Acte 4
29 mars 1925
Le lendemain, après une toilette rapide mais correcte et un petit déjeuner plus que suffisant, les hommes sortent par la grand’porte de l’hôtel et filent à l’Université. Les filles, déguisées, sortent par une porte à l’arrière en compagnie de notre petit guide. Chaque groupe espère qu’il n’arrivera rien à l’autre, le cœur serré et battant à tout rompre. Même si l’on ne se retourne pas, nous sentons, avec Andrew, le poids du regard de nos prédateurs sur nos nuques. Nous filons bon train, espérant que le subterfuge prendra et que les filles auront la voie libre.
Nous arrivons sur le campus et tournons un petit moment. Finalement on trouve le Département d’Archéologie. Quelques étudiants aimables nous renseignent sur les fouilles qui ont lieu en ce moment même.
Il y a la fouille de Clive, à Memphis, bien entendu et il y a celle du Dr. Georges Reisner (Harvard) sous le mécénat de l’académie autrichienne des sciences de Vienne à Geziré, qui fouille à l’est de la Grande Pyramide (celle de Khéops). Une découverte exceptionnelle semble avoir été faite il y a quelques semaines et tout le monde attend les premiers résultats avec impatience.
Pour en savoir plus, on nous oriente vers la Société d’Histoire et d’Archéologie du Caire.
Avec Andrew nous nous disons que ce serait peut-être une bonne idée d’aller rendre visite à cette noble institution.
Suivant le petit guide dans ce labyrinthe de rues de plus en plus miteuses et de plus en plus sombres, les filles sentent leur cœur se serrer, et ne sont pas loin de paniquer sous l’inconfort de leur burqa.
Soudain, le petit guide se met à courir puis s’arrête devant un tas de ruines noircies. Il sautille sur place et tend le bras. C’est ici ! C’est ici !
Les filles s’avancent avec précaution. Au numéro où devait se dresser la boutique de Faraz Najir, il n’y a plus que les ruines d’un bâtiment incendié lors d’un sinistre ancien. Curieusement, jetant un regard rapide autour d’elles, elles s’aperçoivent que le lopin est « évité » par l’urbanisation sauvage qui est pourtant le signe d’une pression démographique forte dans ce quartier. La bâtisse n’a pas été rasée et reconstruite mais bel et bien évitée… les taudis s’entassent autour de la parcelle qui est intacte, les ruines carbonisées trônent telles une dent cariée et enlaidissent un paysage urbain pourtant peu avenant.
Se cachant dans un recoin plus sombre, derrière un tas de caisses, les filles ôtent leur burqa et vont mener l’enquête dans les commerces proches. Elles entrent dans le premier magasin de soie à l’aspect un peu propre. Elles posent alors quelques questions anodines sur la bâtisse incendiée du quartier, tout en faisant les parfaites touristes cherchant la superbe occasion. Quel jeu d’actrices ! Le commerçant répond tout aussi banalement. Il s’agissait d’un commerce d’antiquités, assez respectable. Mais il y a 5/6 ans, un terrible malheur s’est abattu sur la boutique : un démon est apparu au-dessus et y a mis le feu. Le commerçant leur souffle dans un soupir qu’il s’agissait certainement d’un djinn que l’antiquaire avait sûrement mis en colère. Ce dernier a été grièvement blessé, mais il n’est pas mort. Aujourd’hui il tient un commerce sur le Khan Al-Khalili, sur la charia du Muezzine Allah. Mais il est maudit, et porte la marque de la punition d’Allah sur son corps. L’homme crache à terre pour conjurer le mauvais œil. « Charmant » se disent nos héroïnes.
Pour donner entièrement le change, les filles achètent un énorme rouleau de soie et pour rester dans leur rôle de touristes occidentales, elles le font porter au jeune guide. Sortant de la boutique, elles lui demandent de les guider vers la charia Muezzine Allah.
Elles arrivent sur un gigantesque marché. Cousine repère du coin de l’œil une échoppe de potier. Partout des commerçants, c’est très vivant, très fréquenté. Finalement au milieu d’enseignes en toutes les langues : arabe, français, anglais, elles repèrent le nom de Faraz Najir « magasin des antiquités » ou « curios » indiquent les différentes enseignes pendues à la porte de son commerce.
Elles entrent dans un magasin rempli de bibelots pour touristes. Un homme s’approche rapidement, son visage est ravagé par d’affreuses cicatrices. « Faraz Najir, pour vous servir. Que désirez-vous mes bonnes amies ? Regarder ce bijou, il est authentique, il date de la XIIe dynastie, et celui-ci, on dit que la belle reine Cléopâtre l’a porté lorsqu’elle a séduit le grand César. Et celui-là, un authentique miroir de la VIIe dynastie. Je vous le garantis ! »
L’amour du shopping est certainement le plus fort. Les bijoux envahissent l’espace, il y en a partout, sur des tables, des présentoirs dégueulant, des caisses à terre. Les filles tournent, fouillent, virevoltent, soulèvent, retournent, choisissent :
« Celui-là, il est pour Janisse ! Il est tellement superstitieux que ça ne pourra que le réconforter !
Oh oui, je confirme, lui répond Fay, tu sais qu’il a voulu prendre la tunique de Dahabi, tout ça parce qu’il y avait des prières de protection brodées dessus ?
Mesdames, vous désirez d’autres amulettes de protection contre le mauvais sort ? Tenez, cette statuette de chat assure une meilleure virilité à son propriétaire (et les filles de penser à ce pauvre Andrew si maladroit avec les femmes…) ou encore cet œil de Râ permet d’être plus habile au lancer de couteaux (Kenneth ?). Mesdames, mesdames, regardez-moi ce magnifique pendentif qui chasse les mauvaises odeurs ! Véritable pierre d’alun ! »
Les filles se laissent tenter et achètent 7 bijoux dont un magnifique scarabée de protection, pour la modique somme de 7 £. Une affaire ! Elles sont ravies des cadeaux qu’elles vont faire ce soir. Se tournant vers le petit guide, elles lui confient la petite caisse contenant leur butin. Ce dernier a du mal à la maintenir à cause de l’énorme rouleau de soie qu’il porte déjà.
Faraz Najir a l’œil brillant et il se frotte les mains à l’idée des affaires qu’il va faire grâce à ces touristes.
« Vous faut-il autre chose, mes bonnes amies ? »
Profitant de la perche qui leur est tendue, les filles s’approchent du marchand et lui parlent d’archéologie et de l’expédition Carlyle.
À ces mots, l’homme réagit vivement. Du bon commerçant oriental, son visage déformé par les cicatrices se grime d’un affreux rictus. Il prend peur et les pousse vers la sortie. Ses gestes deviennent saccadés, désordonnés, il est en panique ! Il les pousse vers l’extérieur et Fay tente d’attraper sa manche pour le tirer à elle. Il se met alors à hurler. Le gamin panique à son tour, ne comprend pas. À l’extérieur ça s’agite, les gens, témoins de cette scène peu commune s’arrêtent, regardent, commentent…
Pour éviter le scandale, les filles lâchent l’affaire et sortent dignement. Ouf, on n’est pas passé loin d’un gros problème. Derrière elles, un bruit de porte qui se ferme et des cliquetis leur indique qu’il se cloître à double tour. La boutique est désormais fermée à clef et les filles sont dans la rue, dévisagées par la foule…
Ne perdant pas la face, les investigatrices font quelques pas, nonchalamment, puis se mettent à couvert, attendant le moment propice de repartir à l’assaut de la forteresse de Najir. Vers 13 h, la foule se disperse, se clairseme. Au bout de quelques minutes, les magasins sont fermés. Soudain, la porte de Najir s’ouvre et l’homme sort. Vite, elles envoient le gamin sur sa piste. À peine moins de 10 min plus tard, Ahmet revient tranquillement et leur explique que c’est l’heure de la prière, tout est normal. En effet, vers 13h-14 h, les commerces ferment. Les gens mangent, font leurs prières et leurs dévotions avant de reprendre une activité. Najir est tout simplement allé à la mosquée Al-Hussein. Effectivement, à 14 h pile, il revient. Les filles sortent de leur cachette et l’interpellent. Elles s’excusent de l’avoir effrayé, font profil bas et l’implorent de les pardonner. Lily surjoue un peu trop, elle tente de le charmer. L’homme reste de marbre. Il les écoute sans broncher, ne panique pas mais reste totalement muet. Enfin, après des efforts vains, elles comprennent qu’il faut… négocier car ici tout se négocie… Un billet est tendu, un deuxième, un troisième… Rien… encore et encore… finalement, la coquette somme de 100 £ passe d’une main à une autre. L’homme a le regard trouble, il bégaie un peu… puis les conduit près de la mosquée. Il ne parlera que sous la protection d’Allah.
