Merci les gars
Et voici la deuxième partie :
Les tribulations d’Évhar (2/2)
Évhar le Bâlafré --------------------- Rabel le marchand
Le roi Groll -------------------- Igra, garde du corps
Le Gobelin ne bougeait plus. J’avais retenu mes coups autant que je pouvais - après tout, il était surtout coupable d’avoir sauvé sa peau face à des brutes -, bien qu’il dût avoir quelques côtes cassées. Mais ça serait certainement le cadet de ses soucis d’ici peu.
“Où sont tes complices peau-d’asticot ?” Groll fixait
Rabel, dont les jambes se balançaient dans le vide. L’Humain peinait à respirer, la trachée écrasée entre les énormes doigts d’Igra : il aurait voulu parler qu’il lui aurait été impossible d’y parvenir.
Le roi se tourna vers la Sidhe, mais celle-ci secoua la tête tout en écartant les mains en signe d’impuissance.
“Lâche-le, Igra”. Rabel s’affala sur le sol, se tint la gorge en inspirant bruyamment des goulées d’air salvatrices. Il se redressa à genoux tant bien que mal, essaya de parler, mais la douleur l’en empêcha.
“Que tu le veuilles ou non, tu vas me dire ce que tu sais, et même ce que tu penses ignorer. J’en ai vu peu résister aux pouvoirs de Vyérith, mais je sais que personne dans ce monde ne résiste au dépeçage d’Igra. Tu vas me dire où se trouve chacun des meurtriers de ta bande. Je vais les faire traquer par ma horde, jusqu’à ce qu’ils soient tous ficelés à mes pieds. Et un par un, jour après jour, morceau après morceau, ils vont nourrir Terreur. Il ne sera pas dit qu’on tue impunément un des mes Goblours, et encore moins un de mes fils.”
L’Humain eut beau essayer de dire quelque chose tout en tendant la main en direction du roi, il n’y parvint pas. Groll agrippa sa verge à travers ses vêtements tout en la secouant :
“Igra, commence par son bien le plus précieux. Terreur raffole de ce morceau-là.” L’Humain essaya de se défendre tant bien que mal, mais il ne réussit qu’à faire plaisir au bourreau du roi. D’une main, celui-ci le souleva à nouveau par le cou, et de l’autre commença à arracher les habits du marchand afin de dévoiler ses atours cachés.
C’est à ce moment-là que la porte de la Salle-du-roi s’ouvrit à nouveau. Un des gardes hobgobelins se précipita à l’intérieur et ploya le genou :
“Nous sommes attaqués mon roi. L’ennemi avance salle par salle dans le ferté. Ils se battent en ce moment dans le temple de Lhupo.”
Groll se redressa et me pointa du doigt,
“Occupe-toi de leur tendre une embuscade, le Balafré. Je les veux vivants, tu m’entends ? Ils osent venir me narguer dans mon palais ? Aucun n’en repartira jamais !”
“Et toi, Igra, jette-moi ces deux-là en cage. On s’en occupera plus tard.”
Je quittai la pièce, alors qu’Igra assommait Rabel d’un violent coup de tête en plein visage.
Mais ce n’est pas ça qui me chagrina : comment les sentinelles gobelines avaient-elles laissé pénétrer l’ennemi dans le ferté sans donner l’alerte plus tôt ? Elles avaient beau être incapables d’une discipline digne de ce nom, elles n’en étaient pas moins conscientes de jouer avec ma mauvaise humeur, ainsi qu’avec celle plus définitive du roi Groll.
Je rassemblai mes archers, puis envoyai le plus rapide réveiller ceux de la tour ouest et prévenir au passage Yegg le Cuistot de se tenir prêt avec ses Mâcheurs-de-roc. Enfin, j’ordonnai aux trois autres de se placer en embuscade dans la grande salle en ruine par laquelle les assaillants allaient logiquement passer.
