[CR] Polar Noir - Dognapping

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Fabulo
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Compte rendu de oneshot ambiance Polar/Noir. Motorisé par un système maison light, Expresso Noir.

Bande son : https://www.youtube.com/watch?v=z4PKzz81m5c

Ca se passe dans l'Iowa, à Des Moines, dans les années cinquante.
Les personnages (Joe Delgado, William Carter et Lauren Johnson) sont détectives privés dans leur agence, la Carter&Johnson.
Deux joueurs et une joueuse et deux personnages féminins (Joe, Lauren) et un personnage masculin (William).


 
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Le chinois ne démordait plus, il voulait son blé. Voilà trois mois que nous n’avions pas versé de loyer, et il commençait vraiment à avoir le naseau fumant. Déjà qu’on pigeait pas trop ce qu’il racontait d’ordinaire, bah sous le coup de la colère, ça n’était plus qu’un déluge d’injures chantantes. C’était le propriétaire des locaux de l’agence. Il tenait le Dragon d’Or, restaurant juste en bas, d’où nous parvenaient les odeurs de friture.
L’agence Carter&Johnson périclitait. Enfin le terme est fort, puisqu’elle n’avait pas connu l’apothéose non plus. Avec le blé de papa Delgado, on arrivait encore à rester à flot, mais celui ci avait annoncé à sa fille qu’il “coupait les robinets”.
Du coup, quand le téléphone a sonné, on a cru que Dieu, l'autre nom du hasard, se souciait enfin de nos destinées.
A l'autre bout du fil, une certaine Lolita fait rouler son accent texan et ponctue d’effets de gorge, une voix profonde et chaude à vous faire raidir un moribond. Je vois le William se répandre en politesse, tout en prétextant chercher un “créneau” dans un emploi du temps prétendument bouché. Avec les cartes qu'on a, c'est le bluff ou rien.
Finalement, la Lolita va venir ce matin même, en taxi, nous exposer ses turpitudes.
Ca laisse le temps à William de congédier le chinois, en le baratinant. Et à Joe et moi (Lauren) le temps de dépoussiérer, planquer les bouteilles vides, aérer un peu, et donner un aspect lustré à nos locaux. Faudrait pas que la Lolita comprenne trop vite qu’hormis le chinois, on n'a pas trop de visite et ce, depuis un bon moment. Un proverbe résume très bien, à propos de riche à qui on prête de l'argent ou de fourmi et de sucre. Je ne sais plus trop. Vous saisissez l'idée.

La voilà qui arrive, ça cogne sec dans le couloir, Madame porte du talon aiguille.
Surprise en ouvrant la porte : Lolita devrait faire de la radio comme on dit. Sa voix suave n’est pas contractuelle. William appelle ça une crevette : joli corps mais vilaine figure.
Oh, elle a du être plutôt avenante dans ses vertes années, la Lolita. Mais l’abus d’alcool, de nicotine et d’anxiolytique lui ont effondré la façade : son regard est lourd, sa peau flasque, son attitude ralentie et gauche. On sent qu’elle est en pointillé dans sa tête. Ca clignote fébrile avant de passer au vert. Une clope lui pendouille aux lèvres, tressautant au rythme de son propos, soulignant sa vulgarité spontanée, que le fric n'a pas su maquiller.
Son oeil hagard s’allume soudain lorsqu’il se pose sur la bouteille que je viens d’extirper. Du whisky qui vient bientôt réchauffer l’âme en peine de cette malheureuse...et affermir ses mains tremblantes. Elle engloutit brutal, la soiffarde.
Quand la potion magique l'a un peu calmé, elle fouille dans son sac, un truc chic, une marque, importé de France, s’il vous plaît. On n’y connait rien, nous autres, les bouseux de Des Moines, Iowa. Si ce n’est que c’est français alors c’est pas de la gnognotte. Madame a de l’allonge, et on serait pas contre piocher dedans. Une photo de chien, voilà ce qu'elle déniche.
Son rimmel trace des sillons humides en zigzag sur son visage ingrat, froissé par les soucis de l'oisiveté friquée, et elle nous déballe sa tragédie : Biscotte, son bichon frisé, le compagnon des shoppings, le confident de ses comas éthyliques et de ses psychodrames imaginaires, a disparu. Kidnappé, le clébard. 
“Va falloir tout nous raconter, Madame Tchekerdjian...depuis le début.”
On connait le métier, la méthode c’est notre affaire, on a des phrases types pour mettre à l’aise le client. Toutefois, c'est notre premier dognapping, puisqu'il faut bien l'appeler comme ça. Soyons précis.
Et voilà ce que nous raconte Lolita...
Dernière modification par Fabulo le lun. oct. 16, 2017 1:31 pm, modifié 9 fois.
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Fabulo
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“J’ai reçu une lettre de menace, une demande de rançon, dans la boîte aux lettres. Ils ont Biscotte, je suis prête à payer. J’ai peur. Je n’ose pas appeler la police.”
Pourquoi faire appel à nous ? Elle explique qu’elle aimerait qu’on mène une enquête, pour si jamais ça tourne mal. William lui donne raison : les kidnappings ça finit en drame, parfois. L’idée est de la brosser dans le sens, pour lui faire cracher les biftons. Un client inquiet est un client docile.
Elle nous met la lettre du kidnappeur sous le nez. Ca sent l’amateurisme de branquignole à plein nez. 