Les filles n’y vont plus par quatre chemins et le questionnent directement sur Carlyle, le Pharaon Noir, les pyramides. L’homme avoue qu’il a bien eu en sa possession quelques objets en lien avec le culte du Pharaon Noir, un buste en pierre noire, un papyrus avec le plan d’une entrée secrète menant vers le lieu où repose le corps du Pharaon, un petit tambour et un serre-tête avec un zircon. Cette « couronne » aurait été la clef de sa toute puissance et de sa victoire sur la mort.
Ces objets ont été vendus à Auguste Loret, le contact et le représentant de Carlyle au Caire avant le montage de l’expédition. Loret vivait au Caire, il a été recruté pour la logistique et l’intendance en vue justement de monter une expédition. Pendant que l’homme parle, Fay a l’intuition qu’il ne dit pas tout. Le questionnant habilement, elle lui fait dire ce qu’il cache. Ces objets ont été acquis illégalement, ils sont le fruit d’un larcin qu’il a commis dans la demeure de… Omar Shakti. Tous les hommes dont il vient de parler sont des membres de la Fraternité et Omar Shakti en est le chef, le grand prêtre. Carlyle vénérait aussi le Pharaon Noir, très certainement. Récemment la Fraternité a de nouveau frappé : ils ont volé la momie trouvée par Clive et il en est certain, le désastre de cette nuit à la mosquée d’Ibn Tulum, c’est aussi un coup de la Fraternité. Ce que les érudits de la mosquée gardaient, aujourd’hui la Fraternité l’a certainement en sa possession.
Le concernant personnellement, les démons qui l’ont attaqué, car oui, par Allah, ce sont bien des démons volants qui ont mis le feu à son ancienne boutique et à sa personne, ont été invoqués par Shakti. C’est un puissant sorcier, un démon humain ! Il a failli en mourir.
Le pauvre homme recommence à montrer des signes de panique, il est très apeuré, prononce très doucement le nom Shakti, qui sort comme un sifflement désagréable entre ses lèvres brûlées.
« Shakti est un sorcier ! Oui un puissant sorcier ! Par Allah ! »
Les filles sont gênées, le prennent en peine, Najir est brisé, au bord du gouffre. Alors qu’il parle, Fay avait observé les différentes manies de l’homme. Le pauvre était perclus de tics. Au cours de sa dernière tirade, il fit une petite crise nerveuse et s’effondra. Les filles s’excusent et le raccompagnent à sa boutique. Elles le remercient, émues par tant de détresse psychologique. L’homme est autant ravagé de corps que d’esprit. Elles ne savent ce qui est le pire…
Acte 5
29 mars 1925
Nous sommes toujours le 29 mars 1925, dans sa chambre d’hôtel Kenneth émerge d’un long sommeil. Il a encore les idées troubles. Regardant ses mains, il s’aperçoit qu’elles ne sont plus là. À la place il y a la tête de Dorothy et celle de Silas. Cela le fait rire et s’imagine apprendre la danse du ventre.
Kenneth se redresse de tout son long de son lit où il était vautré. En sueur, grelotant, il regarde ses mains qui sont normales. Un mauvais rêve malsain. Il semble revenir de loin, très loin… Au bout d’un moment il se rend compte qu’il est seul. Mais où sont les autres ? De son flegme résigné hérité de la guerre, il sort son couteau et se met à l’aiguiser.
Pendant que Kenneth sort de sa torpeur, nous allons à la Société d’Histoire et Archéologie du Caire (SHAC). Les locaux se trouvent dans le quartier central occidentalisé du Caire. Effectivement, la société est organisée pour les occidentaux par eux-mêmes. Nous entrons. À son habitude, Andrew reste sur le pas de la porte. Je m’avance jusqu’au comptoir où un jeune arabe, bien vêtu, m’accueille. On se présente comme cherchant des informations sur l’expédition Clive, notamment sur l’un des membres : Jan-Willem Van Heuleuven.
Effectivement il fait bien partie de la société, bien que cela fait plusieurs semaines qu’il n’est pas venu à la Société. On demande alors si on peut entrer et discuter avec les membres. L’employé nous rétorque que oui, mais pour cela il faut s’inscrire. Me tournant vers Andrew, je ne vois que la porte d’entrée qui claque. « Je vais faire un tour ».
Bon… pas le choix. Je me tourne vers l’employé et tâche de faire mon plus beau sourire. « Très bien, la cotisation est de combien ? ».
À l’étage, j’arrive dans un salon hyper luxueux, très cosy, confortable à souhait : épaisse moquette, gros fauteuils clubs, plusieurs meubles contenant de l’alcool, de rares bibliothèques avec d’encore plus rares ouvrages, des cendriers ouvragés. Un club ! J’adore. Plusieurs gentlemen discutent en petits groupes. Ils fument tous le cigare, un verre d’un alcool ambré à la main. Je me mêle à un premier groupe et suis vite accepté, mon statut de médecin américain semble plaire à la société bien-pensante d’amateurs éclairés. L’alcool est bon, l’ambiance feutrée, on dirait un club de notre bonne vieille Nouvelle-Angleterre. Je me rends vite compte que l’on parle bien peu d’archéologie et qu’il s’agit surtout de bourgeois éclairés. Des messieurs ! On discute, inlassablement, 1 h, 2 h, 3 h impossible à dire. Très vite la discussion porte sur le vol de la momie de Clive, non pas d’un point de vue scientifique mais plutôt de l’ordre du ragot, de la rumeur. Au bout d’un moment indéfinissable et d’un grand nombre de verres, je me retrouve avec un groupe de personnes connaissant personnellement les membres de l’expédition Clive : Martin Winfield, James Gardner et Jan-Willem Van Heuleuven. Je ne connais pas les deux premiers, mais le dernier, c’est notre homme ! Les gentlemen m’apprennent qu’ils ont vu ce cher Jan-Willem juste après son renvoi. J’en demande la cause, imaginant une histoire sordide liée à un trafic d’antiquités… non, une cause très prosaïque, un des maux de notre siècle : l’alcoolisme. Après son renvoi, il est passé à la Société pour chercher un autre chantier ou des contacts pour trouver une prochaine mission. Son dernier passage à la Société date il y a 1 à 2 semaines. Aujourd’hui il loge derrière une échoppe de tailleur de la rue des Mites. On me susurre que, même si son abonnement a encore cours cette année, l’homme vit dans une extrême misère. Renseignements pris, pour donner le change et terminer mon… pénultième verre, je reste encore une petite demi-heure dans le salon de la Société avant de ressortir, fier d’avoir enfin accompli une mission avec brio ! J’ai l’adresse de JWVH ! J’ai toujours rêvé d’être sociétaire !
