Vous l'aurez donc compris, je ne pars pas cette fois-ci d'un module, mais complètement en roue libre.
Par ailleurs, le MJ de City of Mist est un MJ PbtA, c'est-à-dire réactif, si bien que l'oracle devrait être moins sollicité et servira principalement à déterminer 1. l'histoire "véritable" derrière les hypothèses d'Amos et 2. la forme exacte que prendront les "hard moves" quand l'inspiration ne viendra pas directement, ou quand deux options paraissent si juteuses que je m'en voudrais de trancher.
À ce propos : afin de créer un peu de surprise de mon côté, j'envisage de poser certaines questions cruciales le plus tard possible, sans savoir si cela pourra très bien fonctionner. Dans l'écriture "classique", c'est habituellement là qu'intervient la phase d'édition – qu'on pourrait assimiler, dans le jeu solo, à du "retconning". En aurais-je besoin ? Eh bien je n'en sais rien, mais je n'y compte pas.
PS : j'utilise ma propre traduction du jeu pour le nom des moves et autres éléments propres à City of Mist, j'espère que vous vous y retrouverez.
Et maintenant, la suite !
***
J’ai rendez-vous cette nuit avec Eduardo Calderon, un collègue de Riviera rencontré pour mon enquête et qui m’a recontacté ce matin. Il disait disposer de documents susceptibles de m’intéresser. Il habite le Quartier rouge, dans lequel j’aurais préféré ne pas avoir à roder seul de nuit, mais tant pis. Trop risqué de m’y rendre de jour, de toutes façons, je risquerais de ne pas repérer une éventuelle filature. Alors j'avale un bon verre de scotch et j’enfile mon imper, je coiffe mon fedora et me voici dans la rue. Je hèle un taxi de passage. Sa radio diffuse les informations. On y parle du procès de Riviera à venir. Cynthia LaFleur, une journaliste que je connais bien, nous dresse le portrait du juge Eric Squale qui le présidera. Pas d’embouteillages à cette heure là et nous voilà vite à destination. C'est une rue tranquille. Je m’attendais à y voir une bande de rats traversant en couinant parmi les voyous, une bouche d’égout qui fume et une enseigne de supérette discount dont seulement deux lettres sur trois clignotent, mais il n’y a rien de tout ça. Il n’y a rien du tout. Une rue banale et silencieuse, dans un quartier banal et silencieux, un quartier dortoir, pauvre et triste.
Je monte rapidement les trois marches du perron et pousse la porte d’entrée dont l’interphone n’a plus l’air de fonctionner. Dans le couloir un chat miaule et me file entre les jambes, direction la sortie. J’emprunte l’escalier jusqu’au cinquième et dernier étage, comme Calderon me l'avait indiqué. Porte de droite : ouverte. Tiens tiens. Je la pousse prudemment. La console dans l’entrée est renversée avec sa lampe de chevet dont l'ampoule émet encore quelques flashs intermittents. Je me colle contre le mur et ouvre en grand, passe un œil. Un couloir. Tapis froissé. J’entre à pas de loup et passe devant la cuisine. RAS. J’avance, une porte de chaque côté, toutes deux ouvertes, une porte au fond, fermée. Probablement la salle de bains. Je passe la tête à droite : la chambre. En désordre, mais rien d’anormal, du moins rien que je puisse distinguer dans le noir. Mon cœur accélère. Je passe la tête à gauche. Le salon. Scène de lutte. Un corps sur le plancher. Sa tête est cachée par le divan. Deux fenêtres, dont une ouverte sur l’escalier de secours. Dans le cendrier posé sur le rebord, un mégot fumant. La télé est allumée, c’est encore Eric Squale. Je m’approche. Un homme d’une cinquantaine d’années, une tache de sang qui s’évase sur la moquette crème. Je me penche, enfile mes gants, pose mes doigts sur la carotide. Il est mort. Pauvre Eduardo. J’observe la plaie : un objet contondant, massif. Le coup a été asséné par derrière.
[
La police a-t-elle été prévenue ? 4, Oui.]
