[CR][AiME] Un Dúnadan en Terres Sauvages

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Carfax
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

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Le bois des pontons grinçait sous mes bottes. Emmitouflé dans mon épais manteau, j'allais d'un bon pas au milieu de la nuit, seul. Tout autour, l'eau du lac dormait d'une torpeur profonde sous un ciel étoilé dont quelques nuages fugaces masquaient le brillant. Seul le craquement sourd des amarres de quelques barques chahuteuses troublait le silence de la ville endormie. Je venais de quitter mes amis, chacun s'en retournant auprès des siens pour les informer de notre prise. Nous avions partagé les flèches noires comme preuve indéniable de la gravité de nos derniers événements nocturnes vécus. Chacune avait été soigneusement enroulée dans une étoffe de cuir pour nous protéger de son contact mais aussi la cacher à la vue de quiconque. A cette pensée, j'empoignais fermement la mienne dans ma main gauche lorsque le croassement d'un corbeau noir perça le calme nocturne. Je levais les yeux et aperçus l'oiseau tournoyer haut au-dessus de ma tête pour disparaître vers le sud. Devais-je voir là un pressentiment de mauvais augure ? Un tel oiseau était rare en ces lieux et je ne pus réprimer un frisson d'inquiétude. Décidément, cette nuit était interminable.

Après moultes tergiversations, nous avions amené notre prisonnier dans un entrepôt familial de Vannedil qui se situait avantageusement non loin du quartier des embarcadères. Je m'étais finalement rangé à ce choix car j'eus préféré, pour ma part, ramener notre homme des bois aux siens. Un léger brouillard avait envahi la cité lorsque nous atteignîmes le hangar dont la structure était constituée de larges planches en bois. Il était gardé par trois hommes à la solde familiale postés devant une haute porte à battant. Mon compagnon Vannedil les aborda et les convainquit rapidement de nous laisser convertir ce lieu en une geôle de fortune. Ainsi, au milieu des caisses, tonneaux et autres sacs épars, nous avions solidement ligoté à un poteau de soutènement notre aliéné resté pour le moment évanoui. Sur ce, nous nous étions séparés, abandonnant l'inconscient à sa prison de bois.

Je toquais à la porte. Plusieurs fois. Le martèlement se répercuta à l'infini dans le long couloir de l'auberge desservant les chambres endormies. Après quelques minutes de patience, le loquet s'ouvrit et la porte me laissa entrevoir, par son interstice, le visage ensommeillé et interrogatif de Gailar. Sans mot, je dévoilais précautionneusement l'empennage de ma flèche noire et lui exposer devant ses yeux encore embrumés. Puis je prononçais avec réticence : « Une flèche noire d'Angmar, forgée dans le seul but de détruire la lumière » et lui avouais sa provenance. J'avais trouvé celle-ci en possession d'un homme des bois aliéné cuvant son malheur dans les bas-quartiers de la ville. Cet homme avait disparu depuis bien des mois dans les ombres de la grande forêt, cet homme était Humald le chasseur. Je lui confiais ma surprise de le voir reparaître ainsi en possession de trois flèches noires comme celle-ci. Ici, cette nuit, curieusement dans la cité lacustre et étonnement lors du Conseil du Nord. Après quelques secondes, remis de sa stupéfaction et face à la gravité de mes dires, le conseiller me demanda de réveiller d'autres membres de notre communauté afin que nous statuions sur la marche à suivre. Gailar souhaitait agir avec célérité et rapatrier ici même le prisonnier. A ses yeux et en l'état, l'homme n'était pas un criminel. Peut-être avait-il trouvé ces flèches dans un tumulus caché dans les profondeurs des bois. Il avait certainement souffert de ses errances, aussi bien physiquement que psychologiquement. Dans la nuit, nous partîmes donc le chercher en petit nombre sans en avertir mes deux camarades.

A notre retour, Beleg patientait devant les portes de notre auberge. Ses longs cheveux blancs cascadés sur ses fines épaules. A l'approche de notre petite troupe, il nous fixa longuement. La nuit était déjà bien avancée et pourtant son visage ne trahissait aucune fatigue. En quelques mots, je lui résumais la situation : Humald serait gardé par les nôtres selon la volonté du conseiller Gailar. Nous avions pu extirper le chasseur de l'entrepôt où il était resté ligoté. J'avais suffisamment intimidé les gardes pour y arriver sans trop d'opposition. Ainsi Humald, toujours inconscient, fut allongé sur la couche d'une chambre inoccupée. D'un pas lent et assuré, mon ami elfe approcha alors de Gailar et, fidèle à sagesse, le mit en garde. Jamais auparavant il n'avait ressenti une telle noirceur chez un homme et cela lui procurait une peur terrible. Gailar se tut d'abord, toisa l'elfe puis porta son regard sur les contusions qui meurtrissaient le visage et le corps d'Humald; Puis, froidement, il exprima sa simple intention d'apaiser les douleurs de cet homme brutalisé par l'application d'onguents et la prise de breuvages curatifs. Je songeais que je l'avais molesté très durement mais je n'en dis mot. Il n'était ni le lieu ni le moment de me repentir. Chacun se sépara sur cet échange glacial. Et avant de rejoindre ma couche, dans un dernier effort, je partis informer Vannedil de ces derniers rebondissements.

