Publié : ven. août 14, 2009 11:44 pm
Depuis dix jours, la pluie tombe, incessante, sur l’Archibald. Une pluie épaisse et tiède, drue et poisseuse, déprimante à souhait. La visibilité est trsè restreinte, par moments presque nulle, mais le vent reste bien orienté, et cela suffit au bien-être du capitaine Gonzague. Son équipage, par contre…
Le jeune Eric s’est fait la fouine officieuse d’Henri l’Oeil Bleu. Pierre l’Ange l’observe parfois à la dérobée, et force est de constater qu’il n’est pas très discret. Il n’est pas non plus très efficace, et quelques discrètes questions de son commanditaire lui permettent rapidement de constater qu’il a fait chou blanc. Néanmoins, soucieux de prouver son innocence Eric continue ses investigations.
Cela fait maintenant cinq jours que le Charpentier a été assassiné. L’ambiance à bord est redevenue presque normale, d’autant que le capitaine ne semble pas se soucier outre mesure de l’événement, seul l’avancement du navire lui importe. Il fait nuit, et Pierre l’Ange dort dans son hamac, bercé par les battements réguliers de la pluie.
Soudain, il est réveillé par un son. Un cri peut-être ? Ou alors un craquement sec ? Voire les deux… Il décide de se lever et de jeter un œil autour de lui. Après-tout, il dort parmi les membres de l’équipage, là où, suppose-t’on, dort également l’assassin… Il se dirige vers la coursive principale et heurte, dans le noir, quelqu’un qui se tient dans l’embrasure de la porte, mais ne semble ni vouloir bouger, ni vouloir parler…
Finalement, Pierre trouve une lanterne et parvient à l’allumer. Là, dans l’encadrement de la coursive, il aperçoit le corps du jeune Eric ballotant au gré des vagues, son cou solidement attaché à une corde accrochée au plafond. Sa nuque fait un angle impossible avec le reste de son buste. Parmi les quelques hommes réveillés par la lumière, quelqu’un pousse un cri de surprise. Pierre fait signe à l’un d’entre eux d’aller chercher le capitaine.
D’une geste rapide et assuré, Pierre sort le scalpel qu’il a toujours sur lui depuis la mort du charpentier et coupe la corde. Il soutient le corps, desserre le nœud coulant, et tâte la gorge du jeune homme pour trouver un pouls… En vain. Une rapide observation permet au chirurgien de constater qu’Eric n’est pas mort d’étouffement mais de s’être brisé la nuque.
Au milieu de la nuit, Gonzague réunit ses partenaires ainsi que le chirurgien pour évaluer la situation. Le jeune Eric s’est-il suicidé de remords ou a-t’il été suicidé par le meurtrier du charpentier parce qu’il avait mis le doigt sur un indice crucial ? Impossible de le savoir. Tout juste Pierre l’Ange signale-t’il à ses interlocuteurs que la mort par pendaison à faible hauteur, comme s’était le cas dans la coursive, se traduit généralement par un étouffement. Il faut une chute importante pour que la nuque se brise. L’homme aurait pu être aidé, mais rien ne le prouve…
Gonzague connaît bien les croyances des marins, même si pour l’essentiel il ne les partage pas. Il sait qu’un suicide à bord - surtout par pendaison – est de mauvaise augure. Cette fois-ci, pas de cérémonie ni de discours, le corps du jeune Eric est jeté à la mer sans plus de compassion, comme pour oublier.
Mais cette nouvelle mort, la pluie incessante et surtout le fait que cela fait bientôt trois mois que l’Archibald a quitté Concorde contribuent à alourdir l’atmosphère à bord du Navire. Gonzague, obnubilé par son objectif, en a un peu perdu de vue l’équipage et cela commence à se faire sentir.
Un jour, au détour d’un mat, Martin apercoit trois marins en conciliabulles. En bon homme d’armes, il s’approche avec la plus grande discrétion pour écouter leur conversation, pourtant bien couverte par le bruit incessant de la pluie :
- « Le capitaine a perdu la tête. Son continent n’existe pas ! Il avait dit six semaines de traversée ! »
- « Et maintenant, un pendu, et cette maudite pluie ! Il faut qu’on rentre à Concorde ! »
- « Oui, mais comment ? »
Martin sort alors de sa cachette. Les trois hommes sursautent.
