Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

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Inigin
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Inigin »

Wenlock a écrit : dim. août 19, 2018 3:58 pm
Fabrice Bertrand a écrit : dim. août 19, 2018 11:47 amJe trouve que la mécanique vient vraiment faciliter le travail du MJ pour soutenir la narration et mettre en place les épreuves ludiques... Cette mécanique semble à la fois robuste, efficace et élégante. Vivement !
Tu fais partie de ceux qui l'ont testé (entre les noms, les pseudos et les noms de perso, je ne m'en sors plus) ?

En tous cas, oui, j'espère que ça aidera vraiment et moi-même ça me sert énormément. Mais c'est vraiment un coup à prendre : c'est assez étrange, les premières fois qu'on mène ce système.
Et il y a des joueurs que ça trouble terriblement, comme dans ce cas vécu en convention... ↓
Spoiler:
"Comment ça, la Scène est finie ?! Mais mon Malandrin voulait fouiller les cadavres, lui !
_L'Éclaireuse s'en est déjà occupée et, oui, la scène est terminée : l'Escouade progresse maintenant vers le lieu suivant...
_Mais l'Éclaireuse, elle a fouillé la crypte "en général" ; moi je fais un jet rien que sur les dépouilles !
_Sauf que tu ne décides pas quand tu jettes les dés : c'est la prérogative de la MJ de t'opposer ou non des dés Rouges, et comme la il n'y a plus d'Adversité pour cette Scène la question ne se pose plus. Ça signifie par ailleurs que vous avez vaincu tout ce qu'il y avait à vaincre et trouvé tout ce qui pouvait l'être. Plus d'Adversité, plus d'action : Ite, missa est.
_Mais c'est débile ! Qu'est-ce qui pourrait empêcher mon perso de fouiller les cadavres ?!
_Ho, plein de choses : le fait qu'il soit soumis à la hiérarchie militaire et que son officier vienne de dire que l'Escouade continuait sa route, la torche que porte l'Éclaireuse et qui est donc déjà en train de s'éloigner et, bien sûr, toutes les saletés qui rôdent dans l'obscurité. Mais si tu veux savoir ce qui empêche vraiment ta tentative, c'est surtout que la Scène est finie : c'est la règle.
_Mais je peux bien fabriquer une torche moi-même !
_Sans doute... Si le Malandrin insiste au point que ça mérite une nouvelle Scène dans la crypte, est-ce que l'Officier est prêt à camper le temps qu'il dépouille les heu... dépouilles ?
_Ce serait une nouvelle scène, non ?
_Oui, Adversité 11, désormais.
_Ben non alors, c'est idiot ! On a déjà bouffé la moitié de nos ressources à chercher l'accès de la cité enfouie, on va pas s'arrêter dans une crypte moisie alors qu'on vient enfin de trouvé l'entrée !
_L'Officier est-il prêt à séparer l'Escouade ?
_Heu... ça dépend... qu'est-ce que ça signifie ?
_Ça veut dire des emmerdes, évidemment (précisa l'Éclaireuse) : il a dit que c'était un jeu d'horreur ! Si tu dis « Ne vous inquiétez pas, j'reviens tout de suite...», c'est que tu vas crever ! Pis si t'en doutait, t'as vu son air vicieux, là ?" :lol:
Objectivement, j'avais l'air chafouin pour répondre :
"Si les PJ sont en plusieurs lieux, ça veut généralement dire autant de Scènes distinctes, chacune avec une Adversité grandissante.
_Ah ben non, hé, on va pas faire ça : c'est super dangereux !
_C'est un peu le principe du donjon, oui. :twisted:
_Hé ben on se tire ! Le Malandrin reste tout seul s'il insiste !
_Mais vous êtes relous, pourquoi vous m'empêchez de faire mon action ?!"
La notion de "temps narratif" avait été expliquée dès le début, on avait déjà joué quasiment un acte entier et les autres joueurs ont eut beau s'y mettre aussi, celui du Malandrin était vraiment coincé dans une logique de simulation et n'arrivait pas à admettre que la fin d'une Scène puisse le priver d'agir. Et on a pas réussi à le convaincre que c'était simplement les règles de ce jeu-là, pas plus qu'à lui faire admettre que le JdR était avant tout un jeu de narration et que ce genre de choses arrivaient constamment dans les films ou les romans.
Le pauvre gars a été très, très frustré.

Et il y a aussi des MJ qui y sont absolument allergiques : LG et moi pouvons débattre pendant des heures de l'opportunité d'imposer des règles aux MJ ou d'encadrer les scènes (quoique lui, c'est surtout l'obligation mécanique de faire du roleplay qui l'avait gonflé lors des tests).
C'est pas pour tout le monde quoi...
 
Deux remarques et une connerie :
a) Tu aurais pu t'épargner cette discussion en tranchant d'un "tu ne trouves rien d'intéressant"
b) Pour un jeu d'exploration, il peut être intéressant de prévoir un temps de nettoyage à la fin des scènes (pour le loot), purement mécanique. Si le MJ est forcé d'argumenter avec la structure des règles pour empêcher une action logique d'un personnage, c'est peut-etre que cette structure est un peu trop formaliste sur les bords...
c) si c'est en convention, je connais une autre personne volontaire pour trainer les joueurs récalcitrants hors de la table. :mrgreen:
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nerghull
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par nerghull »

C'est pas faux. Dans le sens "prévoir un nettoyage à la fin d'une scène pour les trois bricoles qui traine me ferait passer la pilule de la structure du jeu (qui ne me va pas)" de "c'est pas faux"
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Wenlock
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Inigin a écrit : sam. août 25, 2018 11:24 amDeux remarques et une connerie :
a) Tu aurais pu t'épargner cette discussion en tranchant d'un "tu ne trouves rien d'intéressant"
b) Pour un jeu d'exploration, il peut être intéressant de prévoir un temps de nettoyage à la fin des scènes (pour le loot), purement mécanique. Si le MJ est forcé d'argumenter avec la structure des règles pour empêcher une action logique d'un personnage, c'est peut-etre que cette structure est un peu trop formaliste sur les bords...
c) si c'est en convention, je connais une autre personne volontaire pour trainer les joueurs récalcitrants hors de la table. :mrgreen: 
nerghull a écrit : sam. août 25, 2018 11:31 amC'est pas faux. Dans le sens "prévoir un nettoyage à la fin d'une scène pour les trois bricoles qui traine me ferait passer la pilule de la structure du jeu (qui ne me va pas)" de "c'est pas faux"
(Je réponds en partant du principe que vous avez lu les articles, histoire de pas avoir à expliquer tous les termes.)

