Quelles sont les spécificités du médium qu'est le JDR ?

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Re: Quelles sont les spécificités du médium qu'est le JDR ?

Message par Qui Revient de Loin »

Je synthétise aussi ton post pour la liste des caractéristiques du média JDR :
  • Interactivité extrême (ultime ?) | commune avec les jeux, certains spectacles vivants, certaines hyperfictions, mais plus poussée
  • Inachèvement (des règles, de la résolution, de la fiction, de l'univers, du message)
  • Incertitude | commune avec les jeux en général
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Wenlock
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Re: Quelles sont les spécificités du médium qu'est le JDR ?

Message par Wenlock »

Qui Revient de Loin a écrit : jeu. déc. 25, 2025 12:46 pm Hé bien Joyeux Noël et merci pour ton retour Wenlock, ça fait plaisir de relire tes longs messages :)

C'est très intéressant, surtout que si j'ai lancé ce fil, c'est parce que je m'intéresse à la forme du scénario de JDR et à son adaptation à ce média, et tu apportes déjà de l'eau à mon moulin à travers cette explication sur le message.
Donc, de l'inachèvement du média qu'est le JDR, j'en déduis qu'un scénario peut, en matière de message (intention de l'auteur/MJ) apporter un/des sujets/thèmes, tenter de tenir un propos (qui dépendra beaucoup des PJ dans sa révélation progressive et surtout finale) et proposer un ton (qui dépendra lui aussi beaucoup des PJ suivant qu'ils s'alignent ou non sur le ton du scénario/MJ, mais aussi de l'aléa).

Ce non-contrôle du message par un scénario, ou plutôt sa co-dépendance au MJ, PJ et à l'aléa, c'est tout de même très signifiant dans un média qui repose en grande part sur la notion de fiction, "d'histoire des personnages".
Salut à toi, joyeuses fêtes.
Si, en fait, tu t'intéresses à l'écriture de scénario de JdR, on avait fait 2 épisodes de podcast là-dessus avec Julien-de-chez-Altaride-en-Face, plus 3h de blabla désordonné avec le Grümph dans l'épisode précédent : j'ai pas l'énergie de remettre tous les Carnets Ludographiques en ligne (ils ont été sucrés par Soundcloud il y a longtemps) mais je dois pouvoir te passer ces mp3-là, si tu veux (MP ?). Note que je ne me souviens plus de ce qu'on y racontait, et qu'il est très possible que certaines de mes opinions aient changées (sans parler des leurs).
Ceci dit, ça m'amène à poursuivre ce que je racontais sur l'interaction, parce que j'allais arriver (un jour) à la notion de scénario : je vais juste accélérer pour répondre à la question avant 2026.

Récapitulons.
Le message d'un média interactif, comme les jeux, est nécessairement inachevé pour laisser les joueurs déterminer la fin de ce message. Et parce que le sens d'un message est largement déterminé par sa fin, les joueurs vont donc souvent modifier le propos du médium.
(C'est un cas extrêmement particulier dans la théorie des médias, mais le JdR est globalement un média très bizarre.)

Ça complique pas mal le design, avouons-le, et c'est notamment pourquoi les concepteurs et critiques de jeu ont tendance à résister à la notion de "message". Non pas parce qu'un message intentionnel serait anathème à l'interaction et donc contraire au principe essentiel du médium ludique (c'est pas vrai), ce n'est même pas parce que le jeu serait un médium de "pure évasion" que les messages sérieux (voire politiques) handicaperaient d’une quelconque manière (ça, c'est une tautologie de Gamer Gater).
Ce qui complique vraiment, et grandement, la définition du message d'un jeu est justement cette nécessité de fournir un propos sciemment inachevé pour que les joueurs le terminent eux-mêmes, en jouant. C'est à dire souvent sans en avoir bien conscience, pendant qu'ils essayent de gagner, et donc de manière un peu bordélique. Mais on peut arranger ça si on comprend la nature du problème, et qu'on place les éléments de message aux bons endroits du médium. 

Car, et heureusement pour le game-design, la fin du message est aussi la fin de partie d'un jeu, et cette dernière est largement configurable par les auteurs, c'est même la base du boulot. Parce que cette fin de partie dépend lourdement du but du jeu, une designeuse va justement définir ce but pour qu'il détermine comment, quand et pourquoi on gagne à son jeu. Établissant ainsi un bon morceau de la dynamique du jeu, elle oriente grandement le contenu des parties, donc le comportement des joueurs, donc le propos final qu'ils vont non pas complètement inventer ex-nihilo, mais (idéalement) recréer dans le cadre que le jeu a prévu pour eux, à partir des morceaux de sens (de thème, de ton...) fournit dans la boîte.
Notez que c'est là qu'est l'os quand on entend programmer un message spécifique pour un jeu : autant le thème peut déjà déraper si on le colle au mauvais endroit (par exemple s'il est présent dans l'esthétique de jeu mais pas dans la dynamique du gameplay), autant le propos et le ton vont généralement s'échapper dans tous les sens pendant que les joueurs les manipulent, à moins d'être profondément inscrits dans les règles et la présentation du jeu.