Je me tournai ensuite vers les deux Gobelins. Ils blêmirent au fur et à mesure de la description de leur mission : se tenir prêts à ouvrir la porte au monstre de la tour sud, et l’attirer en courant vers la grande salle. Il faut dire qu’il y avait de quoi vider sa vessie dans ses braies. Six Gobelins avaient péri trois lunes plus tôt pour appâter et parvenir à enfermer l’horreur contre-nature rôdant dans les bois. Cet assemblage aberrant entre une tête de hibou et un corps d’ours - certainement le fruit d’une entité ivrogne - avait attisé l’avidité bornée du roi Groll : quatre autres Gobelins étaient morts vainement en tentant de l'apprivoiser. Cette fois, le monstre allait enfin pouvoir servir à quelque chose.
Tout en déglutissant, les deux Gobelins partirent prendre position.
Vyérith la Sidhe
La Sidhe apparut derrière moi :
“Je peux t’aider, Hobgobelin. Laisse les s’avancer à découvert, et accorde-moi un peu de temps pour fouiller leurs esprits. Je pourrai manipuler les plus faibles pour te venir en aide.” Sa voix sonnait vaguement faux, elle ne me disait pas tout, mais avais-je le choix ? Me l’aliéner aurait suffit pour que je finisse dévoré par Terreur ou égorgé par Igra. Face à l’un d’eux je pouvais m’en sortir, mais pris en tenaille, je n’avais aucune chance.
J’opinai du chef, empruntai arc et carquois, puis grimpai sur une hauteur pour dominer la scène. Depuis ma position, j’avais une vue imprenable sur la grande salle à ciel ouvert dont le plafond effondré gisait plusieurs pieds plus bas. Je pouvais également observer les tours délabrées de part et d’autre, le passage au sud-ouest vers la cuisine des Gobelins, la Porte-du-roi à l’est, et la tour du monstre derrière moi. D’expérience, je savais qu’un bon surplomb était la meilleure des cachettes : rares étaient ceux qui levaient leurs museaux au milieu de la mêlée.
J’aperçus mes archers se placer de façon à pouvoir cribler de flèches tout assaillant émergeant de la porte du temple. Je leur fis signe de se cacher derrière les gravats ou les colonnes effondrées, et d’attendre mon signal. Il fallait que l’ennemi s’avance pour permettre à Vyérith d’agir.
Le soleil finissait de se coucher. Une pluie fine s’abattit sur le ferté. La fraîcheur qu’elle amenait me fit du bien. Je regardai le ciel grisonnant, et fis une courte prière pour mes guerriers et moi. C’est alors qu’un bruit fracassant provint du bout opposé du ferté : le piège de l’entrée principale venait d’être enclenché ! Je me sentis sourire : les Quatre Vents avaient entendu ma supplique ! L’ennemi avait dû tenter de contourner la grande salle en passant par l’ouest. Les énormes blocs de pierre venaient certainement d’en écraser quelques-uns. Maintenant, ils n’avaient plus le choix : ils devaient obligatoirement quitter le temple par l’est et tomber dans la nasse.
Rukhur - mon estafette - revint et se présenta au pied de mon pinacle. Il avait obtenu de Yegg le Cuistot le rassemblement d’une dizaine de Gobelins impatients de déferler sur l’ennemi par le sud. Par contre, les trois Hobgobelins de ma garde étaient morts, égorgés dans leurs paillasses. Je fulminai de rage. Mithar, Agtur, Prittim. Trois valeureux guerriers. Trois frères d’armes comme j’en ai connu peu. Aucun ne méritait cette mort. Pas comme ça, pas de cette façon. Les peaux-de-lait allaient payer pour cela. Ils étaient tous les mêmes : des barbares sans le moindre honneur. Que Groll et ses tortures stupides aillent en enfer, ces couards ne s’en sortiraient pas vivants !
C’est là que je vis la porte du temple s’entrouvrir peu à peu. Je bandai mes muscles et serrai des dents pour reprendre ma contenance. Il me fallait rester calme pour diriger la troupe efficacement. Je lançai un caillou en direction de Vyérith pour attirer son attention, et lui fis signe que l’ennemi allait bientôt entrer dans la salle.