Pendant ce temps, à l’extérieur Andrew fait le tour des ruelles alentours, l’œil aux aguets mais l’esprit ailleurs. L’agent réfléchit aux évènements qui l’ont mené jusqu’au Caire et à la situation très particulière dans laquelle nous sommes. Soudain une sorte de 6e sens l’alerte. Il relève la tête et s’aperçoit qu’il est seul, tout seul dans une petite venelle étroite. C’est le silence anormal qui l’a tiré de ses pensées. En effet, en temps normal il y avait toujours un peu d’activité, et donc du bruit et ce où qu’il ait déambulé jusqu’à présent. Mais là, il est vraiment seul, dans un silence de plomb. Au bout de la rue, face à lui, deux hommes débouchent et marchent à pas rapides en sa direction. Flairant le traquenard, il rebrousse chemin. Enfer, un troisième homme apparu derrière lui, bloque l’entrée. L’homme s’avance aussi, lentement, semblant savourer la situation. Andrew ne perd pas son sang-froid et fonce vers l’individu. Presque nez-à-nez l’homme plonge sa main dans sa djellaba. Ni une ni deux, Andrew fait de même et dégaine son arme. L’homme sort un sabre et se jette sur lui. L’impact est violent. Le sabre coupe profondément le torse d’Andrew. Sous le coup, et ce malgré la douleur, l’agent tire trois coups puis chancelle mais ne tombe pas. L’homme est touché de plein fouet et tombe à terre dans un hurlement. Andrew entend les deux autres jurer et s’élancer en leur direction en courant. D’instinct il le sait, s’il veut survivre, il lui faut rejoindre la rue principale et surtout y arriver avant eux. Andrew presse le pas autant qu’il le peut, sa blessure lui faisant atrocement mal. Mais l’avance d’Andrew est suffisante. Il arrive dans une artère avec du monde, tout sanglant. La foule s’écarte. À quelques mètres, les deux hommes s’arrêtent à hauteur du blessé, le relèvent et fixent Andrew du regard. Ils se défient… puis les couards tournent les talons et s’enfuient. Andrew lève son arme, les met en joue, hésite, puis tremblant range son arme. Il souffle un peu et repense à la scène qui vient de se passer. Il est certain, l’homme portait une amulette au cou, une croix, une ankh inversée. La Fraternité, bon sang ! Faible, Andrew fait quelques pas de l’autre côté de la rue. Il a froid alors qu’il fait une chaleur torride. S’adossant à un mur, il se laisse glisser au sol. La blessure saigne, il est mal en point, le monde commence à tourner…
Dans la foule, les gens le regardent et l’évitent. Personne ne lui parle. Andrew sait que la Police Militaire ne sera pas là avant au moins 20 min. Il interpelle les passants : help, help me. Une bonne âme s’arrête. Andrew le supplie d’aller me chercher : « Mon ami, il est à la Société d’Histoire, dites-lui de venir, vite ». Le badaud s’en va me quérir. Finalement d’autres bonnes âmes aideront Andrew en le transportant à l’hôpital.
Sortant de la Société regonflé à bloc, je cherche Andrew du regard quand soudain, déboule un homme, l’air pressé et excité. Il baragouine quelques mots. Il me faut quelques instants pour le comprendre. Est-ce dû à la fée alcool. Soudain la compréhension se fait jour. Andrew a eu des ennuis ! Je fonce, trop tard, il a déjà été transporté à l’hôpital. Je hèle un taxi et demande à ce qu’on m’amène en urgence à l’hôpital.
Arrivé sur place, je demande à voir l’agent Patterson. Il est dans une chambre et se repose. Il a été gravement blessé, une balafre raie son torse sur toute la diagonale. Je regarde la plaie et les soins donnés. C’est de la belle œuvre. Il a été correctement nettoyé et cousu. Discutant avec mes confrères, on me dit qu’il peut sortir immédiatement à condition que l’on nettoie sa plaie tous les jours et qu’on le panse correctement. Je demande le protocole pour le nettoyer et je vais acheter le nécessaire à la pharmacie de l’hôpital. Revenant dans sa chambre pour le faire sortir, j’entends Andrew plaisanter avec le personnel féminin de l’hôpital. Visiblement il serait fier de sa cicatrice virile si la blessure n’était pas à vif…
Sortant de l’hôpital, nous prenons un taxi. Andrew s’installe confortablement. Direction l’hôtel. Sur le chemin du retour, la circulation est de plus en plus ralentie au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le quartier occidental. Les militaires, d’abord quelques petits groupes de 3-4 hommes, se font de plus en plus nombreux. Puis des troupes entières, de 10 à 12 hommes circulent dans les rues, interpellant les passants, notamment et en particuliers les orientaux.
Nous demandons au taxi ce qu’il se passe, mais il l’ignore. On ne comprend pas très bien. Les militaires fouillent tous les cairotes qu’ils croisent, mais on remarque qu’aucun occidental n’est contrôlé. Il s’agit sûrement des conséquences de l’agression d’Andrew. La police militaire était en train de réagir vigoureusement.
De leur côté, les filles étaient rentrées à l’hôtel et avaient retrouvé un Kenneth en pleine forme. Le groupe assis au bar, se détend un peu en attendant notre retour. En fin de journée, des rumeurs filtrèrent et leur parvinrent aux oreilles. Un occidental aurait été agressé en pleine rue et un couvre-feu instauré par les autorités pour cette nuit. Des soldats britanniques entrent dans l’hôtel et se mettent en faction devant l’entrée et dans le hall. Le quartier va être bouclé. Nos amis se mettent à s’inquiéter. « Qu’est-il arrivé ? Janisse… » souffle ma cousine. Se renseignant auprès des militaires, on leur conseille de ne pas sortir de l’hôtel, d’y rester en sécurité et surtout de limiter les déplacements au maximum.
Nos amis attendent, l’anxiété grandissant d’heure en heure. Le soir, tard, le taxi nous dépose devant l’hôtel. On rentre dans l’hôtel tant bien que mal, je dois soutenir un Andrew faible complètement dans les vapes. Voyant nos amis au bar, on leur fait un signe. À la vue d’Andrew, leur visage devient blême. On l’envoie se coucher pendant que je raconte à nos amis les derniers évènements. On renvoie notre précieux petit guide chez lui. Au passage, on lui donne une nouvelle mission : trouver la rue des Mites et l’échoppe du tailleur qui y vit. Il nous dit que ce soir, il ne pourra pas sortir, à cause de l’état d’urgence, mais qu’il essaiera demain. On le remercie et lui souhaite bonne nuit.
Andrew monte dans sa chambre, il est épuisé, il a la tête lourde, le torse brûlant. Il décide de se coucher immédiatement, laissant tomber son rituel secret qui… chut ! Ouvrant la porte de la chambre, son regard saisit quelque chose dans l’ombre, quelque chose qui bouge vite. Il allume la lumière en hurlant « Qui est là ? » avant de voir un chat noir qui se faufile par la fenêtre. Sans trop savoir pourquoi, la présence de ce félidé dans la chambre perturbe un peu l’agent du Bureau. La fenêtre était ouverte… Andrew se force à fouiller la chambre malgré la douleur qui lui fait tourner la tête. Il inspecte minutieusement les endroits stratégiques et les planques d’armes et d’objets. Rien n’a bougé. Il regarde alors par la fenêtre et voit de nombreux chats, feulant dans la cour en contrebas. Rien d’anormal…
Pourtant, peu rassuré, il recharge son arme et se couche avec… Il s’endort aussitôt, peut-être le poids, ou le froid de l’arme lui permet de s’endormir, rassuré…
En bas, nous allons dîner. Un point est nécessaire. Chacun raconte ses aventures. Je rapporte nos dernières actions, les quelques renseignements glanés comme les noms de deux chantiers de fouille et leur localisation, mais surtout, un petit sourire en coin, le nom de la rue et l’endroit exact où se terre JWVH. Malheureusement, je leur dis que notre petite enquête nous a coûté horriblement cher… 80 £. Kenneth manque de s’étouffer avec son verre de bière à la main. Les filles… ont le regard fuyant… Étrange…
Aussitôt, elles se mettent à parler avec empressement, nous montrent le magnifique rouleau de soie mais que vont-elles en faire ? Fay pense se faire faire sur mesure une sortie de lit, « comme ce sera coquet et burlesque ! ». Avec Kenneth on se regarde, l’incompréhension est mutuelle… Puis elles sortent un grand sac de mauvaise facture : « et voilà les cadeaux, s’écrient-elles ». Cousine, l’air béate, me tend un magnifique scarabée bleuté dans une petite châsse. « C’est un symbole, ou un talisman de protection, je ne sais plus, mais ça te protégera mon petit Janisse, toi qui es si craintif… ». Je leur lance un regard noir, un peu gêné… Elles sont fières de leurs achats. Quand on demande le prix de tout cela, elles détournent la conversation, parlant d’aller voir un tailleur et de leurs envies « une robe de chambre, une taie d’oreiller, un coussin ». Bref… nous n’obtenons aucune réponse valable. Au fait, nous lancent-elles, nous avons trouvé Faraz Najir et on l’a interrogé !
