La première table de Out of the Abyss est donc… out of the abyss. La campagne prévoit ici un interlude qui peut durer quelques mois, ce qui permet de changer un peu le cadre et éviter l’overdose. J’en ai profité pour tirer les fils du passé et en tisser de nouveaux :
— Elturel a disparu ! Toute une ville rayée de la carte, et des hordes de réfugiés qui se dirigent vers la Porte de Baldur, ville natale de Thron, notre voleur nain.
— Les dragons sont de retour ! Le sort de protection qui les empêchait d’approcher Eauprofonde (le parasaure) ne fonctionne plus, et on en a vu survoler la ville, pour la première fois depuis des lustres et avec grand effroi. Il semblerait aussi que le culte du dragon et ses dracophantes aient repris du service et qu’il soit doté d’une belle armée d’un millier de mercenaires.
— Jarlaxle Baenre les a invités à Luskan. Ils connaissent bien Jarlaxle, c’est lui qui les capturés et envoyés prisonniers dans l’Outreterre après avoir récupéré le trésor de Dagult (actuellement Lord protecteur de Padhiver) et, surtout, le bâton d’Ahghairon, qui contrôle le parasaure (voir le CR de Dragon Heist) ; ils ont même hébergé sa fille en fuite dans leur auberge. C’est justement pour ça que Jarlaxle veut les rencontrer, mais pas que.
Jarlaxle est en effet le prince voilé de Luskan, mais ça ne lui suffit pas tout à fait. Luskan est trop anarchique, trop dissipée, et toutes les villes de l’Alliance des Seigneurs s’en méfient. Il voudrait augmenter sa stature et les forcer à l’admettre dans la bonne société. Pour cela, il a concocté un plan solide : se mettre dans la poche les seigneurs d’Eauprofonde en leur restituant le trésor de Dagult (c’est fait), annuler le parasaure (c’est fait), réveiller les dracophantes (c’est fait) et les lancer contre Eauprofonde avant d’arriver en sauveur de la ville avec la flotte de Luskan, le bâton d’Ahghairon en main (c’est à venir). Ceci fait, Laeral Silverhand et les autres seigneurs de l’Alliance ne pourront plus refuser que Luskan l’intègre. Avec un peu chance, il pourra même profiter de sa nouvelle stature héroïque et du ressentiment général contre Dagult Neverember pour lancer une campagne militaire contre Padhiver et ajouter la ville des Arts à son escarcelle.
Jarlaxle compte ainsi se servir des PJs comme émissaires auprès de Laeral. Il espère aussi qu’ils puissent l’aider à retrouver sa fille disparue. Et il peut leur agiter le bâton d’Ahghairon sous le nez pour les persuader de l’aider.
Devant cette avalanche d’événements, nos aventuriers ont décidé de commencer par aller trouver Jarlaxle, qu’ils craignent beaucoup. Pour se rendre à Luskan, le plus direct est de passer par la forêt de Padhiver. Ils pourront ainsi, au passage, essayer de trouver Gauntglrym, la mythique cité naine récemment mise au jour par Bruenor Battlehammer, dans la chaîne des Crags.
Grâce à Danakan, l’elfe rôdeur, les premiers jours se passèrent à merveille. Ils se dirigeaient vers le chalet de l’Épervier, au confluent du Fil et de la Ficelle, la seule trace de civilisation qu’ils trouveraient dans la forêt, aux dires des habitants de Conibère. Gardant ainsi le cap au nord-ouest, ils évitèrent les mauvaises rencontres, repérèrent la colonie de gricks avant qu’elle ne les repère et prirent la saine habitude de dormir bien au-dessus du sol, dans de confortables hamacs. Le panache blanc du volcan Hotenow leur servait de boussole, il suffisait de grimper un peu aux arbres pour le distinguer de n’importe où. Depuis leur perchoir, ils parvinrent même une nuit à mettre en fuite une bande d’hibours venue chercher là son casse-croûte. Ce fut de justesse : loin de se laisser tirer à distance comme des pigeons, les énormes bêtes s’attaquèrent rapidement à l’un des trois troncs qui servaient d’ancrage à leurs couches et Erden, le brave paladin, faillit bien finir dans le bec de l’un de ses animaux sauvages.
Le jour suivant, ils tombèrent sur une roche aux formes étranges qui, après une inspection serrée de Thron, révéla quelques secrets : l’érosion avait fait son œuvre mais le façonnage était encore visible, cette roche avait été taillée il y a fort longtemps, peut-être des milliers d’année, par des mains habiles. Mieux, il repéra de subtiles traces d’inscription. De l’elfique archaïque, que Danakan s’empressa de déchiffrer :
Qui laissera passer les éplorés au nénuphar
Trop énigmatique pour en tirer quelque chose. Ils se remirent en route.