L'exemple du Malandrin frustré avait bien pour but d'illustrer certaines contraintes formelles du jeu, oui, mais ça ne veut pas dire que la mécanique soit « trop formaliste ».
À mes yeux, elle est justement "aussi formelle que nécessaire pour produire l'expérience voulue" : ça la rend plus contraignante qu'il n'est habituel en JdR, mais bien moins qu'il n'est admis en jeu vidéo ou de plateau. La grande majorité de ces contraintes sont en fait utiles par elles-mêmes (elles produisent du jeu et de la narration), et la petite minorité restante est simplement une nécessité technique.
Au risque d'enfoncer une innocente porte ouverte, c'est à la fois un choix et un principe assez incontournable du game-design : plus la mécanique est cohérente, plus ses mécanismes sont inter-connectés, plus son usage est encadré et donc laisse moins de marge de manœuvre. Mais, au fond, jouer à n'importe quel jeu implique toujours d'en accepter les règles.

Par exemple, tout le gameplay de L'OdD repose sur une Adversité croissant mécaniquement au cours des missions. Et ce principe a des ramifications qui vont jusqu'à frustrer ce Malandrin, oui.
D'abord, obtenir cette augmentation et l'équilibrer pour produire le challenge réclament évidemment de fixer la valeur de cette Adversité, puis le découpage en scènes implique alors que cette valeur soit justement fixée par scène. Cette quantité d'Adversité est en fait un budget (1) dépensé contre les actions des joueurs pour créer la difficulté, et on va arriver en même temps au bout du budget et de la scène : les deux notions sont intrinsèquement liées.
Cette combinaison de mécanismes produit un autre principe important du jeu, l'Objectif de l'Escouade, énoncé par le PJ-officier et dont la réussite ou l'échec détermine la victoire ou la défaite du groupe en fin de scène. Ce qui se répercute ensuite sur la montée de l'Adversité, mais produit aussi le challenge particulier de la circulation dans le labyrinthe : si les PJ remplissent leur Objectif avant la fin de la scène, ils progressent de leur propre chef vers la destination de leur choix, sinon ils se paument et arrivent "ailleurs" (souvent dans un piège).

Mais si, d'une part, on fixe une quantité d'Adversité à dépenser dont l'épuisement marque la fin de la scène, et que d'autre part on fait un challenge de l'accomplissement de l'Objectif avant cette fin, alors ça implique effectivement que les PJ ont un temps limité pour agir (le temps de la scène, justement), donc que les joueurs ne pourront pas faire tout ce dont ils ont envie durant une scène. C'est un des principes du jeu : ils sont obligés de prioriser, donc notamment d'arbitrer leurs intentions individuelles et leurs autres besoins avec la mission globale, accomplie en équipe par un enchaînement d'Objectifs.

Jusque là, tout est voulu, ce sont des choix de design qui participent tous à l'expérience globale : la pression constante (du temps, de l'attrition...), le risque de se perdre dans le noir, la nécessité de prioriser pour remplir la mission, la notion très "militaire" d'un Objectif décidé par un officier...
Mais, de fait, il arrivera qu'une scène se termine avant que certains joueurs aient accompli ce qui leur importait, et qu'il en soient frustrés : ça, franchement, on y peut pas grand chose.
Parce que la mécanique est globalement cohérente, la causalité "plus d'Adversité → fin de scène =
les PJ ne peuvent plus agir" est à la fois une règle du jeu et une contrainte technique : on ne peut pas contredire ce point sans déglinguer tout ce que j'ai expliqué au-dessus, de la gestion des Objectifs jusqu'à la montée de l'Adversité en passant par la circulation dans le donjon.
Et donc la MJ ne pourra pas leur faire de fleur : L'OdD est un jeu dont il faut respecter les règles pour que l'expérience globale fonctionne.

Que le respect des règles soit une nécessité mécanique fondamentale est une évidence pour pratiquement tous les autres jeux, mais j'admets que c'est inhabituel chez les rôlistes : c'est pourquoi ce principe est affirmé dès l'avant-propos du bouquin, puis répété très explicitement en intro des règles elles-mêmes, en précisant que la MJ ne peut même pas tricher pour faire plaisir aux joueurs parce que les dés sont lancés à la vue de tous.
Par ailleurs, je peux tout à fait entendre que, ponctuellement, ça fasse chier des joueurs et même que, en général, tous les rôlistes n'aient pas envie de subir la hiérarchie (militaire), la pression du temps et le respect des règles jusqu'au fond des donjons imaginaires.
Mais ce sont des pré-requis pour jouer à L'Ombre du Donjon.
~
Au final,
je ne pouvais donc pas dire au Malandrin "tu ne trouves rien d'intéressant", parce que dans ce jeu ça signifierait un échec mécanique lisible sur les dés (quand on fouille, on trouve toujours 1 Ressource ou 1 Indice par Succès), que produire un échec nécessiterait justement de lancer les dés et que ce n'est plus possible quand il n'y a plus d'Adversité.
Plus de dés, plus d'action, pas d'échec : c'est la règle.

Et, parce que c'est effectivement un jeu d'exploration avec attrition et gestion des ressources, le moment de fouiller les lieux est déjà inclus dans les règles, justement : ça s'appelle une Scène !
Parfois, rafler tout ce qu'on peut sera justement l'Objectif de l'Escouade, parfois ce sera une action individuelle tentée en marge de l'équipe.
Mais dans un cas comme dans l'autre, ça devra être accompli avant la fin de la scène : c'est la règle.

