ondécimé a écrit : ↑mer. avr. 05, 2017 6:32 pm
Je me joins au concert de félicitations, Lotin...
Lotin a écrit : ↑mer. avr. 05, 2017 9:43 am
durant l'antiquité se côtoient parfois plusieurs façons de gérer le mort (inhumation et crémation par exemple).
Ca, ça m'intéresse bien. Oserai-je te suggérer de développer, autant que faire se peut ? Est-ce que cette "cohabitation" se trouve dans les mêmes contextes archéologiques ?
Ce qui est intéressant avec l’étude du funéraire romain (comme pour les périodes et sujets historiques), c’est la confrontation des textes aux faits. Ces mêmes textes qui nous informent déjà sur les grandes lignes du rite funéraire et de sa valeur sociale.
Il faut avoir en tête que le funéraire ne renseigne pas que sur le monde des morts mais aussi sur celui des vivants (toute modification sociale entraîne une modification de la pratique funéraire), mais il faut aussi voir que le monde des morts est tellement empreint de représentations mentales et symboliques qu’il existe une distorsion parfois très importante entre les deux mondes (vivant/mort). Pour résumer, les pratiques funéraires (mais aussi les structures sociales) correspondent à un cadre défini par des choix culturels, des règles et des expressions qui peuvent varier et s’ajuster (sous de multiples « contraintes »). Un autre biais est celui de la représentativité de ce qui nous parvient à nous, archéologues, selon les aléas de la conservation différentielles des vestiges, cela nous renvoie donc une vision tronquée de la société. Par exemple nous n’avons parfois que quelques restes osseux au fond d’un trou, quid du rituel en lui-même ? Qu’en reste-t’il ? Un lieu de repos des morts n’a de sens que mis en lien avec les vivants qui l’accompagnent, et sa mémoire ne survit que le temps que la population liée survit aussi.
Pour le domaine funéraire romain (gallo-romain ici), l’influence de la réalité économique et sociale, l’idéologie religieuse et la tradition sont très impactant. Les religions romaines ne sont pas de celles qui assurent le salut de l’homme et de son âme. De plus, elles sont conçues comme des pratiques privées (ritualistes et traditionnalistes). La norme religieuse est liée aux communautés et communes aux cités. Cela introduit déjà la liberté du geste religieux qui peut transparaître dans le rite funéraire.
Pour le sud de la Gaule, les textes décrivent les étapes (du moins celles importantes pour le groupe) du rite funéraire : l’exposition, le cortège, la laudatio et les monuments. Par contre, c’est quasiment le néant pour tout ce qui touche à la sphère privée du rite ainsi que pour la phase ultérieure du souvenir, de la mémoire. Les textes décrivent le sacrifice d’une truie au moment des funérailles puis 8 jours après l’enfouissement des restes du défunt, deux autres sacrifices ont lieu (pour les mânes du mort et pour le Lare de la maison) mais sans trop de précision sur leur lieu.
