1.) Quoi que c'est ?
Les Offrandes Calcinées, un module
Pathfinder acclamé par les critiques, encensé par l'Internet, vanté ici-même, juteusement traduit par Black Bouc.
Burnt Offerings won three ENnie Awards in 2008—two Golds for Best Adventure and Best Cover Art and a Silver for Best Interior Art quand même.
2.) Vous en avez entendu parler où pour la première fois ?
Partout, les oreilles m'en sifflaient jusqu'à l'insupportable. Depuis dix ans.
3.) Achat compulsif, impulsif ou réfléchi ?
Bien malgré moi.
4.) Vous pensiez trouver quoi ?
Une daube à la PF, une suite de bastons vaguement reliées par un prétexte cousu de fil blanc. Bien illustré en raison des prix reçus.
5.) Vous avez trouvé quoi ?
Un gros coup de vieux. Sur le fond, je ne suis pas surpris, PF n'est absolument pas dans mes goûts esthétiques, avec son univers d'anime japonais (rien de péjoratif) à la Final Fantasy qui n'a qu'un lointain rapport avec le médiéval-fantaisiste. Toutes ces couleurs me piquent les yeux, surtout parce qu'elles ne font que recouvrir un monde complètement noir et blanc : il y a les héros, et les autres (les figurants qui ne sont là que pour les mettre en valeur) ; les bons et les méchants.
Bon, le constat est fait que le truc ne me convient pas, fondamentalement. Puis-je néanmoins garder la tête froide et en dire quelque chose d'utile pour ceux qui en apprécient les prémisses ? Pas sûr.
Non, je ne peux pas. Il y a déjà un choc culturel difficile à dépasser. Les offrandes calcinées : le terme est biblique, il renvoie à l'Ancien Testament, et le terme français (pour
burnt offerings) est « holocauste ». Je pense que ça a dû en défriser plus d'un, d'où une traduction plus Googlesque. Les auteurs nous déversent par-dessus un salmigondis théologique indigeste : au cœur du scénario, on retrouve aussi des dieux assyriens (Lamashtu) et une magie ancienne qui carbure aux sept pêchés capitaux, mais avec des runes (pitié pour les vikings !). Tout ça n'a aucun sens pour moi. Ce n'est pas une question de religion, c'est juste comme si on me parlait tout naturellement de moteur à combustion et de minitel dans une aventure se déroulant au temps des Pharaons. Avoir des références communes, plus ou moins explicites, sur lesquelles construire un récit, d'accord. Tout mélanger dans un hachoir et faire comme si la bouillie obtenue était solide comme du béton, non. Ça me fait le même effet que si le dragon que mon PJ est censé affronter s'appellait Jacques Chirac. Jacques Chirac le dragon, ben oui, quoi, c'est un scénario dans lequel les personnages vont récupérer des pièces d'or jaune volées par le dragon avec la complicité des électeurs morts-vivants des catacombes, il me fallait un nom, pourquoi pas celui-là ? Pour les élèves de ma cousine, pour qui Léoard de Vinci est le célèbre constructeur de parking et d'autoroutes qui a peint La Joconde (anecdote aussi authentique qu'affligeante), je comprends (et je déplore) que cela puisse être avalé sans difficulté, mais pour une activité ludique me demandant de m'impliquer et de me plonger dedans, l'immersion en prend un coup fatal.
Oublions donc toute prétention à trouver du sens dans les références, considérons qu'il ne s'agit que de mots n'ayant qu'une consistance sonore, destinés à l'imprimeur et non au lecteur, et voyons le cœur du sujet. De toutes façons, comme on nous le dit à la fin du scénario, en guise de conclusion, au fait, les fameux seigneurs runiques endormis ne jouent aucun rôle dans cette mise en bouche de la campagne épique. Non, le présent scénario est bien plus terre-à-terre, il nous parle avant tout de l'enfance maltraitée et de l'incompréhension entre les générations, du drame adolescent mal digéré. En effet, la méchante de l'histoire, voyez-vous, est une « Aasimar amère » (dixit la VF). De gentille orpheline céleste destinée par son papa à devenir bonne-sœur (je n'invente rien), la pauvrette a souffert à l'école des avanies de ses camarades (je n'invente toujours rien), a perdu sa chasteté avec un voyou (saloperie de soixante-huitard), a été grondée par son père, fait une fausse couche, et a donc décidé, plutôt que de devenir émo ou végan comme tout le monde dans ce genre de situation, d'être un nouveau Dark Vador (plus précisions à venir). Non, mais, franchement, c'est quoi ce phoque ? (comme disent les jeunes).