Il me semble que c'est là qu'on arrive aux choses sérieuses, parce qu'on passe enfin de la théorie ludique à la méthodologie du game design : c'est là que toutes ces réflexions accouchent d'outils utiles au travail.
___

Puisque je prétends qu'on peut designer le message d'un jeu tout en laissant sa détermination finale aux joueurs, expliquons quels morceaux du message on peut effectivement programmer, comment rendre ces morceaux maniables par les joueurs et quelle liberté leur laisser pour que, d'un côté, ils finissent par assembler la sorte de message qu'on voulait produire mais que, de l'autre côté, on leur laisse assez de liberté d'interprétation pour ne pas brider l'interactivité essentielle au médium.

Je vous spolie la fin pour qu'on sache où on va : grossièrement, dans une fiction interactive, ça consiste pour le scénario à poser des questions pour laisser les joueurs y répondre. Ces questions peuvent être ouvertes ou fermées (ça dépend d'à quel point le scénar lui-même tente d'être linéaire, "à embranchements" ou carrément ouvert), implicites ou explicites, directes ou indirectes, mais les réponses seront d'autant plus subjectives et plus formelles que le roleplay prendra de la place : plus les joueurs répondent en tant que personnages, plus il est facile d'anticiper et d'encadrer les réponses puisque les perso, eux, sont prédéfinis (contrairement aux joueurs). Si à l'inverse on veut des réponses émergentes, ça va prendre très longtemps parce qu'il faudra établir et approfondir le contexte avant d'en laisser émerger les questions.

Pointons néanmoins que la définition de ces éléments est très spécifique à chaque jeu : il faut changer la configuration des messages et ajuster l'assemblage par les joueurs pour chaque jeu (les genres ludique et narratif, notamment, sont déterminants) et pour chaque message qu'on veut transmettre en kit. C'est une vérité générale de la création de média : parce que la cohérence du fond et de la forme est essentielle à la bonne transmission d'une œuvre (c'est aussi un critère de qualité esthétique), il faut réinventer les formes chaque fois qu'on change de message. Mais, au moins, on s'englue pas dans la répétition...

Autre rappel utile que j'expédie brièvement : une œuvre est généralement constituée en trois niveaux successifs, le niveau conceptuel étant celui des idées et de l'esthétique générale, ces idées s'organisent ensuite au niveau formel (les spécificités du médium, les motifs, la structure...) et se concrétisent finalement au niveau technique.
Appliqué au game-design, ces trois niveaux se traduisent dans l'esthétique de jeu (à quoi on joue et ce que ça nous évoque), la dynamique (comment on joue, à quel rythme, en utilisant quelles compétences ludiques à quelles échelles...) et finalement la mécanique de jeu (les règles elles-mêmes, les supports, l'interface...). J'insisterai un peu là-dessus, car c'est encore ce que le JdR a de plus spécifique, vu que tout ça touche à l'interactivité.
Appliqué à la fiction et plus particulièrement la littérature, ça se traduit par les mêmes couches : le sujet, le propos de l'histoire et la définition des protagonistes forment l'étage conceptuel ; l'intrigue, la structure narrative et la mise en scène composent largement l'étage formel (en réalité, y a plein d'autres trucs mais je vais pas faire un cours de narratologie en plus) ; l'étage technique est largement affaire de style. Je le mentionne car le JdR étant un jeu de narration interactive, les mécanismes de la fiction vont lui être d'autant plus utiles que c'est largement eux qu'on essaye de rendre interactif.