Spoiler:
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M’enfin, vingt mille dollars quand même. Le mec se mouche pas le noyau de l’abricot avec la fourchette du cheval.
On fronce du sourcil, on opine du menton, l’air grave et rassurant, pour lui en donner pour son fric. Suffit pas d’être efficace en coulisse, faut aussi se dandiner un peu sur la scène.
Là dessus, on décide d’aller interroger le personnel de maison sur place, histoire de débrouiller un peu la chronologie des faits.


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Sacrée résidence qu’il possède, le Burak Tcherkedjian. On apprend en route l’origine de sa fortune : immigré arménien, mec audacieux, farceur, instable, grossier et fantasque, il a profité du boom de la finance et des assurances à Des Moines, au début des années cinquante, pour mettre à contribution ses talents d’homme d’affaires. Lolita roucoule à ses côtés depuis quelques années, dans une relation passionnelle où les assiettes volent aussi bas que les réconciliations sont intenses (et brèves).
Une fois sur place, on passe tout au peigne fin : domestique, environnement, qui, quoi, comment, quand et où. 
Monsieur est parti de bon matin, pour affaires. Avec lui, Franck Muller, le chauffeur, pour l’accompagner à la gare, prendre son train.
Vers dix heures, Madame se réveille ou plutôt s’arrache à son coma nébuleux, et réalise que Biscotte a disparu. Il a l’habitude de trottiner dans le jardin pendant la nuit. La résidence est imperméable, infranchissable, gardée jusqu’aux oreilles. Personne n’a pu entrer ou sortir, à côté un blockhaus nazi c’est une passoire.
Luigi le jardinier bredouille que “Monsieur était de méchante humeur, m’a demandé de lui apporter un sac et un bidon d’essence et de retourner dans mon fourbi et de n’en plus bouger avant qu’il ne soit parti….Oh il devait être sept heures du matin...je m’apprêtais à mettre de l’engrais sous les rosiers…”
Franck Muller, le chauffeur ? D’après Lolita, il devrait déjà être de retour. Elle a son cours de bridge dans l’après midi et elle ne souhaite pas de nouveau s’abaisser à héler un taxi, même si, bon elle va annuler, elle a le coeur lourd, avec Biscotte disparu. 
William inspecte, fouille, renifle, scrute le sol, la pelouse, le gravier de l’allée, les moindres recoins, avec des airs de fin limier. En général, il fait ça pour justifier nos émoluments devant le client.
Mais là, miracle : il trouve des traces de sang sur le gravier. On est bien avancé. Trois gouttes de sang. Frais, certes.
La lettre de demande de rançon ? Mise dans la boîte aux lettres, dans une enveloppe simple, sans adresse.
On abandonne Lolita à son verre et ses cachets, lui promettant de la tenir informée. Faute de piste sérieuse, on décide d’aller voir Franck Müller et s’enquérir un peu de ses whereabouts, comme on dit chez nous.
Dernière modification par Fabulo le lun. oct. 16, 2017 8:23 am, modifié 2 fois.
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Muller habite dans un quartier middle-class, avec des maisons bien rangées, construites sur le même modèle, en file indienne interminable. Le soleil commence à bien nous étouffer, avec cette humidité estivale de l’Iowa, qui vous trempe la chemise. Avec ça, les mioches qui braillent : dans les années cinquante, les rues grouillaient de gamins et ça chahutait partout. Baby boom oblige.
Ils jouent au pétard, et le voisin de Muller lui, est en pétard. Il poussait sa tondeuse neuve sur son gazon, en maugréant contre la fumée en provenance de chez Francky.
Barbecue du matin ? Peu probable. Pas de voiture dans l’allée. Le Francky est il chez lui ?