Ces règles ne plairont pas à tout le monde, d'ailleurs l'approche globale des donjons comme de la mécanique dans L'OdD ne plaira pas à tout le monde : j'en ai parfaitement conscience. C'était même écrit noir sur blanc dans le message auquel vous répondiez et, mieux encore, souligner ces particularités était le but premier de l'exemple du Malandrin.
:smoke

1) Budget autrement plus souple, modulaire et granulaire que si, par exemple, on avait fixé pour chaque scène ou acte une valeur de difficulté par action.
Dernière modification par Wenlock le jeu. oct. 25, 2018 4:23 pm, modifié 1 fois.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

À toutes fins utiles, je signale qu'il nous reste une place sur la seconde tablée de play-test prévue pour mi-octobre (on jouera probablement les mercredis et jeudis, comptez au moins 4 semaines d'affilée).
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Fytzounet »

Hmm, je suis intéressé mais par contre ça sera vraiment impossible pour moi le mercredi. Par contre, je n'aurai aucun problème pour le jeudi soir.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Fytzounet a écrit : mer. sept. 12, 2018 1:04 amHmm, je suis intéressé mais par contre ça sera vraiment impossible pour moi le mercredi. Par contre, je n'aurai aucun problème pour le jeudi soir.
Tu as du courrier. ;)
 
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Ce n'est peut-être pas le meilleur endroit pour parler des play-tests de L'OdD (les modos en décideront) mais ils ont bien avancé (notamment grâce aux casusiens) et fourni beaucoup d'informations utiles à de multiples aspects du jeu, qui finiront par étoffer le 4° article de la série.
L'organisation des parties ayant néanmoins subi beaucoup d'avanies, tout ça n'avance pas vite.

Comme la question m'a été posée plusieurs fois dernièrement, rappelons que L'OdD est bien un jeu d'exploration de donjons : on découvre, on cherche son chemin, on se castagne, on rafle du butin... Tous les aspects plus narratifs, de la psychologie des perso aux mécanismes "moraux" en passant par la production d'une histoire commune, interviennent alors pendant que les protagonistes font du dungeon-crawl, et parce qu'ils font du dungeon-crawl.
En caricaturant un peu, disons que L'OdD sert à entraîner les donjonneux au roleplay : ce n'est pas son seul but, ce n'est pas le seul public visé, mais c'est une part significative de ce qu'il propose. Ce n'est pas du donj' très complexe ni très précis, il ne réclame pas de plans quadrillés, de longues listes de sort et d'attaques spéciales, mais l'enjeu ludique essentiel est bien d'arpenter les donjons pour trouver le McGuffin, en affrontant les monstres et pillant leurs trésors. Il se trouve seulement que les PJ font tout ça pour sauver le monde avant d'être eux-mêmes damnés.

Curieusement, la donjonitude de L'OdD n'était pas une évidence pour le groupe de play-test lancé cet été et que, par facilité, je désignerai sous le nom de son Escouade : les "Martyrs de Mont-Grésil" (c'est lié à l'historique de leur équipe), dont les joueurs se sont pour la plupart inscrits parce que j'avais décrit le jeu comme du "donjon narratif", et en n'ayant pas du tout l'habitude du dungeon-crawl.

Donjon & Débutants
Quoique reconfigurée plusieurs depuis fois à force de multiples désistements et remplacements, l'Escouade des Martyrs narrativistes a pourtant conservé une caractéristique très instructive pour les play-tests : des joueurs largement novices en donjonneries. Non seulement ils n'ont guère d'instinct tactique, négligent fréquemment les indices et les "jouets" semés pour eux sur le terrain, mais ils se sont promenés au pif en laissant l'Adversité s'accumuler au début de leur première mission, ils ont négligé plusieurs trouvailles intéressantes (c'est une équipe qui ne pille pas les tombes, ne ramasse même pas toujours les artefacts...), oublié les indices et les pistes enregistrés dans leur Carnet de Route et n'ont même pas eut le réflexe de chercher du butin avant de se trouver sévèrement à cours de ressources et d'équipement.

Parce que, en réalité, ils se laissaient conduire (ai-je fini par comprendre) par le scénar (qui n'offre pourtant guère de guide, d'où beaucoup d'hésitations), par les objectifs établis ou leurs intuitions du moment, mais sans vraiment former un plan d'action global, établir une stratégie ou même décider de leur destination dans le donjon.
Pour en avoir parlé avec d'autres MJ-donjoneux, c'est probablement la leçon la plus importante que devrait enseigner L'OdD, dès le premier acte de la première mission : l'explo réclame que les joueurs s'approprient les missions et prennent de vraies décisions en commun avant de les mettre en œuvre. C'est en fait un gameplay très pro-actif, ce que je n'avais probablement pas assez souligné à ces joueurs bien différents des play-testeurs précédents, pour la plupart issus de mes campagnes sandbox.

Un autre aspect frappant de leur rapport au donjon est que ces joueurs partent souvent du principe qu'ils sont dans un genre ludique naturellement incohérent (!?), et qu'il n'est donc pas la peine de chercher une logique aux lieux ou aux événements. Ça m'a beaucoup surpris car je croyais m'être donné assez de mal pour ancrer le setting dans un certain réalisme et que, en débriefant, il est apparu que plusieurs joueurs avaient vraiment remarqué les "étrangetés" parsemées dans le donjon.
Mais ils n'avaient simplement pas envisagé que ces apparentes "incohérences" pouvaient avoir un sens caché (complètement cohérent, lui), que le donjon et ses mystères avaient une logique discernable et offraient sciemment quelques éléments d'enquête, ni même que leurs choix pouvaient réellement affecter les situations tactiques...
Ils furent donc tout surpris quand je leur ai confirmé que, si-si, ils auraient bénéfice à vraiment réfléchir, que la résolution de problèmes faisait justement partie du dungeon-crawl depuis ses origines et que les dés n'étaient pas leur unique moyen de progresser.
Je ne sais pas encore dire quelle part de cette incompréhension vient de mon jeu, de la manière dont je le leur ai présenté, de leur habitude "narrativiste" des histoires improvisées à la diable ou de la mauvaise image du donj' (finalement assez répandue), mais ça m'a pas mal pris de court. Je suis donc curieux de voir si la seconde Escouade agira autrement.