Quoi ! Et elles ne le disent que maintenant ! Alors ? Et elles nous rapportent la triste histoire d’un homme brisé. Faraz a volé des objets appartenant à Shakti, puis les a revendus à Carlyle par l’intermédiaire d’un homme, Auguste Loret ; et le voleur a été puni atrocement. Son commerce a brûlé, avec lui à l’intérieur. Même s’il est défiguré, le corps meurtri, son âme a été gravement touchée. Et en quelques mots très pudiques, elles nous racontent comment il a craqué et s’est effondré devant elles.
Nous restons graves pendant le récit. Nos ennemis sont des monstres, dans tous les sens du terme… une force indicible œuvre contre nous, contre l’humanité. Malgré la chaleur encore présente, nous frissonnons tous…
La discussion porte ensuite sur la marche à suivre. Que faire ? Certains sont pour prévenir l’armée et lancer une intervention militaire contre Shakti. Ok, mais sur quelles preuves ou quel motif ? On peut toujours porter plainte aux autorités égyptiennes. Même argument : sur quel motif ? Dénoncer Omar pour être le chef dissident d’un culte maléfique ? Quelles preuves. La discussion s’éternise un peu, on tourne en rond. Pour avoir le cœur net, Cousine va interroger l’un des militaires en faction. Elle lui pose des questions sur les sectes. Visiblement l’homme ne sait rien. Kenneth se joint à la discussion et interroge l’officier à propos d’une éventuelle intervention armée. L’homme lui rétorque que l’armée britannique n’a pas cette fonction, qu’elle est là pour protéger les occidentaux, et uniquement pour cela. C’est le seul et unique but de sa présence dans ces terres. Il cite pour l’exemple le couvre-feu de cette nuit qui a été instauré à la suite de l’agression d’un occidental. D’ailleurs, la police enquête dessus et recherche l’homme pour l’interroger.
Cousine interpelle alors le militaire : « oui, on sait bien tout cela, c’est notre ami qui a été agressé, et elle sait pertinemment qui sont les auteurs de l’agression ». Le militaire se renferme, l’armée n’est là que pour protéger les civils, il nous renvoie vers l’administration égyptienne et nous invite à porter plainte auprès des autorités compétentes…
Pour ce soir, notre briefing ne débouche pas sur un plan nettement défini. Nous allons nous coucher, la nuit porte conseil dit-on. Et la piste suivante mène rue des mites. On verra bien.
Dans les chambres tout est calme, les filles sont dans leur suite, Dorothy dort profondément. Elle a du mal à se remettre de son enlèvement. Andrew dort à poings fermés… sur son arme… on décide de le laisser tranquille. Kenneth prend le premier tour de garde, je prendrais la suite. Je m’endors aussitôt pendant que Kenneth fume à la fenêtre.
Au cours de la nuit, pendant mon tour, les bruits que font les chats m’agacent. Je passe la tête par la fenêtre et distingue un certain nombre de bestioles. Le dicton dit vrai : la nuit tous les chats sont gris… et bruyants. Je leur gueule de se taire et de respecter le sommeil des gens. Quelques voix humaines me crient de me taire aussi… pendant que les chats semblent rire… Vexé, je ferme la fenêtre et je vais me rasseoir dans mon fauteuil préféré.
30 mars 1925
La nuit passe, au petit matin, je réouvre les fenêtres pour aérer, il fait déjà un peu chaud dans la chambre. Les chats sont toujours là, Kenneth les voit et a un sourire un peu malsain. « Je vais sortir Silas un moment, à toute ». Et lui d’aller dans la cour et de jouer avec son chien… à la poursuite des chats. Ça crie, ça feule de partout… Silas aboie et Kenneth rigole…
Pendant ce temps, Andrew sort des bras de Morphée. Je me fais un plaisir de lui annoncer que c’est l’heure du nettoyage ! Il serre les dents… ça me prend un bon moment, car il faut être méticuleux.
Pendant la séance de soin (et beauté) les filles et Kenneth se rendent à nouveau au Bulletin du Caire glaner de nouvelles informations. Sur le chemin, ils sont surpris de croiser bien peu de monde. Certainement un contrecoup du couvre-feu imposé hier soir pensent-ils. Pourtant, loin vers l’ouest, ils semblent apercevoir un phénomène curieux dans le ciel. Des rumeurs se font entendre : une tempête de sable arrive sur Le Caire !
Pressant le pas, ils arrivent au journal. Nigel les reçoit avec diligence. Quelques informations sont échangées sur les nouvelles du jour. Les filles demandent des informations sur les évènements récents de la soirée. Malheureusement, il est désolé, son journal ne couvre pas les activités politiques et militaires. Les filles comprennent qu’il a surtout peur de perdre son lectorat occidental.
Kenneth pose des questions sur un certain duc de Saint-Amand, ce nom figure dans le registre emprunté à Sir Gavigan. Nigel ne connaît pas ce noble au nom français. Kenneth l’interroge sur un autre français : Auguste Loret. Idem, ce monsieur n’est pas dans les petits papiers du journal ; mais si on le souhaite, il peut se renseigner en demandant à son réseau d’informateurs. Les filles acceptent, elles enverront le petit guide chercher des nouvelles.
Dehors la tempête est proche. Nos amis pressent le pas pour rentrer.
À l’hôtel, la tempête de sable qui approche est le sujet de discussion principal. On me dit que ça ne dure que quelques heures, mais que parfois ça peut durer deux à trois jours. Dans tous les cas, il vaut mieux rester dedans, bien à l’abri.
Les filles rentrent à l’hôtel. Vers midi, la tempête est là, sur Le Caire. Le vent chaud souffle du sable ocre dans toutes les rues. La lumière est inhabituelle, comme tamisée, un voile rouge orange recouvre la ville. Tout le monde reste dans sa chambre. Malgré le sifflement perpétuel du vent, nous prenons du repos. La tempête dure toute l’après-midi. De mon côté, je bouquine, confortablement installé, des pages du liber iuonis. Fay en profite pour boire un peu, discuter au bar. Cousine elle décide que le terme exact sera « sociabiliser au bar ». Je ne vois aucune différence entre son activité et celle de Fay. Dorothy dort toujours, elle semble faire des cauchemars régulièrement. Kenneth est au lit, avec son fusil, ses clopes et son chien. Andrew se repose. Il tient absolument à s’entraîner à sautiller, je l’en dissuade. Le temps passe. Malgré le repos, nous sentons comme une menace sourdre.
La nuit tombe, le vent souffle encore et encore. On a du mal à dormir.
