Quand on s’attaque à ce genre de sujet, il faut essayer de se départir au maximum de l’application d’un point de vue actuel/contemporain à des actes anciens (en plus, souvent pris hors de leur contexte). Faut aussi avoir en tête que le MA reste une période assez longue, suffisamment pour assister à des changements de modes de pensées. Mine de rien (ou gisement épuisé comme on dit).
Quelques pistes historiographiques... Les travaux académiques sur la mort au moyen-âge ont explosé assez récemment, en gros depuis le milieu des années 70. Jusque-là, la plupart pensait qu’il suffisait de se concentrer sur les textes pour connaitre les pratiques funéraires médiévales mais l’émergence de l’archéologie de sauvetage a introduit de nouvelles problématiques et façons d’aborder le sujet. C’est notamment l’analyse anthropologique qui en a bénéficié montrant au passage leur apport dans la caractérisation, par exemple, des fluctuations démographiques, des réseaux de parenté, l’état sanitaire des paléopopulations. Cela a permis aussi d’intégrer le biologique dans son environnement socio-culturel. On n’étudie plus les pratiques funéraires au travers de l’objet (des sépultures (en tant qu’objet), des mobiliers accompagnant le mort par exemple) mais aussi par l’anthropologie physique (étude du squelette, évolution de la sép après le dépôt, phénomènes taphonomiques, spatialisation, etc.). En parallèle, les études des espaces funéraires sont intégrées à leur contexte historique et géographique (et pour le MA ça a son importance). Cette confrontation des données issues des études historiques (les textes), archéologiques (les faits), des représentations artistiques (de l’image), etc. souligne aussi qu’il y a souvent une dichotomie importante entre la théorie et la pratique. Il ne faut donc pas se contenter des textes mais aussi intégrer le contexte historique et les faits observables.
L’avantage est qu’il existe maintenant une tétrachiée de références bibliographiques traitant du sujet.
Ce genre d’études introduit plusieurs biais qu’il faut avoir en tête. D’abord les collections anthropo étudiées en ce moment en Grande-Bretagne sont souvent issues de vieilles fouilles (non pas qu’elles ont été mal réalisées mais avec des méthodes d’un autre temps), problèmes de contexte. Un autre biais important est la focalisation faite sur ces sépultures exceptionnelles (en termes statistiques et de représentativité) qui leur donne un éclairage particulier et les font ressortir d’un lot plus global de sépultures normales. On parle des 1 % sans s’intéresser aux 99 % d’à côté. Attention je ne dis pas que ça n’existe pas, mais plutôt que c’est extrêmement marginal comme pratique. Pour un cimetière où sera avéré des pratiques un peu étranges (attribuables à une peur des morts (et pas de la mort)) il y en a 1000 « normaux » à côté.
Lord Foxhole a écrit : ↑lun. avr. 03, 2017 6:32 pm
Tristan a écrit : ↑lun. avr. 03, 2017 4:38 pm
Qui a peur des zombies ? Tout le monde, et ça ne date pas d'hier
Je pense que ce sont des très vieilles pratiques, qui ne doivent pas remonter au Moyen Age mais encore bien plus loin...
Il me semble que cela a existé dès les temps préhistoriques, et que ça s'est perpétué pratiquement jusqu'à présent.
Certains m'avait fait remarquer que, dans nos cimetières occidentaux, on enfermaient les morts dans des boites bien solides, enterrées profondément et qu'on plaçait des grosses pierres tombales bien lourdes par-dessus. De là à dire qu'on a peur de voir la personne enterrée essayer de ressortir...