Après une brève rencontre hostile contre des araignées éclipsantes, ils parvinrent au chalet de l’Épervier, un vaste domaine fort bien entretenu. L’Épervier lui-même se montra très hospitalier. Il leur parla longuement de la Forêt, de la tribu de gobelins qui en occupait l’ouest dans les collines, de la Forêt profonde et son marais, des barbares de la tribu des Hures qui semaient la pagaille à son orée à l’est. Comme ils avaient repéré sa barque amarrée sur le Fil, ils lui demandèrent si les rivières du bois étaient navigables, et elles l’étaient en effet pour certaines, du moins de l’amont à l’aval, ce qui était mieux que rien. L’Épervier proposa de leur prêter son frêle esquif en l’échange d’un menu service : aller jeter un œil au Cercle de l’éclair, vieux tertre druidique abandonné au confluent du Berun et de l’Hivernié, d’où s’élevaient depuis quelques jours des lumières inquiétantes.
Il fallait porter la barque jusqu’au Berun, mais le jeu en valait la chandelle car le temps de trajet serait raccourci d’autant. Sur la route maintes fois balisée par l’Épervier, soufflant et poussant, le canot sur le dos, leur attention fut attirée par un monolithe qui portait sur ces flancs de subtiles traces d’inscriptions, comme le précédent. Deux vers ressortaient bien :
À nos frères esseulés de Sharandar
Le chemin de l’Éternelle Rencontre vous attend
Sharandar, ville de l’ancien empire des Elfes, avait disparu corps et biens on ne savait trop où mais il n’était pas impossible qu’elle fût située dans cette forêt, après tout. Ses habitants l’avaient abandonné pour l’Éternelle Rencontre, cet endroit mythique où ils vivraient au plus proche des Dieux. Mais qu’était-ce que ce poème ? Un récit ? Des instructions ? Un jeu de piste ? D’ailleurs, était-ce bien partie du même que le précédent ? La Forêt de Padhiver recelait peut-être un antique secret.
Sans réponse immédiate à cette énigme, ils avancèrent et atteignirent la rivière. Le Berun était large et profond, mais il se rétrécissait vers sa confluence et quelques passages de rapides nécessitèrent toute l’adresse de Danakan pour les négocier. Ils purent ainsi s’amarrer sur l’Hivernié, à quelques lieues du Cercle de l’éclair. Un étrange spectacle les attendait là-bas : des orcs, au sommet du tertre, en plein rituel d’invocation. Trois sorciers, un chef de guerre patibulaire et une douzaine de guerriers tous concentrés, impassibles, les yeux rivés vers le centre du tertre. À sa périphérie, de larges autels de pierre, que des éclairs frappaient périodiquement. Tandis qu’ils observaient discrètement la scène, nos aventuriers virent avec horreur un sinistre démon se matérialiser au milieu du cercle. Qu’est-ce que ces orcs manigançaient ? Comptaient-ils vouer ce sinistre fiélon à leur service ? Peu importait car le monstre, bien loin de se conformer aux désirs des sorciers, fondit sur les suppliants et de sa masse en écrasa un, puis deux, puis trois avant de périr sous les coups répétés de toute la bande, interloquée par ce retournement.
Le pire était à venir, car le portail que les sorciers avaient employé pour invoquer dans leur monde ce rejeton des abysses était resté ouvert, qui recracha bientôt un autre de ces monstres. Nos héros ne sachant que faire et pour qui prendre parti optèrent pour la solution intermédiaire : ils battirent en retraite pour explorer ce tunnel qu’ils avaient repéré et qui semblait mener sous le tertre. C’est là qu’ils rencontrèrent Karandra, une farouche Orog qui, fidèle à sa mission de protéger enfants et non-combattants de la tribu réfugiés en sous-sol, leur barra le passage. Ils lui racontèrent alors la scène de chaos qu’ils avaient observé là-haut et lui demandèrent ce qu’elle en savait. Elle leur exposa la situation : les barbares hures traquaient sans relâche sa tribu, et leur seule chance de leur tenir tête résidait dans la réussite de cette invocation. Nos aventuriers la persuadèrent qu’il ne fallait plus compter là-dessus, mais ils étaient troublés par cette révélation. Ces orcs, désespérés, s’étaient tournés vers leur dernier recours, et voici que celui-ci menaçait de les anéantir. Ils remontèrent au pas de course.
