleues. Nous y avons monté le camp. La nuit est jeune encore et nous partirons demain, après avoir fait plus ample connaissance.
[
Durant cette discussion, les buts secrets des personnages apparaissent-ils ? 54, oui. Bien, c’est cohérent avec le « coup de foudre » précédent.]
Je cherche à en savoir plus sur nos compagnons. Artus m’apprend qu’ils se sont rencontrés à Port Nyanzaru. Il admet qu’il n’est pas natif de Chult mais de la côte des Épées, comme moi. Il est cependant sur la presqu’île depuis des lustres, semble-t-il. Dix ans ? Vingt ans ? Je lui demande et il hésite. Alors je déballe tout. Syndra. Le Psychophage. La raison de ma venue à Chult. Même Eku roule des yeux ronds. Je lui montre que nous n’avons aucune raison de nous cacher quoi que ce soit. [
Persuasion de Kass : DC15, 12+4] J’ai dû être convaincante, car il se livre à son tour.
— Vous voyez cet anneau, dit-il en montrant sa main gauche. C’est l’anneau de l’hiver. Il m’empêche de vieillir. Je suis venu à Chult il y a plus de cent ans.
J’en reste bouche bée. J’ai donc trouvé le moyen de parcourir la jungle avec non pas une mais deux reliques vivantes. L’anneau qu’il désigne, autour de son doigt tatoué, est d’or couvert de givre. Du premier coup d’œil, je sens que Syndra donnerait tout pour un objet pareil. Il poursuit :
— Il y a cent ans Ras Nsi et sa horde revenue d’entre les morts était aux portes de Mezro, une ville de la côte est. Je m’y trouvais, et l’ai défendu aux côtés des barae, les défenseurs immortels de cette antique cité. Mais nous n’étions pas de taille, tout immortels qu’ils fussent. Ils ont alors mis au point la plus audacieuse des fuites, qui consistait, plutôt qu’abandonner la ville à la horde, à la cacher tout entière. Depuis, Mezro n’est plus de ce monde. Elle n’y reviendra que lorsque le danger ne sera plus.
— À la mort de Ras Nsi ?
— Sa deuxième. Ou troisième. On ne les compte plus.
[
Kass déduit-elle une motivation cachée derrière tout ça ? insight DC15 : 18+2 ! ]
— Une quête d’un siècle, c’est bien long. Qu’y a-t-il de si beau à Mezro ?
— Ma femme. Alisanda.
Je suis presque déçue. [
J’ai bien envie de laisser longtemps planer la possibilité d’une aventure entre Kass et Artus… Pas d’oracle pour l’instant, comme ça on reste dans le doute, et ça pourra amener plein de drama : Kass résistera-t-elle à l’envie de reculer le retour de Mezro, quitte à se compromettre ? Ce retour est-il seulement possible ? Si non, Artus se résignera-t-il à la perte d’Alisanda ? Trouvera-t-il un nouveau bonheur ailleurs ? Bref, vous voyez le genre.]
— Et ces tatouages ? Vos enfants ?
Il s’esclaffe.
— Non ! Byrt et Lugg. De chers amis. Deux wombats.
— Pas loin.
Mais quel genre d’hommes se tatoue sur les doigts le nom de ses hamsters ?
Après cela, Apdrag et Eku ont tenté de communiquer un peu. Pas facile. Le saurien ne s’exprime que par cliquètements, enrichis d’étranges odeurs qu’il semble pouvoir émettre à volonté. Artus a tenté d’en dresser le glossaire, mais même lui s’étonne parfois, quand il s’agit d’interpréter une odeur de chèvrefeuille ou d’amarante, d’anis ou de menthe poivrée. Visiblement, le soufre désigne l’hésitation, la rose la tristesse, le citron la joie, le pain frais la colère et le porc fumé l’inquiétude. Avec tout ça, j’ai bien peur de passer tout le reste du voyage à gargouiller, Apdrag doit donner faim…
Il suit Artus depuis quelques années, à la recherche d’Omu. C’est ce qui les a menés à Orolunga, dont il ne connaissait pas non plus la localisation exacte (tout le monde n’a pas la chance d’avoir Eku pour guide). L’oracle leur a livré des indices, visiblement insuffisants. Selon Artus, le meilleur moyen de localiser la cité perdue d’Omu est à présent de s’en remettre aux moines de Kir Sabal, un monastère sur la côte est de la presqu’île. Un mois de voyage, en passant par le cœur d’Ubtao.