Mouais… beaucoup de réserves là-dessus. En fait l’emploi de cercueil en dur est au final pas nécessairement la norme ou le cas le plus représenté. Tu as beaucoup de monde enterré dans un simple linceul, voir sans rien d’autre (le respect du corps intervient assez tard en fait au MA). Le creusement (et l’aménagement dans certains cas de ce dernier) peut suffire. J’ai quelques fouilles de nécropoles/cimetières à mon actif et l’utilisation de cercueil est plus la norme pour la période antique (et wisigothique/mérovingienne) qu’après (même si durant l'antiquité se côtoient parfois plusieurs façons de gérer le mort (inhumation et crémation par exemple). Par exemple, sur un gros cimetière (du XIe au XIVe) en plein cœur d’une grande métropole française, nous n’avons que très très peu de cercueils (ça se compte sur les doigts d’une main pour plusieurs centaines d’inhumations). Je ne parle même pas des sépultures de catastrophe (liées à des épisodes de peste par exemple ou tu balances les corps (tête bêche pour gagner de la place) comme ça dans une même fosse. L’usage de pierre tombale est assez récent et très limité au début (on parle toujours du MA). Sur le détail des pierres utilisées pour combler une inhumation, si on ne plaque pas un modèle de pensée contemporanéiste empreint de la peur de la mort, c’est parfois juste une astuce technique. Ca permet par exemple de gagner du temps, tu auras moins de pelletées à balancer au fond du trou et surtout, il faut avoir en tête que la terre que tu as sortie en creusant ton inhumation n’occupera pas le même volume une fois remise dans le trou. Faîtes l’expérience, creusez un trou d’un mètre cube, remettez la terre dedans, repassez plusieurs jours après, vous observerez un tassement, un petit cratère par « sous-tirage » (même s’il ne s’agit pas de ce phénomène précis) comme s’il manquait un peu de volume. Du coup, avec tes caillasses tu compenses (mais ça reste rare de trouver des blocs dans le comblement supérieur d’une sépulture). Les sépultures ne sont pas toujours profondes.
La normalisation et l’institutionnalisation (amorcées dès les carolingiens) de la pratique funéraire a pris un certain temps au final.
Pour ce qui de pratiques funéraires liées à la peur des morts pratiquées durant la Préhistoire (et je parle bien de Préhistoire, pas de Protohistoire hein), j’émets de très forts doutes (pour l’Europe du moins) pour plusieurs raisons. Tout d’abord car l’éventail des pratiques courant sur plusieurs millénaires sur un espace géographique immense permet d’avoir un éventail très large des pratiques, avec tout et n’importe quoi. Pour certains groupes néolithiques, la maison pouvait abriter la sépulture d’un individu dans son sol, ils vivaient avec leur mort. Des silos de stockage (un gros trou piriforme fermé par un système quelconque) pouvait être recycler en sépulture (individuelle, plurielles, collective, de groupe avec réouverture de la sépulture pour y introduire de nouveaux habitants après nettoyage du corps précédent, avec morts d’accompagnement (un récent article évoque la possibilité d’un individu inhumé au centre d’un silo et accompagné de ce qui pourrait être des esclaves), etc… De simples inhumations dans des structures monumentales (individuelle, plurielle, de groupe, collective, etc.), ou dans des structures simples (une simple couverture de cailloux au fond d’un trou), des corps traités en plusieurs étapes avec réduction et prélèvement de parties, des crémations, des dépôts en grotte, des dépôts primaires et secondaires, réutilisation des os, etc. On connaît des groupes PPNA/PPNB (des groupes prénéolithiques sans céramique, une phase où la sédentarisation* se consolide accompagné des prémices de la domestication animale et végétale) qui utilisent les crânes des défunts en les « maquillant » avec de l’argile, des coquillages pour les yeux, comme décoration dans leurs jolies petites maisons de pierres. Bien entendu, le cas du traitement des morts des populations plus anciennes (avant le mésolithique** (qui introduit les premières nécropoles comme (Téviec et Hoedic) par chez nous par exemple)) est différent car les données sont, logiquement, beaucoup plus rares (déjà que pour le mésolithique c’est pas la fête). A noter que l’étude des traitements funéraires est l’une des façons d’aborder la question de la hiérarchisation de la population. Bien entendu, on ne sait presque rien (avec certitude) de l’univers mental de ces populations et de leurs relations spirituelles et comportementales avec la mort. A partir du moment où on enterre ses morts on peut en déduire une forme de respect mais si la sépulture n’est pas signalée (par un dispositif quelconque) ou s’il n’y a pas de mobilier d’accompagnement y-a-t ’il volonté de souvenir ? N’est-ce pas juste une précaution sanitaire ?
* la sédentarisation n’étant pas le seul argument pour déterminer qu’un groupe est entré dans une économie néolithique. C’est beaucoup plus complexe que ça, et il existe des groupes néolithiques nomades comme des groupes de chasseurs/cueilleurs/collecteurs quasi sédentaires.
** il existe un cas de têtes découvertes plantées sur des bouts de bois dans le nord de l’Europe, une possible illustration de la relation qu’avaient les mésolithiques avec les néolithiques.
