[CR] Millevaux et autres jeux Outsider

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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LA VEILLÉE

Un épisode entre le recueillement et la fureur, où les liens entre les exorcistes se resserrent sous la menace grandissante.

Joué / écrit le 06/12/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Unnar Ýmir Björnsson, cc-by, sur flickr

Contenu sensible : violence, racisme, suicide


Passage précédent :
7. Absolution
Quand les villageois montrent leur vrai visage, les choses sont bouleversées.



L'histoire :

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Tales from the Putrid Swamp, par Bear Browler, sludgecore aux saillies doom et thrash, avec un chant alcoolisé de Tom Waits vénère.

La douleur accélérait le processus mental du novice, il avait l'impression de réfléchir à la situation pendant que les coups pleuvaient au ralenti : "Comment je vais m'en sortir en vie sans les tuer ?"

Il tombe à terre mais en profite pour frapper la cheville du fils Fréchin avec ses sabots. Le grand dadais s'écroule.

"Whoit, où qu'il est passé le gars derrière ?", se demande le novice.

Le fils Domange lui flanque un coup de fléau en pleine gueule, ça lui déboîte la mâchoire dans un grand CROC et envoie valser son cache-oeil.

La gueule en sang, la Soeur Marie-des-Eaux s'aggrippe au fléau du fils Domange, il tire de toutes ses forces.

Le fils Fréchin s'est redressé sur ses genoux, il aggrippe la tête du novice en arrière, les doigts dans le trou de son oeil mort.

"Whoit, où donc tu veux m'emmener la bestiole ?"

C'était la voix de Champo. Il hémergea des fourrés avec Maurice au bout d'une longe. A la vue de la scène, il réagit instantanément en faisant tournoyer son lasso. Déjà il capturait le cou du fils Fréchin.

La Soeur Marie-des-Eaux asséna un coup de sabot en plein dans la peut figure du fils Domange. SHLORK !

Tant pis si je le bute, en fait. Désolé mon Vieux, c'est lui ou moi.

Le fils Fréchin était pas assez beurzou pour ignorer que la situation tournait à leur désavantage. Il avait la gueule en vrac et l'âne menaçait de ruer, alors il s'enfuit dans le taillis sans un regard pour son compère.

Le fils Domange supplia Champo de le relâcher et c'est ce que le sherpa fit.

"Tu le paieras cher, sale métèque !
- Dis-moi p'tit con t'en sais rien si t'étais au village avant moi !"

"Maurice était comme fou, il voulait à tout prix sortir de l'étable, alors je lui ai mis une longe et je l'ai suivi, il m'a conduit jusque là."

Puis il se rendit compte que la Soeur Marie-des-Eaux était vraiment dans un peut état et que probablement il n'avait que faire de ses précisions.

ll ramassa son cache-oeil dans les feuilles mortes et coucha le novice sur le dos de Maurice.

Derrière la porte du presbytère entrouverte, le Père Houillon guettait.


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Phillharmonics, par Agnes Obel, un piano-voix pour chanter les derniers et les plus fragiles des grands espaces, et les histoires minuscules qui s'y tapissent.

La veillée mortuaire du Basile se passa dans une atmosphère de totale étrangeté. Champo et le Nono Elie avaient couché le corps dans son ancienne chambre, où il n'avait plus dormi depuis l'affaire du Jésus-Cuit brisé. Il était tout blanc et comme paisible dans les draps. Entre ses mains, le chapelet en cordelette qu'il avait lui-même fabriqué.

La Soeur Marie-des-Eaux avait tenu à venir malgré les protestations collégiales, alors on l'avait sanglé sur le dos de Maurice, et maintenant il était avachi dans un fauteuil, engoncé dans les affres de ses os brisés. L'odeur des bougies partout et les rideaux tirés rappelait de drôles de choses à la Soeur Jacqueline, alors elle s'abîma dans la prière pour n'y plus penser.

Avec le Nono Elie et Champo, les seuls villageois à s'être déplacés étaient le Sybille Henriquet et la Mélie Tieutieu, descendue de Gremifontaine. Elle dissipait le malaise global en dispensant quelques ragots. Elle avait aussi ramené des beignets de pommes de terre dans un torchon tout huileux. C'était un petit mystère de comprendre comment cette ménagère de quatre-vingt ans avait pu descendre toute seule la forêt à travers la côte de Tachey et le Chaudron, avec son tablier à fleurs et ses beignets.

La mère Thiébaud parlait de ses maladies, et que son zona lui brûlait dans la mâchoire, et que la cataracte lui mangeait l'oeil, et elle croisait ses doigts tordus et arthritiques, en attente qu'on admette que c'était bien elle la plus à plaindre.

Le curé Houillon ne s'était pas épanché au-delà des prière de rigueur, des "Saindoux, priez pour nous", ça se sentait qu'il aurait bien fait l'économie du voyage jusqu'au Chaudron, et puis une mort par suicide ça fait toujours désordre dans la paroisse. Et il faisait tout pour éviter le regard de la Soeur Marie-des-Eaux.

Le père Thiébaud sussurait à voix basse une couârie qui n'était pas destinée aux occupants de cette pièce.

La mère Thiébaud se pencha vers le Nono Elie : "Dis ouâr, toi qui sais toujours tout, pourquoi donc il était enfermé dans le poulailler, le Basile ?
- Whoit, parce qu'il a cassé le Jésus-Cuit !, proféra le chasseur à voix basse.
- Oh, c'est pas vrai que d'moi, j'avais oublié !"

Champo serra les mains et le chapelet de Basile en signe d'amitié sincère.

Cette petite couârie idiote sortit un instant la Soeur Marie-des-Eaux des profondes méditations de la douleur.

La mère Thiébaud perd la mémoire. Mais que la mémoire ancienne, la mémoire proche.

Comme si ça lui était sucé.


Le retour au village fut lent, à passer par les chemins communaux tout enserrés de sapins et de nuit, sous le lustre des étoiles et la clameur des hiboux. Ils passèrent en cohorte, guidés par le père Thiébaud qui parlait à des choses invisibles dans les ténèbres, et il les conduisit jusqu'à la Chapelotte, une petite chapelle en haut de la côte dont il avait la responsabilité et qui tombait en ruines. Le curé Houillon la bénit. La Soeur Marie-des-Eaux s'agita un peu sous son âne et se tourna vers le sherpa :

"Champo...
Merci de m'avoir sauvé la vie."

Le père Thiébaud resta là, perdu dans ses pensées et toute la troupe des villageois traversa le hameau de la Grande-Fosse, sous les cris des chiens nocturnes.

Arrivés au Pont-des-Fées, la Soeur Jacqueline dut s'occuper du novice comme d'un enfant. Elle lui refit ses bandages, il avait des hématomes gigantesques qui s'étendaient sur sa peau dans un développement de différentes couleurs. D'ordinaire, la doyenne aurait été chamboulée par la vue de ce corps maigre et brisé, mais elle était trop absorbée par son sentiment de culpabilité.

Elle dut lui mettre sa plume dans ses mains pour lui permettre de remplir son fichu carnet mémographique de tous les martyres de la journée.

Et puis ce fut encore la pénible récitation de l'Apocalypse, avec le souffle court d'une cage thoracique enfoncée :

"L'Homme entendra les rumeurs folles qui parcourent les rues et les palais de Babylone. Ses frères et ses sœurs ont déjà commencé à remplir le grenier des hantises avec le grain de leurs peurs, de leurs omissions, et de toutes leurs pensées impies et industrieuses comme des fourmis arrachées de la dévotion par des activités profanes et bassement profitables. Déjà l'œuvre de ces pensées agrégées se répand comme du limon dans la Cité et sème l'horreur. Qu'il châtie les mauvais-penseurs pour les empêcher de souiller la trame spirituelle du monde, qu'il s'abîme dans la prière pour dissoudre ce vent mauvais, qu'il répande la bonne parole, ou qu'il purge les lieux déjà souillés par la hantise, l'Homme fera une bonne action du moment qu'il suit les directives du Très-Haut."

Mais très tôt la bougie fut soufflée.


Image
Zugzwang for Fostex, par Ian William Craig, de l'ambient bruitiste minimaliste avec un son qui part en miette, entre piano éthéré, rêve éveillé et voie ferrée abandonnée.


Le lendemain fut percé par le teuf-teuf du tracteur du None Elie, puis par les cloches qui sonnaient le temps des funérailles.

C'était difficile de savoir qui au village avait une compassion sincère pour le Basile, mais l'église était pleine comme un oeuf. Beaucoup avaient besoin d'en apprendre plus sur les récents événements. La messe se déroula dans le froid et dans la tension, on sentait que la bouche des gens était sur le point d'exploser. Trop de ragots à faire courir.

La Soeur Marie-des-Eaux monta en colère tout au long de l'office, l'hypocrisie des Voivrais le mettait hors de lui. Heureusement qu'il en voyait aussi quelques uns qui ne faisaient pas semblant d'être tristes, la Mélie Tieutieu, Champo, le Sybille Henriquet, peut-être la Bernadette tant qu'à faire. Le village méritait encore d'être sauvé.

Les fils Domange et Fréchin étaient aussi de la partie. Il les toisa du regard. Le Domange baissa la tête, mais pas le Fréchin.

Champo les attendait à l'extérieur quand l'office fut terminé. On le laissait pas entrer dans l'église puisque c'était un païen. Pourtant, c'est lui qui avait aidé à charger le cercueil dans le tracteur du Nono Elie, enfin bref il avait tant et tant fait.

Le cimetière était juste en bas de l'église, à l'entrée du hameau du Moulin aux Bois, il était petit, étriqué entre quatre murs de pierres entassées, encerclé par des arbres gourmands dont les racines puisaient sans doute aux sucs des morts. La pierre tombale de Basile était à son image, très modeste, de celle qui disparaîtrait bientôt sous les ronces.

La Soeur Marie-des-Eaux sortit en dernier du cimetière, appuyé sur deux cannes. Une femme en noir en profita pour l'alpaguer.
"Madeleine Soubise, vous êtes venue."

La fermière la fixait de son visage rouge de croûtes qui cachait des yeux profonds.

"Je suis venu vous dire... Je sais que vous vous en êtes pris à Hippolyte. Je vous en supplie, arrêtez-vous de vous intéresser à nous. ça vaut mieux pour tout le monde.
- Je ferai ce que le Vieux me dira de faire. Je dois suivre mon sacerdoce.
- Je vous préviens en toute amitié. Et si vous détournez les yeux, on peut votre bien..." Sa détresse était palpable.
- Ni l'amitié ni la corruption, ni les coups de bâton ne me feront fléchir. Vous devez comprendre ça."

"Soeur Marie-des-Eaux...
- Oui ?
- Emmenez-moi avec vous, je n'en peux plus...
- Je n'irai nulle part tant que Les Voivres n'aura pas été exorcisé du mal qui le ronge."

La fermière tourna les talons à travers la futaie, désespérée.

Il y avait une sacrée ambiance dans l'Auberge. Les vins d'honneur d'après funéraille ressemblaient un peu à des banquets par ici. ça causait très fort, d'un côté le Nono Elie qui régalait son public d'anecdotes ponctuées de vindioux et de vinrats, et de l'autre les persiflades de l'Oncle Mougeot avec sa cour attablée :
"De toute façon, le Basile il était pas bien beau..."

On avait installé la Soeur Marie-des-Eaux dans un fauteuil près du feu et la Bernadette glissa une assiette de pâté lorrain fumant sur son coin de table.

"Vous savez que je mange pas de viande ! Donnez-moi plutôt de la choucroute, juste le chou, bien sûr, siffla le novice.
- Décidément, vous mangez pas la même chose que nous !"

Le visage du novice s'éclaircit, ses yeux s'agrandirent :
"C'est ça, bien sûr... Les horlas... Ils mangent pas tous la même chose, c'est ça ?"

La Bernadette répondit à voix basse, il y avait du monde et elle réagit comme si la Soeur Marie-des-Eaux avait sorti un gros mot digne du pire des argotiers.

"Chut... Mais vous avez raison, les horlas y'en a autant de différents qu'il y a d'étoiles dans le ciel. Alors oui ils mangent pas tous la même chose."

Il fallait comprendre ce que ça bouffait, et y'avait plus qu'à suivre la piste.

Champo prenait l'air au dehors. Il partageait une cigarette de foin avec le Sibylle Henriquet. ça lui faisait du bien de se brûler la lippe.

C'est ainsi qu'il vit quelque chose s'envoler du clocher et passer à travers les frondaisons. Un pigeon voyageur.



Lexique :

peut : moche
Whoit : interjection
C'est pas vrai que d'moi : formule auto-dépréciative
vindiou, vinrat : juron


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation


Bilan :

J'ai bien failli louper ma séance hebdomadaire d'écriture. J'ai été pris dans l'organisation d'un GN et pensant que je bouclerais cette tâche rapidement (ce qui ne fut pas le cas), j'ai repoussé repoussé la session d'écriture. Ceci cumulé à des imprévus domestiques a fait que je n'ai pris la plume que ce vendredi matin ! Il était temps ! Il vaut mieux que je fasse comme la semaine dernière, prendre la plume le plus tôt possible en semaine, quitte à ce que ce soit dans des conditions de fatigue ou que ça repousse d'autres tâches censées être urgentes, et qui en réalité auraient pu attendre un jour de plus.

Nouveauté technique, une liste inspirée de l'article de Grégory Pogorzelski "Préparation : C'est pas moi, c'est mes PNJ"
Je liste tous mes PNJ et je leur fixe un objectif à chacun. Et de temps en temps, je m'astreins à faire avancer l'objectif de l'un ou l'autre ou je fais évoluer leurs objectifs en fonction de ce qu'il se passe, histoire de donner une impression de monde vivant.

Les règles de l'Empreinte m'ont permis de faire un découpage technique intéressant pour le combat. J'avais prévu que la Soeur Marie-des-Eaux perde, mais nous sommes seulement à l'acte II, donc les PJ ont eu l'avantage (la menace ne peut pas encore lancer beaucoup de dés). Ceci dit, la Soeur Marie-des-Eaux a récolté une empreinte. C'est donc avec des PJ mal en points que je démarre l'acte III. J'ignore quelle va être la prochaine agression mais ça promet de faire mal. Je pense que la menace va vraiment passer à l'action.


Feuilles de personnage :

Les feuilles de personnages sont maintenant centralisées et mises à jour sur cet article

Nouveauté par rapport à la fois précédente :
- 1 empreinte de plus pour Soeur Marie-des-Eaux.
- Liste des objectifs des PNJ en fin de page.
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Message par Pikathulhu »

LA MORT DE LA VIEILLE DAME

Une réédition de l'expérience Bois-Saule à deux, pour un épisode très introspectif où le jeune Léo se confronte à la finitude de toute vie. Un enregistremenet et un récit par Claude Féry !

Le jeu : Bois-Saule, jeu de rôle pour errer dans les ténèbres sauvages de la forêt de Millevaux

Joué le 05/03/2019

Lire / télécharger la partie audio

Image
Neal Sanche, cc-by-nc, sur flickr.com


Le jeu :

Je précise par ailleurs que Xavier et moi avons convenu d'un roleplay hebdomadaire, le mardi soir, jusqu'à ce que nous nous lassions des aventures de Léo
Dans les procédures, selon Xavier, il manque une étape concernant le nom du personnage

Mon retour personnel après deux sessions jouées
J'apprécie tout particulièrement la légèreté du système. Je dois ajouter que dans mon esprit, le jdr solo consiste à se focaliser sur un seul personnage, et j'ai souvent pratiqué de la sorte (ADC, légendes, RdD). Mais solo désigne une pratique solitaire et logiquement une seule joueuse. Toutefois, en dehors des "livres dont vous êtes le héro", je n'ai pas pratiqué le jdr de la sorte et pour l'instant cela ne me tente pas. J'éprouve le besoin de partager avec une autre joueuse l'expérience. Seule expérience reconduite et appréciée : Happy.
Je suis ravi que Bois-Saule s'adosse à l'Almanach.
Je n'ai pas encore matérialisé le tarot de l'oubli et surtout je ne l'ai pas fait intervenir dans notre expérience de Bois-Saule. Cela manque à mon appréciation et à notre jeu.
Le caractère aléatoire de l'aventure a fait que nous avons obtenu deux fois exploration. Nous l'avons joué sous forme d'une introspection, Xavier étant peu désireux d'explorer. (Questionnement préalable de la joueuse sur le mode de la clé des nuages).
Xavier avait été très enthousiasmé par son expérience avec Milky Monsters, mais il préfère de loin son expérience avec Bois-Saule.
Hier, il a été confronté à la mort, Mais pas de façon guerrière ou violente. Juste une vieille dame qui meure en lui donnant la main. Il a été très touché et a beaucoup aimé.

Je considère Bois-Saule comme un jeu profond, très riche et doté d'un énorme potentiel

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Réponse de Thomas :

Merci pour ce retour d'expérience !

Suivant les conseils de Xavier, je vais rajouter une table aléatoire de noms, en précisant que ce n’est pas le nom de naissance (celui-ci a sombré dans l'oubli). Qui connaît le nom de naissance d'une personne peut avoir du pouvoir sur elle, mais en le connaissant soi-même on regagne du pouvoir pour soi-même)

Mon retour après écoute :
Un épisode très étrange (la musique joue pour beaucoup). Le renard qui crache est flippant. A la demande de Léo, tu n’as pas fait d’exploration, et du coup vous êtes parvenus sur la scène avec la mort de la femme. Est-ce que ça correspondait à une introspection, ou à une péripétie, ou à une scène libre ?

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Réponse de Claude :

J'ai considéré que le renoncement à l'exploration, par crainte de rencontrer un horla, (aveu à posteriori de Xavier) menait à une forme d'introspection.
C'est l'échec d'une exploration que nous avons joué.
Xavier était très ému par la rencontre.
Lorsqu'il a entendu Gabriel évoquer SA partie de Bois-Saule à lui, il était très agacé. Je lui ai depuis expliqué que j'entendais mêler Bois-Saule Dégringolade et Les Brimbeux et il l'a accepté. Mais Bois-Saule demeure, pour lui, son truc à lui.
Je pense que Bois-Saule incite fortement à développer un jeu intime et lyrique.
Du moins c'est là mon ressenti.
La musique choisie répond à cette considération. Le minimalisme répétitif de Morton Feldman est tout indiqué.
Dans l'épisode suivant j'ai délaissé les procédures pour explorer un aspect laissé dans l'ombre des deux premiers et le lier aux Brimbeux.


Réponse de Thomas :

Je suis très heureux de constater le sentiment d'expérience intime et personnelle que ressent Xavier à jouer Bois-Saule. C'était le but :)

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Message par Pikathulhu »

AU PIED DU MUR

A Millevaux, bien heureu.x.se celui ou celle qui se connait réellement et parfois l'Oubli peut être salvateur. Suivez Duk-duk dans sa recherche de vérités. Un récit par JBFH.

Le jeu : Oriente, perdre ses repères en traversant la forêt de Millevaux

Avertissement : contenu sensible (détail après l'image)

Image
Galets-sigil, par Agathe Pons (libre de droits)

Contenu sensible :
disparition d'enfant


Le contexte :

Partie solo d'Oriente, premier contact avec ce jeu via l'application en ligne (super pratique d'ailleurs). J'ai basé la création de mon personnage sur le principe d'Inflorenza Minima, à savoir une rapide description, une Quête et deux Symboles.

Nous suivrons donc Duk-duk, forgeron méfiant, qui ne s’attache à rien ni à personne, il a le sentiment que cela est du à la perte de quelqu’un de très cher à son cœur mais qu’il a oublié. Ses symboles sont le couteau et la méfiance. Sa quête est de traverser un dédale de canyons et de gorges afin d’attendre la vallée de l’autre côté. Il paraît qu’on y trouve une source permettant de se souvenir d’un être oublié.

Pour Oriente, je n'ai défini que quelques caractéristiques : une frêle jeune femme toute crasseuse.


Histoire

Qu'est-ce qui vous fait penser qu'Oriente ne tient qu'à sa gueule ?
Elle cache une gourde d’eau sous sa cape, la saleté, je l’ai vu. La mienne est presque vide et elle reste très vague quand je lui demande combien de temps il nous reste à errer dans ses canyons poussiéreux. En plus elle marche vite, trop vite pour ma vieille carcasse , j’ai un mal de corniaud à suivre le rythme !

Qu'avez-vous promis à Oriente et pourquoi cela va être difficile ?
Elle dit qu’elle a l’habitude de guider les gens jusqu’à la source, qu’elle se fait payer en histoires et en souvenirs. Elle veut que je lui parle de la personne que j’ai oublié quand j’aurai bu à la source qui se trouve dans la vallée, à l’autre bout de cet enfer de pierres. Mais je ne suis pas sûr que cette histoire soit bonne à entendre, j’ai peur du machin sombre qu’elle cache dans mon esprit. Ce pèlerinage était peut-être une erreur après tout...