On décide de se séparer en deux groupes : William et moi on va passer par derrière tandis que Joe reste devant la pelouse, attentif. Si jamais notre cible veut se barrer, il l’intercepte illico presto.

Derrière la maison, William et moi, on tombe sur l’origine de la fumée. Fumée sacrément puante, ça vous remue les tripes. On a cramé un truc, à l’essence, dans un vieux bidon rouillé. William s’approche, remue un peu avec un bâton...des os, des putain d’os, avec un crâne minuscule, un crâne de chien, à n’en pas douter. Le Franck a brulé un caniche dans son arrière cuisine…
Je m’aggripe à la fenêtre et jette un oeil : silence dans la demeure. On décide de rentrer en douce, après avoir amadoué la serrure.
Chez notre oiseau, ça sent la chaussette moisie, la vaisselle empilée, la solitude du célibat. La poussière prend ses aises. On se déplace à petits petons, en se regardant l’un l’autre, le flingue frémissant au bout des paluches.
On réalise vite qu’on est seuls. Le Francky n’est pas là. C’est à ce moment que William me donne un coup de coude. Du menton il me désigne le sol, près de la table basse du salon.

Une paire de chaussure dépasse.

Soit un mec a décidé de faire la sieste sur le tapis.
Soit...
Dernière modification par Fabulo le lun. oct. 16, 2017 8:17 am, modifié 3 fois.
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Le propriétaire de la godasse va sucer bientôt les paquerettes par la tige. Raide, passé de bidoche à viande froide. La calebasse farcie au plomb. Bon pour le tiroir de la morgue. Il a fait son tour de manège, le bougre. Retour à la case néant.

Une vilaine tâche de sang s’étale sur le tapis. Sa main serre une pétoire, où manquent deux balles. L’analyse est vite faite : un impact dans le mur en face. L’autre balle a du percuter du steak...à en croire les gouttes de sang qui tracent un sentier sanglant vers la porte d’entrée de la maison, façon petit poucet.

Le blessé s’est arrêté pour déchirer quelques pages dans l’annuaire, avant de continuer jusque dans l’allée...où il aura pris sa voiture, la piste rouge s’arrêtant net.

Je regarde l’annuaire : il a déchiré la page des pharmacies. William m’interpelle : il a trouvé dans un tiroir des magazines féminins colorés, des ciseaux, de la colle...Si notre Müller n’est pas le maître chanteur, je suis danseur exotique au Pink Palace.

Bon, ça s’éclaircit un peu. Le pékin qu’il a refroidi a des tatouages de mafieux, le nez busqué et le poil noir luisant d’un italien et même des papiers au nom de Roberto Mancini.

