Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages
Publié : mar. nov. 24, 2020 3:51 pm
Le bois des pontons grinçait sous mes bottes. Emmitouflé dans mon épais manteau, j'allais d'un bon pas au milieu de la nuit, seul. Tout autour, l'eau du lac dormait d'une torpeur profonde sous un ciel étoilé dont quelques nuages fugaces masquaient le brillant. Seul le craquement sourd des amarres de quelques barques chahuteuses troublait le silence de la ville endormie. Je venais de quitter mes amis, chacun s'en retournant auprès des siens pour les informer de notre prise. Nous avions partagé les flèches noires comme preuve indéniable de la gravité de nos derniers événements nocturnes vécus. Chacune avait été soigneusement enroulée dans une étoffe de cuir pour nous protéger de son contact mais aussi la cacher à la vue de quiconque. A cette pensée, j'empoignais fermement la mienne dans ma main gauche lorsque le croassement d'un corbeau noir perça le calme nocturne. Je levais les yeux et aperçus l'oiseau tournoyer haut au-dessus de ma tête pour disparaître vers le sud. Devais-je voir là un pressentiment de mauvais augure ? Un tel oiseau était rare en ces lieux et je ne pus réprimer un frisson d'inquiétude. Décidément, cette nuit était interminable.
Après moultes tergiversations, nous avions amené notre prisonnier dans un entrepôt familial de Vannedil qui se situait avantageusement non loin du quartier des embarcadères. Je m'étais finalement rangé à ce choix car j'eus préféré, pour ma part, ramener notre homme des bois aux siens. Un léger brouillard avait envahi la cité lorsque nous atteignîmes le hangar dont la structure était constituée de larges planches en bois. Il était gardé par trois hommes à la solde familiale postés devant une haute porte à battant. Mon compagnon Vannedil les aborda et les convainquit rapidement de nous laisser convertir ce lieu en une geôle de fortune. Ainsi, au milieu des caisses, tonneaux et autres sacs épars, nous avions solidement ligoté à un poteau de soutènement notre aliéné resté pour le moment évanoui. Sur ce, nous nous étions séparés, abandonnant l'inconscient à sa prison de bois.
Je toquais à la porte. Plusieurs fois. Le martèlement se répercuta à l'infini dans le long couloir de l'auberge desservant les chambres endormies. Après quelques minutes de patience, le loquet s'ouvrit et la porte me laissa entrevoir, par son interstice, le visage ensommeillé et interrogatif de Gailar. Sans mot, je dévoilais précautionneusement l'empennage de ma flèche noire et lui exposer devant ses yeux encore embrumés. Puis je prononçais avec réticence : « Une flèche noire d'Angmar, forgée dans le seul but de détruire la lumière » et lui avouais sa provenance. J'avais trouvé celle-ci en possession d'un homme des bois aliéné cuvant son malheur dans les bas-quartiers de la ville. Cet homme avait disparu depuis bien des mois dans les ombres de la grande forêt, cet homme était Humald le chasseur. Je lui confiais ma surprise de le voir reparaître ainsi en possession de trois flèches noires comme celle-ci. Ici, cette nuit, curieusement dans la cité lacustre et étonnement lors du Conseil du Nord. Après quelques secondes, remis de sa stupéfaction et face à la gravité de mes dires, le conseiller me demanda de réveiller d'autres membres de notre communauté afin que nous statuions sur la marche à suivre. Gailar souhaitait agir avec célérité et rapatrier ici même le prisonnier. A ses yeux et en l'état, l'homme n'était pas un criminel. Peut-être avait-il trouvé ces flèches dans un tumulus caché dans les profondeurs des bois. Il avait certainement souffert de ses errances, aussi bien physiquement que psychologiquement. Dans la nuit, nous partîmes donc le chercher en petit nombre sans en avertir mes deux camarades.
A notre retour, Beleg patientait devant les portes de notre auberge. Ses longs cheveux blancs cascadés sur ses fines épaules. A l'approche de notre petite troupe, il nous fixa longuement. La nuit était déjà bien avancée et pourtant son visage ne trahissait aucune fatigue. En quelques mots, je lui résumais la situation : Humald serait gardé par les nôtres selon la volonté du conseiller Gailar. Nous avions pu extirper le chasseur de l'entrepôt où il était resté ligoté. J'avais suffisamment intimidé les gardes pour y arriver sans trop d'opposition. Ainsi Humald, toujours inconscient, fut allongé sur la couche d'une chambre inoccupée. D'un pas lent et assuré, mon ami elfe approcha alors de Gailar et, fidèle à sagesse, le mit en garde. Jamais auparavant il n'avait ressenti une telle noirceur chez un homme et cela lui procurait une peur terrible. Gailar se tut d'abord, toisa l'elfe puis porta son regard sur les contusions qui meurtrissaient le visage et le corps d'Humald; Puis, froidement, il exprima sa simple intention d'apaiser les douleurs de cet homme brutalisé par l'application d'onguents et la prise de breuvages curatifs. Je songeais que je l'avais molesté très durement mais je n'en dis mot. Il n'était ni le lieu ni le moment de me repentir. Chacun se sépara sur cet échange glacial. Et avant de rejoindre ma couche, dans un dernier effort, je partis informer Vannedil de ces derniers rebondissements.