Orlov a écrit : ↑lun. avr. 03, 2017 9:21 pm
Le rapport aux cadavre de l'homme médiéval et fort différent du nôtre. Les prédicateurs n'hésitaient pas à déterrer des morts, à discuter avec des crânes pour faire le show. Ils demandaient par exemple au crâne où il était et le crâne répondait qu'il était en enfer parce qu'il avait été un mauvais chrétien, etc. ... L'idéal de la mort chrétienne s'est imposé au Moyen-Age, mais cet idéal concernait bien d'avantage les rites et les sacrements que l'enterrement et la conservation du corps qui étaient tantôt conservé, tantôt enterré, tantôt abandonné ...
Pendant longtemps, les cimetières du Ma n’ont pas été des lieux destinés à l’usage exclusif des défunts, leur espace n’était pas spécialement sacralisé, ou du moins différemment. Ainsi, il est très fréquent d’avoir des occupations des cimetières par les vivants (en contemporanéité totale avec l’utilisation des lieux comme zone de repos des morts), et de manière parfois étonnante, des marchés, des fêtes (joyeuses hein), des zones artisanales, des zones de stockage (oui à l’époque on n’hésitait pas trop par exemple à se creuser des silos de stockage en plein dans un cimetière, les notions d’hygiène étaient un brin différentes), etc. Les cimetières sont des lieux d’asile, certains y habitent, certains artistes y officient. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe, donc assez tardivement, que va naître une certaine gêne vis-à-vis des morts. Il ne s’agit pas tant d’une peur des morts que de la mort en elle-même.
Lord Foxhole a écrit : ↑lun. avr. 03, 2017 10:52 pm
L’église est toujours au milieu du village, et le cimetière est autour... Les morts encerclent l'église, pour être plus proche de Dieu.
Et comme on ne les enterre pas trop profond, il arrive fréquemment que leurs ossements remontent à la surface.
Donc, oui, les gens sont habitués à la mort, dès leur plus jeune âge... C'est naturel pour eux.
Par contre là, enfin en cela qu’il ne faut pas en faire une généralité. La position du cimetière a bien évolué durant le MA. Dans les premiers temps (du MA), l’héritage antique est bien prégnant et le cimetière est strictement séparé de la cité et des vivants. Ce qui va perdurer un bon moment avec l’établissement de cimetières hors les murs (parfois même pas la porte à côté), puis on va construire des abbayes sur les lieux. C’est plus tardivement que des cimetières vont être associés à la ville. Et c’est même trompeur car c’est parfois l’établissement d’une communauté qui va se cristalliser autour d’une abbaye (et non pas toujours l’inverse, mais voir le sujet sur les inspis architecturales où je m’épanche lourdement là-dessus). Et pour rajouter à ce bordel, l’emplacement des morts lui-même n’est pas fixé, il va changer même si toujours au sein de l’espace consacré (mais il n’est pas rare d’avoir des sépultures dans le bâtiment religieux par exemple). Le problème récurrent des cimetières en milieu urbain est le manque de place, donc on nettoie de temps en temps, on peut constituer des ossuaires (en prélevant les os des pauvres), etc. Il y a vraiment un basculement des mentalités et des attitudes face à la mort autour des Xe-XIe siècles et encore un basculement autour du XVe. D’ailleurs sur les attitudes face à la mort, lire les travaux de P. Ariès (puis de ses héritiers).
Si en plus on ajoute une autre couche à tout ça, celle, au hasard de la représentation de la mort, les choses deviennent vite compliquées. L’émergence de l’idée du purgatoire découle directement de l’influence de l’art par exemple. CE dernier est presque totalement absent de tous les types de représentations entre le VIIe et le XIIIe siècle.
Orlov a écrit : ↑mar. avr. 04, 2017 2:16 pm
Mouais .. autant le rapport à la mort évolue peu durant le Moyen Age, autant le rapport à l'écrit que tu décris est plutôt celui du Haut Moyen-Age.
Ben pourtant si, il change énormément. D’une mort acceptée sans dramatisation excessive, d’un phénomène vécu collectivement à l’individualisation du phénomène, à l’intégration de la vision eschatologique, de l’idée du jugement (vers le XIIe), la personnalisation des sépultures qui revient courant XIIe, la vision « romantique » introduite dès le XVe, le souvenir du défunt qui se développe, la dramatisation de la mort (les services religieux arrivent relativement tard), la politisation de la mort, l'idéal de la souffrance qui finit par presque s'imposer, etc.