Re: [CR] [Trône de fer - Chroniques de Barrowlands]
Publié : sam. nov. 02, 2019 11:37 pm
Voici le troisième chapitre. La prochaine partie aura lieu le 5, soit dans 3 jours.
Journal de Jorren Blacksword
CHAPITRE 3 - L’Ombre
Journal de Jorren Blacksword
La vie, cher journal, est un duel judiciaire permanent. On y prend des coups : des coups durs, des coups de chance, des coups du sort. Parfois, on s’en relève. Parfois, non. Mais pour la foule des anonymes, peu se soucient de l’issue. Quelles conséquences aura la chute d’un traîne-savate ou d’un éleveur de chèvres ? Il en va autrement d’un jeune homme comme Helman Tully. S’il ne sort pas victorieux de sa lutte avec la mort, quelles répercussions cela aura-t-il sur nos terres, et sur le royaume du Nord ?
Il nous faudrait encore quelques jours pour l’apprendre. D’ici là, nous avions une joute à conclure, et une foule de seigneurs mécontents à apaiser. Le festin tenu ce soir-là pour mettre derrière nous le triste accident fut aussi froid que l’hiver qui, comme le disent si bien les Stark, finit toujours par arriver. Chez nous, il avait pris la forme d’un coup de sang et d’un poignard. Les convives n’avaient qu’une envie, parler de l’incident, mais s’évertuaient avec ingéniosité à éviter le sujet. Cette gymnastique cérébrale laissa tout le monde sur le carreau avant minuit.
Tandis que le château ronflait (excepté mon auguste personne, bien entendu : de nombreuses femmes m’ont assuré que je dors comme un enfant), une ombre se faufilait à l’insu de tous. Entre chien et loup, ma mère s’éveilla soudain, inquiète sans en connaître la raison. Dans les pâles rayons de la lune, elle aperçut sur le bureau de son étude une feuille de parchemin qui ne s’y trouvait pas la veille. Elle descendit du lit discrètement pour ne pas réveiller Torgo, qui dormait du sommeil des braves, et avança vers le document, sur lequel figuraient les mots suivants, écrits de sa plume, mais pas de sa main :
« Lady Lyanna,
J’étais venu vous rendre visite, mais vous dormiez si profondément que je n’ai pas voulu vous déranger.
Nous nous reverrons bientôt. »
L’encre était tout juste sèche.
Au cours de ma vie, j’ai eu l’occasion de voir ma mère traverser de nombreuses épreuves. Et toujours, je l’ai vue y faire face, guidée par ses émotions habituelles, souvent de la colère, voire de la fierté, pas toujours bien placée. Mais malgré l’admiration que je lui voue, c’est en toute objectivité que je vous assure que jamais je ne l’avais vue avoir peur. Jusqu’à ce matin. Croyez-moi, la peur, et toutes ses déclinaisons, du frisson à l’horreur, en passant par l’effroi, la tension, le relâchement des sphincters, moi, j’y connais un rayon. Et lorsque ma mère me narra l’épisode de cette nuit là, la main froide de la terreur rampait entre ses organes. Elle se démenait pour le cacher, mais sa détresse ne m’échappa pas.
Torgo, tiré du sommeil par le remue-ménage dans la chambre, se sentit submergé par la rage, et c’est de justesse que ma mère parvint à le calmer avant qu’il ne transforme le mobilier de la pièce en sciure de bois.
Les soldats de garde dans le couloir furent immédiatement accusés de laxisme, mais ils s’en défendirent avec véhémence. Par loyauté, et pour prouver leur bonne foi, ils se mirent d’eux-mêmes aux arrêts en attendant l’interrogatoire du général Stillgar, mais nous parvînmes vite à la conclusion que ce qui venait de se passer ne relevait pas d’une faute de leur part. Ferrego en appela à ses talents mystiques, et, malgré un instant d’hésitation pendant lequel il sembla chasser de la main des papillons imaginaires, il nous révéla qu’une ombre s’était faufilée dans la pièce, comme à travers un mur. Cependant, il nous mit lui-même en garde contre la clarté de ses visions, qui sont toujours chargées de symboles et de métaphores.
Une ombre ! Dans le château ! Je dus m’accrocher à mes sphincters pour ne pas transformer le couloir en latrines. Nul n’était à l’abri, surtout si ce monstre pouvait traverser les murs. L’envie de faire mes bagages pour fuir à la cour du roi Bran de King’s Landing se fit furieusement sentir.
Alors que la rumeur se répandait à travers le château, et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, nous apprîmes que les Fer-nés avaient pris la poudre d’escampette cette nuit même, non sans piller le stand de leur voisin au passage, le bon marchand Wilman Damper d’Old Town. Voilà qui allait apaiser les tensions entre nos deux grandes Ladies, Lyanna et Illirya. Goldrick rassembla immédiatement une escouade de cavaliers pour aller à leur poursuite. Torgo se joignit à eux, car il avait grand besoin de prendre l’air, et Dacey s’ajouta à l’équipée, ma chère sœur aussi attirée par le danger que moi par les cuisses des ribaudes.
Malgré les événements, il nous fallut faire bonne figure devant notre cour grandement élargie par le tournoi. Mon frère Jeor dut remonter en selle pour défendre ses chances de remporter la joute. La fatigue joua contre lui, sans doute, et, après une lutte âpre, il dut s’incliner contre son adversaire, notre banneret Alec Brand. Il faudrait ajouter aux vœux de nos vasseurs celui de ne jamais battre leur suzerain en tournoi…
Ferrego et sa mère semblaient eux aussi très préoccupés par la situation. Les incidents inexplicables commençaient à se multiplier, et cela ravivait de vieux souvenirs de persécution qu’ils auraient préféré oublier. Le temple de R’hllor était-il de retour pour se venger, après toutes ces années ? Mais si c’était le cas, pourquoi toutes ces circonvolutions ? S’ils avaient le pouvoir de lever une plume pour écrire un message, ne pouvaient-ils pas simplement nous trancher la gorge ? Rien que de l’écrire, je sens mon cœur se serrer.
Ferrego s’inquiétait aussi de la présence qu’il avait sentie lors de sa vision, et qui semblait l’observer. Celle-ci prenait la forme d’un grand papillon de nuit, noir comme la suie. Lui et sa mère vinrent à moi pour savoir si je connaissais la nature de ce symbole, mais force est d’avouer que je n’ai du ménestrel que la musique et la gouaille, pas vraiment la connaissance. Notre mestre Tyler fut de meilleur conseil, et il conjura de je ne sais où une obscure légende des Premiers Hommes, où le papillon de nuit noir symbolise l’annonce du mauvais sort pour les héros.
Alors que nous nous entretenions à ce sujet, un corbeau vint se percher dans la tour, porteur d’un message venu du seigneur Tully de Riverrun.