Les uns après les autres, ils passèrent discrètement la porte entrouverte. Tout d’abord s’en vint le
colosse. Bien qu’il dut faire une à deux têtes de plus que moi, il était moins impressionnant que je ne l’imaginais. Sa peau aurait pu sembler couverte de peintures de guerre, mais il n’en était rien : je reconnus en lui un des Fils de la Montagne, une espèce étrange vivant dans les Sinistérias. Ni Venteux, ni Géants, ils étaient tout de même de redoutables adversaires honnissant la faiblesse par dessus tout. J’avais entendu dire que ces sauvages tuaient leur progéniture s’ils la trouvaient trop fragile. En plissant les yeux, je me rendis compte qu’il était armé d’une de mes propres épées longues ! Cette raclure de pillard avait dû se servir dans mon râtelier. Le sang de mes frères ne devait pas encore avoir séché sur les mains de cette ordure ! Je peinais à refréner l’envie de bander mon arc pour lui décocher une flèche noire entre les deux yeux.
Le second à apparaître fut un
archer humain. Il se déplaçait en silence avec une grande aisance, semblant flotter au dessus du sol tel un loup. Contrairement au premier, celui-ci observait avec attention chaque recoin de la salle, levant même la tête dans ma direction. Instinctivement je reculai dans l’ombre, mais ses yeux scrutèrent mon perchoir sans m'apercevoir. Ce devait être lui, le tireur aux traits mortels. Une cible de premier choix, apparemment.
Le troisième fut un
Sang-mêlé, mi-orc, mi-humain à première vue. Contrairement au second, il pénait à marcher à l’aide de son bâton. Sans doute était-il blessé ? N'eût été la situation, j’aurai pensé qu’il était ivre, tant il avait du mal à aligner un pas devant l’autre. Clairement pas un danger, peut-être même le maillon faible de la bande.
Le quatrième était assurément le plus petit.
Encapuchonné, il m’était impossible de savoir à quel peuple il appartenait. Sa morphologie faisait penser à celle des Gobelins, et il restait en retrait derrière les autres. Ses mains ne semblaient pas être attachées. Était-ce un traître comme Gur ? Peut-être était-ce lui qui avait permis à ces barbares de rentrer discrètement dans le ferté ? À moins que ce fût lui, le redoutable Gnome magicien ? Quoi qu’il en soit, qu’il fût guide ou bien sorcier, c’est lui qui devint ma cible prioritaire.
Enfin, vint un cinquième qui ferma aussi bien la marche que la porte derrière lui. Le “
Nain tout de fer vêtu”. L’image était bonne. Trapu, bien bâti, il était armé d’un marteau imposant éclaboussé de sang et, contrairement aux autres, il était tout sauf discret. Une cible à éliminer, mais pas en priorité.
Alors que ses complices prenaient position, le Sang-mêlé cria en pointant du doigt en direction d’un de mes archers. Comment avait-il fait pour le voir, je ne le saurai jamais, mais ce fût cela qui fit tomber à l’eau l’attaque surprise.
Mes trois archers sortirent de leur cachette et tirèrent dans la direction des assaillants. Le colosse chargea dans la direction de l’un d’entre eux, gravissant le tas de pierres en quelques enjambées. Une, puis deux flèches noires l’atteignirent, mais il parvint à décapiter d’un coup d’épée sa victime.
Je lançai une pierre en direction de Yegg tout en lui faisant signe de charger. Ses Gobelins sortirent de leur cachette tout en braillant une tripotée d’insultes et chargèrent l’ennemi la rage au ventre.
Mâcheurs de Roc
C’est à partir de là que tout s’emmêla.
Je vis le petit encapuchonné tendre les mains dans la direction des mâcheurs de roc. J’encochai une flèche et la tirai dans sa direction, mais elle se planta dans le bouclier du Nain.
Un rugissement furieux attira mon attention : un énorme ours surgi de je ne sais où traversa la salle à une vitesse folle, se jeta sur un de mes archers et le déchiqueta à coups de griffes.
Plus loin, le colosse fut transpercé d’une flèche noire et tomba enfin parmi les gravats.
Plusieurs Gobelins furent abattus par des traits assassins, d’autres glissèrent et chutèrent au sol comme par magie. Une mêlée furieuse s’était formée, les Gobelins - Yegg et son hachoir en tête - tentant bravement de faire tomber l’archer Humain et le Nain de fer.