D'un autre côté, ces joueurs sont avides de background (ils fouillent bien d'avantage les intrigues secondaires que les coffres à trésors), aiment à discuter avec les rares PNJ, ajoutent constamment à l'histoire et maintiennent un roleplay riche et très vivant : ils jouent à fond leurs relations et leur parts d'Ombre, ils font vraiment vivre leurs perso, ils inventent du BG à la moindre occasion... C'est très agréable. Bien sûr, ça ralentit le rythme presque autant que leur fréquentes hésitations, la fatigue chronique du MJ ou les lourdeurs de Roll20, mais ça permet de tester le jeu sous un angle inattendu : L'OdD pourrait-il initier les narrativistes au dungeon-crawl ?
On dirait que c'est au bas mot "possible" : les réflexes ne sont pas encore pleinement acquis mais, arrivés au deux-tiers de leur première mission, nos Martyrs démontrent de plus en plus de réflexion tactique, commencent à se mettre en quête de matériel (alors qu'au départ ils ne ramassaient même pas toujours l'équipement qui leur tombait dans les bras) et, après une mésaventure qui a failli leur coûté cher, ont réalisé le danger de se séparer dans le donjon.

Par ailleurs, ils se fixent pour chaque Scène des Objectifs généralement pertinents et, la plupart du temps, ils s'y tiennent même avec une cohésion qui fait chaud au cœur... et qui leur a permis de ne subir jusqu'ici qu'une seule défaite (et encore, pour cause de roleplay : l'officier a abandonner l'objectif en cours pour aller sauver un PNJ). Ils auront donc fait beaucoup d'erreurs et sont maintenant très affaiblis face à une Adversité élevée (alors que l'un des enjeux de l'explo est de s'armer pour la suite), mais ils ont tout de même survécu jusque là et il me semble qu'ils apprennent (à la dure).


Première descente
Depuis cet été, les Martyrs de Mont-Grésil ont largement essuyé les plâtres de la première mission d'initiation en poussant l'histoire dans des directions relativement surprenantes, et démontrant au passage que je l'avais mal conçue. C'est un peu vexant dans la mesure où j'avais quand-même consacré pas mal d'efforts à la conception de mes scénar' : après en avoir créé et play-testé plusieurs (le bouquin de base devrait en compter trois, de complexité croissante), j'avais en fait ajouté cette mission sensément "super didactique" avant les autres, dans le but d'enseigner le jeu aux MJ comme aux joueurs.
Hé ben, manifestement, écrire pour L'OdD est difficile, parce que les Martyrs ont très naturellement pris une tangente aussi imprévue qu'instructive, révélant au passage un paquet de défauts qui m'ont obligé à ré-écrire une bonne part des deux premiers actes. Mais ces expériences bénéficient également au chapitre des conseils aux MJ, soulignant plein d'écueils à éviter (maintenant que je m'y suis bien vautré moi-même).
Depuis peu, une seconde équipe, les "Dogues de Sombreroche", s'est aventurée dans la version remaniée du même donjon : j'espère qu'elle démontrera la validité des corrections, après quoi je chercherai un vrai titre à ce scénar.

Évidemment, le contenu du volet ci-dessous est ultra-spoiler pour les play-testeurs :
Spoiler:
Cette première mission d'initiation commence à la fonderie de Saint-Aloi, la "bastide" la plus importante des Montagnes du Matin, siège de la famille Martel (une des 5 factions civiles) : l'Escouade est expédiée dans les mines sous la bastide, récemment éboulées par un tremblement de terre, pour y secourir des mineurs, soldats, soigneurs et surtout un jeune ingénieur-alchimiste nommé Orland Martel, tous piégés au fond par l'irruption d'une horde de monstres nécrophages et troglodytes : les Blêmes.
J'y emploie gaiement plein de clichés des donjons, et j'en profite pour introduire divers mystères de l'univers.

Après une première scène de briefing, investigation et ravitaillement, le 1er Acte est donc une exploration des galeries partiellement effondrées à la recherche des survivants, sensément barricadés dans une étrange "réserve" souterraine. Pendant qu'elle cherche son chemin dans les tunnels instables, l'Escouade est constamment harcelée par les blêmes, heureusement assez fragile et craignant la lumière.
Il y a quelques équipements utiles à dégoter et un PNJ à sauver hors du chemin principal vers la "réserve", une petite énigme à résoudre pour réussir à illuminer un itinéraire à travers la mine et quelques indices du fait que Orland pourrait avoir causé l'éboulement en cherchant de l'obsidienne(1) à coup d'explosifs(2). Mais, potentiellement, les PJ peuvent atteindre la "réserve" dès la 4° scène pour découvrir que c'est une antique crypte souterraine, reliée à un village troglodyte abandonné depuis des siècles, récemment découvert par le fameux Orland et dont il a tiré son obsidienne.
La Confrontation de fin d'acte voit une horde de blêmes-mutants prendre la réserve d'assaut, poussant PJ et rescapés dans une poursuite échevelée à travers une série de grottes.

Nos PJ maintenant coincés sous terre, le 2ème Acte consiste à chercher l'alchimiste disparu dans le village troglodyte : avant de tous mourir dans une mystérieuse guerre civile, les habitants ont piégé l'endroit de mille manières. Quoique les chausses-trappes aient beaucoup perdu de leur efficacité au fil des siècles et que le principal danger du village soit a priori une colonie d'arachtones(3) affamées et les squelettes gardant leur nécropole, il y a plein de bonnes choses à piller dans le village (des artefacts, des champignons magiques, des cristaux luminescents...) et l'histoire locale à reconstituer (évidemment relatée sur des fresques) avant d'atteindre un lac d'Asphalte(4), constellé d'armes et d'ossements, entourant une tour (un énorme pilier de pierre aménagé) d'où brille la seule lumière dans ces grottes.
Si les joueurs ont retenu la leçon de l'acte 1 et trouvé le moyen de réaligner les cristaux lumineux, ils peuvent même (littéralement) "faire la lumière" sur le village et secourir l'alchimiste réfugié dans la tour. Alors l'armée des morts émerge de l'Asphalte, et les squelettes doivent être vaincus d'une manière ou d'une autre (au moins trois méthodes sont disponibles, dont une liée aux cristaux) lors de la deuxième Confrontation.

