1.) Quoi que c'est ?
Horreur à Arkham – L’Insatiable Abysse, le coffret d'initiation en VF du nouveau JDR de Edge.
2.) Vous en avez entendu parler où pour la première fois ?
Ici, chez Jules de chez Smith d’en Face et chez Cédric Ferrand sur Hu-Mu :
https://hu-mu.blogspot.com/2024/09/arkh ... -game.html
3.) Achat compulsif, impulsif ou réfléchi ?
Impulsif pour les visuels et le matériel proposé, réfléchi par rapport à la critique de Cédric et ce que j’ambitionne d’en faire.
4.) Vous pensiez trouver quoi ?
Un honnête matériel d’initiation, servi par une présentation au top, et dont la filiation avec le jeu de plateau Horreur à Arkham et le public débutant pour lequel il est visé permettrait une prise en mains sans prise de tête, même si le scénario promettait d’être un peu léger (cf. critique de Cédric sur celui-ci mais ça convenait très bien pour ce que je projetais d’en faire : faire sortir une table d’ado du med fan traditionnel).
Bref, un travail pro même si un peu formatté de la part de Edge ?
5.) Vous avez trouvé quoi ?
Franchement, un truc globalement très mal fichu qui me questionne beaucoup sur le professionnalisme d’Edge…
Passons d’abord sur ce qui fait au moins plaisir : le produit est beau et comme le dit Cédric, la couverture de la boîte et son contenu, avec son esthétisme raccord avec le jeu de plateau, donne le ton et envie de partir à la conquête d’Arkham.
Le constat positif malheureusement s’arrête brutalement là, dès qu’on attaque le pourtant seul livret de 50 pages. Cela commence à piquer un peu avec la traduction, bien que réalisée par Sandy Julien, qui n’est pourtant pas le perdreau de l’année. Déjà le titre Insatiable Abysse pour Hungering Abyss m’interroge : ça n’aurait pas été plus simple et élégant de traduire par Abysse(s) Dévorante(s) ?
Au-delà de ce détail ou du terme de Plateau de Jeu pour évoquer l’écran (??), j’ai lu bien pire en qualité de traduction, mais elle ne fait rien pour alléger un texte qui semble très fouilli (ou alors elle l’alourdit elle-même ?). Et surtout, comme en général dans les traductions des produits Edge, il y a un souhait d’inclusivité dans la syntaxe, qui se prend ici les pieds dans le tapis vu comment elle est (pas) maîtrisée. Cela mélange allègrement du féminin et masculin en le faisant sans cohérence : un coup je te mets les deux, un coup je te mets du féminin neutre, un coup je repasse au masculin juste après… et ce sans note préalable pour avertir le lecteur sur les choix retenus.
Dans le même ordre d’idée, on ne manquera pas d’être interpellé par un encadré Thèmes adultes au début, qui casse l’aspect bon enfant du produit : on serait donc sur le point d’ouvrir le Necronomicon ? Sans surprise, il s’agit en fait de la sécurité émotionnelle mais c’est expédié en quelques lignes, pour renvoyer ensuite vers des ressources uniquement disponibles en VO : là encore, on ne manquera pas de dauber le travail de traduction incapable de rediriger vers des ressources équivalentes en français. Et un peu plus loin, le même encadré vient nous rappeler à quel point Lovecraft était un sinistre personnage : ça va mieux peut-être en le disant mais je doute que le public d'Horreur à Arkham soit expert sur l'oeuvre et la vie du natif de Providence, et ça aurait été plus judicieux de parler des années 1920 et de leurs relents nauséabonds (ségégation raciale et prédominance WASP, montée du Ku Klux Klan, Prohibition et circulation de l'alcool dans toute la société et la corruption qui s'ensuit, conditions des femmes même si certains progrès se font...).
Si toutes ces thématiques ont peuplé nos marronniers de discussions rôlistes et nous sont familières (et le but ici n’est pas de les relancer), tout cela apparaîtra bien confus pour des yeux novices. Comme cette approche éditoriale n’est pas explicite, cela risque donc de ne pas faciliter une lecture déjà pas évidente.