Oriente vous a proposé d'envoyer une personne naïve chasser un gibier imaginaire. Avez-vous accepté ?
A l’aube du deuxième jour de voyage nous avons rencontré une famille de nomades. Oriente a insisté pour que nous partagions un bol d’infusion avec eux. Elle a dit que c’était la coutume avec ces gens. Je n’en avais pas envie, déjà parce que je ne comprenais rien à ce qu’ils bavaient, mais aussi et surtout parce que je n’étais pas venu ici pour prendre le thé…
La pause s’est éternisé, j’ai dit à Oriente qu’il faudrait se remettre en route mais elle a voulu qu’on partage aussi un repas avec les autres. Mon ventre se tordait sous l’effet de la faim, je n’ai pas su refuser.
Elle a baragouiné quelques salamalec aux parents qui désignèrent un de leurs gamins, un petit pu-la-pisse d’à peine 10 ans. Elle lui a parlé dans l’oreille et le mioche fila à toute berzingue dans une petite gorge sombre non loin de là.
Quand je lui ai demandé ce qui se passait, elle a dit qu’elle avait demandé au gosse d’aller chasser la paline. « Qu’est ce que c’est que ça une paline ? » que je lui ai demandé, elle a dit que si le gamin revenait, je verrai. Moi j’ai jamais entendu parler de cette bête, l’Oriente elle cache quelque chose, c’est sûr !
Les parents, eux, ils avaient l’air de trouver ça bien que leur chiard il parte dans l’inconnu chercher un truc qu’existe peut-être même pas et qu’en plus on est pas sûr qu’il revienne.
Au bout d’une heure, toujours pas de gosse, Oriente a dit qu’on pouvait partir maintenant, c’était un peu duraille de décarrer sans avoir becqueter mais j’étais pas bien à l’aise avec ces gus, surtout après qu’Oriente leur ai filé une poupée de chiffon « en dédommagement » qu’elle m’a dit après. Putain d’gitans…

Vous rappelez-vous de votre destination ?
Que dieu ! Oui que je m’en souviens ! J’ai une sale boule dans le bide depuis des années, y a rien ni personne qui m’intéresse. Le gamin des nomades il est peut-être calanché à l’heure qu’il est, ben moi ça me fait rien. La vérité c’est que j’en ai vraiment rien à faire des autres. Et j’sais pas pourquoi. Mais je sais que ça a à voir avec quelqu’un que j’ai oublié, et je sais aussi que dans la vallée, à l’autre bout, y a une source qui peut me faire me souvenir. Si ça peut m’aider à comprendre, alors ça vaut bien d’user mes semelles dans ce merdier.

Qu'est-ce qui vous donne des frissons chez Oriente ?
Trois jours de caillasse et de poussière, tout se ressemble et elle a toujours l’air de savoir où elle va. C’est pas normal. Pis c’est quoi ces façons de filer des poupées parce qu’elle a merdé et que le moutard est peut-être crevé dans un fossé ? Elle a aussi une poupée pour moi, c’est ça ? Plutôt lui suriner la gueule et me retrouver tout seul dans ce foutu canyon que de lui tourner le dos !

Qu'avez-vous fait dans la fosse grotte que vous avez trouvée au fond de la forêt du canyon ?
On a passé la nuit dans un trou à rat à flanc de canyon, Oriente a dit que c’était plus sûr que les étoiles au dessus de notre tête, qu’au moins la roche elle nous écouterait pas. Moi ça m’allait bien, je voulais pas rester à découvert. J’ai mangé un peu de mes provisions, je fais gaffe d’en laisser pour les jours à venir, juste au cas où… L’autre elle a rien graillé, soit disant qu’elle en avait pas besoin, soit disant qu’on arriverait bientôt et qu’elle mangera là bas. Ouais, c’est ça.
Pendant la nuit, j’ai fini par m’endormir, en gardant mon schlass à la pogne, au cas où il lui viendrait des idées à l’autre sac d’os. A un moment j’ai été réveillé, pas longtemps après m’être endormi, par des bruits bizarres qui venaient du fond de la grotte et des parois, c’était comme si qu’il y avait des gens et du tonnerre, emprisonnés dans la pierre ou peut-être de l’autre côté, j’en sais rien. Oriente elle a dit que c’était juste « les autres », qu’ils passaient des fois pas loin mais qu’ils venaient jamais par ici. « C’est qui ces autres ? » que je lui ai demandé, elle a dit que ce qu’elle en savait, c’était un paiement qu’elle avait reçu d’un autre voyageur et qu’elle était pas prête à le partager. Sale bête. « Rien à battre de tes autres, demain on part tôt et j’espère pour toi qu’on arrive vraiment bientôt ! » que je lui ai gueulé dessus.

Laquelle des questions précédentes avez-vous oubliée ?
Cette carte a été passée.

Contre quel danger Oriente ne peut rien ? Pourriez-vous l'aider ?
Elle dit que je lui fait peur des fois. Que si je veux vraiment, elle peut me parler des autres. Moi j’en ai plus rien à faire de ces autres, je veux arriver et vite ! Je la menace et je lui dit que si je veux, je peux lui ouvrir la panse et que ses boyaux pourraient bien nourrir ses maudites palines. Ça la fait marrer. Elle dit qu’il faut pas que je m’inquiète, qu’on arrive bientôt. Elle, elle pouffe et moi j’ai le couteau qui me démange. « T’as pas bien conscience de qui j’suis ! » que je lui dis, et voilà pas qu’elle se démonte pas et qu’elle dit que de toute façon moi non plus, je sais pas qui je suis. Attend-voire gamine, ça va venir...

C'était quand la dernière fois que vous avez désobéi à Oriente ?
Un peu avant le levé du jour j’ai eu envie de pisser, elle m’a dit de faire ça dans la grotte. « Je suis pas un animal » que je lui ai dit et je suis sorti. Il faisait encore bien sombre, y avait pas un bruit, le ciel était dégagé et je pouvais enfin m’emplir le pif d’air frais. Et c’est en levant les yeux au ciel que je les ai vu. J’ai d’abords pensé que j’avais la berlue, pis en me frottant les yeux ça a rien arrangé du tout ! Les étoiles, elles bougeaient ! Ça filait dans tous les sens et j’étais même presque sûr de les entendre, un genre de bourdonnement lointain, comme si que des nuées d’abeilles invisibles les faisaient se balader à travers le ciel !
J’ai couru comme un dératé pour réveiller Oriente, quand elle a vu ma trogne de détraqué elle a commencé à se marrer. Et quand j’ai fini de lui expliquer, elle rigolait franchement en me disant que c’était les autres, qu’ils pouvaient contrôler les étoiles pour nous écouter. Là j’ai vu rouge, je lui ai balancé ma paluche en travers de sa sale tronche pour lui enlever son sourire à la con.

Que s'est-il passé quand Oriente vous a abandonné.e ?
Ça lui a pas plu que je la bouscule, mais au moins elle se marrait plus. Elle a fait mine de se lever pour se barrer alors je lui ai pris le bras pis je lui ai gueuler dessus qu’elle partira pas comme ça. Ben pour tout dire, je sais pas si je préférais pas quand elle se fendait la poire en fait. D’un coup elle faisait plus grande, plus forte, plus acérée, plus rocailleuse. Sa peau est devenue comme de la pierre, y a même des putains de plantes qui se sont mises à pousser entre les fissures et de l’eau coulait de ses mains. « Faut payer ta dette maintenant » qu’elle m’a dit. Moi, à moitié flippé, j’essaie de lui planter ma lame dans le bide mais ça rentre pas ! Vas y qu’elle me prend par la gorge et qu’elle me soulève du sol ! De dieu, elle avait une de ses forces la piote !
Moi j’essaie de gueuler, de lui mettre des coups de pieds, mais rien à faire, elle lâche rien. Elle me met la main sur la tête et y a sa flotte qui coule dans mes yeux et ma bouche. Et c’est là, à cet instant précis, que je me suis souvenu !
J’ai revu tout le sang et les corps, j’ai entendu les cris, les pleurs, les supplications. Toutes ces choses que j’avais faites. Oui, moi ! C’était ça ! Celui que j’avais oublié, c’était moi ! Je me suis souvenu de ce coup de fouet au palpitant quand la lame plonge dans le poitrail du gars d’en face. Cette force, cette puissance, à ce moment j’étais en vie ! Tuer, voilà ce qui me manquait !
En vérité, j’en ai pas profité longtemps. « Je prends ton histoire Duk-Duk, tu peux garder le reste ». Elle a fini par me lâcher la grappe et avant que je ne touche le sol, j’étais changé en pauvre caillou de mes deux.

Qui est mort pendant le voyage ?
Le Duk-duk qui est entré dans le canyon y a 3 jours a clamsé, pour sûr. Est-ce que c’était vraiment moi ? J’en mettrai pas ma main au feu…

Vous êtes à un carrefour décisif. Continuez-vous à suivre Oriente ?
J’ai plus tellement le choix maintenant. Me voilà comme un gland, une pauvre caillasse anonyme au milieu de ce putain de canyon, qui sait si toute cette fichue poussière n’est pas constituée d’autres voyageurs….

Note :
L’idée est venue au fil de la session de jouer le récit au pied du mur d’enceinte qui entoure Millevaux. Le mur étant une des parois du canyon. Duk-Duk entend d’ailleurs les patrouilles à l’extérieur lorsqu’il est dans la grotte et les étoiles qui bougent son en fait des drones de surveillance.
Oriente est une Horla, visiblement, et j’aime à penser qu’un jour elle aura suffisamment combler le canyon avec des petits cailloux/voyageu.rs.ses que Millevaux pourra passer par dessus le mur.
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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

NOTRE MÈRE LA TRUIE

Le groupe se serre les coudes à l'heure de la première vraie confrontation avec les Soubise.

Joué / écrit le 13/12/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
crédits : anonyme, domaine public

Contenu sensible : cruauté envers les animaux, violences domestiques, stigmatisation


Passage précédent :
8. La veillée
Un épisode entre le recueillement et la fureur, où les liens entre les exorcistes se resserrent sous la menace grandissante.


L'histoire :

Image
Truth Becomes Death, par Nadja, chef d'œuvre du drone musical pour un parcours alchimique absolu, du plus léger au plus lourd.

La soeur Jacqueline pétrissait la cire de la bougie entre ses doigts crochus. Elle pensait à la Bernadette. En fait, elle ne pensait plus qu'à elle, et ça la brûlait, ça la brûlait. Elle n'arrivait même plus à penser à prier le Vieux, tout ce qui lui venait était des prières païennes dédiées à la cuisinière.

Aussi participait-elle d'une oreille distraite au conseil de guerre réalisé dans la chambrée ce soir-là en compagnie de Champo.

Les ténèbres étaient visqueuses et le froid réduisait les os en bouillie. Dehors on n'entendait que le feulement du vent et des branches brisées venaient frapper les vitres.

Champo méditait : "C'est drôle... Le chapelet du Basile, avec ses noeuds de cordelette, ça m'a fait penser à un cordon ombilical...
- Comme votre cordée pour les enfants, renchérit la Soeur Jacqueline...
- C'est comme si le Basile était obsédé par un motif... Presque possédé par lui... ça devrait vous parler à vous, les exorcistes..."

La Soeur Marie-des-Eaux lâcha du lourd :
"Quel genre de prédateur faut-il craindre le plus en ce moment ?"
La Soeur Jacqueline ferma bien sa gueule.
"J'ai l'impression de ne plus reconnaître mon village, fit Champo. Il faut se méfier de tout, de tout le monde. En fait, je vais finir à me ranger à votre avis, Soeur Marie-des-Eaux : il y a quelque chose qui cloche avec les Soubise. Je me demande bien ce qu'y broyent.
- Et bien moi je vous le dis : le problème chez les Soubise, c'est leurs cochons.
- J'croyais qu'vous aimiez les bêtes.
- Peut-être, mais toutes les bêtes ne nous aiment pas. Et toutes ne sont pas des humbles créatures du Vieux, on dirait.
- Cela me rappelle, fit la Soeur Jacqueline, finalement ravie qu'on ait éludé le sujet de la sorcellerie, la parabole où Jésus-Cuit, rendu au coeur d'une forêt païenne, dut exorciser cet homme possédé par le démon Légion. Il dût fractionner l'esprit maléfique dans le corps de mille cochons qu'il fit précipiter du haut d'une falaise. Ainsi périt Légion avec la chute de tous ces porcs.
- Ainsi donc nous vîmes pour ce qui semblait être une non-affaire et nous voilà à affronter Légion en personne. Il va falloir beaucoup de travail. Champo, vous pouvez disposer, nous avons à prier.
- Alors je prierai aussi de mon côté."

(Ecouter la parabole du troupeau de porcs, Luc 8, 27-39 https://signe.retraitedanslaville.org/l ... -de-porcs)

Ce soir-là, la main du novice trembla sur le carnet mémographique, et quand il eut lâché son calame pour la troisème fois, la Soeur Jacqueline le prit en pitié et rédigea les pensées du jour à sa place. Ce faisant, elle ne pensait qu'à la Bernadette, elle se fit violence pour ne pas écrire son nom.

Et comme le novice était toujours à bout de forces, elle récita aussi l'Apocalypse à sa place, de sa voix douce faite pour l'amour et qui se retrouvait à énoncer les horreurs profératoires de cet évangile :

"Car une fois que l'Homme a festoyé du fruit pourri du Démon, le Démon a festoyé de l'Homme. Il a mangé son corps et le corps des bêtes et des choses qui étaient au service de l'Homme, et leur a donné son apparence. Et tous ses enfants, les mille et les mille démons, se sont répandus dans la forêt et dans les caches des Hommes. Et ils tourmentent les Hommes, ils les chassent, ils les mangent, et les pires d'entre eux les cajolent et les séduisent et leurs offrent de nouveaux fruits pourris."


Puis ce fut le caveau de la nuit, où la Soeur Marie-des-Eaux se débattait dans son sommeil comme dans une cage de chair meurtrie.

Il avait frôlé la mort sous les fléaux des paysans et c'est dans le fracas des os brisés et des chairs éclatées que la pulpe des souvenirs éclôt.

Les derniers souvenirs d'une enfance heureuse. La tête d'un lièvre émerge d'un terrier. L'enfant l'adopte et le baptise : Oreilles. L'animal se laisse apprivoiser. Accepte les panais et les tubercules. Il la suit partout en bondissant dans les fourrés. Il est gros et poilu et ils dorment ensemble le soir dans le campement, auprès du feu. Il frémit des narines et ses yeux noirs racontent beaucoup de choses, et il laisse des petites crottes rondes et sèches dans ses couvertures, cet idiot.

Il y a ce jour du grand départ. Dans la marmite accrochée au-dessus du feu, une odeur de chair et de vin cuit. La Marie, qui n'est pas encore la Marie-des-Eaux et encore moins la Soeur Marie-des-Eaux, se régale de la pitance, une viande qui fond sous la langue, des petits os qu'on suce avant de planter dans la terre.

Il demande à ses parents : "Il est où Oreilles ?
- Il fallait qu'on prenne des forces pour le grand départ. Oreilles, on vient de le manger."

Encore une nuit à se réveiller en sursaut, comme une apnée mal gérée.
La Soeur Jacqueline n'est plus là. Elle est allée rejoindre la Bernadette dans sa chambre. Cette nuit-là encore, elles commettent le péché.

Quand la doyenne rentra à nus pied dans le chambre à pas de loup, le novice s'en rendit bien compte. Il n'avait pas fermé l'oeil depuis.

Autant dire que le petit déjeuner fut des plus maussades. La Soeur Marie-des-Eaux ne toucha ni au vin chaud ni au Géromé qui coulait tout en odeur sur son assiette, une porcelaine naïve vendue par l'Oncle Mougeot. La Soeur Jacqueline engloutissait son dû sans mot dire.

"Vous faites toujours la tête", remarqua la Bernadette qui elle irradiait des chaleurs de cette nuit.
- ça ne vous regarde pas, répondit la Soeur Marie-des-Eaux
- Je sais ce qui vous tracasse, mais vous essayez d'y répondre par le déni et ça ne peut pas marcher. Un trauma oublié continue de nuire alors même que vous ne vous en souvenez plus. C'est comme une blessure guérie en surface mais infectée à l’intérieur. Il faudra me laisser regarder ça.
- Je n'ai que faire de vos auscultations et de votre charité.
- Ne m'en veuillez pas, et soyons amies, d'ailleurs de votre côté vous m'avez toujours apporté ce que je vous ai demandé, c'est que vous savez que je peux vous aider, et c'est ce que je vais faire. Si je ne peux vous toucher en personne, je vous aiderai dans vos projets d'exorcisme."

Elle transportait l'odeur du vin chaud, de la cannelle et des sudations d'amour. La Soeur Jacqueline ne sentait plus son corps.

Image
Sphere from the woods, par Empusae, de l'ambient ritualiste pour un parcours animiste dans la forêt des rêves perdus.

Elles sortirent par le bar pour aller faire leur tournée quotidienne des indigents. Vauthier les salua d'un coude levé au passage, avec son sourire de poivrot qui lui tordait la moustache et ses habits jaunes tous tachés aux manches. Il avait l'air de bien se marrer.

Dehors, c'est là, en grand, marqué au charbon de bois sur le mur de l'auberge.

Un dessin obscène dont on devinait tout de suite le destinataire.

Un malappris avait grossièrement dessiné une truie en cornette qui filait la quenouille.

"Les gens au village doivent penser qu'on devrait passer notre temps à coudre et à ravauder comme les autres moniales au couvent. Ils vont être déçus. Allez, assez brézaillé.", grinça la Soeur Marie des Eaux en balançant ses deux béquilles en avant.

La Soeur Jacqueline disait rien, elle avait le feu partout au-dedans d'elle, comme si des épines lui poussaient. Dans sa tête, c'était sûr, la truie qu'on représentait, c'était elle.

Alors qu'elles remontaient la grand-rue, elles trouvèrent le Nono Elie sur son tracteur tournant au ralenti comme un veau à l'agonie. Il couârait avec le Sibylle Henriquet et alpagua les nonnes au passage : "Vous savez pas quoi ? J'ai vu les cochons des Soubise. Ils se sont lâchés partout dans les Faignottes."

La Soeur Marie-des-Eaux fixa la doyenne, puis lui murmura :
"Là, il y a un coup à jouer. On va en savoir plus."

Elles redescendirent à l'auberge pour aller chercher Maurice. Au passage, Champo qui avait fini sa tournée de l'école, se proposa de les accompagner. Sur le pas de la porte, la Bernadette leur demanda ce qu'ils bassottaient, et quand elle apprit la nouvelle, elle leur fit :
"J'ai dit que je vous aiderai. Il faut que je vienne avec vous. Le Père Soubise était mon maître, alors je crois que vous dois bien ça."


Le novice insista pour qu'on le sangle à Maurice et que tout le monde pressa le pas : il s'agissait de prendre les Soubise de vitesse. Champo proposa de demander au Nono Elie de les charger sur le tracteur, mais cette option fut rejetée : hors de question de se faire conduire par l'un des pires cancaniers du village.

Bien sûr, hâter le pas dans la terre humectée de l'automne fut un calvaire. Le raccourci passait par le cimetière. Plusieurs croix étaient ornées de filaments de corde qui s'étaient prises dans les ferronneries durant la tempête de la nuit, ça faisait comme des bandeaux de prière accrochés aux sépultures, où comme des mousses prises dans les arbres : ornement ou parasite ?

Maurice était bien moins que motivé pour monter la côté boueuse, il renâclait comme toujours lorsqu'il était animé d'un mauvais pressentiment, il fallait s'y prendre à trois pour tirer sa longe, tandis que la Soeur Marie-des-Eaux lui sussurait tout ce qu'elle pouvait de rassurant à l'oreille.

Il y avait des branches partout en travers du sentier, que Champo devait écarter d'un bâton, et même des troncs tombés de la veille. Décidément, le village n'était qu'un ridicule îlot de civilisation au milieu de l'enfer vert.

"Dites, Feugnottes, ça veut pas dire sphaignes ?, demanda la Soeur Jacqueline.
- Si, répondit Champo. Les Feugnottes c'est de la tourbière. Et les cochons vont s'embourber si on les sort pas de là."

Déjà sur tout le chemin les bêtes avaient labouré la glaise de leurs sabots.

Quand ils achevèrent leur pénible ascension, la Bernadette s'exclama : "Il fait un vent à décorner les cocus !"

Aux Feugnottes, les arbres étaient plus rares, ce n'était plus que des conifères gras d'humidité qui plongeait leurs racines dans la mollesse du sol. La terre de sphaignes vertes, jaunes et rouges s'étendait entre les roches et les rus qui veinaient la tourbière. Des droséras géantes avaient englué des porcelets imprudents et entamaient lentement leur digestion.

Les cochons étaient bien là, pataugeant dans la masse noire et spongieuse de la tourbe. Certains s'enfonçait et leurs efforts pour s'en sortir ne faisaient qu'accélérer leur absorption. Qu'avaient-ils donc à fuire pour s'être ainsi réfugiés dans un tel endroit. Les autres étaient comme fous enragés, ils s'entredévoraient les oreilles et la queue.

La Soeur Jacqueline porta un mouchoir à sa bouche. Le troupeau schlinguait et la vue d'un tel péteuillot retournait les sens.

Champo fit tournoyer son lasso. Il avait en tête de capturer le meneur pour reconduire les autres à la ferme, mais ça semblait une tâche impossible : les porcs sont bien moins dociles que des vaches. Le novice se contentait d'observer, à l'affut du moindre indice pour comprendre Légion.