Les cinq premiers jours, nous suivons le cours du Thar, jusqu’à son affluence avec la source du bassin d’Aldani. Hormis les insupportables nuées de moustiques, le voyage se passe bien. Nous apprenons à nous connaître et à évoluer de concert. Malgré ses courtes pattes, Apdrag avance à bonne vitesse et lui au moins ne craint pas les insectes ; sa peau est épaisse comme mes cornes, qui l’amusent beaucoup. [
Apdrag se prend-il d’affection pour Eku ? 21, non. Pour Kass ? 60, oui.] Je me fais doucement à sa présence étrange.
Artus de son côté fait un parfait éclaireur. Il a bien plus d’expérience que moi. S’il n’avait à rivaliser avec Eku, il serait sans conteste le meilleur des guides. Mais elle connaît mieux la jungle, ses rivières et ses méandres. Preuve : sous son égide, nous arrivons, au jour dit, à l’heure dite, à la confluence du Tarth et de l’Aldani.
[
La malédiction de Kass empire-t-elle ? Peu probable. 7, non et… Oh ? Je tire un verbe : Notify !]
— Ça ne s’est pas étendu depuis notre visite à l’Oracle.
Je me retourne. Eku est en pleine contemplation des écailles de mon dos tandis que, pour la dernière fois avant la traversée de ce long marécage, nous nous lavons toutes les deux dans l’eau claire du Tarth.
— C’est vrai. Je n’y pensais plus.
— C’est peut-être pour ça ?
— Si seulement. Et toi ? Comment se comporte Nani Pu ? [
Eku a-t-elle avancé dans sa lutte intérieure ? 73, oui.]
— Elle est calme. La question est de savoir si elle est tapie dans l’ombre, prête à bondir, ou simplement assagie.
— Nos nouveaux compagnons nous réussissent, dirait-on.
Elle rit. Comme souvent depuis cette fatale rencontre, sur les hauteurs de l’Aldani. Malgré l’abîme qui sous ses pieds s’est ouverte. Je ne peux m’empêcher de la prendre dans mes bras et de l’embrasser. Elle a l’air bien surprise.
La traversée du marais proprement dite est une toute autre affaire. Si les deux premiers jours, encore à peu près au sec, se passent bien, le troisième nous réserve une belle surprise. Nous longeons toujours la rivière quand j’avise un crocodile à deux doigts de croquer le mollet d’Agbat.
Avant même que je n’ai pu crier, un trait de feu jaillit derrière mon dos et vient embraser le museau d’un deuxième animal qui s’approchait de moi. Eku a bien visé, la bête renâcle, mais ce n’est pas assez pour l’arrêter. Je lui décoche une flèche précise et vicieuse dans la gorge. Voilà qui suffira. Cependant, quatre de ses congénères nous entourent à présent. L’anneau de l’hiver fait alors preuve de sa puissance : Artus le brandit, et voilà qu’un souffle plus glacé que Cania et Stygia réunis s’en déverse. Deux crocodiles, figés en plein mouvement, n’en réchapperont pas. Profitant de leur engourdissement, Apdrag se jette sur les deux derniers. Il achève une cible mais juge mal la vitesse du dernier, qui le saisit de ses puissantes mâchoires et l’entraîne par le fond. Je plonge sans hésiter à sa suite. La bête attire sa proie dans la vase mais c’est à son tour de me juger mal : dénuée de son fardeau, je nage plus vite que lui. Je me trouve rapidement sous son ventre que j’entaille de bas en haut, très proprement, avant de libérer Apdrag. Nous émergeons à la surface. Il saigne un peu mais sa couenne épaisse l’a préservé du pire.
Je laisse Eku prendre soin de lui et replonge aussitôt chercher mes futures bottes.
Le soir au coin du feu, Apdrag me jette de curieux regards quand il me voit au coin du feu équarrir mes nouvelles guêtres. Sa méfiance était fondée : dès l’aube, le dieu crocodile a tenté d’assouvir sa vengeance. Alors qu’il inspectait les alentours, Artus est tombé nez à nez avec un spécimen d’une taille improbable camouflé dans les roseaux. La bête l’a rapidement acculé contre un affleurement de roche tandis que nous accourions à son aide. Elle était si féroce que la magie de l’anneau ne la gagnait que trop lentement. J’ai sauté sur son dos et remonté son échine jusqu’à sa gorge. Elle venait de saisir Artus entre ses crocs lorsque je lui ai sectionné l’artère. Malheureusement la charogne une fois morte était complètement prise dans la glace. Dommage. Elle aurait fait un joli plastron.
