Elijah Shingern a écrit : ↑jeu. oct. 10, 2024 8:17 am
Quant à « épistémologie féministe du positionnement », je devine qu’il s’agit de l’idée que les femmes (ou certains groupes de femmes) peuvent seules offrir une connaissance sur certains aspects scientifiques.
Nope.
Joann Scott et Paula Moya ont dit très clairement, dans les années 90', que certainement pas. Moya, je la cite à peu près, écrit qu'être né·e dans un certain type de relations et de conditions sociales, ou qu'avoir subi les conséquences de l’oppression et de privations économiques, ne génère pas en soi une meilleure compréhension ou un savoir plus fiable. On ne peut pas être plus clair.
Par contre, elles s'intéressent à ce qui peut transformer l'expérience en savoir et peut transformer le positionnement de l'individu victime d'une oppression au sein de la société
.
L'injustice épistémique, c'est la première fois que je rencontre. C'est moins courant dans la littérature et c'est plus jeune (2007). Globalement, de ce que je comprends avoir consulté quelques articles pro / contra, c'est la différence de crédit qu'on apporte à un énoncé en fonction du positionnement social de son porteur (et bon, on va difficilement nier que ça existe), mais j'ai un peu de mal à comprendre en quoi elle est épistémique, c'est à dire relatif à la connaissance dans son ensemble, dans la mesure où ce crédit apporté à l'énoncé dépend de la position du groupe et de l'individu au sein de son groupe, plus que d'un savoir constitué sur ce groupe. Après, il faudrait voir comment l'autrice se réapproprie le concept. Ce n'est, après tout, qu'un outil, que chaque chercheur a tendance à retailler.
Pour le reste, on ne va pas s'engager dans sociologie quantitative (macrodonnées) vs. sociologie qualitative (terrain, entretien). Ce serait stérile, les deux ayant leur intérêt.
A propos de macro-données... parmi les 108 000 victimes de viol ou de tentative de viol déclarées en 2017 (dont 93 000 femmes et 15 000 hommes), 91 % connaissaient l’agresseur et 45 % des agresseurs étaient le conjoint ou ex-conjoint. Plus de 90% des plaintes pour viol conjugal ont été classées sans suite.
Et l'on ne parle là que des viols et tentatives de viol déclarées, l'intimité créant les conditions de la sous-déclaration.
Mais même en se tenant à ce 91%, je ne vois pas trop comment on peut nier qu'il existe une mise en danger au cœur du foyer, à laquelle les femmes sont particulièrement vulnérables et dont elles peuvent être très tôt exposées. L'affaire de Mazan ne peut que résonner avec cette expérience partagée.
Dans le même temps, on peut se demander si l'impunité du viol conjugal ne présuppose pas que la mise à disposition du corps de la compagne, qui était inscrit dans la loi jusqu'en 1990, est encore considéré comme une norme, si ce n'est dans l'intégralité de la société, mais au moins dans une large part. Cela expliquerait qu'aucune lumière ne se soit allumée dans la tête des accusés et que l'un d'eux ait dit, comme s'il s'agissait d'une évidence "c'est sa femme, il fait bien ce qu'il veut".