Bon, allez, je termine ma lecture.
Voilà la description de l'Institut Dédale. Vous êtes arrivés là après avoir téléphoné à une clinique de Manchester pour vous renseigner sur l'auteur d'un obscur article médical, lequel a disparu depuis vingt ans sans laisser de trace mais la standardiste s'en souvient encore parce que sinon vous n'avez plus de piste, et d'ailleurs, au lieu de vous raconter les potins entre le docteur bidule et son assistante dans la salle à café, elle vous apprend que les notes de l'auteur sur l'article en question (elle a décidément une excellente mémoire, cette standardiste) ont été récupérées par son collègue, le docteur DeWinter, qui se trouve travailler en Espagne figurez-vous. Cette standardiste peut certainement vous raconter le sujet de thèse et la carrière de tous les médecins de la clinique depuis 1978 (date mentionnée dans le scénario), mais cela fera certainement l'objet d'un supplément au scénario. En attendant, on vous a donné un nom et un lieu, il faut y aller. Vos joueurs, dont vous avez préventivement cousu la bouche pour éviter qu'ils ne posent trop de question, acquiescent certainement de la tête à votre suggestion.
The Institute is filled with tons of sophisticated surveillance equipment and is guarded around the clock by a squad of security guards. Décidemment, je comprends mieux l'obsession sécuritaire de notre vaillant premier Ministre de l'Intérieur, M. Valls, qui est d'origine espagnole. À en croire ce scénario, il n'y a pas un bâtiment privé qui ne soit pas aussi bien surveillé que Fort Knox. Heureusement, cette fois-ci, il est prévu que les PJ visitent l'endroit en entrant par la porte principale en journée, parce que DeWinter
is more than willing to show off his genius to the general public. Un type qui fabrique de la drogue et qui est mouillé jusqu'au cou dans une conspiration occulte ? Pas de problème, bienvenue chez Pollos Hermanos !
Cher meneur, débrouillez-vous, laissez faire les joueurs ce qu'ils veulent parce que
The next time the PCs sleep, they are confronted by a pack of Ichthyrians qui les capturent (avec le gobelet). Voilà, c'est une phrase, emballé, c'est pesé, alors qu'on vient de vous infliger 5 pages de description des différentes pièces de l'Institut blindé qui ne sert à rien. Vous aurez aussi droit aux caractéristiques des Ichthyriens (qui ne servent à rien puisque l'issue de la confrontation est fixée, on vous dit).
Nous sommes en réalité à l'acmé du scénario, qui tient, tenez-vous bien, en
une page aérée. Après, vous en avez 5 remplies de p… de caractéristiques des Chevaliers Incarnés de Ceci et De Cela au service de Machin, qui se déplacent de 20 mètres par round de combat et font tant et tant de dégâts par attaque. Le moment crucial du scénario se passe dans un rêve, parce qu'avant, nous avons eu droit à la scène (détaillée, elle) où le méchant DeWinter injecte un truc dans le sang des personnages avec une seringue en ricanant sadiquement (ah! ah! ah! Que Kult Déchire Trop Top Délire Dans l'Horreur. Non, le docteur à la seringue n'est pas un cliché, non.).

En une page, donc, les PJ se retrouvent au moyen-âge, assistent à l'incendie par l'Inquisition du château où se déroulent les fouilles qu'ils ont visité auparavant, sont censés intervenir, massacrer des prêtres qui sont vraiment trop cruels ma bonne dame et sombrer dans l'inconscience parce que c'est la fin de la page. Cette fois-ci, pas de plan, pas de caractéristiques, juste ce qui doit se passer. En réalité, les PJ ont trucidé des innocents, dont leur amie héritière espagnole, ce qui se trouve être le Truc Final du Rituel de Mme Lee. Et puis, s'ils ne font rien,
a contingent of knights […] will. à leur place, parce qu'il faut bien que rituel se fasse.
Après cet instant fatidique, ce Tournant de l'Histoire de l'Humanité, que font donc les Lee et les DeWinter, ces agents d'entités millénaires qui se complaisent dans la torture et la souffrance d'autrui, avec les PJ ? Ils les tuent ? Ils s'en servent comme tas de viande sexuel ? Non, bien sûr, ils les libèrent, pour être bien certain de planter les derniers clous dans le ridicule du scénario.