31 mars 1925
Le lendemain matin, la tempête est toujours là. Elle s’estompe en milieu d’après-midi pour s’apaiser en fin de journée. La soirée est enfin calme. Le bruit entêtant du vent qui siffle a disparu. Dieu que c’est bon !
On voit des gens, certainement des défavorisés, louer leurs services, leurs bras. Pour quelques piécettes, ils se proposent de désensabler les devants des portes, ou des portions de rues. Les rues reprennent vie, tout le monde s’active pour nettoyer. Les abords de l’hôtel sont rapidement dégagés, mais les rues restent impraticables.
Le soir, on voit revenir notre petit guide. Il nous confirme l’état des rues. Il sera très difficile de circuler dans Le Caire dans les quelques jours à venir. Pourtant, on peut envisager de sortir dès demain matin, nous dit-il fièrement.
En effet, bombant le torse de satisfaction, il nous annonce qu’il a trouvé la rue des mites avec l’échoppe du tailleur. Ce ne fut pas simple, car il y a quatre rues des mites dans Le Caire. Mais il y en a une seule avec un tailleur. Elle se trouve dans un quartier mal famé du vieux Caire. On lui demande s’il est bien certain de sa découverte : sûr, il est allé lui-même vérifier l’information, et oui, il a bien vu l’échoppe du tailleur.
Kenneth lui demande alors de se renseigner sur un certain Auguste Loret et sur le duc de Saint-Amand. Satisfait des pièces que nous lui donnons en guise de récompense, il nous salue et nous souhaite une bonne nuit au calme avant de rentrer chez lui.
La soirée passe tranquillement. On continue à se reposer et à profiter des quelques heures qui sont à notre disposition. Pourtant, Kenneth insiste pour monter la garde, l’œil toujours vigilant.
Acte 6
1er avril 1925
Ce matin il fait beau et chaud. Les rues sont un peu plus praticables, toutefois pour sortir il faut que l’on patiente encore un peu jusqu’au milieu de l’après-midi. En milieu de journée, le petit guide revient. Il est désolé de ne pas être revenu le matin, mais c’était encore compliqué de circuler dans Le Caire ce matin. On lui demande alors de nous amener dans cette fameuse rue des Mites. Nous sommes très impatients de rencontrer enfin JWVH.
Au bout d’une grosse heure de marche, suivant notre petit guide dans le labyrinthe des rues étroites du Caire, on débouche dans une rue plus crasseuse que les précédentes. Le long de cette rue, il n’y a qu’une seule boutique sur laquelle il est écrit « tailleur » en arabe. Des cris s’échappent de l’échoppe. Nous sommes sur le qui-vive. Le petit guide nous apaise. On crie contre des chats ! dit-il en riant. Le marchand peste contre des chats ! Des chats !?
Nous approchons de la boutique. Elle est crasseuse, très crasseuse. À l’intérieur, dans une semi-obscurité, pendent des vêtements mal taillés, sales. Un homme chasse des chats qui s’enfuient à notre arrivée. Se remettant, il nous lance un sourire graisseux. On va droit au but, on l’interroge : est-ce qu’un Hollandais vivrait ici ?!
L’homme se ferme. Non non, ici boutique de tailleur, habits, vêtements sur mesure. Fay est persuadée qu’il ment, l’homme jette de trop nombreux coups d’œil dans son dos, vers un rideau qui cache l’arrière-boutique. Fay lui sort alors son numéro de charme afin de le distraire pendant que l’agent Patterson se faufile discrètement derrière le rideau. Elle lui donne un grand morceau de la soie qu’elle a achetée et lui demande de lui réaliser un beau coussin. Le tailleur est aux anges, du travail, un vrai œuvre !
Pendant que nous discutons avec l’artisan, Andrew entre dans un couloir sombre où il distingue deux autres rideaux. Derrière le premier, le plus proche, se trouve une pièce de vie, certainement le logement du marchand. Il s’avance vers le second rideau, au fond du couloir. Une odeur d’herbe étrange envahit l’espace et picote ses narines. Il tire un pan du rideau et jette un œil. La pièce est semblable à la première. Il voit un lit, une table, quelques livres. Deux bougies allumées éclairent faiblement un homme assis sur le lit. Il s’agit d’un occidental et il est en train d’écrire. JWVH ! Enfin ! Andrew entre dans la pièce et lui parle doucement. L’homme surpris cache soudainement ce qu’il tenait et s’avance promptement vers Andrew. L’agent du Bureau n’a pas eu le temps de voir ce dont il s’agissait. Andrew se présente et lui demande des informations sur l’expédition Clive. L’homme a l’haleine alcoolisée et son hygiène est douteuse. Andrew change de tactique et radoucit son ton. Pourtant encore interrogateur, l’agent lui demande s’il a choisi cette boutique pour s’y cacher. L’homme secoue la tête. Non, il est forcé de louer cette chambre en raison de son loyer extrêmement modeste. Andrew comprend que le hollandais est ruiné, miséreux. Après avoir échangé un peu, et peut-être gagné sa confiance, Andrew invite JWVH à le suivre et à nous rencontrer. « Venez, mes amis veulent vous parler, ils sont dans la boutique ».
De retour dans la salle principale, Andrew nous présente JWVH. On se met à discuter. Le marchand se met légèrement en retrait. JW habite ici depuis quelques semaines déjà. Il nous raconte les problèmes personnels qu’il a rencontrés lors de la fouille de Clive, ce que suspectait Andrew depuis qu’il « avait senti l’homme » : des problèmes d’alcool. JW avoue sans honte avoir des problèmes causés par la boisson et le manque de contrôle de sa part. Puis il nous parle des fouilles. Elles ont eu lieu dans la Pyramide de Mykérinos. Clive cherchait une chambre secrète. Après quelques jours, ils l’ont dégagée et ont trouvé à l’intérieur une momie de femme qui était au moins une reine. Son statut royal était discernable par différents indices : dans la manière dont le corps était embaumé et apprêté, par le mobilier : un coffret en or, finement ciselé, contenait des rouleaux de papyrus et par la décoration : sur les murs il y avait des fresques peintes et des cartouches royaux. On l’interroge sur cette documentation écrite mais JW avoue aussi qu’il ne s’y connaît pas très bien en hiéroglyphes et même s’il peut transcrire, avec du temps, il n’excellera jamais le niveau de Johanes Sprech qui est le traducteur officiel de l’équipe Clive et c’est lui qui a récupéré les papyrus. Lorsqu’on lui demande où se trouve ce spécialiste, il nous dit que tous les membres de l’expédition ont suivi Clive à Memphis pour échapper aux problèmes (et surtout au déshonneur) liés au vol de la momie. Toute l’équipe est là-bas, sur le nouveau site.
Juste avant le vol de la dépouille royale, son identité avait été révélée, du moins James Gardner et Agatha Broadmoor étaient persuadés qu’il s’agissait de Nitocris, une reine de la VIe dynastie.
James Gardner est un égyptologue qui a développé une théorie sur les réseaux souterrains reliant les pyramides et monuments entre eux, et… JW nous semble un peu gêné, sur des théories un peu mystiques sur des forces souterraines. Ces réseaux sont aménagés sur des courants telluriques, des points de contacts.
Agatha Broadmoor est une dame âgée de 60 ans et elle serait médium. Que faisait-elle dans l’équipe de fouille ? JW l’ignore. Lui, sa spécialité, c’est le terrain, la fouille et sa gestion. Selon lui, la médium aurait été en contact avec la reine Nitocris. Depuis l’étrange disparition du sarcophage contenant la momie, la police d’État est un peu plus ouverte aux théories des réseaux souterrains de Gardner. En effet, il aurait été impossible de déplacer hors de la chambre le sarcophage contenant la momie, du simple fait qu’il ne passait pas par la porte. Et puis faire disparaître en si peu de temps un objet pesant plusieurs centaines de kg, voire de quelques tonnes… Les deux gardes ont aussi disparu. Entendant les cris de ces deux malheureux, ils ont mis moins de 15 min à rejoindre la chambre funéraire. Et en arrivant, ils se sont rendu compte qu’elle était vide.