On résume : Muller rentre chez lui, crame le clébard (pourquoi ?), bricole une lettre de rançon (une autre ?), se fait surprendre par Mancini, venu lui faire des courtoisies...s’ensuit une altercation, voire une rixe, et le rital se fait allonger fissa. Muller, blessé, décampe, direction une pharmacie pour se soigner le bobo.

Tout est limpide. Ou presque.
On est au bout de nos peines, ne reste plus qu’à repérer notre guignol. RIP Biscotte, mais bon, faudra bien que Lolita digère la nouvelle. Et on palpera la prime. Pas terrible, cette prime, d'ailleurs. Surtout avec le pognon en jeu. Vingt putain de milles putain de dollars pour un putain de clébard. Putain. Et je pèse mes mots.

Cheminant vers la pharmacie la plus proche, dans la voiture, la parole se libère, comme on dit. Les camarades évoquent des “possibilités” et s’interrogent sur l’intérêt d’une morale trop stricte qui ne “prend pas en compte les circonstances”.

Ca mijote dans les cafetières. On entendrait presque le glouglou de nos cerveaux en furie.

Des possibilités...
Dernière modification par Fabulo le lun. oct. 16, 2017 8:27 am, modifié 2 fois.
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Message par Ackinty »

Great ! :bravo:
Les joueurs étaient dans ce trip (question vocable) ou c'est toi qui déballe ?
En tout cas, ça défrise la routine, ce genre de jactage. C'est pas d'la poésie, mais ça entre pareil dans l'ciboulot et ça t'fait voir des trucs qu'existent pas. Et ça c'est great ! :smoke
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Re: [CR] Polar Noir - Dognapping

Message par Fabulo »

Ackinty a écrit : lun. oct. 16, 2017 1:04 amLes joueurs étaient dans ce trip (question vocable) ou c'est toi qui déballe ?

Non, on n'a pas vraiment poussé la chansonnette de l'argot et des expressions fleuris au delà du raisonnable, juste pour l'ambiance. Par contre les joueurs (et joueuse) étaient inspirés, et ça nous a valu quelques situations cocasses, notamment les conversations surréalistes entre détectives, digression de role-play souvent bienvenues pour le genre.

Mais pas que.

L'inspiration des joueurs nous a aussi valu un coup de théâtre qui a chamboulé l'intrigue de façon radicale.
Et que je m'en vais vous conter bientôt...
 
Ackinty a écrit : lun. oct. 16, 2017 1:04 amGreat ! :bravo:

Merci de ton intérêt et content que ça te divertisse, c'est le but.  :yes:
 
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La cloche pétulante de la porte de la pharmacie nous accueille, ainsi que le sourire édenté de la religieuse qui tient la boutique. Elle a l’air un peu agitée, et les gouttes de sang au sol nous confirment pourquoi. Le Muller est bien passé par là pour récupérer de quoi se soigner.
William sort sa carte d’inspecteur de l’hygiène de la société fédérale de contrôle pharmaceutique, un vague bout de carton qu’il agite sous le nez de la religieuse. L’effet est immédiat : elle sort ses registres, assure que tout est en ordre et s’excuse de ne pas avoir eu le temps de facturer l’alcool, le coton et les rouleaux qu’un “grand gaillard qui saignait de l’épaule a exigé que je lui remette et m’a payé cash sans même récupérer la monnaie, comme s’il avait le diable aux trousses.”
A l’évocation du gaillard, on la sent frissonner, la vieille. Elle fait des oeillades à William. On sent que ce qu’elle n’a sans doute jamais essayé lui manque quand même un peu.
Mais rien d’autre à en tirer, c’est l’impasse. Pas moyen de savoir où a filé notre larron.

Dans la voiture, on hésite entre retourner chez Lolita et "faire un point" à l’agence. On a des pièces à conviction : ciseau, colle et papiers journaux. Et bon...c’est là que l’idée a germé, d’abord sous forme de récrimination sur ce boulot mal payé, puis de boutade puis le collectif s’y est mis pour bétonner les arguments. Lesquels ?
Et si...et si on écrivait une fausse lettre de rançon, histoire de doubler le maitre chanteur et récupérer le blé à sa place. Au pire, on refile un bichon frisé quelconque acheté dans une animalerie.
Mal en point comme il est, le Muller ne risque pas de refaire surface avant un moment. Ca nous laisse un peu de temps pour bidonner un truc, et jouer les innocents si ça tourne vinaigre. Avec les poches bien garnies.
L’idée est risquée, bancale et pour tout dire pas très fûtée. Mais ça vaut la peine.