Au matin, Humald dormait d'un sommeil profond, abreuvé de décoctions le laissant dans cette léthargie réparatrice. Par ailleurs, Gailar lui avait aussi pansé son nez brisé et pommadé ses tuméfactions. Deux de nos hommes montaient une garde attentive à son chevet ou devant la porte de sa chambre. Parmi les miens, chacun se tut sur les évidentes conséquences de cette longue nuit qui, forcément, résulteraient de tensions entre les communautés mais, dans l'esprit du conseiller, il eut été inconcevable de remettre le chasseur à qui que ce soit d'autre et surtout à la milice de la cité. C'est ainsi, dans un profond et pesant silence, que nous rejoignîmes la salle du conseil en cette morne et brumeuse matinée. Une dernière journée d'âpres négociations nous attendait.

Les pâles rayons matinaux illuminaient faiblement la salle du conseil et pourtant, l'intervenant resplendissait au centre des conseillers. Celui-ci était un homme basané d'âge mûr aux longs cheveux noirs. Un manteau de voyage, qu'il tenait ouvert, habillait ses épaules. A sa ceinture de cuir, une grosse clé en métal brillait des rares rayons solaires qui s'y reflétaient. De ses yeux sombres, il toisa chacun des conseillers et, avec un ton hautain, il se présenta : « Je suis Drustan et porte à vos oreilles un message d'espoir, celui du sage Sarouman le Blanc. Mon maître vous annonce qu'il sera très bientôt parmi vous et ce pour les trois prochaines années. Il vient enquêter personnellement sur les événements actuels qui secouent la région du Rhovanion et résidera chez son ami Radagast le Brun à Rhosgobel. Chacun pourra venir le consulter pour obtenir réponses à ses questions. ». L'homme se tut puis, dans un prompt mouvement majestueux, il fit demi-tour et quitta la salle d'un pas pressé. Le roi Dáin rompit ironiquement le silence établi : « Nous voulions des nouvelles des magiciens et nous en aurons donc. Notre vœu est exhaussé. ». Barde ajouta alors : « La venue de Sarouman est indéniablement un avantage pour nous tous mais aussi pour notre Conseil des affidés. ». La matinée se conclut sur cette dernière intervention. Puis, au début de l'après-midi et après un déjeuner calme, le conseil se réunit une dernière fois pour écouter un nouvel intervenant. Celui-ci ne m’était pas inconnu. Vêtu tel un guerrier, il entra avec assurance et descendit les quelques marches qui le séparait du cercle des conseillers. Là, il scruta l'assemblée et je me surpris à voir un grand nombre d'entre nous baisser le regard. Puis sa voix grave tonna : « Mes seigneurs, une route traverse la Forêt Noire, une route abandonnée mais qui n'en est pas moins une véritable voie forestière. Avec mes hommes et le nain Boffri, ici présent, nous l'avons parcourue et une grande partie de celle-ci est pratiquement intacte. Il y a longtemps, cette route bordée de fortins offrait une traversée sans encombre des sombres bois. Celle-ci est perdue à ce jour mais nous pouvons la reconquérir. Dans ce but, Boffri a demandé le soutien de ceux de la Colline au Tyran qui luttent encore et toujours contre les méfaits de l'Ombre. Nous sommes prêts pour cette longue et périlleuse mission mais il nous faut vos soutien et appui mais aussi des finances. Le route ne pourra être reconstruite sans. Seigneurs, soutenez notre effort et moi, Morgdred, vous promet que les peuples libres pourront à nouveau traverser sans crainte la grande Forêt. ». Sur ces derniers mots, Morgdred quitta la salle et laissa place aux discussions.

Je connaissais l'opinion de mon ami elfe. Ce dernier doutait que Morgdred puisse travailler pour le bien de tous sans compensation. Et celle financière lui semblait peu concrète. Nous entendions cet argument avec Vannedil mais, tous deux, nous pensions préférable de voir ce vil personnage s'atteler à cette tâche plutôt qu'au harcèlement des Hommes des bois en lisière de la Forêt Noire. Nous espérions même que l'homme y épuisa ses troupes. Sous l'empressement de Beleg, nous partîmes avec Vannedil interroger Boffri. Le nain répliqua à nos suppliques une ritournelle qui ne nous satisfaisait pas : Morgdred et ses hommes seraient payés pour leur travail comme tout un chacun participant à la reconstruction de la route. Le soutien financier des peuples libres était ainsi capital aux yeux du nain. Mais, à l'évidence, le nain n'était guère loquace, il jouait de cachoterie. Je lui rappelais nos aventures pour récupérer le « Bâton » de ces ancêtres, de la confiance qui nous unissait. Devais-je croire celle-ci évanouie ? Boffri tergiversa mais nous confia l'existence d'un accord préférentiel entre son peuple et celui de Morgdred. En contrepartie de son aide, les nains fourniraient à Morgdred armes et métaux de qualité et en quantité suffisante pour ses troupes. Rien de plus normal pour le nain pour qui souhaitait défendre au mieux la construction de sa route.