Au 3ème acte, du haut de la tour enfin conquise, l'Escouade découvre alors la Porte Étoilée mentionnée par les fresques, et devrait reconstituer d'une part que c'est que garde le démon de l'asphalte, que c'est lui qui a contaminé les blêmes-mutants et causé la guerre civile chez les troglodytes, et que derrière cette porte se trouve un escalier cyclopéen qui leur permettrait de remonter enfin à la surface, tout en ouvrant un accès vers le monde souterrain (encore plus bas) pour de prochaines aventures.
Néanmoins, avant d'ouvrir la herse et la porte de bronze massif barrant l'accès à l'escalier, les mercenaires vont d'abord devoir comprendre comment focaliser la lumière des cristaux sur la herse et rallumer les brasiers permettant d'ouvrir la seconde porte. Sauf que, ce faisant, ils vont aussi réveiller le démon, qui produira alors une sorte de golem de squelettes que l'Escouade doit détruire (ou au bas mot contenir le temps qu'il faut à la porte pour s'ouvrir) lors de la dernière Confrontation du scénar.

Alors intervient un petit épilogue où les PJ découvrent les restes d'aventuriers qui les avaient précédé (et sont liés au passé du régiment) avant d'émerger enfin à la lumière du jour.

1) Dans cet univers, l'obsidienne est un matériau capable de stocker l'énergie occulte : très utile aux Sorciers (et dans une moindre mesure aux Alchimistes), elle est désormais frappée d'interdit. Mais la mine de Saint-Aloi est au bord de la banqueroute, et son jeune ingénieur-alchimiste a donc entrepris d'extraire de cette fameuse "pierre d'ombre" et de la revendre en sous-main pour renflouer les caisses familiales. Pas de bol, ce faisant il a réveillé l'Asphalte (voir plus bas)...
2) Assez semblables à ceux de Pathfinder, les alchimistes de L'OdD sont notamment capables de produire des bombes, et il en traine dans le donjon (histoire de rigoler avec les tunnels à moitié écroulés)...
3) Des araignées cavernicoles "géantes" (de la taille d'une soupière, pas d'un caddie) qui font partie de la faune "par défaut" des donjons.
4) Dans cet univers, l'Asphalte est un goudron noirâtre, qui dans notre village troglodyte, est habité par le démon qui garde le portail. C'est très pratique pour en faire un monstre "protéiforme"...


Exposé aussi platement, ce scénario a l'air plutôt simple, et il est sensé l'être. Mais sa première version souffrait manifestement de mes propres idées reçues en la matière, à commencer par la croyance que les indices et les jouets devaient être un peu dissimulés pour que les joueurs aient le plaisir de les trouver. En réalité, pour un scénario d'initiation où les joueurs ont déjà beaucoup à apprendre (le monde, le système, leurs perso...), mieux vaut que les jouets soient bien visibles, et que seul leur usage implique un peu de déduction.
De la même manière, même s'il semble évident à tous que le monde est plein de secrets, ça ne se traduit pas forcément par le réflexe de chercher à les dévoiler, d'autant que la méthodologie d'enquête reste étrangère à beaucoup de joueurs, quand-bien même elle est inscrite dans la mécanique.

Tout ça implique d'inscrire des indices automatiques dans le scénario :
chaque fois que les PJ font des recherches, pistent, explorent ou se renseignent d'une quelconque manière, ce premier scénar réclame absolument de leur donner (parfois même gratuitement) les informations indispensables à leur compréhension des enjeux. Sans quoi les joueurs pourraient ne jamais avoir le réflexe de les chercher eux-mêmes, et rater plein d'aspects du donjon. Même comme ça, certaines possibilités ludiques doivent rester très optionnelles (en particulier les mécanismes "lumineux" dans les deux premiers actes), car les Martyrs ont démontré que certains groupes allaient complètement passer à côté.
De même, il faut que je m'astreigne à réduire les intrigues secondaires et les indices "de contexte" au strict minimum, sans quoi certains joueurs vont y consacrer plus d'attention qu'à progresser dans le donjon : je ne peux pas les enlever complètement car le scénar doit aussi être une introduction au monde, mais ils doivent être peu nombreux et clairement étiquetés comme "pour plus tard" (c'est à dire "à la surface").

Mais ce n'est pas tout ce qu'on a découvert, car les deux groupes de play-test actuels ont –sans même le faire exprès– poussé la mécanique dans ses retranchements, ce qui fera l'objet d'un autre post...

EDIT, parce que j'avais oublié les "notes" sous le volet spoilers.
Dernière modification par Wenlock le mar. oct. 30, 2018 3:33 pm, modifié 2 fois.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Gulix »

Merci de pour ces retours. C'est très intéressant de voir les essais-erreurs, et le fait qu'ils te permettent d'alimenter les conseils.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Gulix a écrit : lun. oct. 29, 2018 4:29 pmMerci de pour ces retours. C'est très intéressant de voir les essais-erreurs, et le fait qu'ils te permettent d'alimenter les conseils.
C'est vraiment l'enjeu des play-tests : mettre le jeu à l'épreuve des utilisateurs.
Et, en cela, les deux équipes actuelles sont d'autant plus révélatrices qu'elles sont très majoritairement constituées de joueurs que je ne connaissais guère : chacune différemment, elles poussent le système (la mécanique, le contexte, la logique des donjons...) dans des retranchements où mes play-testeurs précédents ne s'aventuraient guère, simplement (je crois) parce qu'on jouait ensemble depuis longtemps et qu'ils appliquaient instinctivement les méthodes qui leur avaient déjà réussi dans mes autres campagnes (et dont j'avais eu la naïveté de croire qu'elles étaient "de notoriété publique").

Si ça permettait au final d'améliorer l'accessibilité du jeu, de guider plus de narrativistes vers les plaisirs tactiques du donjon, plus de vieux briscard vers le jeu narratif et que ça pouvait faciliter la vie des MJ qui s'essaieront à l'un ou l'autre exercice, je serais très content. Et pour ce bénéfice-là, je suis prêt à me ramasser avec mon propre jeu plusieurs soirs par semaine ! :D
 
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Avant d'expliquer plus avant les problèmes de scénario rencontrés par les deux équipes actuelles de play-test (et quand je dis "rencontrées", je veux dire que les joueurs sont rentrées dedans avec un gros bang et splendide une gerbe d'étincelles), laissez-moi revenir sur quelques aspects du système déjà mentionnés dans les articles du blog...