Une sirène, dehors. Pas bon. Je n’ai plus aucune confiance en la police. Au mieux, ils m’évinceront des lieux et détruiront les preuves. Au pire, ils déposeront mes empreintes sur le corps et m’embarqueront. Je me relève et tente de trouver ce qu’il espérait me donner. J’ai le chic pour ça, trouver le détail important, vite et bien. Appeler ça le sixième sens, le troisième œil, ce que vous voulez. [
Action : Enquête. Les clés : Enquêteur prudent, Troisième œil, soit +2. 8+2 = 10, succès fort. J’obtiens deux indices, que je peux transformer en réponses directes ou en bonnes pistes] Sur le bureau derrière lui, une pochette. Je l’ouvre : vide. Mais deux numéros sont griffonnés à l’intérieur, le mien et un autre. Je déchire et j’embarque. Autre chose ? [
Je tire sur la table des verbes : encercle. Je tire un adjectif : savant.] Un livre, posé sur le canapé. Il devait être en train de le lire. Je le ramasse. Des pas dans l’entrée. « M. Calderon ? ». C’est un traité de cabale juive, ouvert au milieu. Je le retourne. Un schéma, dix cercles disposés sur trois colonnes. Le plus bas est entouré. J’embarque et me dirige vers l’escalier de secours en m’aplatissant du mieux possible. [
Action : Feinte. Clés : Enquêteur prudent, Effacer ses traces : +2. 12+2, succès fort.] Je me faufile par la fenêtre sans rien toucher. Les flics sont aussi en bas, deux voitures et quatre agents. Je descends malgré tout. [
Y a-t-il une fenêtre ouverte ? 2, non, 16 mais : Aïe ! Une fenêtre n’est pas verrouillée et fait un bruit horrible en s’ouvrant] Au quatrième, la fenêtre n’est pas verrouillée. Le salon est éteint. J’empoigne le chambranle et tire [
Les policiers entendent-ils quelque chose ? 1, non, 13 et ils ne viendront pas fouiller cet appartement.] Je m’introduis dans l’appartement et m’accrouppit sous la fenêtre que je referme doucement. J’entends les ronflements des occupants dans la pièce à côté. Et j’attends.
[
Il est temps de savoir ce qu’il s’est réellement passé : le meurtrier est-il reparti avec un indice ? 3, non, 20 : contre toute attente ! 16, révélation : le personnage obtient un renseignement clé, qui sera donc dans le livre. Le chat croisé dans l’escalier avait-il un rapport avec le meurtrier ? 1, non, 20 et contre toute attente ! 15 : entrée en scène… compliqué vu que la scène est finie ! Disons donc que le chat avait été effrayé par le meurtrier, ce qui explique son entrée en scène. C’est pas vraiment contre toute attente, mais bon. Il faudrait créer des enrichissements spécifiques pour ce genre de récap « post hoc ». Enfin : ce numéro de téléphone, à qui appartient-il ? Table des adjectifs : 05, pur. Un « gentil », donc. Et à quoi pourra-t-il servir ? Table des verbes : 53, Piège. Ah !]
La police n’est pas venue sonner à la porte comme je m’y attendais. Pourquoi ? Ne devrait-elle pas interroger tous les voisins dès que possible ? À moins que le meurtre de Calderon les arrange ? Qu’il s’agirait de ne pas, de ne surtout pas trouver le coupable ?
Je me suis extirpé de l’appartement peu avant l’aube, une fois les sirènes éteintes et les voitures parties. Le livre trouvé sur les lieux du crime forme dans ma poche une bosse suspecte. J’ai peur qu’on la remarque. Heureusement, les rues à cette heure ne sont parcourues que par de rares travailleurs très matinaux, occupés à tout autre chose qu’à dévisager un cadre sup en goguette dans ce quartier ouvrier. J’avise en chemin un snack, le Gambit, d’où se dégage une agréable odeur de café. J’entre. Une serveuse imposante m’accueille avec le sourire. Son épaisse chevelure blonde, retenue par un bandeau derrière les oreilles, lui encadre le visage comme une auréole. Sur sa poitrine, un badge rongé aux quatre coins indique son prénom : Jenny.