Oui, c'est vraiment le syndrôme Dark Vador : avant, dans D&D, les méchants étaient juste méchant, à cause de leur alignement. Depuis l'épisode III de
Star Wars, sorti quelques années avant l'écriture de cet ouvrage, il est de bon ton d'expliquer pourquoi les très méchants étaient parfois avant très gentils, et que ça n'est pas forcément leur faute, même si on s'en fiche, ils meurent à la fin, bien fait pour eux et merci pour les XP. De toutes façons, l'histoire de l'orpheline, les PJ n'ont aucune raison de la savoir ni de l'apprendre, et puis ils s'en fichent en général (et merci pour les XP). Revenons au présent.
Le scénario commence donc avec un festival papillonant à l'occasion de l'inauguration de la cathédrale reconstruite. Oui, Sandpoint, 1240 habitants, se permet d'avoir une cathédrale, parce qu'une chapelle, ça faisait sans doute trop bouseux, et comme elle a brûlé, autant en profiter. Heureusement pour eux, les PJ n'ont pas eu à financer avec leurs impôts ce pharaonique projet, ils arrivent pour profiter des victuailles gratuites qui seront proposées. À moins que l'un d'entre eux soit collectionneur de lépidoptères (mais c'est plus rare).
Je vous passe les détails, des gobelins débarquent au milieu de la cérémonie et les PJ sont là pour les exterminer, mais ça gâche la fête. Dès lors, les PJ sont des héros et tout le monde les aime bien. Plus guimauve tu meurs, si vous voulez mon avis (sinon, vous ne seriez pas en train de me lire, tient). Normalement, dans ce genre de situation, la population râle contre les autorités qui ont chipoté sur le budget de la sécurité mais pas sur celui des petits fours, etc. Ici, même le shériff et le maire, pris en flagrant délit d'incompétence, se félicitent de la présence des « héros » au lieu de sanctionner leurs pitoyables subalternes.
Au passage, on apprend que le cimetierre a été profané. Voyez-vous qu'on a volé les restes du « bien-aimé » père Tobyn, celui qui avait brûlé dans la chapelle. Et quoi le phoque ? Rien, c'est juste un truc pour le MJ, et encore. Je vous explique : la méchante est revenue voler ces restes pour les brûler une seconde fois. Rien de plus normal. Elle avait déjà tué son amant indélicat et brûlé son père et sa chapelle, mais il faut croire que ça ne suffit pas. Deux fois, c'est plus sûr. Moi, je dis, c'est plus un holocauste, c'est un biscuit. Petite leçon de sociologie au passage : tout le monde pleure le « bien-aimé » père Tobyn, on lui reconstruit sa chapelle aux frais du contribuable, mais c'est quand même (si je lis bien ce que je lis), le mauvais père qui nous a foutu dans ce pétrin en martyrisant sa fille. Bref, votre gentil voisin peut être un tyran domestique, vous paierez les dégâts à la génération suivante. Il mérite bien, après tout, de repasser à la casserole. Mais ça, encore, les PJ n'en sauront rien.
Sur considérations, la suite.
Arrive sur la scène, Shalelu la forestière. En voici le portrait, tiré de ce scénario qui, je le rappelle, a obtenu des prix pour la qualité de ses illustrations intérieures.
Shalelu, quand elle tourne la tête, mieux vaut ne pas être à côté. On aurait pu l'appeler Dumbo, mais ça ne fait pas très elfe et elle n'a pas le nez assez long. Quand je vois un elfe dessiné comme ça, je cherche, mais je ne comprends pas. J'imagine que le type doit dessiner des hobbits avec des pieds palmés ; cela nous sera épargné, merci. Shalelu, donc, vient apprendre au shériff (qui a convié les PJ, parce que ce sont des héros et qu'aucun de ses douzes gardes ni de ses 62 miliciens (que personne n'a mobilisé, après tout) ne semble disponible) que les tribus de gobelins ont été réunifiées. Ah ah, dit-elle en elfique.
