Tiens, en bûchant mon histoire japonaise, je me suis dit que ça pourrait être bien d'en causer vaguement ici...
Et donc : les
kofun 古墳. Enfin, pas que...
Les
kofun, littéralement "vieilles tombes", ou peut-être plus exactement "vieux tumuli", sont des tombeaux caractéristiques du Japon protohistorique, entre le IIIe et le VIIe siècles. On s'est longtemps basé sur ces monuments très particuliers pour qualifier cette époque - l'époque
kofun, donc, succédait à l'époque Yayoi (disons néolithique), et précédait l'époque Asuka - mais on tend aujourd'hui plutôt à rassembler ces deux dernières époques, qui deviennent ensemble l'époque du royaume de Yamato, précédant du coup l'époque de Nara (la bascule entre protohistoire et histoire se faisant, si l'on y tient, entre Asuka et Nara).
Quoi qu'il en soit, cette époque est assez mal connue, l'absence de sources écrites à quelques rares exceptions près (chinoises) ne facilitant pas la tâche : on doit se baser essentiellement sur les fouilles archéologiques, et éventuellement croiser tout ça avec les données des deux grands textes japonais datant du début de l'ère Nara, le
Kojiki (712)
et le
Nihon shoki (720), très fantaisistes, particulièrement le premier, qui est clairement d'essence mythologique (le second, c'est plus compliqué, il y a le modèle des chroniques chinoises qui l'imprègne, même s'il parle aussi des dieux et des héros) ; y aurait plein de trucs à dire sur l'élaboration de ces deux textes, mais j'imagine que ce n'est pas la question ici.
Et de même pour certains aspects intéressants de la période Kofun ? Allez, quelques mots quand même, ainsi concernant, à ses débuts, l'histoire de la reine Himiko - j'en avais causé ici fut un temps, à propos du roman
Soleil de Yokomitsu Riichi,
hop ; sinon, la base sur Wikipédia,
hop. Un aspect que je trouve très intéressant, quand même, c'est que Himiko ne figure pas dans le
Kojiki, etc. : pour les nationalistes qui en faisaient (font ?) une lecture littérale, elle ne peut pas avoir existé, dès lors - ou sinon en faisant des acrobaties pour en faire la mère de tel empereur (dans une lignée dynastique clairement fictive, mais bon, hein...). En soi, j'imagine qu'en jeu ça pourrait faire la base d'une chouette "histoire secrète" ; même éventuellement teintée de fantastique ? Une chronique chinoise, notre seule source écrite concernant Himiko, la décrit comme une sorcière suivant "la voie des démons"... mais ce n'est peut-être qu'une erreur d'interprétation renvoyant au pré-shintô de l'époque (à vrai dire, c'est plus ou moins la traduction littérale du mot "shintô", sauf qu'on dirait "esprits" plutôt que "démons" ; ne pas s'y tromper cependant, même plusieurs siècles plus tard, avec le
Kojiki, on ne peut encore parler que de pré-shintô).
Ou encore l'histoire du "château du démon" ? Vraiment "démon" pour le coup ? Qui est peut-être la retranscription mythologique d'un affrontement entre le royaume de Yamato et le royaume de Kibi, avec une communauté coréenne dedans, thème promis à un certain avenir...
Hop ?
Ou, proche dans le fond, l'histoire d'une éventuelle conquête du royaume d'Izumo par le royaume de Yamato, devenue dans les mythes et notamment dans le
Kojiki une lutte entre les dieux de Yamato, Amaterasu en tête (divinité solaire censée être à l'origine de la dynastie impériale japonaise), et les dieux d'Izumo, en tête le frère d'Amaterasu, le bouillant Susanoo des tempêtes... Le
Kojiki s'étend sur les relations entre les deux divinités, avec un Susanoo au mieux gaffeur (parfois bien pire que ça : dans une scène qu'on a pu interpréter comme un viol incestueux, c'est lui qui contraint sa sœur Amaterasu à se calfeutrer dans une caverne, privant le monde du soleil - y a de quoi faire, avec ça...). A force d'ulcérer les dieux, Susanoo est finalement exilé sur Terre, où il devient, dans la province d'Izumo, une sorte d'Hercule (massacre d'une hydre à la clef - ce n'est pas le seul rapprochement tentant avec la mythologie grecque, au passage : le plus saisissant est incontestablement celui où le couple créateur de l'humanité et du monde, Izanagi et Izanami, jouent à Orphée et Euryidice, décidant en même temps du cycle des morts et des naissances...) ; en fait, Susanoo devient quelque part l'ancêtre de tous les habitants de la province - forcément tempétueux et indociles comme lui-même : d'où ces affrontements, peut-être ces guerres, et la nécessité pour le royaume de Yamato de s'accommoder quand même Susanoo en faisant du sanctuaire d'Izumo (qui existait déjà à l'époque, et dont les traces archéologiques laissent supposer qu'il était sans commune mesure avec tout ce qu'on pouvait trouver ailleurs au Japon) le seul à être élevé au niveau du sanctuaire d'Ise (qui est celui d'Amaterasu et donc de la dynastie impériale)...
Une petite image ? La reconstitution (bien sûr...) d'une structure de bois colossale qui se trouvait alors à Izumo, avec ses 42 mètres de haut (quelque chose comme ça) :
Mais je m'égare, encore qu'il y ait des liens qui demeurent : doit y avoir moyen de faire du gros conspi/fantastique en mélangeant tout ça.
Mais là je voulais surtout parler de quelque chose de plus matériel, avec donc les
kofun (la base wikipédienne,
hop. Et sur l'époque kofun,
hop).