Pas évidente parce que l’organisation du livret est elle-même carrément pas un modèle de pédagogie. Si on bénéficie d'une synthèse du scénario même si lacunaire, il n'en est rien en revanche des règles. Celles-ci sont intégrées directement dans le déroulement du scénario avec une volonté de faire des scènes un tutoriel progressif (mais qui sera surtout laborieux). Le gros écueil est ici multiple. Comme elles doivent supporter des scènes, elles ne sont illustrées par aucun exemple pour clarifier le propos. Je m’interroge aussi sur leur complexité inutile, avec leur fonctionnement alambiqué entre les scènes narratives et les scènes structurées, où les actions, elles-mêmes dites simples ou complexes, ne sont pas traitées de la même manière. Mention spéciale aussi pour la partie gestion de l'horreur, mal écrite, lourdingue et qui me semble très punitive avec ses "traumatismes" qui rappellent l'accumulation des phobies dans les premières éditions de Cthulhu qui faisaient des PJ de vrais sociopathes.
Le tout fonctionne sur un principe de réserve de dés, mais est aussi contre-intuitif pour des débutants puisqu’on joue les dés contre un score de caractéristique, donc plus celle-ci est basse, plus on excelle dedans. Là encore, pour du rôliste un peu aguerri à la CA négative, on s’en tirera sans difficulté mais pour les autres ? Quant aux compétences, celles-ci mêlent allègrement des caractéristiques - par exemple, agilité - et des compétences - par exemple, corps à corps - qui rappellent les origines du système de Warhammer où la Capacité de Tir côtoyait la Dextérité, parce que c'était aussi hérité de la règle de figurines. Mais dans le cas présent, manifestement le système d'Horreur à Arkham a été construit sans chercher à relier avec celui du Jeu de Plateau ou du Jeu de Cartes, et d'ailleurs aucune passerelle n'est proposée. Bref, c'est fastidieux, pas spécialement inspiré et pénible à déchiffrer. L'écran de jeu enfin ne récapitule en rien ce qui a été présenté, mais complète les règles présentes dans le livret
Au-delà de la mécanique pertinente ou non du système (chacun se fera son avis), comme trop souvent dans les (mauvais) produits d’initiation, on semble avoir importé massivement les règles qui paraîtront dans le livre de base, ce qui représente une lourdeur très discutable par rapport à l’utilisation faite si on se limite au présent coffret de base. On regrettera donc de ne pas trouver avec cette boîte une version allégée ou toilettée des règles, avec éventuellement un renvoi vers des règles optionnelles, ou à développer dans le livre de base.
Concernant enfin le scénario, comme le note Cédric dans sa critique, ce n’est effectivement pas celui qui fera date dans la production Cthulhu. Il est revanche bien raccord avec le jeu de plateau puisqu'il reprend celui de la boîte de base. Même si cela fait d’Arkham une ville plus pulp que sombre, il y a moyen de passer un bon moment mais encore une fois, on ne peut pas dire que le travail d'adaptation réalisé ait été remarquable : répétition des combats avec les goules, absence d'un plan d'Arkham alors que la partie enquête invite à se balader dans la ville. Et surtout le MJ potentiellement novice doit se coller un paquet de PNJ à animer, voire à trimballer avec le groupe de PJ, qui montre que rien n'a été pensé pour l'aider graduellement dans sa tâche.
Enfin, car il s'agit également d'un gros ratage, l'organisation du scénario est aussi mal ficelée que les règles. Contrairement à
Critical de GIGAMIC que je prends comme produit de référence car le positionnement est finalement assez similaire, il n’y a aucun travail de prise en main avec un texte clair et concis, un découpage et une signalétique, des éléments pour faciliter la préparation (notamment pour les aides de jeu)… Bref un ensemble qui permet de se lancer dedans quasi sans filet. L'organisation du scénario est aussi brouillonne que celle des règles et réclamera une lecture attentive, voire répétitive.
