(rappel de l'épisode précédent, dans la tombe de Nophru-kâ)
Le noir est revenu. Je crois que je dois convulser.
Quelqu’un met quelque chose entre mes dents.
J’entends la voix d’Anton :
«- Je vais crever mais toi tu vas vivre. Tu m’entends l’irlandais ? Ton crâne n’est pas brisé. J'ai arrêté l’hémorragie. Tu m’entends soldat ?? »
(fin du rappel)
Samedi 2 février
J’ai senti du vent. Vu un voile au-dessus de moi.
Et je revois sa silhouette.
Des griffes noires traversent les bandages de ses mains levées vers le ciel, souillées de sang. La peau de son visage d’alligator est totalement desséchée. Ses yeux de jaspe et de diamant m’auscultent.
Dans ce regard, gronde par saccades un rire ancien et sinistre. La silhouette se penche sur moi. Et ses griffes arrachent la peau de mon visage…
Lundi 4 février 1929
Je me suis réveillé dans la pénombre. Je me sens cotonneux, nauséeux. J’ai soif.
Il y a ce froid. Je dois me lever, mais quelque chose me maintient.
Quelque chose m’écrase le visage. J’ai envie de crier mais je ne peux que gémir…
Une lumière s’approche, et deux silhouettes se penchent sur moi.
Elles n’ont pas de visage de Crocodile.
« Liam ! Liam ! Vous me reconnaissez ? C’est Andrew. Là, tout va bien, vous devez rester calme. Vous allez récupérer, mais lentement. Vous avez été mordu au bras, et à la tête. C’était vilain mais ça ne s’est pas infecté. Tenez bon, vous remarcherez bientôt…»
L’autre personne se met aussi à parler :
«- Anton est encore vivant ! Je ne sais pas comment il fait, mais il tient. Bon sang, quand les momies sont tombées, il m’a demandé de lui faire un bandage, puis il m’a expliqué pour les dosages de morphine. Liam, son ventre était ouvert, mais il a remis sur pied Andrew, il vous a sauvé, il a arrêté l’hémorragie de Mac Farland et lui a fait transfuser du sang de Galloway. Et après, ça, il m’a dit bonne chance et … j’ai fait ce que j’ai pu pour lui… »
« C’est un miracle si on s’en sort ! » ajoute Andrew.
« Mais on dirait qu’on a un nouveau médecin parmi nous. Liam, on va vous mettre sous diamorphine. Il ne nous reste presque plus de morphine et on la garde pour Mac Farland qui souffre le martyre. Anton a sorti quelques dents de vos blessures, ça vous fera un sacré trophée ! »
Je ne comprends pas. La deuxième voix était celle de Peter. Nous nous en sommes tous sortis ? Mais qui ai-je vu mourir ?
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, mardi 5 février 1929
Le corps de Lawrence Daniels a été enveloppé dans un linceul et enterré aux côtés du vieux Youssouf.
Galloway aurait préféré le ramener au pays, mais il ne sait pas ce qu’il pourrait dire à la famille du jeune homme.
J’ai demandé à ce qu’on emporte le squelette du bédouin.
Le Cheikh sera sans doute touché de pouvoir enterrer son frère.
Anton Figgis s’est réveillé. Je devrais bientôt pouvoir me lever pour le remercier de vive voix.
Il parait que les restes des momies se sont effrités.
Tous les jours, Galloway redescend dans la tombe pour en traduire les hiéroglyphes. Il ne touche plus au sarcophage.
Quand nous partirons, nous scellerons à la dynamite cette maudite sépulture.
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, mercredi 6 février 1929
Mon bras, mon épaule et mon visage doivent encore être bandés, mais je peux me lever.
Andrew m’a expliqué que j’avais eu une fracture ouverte au bras.
Mon fusil a été brisé par la mâchoire de la momie et m’a sans doute sauvé la vie.
Richard Mac Farland et Anton Figgis ont aussi repris conscience.
Nous pensons qu’ils pourront se relever à la fin de la semaine.
Pour le changement et le nettoyage des bandages, Peter et Andrew ont repris la logistique mise en place par le major après l’attaque des créatures volantes.
Dans le De Vermiis Mysteriis, Peter a découvert que ces choses immondes étaient des Byakhees, des montures, souvent appelées par les sorciers pour voyager dans l’Ether.
