Ravortel a écrit : ↑ven. mars 15, 2019 1:55 pm
Tybalt (le retour) a écrit : ↑ven. mars 15, 2019 1:46 pm(Au passage, quelle que soit l'époque et le coin du monde concernés, les types qui se font latter la figure et priver de leur liberté ne semblent pas avoir été d'accord.)
Un illustre inconnu a un jour écrit "Vae Victis"...
Pas si inconnu que ça, puisque l'histoire vient de Plutarque et de Tite-Live

Plutarque a rapporté - en grec ancien - cette légende dans la
Vie de Camille (Camillus), l'une de ses
Vies parallèles en attribuant cette phrase au chef gaulois Brennos :
Plutarque, Vie de Camille, XXXV (ou 28 selon les découpages), traduction d'A. Pierron a écrit :Ils convinrent que les Romains payeraient mille livres pesant d'or ; et que les Gaulois, dès qu'ils les auraient reçues, sortiraient de Rome et de tout son territoire. Les serments faits de part et d'autre à ces conditions, et l'or apporté, les Gaulois trompèrent d'abord secrètement en se servant de faux poids ; et ensuite ouvertement, en faisant pencher un des bassins de la balance. Les Romains ayant voulu s'en plaindre, Brennus, pour ajouter à cette infidélité l'insulte et la raillerie, détache son épée, et la met par-dessus les poids avec le baudrier. Sulpicius lui ayant demandé ce que cela voulait dire : « Eh! quelle autre chose, lui répondit Brennus, sinon malheur aux vaincus (τοῖς νενικημένοις ὀδύνη) »? Ce mot a passé depuis en proverbe. Parmi les Romains, les uns, indignés de cette perfidie, voulaient reprendre l'or, et s'en retourner au Capitole pour y soutenir encore le siège; les autres conseillaient de dissimuler cette injure, et de ne pas mettre la honte à donner plus qu'on n'avait promis, mais à être forcés de donner ; nécessité humiliante dont les circonstances leur faisaient une loi.
Comme souvent avec Plutarque, tout le passage revêt la forme d'une anecdote à valeur morale, où Brennos a le mauvais rôle : il est en train d'insulter et de railler les Romains (ἐφυβρίζων καὶ καταγελῶν). Plutarque ne formule pas de jugement personnel explicite, mais tout son récit est défavorable à Brennos : le verbe ἐφυβρίζων contient la racine "hubris", qui désigne la démesure, faute morale caractérisée.
Tite-Live reprend (sans doute à Plutarque) cette anecdote, avec une condamnation encore plus explicite de Brennos, comme on peut s'y attendre de la part d'un auteur romain :
Tite-Live, Histoire romaine, livre V, chapitre 48, traduction Nisard a écrit :Enfin, manquant d’espoir aussi bien que de vivres, les Romains, dont le corps exténué fléchissait presque, quand ils se rendaient à leurs postes, sous le poids de leurs armes, décidèrent qu’il fallait, à quelque condition que ce fût, se rendre ou se racheter ; et d’ailleurs les Gaulois faisaient entendre assez clairement qu’il ne faudrait pas une somme bien considérable pour les engager à lever le siège.
(8) Alors le sénat s’assembla, et chargea les tribuns militaires de traiter. Une entrevue eut lieu entre le tribun Quintus Sulpicius et Brennus, chef des Gaulois ; ils convinrent des conditions, et mille livres d’or furent la rançon de ce peuple qui devait bientôt commander au monde. (9) À cette transaction déjà si honteuse, s’ajouta une nouvelle humiliation : les Gaulois ayant apporté de faux poids que le tribun refusait, le Gaulois insolent mit encore son épée dans la balance, et fit entendre cette parole si dure pour des Romains : "Malheur aux vaincus ! "
La transaction est déjà "très ignoble" en elle-même (
foedissima en latin), et Brennus y ajoute de l'
indignitas (humiliation, sachant que la dignitas est l'une des valeurs morales suprêmes recherchées par les Romains). Tite-Live ne mâche pas ses mots : le Gaulois est
insolens dans son manque de respect pour le courage des Romains vaincus. Quand on relit le contexte, on voit que les Romains ont livré un combat acharné et même désespéré.
Selon les valeurs tant grecques que romaines, ce manque de respect pour les vaincus est méprisable et ôte toute crédibilité à Brennos et aux Gaulois. Quant à savoir si ces paroles ont vraiment été prononcées et si l'histoire de la balance a vraiment eu lieu, bien malin qui pourrait le dire : je crois qu'aucun historien ne serait prêt à en mettre sa main au feu. Ce qui est clair, par contre, c'est qu'en contexte, "Malheur aux vaincus" n'est pas à prendre comme l'affirmation d'une vérité générale, mais comme un contre-exemple qui réaffirme le respect dû aux vaincus après un combat à la loyale.