Je rapportais ces propos à Gailar et lui rappelais aussi les harcèlements incessants sur le Tarn Noir, une communauté des Hommes des bois. Je lui donnais aussi mon sentiment, pensant qu'un Morgdred, occupé à défendre la route, serait sûrement moins belliqueux à nos frontières. Les négociations prirent du temps puis aboutirent à un oui généralisé, seul Beorn s'abstint. A cette annonce, Morgdred lança un regard empli de morgue à Ceawyn. Je doutais en cet instant de mes supputations optimistes.

Le conseil tira sa révérence sur ce dernier vote. C'est à cet instant qu'un homme des bois accapara Gailar pour l'informer d'une importante contrariété :  en début d'après-midi, des hommes surgirent par la fenêtre de la chambre d'Humald et l'emportèrent par les toits. Bien que l'un d'eux fut abattu par l'un des surveillants du chasseur, celui-ci s'était échappé. Malheureusement, la traque qui suivit échoua. Un homme crut néanmoins voir dans les cieux gris un corbeau noir voleter avec les fuyards. Gailar sembla lourdement affecté par cette triste nouvelle et partit rejoindre notre auberge sans délai. Encore cet oiseau de malheur songeais-je. Une bien trop curieuse coïncidence. Lorsque nous avions convoyé le heaume doré à la Porte-du-Soleil, nous avions affronté une femme - dénommée Valdis - avec un tel oiseau. Celle-ci était-elle réapparue ? Alors que j'étais perdu dans mes pensées, Beleg vint me demander ma flèche noire. Il voulait les remettre aux siens pour plus de sécurité. J'acquiesçais et suivis les miens qui s'apprêtaient pour la grande parade finale.
 
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Les délégations sortirent une par une de l'hôtel de ville d'Esgaroth. Sur la place, une foule dense de badauds s'était amassée. Des vivats s'élevaient et des applaudissements claquaient. Ma délégation précéda celle des gens de la ville de Dale. Le roi et sa dame eurent un accueil festif et chaleureux, la foule se pressa au bas des marches du perron de l'hôtel de ville, faisant plier sous sa poussée le cordon des gardes de la cité qui eut grand peine à la contenir. Puis tout s'accéléra et le chaos survint. Tirée des cieux, une flèche voltigea et se figea avec violence dans l'épaule du roi. Celui-ci expulsa un cri de douleur avant de mettre un genou à terre. Puis les deux traits suivants meurtrirent sa dame. Par amour, la belle s'était interposée entre son aimé et le tireur. Sa robe blanche immaculée se tâcha d'une rougeur vive. Je jouais des coudes pour avancer vers le couple royal au milieu des cris et des hurlements jusqu'à percevoir les deux flèches plantées dans le dos de la reine. Dans la confusion ma vision fut succincte mais je compris l'issue des blessures royales. Un garde bardide cria alors et banda son arc vers les toits opposés à la scène tragique. Je dressais la tête et vus son trait fuser et s'enfoncer dans l'épaule d'un fuyard bondissant sur les toits des bâtisses de la cité lacustre. L'allure de ce dernier, comme son accoutrement, ne me fit aucun doute : nous avions échoué. Lamentablement. L'aliéné avait frappé mortellement. Plus tard, son corps fut retrouvé flottant sur les eaux de lac, une flèche plantée dans son dos. Mais à quoi bon, l'Ombre gagnait.  

Fin des sessions 24 à 30
Phase de communauté
 
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polki
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par polki »

:twisted:

l ombre avance
" il est beaucoup plus facile à être contre quelque chose que pour" - Cédric Herrou

« Entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous, il faut choisir. » - Thomas Sankara


:bierre:
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AsgardOdin
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

C'est terrible...
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Harfang
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Harfang »

Belle tension et beau récit.
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Carfax
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Merci pour vos retours. C'est toujours un plaisir.
Tiens, un mot d'ailleurs sur mon plaisir rédactionnel. Nos parties ne sont pas enregistrées. Je note donc avec frénésie tout ce que je peux mais surtout les dialogues. Les mots clés aussi des descriptions qui ambiancent nos parties. Cette façon de procéder est fastidieuse j'en conviens mais elle retranscrit mieux, en mon sens, la perception des événements de mon personnage. Je reste concentré sur sa vision et ne narre pas par exemple les actions de mes compagnons si je n'y assiste pas. Par exemple dans la partie précédente, Vannedil a beaucoup agit et interagit mais sans qu'Aigre-Feuille soit là. C'est pour cela qu'il semble plus en retrait que Beleg dans mon récit de notre dernière partie.  

Lorsque je rédige, je m'appuis donc sur ces notes mais par contre, je laisse souvent un peu de temps avant de commencer, souvent je ne me précipite pas sur la plume après la partie. Cela me permet de prendre un peu de recul. Après, j'essaye, un peu comme Volsung dans ses enregistrement, d'embellir l'ambiance et le ressenti de mon personnage mais sans jamais dénaturer les événements et, autant que je puisse, rester au plus près des dialogues.

