- 2947, Astredi, le 16 de Sourcemair.
C'est Edennil qui m'a escorté la première fois, lorsque j'ai délivré les antidotes. Ces sept derniers mois, j'ai ensuite multiplié les aller-retours entre ma demeure ou celle de Radagast et le siège de l'organisation.
Je vais éviter d'en dire trop dans ces lignes au cas où ce journal tomberait entre de mauvaises mains. Donc pas de description géographique ni de détails sur les personnes et les effectifs qui composent les Tiranduins. C'est ce qui explique que j'ai négligé ce journal et que je reprends seulement la plume, un an après que j'ai pris la route pour la première fois avec l'elfe et Kalderic.
Ce que je peux dire, c'est que l'organisation est de plus en plus active. Elle amasse du renseignement sur tout ce qui touche à l'Ombre : mouvements de troupes, apparitions, rumeurs, tout. Ces renseignements sont ensuite diffusés pour que les vétérans et les Anciens à la tête du réseau mais aussi leurs alliés parmi les Peuples Libres disposent d'un maximum d'informations.
A mon petit niveau, j'ai résolu d'aider ces gens, principalement en leur fournissant herbes médicinales et élixirs de contre poison.
Je dois reconnaître que par nature, je ne suis pas du genre à me lancer dans une grande opération caritative. Mais ce que tentent de faire les Tiranduins est important.
Une cloche magique sous une citée en ruines peuplée de créatures maléfiques ? Des orcs qui n'hésitent pas à venir voler une carte pratiquement sous les murs de Dale ? Sans parler de toutes les exactions que ce Rigurz a accompli ces dernières années.
Les souverains des Peuples Libres sont de bonne volonté mais ils sont limités par leurs frontières et parfois par de basses questions politiciennes. Les Tiranduins peuvent suivre l'Ennemi partout, entretenir des réseaux, des caches en tout endroit du Rhovanion. Radagast a raison : ils sont la meilleure chance que nous ayons envers ce qui se prépare. C'est pourquoi j'envisage d'augmenter encore mon investissement dans l’organisation. Après tout, les dons de Mère devraient m'être utiles pour cela et j'ai le sentiment que c'est à cela que pensait mon professeur en estimant que j'étais particulièrement désignée pour participer à cette œuvre collective.
L'Ombre avance et je peux être utile à ceux qui auront le courage de s'opposer à elle.
J'en veux pour preuve ce qui s'est passé aujourd'hui. J'étais en mission avec Kalderic et Edennil près de Castelpic lorsque nous avons entendu des appels à l'aide.
Une meute de ouargues s'en prenait à une famille d'hommes, un berger, sa fille et son jeune fils avec leurs chiens et leur troupeau de chèvres.
Tous le chiens étaient morts en défendant leurs maîtres à l'exception d'un seul : une bête d'une taille et d'un dynamisme exceptionnels, qui courrait d'un groupe de ouargues à un autre, chargeant ses ennemis à tour de rôle et multipliant les puissantes morsures.
Le berger se battait lui aussi vaillamment, armé de son seul bâton tandis que son fils était monté dans un arbre et que la jeune fille lançait des pierres pour tenter d'éloigner les ouargues des chèvres abattues une à une. Les ouargues étaient divisés en plusieurs groupes qui menaçaient tout le monde, hommes enfants, chien et chèvres. Mais ils semblaient prendre bizarrement leur temps. Kalderic dit alors : « C'est étrange. Les ouargues pourraient facilement tuer cette famille mais ce n'est pas leur objectif. Ils tentent d'épuiser le chien. C'est lui leur véritable objectif. » Edennil approuva de la tête.
Il est vrai que ce chien dégage quelque chose d'exceptionnel, une sorte de...noblesse ? Oui je sais, ce n'est qu'un cabot, c'est ridicule. Je dois être fatiguée. Mais tout de même. Quoi qu'il en soit, cette stratégie semblait porter se fruits car la courageuse bête commençait à montrer des signes de fatigue.
Bref, nous nous sommes jetés dans la mêlée et mis en fuite cette meute au prix d'un combat acharné à un contre trois.
Cependant j'ai des doutes sur notre victoire. L'alpha de la meute de Ouargues est apparu mais ne s'est pas lancé dans le combat. Pire, il n'était pas seul. Malgré sa taille impressionnante et son pelage couleur de nuit, il paraissait un chiot à coté de la créature qui est finalement venue ordonner la retraite : une bête de la taille d'un cheval, au pelage roux et aux crocs plus grands que des dagues. Ses yeux brillaient d'une intelligence bien au-delà des simples bêtes et lorsqu'il a tourné son regard vers nous, j'eus la nette impression qu'il se gaussait de nos efforts. Sa présence était telle qu'elle a déferlé sur nous telle une vague de terreur et de Mal pur. Appuyée sur ma hache comme sur un bâton, je me suis redressée et je lui ai fait face, le défiant du regard. Cela a semblé l'amuser avant qu'il ne se retire, suivi par la meute de ouargues.
J'ai lu quelque chose sur une telle créature mais je croyais ses semblables disparues depuis les temps anciens, quand elles courraient aux basques de leur maître, Sauron. Elles constituaient sa garde reprochée et c'était alors ses séides préférés, des esprits capables de prendre la forme de loups monstrueux. Cette créature maléfique n'est autre qu'un Molosse de Sauron, un Loup Garou…
Après le combat, nous avons fait connaissance avec le berger, Frael, un homme courageux d'évidence mais hanté par la mort de son épouse sous les crocs des ouargues (lui et les ouargues, ça semble être une histoire ancienne). Une vieille blessure le fait claudiquer assez fortement.
Sa courageuse fille, Ailla, ne doit pas avoir plus de dix ans même si elle est impressionnante de maturité. Le gamin s'appelle Geim et n'est pas en âge de présenter un quelconque intérêt.
Ce sont des hommes des bois et je suis prêt à aider les ressortissants de mon peuple. Mais j'avoue que mon intérêt reste focalisé sur le chien. Sa robe d'un gris argenté, ses yeux d'un bleu limpide et trois petites marques blanches pareilles à des étoiles ornant son front lui confèrent une aura d'exception. Brith est son nom et même s'il ne s'agit que d'une bête, il est suffisamment important pour qu'un Loup Garou envoie une meute de ouargues après lui. Il faut absolument trouver pourquoi. Je l'observe, pensive, tandis que nous escortons la petite famille jusqu'à leur village, Hirthed. Actuellement, nous marchons dans les pâtures entourés par les quelques chèvres qui ont survécu (bêlantes de terreur, histoire de bien signaler notre présence à tout être vivant dans les 20 lieues!). Nous restons sur nos gardes au moment où j'écris ces lignes car les ouargues nous suivent toujours d'après mes compagnons.
Loup Garou, chien à la vaillance héroïque capable de tenir tête aux fauves de l'Ombre, on nage en pleine légende d'antan ! Comment ne pas penser à Huan, le plus puissant des chiens gardiens qui, à la rescousse de Beren et Luthien, soumit Sauron sous sa forme lupine et tua Carcharoth, le plus grand des loups d'Angband, avant de trouver la mort ?
Se pourrait-il que ce chien… ?