- « Oui, comment. Je me le demande bien. Comme je me demande comment le capitaine réagirait si c’était lui qui vous avait entendu plutôt que moi… »
- « On ne faisait rien de mal ! »
- « Rien de bien non plus. Ce genre de discussions finit en tentatives de mutinerie, et croyez moi, j’en ai maté de plus coriaces que vous. Alors si vous voulez vous frotter à mes lames, pas besoin de me prévenir à l’avance. Par contre, je me ferais un plaisir de ramener un petit souvenir à vos veuves et orphelins. Un doigt ou une oreille, ça devrait faire son effet. Maintenant, cassez-vous et retournez à votre boulot avant que je ne me fache vraiment ! »
Peu après, un conciliabule réunit les quatre dirigeants de l’expédition. L’heure est grave et la situation se dégrade. Gonzague a enfin pris conscience du péril lié à la desaffection de l’équipage, mais il reste confiant sur ses capacités à juguler les esprits rebelles par la verve d’un bon discours. Il passe plusieurs heures ce soir là à peaufiner ses arguments et trouver quelques formules choc qui feront mouche et resserreront l’équipage autour de lui.
Le lendemain matin, Martin et Jehan tirent tant bien que mal des toiles bâchées sur le pont pour créer un espace au sec afin que Gonzague puisse s’adresser à l’équipage. Le perfectionnisme de Jehan rend la tâche ingrate et quelque peu irritante pour Maritn, mais finalement la chose est faite. L’équipage, à l’exception de la vigie et du pilote, sont convoqués sur le pont, où ils se présentent au grand complet. L’hostilité est visible sur les visage, et Gonzague mesure peut-être enfin l’ampleur de sa tâche.
- « Le découragement est le propre de toutes les aventures humaines. Le Grand Exode des différents courants du Mémmonisme qui ont originellement formé notre grande cité de Concorde en sont le parfait exemple. Nous connaissons tous les histoires de Come, le Premier Mestre et de la traversée de la Passe de la Lune. A tout instant, les hommes et femmes dont il avait la charge lui demandaient d’arrêter et de laisser le froid les prendre. D’autres voulaient s’en retourner, préférant affronter l’Inquisition Mémmonite… Mais Come a su convaincre ses hommes de sa vision, il a su leur faire comprendre que l’adversité et le temps qui passe ne signifient pas que la vision s’éloigne mais au contraire qu’elle se rapproche.
-
Lorsque nous avons quitté Concorde, vous ne saviez pas quelle était la véritable destination de notre expédition, vous saviez juste que celui-ci serait long. Je ne vous ai pas menti, il l’est. Mais nous sommes prêts du but. Nos cartes indiquent que la traversée durera tout au plus trois mois, et nous avons deux mois et demi de mer derrière nous. Bientôt, nous entendrons la vigie crier… »
A cet instant, comme si c’était préparé, du haut du mat on entend un hurlement :
- « Terre à Babord ! »
L’équipage est paralisé par l’étonnement, Gonzague le premier. Puis, quelques instants plus tard, un nouveau cri de la vigie retentit :
- « Terre à Babord A DEUX-CENT PAS ! »
***
Le jeune Eric s’est fait la fouine officieuse d’Henri l’Oeil Bleu. Pierre l’Ange l’observe parfois à la dérobée, et force est de constater qu’il n’est pas très discret. Il n’est pas non plus très efficace, et quelques discrètes questions de son commanditaire lui permettent rapidement de constater qu’il a fait chou blanc. Néanmoins, soucieux de prouver son innocence Eric continue ses investigations.
Cela fait maintenant cinq jours que le Charpentier a été assassiné. L’ambiance à bord est redevenue presque normale, d’autant que le capitaine ne semble pas se soucier outre mesure de l’événement, seul l’avancement du navire lui importe. Il fait nuit, et Pierre l’Ange dort dans son hamac, bercé par les battements réguliers de la pluie.
Soudain, il est réveillé par un son. Un cri peut-être ? Ou alors un craquement sec ? Voire les deux… Il décide de se lever et de jeter un œil autour de lui. Après-tout, il dort parmi les membres de l’équipage, là où, suppose-t’on, dort également l’assassin… Il se dirige vers la coursive principale et heurte, dans le noir, quelqu’un qui se tient dans l’embrasure de la porte, mais ne semble ni vouloir bouger, ni vouloir parler…
Finalement, Pierre trouve une lanterne et parvient à l’allumer. Là, dans l’encadrement de la coursive, il aperçoit le corps du jeune Eric ballotant au gré des vagues, son cou solidement attaché à une corde accrochée au plafond. Sa nuque fait un angle impossible avec le reste de son buste. Parmi les quelques hommes réveillés par la lumière, quelqu’un pousse un cri de surprise. Pierre fait signe à l’un d’entre eux d’aller chercher le capitaine.
D’une geste rapide et assuré, Pierre sort le scalpel qu’il a toujours sur lui depuis la mort du charpentier et coupe la corde. Il soutient le corps, desserre le nœud coulant, et tâte la gorge du jeune homme pour trouver un pouls… En vain. Une rapide observation permet au chirurgien de constater qu’Eric n’est pas mort d’étouffement mais de s’être brisé la nuque.