EDIT.
Une fois mon texte écrit sur un brouillon, je l'ajoute à un fichier word où je conserve tous les mes CR - pour en faire un livre final que je remettrais aux joueurs eu au MJ - puis le livre ici après une première passe corrective. Je relis ensuite le word auquel j'apporte souvent des changements mineurs mais que je ne reporte pas systématiquement ici. Dans mon esprit mon fichier word sera l'épreuve finale.

 
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

10ème phase de Communauté
Développer sa propriété & Amélioration d'une vertu culturelle

Fin d'année 2956 du Tiers Âge
 
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La neige chutait. Abondement. Comme jamais auparavant en cet hiver. Son manteau blanc avait recouvert la moindre brindille, la moindre pierre, la moindre branche. L’eau des ruisseaux était figée, glacée. Les congères dévoraient le moindre filet jusqu’aux berges de la Rivière Noire. Le froid mordait le moindre courageux qui risquait un nez au dehors. L’hiver s’imposait dans toute sa froidure. J’avais lutté force et âme pour protéger mes cultures d’herbe à pipe de son emprise. Superstitieusement, je croisais deux doigts gelés lorsque je m’éloignais de ma ferme m’enfonçant à chacun de mes pas un peu plus dans le manteau neigeux recouvrant le sentier à peine discernable. Mon écharpe cernait mon visage emmitouflé sous ma capuche. J’esquissais un sourire en pensant à Myrha et mes lèvres craquelées me firent souffrir. Mon amie hobbit féliciterait mes efforts déployés pour maintenir en vie nos plans d’herbe à pipe. Elle me manquait et je me promis de lui rendre visite en sa Conté. Je songeais à l’amitié, aux affres qu'elle m'avait permis de surmonter. Dernièrement, l’épreuve des geôles de Dol Guldur avait noirci mon cœur et jamais, ô jamais, sans Beleg je n’en serais revenu. Oui, l’amitié était indéniablement une force, une aide, un soutien. L’Ombre m'harassait, m'accablait, m'isolait, mais elle ne me briserait pas. Je me savais accompagné.

J’avançais, opiniâtre, traversant un rideau infini de flocons. Un rayon fugace perça le ciel cotonneux et éclaira mon visage. Tout n’était pas noir en ces terres. Un espoir, même infime, subsistait.

Le siège du Tarn Noir
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AsgardOdin
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

C'est beau..  :wub:
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Année 2957 T.A.
Le siège du Tarn Noir
Sessions 31 à 33
 
Rhosgobel s'évanouissait peu à peu derrière nous pour ne rester bientôt qu'une vision lointaine sur l'horizon déclinant. En ce mois de juillet, le soleil se couchait tardivement, irradiant d'un pâle halo rougeoyant la cime des arbres de la Forêt Noire. Nous avions fait une simple halte dans le village ceinturé d'épines. Comme une curiosité extraordinaire, il accueillait désormais deux istari. Comme annoncé lors du Conseil du Nord, Sarouman le Blanc logeait depuis quelques semaines dans une maison d'hôtes du village et son arrivée avait mis un terme aux errances de Radagast. Ce dernier était rentré dès lors parmi les Hommes des bois.

Mais Rhosgobel n'était pas notre destination. Avec mes compagnons, Beleg et Vannedil, nous descendions plus au sud où nous avions été conviés aux journées festives du Tarn Noir. La communauté d’Amaléoda célébrait l'arrivée de l'été après ce terrible hiver et réunissait ses amis. Je supputais un certain allant chez Vannedil pour l'occasion. Plus d'une fois, celui-ci menait d'un bon pas notre marche mais, pour être honnête, nous nous réjouissions tous trois de retrouver bientôt Amaléoda et les siens. En ces temps troubles, les réjouissances se raréfiaient et chacune s’appréciait grandement.

Mais nos sourires se changèrent vite en grimaces. Lorsque nous vîmes au loin apparaître les murailles en bois du village du Tarn Noir, une odeur prégnante et nauséabonde agressa nos narines. D'abord diffuse, elle se renforça peu à peu à l'approche du Lac Noir. Et plus nous nous approchâmes de notre destination, plus ces effluves putrides s'avivèrent pour devenir rapidement irrespirables. Nous ne pûmes nous empêcher de masquer nos visages d'un morceau de lin. A présent, le chemin serpentant surplombait pleinement le village et, en contrebas, le lac dévoila toute sa noirceur. Il semblait malade, recroquevillé sur lui-même. Sur tout son pourtour, ce que nous prîmes d'abord pour de larges berges asséchées n'étaient autres que de vastes étendues d'algues pourrissantes. Celles-ci se décomposaient sous les chauds rayons du soleil et libéraient leurs effluves pestilentiels.
 