Avant de nous jeter sur la suite, balayons rapidos l'examen des spécificités restantes du média rôliste.
En effet, quand on cherche à concevoir une œuvre pour un médium donné, on a grandement intérêt à comprendre de quoi il est fait, parce que ça détermine ce qu'on peut faire avec, à quels sujets le médium se prête spécialement bien et, à l'inverse, quelles difficultés il va présenter pour certains propos. Mais comme le JdR est la licorne à 5 pattes de la médiologie, on ne va pas tout couvrir ni rentrer dans le détail : ce serait trop long.
Lors du congrés de 2015, donc, j’avais dit que le JdR était un multimédia indirect, multilatéral, interactif, confidentiel et éphémère, j'aurais pu ajouter qu'il était aussi narratif (ou fictionnel, ça dépend un peu comment on regarde mais les deux sont assez synonymes). Je viens d'expliquer pourquoi le média interactif est aussi indirect, je n'y reviendrai que pour parler de didactisme et je peux larguer dans le virage l'inter-média multilatéral : c'est trop complexe à étudier mais assez naturel à manier pour qu'on ait besoin de faire plus que rappeler qu'un paquet de gens participent à une partie de JdR, et le font dans tous les sens (tout le monde reçoit, tout le monde émet, tout le monde est alternativement auteur, acteur et spectateur).
Les aspects confidentiels et éphémères du média sont à mes yeux des enjeux secondaires à sa publication. Considérant que Revient s'interroge quand même sur la publication de scénars (je me trompe ?), je n'en conserve qu'une info utile : tant qu'on s'adresse à un public si petit que la MJ-médiatrice peut personnellement connaître chaque joueur à sa table, il vaudrait la peine de lui donner les moyens d'exploiter cette intimité. Comme, par contre, ça nous amène à des enjeux encore plus spécifiques que la cohérence du message avec les genres ludique et narratif, je mets ça de côté pour plus tard, si j'avais par hasard le temps d'y revenir.

Reste alors à voir la fiction interactive, le multi-média et la nécessité d’enseigner le tout, qui sont à mes yeux les 3 principaux enjeux du média rôliste...
 
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Re: Quelles sont les spécificités du médium qu'est le JDR ?

Message par Wenlock »

J'en étais donc au fait que le jeu de rôle est une forme élaborée de fiction interactive.
"Élaborée" parce que, si le JdR peut fonctionner avec fort peu de règles et de supports, la majorité de sa pratique et des produits publiés impliquent tout un système de jeu – non seulement les règles écrites mais l'activité sociale, le partage des pouvoirs ludo-narratifs, la logique de la fiction, les fonctions variables du MJ... On verra plus bas qu'il y a en fait d'excellentes raisons à ces règles, parce que le JdR est potentiellement si flou qu'il n'est vraiment jouable à plusieurs que si on pose quelques règles d'interactions bien claires.

À mes yeux, pour qu'une fiction interactive soit effectivement "du jeu de rôle", elle réclame non seulement d'être jouée en groupe (voir plus bas) mais un cadre de règles conçu pour deux fonctions essentielles :
● donner beaucoup d'agentivité aux joueuses et
● ludifier un genre narratif.
___

Commençons par l'agentivité, qui est largement affaire de gameplay, justement, puisque je la définis d'abord par la liberté de choix (mais c'est fondamental en JdR) puis par l'influence directe des joueuses sur le résultat des actions de leur personnage :
si la résolution des actions est principalement aléatoire, s'il n'est pas possible pour une joueuse de forcer la chance ou d'infléchir activement la narration, le système n'offre pas d'agentivité. Et ce n'est alors pas un jeu : c'est du bingo (le soi-disant "jeu" où tu peux gagner pendant que t'es parti pisser). J'ai conscience que ça exclut un paquet de JdR publiés, oui, mais c'est facilement corrigé (ajouter des "points d'Histoire" et ça se démerdera), c'est certainement sujet à débat mais je n'en démordrai pas, et j'ai écrit de gros articles sur le sujet pour argumenter l'opinion que si l'agentivité est une caractéristique fondamentale du JdR, l'influence directe des joueuses sur le résultat des actions de leur perso en est le mécanisme indispensable.

Mais cette influence sur les événements peut prendre au moins deux formes distinctes car une autre caractéristique particulière du JdR comme fiction interactive est de pouvoir positionner la joueuse soit comme agente dans la fiction, soit comme co-narratrice de cette fiction. En pratique, il n'est pas rare que l'habituelle position d'agente intra-diégétique se double de quelques pouvoirs sur la narration : on peut donc faire l'un ou l'autre, mais on fait souvent les deux.
Dans le premier cas (le plus courant), seul votre personnage compte, il est votre unique moyen d'influencer les événements et le récit est perçu de manière entièrement subjective (focalisation interne stricte). Dans le second cas, le récit est au moins partiellement perçu comme tel (perception "objective"), il existe des règles pour agir directement sur la narration (narrer soi-même, ajouter des éléments de fiction, résoudre soi-même des intrigues...), la focalisation peut devenir externe ou carrément omnisciente, et chaque joueuse est donc aussi l'une des narratrices de l'histoire commune, profitant de pouvoirs narratifs au-delà de son protagoniste.