Cela a bien entendu intrigué l’équipe, puis les autorités. JW se souvient en avoir discuté avec Martin Winfield, le spécialiste des dynasties égyptiennes, un bon ami à lui.
Viré, ou plutôt démissionnaire forcé après l’incident, JW s’est tourné vers Winfield qui lui aurait indiqué un vieux temple perdu dans le vieux Caire. JW s’est lancé à cœur perdu dans cette tâche. Il nous raconte que depuis peu, il a trouvé ce temple, mais que le chemin est ardu, il faut passer par les étages de vieilles masures, se perdre dans des vielles cours et glisser dans des égouts oubliés. Le vieux temple est semi-enterré, occulté de la vue de tous. À l’intérieur, il y a trouvé des choses… mais n’en dit pas plus.
Après une longue palabre, et diverses tentatives pour le convaincre, l’homme se laisse tenter et accepte de nous y accompagner. Cousine lui offre 50 £, et il garde le droit sur sa découverte. Finalement il nous glisse qu’il a découvert des parchemins et qu’il est en train de les traduire.
Sans plus attendre, nous nous mettons en route pour ce temple. Avec Fay nous nous rendons compte que nous sommes escortés par de très nombreux chats. Nous en faisons un petit jeu de « chat et de la souris » avant de nous lasser. Poursuivant notre route, très sinueuse, nous suivons JWVH dans un bâtiment, escaladons une coursive, puis nous nous glissons dans une large canalisation éventrée afin de nous faufiler à l’intérieur et de tomber dans les égouts. Nous suivons notre guide dans le cloaque oublié. À la fin, une volée de marches nous permet de déboucher dans une impasse fermée dont c’est le seul accès. La zone est très ensablée, et semble ancienne. Les maisons construites ont totalement fermé l’espace qui n’est plus accessible par un quelconque accès. Au bout se dresse les ruines d’un temple. Il s’agit d’un bâtiment fermé de deux larges colonnes flanquées d’une volée de marches. Elles mènent sur une cour intérieure avec deux grands piliers. Des arbres ont colonisé l’espace libre. On s’aperçoit vite que le temple est dédié aux chats, en l’honneur de la déesse Baast ou Bubastis comme nous l’indique JW. D’anciens bas-reliefs sont sculptés sur les murs. On admire l’endroit. Au centre de la cour, on devine peut-être les restes d’un ancien bassin. JW nous dit qu’il y a là gravés quelques avertissements rituels à l’encontre de quiconque oserait profaner le temple.
Il a trouvé les parchemins à l’intérieur. Il s’y élance pour nous montrer l’endroit et nous lui emboitons le pas sous le regard des chats, des nombreux félins qui vivent dans cette impasse.
Pour passer l’entrée, il nous faut ramper. Une fois dans la salle intermédiaire nous pouvons de nouveau nous tenir debout. Les chats nous suivent, se frottent entre nos jambes. On les chasse gentiment. Pour passer dans les autres salles, on doit ramper à nouveau, l’ensemble est à moitié effondré, à moitié ensablé. L’accès n’est vraiment pas aisé, on se met du sable partout. On débouche dans un espace où se dresse la statue d’une femme à tête de chat. Son regard pointe directement sur nous et un frisson de malaise nous parcourt. Elle est très belle, c’est du bel ouvrage. La statue, en albâtre, mesure à peu près 3 m de hauteur. Je me sens un peu paniquer et sans trop savoir pourquoi, je fais quelques gestes dévots envers la statue. Autour, partout, des chats feulent, miaulent, se lèchent, jouent, se vautrent, nous observent…
JW se faufile alors à nouveau dans un autre couloir un peu moins ensablé. Sur les murs, il y a des restes de couleurs mais très fugaces, elles ont quasiment toutes disparues. On arrive enfin à un escalier, une volée de marches qui mène à un piédestal avec une statue gigantesque représentant la même femme à tête de chat. Baastet, dit fièrement JW. C’est dans le socle que se trouvait le compartiment secret contenant les parchemins inédits !
Effectivement, on voit nettement sur le socle le compartiment ouvert qu’il vient de nous décrire. Bien entendu, il est vide.
Après s’être positionnés aux pieds de la statue, on s’aperçoit qu’elle n’est pas aussi grande que l’on aurait cru en arrivant. Elle mesure elle aussi dans les 3 m, comme la précédente. Toutefois la sculpture est différente, beaucoup plus fine et détaille, la ronde-bosse est parfaite.
On pose alors quelques questions à JW. De quand date le temple ? Il tend le bras, vous voyez sur le socle, les nombreux cartouches ? Ce sont les différents noms de Bubastis et ils datent de la XIIe dynastie. Je dirais que ce temple peut dater de 1800 à 1600 av. J.-C.
C’est en appuyant sur l’un des cartouches qu’un mécanisme secret s’est déclenché, ouvrant le compartiment du socle. Il nous dit alors que les parchemins sont liés au culte et aux mystères de Baast et les intitule les rites noirs.
Encore quelque chose de noir, comme ce satané Pharaon Noir, balance Kenneth. JW a l’air surpris. Non non, du tout, le culte des chats est plutôt bénéfique. C’est un animal sacré en Égypte. Le chat est un sycophante, il sert à accompagner les âmes des défunts dans leur voyage vers la nouvelle vie. Ces fragments parlent de Sebek, le dieu crocodile et de son serviteur, Apep, qui correspond à Apophis, le dieu serpent. Apep est le serpent maléfique qui empêche le bâteau du dieu soleil Râ de se lever chaque matin. Dans le chant de Rê, le chat d’Héliopolis, Bastet, tue et mutile le dieu serpent avec un couteau. C’est une allégorie qui illustre la lutte éternelle du bien contre le mal. La nuit correspond au moment de la lutte, puis vient la victoire du bien, qui permet au soleil de se lever mais finalement la lutte reprend le soir suivant et elle dure toute la nuit. La scène est représentée sur le socle. On voit très bien un personnage féminin qui coupe la tête d’un serpent qui se battent dans une barque. Un personnage à l’avant tient un harpon et vise l’eau, un autre personnage semble éclairer quelque chose et Baast se trouve à l’arrière.
Pendant qu’il nous explique tout cela, Kenneth s’aperçoit que son chien, Silas, est terrifié, il refuse de bouger. Kenneth se moque de lui : « Alors mon chien, tu as peur de quelques chats ? ». Finalement on explore le temple pour ne rien trouver de plus. Durant l’exploration, Fay, Kenneth et Andrew ont l’impression d’avoir vu un gros chat, une grosse silhouette féline se glisser en hauteur. Elle aurait fait au moins 1 m au garrot. C’est… un très gros chat ! Je ne me sens pas très rassuré. Silas non plus…
Pourtant rien ne se passe. Au bout d’un moment, on ressort dans la cour puis on décide de rentrer à l’hôtel.
De nouveau dans les rues du Caire, on salue JW en lui souhaitant une bonne soirée et en lui annonçant que nous désirerions rester en contact avec lui. Il accepte volontiers, imaginant à l’avance les gages qu’il pourrait nous soutirer.
On rentre à l’Hôtel. Dans nos chambres nous nous dépoussiérons un peu en faisant notre toilette, puis l’heure de dîner arrive. Le dîner se passe sans encombre et nous discutons peu. Pas de plan pour le lendemain.
On retourne dans nos chambres se coucher. Kenneth propose, comme tous les soirs, que l’on fasse des tours de garde, ce que l’on accepte volontiers.