Ombres & Stratégies
L'un des aspects "procéduraux" de L'OdD est justement dû à la nature de même de l'Ombre, celle des PJ autant que du donjon : en pénétrant dans l'obscurité entre le monde des humains et celui des démons, espace d'autant plus étrange qu'on s'éloigne de la surface civilisée, nos Dogues Rouges appellent naturellement vers eux l'attention des démons qui correspondent à leurs propres travers, donc leurs "parts d'Ombre". Autrement dit : les protagonistes trouvent justement dans les donjons des épreuves "personnalisées" reflétant leurs problèmes moraux.
Le jeu produit cette "customisation" des donjons par différents moyens, dont certains sont très classiques (ils sont presque intrinsèques au JdR), d'autres reposent sur la définition ludo-narrative des protagonistes (leurs parts d'Ombre en premier lieu) et quelques-uns réclament une certaine modularité des scénarios...

Pour commencer, la stratégie mise en œuvre par chaque escouade change évidemment la manière dont leurs adversaires réagissent : les PJ bagarreurs rencontrent plus d'agressivité que les partisans de la furtivité ou de la diplomatie. Il est aussi évident que les joueurs ont tendance à perpétuer les approches gagnantes, et qu'ils gagnent généralement en employant les points forts de leurs perso, points forts choisis à la création. De fait, comme dans la plupart des JdR, une Escouade créée pour la furtivité va sans doute s'y tenir la plupart du temps, parce que c'est comme ça qu'elle gagne, c'est sa "stratégie optimale".

C'est d'autant plus vrai que, d'une part, le gameplay différencie vraiment ces stratégies, et que d'autre part le danger augmente : plus mauvaises sont la situation et les chances de victoires, plus la stratégie optimale devient la seule viable. Et comme L'OdD s'acharne à constamment faire monter l'Adversité tout en affaiblissant les PJ, une Escouade a vivement intérêt à être conçue stratégiquement : non pas nécessairement en misant tout sur une seule tactique (car la mécanique d'attrition rend cette méthode trop risquée), mais en constituant l'équipe autour d'une combinaison de 2 ou 3 tactiques récurrentes, comme par exemple "furtivité + combat, ou fuite" (l'Escouade va généralement tenter de prendre les adversaires par surprise, et compter sur le déplacement si ça merde) ou "butin, indices & bivouacs" (en fouillant partout pour accumuler du bonus de matos comme d'orientation, et bivouaquer souvent pour bien exploiter leurs gains tout en retapant les PJ).
De fait, dès la création des perso, les joueurs bénéficient de réfléchir à leur approche du donjon, et à s'assurer que l'Équipe a les compétences pour la mettre en pratique.

Là où la stratégie rejoint l'Ombre, c'est que les "parts d'Ombre" des PJ ont des usages spécifiques : leurs mauvais penchants servent à une petite gamme d'action, qu'ils vont pouvoir booster sérieusement à coups de dés Noirs. Et si les protagonistes sont conçus de manière cohérente, il y a de bonnes chances que leurs Ombres correspondent à peu près à leurs points forts : les malandrins sont généralement sournois, les combattants sujets à la rage.
Alors non seulement le type d'épreuves "tactiques" qu'ils rencontrent est en grande partie conditionné par leur stratégie, mais les épreuves morales vont fréquemment les confronter aux pires aspects de cette même stratégie.

Au global, pour simplifier le choix du thème de chaque donjon (et donc de ses "grands méchants"), la plupart des Escouades sont désormais constituées autour d'un ou deux péchés thématiques, influençant la majorité des parts d'Ombre de ses membres : celle des Martyrs de Mont-Grésil est un peu trop dispersée de ce point de vue (c'était l'Escouade de play-test "historique", écrite avant que je précise cet aspect du jeu), mais celle des Dogues de Sombreroche a été créé selon ces règles thématiques et se trouve donc principalement sous les signes de l'Ego (autoritarisme, mégalomanie, orgueil, témérité et autre fanatisme), puis de la Duplicité (mensonge, trahison, illusions et manigances variées).

Comme cette stratégie et ces thèmes moraux modifient nettement le genre d'épreuves que rencontrent les PJ, en particulier les "Antagonistes" de fin d'actes, tout ça a des conséquences sur le scénario de notre première mission mais, là encore, c'est du spoilers pour les testeurs ...

Spoiler:
Au premier acte, les "blêmes" et leur version "mutante" (appellées des "Moirés", car leur contamination par l'Asphalte crée des "moirures" en noircissant leurs veines sous leur peau translucide) se montrent déjà plus ou moins agressives, sournoises, organisées ou même craintives suivant que les PJ sont un peu plus portés sur la bagarre, l'ingénierie (employant le système de réflecteurs pour illuminer et sécuriser leur itinéraire ou faisant s'écrouler des galeries sur les monstres), la furtivité (évitant les monstres quasi-aveugles plutôt que de les combattre) ou même l'occultisme (alchimie, sacrements du Calice et sorcellerie). À la limite, le "péché principal" de l'Escouade n'influence que le "roleplay" des Moirés, qui adoptent plus ou moins les mêmes traits, et mènent peu à peu les autres blêmes à des comportements similaires : là où les Martyrs ont rencontré des moirés assez versatiles, celles qu'affrontera l'équipe des Egotistes auront tendance à les défier et à s'imposer d'avantage.
La tactique globale des blêmes reste à peu près de laisser les mercenaires s'enfoncer dans les galeries instables pour leur tomber dessus quand ils sont en difficulté, complètement encerclés ou plongés dans le noir (la MJ accumulant alors des dés Rouges en Obscurité), mais l'Escouade a différents moyens de les contrer.

Au deuxième acte, les arachtones, les pièges et tout particulièrement les squelettes du village troglodyte sont essentiellement réactifs : ils peuvent rester assez en retrait si les PJ évitent de les provoquer pour mieux explorer les lieux, fourrager, ré-activer l'éclairage (ce qui "fige" l'Asphalte et immobilise en partie les squelettes) voire reconstituer l'histoire des habitants défunts, mais une Escouade qui leur rentrerait dedans frontalement va vite se retrouver en plein combat urbain.
À ce stade, l'approche "explo pacifique" (ou furtive) et son inverse belliqueuse se ramifient assez nettement, puisqu'on peut aussi bien éviter la bagarre jusqu'à la Confrontation finale que déclencher une série d'escarmouches grandissantes, le vacarme de chaque baston réveillant de nouveaux squelettes.