A notre arrivée, les lourds vantaux renforcés de la porte d’enceinte s'ouvrirent dans un long craquement. Du haut de leur chemin de ronde, les gardes nous avaient reconnu. L’un d’eux fit retentir la corne annonçant notre entrée. Une certaine agitation régnait au sein du village. L'accueil fut chaleureux et les villageois nous saluèrent poliment. Cependant, il ne fallait pas être grand devin pour lire sur leurs visages fatigue et abattement. Nous rejoignîmes Amaleoda. Elle s'activait sur les berges du lac avec nombre de ses compagnons pour déblayer les gigantesques amas d'algues mortes. Ceux-ci s'étendaient à l'infini et masquaient l’eau sur laquelle ils flottaient. Cette masse végétale putride emprisonnait dans son étau les embarcations, empêchant toute navigation sur le lac. L'air vicié était asphyxiant et pourtant chacun ici, dans cette puanteur, trimait sans compter ses efforts. Femmes et hommes s'harassaient et draguaient les algues dérivantes qu'ils entassaient et brûlaient. Amaléoda était méconnaissable et empruntée. Son regard noir et colérique croisa le nôtre. Nous pouvions y lire un désespoir profond. Habituellement si avenante, elle nous chassa presque lorsque nous l'abordâmes. Il n'était plus question ni de fête ni de joie mais de sueur et de douleur. La pestilence s'était installée dix jours de ça et l'aide, la plus généreuse soit-elle, de six bras supplémentaires s'avérait bien futile pour Amaléoda. Sa tristesse me blessa. Je portais mon regard sur l'étendue du lac. A l'évidence, un courant poussait les algues vers les embarcadères du Tarn Noir. Néanmoins, à l’est, les rives semblaient moins encombrées. Je m’interrogeais : tout cela se pouvait-il être encore le résultat des facéties de la Dame du Lac ? Non, l’Ombre frappait ici plus fort qu’ailleurs. Nous ne pouvions abandonner ces gens à leur triste sort. Ne rien faire, ne rien tenter, c'était livrer le Tarn Noir à une fin inéluctable. Devions nous repartir interroger les istari sur ce fléau ? Ou plutôt ne pas perdre plus de temps et partir investiguer les rives est préservées du Lac Noir ? Nous optâmes pour cette option et nous nous mîmes immédiatement en direction de ces berges.
 
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La marche fut éreintante. Le sol accidenté des berges asséchées ralentissait notre avancée, sans compter ces myriades d’insectes aux piqûres agaçantes. Heureusement, les algues mortes se firent moins présentes et s'amenuisèrent rendant l'air quelque peu respirable. Au bout d'une heure ou deux, nous retrouvâmes les abords du tumulus où ce fou d'Humald avait perdu son collier. Dans les ombres des arbres défraîchis et noircis, nous perçûmes à nouveau ces étranges créatures des marais. Elles s’étaient regroupées pour la plupart autour de l'ancien tertre. Ces charognards semblaient s'être multipliés depuis notre précédente venue. Plus téméraires, ils déambulaient toujours plus près de nous. Leurs yeux blancs et globuleux perçaient la faible luminosité des lieux. A chacun de leurs pas, leurs cheveux filandreux et jaunis, tout comme leurs longs bras aux mains griffues, se dandinaient grotesquement. Bien déterminé à progresser plus avant, j'allumais une torche et m'avançais vers eux. Face à la flamme ardente, les créatures s'agitèrent. Restés quelque peu en arrière, mes deux compagnons m'incitèrent à la prudence. J'avançais prudemment tout en agitant mon tison enflammé. « Arrière créature du lac, arrière ! » prononçais-je au moment même où, venant du sud, le son grave d'un cor retentit. Je me figeais. Ce son. Non. Impossible. Je reconnu avec effroi celui des cors orques qui avaient sifflé si proche de la forteresse sombre. Je tournais lentement ma tête vers l’origine de cette lugubre sonorité et remarquais une agitation dans les vapeurs du marais sans pour autant distinguer la nature de ces mouvements. On venait. Je vis alors quatre hommes des bois boitillant et claudiquant s'extirper des marécages. Certains étaient gravement blessés. D'abord interloqué, je les hélais. Ils s’approchèrent et cela provoqua l'hallali : les charognards, si placides et lents quelques secondes auparavant, se jetèrent avec frénésie, comme affamées, sur ces pauvres hères.

Je n'eus pas le temps de m'interposer et, déjà, une première créature déchiqueta d'un puissant coup de griffe le cou de l'un des quatre hommes. Dans un jet d'hémoglobine, il s'écroula au sol au moment même où la première flèche de Beleg perça le crâne de son bourreau. Un deuxième jet de l’elfe vint abattre un autre monstre en pleine poitrine, lui arrachant un râle de douleur. Titubant près de moi, je le décapitais du tranchant de ma lame. Sa tête roula au loin lorsque j'entendis Beleg crier « Par ici, reculez ! ». Hagard dans la mêlée, je ressentis une violente douleur à l'épaule. Des griffes acérées venaient de lacérer mes chairs. En rage, je me tournais et plantais mon épée profondément dans le ventre de mon assaillant. Le fil traversa le corps flasque jusqu'à la garde de mon arme. Le monstre s'effondra au sol lorsque je la retirais promptement. Devant le nombre de mes ennemis, je brandis ma torche tentant de les repousser et les éloigner des trois survivants. Derrière moi, les traits de Vannedil fauchaient et fauchaient. Néanmoins, ces créatures étaient innombrables. Au loin, les cors retentirent à nouveau faisant trembler les branchages.

