L'heure passait et je sortis de mes pensées. Comme toutes les délégations, nous étions attendus à la salle du conseil. Chaque peuple libre était représenté : Nains, Elfes, Bardides, Béornides et Hommes des Bois. Curieusement, ma communauté comportait deux délégations puisque Ceawyn était aussi un émissaire. Une situation très inattendue. Les peuples libres ne savaient-ils pas que la Porte-du-Soleil avait rejoint les Hommes des bois lors du dernier grand rassemblement ? Si tel était le cas, sa révélation pouvait s'avérer fâcheuse lors des délibérations. Néanmoins, pour le moment, je tuais cette pensée et gardais cette interrogation pour moi.
Le mois de novembre n'avait pas été choisi au hasard. Non, les moissons étaient faites, le foin engrangé, le bétail à l’étable et, à Esgaroth, c'était aussi le temps des grands marchés. Les rues étaient bondées de monde lorsque nous prîmes le chemin de la grande place. La foule se pressait, dense, et bordait le cortège des dignitaires. Celui-ci se frayait un passage à travers elle le long d’un corridor ouvert par les gardes de la cité. Les délégations défilaient les unes derrière les autres sous les vivats et les acclamations. Le peuple riait, chantait et dansait. En cette journée, il côtoyait ses hauts dignitaires dont la présence de tous témoignait leurs préoccupations à son égard. Ce conseil du Nord était une véritable représentation politique. A mes yeux, sa tenue démontrait surtout la fragilité de la paix en Rhovanion. L'Ombre la menaçait.
Peu à peu, le long cortège aborda la grande place. L'hôtel de ville trônait en son centre et une volée de marches grimpait jusqu'à son perron décoré avec faste. Lomuld, le maître de la ville et émissaire d'Esgaroth, attendait à l'intérieur pour accueillir ses homologues et leurs représentants. J'avais appris la présence de Vannedil parmi ceux de la cité. Je n'en étais pas étonné : je le savais hâbleur et profiter d'un large réseau de connaissances ici. Les Bardides furent les premiers à monter les marches. Le roi Bard était accompagné de sa reine Una. Le couple était majestueux, sa beauté rayonnait. La foule était en liesse et les curieux les plus hardis s'avançaient même au plus près pour les couvrir de fleurs automnales. La reine en riait, elle resplendissait dans ses atours élégants. L'amour pour son roi se lisait dans son regard. Puis vint le tour des Elfes. Gracieux et lestes, ils rejoignirent le perron sous leurs bannières chatoyantes claquant au vent. Là, Legolas Vertefeuille salua la foule amassée sur la place. Celle-ci applaudit mais son engouement était moindre à l'évidence. Le fier émissaire elfique ne s'en offusqua pas. Il était lui aussi accompagné d'une dame de son peuple à la grâce incomparable. J'en fus subjugué tout comme je fus stupéfié d'apercevoir à leurs côtés, bien qu'en retrait et loin derrière eux, mon ami Beleg. Lui aussi avait eu l'honneur de représenter son peuple et je m'en réjouissais. Etrangement, un homme était aussi des leurs. Je reconnus Halberch, un marchand d'Esgaroth et échanson du roi Thranduil. Devais-je m'en étonner ? Après tout j'officiais moi aussi auprès des Hommes des Bois alors que j'étais issu de l'Ouest. Mais les Nains monopolisèrent alors mon attention. Ils succédaient aux elfes et leur roi Dáin honora lui aussi la foule depuis le perron de l’hôtel de ville. Nous suivîmes enfin et, tout comme leurs prédécesseurs, nos émissaires s'inclinèrent devant les badauds et les chalands. Seul Beorn y dérogea et personne ne se renfrogna. Le géant était venu seul. D'une stature imposante, l'émissaire du Vieux Guet de l'Anduin imposait le respect et chacun ici connaissait son dû à cet homme.
La salle du conseil était emplie d’une soixantaine de personnes. Un brouhaha diffus y raisonnait. En son centre, disposés en cercle, sept fauteuils trônaient, un pour chacun des émissaires. Seuls ceux-ci s’exprimeraient haut et clair au nom des leurs mais, avant leurs votes, chacun profiterait des conseils avisés de leurs représentants. Un délai serait donné aux délégations pour échanger, influencer et convaincre autrui. D’un regard attentif je parcourus les invités mais ne parvint pas à apercevoir mes deux amis noyés dans la cohue. Une musique s’éleva depuis le fond de la vaste salle. Quelques ménestrels jouaient un air léger et apaisant. Des collations furent servies à toutes et tous. Dans le hasard de l’ondulation des visiteurs, je rencontrais Ceawyn. Nous nous saluâmes chaleureusement et je le félicitais pour son statut. Je ne pus m’empêcher de lui présenter mon étonnement quant au doublon des émissaires représentant notre communauté, mais il ne put me répondre accaparé qu’il fut par d’autres convives. Je reportais alors mon regard sur la délégation Bardide. Son roi était inaccessible mais je m’approchais de l’un de ses conseillers. Sachant que les Bardides étaient les instigateurs de ce conseil, je voulais en apprendre plus sur leurs raisons. L’homme me dévoila poliment que les hommes de Dale s’inquiétaient de la noirceur de Dol Guldur et souhaitaient aussi élargir le conseil à d’autres peuples libres pour faciliter le commerce au nord. Au fil des conversations et de mes déambulations, je pus noter une rumeur sur l’absence de Radagast ici qui me fit hausser un sourcil : le sorcier occuperait son temps à errer