Mais arrivé au troisième acte, dont l'Asphalte lui-même est le "grand méchant", la MJ bénéficie d'un antagoniste extrêmement protéiforme, qui peut non seulement créer des "golems de squelettes" plus ou moins gros et monstrueux que tendre des embuscades ou attiser directement les parts d'Ombre des PJ : contaminer les mercenaires "sournois" pour les retourner contre leurs compagnons, affoler les paranoïaques, etc.
Alors, pendant que l'Escouade tente de résoudre l'énigme de la Porte Étoilée, chacun de ses membres sera assez explicitement confronté à ses mauvais penchants, et le groupe devra s'entraider beaucoup pour calmer ses pires tendances : c'est la morale "pédagogique" de cette première mission.

Mais tout ça n'est finalement que théorique jusqu'à ce que les joueurs s'en mêlent, et les play-testeurs ont alors pris des tangentes assez surprenantes...
Dernière modification par Wenlock le mar. oct. 30, 2018 3:26 pm, modifié 1 fois.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Scénario & Rodéo
Rien que par leur structure à embranchements, la nécessité de "narrer" les résultats après que les dés aient roulés et les éléments "procéduraux" des Missions, les scénarios de L'OdD impliquent une bonne dose d'impro de la part des MJ. Mais j'avais jusqu'ici sous-estimé à quel point les décisions de l'Escouade pouvaient radicalement modifier l'Adversité d'un scénario, en particulier par ses choix d'objectifs.
Et les deux groupes de play-tests ont bien vite poussé le système dans ses retranchements.

Par exemple, tout en n'encaissant qu'une seule menue défaite, les Martyrs ont réussi à laisser grimper l'Adversité de 6 jusqu'à un record absolu de 15dR durant le premier acte (normalement, c'est 10-12). Certes, il y avait alors une Scène inutile dans le scénar (supprimée depuis), mais cette Escouade de débutants a surtout pris systématiquement tous les détours, soit les 5 Scènes obligatoires, les 3 Scènes optionnelles (un peu à cause d'hésitation, un peu parce qu'ils étaient d'humeur à tout visiter), une petite défaite (Adv. +2) et en se payant même un Bivouac supplémentaire (vu que, forcément, les PJ étaient épuisés). Tout ça en oubliant de vraiment s'équiper, évidemment.
De fait, ils se sont pris une première Confrontation carrément sévère en fin d'acte 1, et qui aurait pu être bien pire s'ils n'avaient été un peu reposés, ou si j'avais relâché les dR stockés en Obscurité (mais là, c'eut été un massacre).
Alors, malgré une victoire emportée de haute lutte, ils ont commencé l'acte 2 très mal en point, avec une Adv. de 11 (au lieu des habituels 7-8) et toujours pas lourd de matos. Histoire de ne rien arranger, ils ont bientôt décider de se séparer et ça a failli très mal tourner. Puisqu'ils étaient de fait trop en difficulté pour vraiment explorer les lieux, ils ont surtout tâché de les traverser "prudemment" sans s'attarder ni visiter, et ont donc largement raté le butin qui aurait pu les restaurer comme les indices qui leur auraient pu éclairer les tenants et les aboutissants du donjon. Encore un coup de Malchance supplémentaire et le PNJ-guide qui pouvait leur expliquer certains mystères s'est retrouvé assommé : ha...

Comme je considère finalement que les défauts de paramétrage du scénar sont autant à blâmer que l'inexpérience de ces joueurs, finalement, je leur ai proposé une petite tricherie pour leur faciliter une scène de bivouac : ils pourront alors se retaper un peu, tout en tâchant de croiser les quelques indices à leur disposition pour comprendre le fin mot de l'affaire, et donc remettre leurs Escouade sur les rails afin de "vraiment" jouer le troisième acte plutôt que de simplement le subir. Je ne l'aurais pas fait hors d'un play-test mais là, ayant déjà tiré plein d'enseignements de leur cuisant échec, j'ai moi aussi intérêt à tester la fin du scénar dans des conditions relativement "normales" plutôt que de laisser les Martyrs se faire massacrer (paradoxalement).
__

Différemment, la seconde Escouade des Dogues de Sombreroche a, elle, consacré sa deuxième Scène à faire de l'occultisme : l'Alchimiste du groupe et son "assistant" voulaient préparer des potions avant de s'aventurer dans le donjon. Ce n'est pas idiot du tout mais, en plus d'occuper toute une scène, l'occultisme ajoute de l'Adversité (temporaire) selon la puissance du rituel : dans ce cas, deux préparations de potions à +2 et +3dR.
Sauf que, à la surprise générale, ce rituel ne subit qu'une seule Complication et 4 de ses 5dR furent donc ré-injectés dans le pool du MJ. Alors que seulement deux perso étaient réellement actifs (puisque les deux autres cuisinaient des potions comme des chefs), ils devaient affronter 11dR dès la deuxième Scène de la mission (7 après une victoire facile à la première Scène, +4 revenus du rituel) alors même qu'ils étaient encore au "village de départ" : c'est pas la situation la plus facile pour inventer une soudaine crise à 11dR, d'autant que le donjon n'a alors pas l'Initiative, ce qui devrait signifier que le MJ ne peut pas vraiment leur envoyer de tuiles, seulement s'opposer à leurs actions.