C'est alors que Madeleine Soubise arriva derrière eux, tout en bottes et en fichu, crottée des pieds à la tête. Le vent plaquait ses cheveux gras sur son front.
"Qu'est-ce que vous faites là ? Laissez-moi gérer ce problème ?
- Madeleine, on peut vous aider ! Il faut que vous nous expliquiez ce qui se passe !", lança le novice.

Il fallait bouâler pour se faire comprendre, entre la tornade et les hurlements des porcs.

"Vous ne pouvez rien faire pour moi, alors laissez-moi rentrer les cochons, sinon je vais me faire battre !
- Madeleine, hier vous m'avez demandé de vous emmener avec nous. J'ai refusé, mais en fait vous pouvez encore vous enfuir ! Nous allons rester ici, mais Champo vous conduira à travers la forêt !
- Je peux pas ! Je suis nouée ici !
- Comment ça ?
- Le Père Soubise il a un voult à mon effigie, et le voult il est contraint avec des liens ! Je ne peux pas m'enfuir !"

Les nonnes virent le visage de la Bernadette se figer. Elles surent alors que la cuisinière comprenait tout à fait ce qui était à l'oeuvre.

Un vent de panique souffla sur le troupeau et les porcs qui n'étaient pas encore les quatre pattes dans la tourbe s'égayèrent dans tous les sens, bousculant la Soeur Jacqueline et Champo au passage.

"Qu'est-ce que tu bassottes à couârer avec ceux-là, la Madeleine ?"

Le Fils Soubise (comprendre, le mari de Madeleine) était arrivé. Il était en cotte et en sabots, dans un tenue de fermier qui portait les salissures de toute une vie, il avait sa fourche. Le pire, c'est qu'il n'avait pas une tête de mauvaise bougre. Ses cheveux et ses sourcils noirs et frisés, sa bouille ronde et rouge lui donnaient un air de bon vivant. Malgré les rafales, on sentait sur lui une odeur de vache et de cochon qui vous flinguait les narines.

"C'est foutu, siffla la Soeur Marie-des-Eaux aux autres. Tout ce qu'on peut essayer de faire, c'est capturer un cochon pour l'examiner."

Champo, bien qu'endolori par sa chute, lança aussitôt un lasso sur le premier pourceau venu.

Le Fils Soubise sortit de son manteau un chapelet de patates pourries nouées entre elles par une cordelette, et percées de clous de girofle. Il les égraina et comme par effet de conséquence, les bestiaux commencèrent à se rattrouper autour de lui, bien qu'à contre-coeur.


Lexique :

Broyer : faire, fabriquer
Géromé : variante vosgienne du fromage de Munster.
Brézailler : rester oisif, lambiner, travailler mal ou lentement.
Bassotter : tourner en rond, avoir des gestes empesés ou maladroits
ru : petit ruisseau
schlinguer : puer
péteuillot : pétaudière, gadoue
boûaler : gueuler


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation + Agression (en cours)


Bilan :

Je sens que le côté littéraire prend le pas sur le côté rôliste. A mi-temps d'écriture, je n'ai encore pas du tout utilisé les procédures de l'Empreinte, ne faisant que des scènes en dehors des trois scènes type du jeu. Je n'ai fait qu'un tirage d'aide de jeu (Nervure) (un autre tirage, cette fois-ci d'Oriente, interviendra sur la fin de la session, suscitant la scène du cimetière). En revanche, j'ai exploité la règle d'Ecorce (un choc qui vous fait frôler la mort = un flachebacque) pour raconter un souvenir de la Soeur Marie-des-Eaux, le dit souvenir ayant été fabriqué il y a quelques temps en tirant le passé des personnages avec Session Zéro. Rajoutons évidemment la routine mémographique du soir, avec un extrait de l'Apocalypse de Millevaux. Mais j'ai surtout utilisé mes notes prises en cours de semaine, et fait tourner la logique interne des personnages. Qu'à cela ne tienne, l'aspect rôliste n'est pas une obligation, c'est avant tout une béquille, quand je peux m'en passer, je m'en passe.

Il faut également que je vous explique que mon écriture est assez lente. J'ai beau me dire que c'est un premier jet, je fais beaucoup de vérifications à la volée, sur le lexique vosgiens, ou sur la topographie des Voivres (je suis allé faire un tour sur Géoportail aujourd'hui), histoire de donner une épaisseur à la chose. Précaution qui serait superflue si on était sur une simple partie de jeu de rôle, où je fais volontiers des entorses à la vraisemblance pour aller plus vite ou pour les besoins de l'histoire.

Au final, à la fin de cette épisode, j'ai seulement commencé la scène d'agression ! J'ai juste lancé deux dés, donc on poursuivra le lancer de dés au début du feuilleton suivant...


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

À TROP TIRER SUR LA CORDE

... Quand tout le monde est noué ensemble, impossible de dévider la pelote sans révéler de troublants liens du destin.


Joué / écrit le 18/12/2019

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
crédits : Sam Rayner, cc-by-nc-nd, sur flickr

Contenu sensible : violence sur animaux, menace de violence sur enfant.


Passage précédent :
9. Notre Mère la Truie
Le groupe se serre les coudes à l’heure de la première vraie confrontation avec les Soubise.


Coupure à prévoir :
Même les exorcistes prennent des vacances. Il n'y aura pas de feuilleton durant les fêtes : merci de votre compréhension :)


L'histoire :

Image
Misanthropic Alchemy, par Ramesses, du stoner doom frontal et chimique pour bouillon de culture occulte !

La Soeur Marie-des-Eaux s'acharnait à vouloir défaire ses sangles au plus vite, de peur de manquer la bataille.

"T'es pas si fort que ton père !", lança la Bernadette en brandissant une croix faite de deux brindilles de coudrier en croix enduites de la cire de bougies de la Saint-Jean. De sa main gauche elle faisait le signe des cornes en direction du paysan.

"Fiche-moi la paix, la Bernadette. J'ai triangulé sur l'Hippolyte, alors si t'agis contre moi, tu l'auras sur la conscience."

Cette annonce stoppa net la cuisinière. C'était du sérieux.

"Et puis t'es pas si forte non plus. On le sent sur toi qu't'es partie triquer, t'as gaspillé ton énergie."

Il pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Elle jeta du sel béni autour d'elle et sur ses camarades, mais elle n'avait plus l'air d'y croire. Les cochons bouâlaient comme des pendus, et les plus valides d'entre eux couraient déjà se rattrouper autour du fils Soubise.

"ça me revient maintenant, gueula la Soeur Jacqueline à travers le vacarme de la tempête.
J'étais l'une d'entre eux. J'étais une servante de la Mère Truie avant d'être au couvent. Mais à l'époque, elle se nourrissait de luxure. Maintenant, elle se nourrit de violence. De la violence qu'on inflige et de la souffrance qu'on endure."

Le novice regarda la doyenne comme le Vieux aurait penché ses yeux sur Sodome et Gomorrhe un instant avant de les foudroyer.

Il s'était enfin désanglé, ou plutôt il s'était lourdement laissé tomber de Maurice, et quand il se releva avec son crucifix dans une main et son opinel dans l'autre, il semblait être davantage prêt à en découdre avec l'autre nonne qu'avec le sorcier.

La Soeur Jacqueline était ébranlée, ça se voyait tout ce que ça lui coûtait de faire un tel aveu.

Et le fils Soubise se régalait de ce spectacle.

"Ramène les bêtes, la Madeleine." Elle cacha son visage pour masquer sa désolation. Elle enleva le lasso de Champo du cou du cochon, et emporta ce dernier avec les autres, sans que le sherpa n'ose rien faire. Il pensait trop à Hippolyte, pris en otage dans ce duel magique.


Image
Ausserwelt, par Year of No Light, départ pour l'île des morts à bord d'un post-hardcore sans parole.

Le soir, le conseil de guerre était baigné dans la grisaille. Les vitres étaient dégoulinantes de pluie et on voyait à peine les ombres crochues des arbres derrière.

"Je dois vous avouer une chose, lança Champo. C'est moi qui ai lâché les cochons des Soubise. Je pensais que ça nous donnerait des billes.
- Il y a des cochons qui sont morts et l'opprobre est sur nous, tout ça pour rien, asséna la Soeur Marie-des-Eaux.
- Pas tout à fait pour rien, rectifia la Soeur Jacqueline. On a appris des choses.
- Pour sûr, on en a appris, grogna le novice. Mais on en reparlera en tant et en heure. Champo, quand tu es allé dans l'enclos des cochons, est-ce que tu as vu la mère truie ?
- J'ai surtout vu un sacré péteuillot.
- C'est là qu'il va falloir aller. C'est la mère truie qu'il faut voir, je le sais."


Champo ne demanda pas son reste pour prendre congé. La Soeur Jacqueline resta seule face au regard accusateur de la Soeur Marie-des-Eaux, à sa mâchoire tremblante, au crucifix sur son cache-oeil, absurdement incrusté dans un mandala.

"C'est vous qui m'avez formé à l'exorcisme. Comment avez-vous pu ?
- Qu'est-ce que j'y peux, boûala la Soeur Jacqueline. Qu'est-ce que j'y peux de ce passé ? J'ai cru que j'avais passé toute ma vie au couvent enfermée comme une dinde et voilà qu'un souvenir me revient et qu'y a eu un avant, et que cet avant s'est vécu sous l'emprise d'une créature du diable. Que je croyais juste être une sainte femme qui a parfois des pensées pécheresses et maintenant je découvre que je suis pas mieux que les daraus-darous ou les sotrés qui hantent les bois ! Qu'est-ce que j'y peux si l'enfer s'ouvre sous mes pieds !
- Il n'y a qu'une seule solution : il va falloir vous exorciser."


C'était hors de question de procéder dans la chambre de l'auberge que le novice jugeait trop souillé par l'influence de la Bernadette. En parler au père Houillon semblait une idée tout aussi malvenue. Et donc l'église leur était interdite.

Alors, sans en parler à Champo, elles sortirent en pleine nuit pour se rendre à la Chapelotte.

Quelque part, le novice fit preuve d'une grande confiance en cette doyenne corrompue puisqu'il la laissa le sangler sur Maurice et conduire leur convoi par les sentiers communaux en direction de la Grande Fosse.

Sur le trajet, sous le bombardement narquois de la pluie, il récita des versets de l'Apocalypse comme pour conjurer le mauvais sort :

"Que l'Homme reconnaisse ses erreurs et se prosterne devant le Nom du Très-Haut ! Que l'homme arrache sa chemise et la femme rejette ses bijoux. Qu'ils pleurent d'avoir détourné leur regard de la face de Dieu pour adorer le Veau d'Or. Qu'ils pleurent d'avoir mangé la manne qu'ils avaient eux-mêmes faite pousser avec l'aide du Démon, plutôt que de boire l'eau claire et les maigres fruits que Dieu leur offrait. Qu'ils pleurent d'avoir laissé le frère devenir un démon, et le démon devenir un frère. Qu'ils pleurent d'avoir sacrifié le Bouc Noir à de fausses idoles, car alors le Bouc Noir reviendra les hanter, il les prendra et forniquera avec eux et fera d'eux pires qu'un bouc et ils porteront en leur ventre son engeance fétide qui viendra se répandre sur la Terre."

C'est un Maurice transi qui les monta le long de la Grande Fosse, entre les quelques maisons sous les chênes d'où sortaient un peu de lueur. Et sous leurs pieds, à la lumière des fenêtres ou celle de la torche, on voyait s'épanouir, qui n'avait pas été là lors du retour de la veillée : des droséras géantes qui avaient essaimé depuis les Feugnottes.

Et quand elles arrivèrent, un sommet plus loin, au pied de la Chapelotte, elles seraient déjà à moitié mortes de pneumonie si elles avaient été de moins bonne constitution.

La Soeur Marie-des-Eaux dut crocheter la porte de la bâtisse pour les faire entrer, tandis que Maurice s'abreuvait à la fontaine. Le toit était éventré et c'était donc le déluge aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. La Soeur Jacqueline alluma un cercle de bougies autour d'elles. La Soeur Marie-des-Eaux enleva les mousses et les champignons qui avaient poussé sur le tabernacle. Elle en sortit le calice, et le remplit à la fontaine puis en bénit l'eau.

Tous les gestes de la Soeur Marie-des-Eaux étaient ceux d'un pantin prêt à s'effondrer. Il attacha aux bancs la Soeur Jacqueline avec la corde que leur avait offerte Basile : car en cas de crise démoniaque, le novice n'aurait pas la force de la contenir.

Puis elles prièrent ensemble :

"Très glorieux Prince des Armées Célestes, Saint-Michel Archange, défendez-nous dans le combat contre les principautés et les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans les airs. Venez en aide aux hommes que le Vieux a fait à son image et à sa ressemblance, et rachetés à si haut prix de la tyrannie du Démon. C'est vous que la Sainte Eglise vénère comme son gardien et son protecteur : vous à qui le Vieux a confié les âmes rachetées, pour les introduire dans la céleste félicité. Conjurez le Vieux de Paix pour qu'il écrase Satan sous nos pieds, afin de lui enlever tout pouvoir de retenir encore les hommes captifs, et de nuire à l'Eglise. Présentez au Très-Vieux nos prières, afin que, bien vite, descendent sur nous les miséricordes du Seigneur ; et saisissez-vous même l'antique Bouc Noir, qui n'est autre que le Diable ou Satan, pour le précipiter enchaîné dans les abîmes, en sorte qu'il ne puisse jamais séduire les Nations.

Au nom du Vieux, de son fils Jésus-Cuit, et de l'Esprit-Chou, Amen."

Au-dehors, la pluie avait tourné en tornade et ébranlait les murs fissurés de la Chapelotte. Maurice bouâlait à la mort. La Soeur Jacqueline était puisée des pieds à la tête, étant située juste sous le trou du toit.

Toutes deux pleuraient dans un acte de contrition réelle.

"Bénissez-moi mon Vieux car j'ai péché. J'ai fomonté le voeu de t'abandonner, Soeur Jacqueline, et pour tout dire de laisser tomber le voile. Et je vais me racheter en t'exorcisant et en allant affronter la Mère Truie au nom de la Sainte Eglise."

"Bénissez-moi mon Vieux car j'ai péché, sanglota la Soeur Jacqueline. J'ai forniqué avec la Mère Truie par le passé et j'ai forniqué avec la Bernadette par le présent. Je suis la plus pécheresse de mes brebis et je me racheter en endurant cet exorcisme, en rejetant la Bernadette et en allant affronter la Mère Truie au nom de la Sainte Eglise ! Soeur Marie, je m'en veux, je m'en veux tellement !

- Le Vieux t'absout si ton repentir est sincère. Maintenant tu sais pour m'avoir toi-même formé que dans ton cas un simple exorcisme ne suffit pas, et tu sais ce que je vais être obligée de faire.

- Je le sais. Procède ma Soeur."

A genoux, la Soeur Jacqueline écarta tunique, dévoilant ses seins lourds à la douche de la tornade alors que la Soeur Marie-des-Eaux s'approchait avec l'opinel.

Alors qu'il lui grava une croix sur la poitrine avec sa lame, elle hurla d'une façon qui ne l'avait jamais saisie de la sorte, ce fut d'abord un long cri de souffrance désarticulé qui poussa Maurice à défoncer la porte de la Chapelotte avec sa tête, puis un couinement visqueux qui lui venait d'outre-gorge.

Elle s'écroula les mains au sol. Son dos était agité de spasmes et la Soeur Marie-des-Eaux les soutint à la fois pour l'aider et pour prévenir toute tentative d'agression de sa part.

La doyenne hoquetait et éructait de plus en plus fort, et enfin elle vomit quelque chose sur le dallage.

Et c'était si hideux et contre-nature, que le sang de la Soeur Marie-des-Eaux n'en fit qu'un tour. Elle en oublia toute compassion à l'égard des créatures de Dieu et écrasa ce que la doyenne avait recraché à grand coup de tabernacle.

Ainsi donc, depuis tout ce temps, ce qui n'était maintenant plus qu'une masse de chair éclatée, ça avait vécu à l'intérieur de la Soeur Jacqueline.

Un foetus de porc aveugle et rempli de merde sous sa peau translucide.

La Soeur Marie-des-Eaux fit ce qu'il ne faisait jamais avec personne. Il prit la Soeur Jacqueline dans ses bras.

Dehors, Maurice brairait à n'en plus pouvoir.


Image
Lisieux, par Lisieux, du néo-folk, une guitare entêtante, un chant féminin vaporeux, la forêt qui se referme sur elle. Bienveillante... ou non ?

Dans la texture de la nuit à peine détricotée par cette presque-aube, Champo ne se repérait plus qu'au grondement du Ru Migaille gonflé par la crue. Il avait vu des lueurs danser par la porte de sa yourte, et il était sorti dans le péteuillot et avait remonté le Ru Migaille pour en savoir plus.

Et c'est sur les berges, en direction de l'Etang Lallemand qu'il la vit, au milieu des epicéas gluants. Elle était placée au centre d'un cercle de cailloux encadré par trois lanternes et la flotte du matin plaquait ses cheveux noirs et gris sur son visage. Elle avait des clous fichés dans les narines, les lobes des oreilles et sous les lèvres. Malgré ces ténèbres où le matin peinait à percer et où l'inondation perdait tous les sens, on percevait d'elle une forte odeur de plumes mouillées.

"Qui êtes-vous ?"
Elle avait une voix de gravier.
" Qui je suis n'a pas la moindre importance. Je suis venue pour vous parler.
- Qu'est-ce que vous m'voulez ?
- Je veux savoir ce que vous voulez aux Soubise."

Champo hésita. Il sentait qu'il avait affaire à forte partie, qu'il marchait sur des oeufs.

"Nous ne voulons pas de mal aux Soubise. Nous voulons les libérer, au contraire.
- Les libérer de quoi ?
- Pourquoi je vous le dirais ?
- Parce que vous n'êtes pas en position de négocier.
- Oh et puis vinrat... On veut les libérer de la Mère Truie.
- Vous n'êtes pas de taille à tuer la Mère Truie. Personne ne l'est.
- Qu'importe. On veut pas qu'elle meure. On veut qu'elle laisse les Soubise en paix, et puis le village avec ça.
- Entendu. Cela me paraît raisonnable. Nous ne vous entraverons pas.
- Mais vinrat, qui êtes-vous ?"

Elle n'était plus là.

Des feuilles mortes volaient dans les courants d'air.


"Pourquoi vous partez de l'auberge ? Je vous ai aidées !"
La Bernadette n'avait que la Soeur Jacqueline pour interlocutrice dans la cuisine. La Soeur Marie-des-Eaux était déjà partie atteler Maurice. Elle tenait le morceau de bois du confessionnal en pendentif dans sa main et l'approcha de la joue de la nonne.

La Soeur Jacqueline la repoussa doucement.

"Je vais te dire pourquoi nous partons, vraiment.
Tu aurais pu m'avoir. Il aurait suffi de le demander. Je me serais damnée pour toi.
Mais tu ne m'as pas demandé. Tu as préféré forcer ta chance. Alors c'est fini et je m'en vais.
- Mais tu vas souffrir le martyr. Ce que j'ai fait, je ne peux le défaire.
- Oui, je vais souffrir et ce sera ma pénitence. Et toi tu seras seule et ce sera la tienne."

La nonne tourna les talons trop vite pour voir que la cuisinière pleurait. Elle essuya ces lunettes et renifla.

Je t'ai demandé. C'est juste que je l'ai fait avec les seuls mots que je connaisse.


Champo était totalement déboussolé. Quand sa tournée des enfants passa devant l'auberge du Pont des Fées, il fit ce qu'il s'était toujours interdit. Il laissa les gamins encordés sur la place et alla à l'auberge prendre des nouvelles des nonnes et donner des siennes.

Il y avait sur cette grand-place, à côté de l'abri (qu'on appelait l'Abri d'Ici) tout rammoli par la moisissure et presque désossé par les tempêtes d'automne, un tas de choux pourris, la dernière récolte des Domange qui n'avait pas été une réussite.

Et quand Champo revint de sa rapide défection, il comprit qu'il avait laissé les gamins trop longtemps sous surveillance. Sous l'abri, il y avait l'Hippolyte Soubise et les filles et les garçons lui lançaient des choux pourris à la tête.

"Des choux pour les Soubise ! Des choux pour les Soubise ! Qui savent pas garder leurs cochons ! Qui ont des vaches folles ! Des choux pour les Soubise !"

Et le petit encaissait sans bouger, avec un visage tout rond autour de ses grands yeux et sous la crasse. Un visage qui exprimait toute la détresse du monde sans rien montrer pourtant. Un visage de plus en plus couvert de chou pourri.

Champo fit encore une chose qu'il n'avait jamais faite, il chopa deux gamins aux hasard, la Germaine Fournier et le Cyrille Chaudy, et il leur flanqua des taloches qui auraient assomé un yak.

En fait, le seul à ne pas pleurer ce matin-là, ce fut l'Hippolyte.


Lexique :

être parti(e) triquer : commettre l'acte sexuel (sens fort), vagabonder avec de mauvaises fréquentations (sens faible)
péteuillot : gadoue, pétaudière
darau-darou : loup-garou
puisé(e) : trempé(e)
ru : petit ruisseau.