sur les rives du Lac Noir pour étudier la corruption de ses eaux sombres. D’autres, plus graveleux, contaient que son temps était exclusivement consacré à séduire l’une des Dames de la rivière. Je ne savais si je devais m’en amuser lorsque Lomuld frappa le sol de son bâton cérémonial. Placé au centre des sept sièges, le maître de cérémonie conviait chacun à prendre sa place, le conseil allait débuter. Les émissaires s’avancèrent et s’assirent, leurs représentants se regroupèrent au-dessus d’eux sur les hauts balcons qui ceinturaient la salle. Le silence s’imposa. Lomuld présenta chacun des hauts dignitaires par leur nom et leurs titres. Puis il rappela à tous les règles de bienséance avant d’entamer un discours de bienvenue pompeux et ennuyeux. Il s’empressa d’en finir face à l’impatience manifeste de Beorn. Celui-ci se leva alors pour évoquer le premier sujet à débattre : la querelle actuelle entre son peuple et celui de Viglund, des barbares du nord. Depuis deux années, les siens les retenaient protégeant la vallée de l’Anduin, son Vieux Guet et, de fait, les voies commerciales qui l’empruntaient. Bien sûr, son peuple prenait un pécule pour sa traversée mais ce gain pécuniaire ne représentait que peu face au prix de sang payé par les siens. Ainsi, le géant demandait l’aide des autres peuples libres. A ses yeux, les Béornides ne devaient pas être les seuls à souffrir pour défendre le libre passage sur les terres de l’Anduin. Sa voix grave et tonitruante conclut « Cela ne peut continuer ainsi et, si ce conseil a quelques forces, je lui demande d’agir. ». Puis il se rassit. Le roi Dáin se leva à sa suite : « Le peuple des Nains est reconnaissant à celui de Beorn mais entre le Vieux Guet et Ereborn, une forêt se dresse interdisant la venue d’une armée naine. Erebor sait que chacun ici doit s’efforcer à la paix. ». Le nain se tut et laissa la parole au roi Bard. Sa voix grave raisonna : « J’entends avec tristesse le prix payé par Beorn et son peuple. Chacun se souvient de ce que Beorn a fait et sa lutte actuelle apporte prospérité au commerce du nord. Mais le seigneur Dáin a raison, le sentier des elfes n’est pas praticable par une armée et la voie par le nord est fort périlleuse, les orques y pullulent. Les Vigundides seraient gagnants de cette situation si l’on favorisait cette voie septentrionale. Nous devons être attentifs à ne pas aggraver une situation en voulant l’améliorer. ». Lomuld tint ensuite un discours similaire et Legolas resta muet. Gailar se dressa « Mon peuple a combattu et combattra pour défendre la vallée de l'Anduin mais il souffre aussi en ces temps. Néanmoins, Beorn est notre allié et sa présence apporte la paix. Les Hommes des Bois se tiendront à ses côtés. ». Ceawyn, dernier des émissaires, prit la parole et compléta « Les hommes de la Porte-du-Soleil sont loin, très loin, et nous ne profitons pas du Vieux Guet mais nous sommes reconnaissant des actes des Béornides. Nous sommes prêts aussi à les aider. ». Lomuld leva la séance et requit l’ouverture des discussions entre les délégations avant de statuer par un vote des émissaires.
Mon raisonnement était simple. Les Nains ne pouvaient fournir une aide militaire mais pouvaient apporter assurément des armes et des armures de bonne faction aux Béornides. Il me fallait trouver l’un de leur représentant pour abonder en ce sens. Par chance, j’aperçus ce bon Boffri. Heureux de nous retrouver depuis notre quête du bâton, nous nous saluâmes respectueusement. J’avançais mes pions mais le nain me mit en suspens. Une affaire le préoccupait et il souhaitait d’abord s’en entretenir avec mes compagnons et moi-même. Ainsi, je mis la main sur Vannedil et Beleg et, après nous être félicités d’être en si belle représentation, nous nous isolâmes avec le nain. Avec un large sourire aux lèvres, Boffri nous dit avoir trouvé les terrassiers nains pour retaper la vielle route naine en moins de dix années. Malheureusement, il n’avait pu obtenir les forces combattantes naines pour assurer la protection des travailleurs. Cependant, un peuple fort avait proposé son aide et, en échange, il sollicitait une place au sein du conseil. Le nain nous adjurait d’appuyer cette demande dont l’acceptation était indispensable à la réfection de sa route. Bien sûr notre appui vaudrait le sien. Il ferait tout son possible pour obtenir le secours des Nains aux Béornides. Vannedil interrogea Boffri sur l’identité de ce peuple demandeur. Mais je n’eus pas nécessité d’entendre sa réponse car j’avais compris qu’il s’agissait là de Morgdred et des siens. A l’énoncé de son nom, Beleg se fâcha. La réaction de Vannedil fut moins tranchée ; il se questionnait sur l’opportunité de diviser ainsi les forces du félon et desserrer, en conséquence, leur étau sur le Tarn Noir. Mon ami accepta donc d’intercéder auprès des siens. Pour ma part, j’avais une autre approche, un autre plan excluant Morgdred. Le support des Nains apporterait un plus avéré aux Béornides, une aide qui permettrait de soulager celle promise par ma communauté. Auquel cas, les Hommes des Bois pourraient alors contrebalancer leurs efforts à protéger les terrassiers nains. Boffri n’était pas opposé à cette démarche si néanmoins je réussissais à convaincre ma délégation. Chacun s’en retourna, le temps était compté.




à suivre...