Andrew n’en dit rien mais nous voyons bien qu’il souffre aussi de ses blessures.
Les griffures infligées par la momie ne l’aident pas à se remettre de l’entaille de la bataille précédente.
Anton Figgis lui donne des cachets verts d’un opiacé nommé codéine.
Quant à l’autre homme blessé dans l’attaque des Byakhees, il s’est finalement remis et est venu nous voir avec son frère.
Ils souhaitent patrouiller toutes les nuits dans le camp, et nous leur donnons des fusils.
Heureusement, aucune nouvelle attaque ne survient.
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, vendredi 15 février 1929, 18h
Je regarde mon visage dans le miroir.
Une longue cicatrice descend du front, traverse le nez, puis s’estompe sous mon oreille.
« - Saloperie de momie… Enfin je m’en tire vivant c’est déjà ça… »
Anton est encore plus pâle que Andrew.
Son visage est devenu émacié.
Il se déplace avec une canne, ce qui dans le sable du désert, n’est pas d’un grand pratique.
Il me regarde reposer la bouteille de Laudanum en fronçant les sourcils :
« -Bon sang Liam, ce n’est pas du gin, vous le savez hein ? ».
Je hausse les épaules :
« -Bah, ne vous inquiétez pas je vous en ai laissé !»
Le doc prend le flacon, et le range dans sa malle, qu’il referme à clé en râlant :
« - By Jove, je dois déjà surveiller Andrew, qui a tendance à trop prendre de codéine. Alors vous, épargnez moi ça, hein ? »
Il se relève doucement, puis me dit à voix basse :
« -Je m’inquiète pour Peter. Il s’est plongé corps et âme dans le livre du Baron. Je crains que cela n’ait gravement atteint son esprit. »
« Ce bouquin est maudit, Figgis, mais Peter est solide. Il a sauvé votre peau, vous oubliez ? »
« - Il ne s’agit pas de ça ! » Me répond-il
« Passez à l’improviste à sa tente une fois la nuit tombée. Vous comprendrez… »
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, vendredi 15 février 1929, 23h
Le vent s’est calmé, mais le silence qui règne désormais sur le camp me parait pesant.
Tout ce pays m’avait tant plu à notre arrivée.
Même pendant notre dangereuse traversée dans le désert, j’étais resté fasciné par sa beauté. Maintenant, je n’y voyais plus qu’une antique malveillance, et même en observant le ciel étoilé, je ne trouvais nul réconfort.
Je repensais au télescope du baron. J’en venais à me demander si tout cet immense espace n’était pas hostile et horrible.
Il y a de la lumière dans la tente de Peter, et à travers la toile, je vois sa silhouette en train de marcher.
Il est en train de parler avec des gestes agités. J
e me demande ce qu’il fait, mais au fur et à mesure de mon approche, un malaise commence de m’étreindre.
L’ombre fait de grands gestes, mais je n’entends pas un bruit.
Une toile claque fortement derrière moi et me fait sursauter.
Ce n’est qu’une bourrasque emportant du sable.
Mais lorsque je porte de nouveau mon regard vers la tente de Peter, son ombre s’est évanouie. J’avance, j’écarte la toile de chèvre et je rentre.
Notre ami est assis, affalé sur sa table, les yeux clos, à côté de l’ouvrage ouvert de Ludwig Prinn.
Faiblement, il murmure dans son sommeil :
« - Non, non, c’est trop dangereux… »
Je pose ma main sur le front de Peter, et il ne dit plus rien.
Il ne semble pas avoir de fièvre.
Une brise froide fait mollement frémir les pages du De Vermiis Mysteriis.
Le grand volume de vélin grisâtre est ouvert sur un diagramme aux formes de constellations, abondamment annoté.
Sa calligraphie sombre frémit dans la lumière tremblotante de la lanterne. Comme dans une sorte de danse malsaine, les glyphes obscurs me paraissent grouiller, les lettres même semblent suinter, rampant hideusement vers les bords des pages vermoulues.
Je referme le livre avec répugnance, et j’éteins la lampe.
De retour à ma tente, je me suis allongé mais je ne peux dormir.
Je ne peux chasser l’image de cette lumière rallumée dans la tente de Peter.