Si cette position de joueur-narrateur est plus fréquente dans les JdR sans MJ et ceux qui lorgnent vers le story-game, elle est moins rare qu'il n'y paraît puisqu'elle aussi est affaire de degrés, et pointe son nez dès qu'un système (y compris dans le contrat social d'une tablée) donne aux joueurs les moyens de peser directement sur la narration, fussent de simples "points de destin". Chaque fois qu'un jeu vous propose d'inventer les PNJ de l'entourage de votre perso, d'incarner les démons intérieurs ou la Némésis d'un autre joueur, de participer durant la partie à la définition du monde ou de débrayer le système de résolution pour raconter le résultat qui vous arrange, vous êtes en fait un co-narrateur.
Je ne pense pas que ce soit controversé ni même surprenant, mais ça mérite d'être énoncé puisque la fiction interactive réclame de positionner les joueurs vis à vis de la narration ("dedans" ou "dessus"), et que la réponse "surtout dedans mais un peu dessus des fois" est assez spécifique du JdR...

Il me semble que cette forme particulière d'agentivité intra-diégétique est un héritage des jeux de simulation : le JdR est probablement né d'autres influences qu'une version individualisée du wargame (rien que jouer aux gendarmes et aux voleurs) mais c'est de la simulation que vient le concept d'immersion individuelle dans une simulation ludique qui finit par produire des histoires. Car la position narrative de la joueuse dans la fiction non seulement permet le roleplay, mais est le mode fondamental d'interaction rôliste –je joue à travers mon perso– et donc le socle le plus commun de son agentivité particulière. En JdR, l'agentivité ludique est la source de mon pouvoir narratif.

Et c'est bien parce que j'interagis dans la fiction à travers mon perso qu'on a besoin d'établir ce que ce protagoniste peut faire, mais aussi ce qu'il pourrait rencontrer dans cette fiction dès avant le début du jeu. Au début, il s'agit surtout de savoir si je vais exprimer mon perso au discours direct ou indirect, ce qui est permis en roleplay, si mon épée magique peut trancher la pierre ou si jouer une linguiste a le moindre intérêt dans un monde où tout le monde porte un traducteur automatique : c'est déjà, essentiellement, une question de correspondance entre le cadre partagé et mes contributions de joueur, à commencer par mon PJ.
___

Un bref encart sur la part sociale du JdR : je ne crois pas qu'on puisse jouer au JdR tout seul, et ce pour deux raisons.
D'abord parce que, jusqu'à ce que les IA fassent un putain de bond technologique, il faut un référent humain pour gérer la variété et la complexité des interactions possibles en JdR : ce peut être un MJ ou un paquet d'égaux en narration très partagée, mais un ordinateur ou un bouquin ne peuvent pas avoir le genre de dialogue créatif et narratif nécessaires. Ensuite parce que si le JdR implique que chaque joueuse soit alternativement autrice/narratrice, actrice et spectatrice, on ne peut en fait pas jouer sans un pulbic de spectateurs-joueurs.
Je suis ouvert au débat sur ce point, notez bien, mais c'est ma position actuelle.
___

La nécessité de ludifier un "genre narratif" n'était pas encore très admise il y a dix ans (je ne sais pas dire où c'en est aujourd'hui) mais il me que semble la contestation tenait essentiellement à la définition d'un "genre narratif" et, très franchement, la mienne serait très inclusive (au-delà du fait que les genres narratifs évoluent, et donc voient naturellement leurs définitions changer) : il s'agit essentiellement d'établir un cadre fictionnel partagé, en terme de contenu, de ton, de "style" et donc de possible, puis de ludifier ce cadre fictionnel. Par exemple, décider si le monde contient des Airbus, des dragons ou les deux, si l'on va sérieusement incarner des pirates ou si on peut jouer le perroquet du capitaine pour déconner.
Vous noterez que ça nous rapproche très fort de la définition académique d'un message composé d'un sujet, d'un propos et d'un ton, puisqu'il s'agit tout bonnement de s'accorder sur le type d'histoire qu'on va raconter ensemble.
De fait, pour simplifier, je vais continuer de parler de "genre" narratif parce que c'est la pratique dominante (il y a fort peu de JdR qui propose un cadre vraiment inouï en roman, film ou BD), même si le contexte de jeu ne relève pas d'un genre filmique ou littéraire identifié, même si c'est un mash-up dément, si la définition du cadre narratif est extrêmement spécifique à un groupe de joueurs (univers perso, se jouer soi-même...) ou qu'elle inclut des éléments stylistiques très particuliers (jouer à Vampire en mode expressionniste allemand ?).