Je me penchai pour voir ce que pouvait bien faire la Sidhe : elle se tenait debout, yeux fermés, poings serrés. Je pestai contre elle, et me préparai à tirer depuis mon perchoir au risque de relever ma position.
L’ours chargeait dans la direction d’un archer hobgobelin qui lui tirait dessus aussi vite qu’il le pouvait. Je bandai mon arc et tirai au jugé. La flèche traversa la salle, se planta profondément dans le dos de l’animal, mais ne le ralentit même pas. D’un coup de gueule il arracha le visage de mon archer, et d’un coup de patte il le fit voler à plusieurs pas de là. Puis, l’ours rétrécit à vue d’oeil, se transformant en Sang-mêlé qu’il était en réalité. Il se précipita sur le colosse pour tenter de le sauver. Même si j’espérais que Mithar, Agtur, et Prittim puissent voir la scène depuis les steppes éternelles et trouver en partie la paix grâce à cette vengeance, rien de tel que des blessés pour ralentir l’ennemi.
Il était temps d’ouvrir la porte des enfers. Je descendis de mon pinacle, et donnai l’ordre à Rukhur de courir demander au roi de se joindre à la curée. Puis je fis signe aux deux Gobelins au bout du large couloir de lâcher le monstre, avant de remonter sur ma hauteur.
Le colosse s’était remis debout comme si de rien n’était. Ce n’était pas normal. Il attrapa un arc hobgobelin et tira en direction de la mêlée. La flèche noire se planta dans le dos de leur petit sorcier. Cela ne sembla guère affecter le colosse qui recommença à tirer en direction des siens. Vyérith était enfin utile à quelque chose ! Je me penchai pour lui faire signe, mais cette lâche avait dû fuir le combat.
Du côté des Gobelins, Yegg venait de tomber et les rares braves qui se battaient encore peinaient à résister aux barbares. À mon grand désarroi, ils finirent par battre en retraite.
Mais que faisaient donc les autres avec l’hibours ? Je descendis à nouveau de mon perchoir mais, arrivé en bas, je vis au bout du couloir l’énorme porte et sa bâcle en fer toujours à sa place. Ces deux poltrons avaient préféré le déshonneur de la fuite.
Ne voyant pas mon estafette revenir, je me précipitai vers la Salle-du-roi pour demander à Groll et ses acolytes de se battre à mes côtés. Mais je trouvai la pièce vide, le trône déplacé, laissant un trou béant par où ils avaient dû s’enfuir. Un gémissement attira mon attention : Rukhur gisait contre un mur dans une mare de sang, maintenant en place ses boyaux comme il le pouvait. Manifestement, Terreur lui avait arraché le ventre, déchirant l’armure aussi aisément que la chair.
Terreur
Je me précipitai, et le pris dans mes bras, ne pouvant rien faire d’autre. Avant de mourir, il me rapporta que les Goblours s’enfuyaient en emportant le trésor des Mâcherocs quand il était venu les chercher. La Sidhe leur demanda d’emporter également le Nain. Groll ordonna à Igra de s’en charger, et à Terreur de tuer l’estafette, ainsi que Gur et l’Humain, toujours évanouis.
Les Goblours et la Sidhe disparurent par le souterrain avec leur butin. Terreur se tourna vers Rukhur qui se battit comme il put avant d’être éventré. Puis, le monstre se dirigea vers la cage grande ouverte. La suite semble être le fruit des hallucinations d’un blessé : le chiot minuscule aurait alors surgi, s’interposant et aboyant de tout son soûl. Le loup géant aurait ensuite hésité, reculé, puis se serait dirigé vers le souterrain, non sans lâcher un grognement à fendre la pierre en direction de la boule de poils.
Rukhur mourut ainsi dans mes bras.
Gur et Rabel étaient toujours inconscients dans leur cage, gardés par le chiot qui tira sa langue et agita sa queue en me voyant.
Je rabattis la bâcle de la porte de la Salle-du-roi, et me dirigeai vers l’entrée du souterrain. Les barbares pouvaient bien attendre ma vengeance. Sur l’heure, je devais rattraper Groll et Igra. Et ne plus fermer l’oeil tant qu'ils n'auraient pas payé le prix de leur trahison...

(...)