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation + Agression
Acte IV - Introspection + Tentation


Bilan :

Un dixième épisode, mine de rien c'est symbolique. Déjà, j'ai la satisfaction d'être allé jusque là, mais aussi ça veut dire que j'ai fait un cinquième de mon projet de roman, ce que j'estime honorable (j'ai prévu de feuilletonner pendant un an, à voir si je fais d'autres coupures que celles des fêtes de fin d'année, et si oui si je les rattrappe, mais en gros on va tourner entre 45 et 50 épisodes). Je pense qu'on va en avoir facilement sous la pédale pour tout un roman (au vu des notes qui s'empilent déjà et de la profusion de systèmes et d'aides de jeu que je n'ai pas encore testés), donc c'est encourageant.

Lors de cette troisième scène d'agression, j'ai concédé très facilement la victoire à Soubise. Je me suis arrêté à un dé par personnage, craignant d'accumuler les empreintes. (Pour tout dire, initialement j'avais noté un dé de traumatisme pour l'aveu de Soeur Jacqueline, mais je l'ai finalement requalifié en dé de vocation, ce qui était acceptable aussi et m'évitait une empreinte automatique). Du côté de la menace, j'avais aussi trois dés, mais j'aurais pu monter jusqu'à 6. J'avais prévu de le faire en cas d'échec au jet de dé (m'autorisant une escalade, ce qui est possible avec L'Empreinte), mais je n'en ai pas besoin, totalisant un score de 8 contre un magnifique triple 1 pour les exorcistes...

Las ! Tout le monde chez les exorcistes est trop amoché pour s'entêter davantage et je veux en garder sous la pédale pour l'acte IV, qui s'annonce très dur, car j'ai prévu la défection de la Soeur Jacqueline lors de la scène d'agression. Le pronostic est noir : perte de personnages ou triomphe total de la Mère Truie.

Cette partie voit un petit retour des règles des Exorcistes, puisque j'ai calqué la marche à suivre pour l'exorcisme de la Soeur Jacqueline. Cette scène est d'ailleurs tout à fait inopinée, je ne l'avais pas prévu, mais suite à la révélation de la Soeur Jacqueline, il m'a paru normal 1) qu'il y ait une discussion avec la Soeur Marie-des-Eaux 2) que la seule solution envisageable soit l'exorcisme.

Tirage d'aide de jeu : Nervure (une fois) + Muses et Oracles (une fois)


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Modifications : une empreinte de la Soeur Jacqueline est guérie + une nouvelle empreinte pour Champo : allié des Corax.
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

SOUS LA DALLE

Pour cette suite de la campagne du Canal, Marchebranche se joue en MJ tournant ! L'occasion pour moi d'incarner un personnage lunaire et solaire à la fois. Avec un final sur un cliffhanger glaçant.

Le jeu : Marchebranche, aventures initiatiques dans un monde de forêts en clair-obscur.

Joué le 12/11/2016 à la convention RJDRA (Retour des jeux de rôles amateurs) à Paris, EPITA Kremlin-Bicêtre, dans la cadre de la Tournée Paris est Millevaux 4

Personnages : Bourgcorneille, Miel, Rougepertuis, Léo Dallajunglo, Rochefeuille

Cette partie s'insère dans la campagne ouverte du Monde du Canal.
Partie précédente : L'accouchement de l'hippocampe

Image
darkday, cc-by, sur flickr


L'histoire :

Port-têtard, un petit port abrité par une falaise d'une forêt de champignons géants qui progressent insensiblement.
La pluie monte de l'eau vers le ciel.
Cinq marchebranches en ont fait leur quartier général du moment et recueillent les quêtes en cours.
ll y a Bourgcorneille. Ce jeun homme de 18 ans au visage poupin, souriant et naïf, est un mage bûcheron qui a laissé méfiance et incrédulité au vestiaire. Il porte un collier en poterie amoureusement (et maladroitement) réalisé par Miel. Son bâton est terminé par une hache.

Miel, c'est un voyageur potier de 20 ans, qui tire son nom de sa douceur et de sa couleur de peau. Il mesure 1m60, il est trisomique, son regard est lunaire. Il porte une tenue de bure brune avec un oiseau de tissu jaune cousu sur sa bedaine rebondie. Son bâton en argile évoque un totem.

Rougepertuis est une voyageuse gastromancienne au grand coeur. Cette brune de taille moyenne porte une longue robe colorée de bohémienne, un grand manteau pour cacher certaines marques et tatouages, son bâton est orné de rubans et de grelots. Elle est attirée par l'inconnu, le différent, l'intéressant, l'intrigant.

Léo Dallajunglo est un homme-lion, poète itinérant à la force herculéenne. Il a toujours une tenue très apprêtée, avec une chemise bouffante, il prend soin de lui. Il très frustré de devoir faire des poèmes sans mémoire, il aime se renseigner. Il souffre d'une absence d'odorat, compensée par son compagnon, Noix cassée, un homme marcassin, et fait plus confiance à son nez qu'à ses propres yeux.

Rochefeuille est un homme-loup, sa robe gris marron se fond dans les paysages d'automne. Il est obsédé par l'odeur de châtaigne car il sent que cette odeur particulière a un lien avec son passé. Il aime grogner, il grogne beaucoup quand il s'exprime mais c'est un coeur tendre au fond. Son bâton issu d'un bois de chêne qui n'est pas taillé


Le premier à leur proposer une quête, c'est Pancrace, de la communauté de la forêt foudroyée. Sa communauté a subi une invasion de monstres, elle a trouvé refuge dans des ruines souterraines. Il veut que les marchebranches aillent à la forêt et découvrent ce qu'il est advenu de la communauté. Mais il les avertit qu'une tempête d'ivresse barre le passage. Il leur dit de le retrouver au grand lac artificiel

Le deuxième commanditaire, c'est Songe, un Bûcheron. Il dégage une odeur de rose, que distingue Léo, qui lui évoque une fiole contenant une boisson rose odorante qu'il a confié à Rougepertuis. Songe a trouvé des champignons et en a fait du ragout qu'il vient de finir. Il leur évoque le Champignhomme qui erre, et qui serait fait d'une substance que Léo peut sentir.

Le troisième commanditaire, c'est Mamy Célestia. Cette vieille aveugle ridée aux cheveux blancs est une oracle et une prophétesse d'une grande sagesse. Elle entend dans ses rêves un jeune enfant, Céléri, il serait capable de guérir des maux. Elle entend des cris et des pleurs, au Nord-est. De jeunes enfants, dont Céléri, terrorisés dans leur sommeil par des choses noires. Les enfants perdus de Port-Têtard. Il faut sauver les mômes pour sauver Port-Têtard. Mais il faudra passer par une eau tortueuse et retorse.

La quatrième commanditaire, c'est Chimère, un enfant : il recherche son doudou qui rassure. C'est un grand lapin, aux oreilles qui traînent par terre. Il pense qu'il l'a perdu dans la ville des nuages

La cinquième commanditaire, c'est Magnificat l'oie migratrice. En survolant le village des saveurs et des douceurs, elle l'a vu totalement déserté. Elle leur demande d'enquêter sur ce qui se passe. Popin (une oie dans un chaudron) va les accompagner.

Automne, la doyenne des Marchebranches, donne sa carte du monde du Canal à Rochefeuille. Elle leur dit de garder un oeil sur FortNoir.

Les marchebranches poussent vers l'est pour accomplir les quêtes situées dans cette zone. Miel est attiré par un bonbon qui pousse sur une tige. C'est évidemment une plante carnivore et il faut que les autres marchebranches le retiennent pour l'empêcher de se jeter dans la gueule du loup. Ils vont ensuite toujours garder une main serrée sur la corde qui entoure sa robe de bure, prêt à freiner ses élans les plus imprudents.

Les marchebranches canotent à travers la rivière tortueuse et le malais des langues retorses. Ils rencontrent un groupe de marchebranches pétris de noirceur, envoyés par le Seigneur Sorcier. Ils découvrent une armée de statue en cours d'éveil dans les marais, et rencontrent les blancs marcheurs. Avec des poupées et des miroires, ils empêchent l'armée de se réveiller.

Poursuivant leur poussée vers l'est, ils ont affaire à un sablomancien

Dans les forêts de l'est, sous la tempête d'ivresse (traverser cette tempête fut épique !), ils libèrent des otages de la cité de Castelblanc, dont leur reine, qui étaient en convoyage vers l'une des prisons du Seigneur Maléfique.

S'ensuit de longues discussions pour savoir s'il faut en priorité escorter la Reine de Castelblanc en lieu sûr ou explorer les ruines comme demandé par Pancrace. Finalement, ils confient la Reine à Automne et s'aventurent dans les ruines. Ils arrivent devant la dalle qui ferme l'accès à l'endroit où sont censés s'être réfugiés les personnes qui étaient sous la responsabilité de Pancrace.

Qu'a-t-il bien pu leur arriver ?

Les marchebranches oseront-ils ouvrir la dalle ?


Feuilles de personnage :

Bourgcorneille, mage, bûcheron, coeur
Note : blessure = grosse bosse (force physique, annule une intervention)
A déjà connu la noirceur
Niveau 1
Carte / Souvenir : Pape Inversé / avant j'étais passionné par l'énigme des horlas, je touchais au but, je vais aller à l'atelier des marionettes ensorcelées)
Compagnon lié : Gilbert, homme poisson chat maudit en convalescence

Miel, voyageur potier, âme

Rougepertuis, voyageuse, coeur
domaine prédi : gastromancienne
note : une blessure

Léo Dallajunglo
spectacle, force
blessure : infecté aux champignons
Carte : Archer à l'endroit
Souvenir : était le héraut du Grand Veneur
Spécialité : faire un tour qui redonne le moral
équipement lié : lyre
Compagnon lié : Soupir (petite fille)

Rochefeuille
voyage, pisteur, âme
Niveau 1
Carte : Le pape
Souvenir : Compagne perdue aux alentours de château-châtaigne
Spécialité : recherche de passage secret
Compagnon lié : Rouault, pigeon
Blessure champignon


Commentaires :

Défis :
+ Tester la possibilité de choisir un domaine de prédilection déconnecté de sa vocation (ainsi, Bourgcorneille est un mage bûcheron ! )
+ Tester le MJ tournant : le concept est relativement simple : chaque quête est associée à un MJ. Quand les marchebranches sont attelés à la quête de ce MJ, ce dernier ne peut pas jouer son personnage (celui-ci est missionné sur une autre quête). Quand on change de quête, on prend des nouvelles de son personnage : le MJ assigné à la quête sur lequel le personnage solitaire s'est engagé explique ce qui est arrivé au personnage et comment il a progressé dans sa quête.

Mise en jeu :
+ Toutes les tables aléatoires étaient à la disposition de l'équipe et j'ai expliqué en somme comment créer une quête, des figurants, des lieux, des péripéties. En général, les MJ ont eu peu recours à ces tables, préférant puiser dans leur imagination et s'inspirer du feeling général du jeu.
+ on avait tiré une entourloupe sur la mission du Champignomme
+ Grâce au mode MJ tournant, j'ai pu incarner un personnage, en l'occurence Miel. J'ai essayé d'interpréter un personnage avec un syndrome de Down. J'ai traité son handicap en lui donnant un comportement enfantin (ce qui explique que je me jette volontairement dans un piège, m'appuyant sur le reste de l'équipe pour me secourir), et j'ai considéré que son apparence, tout comme son comportement enfantin étaient aussi un avantage : il est d'une candeur désarmante, ce qui peut le rendre redoutable dans certaines situations sociales. J'espère avoir fait un traitement respectueux et vraisemblable, mais si j'ai fait des erreurs, je suis à votre écoute pour corriger le tir une prochaine fois.
+ On avait posé cinq quêtes, une par MJ. On n'a pas pu tout faire jouer, mais j'ai fait jouer les quêtes inachevées lors de la partie suivante : Mandala & Pains d'Epice

Debriefing :
Voici les péripéties que la joueuse de Rougepertuis avait prévues pour la quête du doudou perdu :
Péripéties
on y accédera depuis la ville qui flotte par un bateau particulier. Des enfants en sortent. Il faut boire une potion qui fait retomber en enfance. Plein d'enfants partout. Si on ressent la couleur de l'arc en ciel, on accède au paradis des doudous perdus.

Retour de la joueuse de Rougepertuis :
+ Les plus : payer une noirceur pour éviter de lancer le dé, la cohérence de l'univers, la carte à construire pour le monde persistant

Joueur de Bourgcorneille :
+ J'ai été monopolisé par le MJ tournant
+ Comment on gère les MJ débutants ?
+ Gestion du temps ? Comment accélérer le temps ? Il faut que sa mission soit pas trop complexe pour boucler avant la fin ?

Joueur de Rochefeuille :
+ Beaucoup aimé le jeu. Fait pas mal d'expérience de narration partagée. Ce qui m'a un peu gêné : carte des voyages et des qualités pas assez marqué en terme de différence. En faudrait-il moins ? Des plus généralistes ? Communiquer avec les esprit ? Détecter les esprits ?
+ Voir le vide de ceux qui ont trop oublié, c'est un peu trop flou et spécialisé en même temps.
+ Le temps de parole se distribue bien

Joueur de Léo :
+ Si on a trop de compagnons, on se retrouve avec un Scooby Gang

Joueur de Rochefeuille :
+ L'univers est très chouette
+ Pour créer une péripétie, il faut se poser des questions, du genre "Qu'est ce qui se passe si le jet est raté ?"
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Message par Pikathulhu »

DONNE-MOI UN NOM

Une partie-test du livre dont vous êtes le héros Millevaux avec une joueuse qui fouille et exploite toutes les issues potentielles de l’aventure. Préparez-vous au vertige des possibilités.

Joué le 27/09/2019

Le jeu : L'Auvergne de tous les dangers, un livre-aventure dans la forêt de Millevaux

Lire / télécharger le mp3

Crédits Jingle : Is, chanson "Reign of Incontestable Greatness", cc-by-nc, sur bandcamp

Image
Helen Haden, cc-by-nc, sur flickr.com
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LA FÊTE AUX ROGNONS

Un épisode tout en terroir, pour le meilleur et pour le pire. Et qui se termine par une question au public. Vos réponses orienteront le prochain épisode !

Joué / écrit le 13/01/2020

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
bemep, pierson.jerrylee, Sheena Long, cc-by-nc & Asa Hagström, cc-by & Ske, cc-by-sa & Claire Munier, par courtoisie

Contenu sensible : violence sur animaux.


Passage précédent :
10. À trop tirer sur la corde
... Quand tout le monde est noué ensemble, impossible de dévider la pelote sans révéler de troublants liens du destin.


L'histoire :

Image
The Pomegranate Cycle, par Textile Audio, un opéra intimiste et contemporain, série de vies croisées tragiques et quotidiennes, fragiles comme des biches, dont la nature est témoin.

30 de Serpente

Les nonnes ayant renoncé à l'hospitalité de la Jacqueline, et le retour au presbytère étant exclus, Champo se proposa de les héberger chez lui, au bord du Ru Migaille. Il avait une yourte uniquement meublée de tapis qui lui servait pour méditer, il leur attribua et les reçut pour déjeuner dans sa yourte principale. Elle n'était guère plus meublée, un poêle central, un buffet, deux bassines d'eaux et quelques vaisselles en bois et en terre cuite. Elle sentait l'encens et le vieil homme, et il y faisait trop chaud. Le sherpa n'avait que de la soupe d'orties et du pain sec comme trébeuillot à leur servir, cela régala le novice et dépita la doyenne.

"Les Fournier ont acheté des porcelets aux Soubise. Finalement, ils nous offrent une occasion de les observer sans se battre."

La ferme des Fournier était la plus grande et la plus neuve du village. Pour s'y rendre, il avait fallu remonter la Tranchée, la côte qui prolonge la grand-rue, toute bordée de sapins gluants qui avalent les dernières maisons qui constituent Les Voivres, les hameaux plus loin, n'étant après tout, par leur isolement, que des républiques indépendantes de deux ou trois familles qui n'obéissaient ni aux lois ni aux coutumes de la grand-rue.

Lors de leur ascension, les arbres leurs parurent innombrables. La Soeur Marie-des-Eaux poussait un râle à chaque fois que Maurice marchait sur une bosse ou enjambait une des racines qui bouffait le sentier. Mais des habitants des Voivres, point. Tout le monde restait cloîtré. Le petit groupe ne se sentait pas en manque de courage ou de savoir-faire pour affronter la menace en cours. Il était surtout en manque d'amis.

Des amis, pourtant ils en trouvèrent une à la ferme des Fournier. "Gare !", qu'on leur cria. C'était la Mélie Tieutieu, tout en fichu et en sabots, qui agitaient des bras pour qu'ils reculent. Dans un craquement de fin du monde, un sapin s'écroula sur le sentier. Ses branches battirent comme les ailes d'un oiseau géant, dans des parfums de résine et de sciure, et les corbeaux chassés de ses frondaisons s'envolèrent avec un cortège de cris. "Vinrat, pourquoi tu l'as fait tomber sur le sentier ?"
C'était l'un des frère Fournier, une armoire à glace avec le poil noir comme le cul du loup, qui engueulait l'autre.

Les exorcistes servirent comme prétexte à leur venue le motif de bénir la ferme, et la Mélie les fit entrer sans discussion. C'était l'heure de la traite, et les frères délaissèrent le bûcheronnage pour rentrer les vaches vosgiennes de la pâture. Un défilé de dos grêlés de blanc et de noir s'attroupa placidement dans le bâtiment. La Mélie, la mère des deux frères donc, pourtant hors d'âge, abattait autant de tâche qu'un ouvrier agricole. Des fois il lui arrivait bien de bassotter un peu, elle libérait une vache pour se rendre ensuite qu'elle n'avait pas été traite et la faire rentrer à nouveau. "Faire et défaire, c'est toujours travailler", disait-elle pour faire de ses erreurs une forme de gloire. Champo et la Jacqueline s'emparèrent chacun d'un seau et se dévouèrent pour aider à la traite, une tâche que la Soeur Marie-des-Eaux bouda. Les frères présentèrent leur ferme comme la plus moderne du village. Ils étaient les seuls en dehors du Nono Elie à posséder un tracteur ! Et encore ! Le tracteur du Nono Elie, c'est juste une antiquité du temps d'avant, il fonctionne juste par que le Nono Elie se rend pas compte qu'il est hors d'usage. Il tient debout par la volonté de l'Esprit Chou comme les mamelles de la Jacqueline tiennent dans son corsage ! Mais eux c'est pas pareil. Leur tracteur, ils l'ont fait construire par le cousin Gaston qui est une sorte d'inventeur fou, catégorie agricole. Il a monté des bombonnes d'alambic sur un chariot : c'est un tracteur à vapeur qui tire avec de l'alcool de patate ! Et puis surtout les Fournier voient large. Aux Voivres, c'est comme ailleurs, le peu de terre qui soit pas en forêt, c'est juste un péteuillot bon pour faire gambader les cochons. Ici, y'a pas de chevaux parce que l’herbe est tellement mauvaise que ça les faisait crever ! Mais les Fournier ils vont pas s'avouer vaincus. Et que ça va couper de l'arbre à tire-larigot et que ça va en dégager des hectares hardi petit à travers la broussaille !

Pour tout dire, les frères leur firent une drôle d'impression. Personne n'aime vraiment la forêt, après tout c'est un enfer sur terre envoyé pour faire expier les hommes, mais quelque part dans l'ambition des Fournier à la faire tomber, on sentait une forme d'orgueil pas très catholique.
Mais même la Soeur Marie-des-Eaux se fit violence pour masquer son dégoût, parce qu'ils avaient besoin de leur confiance : on voulait voir les porcelets.

Et justement l'occasion leur fut donnée, car les frères étaient heureux de faire bénir leur nouvel arrivage. Toute une bande de jeunes porcs de sept jours sortis du naissage des Soubise, déjà gras comme des papes. Alors que les soeurs récitaient des prières, l'aîné des Fournier s'empara d'un porcelet et l'autre s'approcha de son arrière-train avec un couteau.

"Qu'est-ce qu'ils font ?, s'indigna la Soeur Marie-des-Eaux
- Ben ils lui coupent les roubignolles. Sinon sa viande aura un goût de pisse de verrat., expliqua la Mélie Tieutieu. Tout le monde fait ça."
Le novice sortit son opinel mais la Soeur Jacqueline lui bloqua le poignet d'un geste ferme.
"On est là pour ouâr, par pour interférer."

Et en effet le frère lui attrappa les rognons. La bête se débattait et criait comme un enfant, mais rien à faire, l'aîné était bien trop costaud. Et shlarc ! dans la douleur et dans le sang le petit cochon fut débarassé de ses bourses. L'aîné le jeta tout tremblant dans la paille et empoigna le suivant et toute la bande y passa pour être ensuite repoussée vers leur soue.

Ils repartirent dépités. Il n'y avait rien de vraiment intéressant à apprendre sur ces cochons. Juste que ces porcelets, et les truies achetées avec eux pour finir l'allaitement, étaient étonnamment gras au vu des maigres ressources naturelles et de l'incurie des Soubise. Et qu'ils étaient condamnés à une vie de souffrance qui s'achéverait tôt en jambon fumé, en pâté lorrain et en fromage de tête.

"Si c'est un horla, si c'est comme la statue du Jésus-Cuit, alors ça se nourrit de quelque chose et c'est tout le noeud de l'histoire. Soeur Jacqueline, vous dites qu'elle se nourrit de violence. Il faut qu'on comprenne mieux son fonctionnement. "

Image
Wandervogel des Waldes, par Lord Lovidicus, du dungeon-synth aux accents de folk médiéval, patient, nostalgique et atmosphérique.