Soudainement, une lumière aveuglante pétrit d'effroi les créatures du marécage. Dans mon dos, Beleg levait haut sa lampe elfique. Se cachant les yeux de leurs membres difformes, les charognards refluèrent sur quelques mètres ; un répit suffisant pour retraiter. Aidant les hommes des bois blessés, nous refluâmes vers le village. Dans notre fuite, les cors sonnèrent plus ardemment, toujours plus proche. Je volais alors quelques mots à l'homme des bois que j'épaulais. Partie en reconnaissance, leur patrouille avait croisé une avant-garde gobeline et s'était faite massacrée. Nous redoublâmes nos pas. Enfin nous vîmes les hautes palissades du Tarn Noir. J'entendis les portes de l’enceinte claquer brutalement derrière moi lorsque nous nous engouffrâmes dans le village. Abandonnant mon blessé à quelques bons samaritains venus lui porter secours, je gravis deux à deux les marches grimpant au chemin de ronde. Sous moi, j'entendis ordres et cohues. Les défenses s’organisaient à la hâte. Enfin, j'arrivais sur la barbacane en bois qui dominait les murailles du Tarn Noir. Je portais mon regard et, de toute part, je les vis. Ils se cachaient sous les futées de l'immense forêt qui encerclait le village. Là, dans la pénombre naissante de cette fin de journée, ils s’amassaient. Des gobelins. Par centaines. Toute une armée. Sous mes pieds, la muraille me parut une bien frêle défense.  
 
Dernière modification par Carfax le mar. déc. 22, 2020 11:37 am, modifié 3 fois.
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par polki »

fourbes gobelins !!
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Harfang
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Harfang »

Jolie mise en scène avec cette infectée comme une réponse à la souillure avançant. Et jolie compte-rendu
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AsgardOdin
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

Toujours aussi bien ! Et prenant !  :wub:
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Carfax
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Peu à peu, inexorablement, le crépuscule s'imposait. Les derniers rayons disparaissaient sur l'horizon, nimbant d'un rouge sang un ciel sans nuage telle une prémonition. Là, à quelques centaines de pas, les gobelins grouillaient aux abords de la forêt et leurs cors sonnaient une complainte lugubre. Autour de moi, sur la muraille du Tarn Noir, hommes et femmes, munis d'arcs et de flèches, patientaient sans mot dire dans une torpeur trompeuse. La tension était palpable et chacun prenait pleine conscience de vivre peut-être ses dernières heures. Plus avant dans la soirée, Vannedil et un groupe d'hommes avaient échoué dans leur tentative de s'extraire du village avec une embarcation pour chercher secours. Les forces gobelines patrouillaient partout et mon compagnon avait dû retraiter avec ses hommes sous leur assaut, non sans déplorer des pertes. Nous étions cernés et piégés et, seuls, nous devions affronter notre destin, fût-il funeste. Beleg avait organisé dans la grande salle du village un dispensaire de fortune pour y accueillir nos blessés. Inévitablement, nous subirions des pertes au cours de la bataille. Pour nous prémunir de la destruction de la porte d'enceinte lors de l'assaut, Amaléoda et ses troupes l'avaient étayé tout en élevant aussi derrière celle-ci une barricade de fortune. J'espérais néanmoins que nous n'aurions pas à défendre nos vies ainsi car cela figurerait alors, pour nous, d'une situation perdue.

Debout sur le chemin de ronde, je portais mon regard au loin et tentais en vain de dénombrer nos ennemis. Ils étaient présents en masse, assurément plusieurs dizaines ou même centaines. Je percevais leurs grognements d'impatience d'en découdre et les invectives de leurs meneurs. Amaléoda me rejoignit et d'un signe de la main ordonna l'allumage des torchères. Une myriade d'entre-elles s'embrasèrent et le village du Tarn Noir sembla soudainement cerné d’un cordon lumineux dans la nuit naissante. Beleg aussi était monté sur la muraille, son arc à la main et son carquois empli de traits. Je me réjouis de la savoir à mes côtés en cette nuit funeste. Par contre, je ne voyais pas Vannedil et j'appris plus tard qu'il épiait le lac dans l'espoir d'y voir le frémissement Eau-Sombre ou d'y entendre son rire narquois. Qui sait l'aide qu'elle pourrait nous apporter ?