Kenneth commence la garde, lorsqu’il me réveille pour prendre mon quart, il me dit qu’il a vu une immense silhouette féline, d’un très très gros chat sur le toit d’en face. Et il est sûr que ce chat le fixait droit dans les yeux. Kenneth lui a retourné son regard, fixement, et lorsqu’il a eu fini sa clope, le gros chat s’est dressé et est parti.
Je propose alors à Kenneth de nous servir un verre afin de nous redonner un peu de courage. Tout en buvant Kenneth me dit qu’il pense qu’il s’agissait d’une panthère. Je lui propose alors de prévenir la personne qui fait le quart chez les filles avant d’aller se coucher. Il accepte. C’est donc à mon tour de veiller sur mes compagnons.
Le reste de la nuit s’écoule tranquillement. Je repense au mythe de la barque solaire. Finalement, je suis bien content que le bien triomphe encore et que le soleil se lève ce matin.
2 avril 1925
Le lendemain, lorsque tout le monde est levé, on se retrouve au petit déjeuner. On discute alors de la marche à suivre pour la journée. Vers midi, notre petit guide revient. Il n’a rien trouvé sur Auguste Loret, mais il dit avoir une piste. Les filles pensent alors à l’envoyer voir le journaliste. De retour du Bulletin, il nous dit que le monsieur ne lui a rien donné car et il s’excuse, il n’a rien trouvé. Les filles sont un peu déçues.
En début d’après-midi, on repart rue des mites. Les forces militaires sont toujours très présentes, alors que l’on parcourt les rues, on se fait remarquer par les Égyptiens qui nous dévisagent. Peut-être pensent-ils qu’on les nargue ou qu’on cherche à déclencher une quelconque émeute…
Les chats sont toujours aussi nombreux, on a presque l’impression qu’ils nous suivent. Arrivés dans la boutique du tailleur, ce dernier nous reçoit chaleureusement. Le coussin commandé par Fay est terminé, et, somme toute, il n’est pas si mal fait que cela. On lui règle ce que l’on doit et on demande à voir JW. Ce dernier travaille toujours à sa traduction et ne souhaite pas trop perdre son temps avec nous. Après quelques échanges amicaux, il retourne dans sa piaule.
Faute de meilleures pistes, on décide d’aller rendre visite à Ali Kafour au musée après avoir fait une petite promenade dans les rues du Caire. Kenneth, lui, rentre seul à l’hôtel.
Au musée Andrew reste à l’extérieur et fume quelques cigarettes pour patienter. Ali nous reçoit dans son bureau. À peine sommes-nous entrés, il fait jouer sa clef dans la serrure et nous voilà à nouveau enfermés. Se tournant vers nous, il nous dit que la situation est catastrophique, la Fraternité doit certainement posséder l’objet permettant de ressusciter Nitocris. On lui fait part du projet de rencontrer Omar Al-Shakti et de l’affronter. Il nous déconseille fortement cette option. Quand on lui demande des pistes, il ne sait que nous dire. Du coup on l’interroge sur la déesse Baast. À sa connaissance, il n’y a aucun lien entre les mythes liés à la déesse et à ceux du Pharaon Noir.
Au moment de prendre congé, il nous renouvelle ses conseils de prudence. L’homme semble inquiet, très inquiet. Il nous conseille aussi de découvrir rapidement le lieu où se tiendra la cérémonie de la résurrection et de l’empêcher tout prix. On gage que c’est une excellente idée mais… par où commencer ?
De retour à l’hôtel en fin d’après-midi, on retrouve notre petit guide dans le hall. Il semble un peu excité. Il a des informations sur Auguste Loret. Il sait où il se terre : derrière la porte rouge de la rue des Scorpions ! Ni une ni deux, on lui demande de nous y mener immédiatement.
La rue des Scorpions est encore une de ces ruelles étroites du vieux Caire. La seule porte rouge correspond à celle d’une boutique, dont on reconnaît l’enseigne : celle d’un tailleur.
Il faut savoir qu’au Caire, en effet, que l’un des commerces de rue les plus fréquents, c’est le tailleur. À bout de quelques jours passés à arpenter les rues, nous l’avons vite compris.
On entre dans la boutique légèrement mieux tenue que celle de la rue des mites. Un homme s’avance vers nous et nous accueille. On lui demande si on peut voir M. Auguste Loret. Le marchand fait celui qui ne comprend pas : « Non, désolé, il n’y a personne de ce nom ici ». Kenneth s’avance alors, prend son air le plus renfrogné et lui repose la question. L’homme reste de marbre, « Non, non, ici tailleur, c’est écrit sur l’enseigne, dehors ». Andrew tape du plat de la main sur le comptoir. « Allons, ne nous faites pas perdre notre temps, nous voulons voir M. Loret au plus vite ». L’homme continue de dire « Non, non ! » et semble un peu s’énerver. Alors, contre toute attente, Kenneth dégaine son arme et menace le marchand. Aussitôt il lève les mains : « Il est derrière, effendi, derrière, je suis juste un honnête commerçant par Allah ». Kenneth grogne un sourire et range son arme. L’homme continue son babillage : « Je ne suis que son logeur, je ne veux pas d’ennuis. ». On le rassure, on veut juste parler à M. Loret lui dit-on. Et pour regagner la confiance de l’homme, Fay lui commande un coussin.
Pendant qu’elle règle sa transaction, on franchit le rideau qui, ici aussi, sépare la boutique de la partie habitation de la masure et on arrive dans un couloir à peu près semblable à la demeure de JW. Ici aussi une première pièce à vivre immédiatement à droite dans le couloir, celle du marchand et au bout du couloir un autre rideau. On se dirige vers ce qu’on pense être la chambre de Loret.
Derrière le rideau, une toute petite pièce avec à terre une paillasse. Une vieille table rongée par les vers est plaquée contre une cloison. Un homme est allongé sur la paillasse. Il fume la chicha, je reconnais l’odeur âcre du haschich de mauvaise qualité. Surpris, l’homme se dresse et nous toise tant bien que mal. Il se tapote un peu, faisant tomber la poussière qui le couvre. Il parle un anglais mâtiné d’arabe et de français.
Après quelques présentations d’usage - Cousine ressort le boniment sur notre connaissance des Carlyle de New York, et ça fonctionne ! - nous engageons la conversation avec l’homme. Il a parfois du mal à s’exprimer. Certainement quelqu’un qui a reçu une certaine éducation mais qui semble avoir subi un stress violent. Et surtout, la drogue pensé-je n’a pas dû améliorer son état.
“Contacté par un avocat, il accepte de travailler pour un Américain fortuné : M. Roger Carlyle. Sur des instructions écrites de Carlyle, j’ai acheté certains artefacts à Faraz Najir, un marchand d’antiquités, et les ai fait expédier en fraude à Sir Aubrey Penhew à Londres. Je sais qu’il s’agissait bien d’objet antiques mais rien de plus.”
Effectivement, cette histoire a été confirmée par Faraz Najir lui-même et avant même de le rencontrer par une lettre trouvée rédigée par l’antiquaire, adressée à Carlyle et datée du 3 janvier 1919 ; c’est même dans cette lettre que l’on avait noté l’adresse de la rue des Chacals.
“Lorsque l’expédition Carlyle est arrivée en Égypte, je me suis occupé de l’équipement et des autorisations. Le site prioritaire se trouvait à Dashour, près de la Pyramide Inclinée.
Un jour, à Dashour, Jack Brady est venu me voir pour me dire que Carlyle, Hypathia Masters, Sir Aubrey Penhew et le Dr. Robert Huston avaient disparu dans la Pyramide Inclinée. Brady était surexcité et soupçonnait un mauvais coup ; tous les terrassiers avaient fui le site. Tout travail était arrêté.
Le lendemain Carlyle et les autres sont réapparus. Ils étaient excités par une découverte extraordinaire mais ne voulaient en parler à personne. Je n’ai jamais su ce que c’était ; Sir Aubrey était un vrai dragon, question discrétion.