A propos des aides de jeu, si celles-ci sont très qualitatives et réellement un point fort du produit, je me suis rendu compte, avec un peu d’étonnement lors de la préparation, qu’elles ne sont finalement que partielles. Après avoir vainement cherché, certaines sont en effet uniquement incluses dans les informations des dossiers des personnages, tout comme l’équipement de ces derniers. C’est compréhensif vu le prix limité et très raisonnable de la boîte, mais c’est franchement dommage par rapport au reste du matériel, ou dans ce qu’on peut trouver dans les très riches ressources graphiques de la gamme Horreur à Arkham.
Même commentaire déçu sur les classieux dossiers de personnage : les 5 pré-tirés proposés (3 femmes et 2 hommes) ne l’ont pas été en version dédoublée masculin / féminin comme chez GIGAMIC, ou de reprendre une gamme plus large, issue de ce que le jeu de plateau et le jeu de cartes ont pu développer (*). Comme j’ai surtout des neveux et des fils (et leur bande de copains plutôt que de copines par conséquent), je sens que ça ne va pas s’emballer quand l’un aura mis le grappin sur le détective privé format dur à cuire, et qu’il restera à se répartir Daisy, Rita et Caroline…
Le résultat de ce naufrage global est qu’au final, j’ai acheté la boîte le lundi pour la jouer le dimanche suivant, en me disant que le travail à fournir en amont serait peu conséquent – comme quand on démarre avec les produits GIGAMIC. J’ai dû déchanter au fur et à mesure que je progressais (ou plutôt que je ne progressais pas) dans ma lecture, me contraignant à mettre le bazar de côté en me disant que j’étais bon pour une séance de prise de notes et de préparation avant de pouvoir décapsuler.
Bref, en matière de conception ludique, on a donc affaire à un produit vraiment amateur et maladroit, ce qui étonne franchement par rapport aux moyens dont dispose Edge, et risque de refroidir net le public novice issu du jeu de plateau qui repartira convaincu que franchement, le JDR c'est trop compliqué
C’est assez désespérant quand on voit qu’Edge gère deux franchises majeures de Lovecrafteries, et ce qu’ils en font pour le matériel d’initiation (oui la boîte Appel de Cthulhu, c’est aussi à toi que je pense) alors que ce sont des passerelles idéales.
6.) Allez vous vous en servir ?
Oui, maintenant qu’il est sur les étagères et en raison du matériel qui donne envie de poser tous les goodies sur la table. Mais l’expérience n’ira pas plus loin que de tester le scénario : hors de question que je suive la gamme tellement ce travail de jean-foutre m’a vacciné.
7.) En conseilleriez vous l'achat ??
Certainement pas, et surtout pas pour de l’initiation tellement le produit est mal pensé et équilibré. La boîte CO Cthulhu est très largement supérieure pour ce type d’exercice.
Et pourtant je parie que ce coffret, vu son aspect visuel et sa liaison avec Horreur à Arkham, va se retrouver au bas d’un tas de sapins de Noël cette année de plein de plateauistes motivés pour tenter une aventure rôliste avec ce support. Donc si vous êtes malgré tout tenté comme j’ai pu l’être, attendez janvier car on devrait le trouver en vente massive en occasion à prix cassés…
EDIT : précision sur le fonctionnement des règles après une relecture ce jour approfondie
EDIT 2 : (*) j'ai trouvé ce Wiki qui va me permettre d'étoffer l'éventail des pré-tirés -
http://wiki.horreuraarkham.fr/index.php ... stigateurs. J'aurais bien investi sur les magnifiques coffrets Investigateurs du JCE qui doivent certainement pouvoir être facilement détournés avec leurs cartes pour enrichir le JDR (même si rien n'est proposé au moins dans cette boîte d'initiation pour faire le lien), mais à 40 € la boîte, je vais m'abstenir d'engager encore des frais sur ce jeu qui aura une durée de vie limitée...