La nuit était noire et sombre, quelques longs cumulus obscurcissaient à présent une lune blonde. Beleg se porta à mes côtés et me confia « Veille sur Amaléoda. Elle doit survivre à cette nuit de bataille ». J'opinais du chef puis il s'éloigna pour se positionner plus loin sur le chemin de ronde. Alors qu'il s'effaçait dans la pénombre mouvante projetée par les torchères, j'aperçus Vannedil se placer à l'opposé de la barbacane avec son arc long. Tout en tirant ma lame de son fourreau, je lui fis un signe de tête d'encouragement mais n'eus pas le temps d'attendre sa réponse. Le long sifflement d'un cor retentit et la charge débuta. Les grognements s'intensifièrent, les cris percèrent. Le sol trembla sous les pas des dizaines et des dizaines de gobelins martelant le sol de leurs pieds griffus. Armés de lance, ils s'élançaient sans retenue à l'assaut de la palissade.  En groupes serrés, ils vinrent s'échouer à ses pieds. Certains y grimpèrent alors que d'autres projetaient leur lance sur nos défenses. L'une d'elles vint percuter de plein fouet un homme des bois proche de moi. Il s'effondra dans un gargouillis étouffé. Nos flèches volèrent et fauchèrent et fauchèrent et fauchèrent. Sans relâchement, du haut de nos murailles, nos archers faisaient vibrer la corde de leur arc. Les corps de gobelins s'amoncelaient au bas de la muraille et pourtant il en venait toujours plus nombreux. Aidés de leurs mains et pieds griffus, certains gravirent les hautes palissades et envahirent le chemin de ronde. Nos défenses pliaient. Je serais le pommeau de mon épais puis me murmurais « Homme de l'Ouest, sois fort. Que la flamme de tes ancêtres brille et resplendisse ! » avant de me lancer, éperdu, dans la mêlée.
 
Image
 
La première tête vola et le corps du gobelin s’écroula. Mais immédiatement, un autre gobelin surgit. Je fis volte-face et lui plonge ma lame entre les deux yeux. Celle-ci s'enfonça profondément dans la crâne tétanisant de soubresauts la créature. Je taillais et hachais de toute part. A mes côtés, Amaléoda faisait vibrer son épée. Les Gobelins se jetaient sur nous comme des furies. Leurs couteaux de pierre lardaient nos chairs. Dans mon dos, j'entendais les invocations de Beleg. Ses traits enchantés et bleutés fauchaient sans discontinuité. Trop concentré sur mes combats, je ne savais si Vannedil résistait ou pliait. Mais cette pensée me coûta, un couteau perça ma garde et m'entailla profondément la cuisse. J'hurlais et, d'un geste précipité mais précis de mon épée, tranchais la gorge de mon assaillant. Les combats sur le chemin de ronde étaient âpres. Nous devions repousser nos ennemis car une brèche s'ouvrait. J'haranguais nos troupes « Tenez ! Tenez ! ». Malheureusement, je vis un groupe de Gobelin sauter par-dessus la porte et courir dans l'enceinte vers la grande salle. Beleg, en quelques enjambées, descendit des murailles et prit leur chasse. Dès lors, je le perdis de vue.

La mêlée flua et reflua. Notre résistance était héroïque et nos ennemis hésitaient lorsque deux de leurs chefs - d'aspect bien plus robuste - s'approchèrent au bas des murailles pour les haranguer. Dans ma lutte, épée contre couteaux, je criais à Amaléoda « Visez les chefs ! Fléchez-les ! ». Je ne sus si Vannedil, au loin, m'avait entendu mais, avant même qu'Amaléoda réagit, il banda son arc et sa flèche partit en droite ligne vers sa cible. Elle pourfendit le cou de l'un des meneurs. Saisissant sa gorge de ses deux mains griffues, il cracha un flux de sang avant de s'affaler au sol. Je ne sus si ce jet fit basculer la bataille à cet instant, ou si c'étaient les premières lueurs de l'aube éclairant les cieux, mais les gobelins se replièrent. Certains hésitèrent et tombèrent sous nos derniers coups d'épées et de haches. Des flèches sifflèrent aussi accompagnant la fuite de nos ennemis vers les bois. Puis le silence s'imposa que seuls le râle des blessés et le halètement des combattants troublaient.

Cette première vague avait été violente et foudroyante mais son déluge avait été contenu. Nous déplorions des morts et des blessés mais notre entraide avait vaincu cette première nuit d'affrontement. Je la cherchais me rappelant ma promesse faite à Beleg. Amaléoda était éreintée, au bord de l'épuisement. Trop empruntée pour verser des larmes, qu'elles aient été de joie ou d'abattement, elle s'était agenouillée au milieu des cadavres entremêlés jonchant le chemin de ronde. D'un pas, je m'approchais d'elle et, lui posant une main sur son épaule tremblante, je lui dis « Nous avons tenu et repoussé ce premier assaut vaillamment. Il faut s'enorgueillir. Soufflez un peu et rejoignez Beleg pour qu'il vous soigne blessures et contusions. Je reste et guetterai. ». Elle me fixa et hocha la tête. Dans un ultime effort elle quitta la muraille et s'éloigna vers la grande salle. 