A redescendre la Tranchée, les environs bruissaient de mille chutes de gouttes d'eau tombées des aiguilles, reliquats des pluies passées. Champo tendit une carte de tarot, le bras bien haut pour que le novice puisse le voir, sanglé comme il était sur le dos de Maurice. La carton était comme bouilli à force d'usage, c'était un jeu de tarot divinatoire réalisé par l'imagerie d'Epinal, à en juger le style de dessin à la fois naïf et précis. Cette carte de la Force représentait un homme levant une grosse branche au-dessus de sa tête en guise de gourdin, prêt à l'abattre sur une bête devant lui.

"J'ai fait inscrire un souvenir dans cette carte. ça m'a coûté cher et c'est à peu près le seul objet de luxe que je possède, mais ça en valait la peine. Quand j'étais enfant, j'avais un patou, un chien de berger capable de tenir tête à des loups. Il connaissait aussi les chemins montagnards mieux que moi-même et a pour ainsi dire fait tout le travail de berger à ma place, en plus de me protéger et d'être mon meilleur ami. Sa dévotion lui a joué un mauvais tour, puisqu'il s'est sacrifié pour me sauver d'un grand danger.
- Je ne comprends pas pourquoi vous avez inscrit ce souvenir dans la carte de la Force.
- Parce que je veux avant tout me rappeler que les animaux sont innocents. Ils nous sont dévoués, ils nous aiment et ils se sacrifient pour nous. Et nous nous montrons ingrats. J'ai choisi cette carte parce que je ne veux pas être comme cet homme. A chaque fois que je serre la carte contre moi, j'ai une revoyotte de mon patou. Et ça me sert à me dicter une ligne de conduite. Mais les gens du village ne sont pas comme ça. Ce sont des braves gens, mais ils n'ont pas compris la leçon de vie que nous enseigne la perte d'un animal cher. Ils prennent les bêtes pour des choses, pour des biens. C'est ça que la Mère Truie exploite. Elle se sert du village pour cultiver la violence dont elle se nourrit, et elle se sert de ses propres enfants pour être les objets de cette violence."
Alors la Soeur Marie-des-Eaux comprit qu'elle partageait avec Champo bien plus qu'un sentier.


C'est de retour à la grand-rue qu'ils croisèrent le curé Houillon en pleine couârie avec le père Domange : "Pendant l’octave de la Saint-Rémi, il ne faut mettre poule à couver, ni semer graine quelconque aux champs : tout germe périt, toute semence est vaine. Alors, il ne vous reste qu'aujourd'hui et demain pour vos semailles, après il sera trop tard." Ils voulurent faire profil bas, mais impossible d'être discrets. Le curé Houillon alpagua les soeurs : "Suivez-moi au presbytère, il faut qu'on parle."

Elles laissèrent Champo et l'accompagnèrent : c'eut été trop conflictuel de refuser cette entrevue au prêtre.

Mais à l'entrée du presbytère, le père Houillon marqua un temps d'arrêt. Deux cordes étaient tirées en travers, tenues par des arçeaux plantés dans le mur, et formaient une croix de Jésus-cuit. Le prêtre devint écarlate : "Par l'Esprit Chou ! Qui est le petit plaisantin qui fait ça ! C'est encore une farce du Cyrille Chaudy ! Je ne sais même pas pourquoi je le garde comme enfant de choeur, il a le diable au corps !"


Lexique :

Sec comme trébeuillot : sec, dur
Bassotter : mal travailler, tourner en rond
A tire-larigot : à toute vitesse
Hardi petit : à toute vitesse
ouâr : voir

Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation + Agression
Acte IV - Introspection + Tentation


Bilan :

Je devais reprendre la rédaction du roman-feuilleton la semaine dernière, mais j'ai consacré ma session d'écriture à réaliser un photomontage pour la couverture du roman, que vous pouvez admirer dans ce présent épisode.

Durant ce hiatus de trois semaines, les idées se sont accumulées. J'ai maintenant une série d'événements bien planifiée d'un côté, et une autre série d'évènements moins connectés à l'intrigue principale. J'ai ordonné la première dans l'ordre chronologique désiré, mais cela commence un peu trop à ressembler à un plan de roman à mon goût : pour tout dire j'ai tellement de scènes à expédier avant la dernière phase de jeu (l'agression de l'acte IV) que je sais d'avance ne pas y arriver au cours de cette session, qui ne sera donc pas à proprement parler une partie de l'Empreinte (aucun mécanisme du jeu ne sera utilisé). C'est pour cela que j'ai transformé la liste d'événements connexes en table aléatoire : je vais m'astreindre à faire des tirages réguliers dessus, en espérant que ça ramène de l'imprévu et un côté un peu plus jeu de rôle.

Durant mes vacances, j'ai aussi commencé la lecture de quelques romans du terroir ou de SF rurale. Je gage que ça va forcément m'inspirer et augmenter la qualité de mon écriture.
Lecture terminée : Ravage, de Barjavel
Lecture en cours : Les Cailloux Bleus, de Christian Signol + Journal d'un curé de campagne, de Georges Bernanos

J'ai consacré quelques temps à retracer le fil du temps au cours de ce roman. Il a commencé le 23 Serpente et cet épisode 11, si j'ai bien fait le compte, commence le 29 Serpente (oui, la vie de nos exorcistes est bien chargée). Je vais tâcher de garder ce calendrier à jour désormais.

Aides de jeu utilisées :
Table des détails forestiers
Nervure
Oriente
Table aléatoire d'évènements (plusieurs fois)
Historique de Champo initialement tiré avec Session Zéro.


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Modifications : aucune


Question au public :

Dans l'optique de rendre ce roman-feuilleton plus interactif, et donc plus rôliste, je vais vous poser une question à la fin de chaque nouveau feuilleton, et je tâcherai de tenir compte au mieux de vos réponses dans le feuilleton suivant.

Voici la première question :

Que vont faire les exorcistes pour trouver un moyen de lutte contre la Mère Truie ?
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LES CŒURS SECS

Suite de la campagne Les Brimbeux, accompagné d’un très beau poème épique. Un enregistrement de partie par Claude Féry.

Le jeu : Dégringolade, un jeu de rôle Millevaux pour accepter l’oubli comme condition essentielle au bonheur, par Claude Féry

Tu se moques, poème de préparation

Lire / télécharger la partie enregistrée

Image
foundin_a_attic, cc-by, sur flickr.com


Voici le témoignage audio de l'épisode 8.2 de notre campagne Les Brimbeux rebaptisé finalement Les cœurs secs.
Après ma préparation non préparation j'ai proposé aux garçons d'utiliser les procédures de Bois-Saule pour déterminer le cadre de l'épisode.
Il ont lancé les dés. Je leur ai communiqué les résultats et leur proposé de jouer en transparence et d'intégrer ces résultats à l'interprétation.
J'ai utilisé tous les éléments obtenus excepté l'élément forestier, la buse.
J'ai aussi oublié l'Almanach.
Nous ne disposions que d'une heure en tout pour jouer (intempéries conjuguées aux lignes sncf et grosse facherie de ma part envers Gabriel qui a cassé le bouton marche arrêt de mon zoom et qui a cherché à le dissimuler...)
J'ai joué vite en totale improvisation en utilisant la musique retenue pour l'atmosphère.
Cela leur a plu. La dernière scène a fait peur à Xavier.
Attention aux fréquences aiguës
Ça déplace la poussière !
Bonne écoute !


Thomas, retour après écoute :

A. Tu décris la tempête d’égrégore qui réveille les souffrances morales des PJ mais tu annonces dans la foulée qu’ils montent un refuge : peut-être aurais-tu pu leur laisser avant l’occasion de jouer l’impact. Le souci du monologue de MJ est qu’on a l’impression que les PJ sont indifférents à ce qui se passe.

B. J’ai l’impression que le perso de Gabriel, fanatique communiste, est un miroir inversé de son perso de Charogne, victime du communiste


Réponse de Claude :

A. Le souci est que j'accapare trop la parole. Effectivement.

B. Gabriel est en plein questionnement personnel sur ces notions. Il monte une radio fictive avec trois élèves de Beauvais et un professeur d'histoire qu'il a débauché pour présenter les idées des mouvements communistes initiaux et anarchistes du point de vue de leurs auteurs et en les dépoussiérant des clichés.
Il a passé une heure à créer son personnage et des heures à en penser l'interprétation.
De fait, j'ai plutôt écrit l'histoire de Charogne pour lui offrir un espace de dialogue apaisé, même si pour autant il n'est pas devenu un communiste, mais plutôt un anarchiste pratiquant.
Nous avons de très longues discussions sur les théories du dix-neuvième et les échecs successifs de leurs tentatives de mise en oeuvre. Aussi pour tester mon idée de jeu de méditation sur la mort et la finitude, l'un de ces échecs s'est imposé à mon esprit comme le bon moyen de mobiliser sa créativité et d'interroger en retour ses questionnements.
Il regrette son interprétation des deux dernières parties. Il souhaite jouer en performance son personnage. Mais la fatigue cumulée a constitué un obstacle majeur. Et pour la dernière partie, il y avait l'histoire de l'enregistreur endommagé et caché derrière un fouillis de mensonges.
En bref, je considère que Herrman a encore beaucoup à nous offrir. Nous n'avons pas pu jouer dimanche, Mathieu, devant finir de coder son site pour son DUT, (site qui à terme pourra accueillir Millevaux) et au-delà de la préparation non préparation que je t'ai transmise, j'avais prévu de limiter mon intervention. J'ai recensé les questions laissées en suspens pour qu'elles deviennent le moteur de notre prochaine partie, en limitant drastiquement mes interventions. Dans la même veine, j'ai relu la feuille de personnage de Xavier pour Bois-Saule avec l'idée pour ce quatrième épisode de jouer les points délaissés : son destin funeste, sa quête et jouer l'impact de sa question.


Réponse de Thomas :

A. Je ne suis pas forcément le mieux placé pour dire comment redonner la parole aux joueuses (étant moi-même un MJ assez bavard), mais je peux risquer quelques pistes, en plus de celles que tu avances déjà :
+ Cesser de décrire les actions des PJ et plutôt demander "que faites-vous" ?
+ Plutôt que de décider soi-même d'une ellipse qui implique qu'on décrive alors les actions des PJ entretemps, demander la permission de faire une ellipse, et demander ce que les PJ ont fait entretemps.
+ A la fin de la séance, demander quels sont les projets des PJ ou des joueurs, centrer la séance suivante sur ceux-ci plutôt que sur des adversités extérieures aux PJ.

C. Accueillir les contenus Millevaux de la famille Féry sur un site serait une bonne initiative, plus pérenne que MeWe :) [Note de janvier 2020 : cette conversation est un peu obsolète, depuis la création du Discord Millevaux]


Claude :

A merci pour ces pistes pertinentes
Autrefois je posais effectivement la question en fin de session

C Mathieu y travaille
Je peux d'ores et déjà porter du texte et des images en ligne
C'est son uv du semestre doc il y travaille sérieusement et régulièrement


Thomas :

D. Je viens de finir de lire la préparation "Tu se moques", désolé d'avoir manqué de temps pour le faire plus tôt. C'est vraiment un très beau texte. J'ignore si tu as l'occasion de l'exploiter autrement que sous forme d'un brouillard d'idée, mais quoi qu'il en soit sa valait la peine.


Claude :

D. Je n'avais que très partiellement utilisé cette préparation dans l'épisode les coeurs-secs aussi l'ai-je ré écrite pour les sessions suivantes en ôtant certains éléments trop distants de notre histoire (l'emprunt à Vermine 2047). Je n'avais utilisé que des fractions du poème dans la bouche de Serge-Claude ou de Ernst. J'ai bien l'intention d'en utiliser un peu plus dans les suivantes, notamment les deux derniers textes. J'ai rebaptisé la préparation non préparation Couleur des Morts.


Épisodes précédents de la campagne des Brimbeux :

* : partie enregistrée
** : partie enregistrée, sans compte-rendu écrit

1. Les Brimbeux*
Premier test du jeu par Claude, Gabriel et Mathieu Féry. Création de personnages et menues péripéties autour d’un cadenas mémoriel et d’une crête de punk.

2. Trouille *
Suite de la campagne menée dans les hortillonnages normands, une petite Venise maraîchère hantée par de dangereux horlas à tête de courge. Avec un test de « pas de côté » sur la prise de narration lors des jets de dés.

3. Le voleur de gidouille *
Une partie toute en narration, avec d’étranges rencontres et d’étranges reliques.

4. Que meure la bête **
Une séance entière de planque pour échapper au monstrueux propriétaire de la gidouille.

5. Mala **
Une partie des plus étranges au cœur de la forêt hantée par un horla, sans presque aucun jet de dés.

6. Je suis un Caillou *
Quand l'égrégore permet toute la puissance d'une chanson. Suite de la campagne des Brimbeux avec un détour mécanique par le jeu de rôle Sève !

7. Écoute **
Un épisode marécageux en quête de nourriture et d’un copain disparu. Une partie rythmée par une scansion hallucinée tirée d’une fiction audio de Carine Lacroix.


8. Kipande, les Galeux *
Un interlude à la campagne des Brimbeux, joué avec Sève, l’occasion d’un périple en barque ronde sur les terres inondées des hortillons, avec un accent toujours plus mis sur la mise en scène et la narration.

9. Samaël *
Alors que la terre est de plus en plus soumise au déluge, un jeune vacher rejoint le groupe des brimbeux.

10. Alphonse *
Alternance de paysages et de rencontres étranges, et interrogation sur le jeu descriptif VS les émotions des personnages.

11. Rouge *
Une exploration de la forêt du dessous.

12. Marie *
Suite des pérégrinations des petits brimbeux dans la forêt du dessous, avec la rencontre de ses étranges habitants… et d’une femme astronaute. La collecte des noix pour les futurs rêves a commencé.

13. Le Crafougna **
Une exploration de la forêt du dessous qui se solde avec la rencontre d'un croquemitaine issu de cauchemars enfantins... et un choix difficile.

14. Aux jours d'hier, la ronde de l'ou li **
Les personnages, devenus mémographes vont rencontrer une vieille femme qui confond les différents personnages incarnés par la même personne et affronter une tempête d'égrégore.
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

TAROT VORTEX

Un séjour à la Cathédrale de Rince-Gosier apporte son lot de mystères et d'atroces révélations cosmiques. Un récit par Trickytophe.


Le jeu : Millevaux, ère forestière, par Tricktytophe (une pincée de tradi, un zeste d'impro et un soupçon de narration partagée pour cette exploration personnelle de Millevaux)

Compte-rendu de la quatrième séance de Millevaux, ère forestière

Partie précédente :
La communauté écarlate

Image
Ioreth_ni_Balor, cc-by-nc-nd, sur flickr.com


L'histoire :

Les personnages décident de trouver un endroit où loger à Rince-gosier. On leur conseille l’Ark-en-ciel, une auberge relais. Devant l’établissement, Zora repère le traineau de Gared et décide de le saboter. Malheureusement, elle se fait choper et doit s’enfuir.

Erwan aperçoit dans les badauds qui se rassemblent une vieille connaissance, Albar le soiffard. Derrière ses airs de brute avinée, Albar cache un esprit affuté. De plus, il a roulé sa bosse à travers Millevaux.

Alors que Zora est revenue à l’auberge déguisée pour passée inaperçue, le groupe s’attable avec Albar et partage quelques nouvelles. Albar leur en dit un peu plus sur les mystères de la communauté et des environs :

- Rince-gosier a été fondée par un étranger, le Docteur Zurich. On raconte qu’il vient d’une contrée non touchée par l’enfer vert. C’est l’homme que les personnages ont aperçu en train de discourir face à la foule lors de leur arrivée.

- Zurich disposerait dans son palais (l’ancienne cathédrale) d’une technologie merveilleuse (perpétuelle, immortelle ?) issue des légendes contées par les rhapsodes, son étrange crête métallique en autre.

- Il paraitrait qu’il peut voir le passé du monde et qu’il serait également un oracle. Il est possible de le rencontrer si on a de la chance.

- Jean-Baptiste demande Albar s’il a entendu parler du Dieu sacrifié. Étonnamment, Albar répond que oui. Le vieux bourlingueur raconte qu’à Métro erre un arpenteur des souterrains nommé Rick. Il s’agit d’un vieil homme à la peau noire qui connaitrait l’immense cité troglodyte comme sa poche. Albar a eu l’occasion de partager son bivouac. Rick lui aurait raconté d’étranges histoires à propos de catacombes infinies au centre desquels se trouverait une tombe de pierre marquée du sceau saint du Dieu sacrifié. C’est comme cela qu’Albar connait le nom de cette divinité et un peu de son credo. A l’évocation de Rick, Jean-Baptiste a une vision d’un homme qui court parmi des tunnels d’ossements.

- Concernant le Ronge-rage ou la Communauté écarlate, Albar reste plus évasif. Il s’agit pour lui de choses qui existent, de créations issues des bizarreries sans fin de Millevaux. Cependant, Albar s’est juré de voir Rest (de fait, j’en garde sous le pied pour d’autres séances ou groupe). Il confirme qu’un mur existe car il l’a l’a vu également mais vers le Sud. Comme beaucoup, Albar parle de la fin du monde connu et des cartes.


Les personnages décident de tenter leur chance pour rencontrer le mystérieux docteur Zurich. Dans la file d’attente face aux portes du palais, le groupe est interpellé par une inquiétante vieille diseuse de bonne aventure. La vieillarde édentée et sale brandit un jeu de tarot comme neuf, aux lames dorées. Elle insiste pour que les personnages acceptent de se faire tirer les cartes. Seule Zora, curieuse, accepte alors que Jean-Baptiste et Erwan se sentent très mal à l’aise face à l’ermite.


Zora tire les cartes du Fanal (pour le présent, lame positive liée à la révélation qui peut aussi comporter son lot de souffrances) et du Choix (pour le futur, lame évolutive liée à l’élévation qui passe par une décision importante voire une quête spirituelle). La mercanti remarque après son tirage que le bout de ses doigts sont pailletés d’or et qu’elle se sent légèrement nauséeuse. La vieille femme disparait entre les cahutes avec un mauvais sourire aux lèvres.

Pour rencontrer Zurich, il faut piocher dans un sac opaque une bille rouge. Ce sont les terribles Jeannes, la garde d’élite du docteur qui se charge du passage. Bizarrement, à la suite, les trois compères piochent une bille rouge parmi la multitude de noires.

Sous le regard véhément des autres quêteurs, ils pénètrent dans le palais. L’intérieur de l’ancienne cathédrale est devenu un immense laboratoire. Il contient mille et unes merveilles incompréhensibles, une technologie issue d’un temps lointain et oublié. Le docteur Zurich est très intimidant d’autant qu’il semblait attendre la troupe. La rencontre est étrange comme située en plein rêve.

Zurich confirme qu’il vient de Suisse, un ancien pays de l’ancien monde qui a résisté grâce à la science à la catastrophe Millevaux. D’autres survivants comme lui y vivent et y résistent contre les horreurs de Millevaux qui chaque jour essaient de les éradiquer. Le docteur sait que le groupe s’y rendra, qu’ils ont des passages de relais. Zurich leur dit qu’ils marquent sa fin et le début d’autre chose. Il a créé les Jeannes mais le destin a appelé les personnages.

Soudain, Zora est prise de vomissements. Elle s’écroule au sol et s’agite. Une lumière noire et froide émane de ses mains. Son ventre laisse place à un vortex chaotique où l’on aperçoit la profondeur abyssale du cosmos. Des choses horribles y rampent et s’en extirpent. Trois vers géants au corps bouillonnant car en perpétuelle mutation. Des horreurs indicibles dont la vue fait basculer l’esprit des personnages. Les créatures d’au-delà les étoiles ouvrent des gueules de vide et se jettent sur Zurich. Le docteur s’empare d’une arme délivrant des rayons de feu alors que les personnages aux portes de la folie tentent de faire barrage. Zora malgré les ravages subis s’oppose courageusement à la horde tout en pensant que sa vie s’éteint.

L’affrontement est aussi désespéré qu’épique. Un à un, malgré l’arrivée des Jeannes, les personnages tombent face aux vers capables de traverser le temps et l’espace. Pourtant, ils ont réussi à repousser deux d’entre eux. Le dernier engloutira malheureusement le docteur avant de disparaitre dans une nova de ténèbres et de glace. Le calme revient sur la scène qui ne semble avoir été qu’un terrible cauchemar comme si l’esprit tentait d’oublier l’insoutenable et l’impensable incarnés par ces choses !

Zurich est mort ! Les Jeannes témoignent que les personnages ont tenté de le sauver. L’ancienne garde va reprendre les rênes de Rince-gosier. Le groupe est désemparé. Les personnages flottent dans l’hébétement et assistent aux derniers événements comme des marionnettes (ce qu’ils sont peut-être…).

Ils reprennent conscience alors que leurs pas les guident vers Métro.


Envers du décor :

Une séance forte en émotion et en adrénaline !

Je voulais une scène dantesque auprès de Zurich avec une révélation autour de la menace indicible qui plane sur Millevaux et le monde. Je pense avoir réussi mon effet. Mes joueurs ne savaient plus quoi penser.