Là-haut, Tortuk, le dernier sorcier restant, tentait coûte que coûte de refermer le portail tandis qu’un fiélon hérissé des lances des orcs s’en prenait à Barabas et à ses deux derniers guerriers. Le sorcier concentré ne s’aperçut pas qu’émergeait du portail une autre de ces créatures. Erden se jeta alors dans la bataille et interposa son bouclier entre Tortuk et la bête, attirant immédiatement son courroux. Elle fit reculer Erden à grands coups de masse, mais le paladin ne comptait pas faillir. Combattre ce genre d’engeance était sa raison d’être et Tyr ne l’oublierait pas. Alors il fit parler la foudre et en un seul assaut habité de la puissance de son Dieu il découpa le fiélon de l’épaule jusqu’à l’aine. Le reste ne fut plus qu’une formalité.
Une fois la poussière du combat retombée, les orcs s’inclinèrent respectueusement devant le courage de ces aventuriers qui avaient risqué leur vie pour leur venir en aide. Malgré la victoire, Barabas était abattu. Ses meilleurs guerriers avaient péri. Leur dieu leur avait refusé son aide. Ils n’avaient plus aucune chance face au Hure. Karandra, sortie de sa cachette, le houspilla d’ainsi crier trop tôt défaite et, se tournant vers les héros du jour, fit une fois de plus appel à leur grand cœur : accepteraient-ils de jouer les émissaires auprès des Hures ? Peut-être parviendraient-ils à les persuader de laisser vivre une pauvre tribu d’orcs exsangues ? S’ils y parvenaient, les orcs étaient prêts à leur céder leur plus grand trésor : le Fendoir de Luthic, la hache de Barabas, transmise de chef en chef depuis la nuit des temps.
Malheureusement, l’issue de cette négociation était bien incertaine. Pourquoi les Hures accepteraient-ils ? Et pour combien de temps ? Mais loin d’abandonner l’idée de sauver des hures ces pauvres hères, Danakan eut une idée de génie : ils apporteraient la tête décapitée d’un orc et tenteraient plutôt de faire croire à leur extermination complète. Les Hures ne s’aventureraient pas dans la Forêt sans bonne raison, et les orcs pourraient continuer d’y vivre sans crainte. Emballée par cette idée, Karandra persuada Barabas de leur confier sa couronne pour plus de vraisemblance, et Thron ajouta la touche finale : Karandra les accompagnerait pour jouer la puissante esclave rendue à leur service, puis elle les guiderait au travers des marécages de la forêt profonde. Elle accepta un peu trop rapidement, jetant un discret regard à ce paladin courageux qui d’un seul coup d’épée avait vaincu un tanaruk.
Très bonne partie, construite à partir d’un pseudo bac à sable rapidement mis en place (que je partagerai peut-être à l’occasion, il fonctionne bien et fonctionnera encore mieux avec quelques ajustements, et il permet de jouer des transitions entre campagnes) : la carte et trois « points d’intérêt » repiqués de l’Essential Kit (dont deux m’ont servi ici), quatre autre points rapidement brossés pour occuper l’espace (ils n’en ont rencontré aucun), quelques tables aléatoires au d12 organisées par zones dans la forêt et zou, exploration en toute liberté qui construit malgré tout un récit.
Deux petits trucs sympathiques et faciles à mettre en place :
— à chaque tirage sur l’éventualité d’une rencontre, un tirage parallèle sur une petite table d’indices qui permet d’aboutir à une scène plutôt qu’à une transition abrupte (avec un gros titre ENCOUNTER qui viendrait barrer l’écran, jet de perception automatique et initiative dans la foulée). Ainsi, s’ils « entendent des bruits », ils ont le temps de se préparer. S’ils « repèrent des traces », ils peuvent devenir traqueurs plutôt que traqués. S’ils trouvent des « vestiges », leur enquête est perturbée par la rencontre, etc.
— une table d’une vingtaine d’entrées pour décrire rapidement le lieu du campement. « Caverne naturelle sous un affleurement », « Clairière entourée de sycomores », ce genre de trucs, organisés par zones au besoin. Ça permet de faire vivre un peu la nature environnante, c’est chouette. Merci @Kandjar !
Cette exploration de la forêt de Padhiver devrait nous occuper encore une ou deux soirées, puis ce sera Gauntlgrym (bonne occasion de raccrocher ça à Out of the Abyss qui prévoit d'y situer la transition entre les deux parties de la campagne ; Bruenor pourra d'ailleurs leur apprendre que c’est avec l’aide d’un bon ami à lui, un certain Jarlaxle, qu’il a reconquis la ville), rapide transition vers Luskan, et on verra ce qu’ils choisiront ensuite ! S’ils poursuivent la fille, je compte les amener dans le plan astral et peut-être aux enfers.