Tous avaient changé, de manière indéfinissable, mais pas en bien. Je n’ai pas cherché à en savoir plus. Le même soir, une vieille égyptienne est venue me voir. Elle disait que son fils travaillait aux fouilles, et que tout le monde s’était enfui parce que Carlyle et les autres avaient invoqué une malfaisance antique, le Messager du Vent Noir.
Elle disait que tous les Européens étaient damnés, sauf Brady et moi, qu’elle pouvait voir ces choses-là. Si je voulais une preuve, je n’avais qu’à me rendre à la Pyramide Effondrée de Meïdoum lorsque la lune est la plus mince, la vieille de la nouvelle lune. Dieu me protège, j’y suis allé !
J’ai pris un des camions et j’ai dit que j’allais passer la nuit au Caire, au quartier des plaisirs. Mais, en fait, j’ai foncé au sud. Trente kilomètres après, j’étais à Meïdoum et je me suis caché là où elle m’avait dit. C’est là, au plus profond de la nuit, que j’ai vu Carlyle et les autres se livrer à des rites obscènes avec une centaine d’autres fous. Le désert lui-même semblait s’animer : il rampait, ondulait vers les ruines de la Pyramide. Devant mes yeux horrifiés, les ruines elles-mêmes se sont transformées en une chose squelettique aux yeux globuleux !
D’étranges créatures ont surgi des sables pour se saisir des danseurs et leur déchirer la gorge, l’un après l’autre. Tous ont été tués jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les Européens.
Quelque chose d’autre est alors sorti des sables ; c’était comme un éléphant mais il y avait cinq têtes hirsutes. Là, j’ai compris ce que c’était - mais je serais fou d’en parler ! Je l’ai vu se dresser dans la nuit et tout engloutir d’une seule bouchée vorace : les cadavres déchiquetés et leurs monstrueux meurtriers. Il ne restait plus que les cinq survivants et la puanteur des sables gorgés de sang.
Je me suis évanoui. Après, je me souviens avoir erré dans le désert mais d’autres abominations m’attendaient. Un peu avant l’aube, du haut d’une dune, j’ai vu des centaines de sphinx noirs ; ils étaient alignés en rangées interminables et attendaient, attendaient l’heure de la folie où ils pourraient s’abattre sur le monde et le dévorer !
Je me suis encore évanoui et je ne me rappelle rien des mois qui ont suivi.
Un homme m’a découvert. Sa mère et lui se sont occupés de moi pendant deux ans, deux ans à prendre soin d’une coquille vide et tourmentée. Je suis rentré au Caire, mais les cauchemars sont venus ! Seul le haschich peut m’aider maintenant, ou l’opium quand j’en trouve. Mes réserves sont basses et la vie est intolérable dans le haschich. Aidez-moi, s’il vous plaît ! Seules les drogues me gardent de la folie. Tout est perdu, messieurs, tout. Il n’y a plus d’espoir pour aucun d’entre nous. Ils attendent. Partout.
Vous partagerez peut-être une bouffée avec moi ?”
Le récit de Loret est… désappointant. Il a rencontré l’horreur et elle a déchiré son esprit. Nous sommes sans mot tout du long. Ses problèmes d’élocutions ont semblé fondre, le récit est vite devenu fluide et sa lourdeur - ainsi que les vapeurs de haschich stagnantes je suppose - nous ont presque assommé. C’était autant captivant qu’effrayant. Une confession terrifiante…
Après la révélation de Loret, nous restons un petit moment sans voix, à digérer ce qu’il vient de nous dire. Étaient-ce les paroles d’un fou, ou a-t-il vraiment vu tout ce qu’il a décrit ? L’homme se repose en silence, il fume sa pipe. Il nous a précisé que la femme qui l’avait recueilli se prénommait Nyiti et son fils Unba. Il est resté chez eux dans leur masure de El-Wasta, pendant près de deux ans. Et ces gens, bons, ont pris soin de lui. C’était la même égyptienne qui l’avait averti des horreurs de Carlyle. Et effectivement, cette femme devinait ou savait des choses. Peut-être un don, ou une malédiction...
Reprenant mes esprits, je m’avance vers lui et lui propose de l’aider, de lui fournir des soins. Mais mon altruisme de médecin ne mène à rien. Les yeux dans le vague, le regard éteint, il me tend sa pipe et me propose d’essayer. L’homme n’est plus qu’une épave. Je refuse doucement mais Fay, curieuse, s’en saisit et se met à fumer. Quelques bouffées seulement et notre amie fait une affreuse grimace. C’est mauvais, très mauvais. Mais l’homme semble s’en contenter, et même y trouver du réconfort.
Nos questions suivantes n’amènent à rien. L’homme nous a tout dit, et confession faite, il n’en reste plus rien.
La mort dans l’âme, nous le laissons à son sort. À l’extérieur, nous marchons silencieusement dans les rues sombres du Caire, seulement éclairés par les étoiles. Fay scrute le ciel un instant et nous dit que la prochaine nouvelle lune sera pour la fin du mois, autour du 22 ou 23 avril, pour le premier saint de glace dit-elle, le jour de la Saint-Georges. Il ne nous resterait plus que 20 jours…
Le récit de Loret nous a tous perturbé. Kenneth, restant pragmatique et analysant les futurs combats à venir propose de se procurer de la dynamite ou des gaz lacrymogènes. Étrangement tout le monde approuve. Mais où pourrions-nous trouver ce matériel très spécifique ?
Nos pas nous ramènent à l’hôtel. La nuit est calme. Après une rapide collation, nous montons nous coucher.
Avec Fay, nous prenons le premier tour de garde. Cousine et Kenneth prendront la relève plus tard. Andrew est encore exempté, il lui faut du repos.
Dans notre piaule, je m’installe pendant que tout le monde se couche. Vers le milieu de mon tour, je vais prendre une bouffée d’air à la fenêtre. Alors que je scrute le paysage nocturne en respirant profondément, je me rends compte que les toits sont pleins de chats, du moins je crois distinguer des silhouettes félines un peu partout, qui marchent, courent et… qui semblent converger vers l’hôtel. La cour en contrebas serait-elle un lieu privilégié pour les rencontres amoureuses félines ? Je repense aux jeux du matin de Silas…
Sauf que… quelque chose ne va pas. Les silhouettes sont celles de gros chats… Avec la perspective, ils devraient être minuscules sauf que… non ! Bon sang, je rêve ou bien ce chat a une crinière ? Et celui-là !
Ce ne sont pas des chats… pas du type petit minou inoffensif…
Je prends peur, et je me précipite dans la chambre de Kenneth pour le réveiller. L’homme ne dormait que d’un œil. Il se redresse bien vite et je lui fais un topo rapide. À la fenêtre, Kenneth confirme mes observations : regarde là, certainement une panthère, et ces 2/3 là-bas, des lions ! Bien sûr il y a des chats et d’autres félins plus ou moins gros. Ils sont assis sur les toits des bâtiments face au nôtre, ils nous observent, nous scrutent, attendent… Au moment où l’on fait un geste, ils disparaissent, d’un coup d’un seul.
Parmi les silhouettes qui partent, et cela j’en suis certain, il y en avait un qui se tenait debout, sur deux pattes !
Un frisson me glace…
On échange quelques paroles et Fay se joint à nous. Non, elle n’a rien vu. - sent-elle légèrement l’alcool ? - Cousine se joint à nous, car nous faisons trop de bruit. Il faut dire que l’on s’est servi un petit verre pour se donner du courage… - encore de l’alcool –
L’idée fuse : il faut aller au temple ! Ni une, ni deux, on s’équipe de pied en cap et on part en direction du temple en pleine nuit. Andrew et Dorothy dorment et on décide de laisser Silas, même si cela arrache un grognement à Kenneth.