Il y a une silhouette noire à côté de lui, et elle me fixe avec une haine atroce.
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, lundi 18 février 1929, 09h
Le major terminait de changer mes pansements, lorsqu’Andrew est entré dans la tente, blême comme s’il avait vu un revenant.
« - C’est Peter. Je crois qu’il ne va vraiment pas bien… J’ai entendu qu’il parlait dans sa tente, j’ai cru qu’il lisait ce… livre à haute voix. Mais quand je suis entré, il était debout dans un coin, comme absent.
Il ne cessait de répéter :
« -Non… c’est trop dangereux. Je dois invoquer le démon, je dois invoquer le démon… ».
Il s’est interrompu lorsque je lui ai parlé, mais il semblait perdu. Et il avait ce maudit livre serré dans ses bras… »
Nous trouvons Peter devant sa tente, en train de fumer la pipe assis dans le sable.
Anton lui propose des barbituriques, mais il refuse net :
« - Non, non, je dois garder l’esprit clair. Tout va bien, mes amis, j’ai juste eu un petit malaise mais il ne faut pas vous inquiéter. Ce n’est rien. »
Andrew s’empourpre avant que nous ayons le temps de réagir :
« - L’ESPRIT CLAIR ?? Mais vous parlez tout seul !! Ce maudit bouquin vous épuise ! Prenez ces médicaments et reposez-vous nom d’un chien ! »
Figgis insiste également :
« - Cher Maître, cela va être difficile de plaider dans la camisole qui vous attend ! Même ces papistes de Potrello deviendraient regardants si vous parlez d’invoquer le diable. Donc pour la bonne marche de la justice à Boston, nous allons brûler ce maudit bouquin avec les autres possessions du baron, sauf si bien sûr vous prenez ces médicaments. Monsieur Plumdington, ici présent, les a testés et vous garderez l’esprit aussi clair que lui, je vous le promets. »
Peter se lève.
Je repense un bref instant à la silhouette noire de mes cauchemars.
Ce n’est sans doute pas une mauvaise idée de brûler ce livre.
Mais en voyant l’ombre qui traverse le regard de Peter, je comprends immédiatement sa résolution :
« Ecoutez-moi ! Cela faisait des siècles que le baron avait ce livre en sa possession. Il l’a lu, il l’a étudié, il l’a abondamment annoté... C’est une partie de son être… C’est une partie de sa puissance magique... Et nous ! Nous lui avons pris ! Bon sang, vous n’imaginez pas… C’était si hermétique, si clos pour mon esprit, mais plus maintenant… Je commence enfin à comprendre les schémas, les codes… Oh ! Oh ! Si vous imaginiez les batailles que mon esprit livre pour ne serait-ce qu’entrevoir… Ne faîtes pas ces têtes, allez. Je ne prends pas de médication contrairement à chacun de vous. Mon esprit ne se délite pas. Mais il porte une lourde croix, alors ne me gênez pas ! »
Peter retourne dans sa tente, et nous ne savons que lui répondre.
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, jeudi 21 février 1929, 20h
Richard Mac Farland est venu nous voir, déposant sur notre table une série de photographies et de notes.
Peter a étalé les documents, les consultant en les manipulant d’un doigt, puis il reporte son regard vers l’étudiant :
« - Ce sont bien les papyrus que j’ai trouvé dans la tombe ? Merci pour ces photographies, mais vous avez pu les traduire ? »
La voix de Mac Farland devient fébrile :
« Ce… C’est un poème, peut-être un chant. Il est censé appeler ou renvoyer des êtres nommés Dholes mentionnés dans l’histoire de Nophru-Ka. Nous vous en parlerons demain. Vous voyez ces points ? Ils pourraient être des notes. C’est déjà très rare de trouver des papyrus aussi anciens, mais s’il s’agit bien d’un chant, ce document est inestimable… Oui c’est sans doute, le plus ancien chant humain jamais découvert, mais nous le garderons à part du reste. Je ne crois pas que ce serait bien de le rendre public. Il me rappelle trop ce texte arabe de Katif que j’avais étudié. C’était obsédant, sinistre et… quelque chose me dit que… »
Anton acquiesce :
«- C’est une sage décision. Il y a bien des choses que devrons garder pour nous dans ce voyage.»