*
Nous sommes à cinq jours de marche du cœur d’Ubtao et nous l’apercevons déjà, qui flotte au-dessus du bassin comme une lune immobile. La nuit, il brille d’une lumière étrange, qu’Eku fixe un peu trop à mon goût. Nous devrions passer en dessous ou juste à côté. J’espère que Nani Pu saura se tenir à carreau. Quant au cœur du marais, il est plutôt tranquille, du moins pour ceux que la moiteur et les moustiques ne gênent pas. [
La malédiction empire-t-elle ? Peu probable, 64, non mais limite !] La peau de serpent est presque une bénédiction de ce point de vue. En l’absence de regards curieux autour de moi, j’ai découvert mon épaule droite afin de me refroidir, et les moustiques ne s’y risquent même pas. Les écailles son presque belles au soleil. Artus évite leur contact, mais Apdrag s’en amuse beaucoup. Il compare régulièrement nos deux peaux et et synchronise nos battements de queue en émettant une odeur de malt satisfaite. Est-ce Dendar qui parle en moi ? J’aime de plus en plus ce petit dragonnet vaillant. Rien ne l’effraie, rien ne le perturbe. Il accompagne de parfaits étrangers de sa loyauté indéfectible, et semble très heureux pour ça. J’envie sa confiance en les autres.
Le deuxième soir après notre rencontre avec la mère de tous les crocodiles, une bande d’hommes-lézards déboulent autour de notre feu de camp. Nous devons avoir pénétré sur leur territoire. Ils sont méfiants et nous menacent de leur lance. [
Avons-nous de la nourriture à leur proposer ? Probable, 49, oui] Je leur propose de se joindre à nous : nous avons du gibier en abondance, la chasse a été bonne. Ils hésitent et acceptent. Apdrag est particulièrement impressionné. Il tente de communiquer avec eux, mais cela n’a pas l’air de fonctionner. Eku connaît quelques mots de leur langue, en revanche. Ils nous indiquent que d’ici deux jours nous pénétrons dans le territoire des morts. Réjouissante perspective. Nous nous quittons bons amis au milieu de la nuit.
Le matin, la terre retrouve un peu de consistance sous nos bottes dévorées par la boue des jours passés. Nous traversons le village de nos amis de la veille, aux abords desquels de gigantesques lézards se dorent au soleil sur les rochers. Je suis prise d’une compulsion soudaine de m’adonner aussi à ce passe-temps, mais Apdrag me traîne par la manche ; il empeste l’ammoniac, odeur de l’impatience. Les villageois nous regardent d’un air curieux. Je reconnais l’un de nos compagnons de repas qui brandit sa paume ouverte. Je lui rends son signe. Il s’approche en compagnie de ce qui paraît être un vieillard à la peau fripée. Un puissant goître s’agite sous son menton à chaque pas. Il nous tend des colliers d’os. Pour repousser les morts-vivants, suggère Eku. Pas sûr que ça suffise, mais ça ne peut pas nuire. Je me courbe bien bas pour les remercier et nous poursuivons notre route.
Le lendemain soir, je suis réveillé en pleine nuit par une nuée de chauve-souris qui me déchire le visage. [
Nani Pu ? 98, oui, et contre toute attente : 2, résolution !] Je roule au bas de mon hamac. Elles sont des dizaines, des centaines qui virevoltent autour d’Eku. Comme plongée dans une transe, mon amie lévite au-dessus du sol, les yeux révulsés, les paumes tournées vers le ciel. Je me taille à coups de lames un chemin vers elle. Apdrag est debout lui aussi et lutte comme il peut contre ces bestioles. J’avance, mais la panique commence à me saisir quand j’aperçois, au-delà du cercle infernal que forment les chiroptères, trois ombres lugubres autour desquelles ces vampires volants s’écartent. Un triple rire éclate, d’une gaité de cimetière, et les voilà qui prennent forme.
De la tête fendue de la première s’épanche une colonie de fourmis, dont les damnés bestioles font festin. Sur ses yeux sont posés deux pièces d’or. Elle transporte un lourd anneau de fer sur lequel huit clés sont accrochées.
Un nuage jaunâtre s’exhale du nez et des oreilles de la deuxième pour accompagner son rire. Elle s’avance vers nous en boitant, le corps enroulé dans un chapelet de dents de lait.
Quant à la troisième, un sac est cousu à même la peau de son crâne, d’où s’érige une vipère, sifflante et frétillante.