Les règles d'occultisme prévoyaient une petite provision à ce sujet, mais ça m'a incité à l'étendre (donc à modifier ces règles) : désormais, les rituels occultes donnent illico l'Initiative au donjon, permettant aux MJ de mettre en scène un aspect assez pervers de l'univers que je mets à nouveau sous un volet "spoilers" parce ces joueurs-là vont s'en manger les conséquences à la prochaine séance...
Spoiler:
Si les "rituels occultes" font monter l'Adversité, ce n'est pas que pour compenser mécaniquement leur puissance et leur conférer un vrai risque, c'est (dans la fiction) parce que ces rituels attirent l'attention des démons. L'alchimie y compris, contrairement à ce que ses pratiquants prétendent. De là à considérer que nos démons, une fois avertis, pourraient décider de venir voir ce que bricolent les humains, il n'y a qu'un pas... qu'on peut aisément franchir dans l'intérêt du scénario.
D'autant plus facilement, en fait, que, dans le cas présent, l'alchimiste a lancé ses dés Noirs pour rattraper sa première potion (elle n'avait produit qu'une Complication, mais aussi qu'un Succès...), produisant un rebondissement "obscur" au passage, ce qui veut dire qu'un fantôme de son passé lui est apparu pour le tenter : à la prochaine séance, le donjon va donc passer à l'offensive et non seulement produire un accident alchimico-démoniaque, mais les mineurs de la bastide vont venir engueuler les Dogues pour leur apparente "inaction" : ça aussi, ce sera une manifestation d'Ego/autorité/arbitraire...
Dernière modification par Wenlock le mar. oct. 30, 2018 3:26 pm, modifié 1 fois.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Doji Satori »

Personnellement, j'aurai davantage vu une augmentation de DR suite à la mise en œuvre de l'occultisme sur la scène suivante, histoire de partager ce bonheur tous ensemble. :mrgreen: 

Parce que là, on a une augmentation qui s'applique sur la scène en cours et qui pose AMHA un problème d'ordre de résolution (séquentiel ou simultané ? Si séquentiel dans quel ordre ? Qui choisit ?). 
Se manger 11 DR à 2, c'est équivalent à 22 DR à 4 (a priori). Du coup, il n'y avait vraiment pas d'intérêt à ce que Samwell joue le rôle d'assistant de l'alchimie.

Aussi, si le recours à l'occultisme se révèle trop pénalisant pour le groupe, alors le groupe ne recourra plus à l'occultisme.
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Doji Satori a écrit : mar. oct. 30, 2018 2:37 pmPersonnellement, j'aurai davantage vu une augmentation de DR suite à la mise en œuvre de l'occultisme sur la scène suivante, histoire de partager ce bonheur tous ensemble. :mrgreen: 

Parce que là, on a une augmentation qui s'applique sur la scène en cours et qui pose AMHA un problème d'ordre de résolution (séquentiel ou simultané ? Si séquentiel dans quel ordre ? Qui choisit ?). 
Se manger 11 DR à 2, c'est équivalent à 22 DR à 4 (a priori). Du coup, il n'y avait vraiment pas d'intérêt à ce que Samwell joue le rôle d'assistant de l'alchimie.

Aussi, si le recours à l'occultisme se révèle trop pénalisant pour le groupe, alors le groupe ne recourra plus à l'occultisme.
Houlà, ne mélangeons pas tout...
Précisons pour nos lecteurs que Doji Satori joue l'Officier des Dogues de Sombreroche, et que "Samwell" est le PJ qui assistait l'alchimiste. Doji a lu une première version des règles et déjà fait plein de retours intéressants sur le texte, son organisation et la mécanique elle-même, mais son équipe a encore très peu joué, puisqu'elle est encore dans la deuxième scène du premier scénar.

Avant tout Doji, on a déjà parlé de la "retombée" de l'occultisme sur les occultistes, et je t'ai déjà dit que la charge de dR allait effectivement se répartir sur les 4 PJ, qu'il y avait même des raisons "diégétiques" pour ça. Elles sont détaillées dans le spoiler (donc pas pour toi, parce que vous verrez ça à la prochaine session), mais j'ai noté le problème durant la séance, fait le changement de règles dès le lendemain et on en a parlé aussitôt.
Repousser la montée d'Adversité à la Scène suivante serait d'ailleurs bien pire que le mécanisme précédent, ou le nouveau : ça compliquerait la gestion du pool, ça voudrait dire que le "surplus" frapperait après que l'Adversité ait encore monté, narrativement ça ne se justifierait guère et ce serait difficile à mettre en scène puisque, entre-temps, les PJ se seraient mis à faire autre chose. Si "l'occulte" vous retombait dessus pendant que vous crapahutez ou combattez, vous en souffririez bien d'avantage.

Par ailleurs, retenons-nous d'évaluer l'alchimie avant d'avoir seulement bu une potion. :bierre:
D'abord parce qu'on ne peut pas vraiment juger des coûts sans parler des bénéfices, mais aussi parce que, plus largement, concevoir des règles ne signifie pas "chercher à satisfaire un joueur sur l'instant" ni rectifier tous les cas limites, mais bien mettre au point des mécanismes qui vont marcher le plus souvent possible.
Si en changeant deux lignes sur l'Occultisme et l'Initiative je peux, même dans un cas assez improbable, produire un défi pour l'ensemble de l'équipe, qui face sens vis à vis des thèmes et mette en valeur certains aspects diégétiques de l'occultisme, je vais essayer ça avant de remanier une série de règles fondamentales. Puis on va tester la modif' à la prochaine séance.
Alors, si ça merde encore, j'envisagerai de re-boulonner certains rouages avant de re-tester, et seulement si le problème perdure de démonter les gros pistons. ;)

En tous cas, l'expérience dont je parle depuis quelques posts n'est pas tellement celles de cas rares qui ont pété le système (parce que ce n'est pas ce qui est arrivé), mais celle de cas limites qui ont démontré que la gestion de l'Adversité par la MJ réclamait plus de prise sur les dés Rouges. C'est pourquoi l'essentiel des modif' jusqu'ici se répercutent sur les conseils aux MJ et les outils "scénaristiques" (fournis avec les missions, et qui réclame d'être mieux écrit), et que même le petit changement sur l'occultisme peut se résumer à "refiler l'Initiative à la MJ quand c'est le meilleur moyen d'user d'un surcroît d'Adversité".
J'ai aussi mentionné les défauts de pédagogie du premier scénar mais ça, à la limite, c'est pas un souci mécanique.
 
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Doji Satori »

C'est clair que je manque totalement d'expérience pour apprécier la règle, my bad. Juste que j'ai la comprenette difficile entre l'ordonnancement des actions et l'occultisme qui prend la totalité d'une scène pour les occultistes ou pas.

Faut que je sois patient, ça viendra en jouant ! Wait & see :)

 
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Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon

Message par Wenlock »

Ça ne me dérange pas que tu questionnes ou que tu critiques, @Doji Satori y compris très tôt dans le play-test. Mais je te répondrais si je ne suis pas d'accord. ;)
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