Ce qu’en dit l’archéologie. La crémation du défunt se déroule en plusieurs étapes. Le mort est placé sur un bûcher (parfois sur un lit, dit « funéraire »), le bûcher lui-même peut être une véritable construction (dont l’élévation reste hypothétique). Le bûcher peut-être aérien ou disposé dans une fosse rectangulaire. Du mobilier d’accompagnement est disposé autour du corps (jamais dessus), souvent de manière très organisée (récipients en céramique, en verre, des consommables, des liquides, des vases à parfum (liés à la mort), des lampes, parfois des objets personnels). Certaines fois les vases (toujours de table) sont volontairement brisés au moment de leur dépôt sur le bûcher (un truc qu’on retrouve dans plein de cultures comme le dépôt d’armes brisées dans des sépultures celtes). Le mobilier utilisé pour le banquet funéraire n’est quasiment jamais utilisé sur le bûcher. La crémation peut être active (conduction) ou passive. Une fois la crémation terminée, on assiste souvent à un ramassage des os (qui ne sont plus que des fragments de très faibles dimensions) en plus ou moins grandes quantités. Souvent dans les bûchers réalisés en fosse, c’est toute la couche de crémation qui est réagencée, par exemple pour être intégrée dans une sorte de construction centrale dans la fosse. On peut trouver des morceaux de récipients fracturés ou entiers (presque exclusivement des contenants dédiés aux liquides) déposés sur cette couche (pleine de charbon, de résidus divers, de restes organiques cramés, de mobilier parfois fondu). Les restes du bûcher peuvent être nettoyés ou laissés tels quel. Ceux en fosse aussi, ils sont souvent rebouchés (avec du sédiment, avec des blocs, un couvercle, etc. quelques-uns présentent des conduits de libation ou des systèmes de signalisation. La 2e étape importante est l’enfouissement des restes (souvenez-vous, prélevés juste après la crémation). C’est ce geste qui consacre la sépulture. Le dépôt de l’ossuaire peut se faire dans une fosse creusée exprès ou dans celle qui a servi de bûcher. Cette fosse, sacrée car considérée comme la sépulture, est architecturée et le dépôt organisé (dans un vase par exemple refermé par un dispositif quelconque). Parfois les os sont placés dans un contenant périssable (sac ?) avant d’être introduits dans son contenant. Des résidus et du mobilier cramé peuvent être prélevés aussi pour accompagner la sépulture. Les récipients à nourriture peuvent contenir des restes de repas (du porc), les récipients à liquide, s’ils ne sont pas brisés intentionnellement sont presque toujours déposés à l’envers (pour verser leur liquide ?).
Ça c’est la crémation mais en même temps se pratique l’inhumation qui n’existe presque pas dans les textes. L’inhumation concerne moins d’individus, mais concerne les morts en phase infantile, et, les chiens, oui… Les inhumations connaissent une variabilité dans leur mise en œuvre très importante. Il y a aussi beaucoup moins de mobilier d’accompagnement. Il y a très peu de conduits à libation qui nous sont parvenus. Toutes les étapes de l'inhumation sont aussi très variables (cercueil, linceul, rien, décubitus dorsal, contracté contraint, etc.).
Toutes les variations (et il y en a à presque chaque étape) sont observées dans un même site, une même communauté, une même région. De plus certaines pratiques semblent héritées ou perdurées depuis très longtemps. La pratique du bûcher funéraire par exemple se retrouve dans plein de contextes plus anciens, tout comme l’érection de structures secondaires (considérées comme la tombe au sens sacré). C’est hyper complexe de tirer des lignes directrices devant ce grand foutoir de pratiques hyper variées. Cette diversité reflète quoi d’ailleurs ? Une grosse variabilité des rites (est-ce que c’est open bar dans la codification du rite funéraire ?) ou des pratiques (est-ce qu’il y a une façon de faire et que cette variabilité traduit une interprétation/expression personnelle libre ?) (ou des deux) ?
Et pour finir, j’en rajoute une couche, avec la notion de chronologie. Si on pense sur la longue durée de l’Antiquité, c’est encore plus complexe. La crémation domine les ensembles pour le Ier s. de notre ère, en continuité parfaite de ce qui se faisait avant, sauf pour l’auvergne et les alpes du nord ou l’inhumation domine jusqu’à être supplantée. Les inhumations ne présentent pas de différence entre les pratiques celtes et les pratiques romaines, Les crémations antérieures à la période romaine sont aussi assez variables. Un point commun est que les crémations offrent toujours plus de mobilier déposé que les inhumation (qui se contentent souvent d’un seul vase par exemple). Les proportions de l’une ou l’autre des pratiques va varier au cours du temps.
Voilà quelques informations, je n’ai pas parlé des sépultures exceptionnelles (riches, aristocratiques, etc…), ni de la valeur sociale ou politique de la pratique funéraire (qui varie aussi au cours du temps).