Conciliabule
Lorsqu'un coup de feu a retenti non loin du cloître, bientôt suivi par des cris et des appels au secours, l'incident n'a pas manqué de jeter le trouble parmi les personnes assemblées. Quelques instants plus tard, alertées par des rescapées en pleurs, trois femmes de remarquable allure sortent du cloître et se dirigent vers l'hospice où se déroulent, semble-t-il, de terribles événements.
(évidemment, sur l'image, je me suis trompé, j'ai interverti Ouadjet et Nekhbet…)
En tête vient Ouadjet, calme mais résolue, philosophe, et même tempérée. Ses années passées dans la rue l’ont laissée avec une cicatrice sur la lèvre supérieure, six dents en moins, et une forte endurance à la douleur. Comme on n'est jamais trop prudent, elle porte à cette occasion une arbalète lourde, armée.
Dans ses pas marche Duna, une ancienne prostituée aux cheveux blonds et souples, encadrant deux yeux bruns et étroits. Malgré son air de petite fille, Duna porte la haine dans son cœur comme une charbon incandescent et solitaire oublié dans un poêle noir de suie. Elle est colérique, hostile et enthousiaste, ne vivant que par la volonté de protéger sa petite troupe contre toute menace. Une épée lui suffit en général pour se faire respecter.
La dénommée Nekhbet ferme la marche. Fine et rapide, Nekhbet piétine, s’agite et jongle quand il n’y a rien à faire. Les conversations l’ennuient, autant que les études, la contemplation, les repas, la gentillesse, et tout ce qui prend plus de deux minutes en général. Ses avant-bras et son cou sont couverts de cicatrices de coups de couteaux hérités de bagarres de quai qui ont mal tourné. Elle a la démarche chaloupée d’un marin, et ses membres affutés laissent voir de solides muscles. Ses lèvres sont ornées d'un rouge vif sanglant qui a fait succomber, dans tous les sens du terme, plus d'un homme ici-bas (un poison mortel, en fait).
Toutes trois se présentent au seuil de l'hospice et, après avoir enjambé le corps d'une nonne dont le visage n'est plus qu'une plaie, y découvrent une inquiétante scène. Toute femme, disons… normale, aurait tôt fait de s'évanouir devant le spectacle qu'elles peuvent contempler. La pièce est jonchée de cadavres d'enfants difformes, au pied de lits où gisent, le plus souvent, leurs mères égorgées. Cà et là d'autres victimes vivent leurs derniers instants sur cette terre, religieuses et paysannes. Nulle n'a été épargnée.
Au fond de l'allée centrale, un homme de dos achève, c'est le cas de le dire, sa triste besogne.
Ouadjet s'avance et heurte du pied une tête qui roule maladroitement sur le sol. Elle reconnaît le visage de Sir Latimer, figé la bouche ouverte par la
rigor mortis. Elle interpèle William par ces mots fleuris : « Mais qu'est-ce donc que ce foutoir ? »
William se retourne et sourit d'une façon un peu niaise. « N'allez pas en tirer des conclusions, hein. J'aime bien les femmes… mais, vous voyez, c'est vraiment une journée de merde. » (paroles authentiques) De là où il est, il peut voir l'arme de Ouadjet pointée sur lui, prête à le clouer au mur comme une vieille chouette sur une porte de grange. Il préfère donc discuter un peu, d'autant qu'il sent bien qu'on va enfin peut-être pouvoir lui expliquer de quoi il retourne à la fin.
Les trois femmes, elles, examinent l'individu. Il est sale (c'est un homme) mais a décapité Latimer, dont il porte le ruban au bras. Un redoutable combattant, donc. Sa couronne plaît tout de suite à Ouadjet et le lui rend sympathique. Le fait qu'il a massacré des nouveaux-nés monstrueux ne prête pas à conséquence dans leur esprit, mais elle veulent comprendre pourquoi il a tué toutes ces femmes et, surtout, ce qu'il est venu faire ici. Si c'est un foutu phallocrate, elles le tueront. S'il est venu prendre la place de Latimer, après tout, pourquoi pas…
« N'avez-vous donc aucun cœur ? Quel besoin aviez-vous de tuer toutes ces personnes ? »
« Un cœur, c'est pour planter une épée dedans », rétorque William (paroles authentiques, bis), avant de raconter un peu sa longue journée. Il explique, plus ou moins adroitement, que, vraiment, là, il n'en peut plus de toutes ces horreurs. Ouadjet se montre compréhensive. Dans le fond, elle comprend bien le désarroi qui doit saisir ce pauvre mâle qui se découvre plus si dominant que ça.
William essaie bien d'expliquer aux trois femmes que, quoi qu'elles soient en train de faire, parce qu'il en est sûr, tout ce bazar, c'est leur faute, elles ont tué et massacré bien plus que lui en ces lieux. Ce sont elles les monstres, pas lui. Z'avez qu'à regarder autour de vous, tous ces bébés monstrueux, les animaux morts, et Charles et Gwendolyn, et tout ça, dit-il en agitant les bras (mais pas trop quand même, il ne faudrait pas que l'autre appuie sur la détente par erreur). Ouadjet rétorque que tous ces incidents ne comptent guère devant la grande œuvre qui est en cours.
« Nous sommes plus qu’une alliance de sorcières, plus qu’une troupe de danseurs, plus que des paysans en révolte contre leurs soi-disant supérieurs. Nous romprons toutes les chaînes, et brûleront tous les maîtres sur un bûcher de jougs enflammés. »
À ce moment de la conversation, des aboiements se font entendre à l'extérieur. Il ne manquait plus que l'autre bande de pouilleux, se dit William en son for intérieur. Duna va jeter un œil et revient annoncer l'arrivée d'une troupe de paysans, visiblement remontés.
William, lui, ne demande qu'à rentrer chez lui. Ouadjet réfléchi quelques instants puis lui ordonne de suivre sa sœur, Nekhbet. William ne veut pas, d'abord, mais Ouadjet lui rétorque que, pour ce qui est de tirer des coups, l'arbalète qui pend entre ses jambes ne vaut pas celle qu'elle tient dans ses mains, alors, cette fois, c'est les femmes qui décident. Devant un tel argument, William obéit. Nekhbet a l'air ravie que ces parlottes s'achèvent enfin et, sautillante et souriante, envoyant des bisous-bisous de ses lèvres incarnates à un William étonné mais docile, elle s'accroche à son bras et l'emmène vers le cloître. L'insouciance apparente de sa jeune guide, aussi proprement désarmée que figurément désarmante, n'est pas sans l'inquiéter.
Comme elle le lui explique en chemin, « Je peux soit me mettre en colère, soit tuer. Donc, le plus souvent, je tue. Là, je suis en colère parce que ce que vous avez fait à l'hospice, c'est pas bien. Non, vraiment. » William, pour toute réponse, acquiesce en souriant comme il peut.
Ouadjet et Duna, l'air sévère, vont s'occuper des paysans. Lorsqu'elles s'approchent du groupe, les chiens cessent brusquement d'aboyer, ce qui ne manque pas de surprendre les hommes présents. Les deux femmes n'auront aucun mal à disperser les chasseurs de sorcière un peu trop rapidement proclamés.
(à suivre)