Au matin, Humald dormait d'un sommeil profond, abreuvé de décoctions le laissant dans cette léthargie réparatrice. Par ailleurs, Gailar lui avait aussi pansé son nez brisé et pommadé ses tuméfactions. Deux de nos hommes montaient une garde attentive à son chevet ou devant la porte de sa chambre. Parmi les miens, chacun se tut sur les évidentes conséquences de cette longue nuit qui, forcément, résulteraient de tensions entre les communautés mais, dans l'esprit du conseiller, il eut été inconcevable de remettre le chasseur à qui que ce soit d'autre et surtout à la milice de la cité. C'est ainsi, dans un profond et pesant silence, que nous rejoignîmes la salle du conseil en cette morne et brumeuse matinée. Une dernière journée d'âpres négociations nous attendait.
Les pâles rayons matinaux illuminaient faiblement la salle du conseil et pourtant, l'intervenant resplendissait au centre des conseillers. Celui-ci était un homme basané d'âge mûr aux longs cheveux noirs. Un manteau de voyage, qu'il tenait ouvert, habillait ses épaules. A sa ceinture de cuir, une grosse clé en métal brillait des rares rayons solaires qui s'y reflétaient. De ses yeux sombres, il toisa chacun des conseillers et, avec un ton hautain, il se présenta : « Je suis Drustan et porte à vos oreilles un message d'espoir, celui du sage Sarouman le Blanc. Mon maître vous annonce qu'il sera très bientôt parmi vous et ce pour les trois prochaines années. Il vient enquêter personnellement sur les événements actuels qui secouent la région du Rhovanion et résidera chez son ami Radagast le Brun à Rhosgobel. Chacun pourra venir le consulter pour obtenir réponses à ses questions. ». L'homme se tut puis, dans un prompt mouvement majestueux, il fit demi-tour et quitta la salle d'un pas pressé. Le roi Dáin rompit ironiquement le silence établi : « Nous voulions des nouvelles des magiciens et nous en aurons donc. Notre vœu est exhaussé. ». Barde ajouta alors : « La venue de Sarouman est indéniablement un avantage pour nous tous mais aussi pour notre Conseil des affidés. ». La matinée se conclut sur cette dernière intervention. Puis, au début de l'après-midi et après un déjeuner calme, le conseil se réunit une dernière fois pour écouter un nouvel intervenant. Celui-ci ne m’était pas inconnu. Vêtu tel un guerrier, il entra avec assurance et descendit les quelques marches qui le séparait du cercle des conseillers. Là, il scruta l'assemblée et je me surpris à voir un grand nombre d'entre nous baisser le regard. Puis sa voix grave tonna : « Mes seigneurs, une route traverse la Forêt Noire, une route abandonnée mais qui n'en est pas moins une véritable voie forestière. Avec mes hommes et le nain Boffri, ici présent, nous l'avons parcourue et une grande partie de celle-ci est pratiquement intacte. Il y a longtemps, cette route bordée de fortins offrait une traversée sans encombre des sombres bois. Celle-ci est perdue à ce jour mais nous pouvons la reconquérir. Dans ce but, Boffri a demandé le soutien de ceux de la Colline au Tyran qui luttent encore et toujours contre les méfaits de l'Ombre. Nous sommes prêts pour cette longue et périlleuse mission mais il nous faut vos soutien et appui mais aussi des finances. Le route ne pourra être reconstruite sans. Seigneurs, soutenez notre effort et moi, Morgdred, vous promet que les peuples libres pourront à nouveau traverser sans crainte la grande Forêt. ». Sur ces derniers mots, Morgdred quitta la salle et laissa place aux discussions.