J’avais aussi l’idée de l’attaque des vers et du tirage de cartes avant la partie. J’ai utilisé de manière très simplifiée le tarot dit « L’Oracle de l’Ultime Vérité » de Jaap de Boer (un outil que j’aime beaucoup pour son graphisme et sa conception). Bref, comme souvent lors de mes maitrises, j’ai mélangé les approches et les médias.

Au final, cette partie a été largement improvisée. Albar a été créé par Philippe, le joueur d’Erwan. La vieille femme m’est venue dans l’instant. Avant la séance, je ne savais pas où exactement j’allais caler une scène de cartomancie. J’ai aimé lier le tirage via Zora à l’arrivée des vers même si cela n’était pas mon idée initiale.

J’aurais pas mal de choses à dire et redire sur ces quatre séances. Je pense que cela mériterait un jeu de questions-réponses car il n’est pas facile de rendre ici et par écrit tout le processus créatif instantané ou pré pensé et le vécu autour de la table. Quoiqu’il en soit, je me suis amusé et je pense que mes joueurs aussi.

En fin de partie, ils ont décidé de se rendre à Paris/Métro même si l’un d’eux voulait d’ores et déjà aller en Suisse. Les autres l’ont convaincu que c’était trop tôt selon eux.

J’espère que vous avez apprécié la lecture. N’hésitez pas, je reste à l’écoute. Je pense que la première version des règles de Millevaux, ère forestière sera bientôt disponible ;)


Commentaires de Thomas :

A. Pour info, il y a déjà eu une partie de Millevaux jouée à Reims, dans le cadre d'une campagne Inflorenza (la cathédrale jouait également un rôle) : Les marais corrompus de la Somme, par naamshub, MarcusS, Tyxu

B. La vieille fait tirer une carte de tarot pour le présent et une pour le futur. Pour info, à Millevaux, on utilise principalement les tarots pour accéder au passé : on appelle ça le tarot de l'oubli.

C. A la lecture de ce récit de partie, il n'est pas évident de démêler la part d'initiatives de ton équipe et la part de téléguidage par le MJ. Peux-tu nous en dire plus ?


Réponse de Trickytophe :

C'est noté. J'ignorais.

Pour répondre à ta question, cette séance était la dernière de l'arc qui s'était construit peu à peu. De fait, même si elle a été comme les précédentes très largement improvisée, je l'ai c'est vrai (ta question est pertinente et tu l'as ressenti à la lecture) un peu plus prise en main afin d'arriver à un climax final avec Zurich et l'affrontement. Je tenais à apporter des infos et de la matière. Attention, cela ne signifie pas qu'elle a été téléguidée pour autant ! Les joueurs ont eu leur part de créativité : s'en prendre au traîneau de Gared, la création coopérative du pnj qu'est Albar, la décision de consulter Zurich (pour ma part, j'avais éventuellement en tête une rencontre au cœur de Rince-gosier), la mort de Zurich (les pjs auraient pu repousser tous les vers et le docteur aurait survécu pour leur remettre une sorte de laisser passer vers la Suisse), la décision finale d'aller vers Métro... Bref, il y avait matière à arborescence scénaristique. Mais c'est certain par rapport aux autres, celle-ci a été plus "calibrée". Les joueurs ont fait part d'initiative mais j'ai plus joué cette fois un rôle plus dirigiste de MJ. Cela m'a permis de clore de manière cohérente tout en laissant l'imagination et la suite ouvertes. Après, je pense que j'aurais pu faire autrement mais en jeu cela m'a paru bon pour ancrer un point d'étape. On pourrait en débattre, je m'en rends compte ;)

Surtout, je me suis rendu compte en écrivant ce dernier (pour le moment) CR que l'écrit restreignait pour des questions de longueur et de temps (ma disponibilité surtout) le rendu réel de cette séance et de cet arc. Tu as raison vive le son et le podcast !

En tout cas, on est tous ravi d'avoir arpenter Millevaux et je compte bien poursuivre ;)


Réponse de Thomas :

C'est intéressant cette nécessité d'être plus dirigiste quand on veut clôturer un arc. Je me demande si on pourrait trouver des solutions alternatives. Des pistes comme ça au hasard :

+ s'assurer pour que tous les figurants et décors rencontrés soient "climatiques"
+ Donner un caractère intense aux actions des personnages (les échecs deviennent des échecs critiques, les réussites des réussites critiques)
+ Axer la séance sur la résolution de l'arc narratif d'un personnage
+ Faire des ellipses pour passer en vitesse sur tous les événements anecdotiques (par exemple, gérer certains combats intermédiaires en deux phrases de narration plutôt qu'en utilisant les dés)


Réponse de Trickytophe :

Après c'est intéressant comme discussion autour de la menée des arcs.
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

GUÉRIR À TOUT PRIX

Suite d'une partie-test du livre-aventure Millevaux jouée en audio en mode complétiste. Il nous a fallu deux grosses séances pour finir une seule quête, mais c'était justement passionnant de tout parcourir de fond en comble !

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l'image)

Image
Midhras, cc-by-nc, sur flickr.com (screenshot du jeu vidéo Alan Wake)

Contenu sensible : : exploitation sexuelle

Lire / télécharger le mp3

Crédits jingle : Reign of Incontestable Greatness, par Is, cc-by-nc

Retourner à la première partie
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LA MAIN ET LA COURONNE

Alors que les adversaires montrent les dents, les exorcistes s'organisent pour la dernière bataille. Retrouvez ici la réponse à la première question au public, et bien sûr une nouvelle question !

Joué / écrit le 27/01/2020

Jeu principal utilisé : L'Empreinte, de Thomas Munier, survivre à une transformation qui nous submerge

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Chianti, licence art libre

Contenu sensible : racisme, sexisme, agression sexuelle

Passage précédent :
12. Les lâches
Un épisode qui fait mal dans la chair et dans l’âme. Avec une nouvelle question au public à la fin !


L'histoire :

Image
~, par Iamthemorning, voix féminine, piano-cordes, le calme avant la tempête, et des nœuds de tempête au milieu du calme.

Trente-et-un de Serpente

Ni la Soeur Marie-des-Eaux, ni la Soeur Jacqueline n'eurent la force de le faire, alors Champo s'en chargea.

Il découpa l'âne à la hache et mit les morceaux dans des sacs. Il donna deux sacs à chaque nonne et s'en chargea de trois, tout maculé de sang qu'il était. Ils ne pouvaient marcher bien loin, mais l'instinct de Champo les conduisit dans un endroit tout proche. Tour à tour, ils jettèrent les morceaux dans le cercle de champignons, et rapidement, une nuée de corbeaux descendit depuis l'inconnu du ciel à peine crevé par l'aube naissante, et fondit entre les arbres pour s'en repaître. Les cris des charognards se mêlèrent aux pleurs silencieux des exorcistes et à la rumeur d'automne qui allait croissant : le bruit de mille écorces qui travaillent.

Ainsi, Maurice eut-il ses funérailles célestes, à défaut de pouvoir lui en donner de chrétiennes.

Alors que le zénith approchait, incendiant quelque peu les ramures et les faîtes des toits dans les volutes d'humidité en suspension, la Soeur Jacqueline fuit la yourte, elle n'avait pas le coeur à manger, et sentait que sa gêne physique et mentale devenait trop visible. Elle remonta la grand-rue au hasard, peut-être envisageant de trouver le père Houillon et de se confesser.

La Bernadette parut à la porte du bistrot, elle courut vers la doyenne en relevant ses jupes.

"Jacqueline, revenez ! Si vous saviez comme je m'en veux !"

La nonne pressa le pas. Elle battit en retraite dans les fourrés et le sous-bois, mais la cuisinière la suivit, quitte à crotter ses habits. En un instant, elles eurent dépassé l'orée et on n'entendait et on ne voyait plus rien du village à travers les fûts noirs des sapins, comme goudronnés. Il n'y avait qu'elles d'eux et l'odeur de fumure qui remontait de la terre.

"Jacqueline, je vous en supplie, revenez vers moi ! Je vous aime !
- Et moi, je vous aimais avant que vous ne forciez votre chance.
- Il n'y a pas que ça, Jacqueline. Vous portez un enfant de moi.
- Quand bien même cette diablerie était possible, je n'aurai plus commerce avec vous pour autant. J'en ai assez. Je veux m'appartenir, et appartenir au Vieux."

La Bernadette voulut lui toucher les mains, voulut la regarder dans les yeux. Elle sentait le beurre frit et le savon de résine. La Soeur Jacqueline se dérobat.
"Je bénis votre route et maintenant passez votre chemin."

Elle s'en alla, laissant la cuisinière seule dans le maquis, le coeur brisé.

Le Père Houillon se dirigeait vers la porte de son église pour la fermer. Il détestait cette heure du crépuscule où les vitraux s'obscurcissent, projetant l'ombre de branches crochues sur les dalles et sur les piliers. Les ténèbres dansaient déjà sur les panneaux de bois du chemin de croix, donnant au parcours de Jésus Cuit, bouilli dans la marmite, des allures de danse macabre.

Il détestait être le curé des Voivres, quelle incurie avait-il pu commettre, à qui avait-il déplu, quel péché d'omission, ou quelle offense au Vieux l'avait mené à se faire nommer dans ce trou si loin du Diocèse et de la civilisation ? Il sentait bien qu'ici, la foi n'était que de surface, ou plutôt qu'elle était dévoyée par des forces que son intellect peinait à saisir. Il se sentait constamment menacé par ses propres ouailles, interprétant, les moindres cancans, les moindres allusions, comme des promesses de coercition bien que déjà il fermât sa gueule du mieux qu'il put, ne l'ouvrant que pour ingurgiter la bouffe et la vinasse qu'on lui offrait pour fermer les yeux. Aussi sursauta-t-il comme une biche effarouchée quand les panneaux de l'église s'ouvrirent devant lui.

C'étaient ces deux satanées nonnes.

"Père, dit la Soeur Marie-des-Eaux, nous allons affronter la Mère Truie. Vous allez devoir nous préparer. Pour commencer, vous allez célébrer une messe en la mémoire des animaux martyrisés dans ce village par les mangeurs de viande.
- Mais qu'est-ce que vous broyez ? On peut pas faire ce genre de messe. C'est contre-nature ! Jésus-Cuit n'a-t-il pas multiplié les poissons pour les faire cuire dans sa propre marmite afin de nourrir les fidèles ? N'a-t-il pas jeté le démon dans le corps de mille cochons ? Le père n'a-t-il pas sacrifié le veau gras pour le retour du fils prodige ?
- Je crois que vous ne comprenez pas les forces qui sont à l'oeuvre. La Mère Truie instrumentalise la violence sur les animaux. Il est temps que les voivrais fassent carême.
- Je n'en peux plus de vous. J'ai vraiment hâte que le prêtre exorciste arrive. J'ai été très clair dans mon courrier dans l'urgence de la situation. Je ne me prêterai pas à vos blasphèmes.
- Pardonnez-moi mon père, parce que je vais pécher.
- Qu'est-ce que vous racontez ?"

Et le novice plaqua son canif sous la gorge du prélat. On l'entendit déglutir bien distinctement.

"Entendu... Je vais mettre mon étole, hein ?"

Décidément, la vie du père Houillon était condamnée à la folie et ce crépuscule le vit faire une étrangeté nouvelle encore. A la lueur des cierges, dans le froid qui vous puise la moelle des os, alors que la lumière du soleil s'était définitivement faite bouffer par les branches et la presque-nuit, il se retrouvait tout seul devant l'autel, sans enfants de choeur et avec pour seul public deux nonnes blasphématoires, à célébrer une messe en l'honneur du bétail abattu, à demander pardon pour une pratique séculaire, à parler sous la dictée du novice et de son Opinel, dont les motifs de la lame resteraient gravées dans sa mémoire, aussi défaillante fut-elle : la main qui bénit surmontée de la couronne, comme une foi nouvelle qui impose son sillon à la pointe de l'acier.

Et comme son calvaire ne semblait pas vouloir prendre de fin, on l'obligea ensuite, tout tremblant de peur et d'indignation qu'il était, à bénir les habits des nonnes comme des armures qu'on allait porter à la bataille :

"Notre secours est dans le Nom du Vieux qui fait le ciel et la forêt. (signe de croix)
En son Nom, je vous exorcise (signe de croix), par Celui qui vous a préparé pour la beauté et l'ornement du genre humain. (signe de croix), par Celui qui revêt les oiseaux du ciel, les bêtes de la forêt et les poissons des rivières (signe de croix), par Celui qui par Moïse fit des habits Saints pour la gloire et l'ornement d'Aaron (signe de croix), par celui qui revêtit le temple de Salomon des bois de l'olivier et du cèdre, d'or précieux, de peintures et des richesses qui chantent votre gloire et votre magnificence.
(signe de croix). Soyez des vêtements Purs et Bénis (signe de croix), exempts de toute tâche et de toute souillure de Satan. Que vous ne puissiez pas garder ses influences, mais que vous soyez des vêtements Bénis (signe de croix) et Sanctifiés (signe de croix) par Celui qui se soumit à la mort par ébouillantement pour racheter le genre humain et qui est maintenant revêtu de la gloire et de l'immortalité et qui vit et règne dans tous les siècles des siècles."

(signe de croix)

"Ainsi soit-il."

(signe de croix)

Image
Jex Thoth, par Jex Thoth, du stoner doom metal à chant féminin incantatoire, fumeux, charnel et entêtant, une messe de la fertilité.

La flamme sur la torche vacillait sous le fouet du vent pluvieux. Torse nu, à genoux sur la berge chiasseuse, Champo frottait ses habits du mieux qu'il pouvait dans le Ru Migaille pour faire partir le sang. Les carpes s'attroupaient en masses sous ses mains pour y boire le jus de barbaque.

"Qu'est-ce que tu nettoies comme saleté, le métèque ?"
Champo ne se retourna pas. Il avait reconnu la voix du fils Fréchin.
"J'ai le droit de vivre ici tout autant que vous. Qu'est-ce qui te fait croire que t'es plus né ici que moi ? Tu t'en rappelles donc ?
- Arrête de m'embrouiller avec ta sagesse de quatre sous. Les bonnes soeurs sont des nuisibles et toi tu t'es acoquiné avec elles. Je suis sûr que tu les triques sous ta yourte."

Le sherpa se retourna. Son corps ridé, noueux et nu, cassé par l'âge et les épreuves.

Le fils Fréchin le dominait de toute sa hauteur. Il souriait tellement que ça se voyait à travers la pénombre.

"Moi aussi j'aime découper des trucs."

Il lança des choses que le flot du Ru Migaille, engrossé par la crue, emporta aussitôt comme le reste du limon qu'il charriait.

"Voilà ce que j'en fais de ta corde de merdre. Que je te vois plus approcher de nos gamins."

Champo voulut se redresser et lui asséner une réplique bien sentie. Mais il en fut incapable, ce fut les larmes qui sortirent. Il n'en pouvait plus de toute cette chienlit.

Et le fils du maire le laissa à son chagrin, heureux comme un gamin qui savoure sa vengeance en toute impunité.

Quand les nonnes rentrèrent sous la yourte, personne n'échangea sur sa soirée. Elles se réfugièrent rapidement sous leur yourte et cette fois-ci, la Soeur Jacqueline assista la Soeur Marie-des-Eaux dans la tenue du carnet mémographique, et elle récita même l'Apocalypse à sa place, de sa voix douce et grasse :

"Que l'Homme enfin se rende dans tous les lieux déjà rendus à la nature : les égouts de Babylone rendus aux rats, les élevages meuglant et pataugeant des mille vaches dédiées aux appétits de Babylone, ou les forêts et tous les lieux sauvages qui poussent aux lisières de l'empire des Hommes. L'Homme y trouvera la vermine, mais il y trouvera aussi les dernières bêtes et les dernières choses qui obéissent au vrai Nom de Dieu, et les ermites et les sages qui fuient la sottise des Hommes pour venir y vénérer le Buisson Ardent. Que l'Homme combatte la vermine, qu'il ramasse des graines de ces lieux, ou qu'il écoute la parole des sages ou des bêtes : il suivra l'idée que le Très-Haut aura fait germer dans sa tête. Qu'il porte toujours avec lui les deux armes du fidèle : la torche consacrée et la besace de l'humble récolteur."

Premier d'opprobre

Dans les frissons de la presqu'aube, les terres du père Bourquin fumaient comme des bouses fraîches, juste entre le Chaudron et les Feugnottes. Non pas qu'il ait beaucoup d'hectares, ou qu'il croule toujours sous le travail, mais il était toujours en retard pour les travaux des champs. Et le voilà qui s'activait, le péquis lui remontant jusqu'aux bretelles, maugréant dans son grand menton, et va que je te sème, va que je te sème, mais c'était trop tard, on était le jour de la Saint-Rémy maintenant, au début de l'octave qui rendait toute graine vaine. Mais tant pis, il fallait y aller maintenant, et il avait recruté toutes les bonnes volontés qu'il avait pu pour qu'à défaut que ça soit fait en temps et en heure, on en finisse vite sans bassotter.

La Soeur Jacqueline, qui avait à coeur de mener une mission apostolique, auprès des ouailles, avait prêté ses bras comme quelques autres du village, mais c'était désolant de se plier comme à confesse pour jeter ainsi des graines à moitié pourries dans la terre mal charruée sous la bave perpétuelle de la pluie, dans le claquement narquois du vent et des branches.

Il paya un canon à la bonne sœur et la remercia du mieux qu'il put de son ouvrage. Mais ça se voyait dans ses sourcils noirs qu'il sentait la ruine venir. Et déjà les corbeaux piquaient sur les champs comme des vortex maudits, prêts à bouffer les dernières bonnes graines, pour ne laisser que la pourriture dans le ventre infertile de cette terre-glaise si durement arrachée à la forêt, où ne poussait rien que du chardon. A moins de passer un pacte avec le diable.

Et dans le réduit mal éclairé qui servait de maison au père Bourquin et à sa famille, à côté d'une table sale comme les écuries d'Augias, la soeur Jacqueline, tout en étreignant son verre de rouge, n'avait pour se réchauffer, se guérir et se consoler qu'un souvenir en tête, qu'elle se repassait à se soûler. Une vision amoureuse de la Bernadette penchée en sueur dans les fumées de sa cuisine.

La Soeur Marie-des-Eaux était resté auprès des yourtes, n'étant toujours ni d'état ni d'humeur à se prêter aux travaux. Il priait le Jésus Cuit tant et plus pour raffermir sa conviction.
En sortant de sa yourte, il vit Champo vêtu de ses habits à peine secs, dans les frissons de l'aube, en position du lotus au pied des troncs.

"Vous aussi, vous priez ?
- Non, je médite.
- Pour quoi faire ?
- Pour garder ma concentration intacte en vue des batailles qui se préparent. Des parasites mentaux se nourrissent de notre attention, ils nous détournent du sens des choses si on n'y prend garde, et nous voilas enferrés dans un brésaillage sans fin.
- Il y en a encore beaucoup des parasites ici qui se nourrissent d'une chose ou d'une autre sur nous ?
- C'est la roue de la vie, Marie."

Image
Lisieux, par Lisieux, du néo-folk, une guitare entêtante, un chant féminin vaporeux, la forêt qui se referme sur elle. Bienveillante... ou non ?

Quand les deux chevaux noirs qui menaient la diligence du diocèse martelèrent les pavés de la grand-rue, cela attira tous les gamins du village comme une volée d'étourneaux, buissonniers d'un jour par le congé que venait de prendre leur guide. Il s'en voyait pas passer beaucoup des chevaux. Ils étaient frémissants de fatigue et portaient des marques fraîches de blessures. La lumière du zénith peinait à les sécher. Le cocher avait une gueule de porte-bonheur et ressemblait plus à un mercenaire qu'à un bête conducteur de bourrins. Alors que la diligence s'arrêta devant l'église, le père Houillon en sortit avec empressement, manquant de glisser dans les feuilles mortes, essouflé comme pas permis.

L'homme qui descendit portait la soutane noire avec le col blanc et le chapeau noir. Son embonpoint le gêna quelque peu pour sortir avec son petit bagage mais il restait digne et bénit les gamins sans façon. Il portait sur le visage un sourire de béatitude et respirait la miséricorde.

"Il vient remplacer le curé !, crièrent les mômes !
- Taisez-vous !, boûala le père Houillon, ulcéré."

Le Père Benoît, puisque c'est sous ce nom qu'il se présentera, fit mine de n'avoir pas entendu. Il souriait toujours d'un air bonnasse.


Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Notes liées aux règles de L’Empreinte :

Menace : une Déité Horla (la Mère Truie)
Lieu de départ : Les Voivres
Avancement :
Acte I – Introspection + Tentation + Agression
Acte II – Introspection + Tentation + Agression
Acte III - Introspection + Tentation + Agression
Acte IV - Introspection + Tentation


Préparation :

A la fin de l'épisode précédent, j'ai posé cette question au public : Une fois que les exorcistes auront préparé l'affrontement avec la Mère Truie par une messe aux animaux, qui vont-elles recruter pour les joindre dans la bataille ?

