Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages
Publié : sam. janv. 16, 2021 2:30 pm
Le parlement sinistre
Sessions 36 à 39
Flop ! Ma botte éclaboussa la langue d’eau boueuse lorsque je pris appui sur la rive noyée. D’un saut leste, depuis sa proue, j’avais quitté l’embarcation du mage brun avant qu’elle ne s’échoua entièrement sur la grève dans un long crissement pierreux. Depuis Rhosgobel, nous avions cheminé plein est pour atteindre, avec célérité, la rive occidentale de la rivière noire. Nous venions de la traverser en empruntant une nouvelle fois l’étrange barque de l’istar pour atteindre la rive opposée située à quelques encablures. J’avançais de quelques pas et, immédiatement, les bois m’engloutirent de leurs noirceurs. Je frémis et ne pus refreiner un soupir de désespoir. Douze jours. Douze longs jours pour atteindre le cœur de cette maudite forêt. Une mélancolie enserra mon âme lorsque, au-dessus de ma tête, le pâle soleil disparut derrière la frondaison oppressante des innombrables arbres enchevêtrés.
Pas après pas, louvoyant entre hautes racines et basses branches, nous progressâmes à grande enjambés. Notre allure était anormalement véloce et la magie de Radagast y était assurément pour beaucoup. Depuis nos premiers pas dans la forêt, le vieil homme ne cessait de marmonner des imprécations inaudibles dans sa barbe. Nous avançâmes derrière lui, prêtant une grande attention à chacun de nos mouvements. Indéniablement, la forêt se refusait à notre présence et elle nous opposait multiples embûches et pièges. Une odeur de putréfaction prégnante emplissait nos poumons à chacune de nos respirations. Pire, et comme mes compagnons, plus d’une fois je me cognais violement la tête sur une branche noueuse assassine ou m’embrochais les pieds sur une sournoise racine. Ma vigilance et mon attention étaient de tous les instants. J’étais fourbu lorsqu’arrivaient nos haltes nocturnes. Le troisième ou quatrième jour de notre marche, Vannedil faillit s’étouffer. Par inattention, il se frotta à une vielle souche désincarnée et écrasa quelques champignons. Ceux-ci libérèrent leurs pores et leurs exhalations nocives s’insinuèrent dans son nez et sa bouche. Une violente quinte de toux le submergea. Avec Beleg, nous eûmes toutes les peines du monde à contenir ses soubresauts et, afin de le soulager, lui faire avaler un peu d’eau de l’une de nos outres. La forêt nous rejetait, notre présence l’indisposait. L’air était suffocant et nos corps étaient éreintés et tiraillés par la fatigue. Peu à peu, au fil des jours, une angoisse palpable s’empara de nous et chacun de nos pas fut plus éprouvant que le précédent. Je vis mes deux amis dépérir et leur visage s’obscurcir. Les nuits n’étaient que peurs et craintes, le sommeil nous fuyait. Les matins blafards n’apportaient aucune joie et nos collations s’avérèrent bien vite frugales et insipides. Même mâcher un peu d’herbe à pipe ne m’apporta aucun réconfort. Les mots se firent rares, chacun se taisait. Le mage était inaccessible, tout préoccupé qu’il était par ses imprécations incessantes. A chaque levé, il se redressait et nous incitait à avancer. Nous le suivîmes mais sans hâte ni engouement.
Malgré tout, nous poursuivîmes et nous nous enfonçâmes dans les profondeurs des bois. L’obscurité grandissait et jour et nuit se confondirent. L’une d’elle fut une nuit de cauchemar. Sa veille, nous avions aperçu les premières toiles d’araignées. Eparses et rares, elles s’agrippaient à quelques branchages. Dans mon sommeil, je fus réveillé en sursaut par Vannedil. Un horrible arachnide, au corps translucide et d’une taille imposante, me menaçait de son dard. Me surplombant, elle s’était approchée depuis le faîte d’un chêne rabougri. Je me levais précipitamment, criant pour alerter mes compagnons de la menace. Le mage avait disparu, son bâton traînait pourtant là, près de sa couche désertée. Mes amis s’armèrent, nous nous agitâmes avec frénésie car deux autres créatures, semblables à la première, approchaient. C’était l’affolement jusqu’à ce que, brusquement, je me redressais en sueur. Assis, les yeux ouverts, ma couverture, sale et poussiéreuse, me glissa sur les jambes. Nulle araignée, nulle menace, une hallucination, une simple divagation. Cette forêt malveillante m’usait physiquement mais aussi psychologiquement. Elle voulait ma perte ou ma folie, nul doute.
Puis le douzième jour arriva. Les prémisses de la présence des araignées apparurent et, rapidement, l’abondance de leurs toiles noya les troncs, branches et rameaux. Omniprésentes, elles étaient multitudes, emmaillotant le moindre végétal, structurant les espaces. Là des hautes colonnes de fils diaphanes, ici des mosaïques de cocons opalins, le tout transcrivait une cohérence et, même si elle ma parut abstraite, affichait une étrange beauté féérique. J’avançais hébété dans ce méandre blanc. Puis, les araignées apparurent. De toutes tailles, sombres ou claires, velues ou non, elles grouillèrent désormais de partout mais, néanmoins, s’écartèrent silencieusement au passage du vieux mage. Accolé à mes compagnons, je suivais le sorcier dans ses pas, scrutant chaque monstruosité, levant et tournant la tête en tous sens. Puis je le vis. Un homme. Décharné. Hirsute et barbu, il marchait tel un errant, les épaules voutées. Il portait un simple pagne masquant sa nudité. Il ne fit pas cas de nous, à peine posa-t-il un regard vide sur notre petit groupe. Sa vue m’horrifia lorsque je vis son corps meurtri d’innombrables morsures, certaines saignaient encore. Il était suivi d’une femme tout aussi dépenaillée et éprouvée. Son regard était vide de toute vie. Ce spectacle m’horrifia. Je balbutiais : « Qui…Qui sont ces êtres ? ». Le sorcier me répondit, sibyllin : « Les esclaves des araignées, leurs choses. Avant c’étaient des hommes, sauvages ou des bois, maintenant ils sont perdus, condamnés. ». Colère et dégoût s’emparèrent de mon être, je stoppais mes pas et tirais lentement ma lame. Beleg apposa prestement sa main sur mon bras et, avec lenteur, repoussa mon épée au fond de son fourreau. « Folie ! Nous sommes ici pour Eau-Sombre. Avançons mon ami ! » m'encouragea-t-il. J’emboîtais son pas, laissant ces deux hères à leur sort. Ma lâcheté me tirailla mais restait-il encore une once d’humanité en eux ?
Imperturbable, psalmodiant inlassablement ses ritournelles magiques, Radagast poursuivit sa marche. Les toiles s’épaissirent et dévoilèrent des compositions majestueuses, harmonieuses et aériennes. Cette beauté froide glaça mon sang lorsque, face à nous, apparut sur les plus hautes d’entre elles des centaines d’araignées. Elles nous encerclaient à présent. Désormais, le mage clamait haut et fort ses sortilèges. Sa voix grailleuse se répercutait sur les entrelacs soyeux des toiles tendues. Puis, soudainement, il se tut et cessa sa marche. Devant nous, une étendue infinie de fils blancs forma de vastes volumes tels trois immenses trônes. Les reines étaient absentes mais je sus que nous avions atteint ici le sein du « parlement sinistre ».