Et elle prend de l’ampleur, cette idée, une fois à l’agence, lorsque le whisky, le café, la fatigue et les réclamations du chinois finissent de nous convaincre qu’il faut mettre le paquet pour se faire un pactole.
Nous voici donc autour de la table, à se passer des journaux, découpant des lettres, et discutant de la meilleure formulation à donner à cette missive. La bouteille de whisky est vite torpillée.

Dring. Le téléphone sonne : c’est Lolita. En panique.
William, ciseau en main, a décroché. Il la rassure, comme il sait faire, avec des phrases toutes faites de dragueur de bar. Lorsqu’il raccroche, un sourire triomphal lui fend la poire.
“Lolita a reçu une autre lettre. La rançon est monté à 100 000 dollars. Elle est prête à payer. Et toujours pas d’instructions pour l’échange.”
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Message par Fabulo »

Retour à la résidence. Madame nage sur le divan, une bouteille d’alcool fort et un flacon de psychotrope légal  bien entamés à ses côtés. Si un éléphant prend le quart de ça, il remue du popotin en se prenant pour un moineau, croyez moi.

Lolita nous reconnait à peine, invoque Francky son chéri d’amour, puis Biscotte, puis les deux. Manifestement elle fricote avec le chauffeur. Ou fantasme à ce sujet, et nous en fait part. Vaudrait mieux éviter ce genre de confession devant Burak, son mari. Lequel ne devrait plus tarder de revenir de son voyage d’affaires.

D’ailleurs, on entend marcher sur le gravier, puis une voix épaisse et rocailleuse. “Chérie, j’ai du prendre un taxi pour revenir. Franck aurait du me récupérer mais il est pas venu…Chérie ?”
Joe se précipite sur Lolita et remplit sa baveuse de cachets et de whisky, lui palpant la glotte pour la forcer à déglutir. De quoi neutraliser sa parlotte pour un moment.

Là dessus, Burak entre, nous aperçoit, s’interroge, récupère des lettres de rançon éparpillées sur la table, devant sa femme. Il demande au domestique de l’accompagner dans sa chambre. Elle n’est plus trop “en état”.
“Que faites vous ici ? Qui êtes vous ?” nous lance t il avec l’air impérieux de celui qui a l’habitude qu’on lui cire les pompes, et pour qui le monde est un hôtel peuplé de laquais consacrés exclusivement à son bien-être.
Après quelques quiproquos, hésitations et balbutiements, on finit par lâcher le morceau. On est détectives, on s’occupe du kidnapping.
Sauf que Burak est très étonné du dernier message.

Et finit par tout nous avouer.
“Ce matin, en faisant une marche arrière, j’ai écrabouillé ce putain de clébard. J’ai dit à Francky de se débarrasser du corps, et s’arranger pour en acheter un identique. Et de faire une petite lettre de rançon, histoire de faire patienter Madame, et aussi de la délester du trop-plein de fric que je lui file régulièrement. Pour lui donner une petite leçon. Seulement, on a convenu de 20 000 dollars. Je comprends pas quelle mouche a piqué Francky de faire monter les enchères. Et j’arrive pas à le joindre.”