J'ai eu deux réponses :

Damien Lagauzère : "Et bien, pour répondre à la question, peut-être que Champo pourrait « franchir le pas » et devenir « apprenti exorciste ». Peut-être aussi qu’un des assassins de Maurice peut faire preuve de repentir. Et peut-être aussi que, parmi les Horlas ou autres esprits de la forêt, certains ont intérêt à ce que les Exorcistes ramènent un peu d’ordre au village?"

Claude Féry : L'esprit de Charlemagne qui autrefois conclu un pacte avec la nature lors de son long séjour à Gérardmer revient du royaume des morts pour venger Maurice le supplicié.

C'est ma foi fort difficile de choisir entre ces deux réponses et prendre en compte les deux risque de complexifier inutilement l'intrigue. J'ai donc tiré au hasard la réponse que j'ai choisi de prendre en compte, et c'est la réponse de Claude qui a été désignée... A moi donc de caler l'esprit de Charlemagne dans mon intrigue :)


Bilan :

Je continue mon programme "'un script/jeu + un jet sur la table aléatoires d'idées + un objectif de figurant", je trouve que ça marche bien, ça aère le texte, l'intrigue est moins frénétique.

Avec un épisode de retard, j'ai répondu à la première suggestion du public. Claude suggérait que les exorcistes allaient célébrer une messe pour les animaux. Je me suis dit que des nonnes n'étaient pas autorisées à célébrer des offices, aussi devaient-elles passer par le prêtre... que je voyais mal accepter facilement. D'où cette messe sous contrainte particulièrement étrange.

Je crois que tout l'art de la narration improvisée est d'accueillir les hasards qui font bien les choses. Depuis que je tiens un compte précis du temps qui passe et que j'ai un programme pour faire avancer mon intrigue, j'arrive sur le scrit "semis". Et voilà qu'on est arrivé au premier opprobre, jour de la Saint-Rémy, et début de la semaine vaine pour les semailles comme annoncé par le père Houillon : je me retrouve donc à conter une scène de semailles en pleine Saint-Rémy, ce qui me donne prétexte à une description de l'infertilité des choses, à recamper les corbeaux, et aussi à introduire un nouveau personnage d'agri-loser : le père Bourquin.

Le Père Benoît, prêtre exorciste, fraîchement arrivé du diocèse est censé être un antagoniste, mais je n'exclus pas qu'il devienne un allié. Aussi ai-je, en prévention, créé son historique avec Session Zéro


Aides de jeu utilisées :

Surnature, j'y ai repris la prière de bénédiction des vêtements
Nervure, pour savoir si Champo réussissait à intimider le fils Fréchin ou non.
L'apocalypse selon Millevaux (extraits)
Session Zéro (historique du Père Benoît)
Almanach (pour répondre aux questions de Session Zéro)

Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article

Modifications :
+ J'ai changé l'objectif de la Bernadette, du maire Fréchin et du fils Fréchien puisque je les ai fait progresser lors de cet épisode ou du précédent.
+ J'ai ajouté l'historique de Père Benoît.


Question au public :

Dans l'optique de rendre ce roman-feuilleton plus interactif, et donc plus rôliste, je pose désormais une question à la fin de chaque nouveau feuilleton, et je tâcherai de tenir compte au mieux de vos réponses dans le feuilleton suivant.

Voici la question qui fait suite à cet épisode :

Que vont entreprendre les nonnes pour s'attirer la sympathie de Père Benoît ?
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Message par Pikathulhu »

BARBAQUE !

Buffet garni pour huit personnes dans un déroulé du scénario flash, punk et déglingo.


Le jeu : Millevaux Sombre par Thomas Munier, horreur post-apo forestière et sludgecore pour grandes personnes (un supplément pour Sombre)

Joué le 24/06/18 au Shakirail (atelier d'artistes auto-géré) dans le cadre de la tournée Paris est Millevaux 7

Image
(C) Thibault Boube

Vu qu'on jouait assis sur la pelouse, le truc de tourner les tuiles pour marquer les points de vie ne pouvait pas fonctionner. Alors quand un personnage était blessé, je lui demandais de plier un côté du papier (d'abord le côté "indemne", ensuite "Blessé", etc.). Ça a bien fonctionné.

J'avais un public assez varié, mais une bonne moitié n'avait que peu ou jamais fait de jeu de rôle. Mais je crois que le côté post-apo franchouillard décomplexé a trouvé un écho dans l'imaginaire de tout le monde. On se serait cru dans un disque de Renaud, mais bien rayé.

Le fait de jouer dans un (ancien) squat avec le décor ferroviaire a bien participé à nous mettre dans l'ambiance. Juste avant de s'installer, on s'est fait limite agresser par un énorme chat noir à moitié couvert de dreads qui faisait des bonds de trois mètres. Véridique.

Le joueur du personnage de Cambouis, je l'ai trouvé génial, parce qu'il avait un perfecto et un foulard rouge, donc bon, il se jouait presque lui-même dans ce Mad Max chez les bouseux dans la forêt.

Les deux plus jeunes joueurs (dix ans chacun) m'ont décrit leur perso, l'un comme ressemblant à Arnold Schwarznegger, l'autre comme ressemblant à Vin Diesel. Autrement dit pas du tout des personnages de films d'horreur comme on doit faire dans ce jeu, mais bon je n'ai pas voulu les brimer et puis au final leur description ne les a pas rendu plus puissants ou résistants quand il a fallu lancer les dés.

Leur père m'a signalé que j'étais gentil parce qu'ils avaient déjà joué tous les trois à Sombre Zéro avec Johan Scipion et avec lui on pouvait perdre ses trois points de vie d'un coup, tandis que moi j'en faisais perdre qu'un à chaque fois.

Disons que sans doute oui je suis trop gentil j'ai utilisé cette variante de règles, proposée par Johan, où les points de vie descendent moins vite. On manquait de temps alors je voulais éviter d'en perdre en recréant des personnages. Il n'y a eu que deux morts sur les huit. Mais je me suis permis qu'elles soient assez gore.

C'était assez agréable de jouer d'après le scénario écrit, c'est quand même sacrément reposant pour moi, et ça me laisse de la place pour improviser de nouvelles choses, notamment à la CB du pick-up on pouvait entendre un routier qui chantait un medley de Johny Haliday.

J'ai fait jouer la scène de l'attaque de l'église par les expiatistes en speed. Ils se sont acharnés sur Desireless, et vu le nombre de personnages, elle est vite tombée. J'ai décrété que ses trois sbires prenaient alors le fuite. Si j'avais eu plus de temps ou si j'avais voulu être plus horrifique, j'aurais boosté Desireless, j'aurais augmenté le nombre de sbires ou j'aurais éviter de les faire fuire.

J'ai produit un roleplay bien cracra avec Julio Essuie-Glaces. J'ai notamment dit qu'il planquait les clés du pick-up dans son slip. Un personnage les a extraites en utilisant ses essuie-glaces comme grappin. Fun !

Mais là j'ai préféré me laisser du champ pour les scènes suivantes. Ils sont partis sur la route, et le gentil Monsieur Clément a squatté le pick-up. Il a attaqué deux personnages en retrait lors du bivouac. Ce combat a un contre deux m'a permis de tuer un des personnages et de bien amocher l'autre.

Le truc de demander aux joueurs les motivations de leurs personnages pour prendre la route est intéressant. Y'avait deux joueurs qui visiblement avaient tout un plan dans leur tête, c'était rigolo et ironique vu que bon, cette route c'était surtout un boulevard vers la mort.

L'un des joueurs de dix ans prend le volant du pick-up pendant la nuit, et forcément il roule aussi vite que possible (hum, 80 km/h, c'est le mieux que pouvait le moteur et l'état de la route), et moi j'adore laisser les joueurs assouvir leurs mauvais penchants.

Forcément, il se fait surprendre par le troupeau de cerfs, rate son jet de chance (conduite) et c'est la collision. Une scène bien gore, qui justifie à elle seule le nom du scénario.

Tous les persos sur la plateformes sont blessés, et l'un d'eux, Cambouis, pousse son dernier soupir. Il révèle son secret à l'un des survivants : "En Saxe, tu dois trouver ce type, le Mécano, qu'il s'appelle... Il possède SIX canettes non décapsulées... Un vrai trésor ! Ce salopard me les a volées ! Alors tu vas le buter et les lui reprendre !". Magnifique ce last word de Cambouis.

Je finis en cliffhanger, au bout d'une grosse heure de jeu, sur l'arrivée devant la maison abandonnée. Les personnages ont juste le temps d'entrer, je décris les bols de soupe, les lits de différentes tailles...

et l'arrivée des ours-zombies !
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Message par Pikathulhu »

LA TÉNÉBREUSE

Une nouvelle incursion millevalienne dans ce jeu de donjon enfantin, avec la rencontre de moultes créatures aussi sympathiques qu'inquiétantes. Un enregistrement de partie par Claude Féry.

Le jeu : Milky Monsters, de Valentin et Guillaume Jentey, un jeu de rôle adapté aux enfants pour jouer des aventures dans un univers d'heroic fantasy

Joué le 09/03/2019

Lire / télécharger la partie enregistrée au format mp3

Image
Frank Starmer, cc-by-sa, sur flickr

Cet épisode fait suite à une première aventure jouée avec Milky Monsters : Pigasus.


Thomas, retour après écoute :


A. Un épisode délibérément plus gris et millevaux que le premier

B. Le crocodile gourmand est tour à tour terrifiant et marrant:)

C. Moi je me méfierais des corbeaux et je ne les suivrais ni eux ni leurs conseils..

D. La sorcière aux yeux charbonneux est-elle un Corax ?

E. Le monstre qui vole les dents des enfants et qui récupère leur vrai nom, ça vient des notes de Surnature, n’est-ce pas ?

F. Sympa de mettre un saule, j’oublie trop souvent de mentionner les essences d’arbres

G. Ils tombent et tu déclare la perte de leur équipement mais tu leur permets de récupérer aussitôt leur matériel : seulement une partie ou la totalité ?


Réponse de Claude :

A. et G. En partie seulement, mais l'idée maîtresse de Milky Monsters c'est qu'ils doivent gagner à la fin. En somme je l'ai teinté Millevaux mais j'ai tenté de coller à la proposition de Guillaume et de rester sur une histoire à hauteur d'enfant. Xavier avait vraiment la frousse à certains moments mais cela permettait à Mathieu de jouer le grand frère et cela a augmenté son plaisir de jeu.

B. Là c'était une incursion dans l'univers de Sedeck Siew et Munkao qu'a reconnu immédiatement Gabriel.

C. Mais les garçons sont fans de Corbeaux alors pour moi la tentation était trop forte et les émotions partagées autour de la table provenaient autant des personnages que des joueuses.

D. Oui

E. Je ne me souvenais pas avoir lu ce passage. Lorsque j'ai préparé la partie j'avais le dessin de Valentin et le petit bonhomme au fond de l'estomac de la créature. Le dentophage est un monstre que j'ai glané dans mes lectures de la scène osr anglophone et que j'avais traduit pour moi en me disant qu'il serait un méchant tip top pour les garçons.


Réponse de Thomas :

C. En réalité, les Corax ne sont pas forcément dangereux, cruels, trompeurs ou maléfiques. Ils peuvent aussi être dotés de bonnes intentions. Cela va dépendre de leur clan, de leur voie et des individualités. Les PJ Corax dans mes parties d'Inflorenza étaient plutôt du côté du bien, en tout cas de la lutte contre les horlas :)

E. Le monstre qui vole les dents des enfants est un classique de la littérature enfantine. Par coïncidence, il s'avère que je l'avais moi aussi repris à mon compte dans mes notes pour Surnature (je crois que ça figure dans la dernière mise à jour du document) :)
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

J’AI TUÉ POUR TON NOMBRE

Une suite multipliant les jeux, les mises en abîme, la contagion forestière et le délire numérologique.

Joué le 27/10/2018

Image
Jonathan Gray, cc-by-sa, sur flickr

Épisodes précédents :

1. Le Peuple des Ruines (joué avec The Quiet Year)
Damien Lagauzère reprend sa cosmogonie personnelle de Millevaux avec l’intro d’une troisième campagne solo qui amène beaucoup de pistes intrigantes et fait à nouveau planer la menace des Cœlacanthes et la perspective de nouveau cauchemars !

2. Un clou dans la main, deux trous pour les yeux (joué avec Omniscience)
Souvenirs psychotiques d’un futur antérieur où la menace horla prend des allures de guerre totale.



Et voila donc le dernier CR en date 🙂 celui-là a été joué avec Dans La Nuit Longue et Glaciale (un mini PBTA) et 2 jeux Protocol (le Tueur du Calendrier et Eons). j'ai aussi joué un cauchemar de Cœlacanthes, réutilisé le contexte de Lacuna, rajouté un p’tit intermède avec Omniscience et un article rédigé selon les règles des Forges d'Encre. Pour vraiment conclure ce chapitre, je dois d'ailleurs encore en écrire un mais bon, ça attendra un peu, y a pas urgence ^^ maintenant, je dois trier toutes mes notes et préparer ma partie avec le personnage du Kraken et... préparer aussi tout ce qui concernera La Trilogie de la Crasse. j'attends d'ailleurs de recevoir Mantra et Mantoid que j’inclurai là dedans 🙂

L'histoire :

DLN...
Je suis l'agent Damon Haze. Je travaillais pour le FBI. Aujourd'hui, je travaille pour la Compagnie. Je possède un niveau d'accréditation Vert. Je n'ai donc pas encore vraiment accès à Blue City. Je dois encore faire mes preuves. Je suis d'ailleurs en train de les faire.
On m'a chargé d'une affaire digne de celles sur lesquelles je travaillais au sein du FBI, le Tueur du Calendrier. Un cas difficile puisque ce tueur n'opère que le 13ème jour du 13ème mois. C'est dans le cadre de cette enquête que je me suis retrouvé avec... ça !

Alors que je voyageais à bord d'un hélicoptère avec un dangereux virus, une violente tempête a éclaté. J'ai eu le temps de sauter de l'appareil avant que celui-ci ne s'écrase sur le flanc d'une montagne. Je suis seul, perdu au milieu d'une forêt brumeuse et enneigée, à plusieurs kilomètres du crash. À mon réveil, j'entends des coups de feu. Avec pour seules ressources du matériel d'escalade et quelques rations, je vais devoir survivre, découvrir la vérité sur ce lieu et découvrir ma vraie nature. Mais pour l'heure, j'ai froid. Et plus encore, je me sens terriblement déprimé.

EONS
Nom : Damon Haze
Rôle : Enquêteur. Il a le truc pour poser les bonnes questions et repérer ce qui n'est pas à sa place.
Motivation : Récompense/Provocant : ce n'est pas pour rien qu'il a quitté sa place au FBI pour la Compagnie. Il veut en savoir plus sur cette affaire « Millevaux » et il est convaincu que c'est en gravissant les échelons de la Compagnie qu'il en apprendra plus. Il n'est pas prêt à tout mais presque et prendra les initiatives nécessaires.
Relations : Romance/Folie : tout a changé pour Johanna Ackermann depuis que la lumière a été faite sur l'existence et le rôle de Sodek NoFink dans toute cette histoire. Sur le plan légal, rien n'a pu lu être reproché. Aussi, elle est libre. Mais son équilibre psychologique est plus précaire que jamais et maintenant qu'il n'appartient plus au Bureau, Haze entretient une relation de proximité relativement ambiguë avec celle dont il ne sait plus si elle est victime ou bourreau dans cette affaire.

LE TUEUR DU CALENDRIER
Nom : Damon Haze
Rôle : Enquêteur. L’enquêteur a le don pour poser les bonnes questions et repérer ce qui n’est pas à sa place.
Motivation : Impulsif/Envie : ce n'est pas pour rien qu'il a quitté sa place au FBI pour la Compagnie. Il veut en savoir plus sur cette affaire « Millevaux » et il est convaincu que c'est en gravissant les échelons de la Compagnie qu'il en apprendra plus. Il n'est pas prêt à tout mais presque et prendra les initiatives nécessaires.
Relations : Romantique/Argent : si Haze entretient une relation ambiguë avec Johanna Ackermann, c'est également le cas avec Edes Corso, l'héritière de la famille Corso qui a fait fortune dans la fabrication et la vente d'armes. Ils se sont connus au moment où Haze quittait le FBI pour la Compagnie. Il ne peut s'empêcher de se demander si c'est vraiment par hasard que leurs chemins se sont croisés. Edes Corso n'est pas seulement riche, elle est aussi très pieuse et se sent investie, comme tous les membres de sa famille, d'une sorte de mission. Elle accorde beaucoup d'importance aux questions de foi et de morale, ce qui ne manque pas d'attirer l'attention de Haze qui, depuis Millevaux et Ackermann, navigue en eaux troubles aux frontières de l'occulte.

XxXxX

Haze n'attend pas d'en savoir plus quant à ces coups de feu. Spontanément, il court dans la direction opposée et se retrouve à dévaler à toute vitesse ce flanc de montagne enneigée. À mesure qu'il s'éloigne de l'origine des détonations, il prend un peu plus le temps d'observer son environnement. Quelque chose cloche. Une forêt sous la neige, OK ! Mais pas une forêt comme ça. Haze finit par s'arrêter pour examiner un arbre. Il s'agit d'un arbre typique d'un forêt tropicale. Il n'y connaît rien, certes, mais il sait reconnaître un arbre tropical et il sait que ces régions ne connaissent jamais de périodes de neiges. Donc, quelque chose cloche.
L'espace d'un instant, il se demande si... mais non, impossible ! Son niveau d'accréditation est vert. Il n'a pas accès à Blue City et même dans ce cas, il faudra que ce soit une méga-interférence pour que la ville apparaisse sous cette forme. Où a-t-il atterri ? Quel est cet endroit ?
Haze vérifie le contenu de ses poches et de son sac. Du matériel d'escalade, super ! Des rations, mieux ! Le Virus, le plus important. Il doit l'emmener quelque part, mais où ? Curieusement, sa mémoire lui joue des tours. C'est comme quand on cherche un mot qu'on a sur le bout de la langue. On le connaît, pas de problème là-dessus ! Mais pour l'instant, impossible de s'en rappeler. Ça reviendra, on le sait. Mais quand ? Pas trop tard espère-t-il.
Par contre, il se rappelle bien de quelque chose. Le Virus. Le Cruel Centipède. Le Virus a été conçu à partir d'extrait du Cruel Centipède. Ce n'est pas facile, mais Haze rassemble sa mémoire. Il doit fixer ses idées quant au Virus avant d'oublier. Il sait que ce lieu, cet endroit, cette forêt va tenter de lui faire perdre la mémoire. Parce que cette forêt est... Millevaux. Et le Cruel Centipède est issu d'une variation, d'une interprétation de Millevaux. Le Virus est une variation de Millevaux. Une mutation de Millevaux. Parce que Millevaux est une maladie. Une maladie qui altère le temps et l'espace. Une maladie qui se répand d'autant plus facilement que, sous licence Creative Commons, l'accès à ses diverses interprétations est gratuite. Auteurs comme joueurs peuvent s'en emparer sans problème pour créer et répandre leurs propres versions de Millevaux. Mais déjà il a oublié comment il avait mis la maison sur cette version, le Cruel Centipède. Est-ce la Compagnie qui lui a donné ordre de le remettre à quelqu'un, quelque part ? Ou alors, l'a-t-il dérobé à quelqu'un et doit-il le remettre à la Compagnie au plus vite ?
Ces pensées dérivent alors vers les deux femmes qui partagent ses pensées et sa vie actuellement. Johanna Ackermann d'abord. Il culpabilise de cette relation car il sait au fond de lui qu'il l'entretient en grande partie pour percer le mystère entourant son « autre » personnalité : Sodek NoFink. Et Edes Corso. Il ne sait pas ce qu'elle lui trouve. Elle a tout. L'argent, le pouvoir, la beauté. Pourquoi s'être intéressée à lui ? Et lui, pourquoi s’intéresse-t-il à elle, si différente, issue d'un monde si lointain. Un monde si lointain ?
Sans s'en rendre compte, il a repris sa marche dans la neige et est arrivé dans une clairière. Là, un autre fait étrange. Au milieu de cette forêt tropicale, un arbre qui une fois de plus n'a rien à faire là : un Noyer. Haze se sent bizarrement attiré par l'arbre. Quelque chose en lui... Non, quelqu'un à l'extérieur de lui sait que ce qu'il s'apprête à faire est complètement stupide et que cela va le précipiter dans un monde de cauchemar. Il sait que toutes ses interrogations ne sont que de futiles tentatives de gagner du temps car il va le faire. Il ne peut pas faire autrement. Il tente de se convaincre que cela lui permettra de mieux comprendre ce qu'a vécu Johanna. De mieux cerner la personnalité d'Edes. Une étrange association d'idées lui fait songer à l'Hadès. Et si la belle héritière était son monde des morts ? Alors, Johanna serait la vie. Non, elle est la folie. Après Éros et Thanatos, il y aurait Hybris et Thanatos ? L'Hybris ? Dionysos ?
Haze soupire et regarde la Noix qu'il trouve dans le creux de sa main. Dans son sac, il se saisit d'un mousqueton d'escalade et s'en sert pour en briser la coquille. Une soudaine rafale de vent lui arrache quelques larmes. Il songe alors à cette chanson de Laibach, Hell Symmetry et à ces quelques mots relatifs à la « 7 deadly sins industry ». Sans même songer à s'essuyer les yeux, il gobe la Noix...

