Unis par les liens du mariage
C'est donc en fin d'après-midi, après une marche sans encombre sur les chemins tranquilles de la campagne anglaise, que trois étonnants individus arrivent en vue de l'étrange sphère rose qui cache toujours le Prieuré aux yeux du monde. Le plus martial des trois, au mépris des lois somptuaires, a le front ceint d'une couronne d'or et porte une faux sur l'épaule. Comme si ça ne suffisait pas, le fût noirci d'une arquebuse dépasse de son dos, et sous son bras luit une inquiétante sphère écarlate. À ses côtés, en retrait, le suit un couple de villageois armés d'une fourche qui semble bien ridicule en comparaison de l'arsenal qu'exhibe leur berger.
Lorsqu'ils arrivent en vue du dome rose, les villageois ont un instant de sidération devant ce spectacle surnaturel, mais leur guide ne semble pas un instant dérangé par l'étrangeté de la scène. William, d'un regard, leur enjoint de continuer sans ralentir sa marche.
Arrivés à proximité de la paroi du dome, il sent la sphère écarlate s'agiter sous son bras comme un pudding en rut… Je sais, il y a bien quelque chose de désarmant dans cette formulation, mais elle évoque ce qu'elle doit évoquer. Quelques secondes plus tard, elle explose en un « plop » discret, envoyant aux quatre vents des morceaux translucides et humides semblables à des quartiers de viande en gelée d'hémoglobine qui roulent grotesquement sur le sol. Le dome, lui, se dissipe comme un brouillard matinal. William, qui voulait essuyer de ses vêtements les éclaboussures rougeâtres laissées par la sphère, constate que sa veste, sa dague et sa rapière fondent comme un sirop, le laissant englué dans ses habits. Sa chemise lui colle la peau comme une limace qui l'aurait avalé. Son pantalon s'imprègne lentement du fluide qu'est devenu sa veste au point qu'il hésite à s'en défaire, agacé par le ruissellement intermittent mais régulier de gouttes farceuses à l'intérieur de ses jambes et d'autres endroits intimes.
Mais le plus important est pour lui la vue qui s'ouvre devant lui. Le Prieuré de la Vierge Marie de Caversdale sedévoile enfin à ses yeux, comme immaculé (en tout cas, plus que William lui-même). Légèrement hébété devant cette apparition à laquelle il s'attendait pourtant, ayant bien compris qu'il y avait un lien entre les petites sphères aperçues par les villageois et le dome central, William avance parmi les bâtiments qui cernent l'église, sise au centre du Prieuré : un hospice, un cloître, une écurie, des bains et une bauge à cochons. Il existait bien d’autres bâtiments, comme les habitations, mais elles ont été entièrement brûlées. Au bout de quelques pas, il se rend compte que Barteleigh et Jocelyn se sont éclipsés sans l'attendre. Enfin… ce ne sont que des paysans. Sa première pensée est de trouver un cheval pour fuir avec sa vie et son butin, mais l'écurie n'abrite aujourd'hui que trois carcasses de chevaux qui se sont entre-déchirés il n'y a pas si longtemps de ça. Si la décomposition n'a pas encore laissé de trace, le spectacle n'en est pas moins macabre et arrache un nouvel hoquet de dégoût à William, qui ne les compte plus depuis ce matin.
Il ressort précipitamment, le corps agité par les protestations de son estomac, et se dirige vers la bauge proche pour en y vider si besoin est le contenu. Heureusement, l'air frais et pur lui permet de se recomposer avant de faire face à son maître, Sir Charles de Fowlsbury. Nus, enchaînés et recouverts de matières fécales, Charles et une jeune femme nommée Gwendolyn, sont clairement à un moment peu glorieux de leur mariage de chair. Leurs corps ont fusionnés par magie. Des plis et des lambeaux de peau les relient à la hanche, deux de leurs jambes sont soudées en un seul membre, et ils n’ont que deux mains pour eux deux, leurs deux autres bras étant fondus au niveau du coude. Pire, leurs deux têtes sont semblablement reliées et partagent dorénavant un même œil, unique et distordu.

À cet instant précis, Gwendolyn utilise son bras libre pour enduire de fumier de porc le visage de Charles, qu’elle a déjà écorché horriblement, lequel ne réagit pas. Apercevant William bouche bée devant ce spectacle, elle le supplie de la libérer parce qu'un nommé Latimer veut la séparer de Charles d’un coup d’épée, et qu’il pourrait bien les tuer tous les deux.
Gwendolyn a écrit : « Ce chevalier blanc, Latimer, il est juste comme ses pairs : un bâtard meurtrier, avec moins d’honneur dans tout le corps que j’en ai dans le trou du cul. Si vous tuez que connard, je vous dirai où est le trésor du prieuré. Mais vous feriez mieux de vous presser, car il a dit qu’il devait réfléchir à l’opportunité de nous séparer avec sa putain de grande épée, et je doute que ça se passe aussi bien qu’il le dit pour la vieille Gwendolyn. S’il m’occit, j’emporterai avec moi l’emplacement du trésor à la Porte d’Ivoire, et vous, vous n’aurez plus que la merde de dessus vos bottes. »
William essaie de comprendre ce qui s'est passé, comment son maître s'est retrouvé dans cette situation. Des explications embrouillées de Gwendolyn, il comprend que Charles venait régulièrement visiter l'aumonière de Gwendolyn, si vous voyez ce que je veux dire. Et puis, la nuit dernière, ils se sont réveillés comme ça. Ce bouvier d'étrons de chevalier les a sortis du lit et les a attachés là, unis qu'ils étaient par la chair et la « conne cul pisse sens », un truc comme ça. Toute tentative de communiquer avec Charles reste lettre morte, le pauvre reste silencieux et évite le regard de William (en effet, comme le scénario nous le précise, il est incapable de parler en raison du vaste appendice qui a poussé à l’intérieur de son corps. À la place de sa langue, de son larynx, œsophage et intestins réunis, un phallus de trois pouces d’épaisseur à la chair rose vif emplit son ventre. Ce nouveau membre peut s’étendre à une distance de 20 pieds, mais c'est un aspect que le Yaourt n'a pas eu l'occasion de découvrir. En tout cas, c'est avec ce genre de détail qu'on juge du soin apporté à la description des PNJ dans une aventure de qualité.).
Ne pouvant se résoudre à abandonner Sir Charles dans cette situation, William détache les deux malheureux à l'aide des outils de maréchal-ferrand trouvés dans l'écurie et les envoie se faire nettoyer et soigner à l'hospice. Avant de partir, Gwendolyn lui parle encore des combles et des trésors qui s'y trouvent, lui enjoint de tuer Orélia, la sorcière responsable de tout cela (ça, j'ai peut-être oublié d'en parler, en vérité).
(à suivre)