A peine plus tardivement, Beleg me trouva à mon poste où j'étais assis et pensif. Ma cuisse me lancinait. Il me dit de sa voix claire : « Je suis content de te voir profiter du répit de cette matinée depuis les premières lueurs naissantes, Aigre-Feuille. ». Je lui répondis simplement : « Heureux aussi de te savoir entier mon ami. J'ai entendu chanter ton arc sylvestre cette nuit et sa mélodie résonne encore à mes oreilles. Quelle bataille ! As-tu des nouvelles de Vannedil ? ». Il m'assura alors : « Il va bien et s'évertue à trouver une idée pour embarquer vers du secours depuis les pontons de l'embarcadère du village. » Je ne pus réprimer un sourire. « Infatigable Vannedil ! » songeais-je. Beleg poursuivit : « Que penses-tu de la présence des gobelins ici. Pour y venir, ils ont dû traverser le bois des araignées, des créatures qu'ils fuient plus que tout. J'ai peur qu'une menace bien plus grande ne les ait poussés au-delà de leurs limites. Quelque chose d'assez terrifiant pour qu'ils vainquent leur peur irrépressible des arachnides géantes ». Sans même en dire plus, nous nous comprîmes et pensâmes tous deux à l'effroyable noirceur qui erre dans la forêt. Nous avions nous aussi fui à toutes jambes face à elle.

Le soleil s'éleva et nous nous regroupâmes près de l'embarcadère. Le rire espiègle de la Demoiselle du Lac y avait résonné. Eau-Sombre émergea des eaux marécageuses et les algues s'écartèrent au-devant d'elle. Elle s'avança ainsi, toute ruisselante dans une démarche gracieuse. D'une beauté confondante, elle s'approcha dans une tenue moulée, aux fines écailles, et d'un noir diaphane qui dévoilait ses longues jambes laiteuses. La lumière se reflétait sur les fils brillants de sa robe l'entourant d'un halo la rendant presque irréelle. Mais je fus confus pour tout autre chose, la demoiselle semblait porter sur elle la chrysalide tissée par la reine araignée que nous avions fui au plus profond de la forêt. Celle-là même qui avait dévoré nos compagnons. Un frisson d'effroi parcourut mon échine.

Les villageois présents tout comme Amaléoda s'avancèrent vers elle, soulagés de sa venue. Le regard froid, Eau-Sombre s'adressa à tous : « Enfant de la forêt, nous sommes amis depuis longtemps, écoutez- moi bien ! Face à l'obscurité, il ne peut y avoir de victoire mais, si vous me suivez, je vous guiderais et protégerais. Vous pourrez fuir ce village sain et sauf. ». Troublé, je perçus mensonge et facétie dans ses mots. Beleg dût avoir le même sentiment car il s'avança vers elle, la toisa et la remercia puis, soudainement, il tenta de lui arracher sa robe étoilée. D'un brusque mouvement, la demoiselle se replia et déchaîna les eaux qui vinrent frapper l'elfe de plein fouet, le repoussant violemment. Chacun resta coi. Amaleoda s'offusqua : « Beleg, êtes-vous devenu fou ? »; L'elfe se releva et saisit sa lampe : « N'avez pas, demoiselle, rencontrer une reine araignée ? Ne portez-vous pas une chrysalide qui vous serrez point accoutumée ? ». Eau-Sombre rugit : « Mais enfin, de quoi parlez-vous ? Il vous faut survivre et fuir ce lieu et ces gobelins et vous me parlez d'araignée ? ». Beleg se tourna vers Amaléoda : « L'ombre est passée sur vos terres du Tarn Noir. Sa pluie l'a ravagée. Même les dames du Lac ont été affectée par son emprise. Nous nous sommes battus tous ensemble cette nuit. Nous avons combattu et sauvé ce village que vous avez construit avec votre sueur. Nous devons rester ici pour ceux qui y sont tombés. Nous ne devons pas le déserter. S'enfuir ? Alors l'Ombre gagnera. Il ne faut pas désespérer, les hommes des bois des autres communautés nous viendront en aide. ». A ces propos, Amaléoda resta confuse. Eau-Sombre déclara alors d'une voix glaciale et impatiente : « Amaléoda, j'attends ta décision. Écoutes-tu cet imbécile ou ta sagesse ?. »  La cheffe du Tarn Noir respira profondément puis s'écria « Hommes et femmes du Tarn Noir, êtes-vous avec moi ? ». Des vivats et des exclamations lui répondirent et elle poursuivit : « Nous survivrons ou mourrons, mais nous lutterons ici contre l'Ombre ! ». Eau-Sombre se révulsa : « Vous mourrez tous ! Fous et Idiots, vous... ». Mais Beleg l'interrompit en allumant sa lampe. La lumière l'éclaboussa de sa vive clarté. Poussant un cri, elle se cacha le visage et plongea précipitamment dans les eaux vertes du lac qui bouillonnèrent. Nous étions seuls à nouveau sur la grève.

à suivre...
Dernière modification par Carfax le lun. déc. 21, 2020 5:29 pm, modifié 2 fois.
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polki
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par polki »

mieux vaut abandonner :mrgreen:
" il est beaucoup plus facile à être contre quelque chose que pour" - Cédric Herrou

« Entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous, il faut choisir. » - Thomas Sankara


:bierre:
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AsgardOdin
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

Combattre pour la Lumière jusqu'à la fin !

Question mécanique, vous avez géré ça comme ça ?
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184201739
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par 184201739 »

Bon ok, là je vais relire ce passage de la campagne. Obligé, vous m'avez eu !
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