Il ouvre les yeux. Il est là mais n'est pas là. Il se voit quelques mètres devant lui. Il se souvient. C'était avant de venir profiler au FBI. Il était alors négociateur. Il intervenait là sur une prise d'otage. Cette grande avenue. Laquelle ? Quelle ville ? Il a déjà... oublié... Cette grande avenue avait été bloquée, évacuée par les forces de l'ordre. Le forcené, un braqueur en fuite, s'était réfugié dans un bus et avait pris les passagers et le conducteur en otage. Des snipers avaient été placés en des endroits stratégiques dans les immeubles de chaque côté. Des SWAT, positionnés dans les rues perpendiculaires, attendaient le feu vert pour intervenir. Lui, tentait de gagner du temps, d'obtenir qu'il libère les otages et de détourner son attention pour permettre aux SWAT, menés par son coéquipier, de s'approcher sans être vus. Qu'est-ce qui avait cloché ? Tout semblait bien se passer puis la situation a dégénéré. Le braqueur a été abattu mais des otages sont morts et son coéquipier a reçu une balle qui lui a sectionné la moelle épinière. Haze revoit la scène de loin mais la revit de l'intérieur. De loin, il voit cette petite porte d'environ 1m de haut. Était-elle vraiment là ce jour ? Il ne sait pas. Et s'il l'avait emprunté ? Où l'aurait-elle mené ? Quelque part d'où il aurait pu sauver son coéquipier ? Et si... Il fait un pas dans cette direction. Et ce retrouve au milieu d'un cercle composé d'hommes et de femmes nus à tête de sanglier, le corps couvert d'humus, de mousse et d'asticots. Ils se tiennent debout, les bras croisés, sans mot dire. Autour de lui, la moisissure a pris des proportions dantesques : buissons de mousse et masses fongiques. Le limon coule de partout. On entend un grondement et on sent la terre trembler. Il pense alors à Johanna, à Sodek et, va savoir pourquoi, à Shub-Niggurath. Puis, les hommes et femmes sangliers disparaissent. Il n'en reste plus qu'un, avec une verge d'une taille monstrueuse qui pend entre ses cuisses et deux seins gonflés de lait. Verge comme seins dégoulinent de pus. Immobile, inerte, il se contente de dire : « Fais pire, au nom des Abysses. »
Pire ? Qu'est-ce qui peut être pire que ce fiasco à part avoir tiré lui-même sur son coéquipier ? À part l'avoir... tué ?
De tout cela, rien n'est réel. Haze le sait et c'est pour ça qu'il pointe son arme en direction du crâne de son coéquipier et qu'il tire. Il garde les yeux fermés si fort que ça lui fait mal mais il ne veut pas les ouvrir. Il attend d'entendre siffler les coups de feu. Il attend d'entendre les cris. Il attend de se sentir projeté au sol et menotté par les SWAT.

Il attend et... rien ne se passe...

Le siège, ou en tout cas un des sièges, de la Compagnie. Depuis cette affaire qui l'a confronté à Millevaux, Haze a quitté le FBI. Il a été recruté par la Compagnie. On ne lui a pas présenté les choses ainsi mais il a compris qu'il devait remplacer un autre agent, Paul Singer, lié lui aussi à toute cette histoire. Haze sait, mais comment ?, que sous l'influence de Millevaux il a tendance à perdre la mémoire. Ou, du moins, certains éléments deviennent flous, disparaissent. Il sait qu'il connaît Paul Singer. Mais d'où ? Se sont-ils rencontrés ou a-t-il seulement entendu parler de lui ? Il ne sait plus. En tout cas, Singer est aujourd'hui porté disparu et Haze sait qu'ayant travaillé sur cette même affaire il est tout désigné pour remplacer Singer au sein de la Compagnie. Pour autant, il doit faire ses preuves. Pour l'instant, son niveau d'accréditation est Vert. Il n'a pas accès à Blue City. La Cité Bleue. Le bourreau de Johanna en avait parlé dans un de ses messages délirants. Le bourreau de Johanna ou l'instrument de Sodek NoFink ? Les dirigeants de la Compagnie savant-ils qu'il la fréquente ? Il n'en serait pas étonné. De même qu'il ne serait pas étonné qu'on le fasse suivre, qu'on l'espionne et que, comme lui, on cherche à percer le mystère de Johanna/Sodek. Le mystère de Millevaux. Enfin, un des mystères de Millevaux.
La mission de Singer a montré une chose. Millevaux est contagieuse. Millevaux n'aurait pas dû s'infiltrer dans Blue City, même au titre d'interférence. Quelque chose, quelqu'un, a volontairement contaminer Blue City en y introduisant le concept de Millevaux pour le pervertir, en faire la proie de Shub-Niggurath et du Roi en Jaune. Le Jaune contre le Bleu. Dans cette histoire, la Compagnie a perdu l'agent Singer. Et l'agent Singer, lui, a perdu... la raison ?
Pour l'instant, en tant qu'agent à la cravate verte, Haze doit « simplement » éplucher toutes les sources d'informations à sa disposition pour se faire l'idée la plus précise de la situation concernant Millevaux. D'une façon ou d'une autre, il faut « protéger » Blue City, ramener l'ordre. Ou au moins, ramener le niveau d'interférence à un degré plus convenable. Gérable ? Haze avait bien compris ce qu'on attendait de lui.

Haze reprend ses esprits. Il est toujours près du Noyer. Il n'a aucune idée du temps qui a bien pu s'écouler. Toutefois, il fait maintenant presque nuit et de plus en plus froid. Un vent glacial l'éloigne de l'arbre. Alors qu'il va pour se réchauffer les mains et les frottant l'une contre l'autre, il remarque que sa paume gauche saigne. Il se rend alors compte que sa main a été transpercée. Comment ? Quand ? Par qui ?
Alors que le vent le pousse, l'éloigne encore plus de l'arbre et de la montagne, un grincement attire son attention. À cause du vent, il a du mal à savoir d'où cela provient. Il tourne sur lui-même et son regard tombe alors sur un homme en fauteuil roulant. Son ancien coéquipier ! C'est forcément une illusion, une hallucination ! Comment il aurait pu arriver jusqu'ici en fauteuil roulant ? En plus, il porte un costume-cravate complètement inadapté à la situation. Spontanément, Haze porte la main au niveau de son aisselle gauche mais ne trouve rien. Il n'a aucune arme sur lui.
Son ancien coéquipier sourit. À mesure que sa bouche s'élargit, s'ouvre, du sang en coule et inonde sa chemise. Il ouvre grand les yeux. Son sourire se crispe. Ses traits se figent. Il articule quelques mots que Haze saisit mal à cause du vent.
« Le nid de serpents géants... Là est le Niaucheur... Il parle le Langage Noir... ou le Langage Jaune... Il mange de la Viande Noire... ou fume l'Opium Jaune... »
Haze se précipite sur son coéquipier. Il se jette sur lui et renverse le fauteuil ! Il se réceptionne mal et une douleur aigue lui vrille la main. Il se relève et se rend compte qu'il est seul. La nuit est maintenant tombée. Haze se retrouve au bord d'un fleuve gelé. Il ne sait pas comment il est arrivé là. Il distingue l'ombre d'un bâtiment au loin. Il y a de la lumière.
Après une marche finalement assez courte, Haze se retrouve devant un portail en fer forgé. Le mur d'enceinte est haut mais en ruine. Il trouve facilement un passage et s'introduit à l'intérieur de cette ancienne propriété. Un peu plus loin s'élève la bâtisse. La porte d'entrée est ouverte. La neige a envahi l'accueil. Il s'agit bien d'un accueil, Haze reconnaît un comptoir. Il y a même un téléphone. Au cas où, il s'en empare : « Contrôle ?
Agent Haze ?
Oui. Contrôle ?
Oui. Que faites-vous là ?
Je ne sais pas. Je ne sais pas où je suis.
Je... Je ne sais pas non plus.
Mais, si vous êtes Contrôle, c'est que je suis à Blue City, non ?
Oui, non. Normalement. Enfin, vu votre niveau d'accréditation vous ne devriez pas être à Blue City. Mais, si nous avons cette conversation c'est que vous êtes à Blue City, non ?
Je ne sais pas. Je ne sais pas où je suis. Mon hélico s'est écrasé en pleine montagne. Il y a une tempête de neige. Je suis redescendu dans la vallée et me suis réfugié dans une propriété en ruine. On m'a tiré dessus. Enfin, j'ai entendu des coups de feu. J'ai le Virus. J'ai le Cruel Centipède.
Vous avez le Cruel Centipède ?!
Oui, je ne sais pas comment je l'ai eu mais je l'ai. Et je ne sais pas ce que je dois en faire. Contrôle ?
Surtout n'y jouez pas !
Y jouer ?
Oui, savez-vous ce qu'est le Cruel Centipède ?
Non. Un ver ? Une limace ? Un insecte dégoûtant ?
Non ! Oui, d'une certaine façon. Le Cruel Centipède est une maladie du temps et de l'espace. Une corruption, un corrupteur. Un jeu.
Comment ça, un jeu ?
Agent Haze, souffrez-vous de pertes de mémoires ?
Je ne sais pas. Oui, peut-être, à cause du crash...
Ou à cause de Millevaux. Vous êtes dans une forêt, n'est-ce pas ?
Oui, j'ai traversé une forêt.
Millevaux est LE jeu, la corruption qui menace Blue City. Vous avez oublié ?
Je crois bien que oui.
Le Virus que vous transportez, agent Haze, cet extrait du Cruel Centipède, est un nouveau jeu de rôle dans l'univers de Millevaux. Et Millevaux est une maladie d'autant plus contagieuse que, sous licence Creative Commons, sa gratuité fait qu'il est facile et tentant pour les auteurs et les joueurs d'investir cet univers, de le faire vivre, de l'explorer, le faire muter, le répandre. D'après ce que nous savons, un joueur qui se fait appeler Demian Hesse a introduit Millevaux dans Blue City, contaminant ainsi la Cité Bleue. Blue City et l’Hôpital sont des portes entre Millevaux et... un certain niveau de réalité que souhaitent atteindre les Cœlacanthes. Pour ce Demian Hesse, tout ceci n'est qu'un jeu. Mais pour nous, c'est une menace réelle. Si les Cœlacanthes... Agent Haze, vous êtes à l'hôpital, hein ?
Je ne sais pas. Il y avait une grille en fer forgé et là tout est en ruine.
C'EST UN HÔPITAL, AGENT HAZE ! NE ME MENTEZ PAS ! VOUS ÊTES A L’HÔPITAL !
Je ne sais pas, Contrôle, je ne suis pas sûr. C'est possible que cet endroit soit un ancien hôpital. Ce n'est pas une maison en tout cas. Contrôle ! Je dois vous laisser ! »

Haze raccroche précipitamment. Une ombre vient de lui passer devant. C'était fugace, presque translucide. Ça portait un masque... et des cornes. Ça s'est jeté dans les escaliers en direction de l'étage. Haze sent qu'il doit monter lui aussi.

En haut, Haze entend des rires et des chants. À mesure qu'il gravit les marches, la neige est remplacée par des algues et une indescriptible odeur de poisson mort. Plus il monte et plus il est difficile pour lui de se rappeler que rien de tout cela n'est normal. Il jette un œil, aussi discrètement que possible à travers la porte d'où proviennent les chants et les rires. Dans une grande pièce, une troupe d'hommes et de femmes, à moitié nus, chante et danse au pied d'un trône de fortune. Sur ce trône, un homme revêtu d'une toge grecque et d'un énorme masque à tête de scarabée. Au dessus de son épaule, sur sa gauche, une bouche dessinée sur le mur scande : « Je suis Dionysos ! La Voix de la Bouche ! Dansez ! Chantez, les ivres et les fous ! »
Haze fait un pas en arrière, de peur qu'on le remarque. Alors, il distingue un fragment de miroir brisé encore fixé à un mur. Il y plonge son regard mais n'y trouve pas le sien. Qui est cet homme au masque étrange, le connaît-il ? Il ne sait plus. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il est celui qui porte la maladie ! Le Cruel Centipède !

« Entre, Haze ! Entre en scène ! Rejoins mon petit théâtre ! La Bouche ne te veut aucun mal. »

Haze croit reconnaître cette voix. Il n'est sûr de rien, à cause de ce masque mais... Paul Singer ? Cet homme est-il l'agent Paul Singer ? Cet agent de la Compagnie qui a disparu après cette étrange affaire ? C'est lui qui avait retrouvé Johanna dans Blue City puis dans Millevaux. Il ne sait plus trop, sa mémoire vacille.

« Paul... Singer ?, hasarde Haze en approchant lentement.
Oui, non. Je suis Dionysos, la Voix de la Bouche et la Bouche a des choses à te dire. »

Dionysos change alors de voix. Autour de lui, les hommes et les femmes dansent et chantent toujours en riant et buvant du vin à même la bouteille.

« Agent spécial Haze, les tueurs qui tu as arrêtés vont à l'hôpital ou en prison. Le Tueur du 13ème Jour du 13ème Mois n'est pas ici. Tu dois aller le chercher en prison. La Prison du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan te donnera un nombre et ce nombre sera le 13. En chemin, arrête-toi devant les nids de serpents. Parles au Niaucheur. Parles-lui le Langage Noir ou le Langage Jaune. Partage avec lui la Viande Noire ou l'Opium Jaune. Écoute sa plainte. Maintenant, va, Agent Haze. La Bouche a parlé. »

Haze plonge sa main dans sa poche et en tire un jeu de cartes. Il en sait pas ce que ce jeu fait là. Il n'aime pas jouer aux cartes. Enfin, pas spécialement. Juste comme ça, il en tire 2 au hasard : 10 de cœur et 5 de trèfle. Il a envie d'un café. Dans ce parc, la température vient de chuter brutalement. Un café le réchauffera. Il fait signe a un des agents en uniforme, celui qui tient le petit plateau garni de gobelets en carton fumant. Une tasse à la main, il parcourt de nouveau la scène de crime des yeux.
La victime est un homme dans la cinquantaine. Légèrement en surpoids. Est-ce par coquetterie qu'il a les cheveux teints ? Il devait faire son jogging dans ce parc. Il porte encore ses vêtements sportswear. Pourtant, le tueur lui a baissé son pantalon. Ils se sont visiblement battus. Le visage de la victime est couvert d'hématomes. On voit aussi des marques au niveau de ses cuisses. Haze parcourt les environs du regard. Cette partie du parc n'est pas la plus exposée aux regards. Pour autant, ce n'est pas non plus l'endroit le plus opportun pour une agression. Haze se laisse aller à penser que le tueur savait ce qu'il faisait en agissant ici. Peut-être a-t-il procédé à quelques repérages. Au fait du parcours de cet homme, il a estimé que c'était le meilleur endroit pour l'agresser. Oui, le tueur savait parfaitement où et quand attaquer. Avec un peu de chance, ça faisait plusieurs semaines que le sort de cet homme était scellé et personne ne le savait. À part le Tueur du Calendrier, celui qui tue le 13ème jour du 13ème mois. C'est SON calendrier. Il y a déjà eu 4 victimes, que des hommes dans la cinquantaine. Et les briseurs de codes du Bureau, en examinant les dates des meurtres, ont mis en évidence ce cycle de 13 mois et 13 jours. Toujours le même modus operandi. La victime est rouée de coups puis étranglée. Le tueur lui baisse son pantalon mais ne procède à aucune agression sexuelle. Visiblement, il s'agit surtout d'une dernière humiliation consistant à laisser la victime dans cette posture pour le moins inconvenante. Les corps ne sont ni dissimulés ni spécialement mis en évidence. Le tueur les laisse là. Il sait qu'on les trouvera. Il veut qu'on les trouve, mais pas trop vite. Les autopsies ont montré que, vu les angles des coups portés, le tueur devait être plus petit que ses victimes mais en meilleure condition physique. Pourquoi s'en prendre à des hommes plutôt âgés ? Haze pense que le tueur a peut-être été victime d'un pédophile et qu'il se venge. Il a même demandé à ce qu'on fouille le passé des victimes à ce sujet. Pour l'instant, cela n'a rien donné mais cela ne prouve pas grand chose. Il y a tant de criminels qui ne sont jamais inquiétés... Et si le tueur s'en prenait aux membres d'un réseau ? Ou alors, il fait une simple projection sur ces hommes-là ? Ou alors, Haze fait totalement fausse route... Il n'exclut pas non plus que l'assassin soit une femme ou un enfant, un adolescent. Cela expliquerait sa taille. Haze soupire et boit une gorgée de café. Soudain, son téléphone sonne. C'est Johanna. Il la rappellera plus tard.

Haze ne fait plus partie du Bureau. Aussi, un de ses anciens collègues lui signale le plus courtoisement possible qu'il va maintenant devoir quitter les lieux et... laisser la police faire son travail. Haze comprend. Il lui sourit et le remercie pour... le café. Il lui promet de le tenir informé si, de son côté, il devait apprendre quelque chose. Il prends ensuite un taxi et se rend à l'Auberge, ce café à thème où il doit retrouver le Chef-Instructeur Snyder. Son niveau d'accréditation est Indigo/Blanc. Il n'est plus envoyé à Blue City mais il joue, parfois encore, le rôle de mentor pour les nouveaux agents de la Compagnie comme Haze. Snyder n'est pas un rigolo. C'est un dur. Mais il est réglo et il connaît son boulot. Il est convaincu que ce Tueur du Calendrier a quelque chose à voir avec les affaires de la Compagnie et Haze lui fait confiance à ce sujet. Le 13ème jour du 13ème mois. Ce ne peut pas être une coïncidence. C'est forcément lié avec cette histoire de Patient 13. Que ce serait-il passé si Coleman était parvenu à tuer 13 femmes ? Il voulait ouvrir une porte vers Millevaux, pour les Cœlacanthes. Et Johanna...
Snyder tire Haze de ses pensées d'un claquement de doigts. Il interpelle la serveuse et lui commande café et donuts. Haze est ravi. Il fait si froid en ce moment. Il est gelé, même à l'intérieur de l'Auberge. Un café lui fera du bien. Alors que la serveuse revient, il se rappelle avec amusement le chef DiCompain de la police d'Olympia, grand amateur de donuts devant l’Éternel.

« Et que vient faire Ackermann dans cette histoire ?
- Pardon ?
- Oui, Ackermann... Vous la... fréquentez si je ne m'abuse.
- Oui, non euh... Oui, nous nous... fréquentons, comme vous dîtes, Chef-Instructeur Snyder.
- Bien, alors, quel est son rôle dans cette histoire ? Quelque chose m'échappe.
- Et bien, pour faire court, Johanna... Miss Ackermann est une des victimes de Coleman. Il la retenait prisonnière, en vue de son exécution à venir, quand les forces de l'ordre sont intervenues dans sa planque. Elle a été admise en soins intensifs. Sauf que, d'après les rapports de la Compagnie que j'ai lu, l'Agent Singer a eu au même moment un « contact » avec elle dans Blue City. Poursuivis par une créature, ils se sont retrouvés à Millevaux. C'est là que Johanna s'est révélé posséder une double personnalité. L'autre, nommé Sodek NoFink, semblait alors être un complice de la Magicienne, ou du Magicien, ce n'est pas... plus très clair... NoFink aurait en fait manipulé Coleman afin qu'il tue. Il aurait fait en sorte, malgré tout, de garder Johanna en vie, nécessité oblige. Mais, les investigations de Singer notamment tendent à montrer que les choses étaient en réalité plus complexes. Finalement, Johanna ne serait plus vraiment une victime. Elle aurait joué le rôle de la victime auprès de Coleman pour rester près de lui et serait passée par l'intermédiaire de la personnalité de Sodek NoFink pour le manipuler. Dans cette nouvelle configuration, Sodek n'est plus qu'un pion et Johanna n'est plus du tout une victime. Elle serait même, finalement, à l'origine des meurtres. Toutefois, aucun examen psychiatrique n'a pu mettre en évidence l'existence cette personnalité de Sodek NoFink. Aussi, les réflexions de l'agent Singer sont restées lettre morte et Johanna continue d'être considérée comme une victime et uniquement comme cela.
- Bien, et votre opinion ? Sachant que vous... fréquentez Johanna Ackermann.
- Aucune trace de NoFink. Avec moi en tout cas, elle est à 100% Johanna. Je ne remets pas en cause l'existence de Sodek mais je ne peux qu'affirmer ne l'avoir jamais vu depuis la fin de cette affaire. Je pense, mais je n'ai aucun élément pour étayer ce point de vue, que Sodek ne peut se manifester que dans Blue City et Millevaux. Coleman était fou et obsédé par Millevaux. C'est sans doute pour ça que Sodek a pu lui apparaître. Il faudrait, je pense, ramener Johanna à Blue City puis à Millevaux pour pouvoir accéder à Sodek.
- Et pensez-vous qu'elle ait quelque chose à voir avec cette affaire du Tueur du Calendrier ?
- Non, mais je pense par contre que cette affaire est liée à Millevaux d'une façon ou d'une autre. Pour Coleman, Blue City était un sas entre Millevaux et notre réalité. Il est possible que le Tueur du Calendrier partage un délire similaire. Vous prenez le dernier donut ? »


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Dernière modification par Pikathulhu le mer. févr. 05, 2020 3:56 pm, modifié 1 fois.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
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