Mais avant de résoudre ce mystère, une pâtissière au nom typiquement médiéval-fantastique, Ameiko Kaijitsu, a disparu. Son frère, Tsuto Kaijitsu, est lui aussi la preuve que les pères de Pointesable ne savent décidémment pas y faire. Tsuto est un demi-elfe parce que sa mère a eu des relations sexuelles avec quelqu'un d'autre que son mari devant les dieux. Papa Kaijitsu s'est fâché et a exilé son fils ; lequel était amoureux de la fille, Nualia, de l'autre paternel raté (vous suivez ?). Je cite : « [Lorsqu'] il apprit par la suite que les plans de Nualia impliquaient de brûler son village natal […] Tsuto n'en fut que plus excité […] à la perspective de se venger de la ville qu'il considère responsable de son enfance amère et sans joie. » Bref, une « Aasimar amère » et un demi-elfe à l'enfance qui ne l'est pas moins se sont donc retrouvés dans la pyromanie vengeresse, ou plutôt, dans le
#balancetonpère. Les PJ iront donc taper sur Tsuto Kaijitsu pour lui apprendre à fricoter avec les gobelins et avoir tué son père d'une façon que la psychanalyse orthodoxe réprouve (le père voulant aussi tuer le fils, qui le faisait chanter, c'est incroyable à quoi ressemble la chaleur des foyers dans un village étiqueté « Neutre Bon » ; je n'ose imaginer ce qui se passe dans les vestiaires du club de natation hobbit dans un hameau chaotique neutre…). Les pulsions refoulées ne sont toutefois pas entièrement absentes de cette histoire, puisque les auteurs prennent bien le soin de nous apprendre que « le journal de Tsuto […] contient deux douzaines de pages de parchemin et Tsuto en a couvert la plupart de cartes de Pointesable et de dessins érotiques du Nualia. » Las ! Le scénario n'ayant pas fait l'objet d'un foulancement participatif à 5 chiffres, aucun fac-similé du « petit carnet de cuir » n'est fourni pour les joueurs ; vous n'aurez droit qu'à des extraits de lettres minables de Tsuto à sa sœur, sans une once d'érotisme. Si Zak Smith avait pu contribuer à ce scénario, je suis sûr qu'il aurait reçu un prix de plus…
Voici venu le moment de terminer le scénario. Les PJ sont donc envoyés nettoyer le repaire des gobelins, Pic-Chardon. C'est un îlot vaguement fortifié, relié au continent par un pont de corde. Faites un jet de Stratégie (DD10). Raté. Rassurez-vous, les auteurs du scénario n'ont pas fait mieux que vous. Je veux dire, pourquoi ne pas simplement détruire la passerelle, faire le siège devant en regardant les gobelins mourir de faim ou se noyer ? Les gobelins eux-mêmes ont compris le problème (« À l'origine, les gobelins avaient conçu [un] piège de façon à ce que le pont tombe entièrement dans l'eau mais […] ils le testèrent et réalisèrent qu'ils venaient de s'isoler sur l'île »), mais il n'est pas prévu que les PJ le fasse. À vrai dire, il existe des tunnels secrets reliant l'îlot au continent, mais quelques chiens de chasse ou une bonne dose de terre font aussi partie de la poliorcétique élémentaire. Mais si les PJ avaient suivi leurs cours correctement à l'école, ils ne seraient pas aventuriers non plus. Ils doivent donc faire le nettoyage à la main.
Je vous épargne la description de Nualia, miss Dark Vador en version
chainmail bikini, que les auteurs prennent le soin de justifier : si son armure moule ses jambes (deux fois longues comme le reste du corps, respect des règles anatomiques asiatiques oblige) et son torse (façon Mecha), elle ne protège pas son ventre nu, censé être une marque de dévotion. Lamentable Lamashtu, déesse de la césarienne ?
J'arrête ma dissection ici, c'est suffisamment poisseux pour moi. Je reconnais néanmoins qu'au milieu de tout ce fatras, il y a des idées et un soin intelligent apporté au détail qui mérite d'être reconnu. Il y a clairement un effort apporté au caractère des gobelins et aux motivations de certains PNJ, mais trahis par des incohérences ou des clichés qui en minent la vraisemblance.
6.) Allez vous vous en servir ?
Hé, tu t'as vu quand t'as lu ? Qui joue à PF sur ce forum ? Ici, c'est un mouroir à VCI, pas le forum Skyrock du JDR (quoique…).
Maintenant, je remercie les auteurs, qui m'ont fait comprendre que le plus important, dans la « fantaisie héroïque », c'est le fantaisiste ; pas au sens féérique du terme, mais pour dire qu'il ne faut pas trop se préoccuper du phoque et qu'une mauvaise histoire fait toujours un bon scénario de JDR.
7.) En conseilleriez vous l'achat ?
Faites ce que vous voulez avec votre argent, si vous en avez.