Avant d'ajouter : "Et j'aurais jamais pensé qu'elle soit assez fûtée pour faire appel à des détectives privés. Mais bon, maintenant que vous êtes là...”
Dernière modification par Fabulo le mar. oct. 17, 2017 2:43 pm, modifié 1 fois.
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Re: [CR] Polar Noir - Dognapping

Message par Fabulo »

 
C’est alors que je dégaine notre joker : une belle lettre anonyme  rédigée par nos soins, avec les mêmes lettres que les précédentes, méticuleusement découpées et collées. Et qui donne les instructions précises pour la transaction, l'échange biftons contre bichon.
Je plaque la lettre sur la table, d’un geste ample et un tantinet théâtral, en attendant que l’orage éclate, ce qui aurait accentué l’effet dramatique. Mais dehors, il fait chaud et poisseux, et le ciel reste muet. Dans la vie réelle, la météo se soucie peu de l'intrigue.

“Voilà la dernière demande de rançon, avec les instructions, Monsieur Tchekedjian. Nous étions sur le point de proposer à votre épouse de nous y rendre avec les vingt mille dollars initialement prévus, et de négocier avec le preneur d’otage. Sachez que nous avons une grande expérience de ces situations délicates. William Carter ici présent a travaillé de longues années en tant qu’officier de police sur ce type d’affaires. Vous pouvez nous faire confiance. Nous retrouverons Biscotte et -si les circonstances le permettent- nous ramènerons la totalité de la rançon. Avec un peu de chance, nous allons démêler la situation, Francky nous expliquera tout. Il s'agit d'un malentendu, à coup sûr. Et s’il est coupable, ses chances de s’en sortir sont minces, dans tous les cas.”
 
 
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Re: [CR] Polar Noir - Dognapping

Message par Fabulo »

Ca coince un peu mais ça finit par passer. Le Burak nous confie un sac de sport plein à craquer de billets, tout en nous menaçant avec bonhommie si jamais il nous arrivait de nous égarer. “Je vous retrouverai facilement, et il se peut que nos retrouvailles soient rugueuses.”

Ne nous reste plus qu’à rendre visite à Muller. Je ne vous ai pas dit, mais Lolita, dans ses fièvres alcoolisées, nous a livré l’adresse d’une petite cabane au bord du fleuve, où elle exécute sans doute ses galipettes avec Francky. Elle a aussi mentionné le collier de Biscotte, pour une raison que la suite du récit va élucider. Patience.

On recolle le puzzle : Francky a du réaliser que le collier avait une grande valeur (pourquoi ?) et décidé de faire monter les enchères, au mépris de sa romance avec Madame et aussi parce que manifestement la mafia italienne l’a dans le collimateur. Et le collecteur de fonds qui lui a rendu visite était sans doute venu pour récupérer une dette, pas pour papoter autour une verveine menthe.

Quand on approche de la cabane, le soleil est bas, et de longues ombres se vautrent dans les dernières lueurs orangées du jour mourant. On gare la guimbarde un peu loin et on chemine en silence vers le bord du fleuve.

La cabane dite “du poisson joyeux” émet une lumière diffuse, celle d'une bougie : quelqu’un y a trouvé refuge. Joe passe derrière, pour jeter un oeil par la seule fenêtre. William et moi, on se met devant la porte d’entrée.

Un bon coup d’épaule et je fais craquer le verrou, on se précipite, flingue en main.
Assis en tailleur, en sueur et en sang, Francky tient un bichon frémissant dans ses bras. Spectacle attendrissant.

Les lecteurs aiment bien la baston, mais ça rend mal à l’écrit. Pas trouvé mieux pour m’épargner de rédiger. Qu’il me suffise de vous dire que le diable s’est débattu, a pris une balle de Joe, à travers la fenêtre, un coup de pied de moi à travers la face et une autre balle en pleine poire, tirée par Wallace en “légitime défense” comme il le prétend. Alors que bon, c’était plutôt sous le coup de la panique. Mais comptez sur moi pour corroborer sa version devant les autorités. Moi-même une balle de Francky m’a éraflé l’épaule. 
Après tous ces échanges très directs entre gentilhommes, balles et bourrepifs, on fait le bilan. Un Biscotte bis barbouillé de sang, un Francky Mûller kaput...et un joyau rouge rutilant, inséré dans le collier du chien.