À mesure qu'on va ludifier davantage l'interaction de nos perso avec la fiction, et donc sophistiquer les règles d'interactions, on va quitter les considérations rôlistes génériques pour s'avancer vers l'enjeu essentiel de la publication : proposer des manières de jouer spécifiques, donc différentes.
Et ce n'est pas qu'une démarche commerciale, c'est précisément là que les œuvres se différencient, c'est ainsi que le domaine s'étend et que la créativité s'exprime. De même que le cinéma est essentiellement affaire d'images qui bougent, que la BD repose sur la succession d'images fixes (c'est pourquoi on parle "d'art séquentiel"), que la musique traduit l'émotion par la hauteur, la texture et le rythme des notes ou que le roman se manifeste moins dans le scénario que sa narration (la manière de raconter une histoire : l'angle de vue, la structure, la mise en scène, le style...) : la ludification de la fiction est l'enjeu essentiel du média rôliste.
Tout ce que j'écris depuis quelques jours avait vraiment pour but d'en arriver là, c'est l'essentiel de ma réponse à @Qui Revient de Loin.

C'est pour ça que "le systèmes est important", et que la différenciation entre deux JdR ne peut pas être une simple différence de fiction. Car, même avec un univers et un ton différent, si les règles d'interaction sont les mêmes, je vais grossièrement toujours jouer de la même manière. Mon perso sera peut-être différent, le monde et les intrigues pourraient changer grandement mais si l'interaction avec cette nouvelle fiction implique toujours la même action ludique –par exemple jeter des dés pour dépasser un seuil définit par ma fiche de perso (ahem), alors je joue toujours de la même manière, et donc je joue en fait au même jeu : une certaine variante narrative, certes, mais pas de différence ludique notable.  

Et si on tient à contribuer au média JdR, voire à justifier une production pléthorique par la différenciation des expériences ludiques (et, je l'admets en soupirant, c'est manifestement pas une préoccupation de tous les éditeurs...), il faut que le gameplay change d'un jeu à l'autre.
Mais changer dans quel but ?
Hé bien dans le but de modifier l'interaction des joueuses avec la fiction, quelle que soit la forme de cette modification. Il peut s'agir de traduire en jeu des principes narratifs jusqu'alors délaissés (la romance, la saga historique, l'intimisme...), de ludifier des fictions très rebattues de manières nouvelles ou simplement pertinentes (il reste tellement à faire), d'accroître l'agentivité ou l'immersion (qui est précisément une relation particulière des joueuses à la fiction interactive), d'explorer l'intérieur des perso ou de nouvelles fonctions narratives : que se passerait-il si on ne jouait que des personnages secondaires accompagnant des protagonistes PNJ ? Ou si chacun était le narrateur du perso d'un autre joueur ? Ou si l'on incarnait des thèmes et motifs narratifs à travers une foultitude de rôles ?

Ceci dit, j'ai encore au four un gros pavé sur le multi-média, et un autre sur le didactisme indispensable aux médias indirects...
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Re: Quelles sont les spécificités du médium qu'est le JDR ?

Message par Qui Revient de Loin »

Merci Wenlock, c est extrêmement riche, ça confirme certaines de mes intuitions, ouvre des champs que j ignorais, creuse profondément d autres trucs.

Petit truc, peux tu me dire d où viennent les notions de conceptuel, formel et techniques, je voudrait approfondir cela.
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Re: Quelles sont les spécificités du médium qu'est le JDR ?

Message par Wenlock »

Qui Revient de Loin a écrit : ven. déc. 26, 2025 6:18 pm Merci Wenlock, c est extrêmement riche, ça confirme certaines de mes intuitions, ouvre des champs que j ignorais, creuse profondément d autres trucs.

Petit truc, peux tu me dire d où viennent les notions de conceptuel, formel et techniques, je voudrait approfondir cela.
Ravi que ça serve.
La conception d'une œuvre en descendant du niveau conceptuel vers le niveau formel puis le niveau technique est en fait un principe enseigné dans nombre de cursus artistiques, mais sans doute formalisée par l'école du Bauhaus pour sa propre méthodologie du design. En tous cas, moi, on me l'a enseignée comme "la méthodologie du Bauhaus". Et c'est très, très utile en game design, les jeux étant des sujets très flous car très virtuels.

Note que les écoles d'art enseignent aussi le revers, soit l'analyse d'une œuvre en remontant de l'étage technique vers les choix formels, pour ensuite en déduire les intentions conceptuelles : c'est en fait si "classique" que des gens arrivent à ce procédé sans avoir spécifiquement étudié cette méthodologie...
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