Ne prêtant plus attention à nous, Peter compulse nerveusement les photographies, murmurant pour lui-même :
«-Non, non, c’est trop dangereux…»
Mac Farland le regarde avec tristesse puis se tourne vers nous.
«-Le professeur me fait confiance. Il s’est rangé à mon avis, ne vous inquiétez pas. Je… Je dois vous laisser… »
Site de la tombe de Nophru-Ka, Egypte, vendredi 22 février 1929, 10h
Le professeur Galloway nous a tous réunis dans sa tente.
Sur un plateau damasquiné sont posés nos carnets, des feuilles volantes, des photographies, des cigarettes, des verres et notre dernière bouteille de Bourbon.
Richard Mac Farland est assis sur un tabouret près du professeur.
Il a tenu à nous aider dans les traductions des hiéroglyphes.
Avec son bras perdu, c’est probablement la dernière fois qu’il sera dans une expédition archéologique.
Galloway, nous regarde, tire sur sa pipe, souffle un nuage de fumée, et commence de parler :
« - Gentlemen, nous pensons avoir achevé la traduction des hiéroglyphes de la tombe. Ils ont été écrits à la hâte par les personnes qui ont enterré Nophru-Ka, probablement des gens de sa famille. Pendant la XIVème dynastie, vers 1650 avant Jésus Christ Nophru-Ka était un prêtre, un chef puissant. Nous avons vu de nombreuses fois un terme qui nous parait avoir un double sens : rebelle à Pharaon, ou alors Anti-Pharaon, la seconde prenant un sens évidemment beaucoup plus fort. »
« Nous avons d’abord pensé que cela était une exagération de ses proches mais il s’avère que d’autres hiéroglyphes clés du texte ont fait référence à une participation précoce aux mouvements séparatistes du Nil, mouvements qui vénéraient une divinité nommé Thoth, un dieu de la magie. »
Galloway se tourne alors vers Mac Farland :
« - Jeune homme, vous avez découvert quelque chose à ce propos, je vous laisse poursuivre. »
L’étudiant aux traits marqués se redresse tant bien que mal :
« - Oui, j’ai reconnu un nom qui est apparu plusieurs fois dans le texte : Ny Har Rut Hotep. Il pourrait s’agir du nom complet de la divinité Thoth ou Tahuti. Ce nom semble être la contraction d’une phrase : il n’y a pas de paix à la porte, paix pouvant être interprété comme sécurité, ou repos. Il est mentionné plusieurs fois comme la divinité de Nophru-Ka, mais aussi un conseiller qui lui apporte son aide. Enfin, il est intéressant de noter que le hiéroglyphe représenté par un lion couché que vous voyez est utilisé pour le son grec R que l’on retrouve dans Cléopâtre par exemple mais aussi pour le son L. Si ce culte a perduré tardivement, il est donc possible que le nom ait été prononcé Ny Har Lat Hotep. »
Galloway se racle la gorge et reprend :
« D’après le récit, ce dieu conseilla à Nophru-Ka le plan suivant : avec ses disciples l’Anti-Pharaon chanterait dans des temples secrets pour faire venir des monstres nés des étoiles appelés Dholes. Le Pharaon enverrait ses armées sur les monstres et pendant ce temps-là, Nophru-Ka et ses alliés s’empareraient du palais. Mais le plan tourna court. Le Pharaon Khasekhemre Neferhotep Ier eut vent de la conspiration. Il envoya des espions et des assassins éliminer Nophru-Ka et ses disciples. Le prêtre fut retrouvé et tué dans un temple appelé le Puits, mais avant de mourir, il fit la prophétie suivante : Et l’on rêva à nouveau du prêtre Nophru-Ka et des mots qu’il prononça à sa mort, comment le fils se lèverait pour réclamer le titre, régirait le monde au nom de son père, vengerait le meurtre du père, convoquerait la Bête qui est vénérée, et comment les sables boiraient le sang de la descendance du pharaon. »
« Après cela, les derniers fidèles ont emporté le corps du prophète ici.» conclue Mac Farland.
« Puis ils sont partis pour une cité du nom de Gha’rne. »
Peter regarde fixement une des photographies sur le plateau, mimant de ses lèvres des sons inaudibles.