Apdrag et moi sommes toujours aux prises avec les chauve-souris et je désespère qu’Artus sorte de sa torpeur pour nous venir en aide. Eku n’a pas quitté sa transe et les trois ombres convergent doucement vers elle en marmonnant en chœur. Leurs mots corrompus s’envolent de leur bouche et s’immisce dans ma tête au point que je pourrais m’y perdre, mais la présence d’Apdrag solide et solaire me rassérène. Il se bat comme beau un diable et s’extirpe du nuage des vermines pour foncer, sans une once d’hésitation, vers l’ombre centrale.
Un jet de glace me rase la joue pour venir s’écraser sans effet sur la dernière de ces horreurs. Enfin, Artus s’en mêle, juste quand les chauve-souris s’éparpillent. Je me lance alors vers la gauche, sur l’ombre à tête fendue. La nuit : mon élément. Elle croit me voir et elle se trompe. Je ne suis déjà plus là. Je tourne autour d’elle comme un derviche sur ses pointes et la larde de gauche et de droite, mais ses plaies infectes semblent se refermer sous mes yeux. Apdrag a plus de succès : son épée brille d’un éclat que je ne lui ai jamais vu lorsqu’il l’abaisse sur le corps mou de l’ombre méphitique. Je perçois même confusément son aura bienfaisante qui m’enveloppe et me protège des sortilèges de ces trois démons.
Mais comme je reprenais espoir, Eku s’écroule près du feu de camp après avoir reçu un bien mauvais coup. Je crains le pire mais mon cœur se réchauffe en voyant qu’Artus fait feu de tout bois pour la protéger. La vipère s'est saisie d’elle, elle voudrait l'emporter mais la magie de l’anneau de l’hiver l’a fait battre en retraite. Un mur de glace la sépare à présent de sa cible inconsciente et la voilà qui peste et retourne sa haine contre Artus, qui se défend bien.
Alors un cri déchire le ciel nocturne. À ma droite, Ardbag a plongé son épée sainte dans le cœur de son adversaire, qui s’affaisse et dégorge un liquide innommable. En un souffles soudain, voici que les deux autres s’évaporent et disparaissent dans l’éther, comme elles étaient venues. Je cours vers Eku, accompagné du vaillant saurien, le héros du jour. Nous nous penchons tous deux au chevet d’Eku, mais il sait bien mieux que moi comment s’y prendre et la tire d’affaire en un rien de temps. Je la laisse entre ses mains et rejoins Artus qui inspecte un peu plus loin le cadavre encore fumant.
— Qu’était-ce ?
— Les Sœurs cousues. Des légendes locales, pourvoyeuses de cauchemars. Apdrag a terrassé la Clochemorte. Un haut fait.
— Elles sont venues pour Eku.
Artus lève un sourcil curieux. J'ajoute :
— Elles se disputent son âme.
— Entre elles ?
— Non. Elles veulent qu’Eku les rejoigne.
— Et maintenant, il en manque une.
***
Eku a remporté le combat pour son âme et le groupe s'est au passage constitué de farouches ennemies. Pourtant parfaitement improvisé après cet oracle à 98, il a été très intéressant à jouer, parce que les (nombreuses) capacités de tout le monde ont donné un chifoumi très rigolo, où chacun contrecarrait les plans de l'autre : Apdrag confère l'avantage contre les effets de sort à qui le colle de près, si bien que les trois phantasmal killers et deux malédictions des night hags ont échoué contre les sauvegardes. Mais de leur côté, les sorcières ont aussi l'avantage contre les sorts, ce qui a rendu l'anneau de l'hiver complètement inopérant dans ses attaques directes. Kass, pourtant la plus faible des protagonistes, était plutôt tranquille grâce à sa capacité Umbral Sight du Gloomstalker : elle est invisible à qui ne peut la voir que grâce à un vision nocturne, et le combat se déroulait de nuit. En revanche, elle n'a pas été d'une utilité farouche faute d'arme magique, les sorcières sont résistantes aux dégâts non magique. L'élément déterminant a en réalité été l'épée d'Apdrag, qui ajoute 2d10 aux dégâts contre les morts vivants et les fiélons... ce que sont les night hags ! (Note pour qui voudrait faire jouer cette campagne : ajouter Apdrag/Dragonbait et Artus change vraiment, complètement la donne. C'est osé, et plutôt fun)
C'est un combat qui m'aurait probablement causé beaucoup de problèmes autour d'une table, parce qu'il a fallu que je prenne le temps de tout prendre en compte, chose que je fais rarement en compagnie. J'aurais probablement oublié mille choses et réglé les trois-quarts au doigt mouillé dans le feu de l'action. Le solo, de ce point de vue, je le remarque de plus en plus à chaque essai, est une expérience bien plus by the book que la partie classique, paradoxalement.