Les premiers
kofun (dont un que certains envisagent comme étant celui de Himiko) apparaissent vers 250 dans la région du Kansai, pas très loin de Nara, plus précisément au pied du mont Miwa (qui est tout à la fois une divinité et son propre sanctuaire). Ce sont des tumuli, impliquant des travaux de terrassement conséquents, et souvent entourés d'un ou deux deux fossés remplis d'eau (ce qui a une importance agricole, en tant que réservoirs d'eau, autant que symbolique, car l'eau est dès le pré-shintô le moyen ultime de la purification, à maints égards un des aspects les plus importants de cette foi). De taille d'abord relativement modeste, ils tendent à se multiplier, le plus souvent ici en adoptant la forme caractéristique dite "en trou de serrure" (je vous laisse imaginer la porte et ce qui se trouve derrière - c'est parfait...), auquel cas la tombe à proprement parler se trouve au centre du "rond", le "carré" consistant en un long couloir ; et ils sont souvent orientés vers le soleil levant ; mais ce n'est pas systématique, loin de là, et on trouve progressivement, ailleurs que dans le Kansai, des
kofun aux formes différentes - notamment, tiens tiens, à Izumo (de forme circulaire) ou Kibi. Certains d'entre eux, au fil des siècles, ont été "oubliés", car des arbres avaient poussé dessus et ils s'étaient intégrés dans le paysage agricole. La vue aérienne, cependant, se montre plus éloquente...
Quelques images pour en témoigner ?
Le
kofun que certains attribuent à Himiko :
Des ensembles de
kofun :
Au fil des siècles, ces tombeaux tendent à gagner en ampleur, et jusqu'à atteindre des dimensions proprement colossales. En fait, oubliez les pyramides (enfin, non, mais bon), la plus grande tombe au monde est un
kofun, qui date du Ve siècle, et le voici, merci Google Earth :
C'est le
Daisenryô-kofun, dans la banlieue d'Ôsaka - un monstre en son genre : "
Le tumulus du Kofun Daisenryō mesure environ 500 m sur 300 m, alors que l’entièreté de la structure fait 840 m de long. Entouré de trois douves, le tumulus s’élève d'environ 35 m par rapport au sol environnant. Sa superficie fait 100,000 m², celle de l'ensemble du complexe funéraire 460.000 m²." On estime que les travaux de terrassement seuls ont nécessité le travail quotidien d'au moins mille hommes pendant quatre ans - l'ensemble de la structure a pu réclamer encore bien plus de moyens et de temps. Ce
kofun a été attribué à l'empereur Nintoku - un empereur fictif, censé avoir vécu 109 ans et régné 86 ans, vers cette période certes... Mais cette attribution est en faite récente, et elle n'est pas sans conséquences, j'y reviendrai...
Le Ve siècle correspond à l'apogée des grands
kofun. Par la suite, ils redeviennent (bien) plus modestes. Ce n'est pas forcément un signe de déclin, d'ailleurs : mine de rien, ces machins prennent de la place, dans un pays notoirement pauvre en grandes plaines - même celle du Kansai (la deuxième du Japon, après celle du Kantô), qui a vu l'émergence de ces tombeaux, n'est pas indéfiniment extensible, loin de là... Par ailleurs, il faut prendre en compte qu'il y a eu une période un peu folle où plein de gens - pas seulement les rois ! - se faisaient bâtir des
kofun... Ils se multipliaient partout ! A terme, une législation a réservé cette pratique aux seuls rois, oui - et, bientôt, elle a été abandonnée. C'est qu'elle est largement pré-bouddhique, aussi...
Autre élément artistico-historique qui doit pouvoir assez facilement être intégré dans un scénario : les
kofun sont aussi associés aux
haniwa, des figurines de terre cuite environnant les tombes (
hop), et dont la signification rituelle est complexe ; ils seront eux aussi abandonnés avec l'imprégnation bouddhique, mais, d'ici-là, il y a de quoi faire. Noter aussi qu'une légende associe les
haniwa à l'abandon d'éventuels suicides collectifs "d'accompagnement" lors des funérailles des chefs - c'est tout bénéf pour un scénario, non ?
Et à l'intérieur des tumuli ?
La version "sobre" :
La version aux couleurs reconstituées, 'tention les yeux ?
Et autre chose, enfin, dans une dimension plus contemporaine... Où l'on rejoint l'idée d'histoire secrète avancée plus haut, notamment par rapport à Himiko ? Ça peut sembler assez dingue, mais le fait demeure : nombre de ces
kofun, et notamment les plus importants, dont le Daisenryô-kofun
, n'ont jamais été fouillés ! En effet, ils dépendent de la maison impériale, qui les considère comme des tombes "privées" et inviolables : celles... des empereurs, et donc, selon le mythe d'une ligne dynastique ininterrompue remontant à Jinmu, au VIIe siècle avant Jean-Claude (et au-delà à Amaterasu), des ancêtres de l'empereur actuel. D'où l'importance d'attribuer, par exemple, le Daisenryô-kofun à Nintoku... Et qu'importe si "la plus vieille dynastie du monde" est un pur fantasme mythologique aux yeux des historiens.
Mais voyons... Ça doit cacher quelque chose, non ?
Et je suis sûr que nos amis ufologues auraient pleiiiiiiiiiiiiiin de choses à dire à propos de ces monuments parfois si vastes qu'on ne peut tout simplement pas se rendre compte de ce à quoi ils correspondent si l'on se trouve à côté - il faut les voir du ciel... En fait, je ne suis pas "sûr" de ce qu'ils en diraient - car il semblerait bien qu'ils l'aient déjà dit de toute façon. Nazca, tout ça...
Uh uh. Excusez ces délires si jamais... Mais, toutes ces blagues à part, c'est un sujet vraiment passionnant. Alors je me suis dit...