Ce bijou explique l’ambition soudaine de Franck et les inquiétudes de Lolita pour le récupérer. Ca pèse pas lourd, mais ça doit valoir une fortune.

Dans la fraicheur du soir, on fait un peu trempette pour s’essuyer du sang versé. La rivière bondit et frémit, long serpent grisâtre sous l’oeil torve de la lune.

Que va t on faire de ce sosie de Biscotte ? Et la rançon ? Et on va raconter quoi au Burak ?

Hors de question de se fatiguer à balancer le corps, l’enterrer ou le signaler. Après tout, une petite enquête montrera que Francky est en bisbille avec la mafia. Laissons le méditer sur les planches, au vert.

On s’arrache, on discutera en cours de route.
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Message par Fabulo »

Epilogue

Et oui, épilogue.
On a laissé le bichon dans la cabane. Burak a tout gobé : on lui a raconté qu’on est allé au lieu convenu pour l’échange, que Francky s’est jamais pointé et donc nous revoilà, avec le sac à sport plein de biftons. Modestement.

"On est désolé, Monsieur Tcherkedjian, on a fait notre possible. Désolé aussi que votre femme soit toujours dans les vapeurs. Dans tous les cas, on va juste vous demander de couvrir les frais, une somme modeste, pour le dérangement d’une journée de labeur."

On apprendra plus tard que le cadavre de Franck a été retrouvé, avec le bichon à ses côtés, au fond du bois, dans une cabane près de la rivière. Burak en aura conclu que les mafieux lui ont troué la panse….et Lolita qu’ils ont récupéré le bijou pour paiement des dettes encourues.

M’enfin, tout ça ne nous regarde plus. L’arménien ventripotent et moustachu, avec sa bonhommie de vendeur de tapis, nous a tapoté sur l’épaule, réglé nos émoluments et félicité pour notre “intégrité” et notre “honnêteté”, qualités rares de nos jours.

On n’a pas moufté, yeux au plancher, pourpre pudique au front. Tu penses bien, de tels compliments, c’est pas mérité, mais ça fait quand même plaisir.

Voilà je laisse là ce récit, William et Joe m’invitent à les rejoindre au bar de la plage. On a transformé le caillou coloré de Lolita en une montagne de billets de banque.

Et, sur des chaises longues, sur une plage paradisiaque, on sirote des cocktails extravagants et hors de prix à la santé de Biscotte, le bleu tranchant du ciel en pleine face, inondé de soleil, baignant dans l’insouciance.

Le restaurateur chinois a finalement perçu ses loyers en retard, ainsi que la clef de l’agence Carter & Johnson, désormais fermée pour un moment. 

Sur ce, je vous abandonne.

L’irrésistible appel de la glande.
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XO de Vorcen
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Message par XO de Vorcen »

:bravo:
J'attendais poliment la fin pour applaudir. Un récit bien sympathique avec un ton tellement approprié.
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bakemono
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Re: [CR] Polar Noir - Dognapping

Message par bakemono »

:pri :pri :bravo: :bravo: :bravo:

un CR comme cela c'est de l'or, surtout que cette histoire passe café-crème à lire, c'est Fabulo.
le silence est la seule chose dont le Néant s'honore.
mal armé
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Re: [CR] Polar Noir - Dognapping

Message par Fabulo »

Merci de vos appréciations et content que ça vous amuse.  ;)
J'ai essayé de rendre le récit divertissant, ce qui ne fût pas difficile, la partie ayant été une grosse poilade de trois heures et quelques. Avec malgré tout quelques tensions et une ambiance "noire". Et des joueurs, vous l'aurez noté, très "pro-actifs", ce qui a contribué  de façon décisive à un développement palpitant du scénario.

Rien n'est plus cher à mon coeur de meujeu que des joueurs qui explosent la routine d'un scénario par des initiatives osées, qu'elles soient astucieuses ou fâcheuses, peu importe.
 
Dernière modification par Fabulo le sam. oct. 21, 2017 10:52 am, modifié 1 fois.
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