Au milieu de la nuit, Gonzague réunit ses partenaires ainsi que le chirurgien pour évaluer la situation. Le jeune Eric s’est-il suicidé de remords ou a-t’il été suicidé par le meurtrier du charpentier parce qu’il avait mis le doigt sur un indice crucial ? Impossible de le savoir. Tout juste Pierre l’Ange signale-t’il à ses interlocuteurs que la mort par pendaison à faible hauteur, comme s’était le cas dans la coursive, se traduit généralement par un étouffement. Il faut une chute importante pour que la nuque se brise. L’homme aurait pu être aidé, mais rien ne le prouve…
Gonzague connaît bien les croyances des marins, même si pour l’essentiel il ne les partage pas. Il sait qu’un suicide à bord - surtout par pendaison – est de mauvaise augure. Cette fois-ci, pas de cérémonie ni de discours, le corps du jeune Eric est jeté à la mer sans plus de compassion, comme pour oublier.
Mais cette nouvelle mort, la pluie incessante et surtout le fait que cela fait bientôt trois mois que l’Archibald a quitté Concorde contribuent à alourdir l’atmosphère à bord du Navire. Gonzague, obnubilé par son objectif, en a un peu perdu de vue l’équipage et cela commence à se faire sentir.
Un jour, au détour d’un mat, Martin apercoit trois marins en conciliabulles. En bon homme d’armes, il s’approche avec la plus grande discrétion pour écouter leur conversation, pourtant bien couverte par le bruit incessant de la pluie :
- « Le capitaine a perdu la tête. Son continent n’existe pas ! Il avait dit six semaines de traversée ! »
- « Et maintenant, un pendu, et cette maudite pluie ! Il faut qu’on rentre à Concorde ! »
- « Oui, mais comment ? »
Martin sort alors de sa cachette. Les trois hommes sursautent.
- « Oui, comment. Je me le demande bien. Comme je me demande comment le capitaine réagirait si c’était lui qui vous avait entendu plutôt que moi… »
- « On ne faisait rien de mal ! »
- « Rien de bien non plus. Ce genre de discussions finit en tentatives de mutinerie, et croyez moi, j’en ai maté de plus coriaces que vous. Alors si vous voulez vous frotter à mes lames, pas besoin de me prévenir à l’avance. Par contre, je me ferais un plaisir de ramener un petit souvenir à vos veuves et orphelins. Un doigt ou une oreille, ça devrait faire son effet. Maintenant, cassez-vous et retournez à votre boulot avant que je ne me fache vraiment ! »
Peu après, un conciliabule réunit les quatre dirigeants de l’expédition. L’heure est grave et la situation se dégrade. Gonzague a enfin pris conscience du péril lié à la desaffection de l’équipage, mais il reste confiant sur ses capacités à juguler les esprits rebelles par la verve d’un bon discours. Il passe plusieurs heures ce soir là à peaufiner ses arguments et trouver quelques formules choc qui feront mouche et resserreront l’équipage autour de lui.
Le lendemain matin, Martin et Jehan tirent tant bien que mal des toiles bâchées sur le pont pour créer un espace au sec afin que Gonzague puisse s’adresser à l’équipage. Le perfectionnisme de Jehan rend la tâche ingrate et quelque peu irritante pour Maritn, mais finalement la chose est faite. L’équipage, à l’exception de la vigie et du pilote, sont convoqués sur le pont, où ils se présentent au grand complet. L’hostilité est visible sur les visage, et Gonzague mesure peut-être enfin l’ampleur de sa tâche.
- « Le découragement est le propre de toutes les aventures humaines. Le Grand Exode des différents courants du Mémmonisme qui ont originellement formé notre grande cité de Concorde en sont le parfait exemple. Nous connaissons tous les histoires de Come, le Premier Mestre et de la traversée de la Passe de la Lune. A tout instant, les hommes et femmes dont il avait la charge lui demandaient d’arrêter et de laisser le froid les prendre. D’autres voulaient s’en retourner, préférant affronter l’Inquisition Mémmonite… Mais Come a su convaincre ses hommes de sa vision, il a su leur faire comprendre que l’adversité et le temps qui passe ne signifient pas que la vision s’éloigne mais au contraire qu’elle se rapproche.
-
Lorsque nous avons quitté Concorde, vous ne saviez pas quelle était la véritable destination de notre expédition, vous saviez juste que celui-ci serait long. Je ne vous ai pas menti, il l’est. Mais nous sommes prêts du but. Nos cartes indiquent que la traversée durera tout au plus trois mois, et nous avons deux mois et demi de mer derrière nous. Bientôt, nous entendrons la vigie crier… »
A cet instant, comme si c’était préparé, du haut du mat on entend un hurlement :
- « Terre à Babord ! »
L’équipage est paralisé par l’étonnement, Gonzague le premier. Puis, quelques instants plus tard, un nouveau cri de la vigie retentit :
- « Terre à Babord A DEUX-CENT PAS ! »
***