Le chapitre qui suit s'intitule, fort étrangement, « contre les moulins à vent »
(Fighting windmills) ; hormis le lien entre l'Espagne et Don Quichotte, je n'en vois aucun avec le scénario. Les personnages se réveillent
with pounding headaches and a sense of overwhelming disorientation, des symptômes que partage très certainement le lecteur du scénario à ce moment de sa lecture. C'est bien dommage, car les quelques pages qui suivent (quatre, pour être précis) décrivent le périple des personnages dans un autre monde, périple qui aurait largement mérité un bon développement : devenus des coquilles qui se vident petit à petit de leurs souvenirs tandis que leur monde familier semble lui aussi se dissoudre peu à peu, les P.J. doivent accomplir une quête qui n'est pas sans rappeler celle d'Orphée aux enfers pour revenir dans notre monde. Cette fois-ci, pas de plan, pas de détail. Dans Kult, la Mort n'est que le Commencement, mais on va vite passer à la suite, d'accord ?
Une fois revenus dans le monde réel, il faut croire qu'ils n'en ont pas assez, puisque la première chose à laquelle les PJ doivent certainement penser, c'est de retourner au musée archéologique national. Là, le directeur les accueillera à bras ouverts (quoi de plus naturel, pour ceux qui ont finalement aidé son ennemi, lui ont permis de mettre la main sur le Graal Très Ancien dont sa confrérie avait la garde et commencé à révélér le Secret Occulte qu'ils Gardent Depuis Très Longtemps ?), leur expliquera le plan de Mme Lee et les enverra chercher le Graal, qui est adroitement exposé à la cathédrale de Madrid. Pauvre directeur : plusieurs de ses amis sont morts en essayant de tuer le pote Évêque de Mme Lee, aucun n'a essayé de subtiliser le Graal, puisque tous attendaient le retour des personnages pour cela. C'est le énième épisode « Ocean Eleven » de la Kampagne. Après la maison de Mme Lee et le site archéologique, voici venu le moment de cambrioler la cathédrale madrilène. L'occulte, finalement, ça repose plus sur des jets de crochetage que sur la lecture du bas araméen.
Nous aurons aussi finalement droit à une cérémonie (une fois le Graal volé) durant laquelle les Chevaliers interviendront pour empêcher les personnages de mettre fin aux agissements de Mme Lee. Pas mal, mais ce chapitre aurait pû être grandiose si on lui avait consacré la place qu'il méritait.
Pour finir, encore un peu de défaut numéro un : insister sur l'inutile et éviter l'important.
Quel sens cela a de donner un plan en 3D d'une maison à infiltrer située dans une propriété privée gardée par des vigiles et des systèmes de sécurité, mais on ne vous donnera que le plan de la maison, charge à vous d'inventer la propriété, les gardes, le voisinage, etc. ? Le maquettiste s'est certainement fait plaisir avec son AutoCAD, mais l'idée que quelqu'un allait devoir
se servir de son travail a visiblement été oublié. Oubliez aussi la visualisation ou l'ambiance : les plans sont en 3D, mais qu'il s'agisse du couloir nus et décrépis menant aux toilettes d'une boîte de nuit ou du salon victorien rempli de statues, de tentures et d'objets ésotériques, tous auront la même apparence. Des parallélépipèdes gris pour les murs, des rectangles vides pour les pièces. Il y a un plan de la cathédrale de Madrid fait comme ça, il faut le voir pour le croire

Pareil, la fin de chaque chapitre contient les caractéristiques de nombre de PNJ, lesquels se classent en deux catégories : ceux avec lesquels les personnages n'auront aucune interaction (là, un patient végétatif au fond d'un asile dont on vous explique que l'esprit est définitivement perdu au point que personne ne connaît son nom, ou bien le « grand méchant », Mme Lee, avec toutes ses caractéristiques au maximum et des trucs aussi intéressants que « Magie : connaît tous les sorts du livre de base et des suppléments à un niveau que c'est pas la peine d'en parler, plus les nouveaux sorts à hacher la viande du scénario, si ça ne suffisait pas pour exterminer vos PJ »).
6.) Allez-vous vous en servir ?
Non. Pire, la lecture de ce supplément m'a vraiment fait douter de la façon dont on joue à Kult.
7.) Alors, je dépense de l'argent pour ça ?
Il y a quelques années, j'aurais fortement conseillé l'acquisition de ce supplément pour spéculer mais le marché, dans sa grande sagesse, s'est rangé à mon avis sur sa qualité, et son prix est retombé à une poignée de dollars, ce qui est encore bien trop pour quelques feuillets de papier noir glacé.
Attention : il a été traduit par 7e Cercle sous le nom de
Theolitis. Ne faites pas l'erreur de l'acquérir non plus.