Les feuilles jaunissent, brunissent et chutent. Elles teintent de reflets ambrés le sol tout autour de notre demeure à la grande joie de ma fille qui, d’une démarche fragile du haut de sa première année passée, les éparpillent aux quatre vents. Je la regarde amusé s’épanouir sous ce ciel couvert d’automne. Le froid débute son emprise sur la vallée basse de l’Anduin ; au loin un duvet de neige nappe déjà les cimes des monts brumeux. L’été cède et s’éloigne et avec lui les chamboulements qui ont agités les communautés des hommes des bois.
Un an s’écoula depuis notre message porté à la Brèche, à ceux de la Porte-du-Soleil. Notre fraternité s’était ensuite éparpillée pour finalement se réunir de nouveau à Bourg-les-Bois à l’approche du nouvel été, en 2048 du Tiers Âge. Un événement majeur se préparait au sein des communautés des hommes des bois et, honorés, nous y fûmes conviés.
Une effervescence s’empara de Bourg-les-Bois. Le village fût en ébullition plusieurs jours durant car de nombreux hommes et femmes de Fort-Bois et Castel-Pics y convergeaient. Le temps de quelques jours, les communautés des hommes des bois s’unifièrent pour s’en aller toutes rejoindre celle de Rhosgobel afin d’y débuter leur grand rassemblement. Nous fîmes donc route, nombreux et ensemble, vers le sud. Arrivés à Rhosgobel, je fus ébahi par le nombre de présents. Là, hommes, femmes, enfants, innombrables, s’assemblaient pour écouter la parole des sages mais aussi entendre les requêtes des uns et des autres. A l’approche du début des débats, la foule se densifia autour d’une grande estrade en bois bâtie au milieu d’une vaste étendue herbeuse dans le contrebas du village, tout proche des premières frondaisons de la forêt. Mes yeux parcoururent rapidement la foule. Je vis d’abord le mage brun. Une myriade d’oiseaux virevoltait au-dessus de lui. Entouré d’hommes et de femmes, il discourait, écoutait et prodiguait ses conseils mais ses traits me parurent soucieux, ce qui rembrunit quelque peu mon humeur. Je ne pus m’empêcher de zyeuter l’orée enténébrée de la vaste forêt qui s’étendait à l’est, craignant d’y voir surgir une menace imminente. Non loin du magicien, Béran marchait. Le pauvre hère s’était certes remis physiquement de son empoisonnement mais il souffrait désormais de pertes de mémoire, de cauchemars et de nyctophobie. S’il se souvint être porteur d’un message sur une présence accrue d’orques plus au sud, je sus au contraire, et par Radagast lui-même, que cette histoire de vol d’épée le laissa pantois. Non loin de Béran,
Beleg discutait avec des dignitaires elfes car cet événement était ouvert aux autres peuples. D’ailleurs, on y croisait aussi des nains et de nombreux marchands venus d’Esgaroth voir de Dale. Chacun d’eux avait élevé des tentes sous lesquelles leurs étals regorgeaient aussi bien de mets et autres friandises que d’autres produits manufacturés. Dans ce maelström de tentes baigné de badauds enjoués et loquaces, notre fraternité s’y était volontairement perdue pour que nous puissions les uns et les autres y écouter les dires et bribes alentours. J’eu vent, par exemple et à maintes reprises, de l’entendement d’hurlements lugubres d’un loup plus au nord de la Forêt Noire.
Mon regard s’appesantit sur l’estrade car la foule s’en écarta brusquement pour laisser place aux dignitaires des différentes communautés. Paradant à sa tête, Ingomer-brise-hâche de Fort-Bois fendit la foule amassée. Chef du conseil des anciens de son village, l’homme aux cheveux blancs et hirsutes imposait un fort respect ; sa carrure de taureau n’avait rien à envier à sa grande sagesse. Dans son sillage, son fils cadet Iglud, âgé tout au plus d’une vingtaine d’années, détonnait par un visage marqué d’une grande stupidité. Du moins, si j’en cru les moqueries murmurées alentours qui parvinrent jusqu’à mes oreilles à ce moment-là. J’entendis aussi qu'Ingomer avait perdu son aîné à l’âge de sept ans, égaré en Forêt. Le garçon n’avait jamais été retrouvé. Je ne pus réprimer un frisson en songeant au fils de ma tendre Berenhild qui en avait fait de même voilà peu en fuguant du foyer familial. Plus curieusement, ce duo était suivi par un nain dont je ne sus le nom que plus tard. Bofri, fils de Bofur, nain d'Erebor le mont solitaire et présent à Fort-Bois depuis une bonne année pour tenter de rétablir la vieille route des nains à travers la forêt en concertation avec les hommes des bois. Cette présence m’intrigua et je me souvins distinctement d'avoir levé un sourcil. Alors que ce premier trio monta sur l’estrade, Hartfast, un homme de soixante ans environ et chef de Castel-Pic, le rejoignit très vite en compagnie de Fridwald-le-messager et de Eberulf-le-sage de Bourg-les-Bois. Fermant la marche, Cereberug-l’ancien, notable de Rhosgobel, grimpa à son tour la volée de marches puis la foule se referma derrière lui et un silence s’installa peu à peu lorsque Ingomer leva son bras droit.
à suivre ...