Je connaissais l'opinion de mon ami elfe. Ce dernier doutait que Morgdred puisse travailler pour le bien de tous sans compensation. Et celle financière lui semblait peu concrète. Nous entendions cet argument avec Vannedil mais, tous deux, nous pensions préférable de voir ce vil personnage s'atteler à cette tâche plutôt qu'au harcèlement des Hommes des bois en lisière de la Forêt Noire. Nous espérions même que l'homme y épuisa ses troupes. Sous l'empressement de Beleg, nous partîmes avec Vannedil interroger Boffri. Le nain répliqua à nos suppliques une ritournelle qui ne nous satisfaisait pas : Morgdred et ses hommes seraient payés pour leur travail comme tout un chacun participant à la reconstruction de la route. Le soutien financier des peuples libres était ainsi capital aux yeux du nain. Mais, à l'évidence, le nain n'était guère loquace, il jouait de cachoterie. Je lui rappelais nos aventures pour récupérer le « Bâton » de ces ancêtres, de la confiance qui nous unissait. Devais-je croire celle-ci évanouie ? Boffri tergiversa mais nous confia l'existence d'un accord préférentiel entre son peuple et celui de Morgdred. En contrepartie de son aide, les nains fourniraient à Morgdred armes et métaux de qualité et en quantité suffisante pour ses troupes. Rien de plus normal pour le nain pour qui souhaitait défendre au mieux la construction de sa route.
Je rapportais ces propos à Gailar et lui rappelais aussi les harcèlements incessants sur le Tarn Noir, une communauté des Hommes des bois. Je lui donnais aussi mon sentiment, pensant qu'un Morgdred, occupé à défendre la route, serait sûrement moins belliqueux à nos frontières. Les négociations prirent du temps puis aboutirent à un oui généralisé, seul Beorn s'abstint. A cette annonce, Morgdred lança un regard empli de morgue à Ceawyn. Je doutais en cet instant de mes supputations optimistes.
Le conseil tira sa révérence sur ce dernier vote. C'est à cet instant qu'un homme des bois accapara Gailar pour l'informer d'une importante contrariété : en début d'après-midi, des hommes surgirent par la fenêtre de la chambre d'Humald et l'emportèrent par les toits. Bien que l'un d'eux fut abattu par l'un des surveillants du chasseur, celui-ci s'était échappé. Malheureusement, la traque qui suivit échoua. Un homme crut néanmoins voir dans les cieux gris un corbeau noir voleter avec les fuyards. Gailar sembla lourdement affecté par cette triste nouvelle et partit rejoindre notre auberge sans délai. Encore cet oiseau de malheur songeais-je. Une bien trop curieuse coïncidence. Lorsque nous avions convoyé le heaume doré à la Porte-du-Soleil, nous avions affronté une femme - dénommée Valdis - avec un tel oiseau. Celle-ci était-elle réapparue ? Alors que j'étais perdu dans mes pensées, Beleg vint me demander ma flèche noire. Il voulait les remettre aux siens pour plus de sécurité. J'acquiesçais et suivis les miens qui s'apprêtaient pour la grande parade finale.
Les délégations sortirent une par une de l'hôtel de ville d'Esgaroth. Sur la place, une foule dense de badauds s'était amassée. Des vivats s'élevaient et des applaudissements claquaient. Ma délégation précéda celle des gens de la ville de Dale. Le roi et sa dame eurent un accueil festif et chaleureux, la foule se pressa au bas des marches du perron de l'hôtel de ville, faisant plier sous sa poussée le cordon des gardes de la cité qui eut grand peine à la contenir. Puis tout s'accéléra et le chaos survint. Tirée des cieux, une flèche voltigea et se figea avec violence dans l'épaule du roi. Celui-ci expulsa un cri de douleur avant de mettre un genou à terre. Puis les deux traits suivants meurtrirent sa dame. Par amour, la belle s'était interposée entre son aimé et le tireur. Sa robe blanche immaculée se tâcha d'une rougeur vive. Je jouais des coudes pour avancer vers le couple royal au milieu des cris et des hurlements jusqu'à percevoir les deux flèches plantées dans le dos de la reine. Dans la confusion ma vision fut succincte mais je compris l'issue des blessures royales. Un garde bardide cria alors et banda son arc vers les toits opposés à la scène tragique. Je dressais la tête et vus son trait fuser et s'enfoncer dans l'épaule d'un fuyard bondissant sur les toits des bâtisses de la cité lacustre. L'allure de ce dernier, comme son accoutrement, ne me fit aucun doute : nous avions échoué. Lamentablement. L'aliéné avait frappé mortellement. Plus tard, son corps fut retrouvé flottant sur les eaux de lac, une flèche plantée dans son dos. Mais à quoi bon, l'Ombre gagnait.
Fin des sessions 24 à 30
Phase de communauté