« Bonjour, comment allez-vous ? Je vous sers quelque chose ?
— Un café, je vous prie.
— Je vous ai jamais vu dans le coin ?
— Non. J’habite downtown.
— Et qu’est-ce qui vous amène ?
— Une enquête. Je suis journaliste.
— Oh ? On voit pas beaucoup de journalistes par ici.
Je me suis assis à une table de coin, bien calé sur une banquette en skaï rouge élimé. Elle m’a versé une tasse d’un café fumant, aromatique et onctueux. Je suis pris d’une intuition soudaine.
— Vous connaissez Eduardo Calderon ? Il habite à un bloc d’ici, sur la 147e.
— Eduardo ? Je… Pourquoi ?
— Il a été tué la nuit dernière. J’enquête sur son crime. Et j’ai peur que la police ne fasse pas correctement son travail. J’aurais besoin de votre aide.
[
Action : Influence. il s’agit de faire parler Jenny, la convaincre de s’ouvrir à cet inconnu. Clés : Enquêteur prudent. 4+1 : échec. Réponse : Hard move de MJ, « prive-les de ce qu’ils cherchent »]
— J’vous connais pas, mon vieux, et je vois pas pourquoi je vous raconterai ce que je sais. Buvez votre café et déguerpissez.
Bien. La vérité n’a pas que des alliés, dirait-on. Je profite tout de même de ce répit pour me plonger dans la lecture du livre de Calderon.
Une lecture troublante. Pas tant le livre en lui-même que ses notes marginales, de la main de Calderon probablement. Partant de l’arbre de vie, la division de la création en dix sephiroth qui chacune représente une de ses puissances, il tire des traits et des liens envers un certain nombre d’événements bien réels, selon lui sciemment maquillés par ce qu’il appelle « la cabale des dix » afin de paraître tout autre aux yeux du grand public. Et parmi ces événements, l’attentat du Harper’s, qu’il relie à la première puissance : Malkuth.
Mon sang ne fait qu’un tour. Comment, par quel chemin ce syndicaliste d’un grand magasin a-t-il pu relier le sujet de mon enquête initiale, un philanthrope bien sous tout rapport et sans aucun lien, à l’attentat qui a coûté la vie à ma famille ? Et ce n’est pas tout, car à cette même sephira de Malkuth, Calderon relie un scandale financier de l’année passé et une affaire d’extorsion dans le cadre d’un service de « protection » des commerçants dans le quartier rouge. Ainsi de la plupart des grandes affaires de ces derniers mois, toutes reliées à l’une ou l’autre des sephiroth. Par quel mécanisme ? Par quelle magie Calderon a-t-il révélé ces liens ? Sont-ils fiables ? Sont-ils
vrais ?
Je sors de ma poche le numéro de téléphone inscrit à côté du mien sur un papier froissé. J’hésite. Je me dirige vers le téléphone posé sur le bar, jette un œil nerveux à Jenny qui n’émet pas d’objection, puis je le compose. C’est une voix de femme qui répond.
« Allô ?
Je décide de ne pas y aller par quatre chemins.
— Calderon est mort. il a été tué cette nuit. J’ai trouvé votre numéro sur son bureau. Pourrais-je vous rencontrer ?
— Mort ? Mais.. Comment ?
— Je vous expliquerai. Où ?
— Je… Très bien. Ce soir. Je serai au théâtre de la Rue d’or. Venez frapper à ma loge après la représentation.
Elle a raccroché. Le théâtre de la rue d’Or n’est pas très loin de chez moi, je le connais bien. C’est une petite bicoque au fond d’une ruelle piétonne qui donne sur les quais. Je n’ai jamais fait très attention à la programmation, mais j’aurais parié sur des spectacles de guignol, en tout cas davantage que sur des conférences talmudiques. On verra bien.
***
Alors pour l'instant ça s'annonce plutôt fun et, surtout, très adapté au solo (du moins à ma façon de jouer solo, entre le jeu et l'exercice de ponte de lignes), car reposant côté "MJ", qui n'intervient vraiment qu'en cas de move raté. J'ai hâte de connaître la suite !