Puis il se tourne vers Mac Farland :
« -Donc, c’est ce fameux hiéroglyphe de Ny Har Rut Hotep ? »
Mac Farland hoche la tête silencieusement.
Pendant un instant, personne n’a ajouté un mot.
Galloway s’est levé et a commencé à ranger ses notes, lentement.
Bon sang, nous avons tant perdu pour ces quelques découvertes !
Et tout ce qu’elles nous apprennent, c’est juste ça… Rien sur les plans de la Confrérie… Aucune indication de date, de lieu…
Andrew parait très troublé. Il s’est levé pour aider le vieux professeur, bredouillant quelques mots de remerciements.
L’archéologue a hoché la tête, mais la curiosité qui animait tant son regard semble maintenant évanouie.
Cet homme ne se pardonnera jamais d’avoir emmené ses étudiants dans cette tombe interdite.
Et jamais il ne pourra oublier la mort épouvantable de Lawrence Daniels, emporté par des choses crocodiles surgies des sables du temps.
Oasis Al Hanaa, désert d’Egypte, lundi 25 février 1929, 15h
Grâce à l’autochenille qui nous a été prêtée une dernière fois, nous sommes arrivés à l’oasis Al Hanaa.
Nous retrouvons le Cheikh et toute sa tribu.
Après l’arrivée de Galloway sur le site de la tombe, j’avais renoncé à envoyer au cheikh le courrier que j’avais préparé.
Mais là, nous lui expliquons ce que nous savons sur Katif et Kemal.
Et nous lui apportons aussi le squelette de l’homme que nous pensons être son frère.
Très surpris, le chef bédouin a demandé à voir le corps, et à son émotion contenue, nous comprenons qu’il reconnait bien les armes, les vêtements...
« - Nous sommes amis maintenant, et vous serez toujours les bienvenus chez nous. Allah fasse que votre vie soit longue. Allah fasse que vos ennemis soient dévorés par les cafards. Ce que avez fait est très honorable, très noble, et sera connu par tous les bédouins. Je vais lever la Katiba, et on nous allons couper les têtes de ce Katif et ce Kemal pour les donner aux chiens… »
Paquebot Massilia, Port d’Alexandrie, jeudi 28 février 1929, 10h
Sur le pont du paquebot, nous voyons s’éloigner les rivages de l’Egypte.
Avant d’embarquer pour la France, nous avons chaleureusement remercié Ali Ben Tarik pour son accueil.
Andrew lui a promis que si un de ses fils voulait venir étudier aux Etats-Unis, il l’aidera dans ce projet.
Mais j’ai vu le regard de notre hôte sur nos figures blessées et fatiguées, je ne sais pas trop ce qu’il en a réellement pensé.
Anton Figgis a abandonné sa canne dans la maison lorsque nous avons fait nos bagages ; il ne boîte presque plus.
Mon bras me lance de moins en moins, mais les gens détournent encore le regard de mon visage boursouflé.
Il me tarde d’arriver à Marseille.
Nous déjeunerons dans un petit restaurant.
Nous boirons une bouteille de ces bons vins rouges dont les français ont le secret.
J’ai lu dans le Times que le monde semble continuer de tourner.
Au Royaume-Uni, le Parlement est de nouveau ouvert.
Aux Etats-Unis, après douze ans de prospérité ininterrompue, le Dow Jones bat des records.
Au Caire, la grande exposition ne cesse d’attirer curieux et fêtards du monde entier.
En fait, nous partons quand tout le monde arrive.
Peter s’est déjà enfermé dans sa cabine, sans doute pour se plonger dans la lecture du De Vermiis Mysteriis.
Il est obsédé par ce nom de Ny Har Lat Hotep, et je crois que nous ne le verrons pas beaucoup pendant le voyage.
Andrew m’a appris qu’à l’insu de Galloway, Peter a sorti de la tombe un petit vase canope.
Au contact de cette chose, il espère que les talents de médium de Paul Lemond pourront nous apprendre quelque chose.
Un malaise me reprend quand je repense à notre traversée du port tout à l’heure.
Pris dans les filets des pêcheurs, les poissons fraîchement pêchés bondissaient pour échapper à leur destin.
Peut-être sommes-nous comme ces poissons ?
Nous nous débattons de toutes nos forces, mais c’est totalement vain.