Et hop : sortez les violons et les mouchoirs, voici le compte-rendu de notre dernière partie, qui démarre en fanfare la deuxième saison de cette campagne.
Chapitre 19
La bataille pour Ash Harbour s’est achevée, nous avons débarrassé notre port de cette engeance de Fer-nés qui l’avait envahi, et le traître Harren Goodbrother a enfin retrouvé la place qui aurait dû lui être accordée depuis longtemps : six pieds sous mer, avec ses chers ancêtres. Mais nos soucis sont loin d’être tous balayés. Nous avons encore à nos portes plusieurs dizaines de pillards des îles, ceux qui ont fui pendant la bataille et doivent être en ce moment-même en train de ravager nos campagnes. Sans compter les milliers de leurs compatriotes partis le long du fleuve en direction de Moat Cailin… du moins, c’est ce que nous supposons. Tout cela saupoudré des complots des Tallhart de Torrhen’s Square et des 500 fantassins de Lady Dustin qui doivent arriver d’ici quelques jours à Deathwatch… Les heures à venir ne s’annoncent pas des plus simples.
En attendant, nous voici plongés dans des problèmes plus triviaux et plus immédiats : l’Aigle, suivant les directives de son père, Rodrick Ryswell, nous demande une contrepartie à leur investissement dans les combats. Il a la bienséance de ne pas fixer de prix, et Edrick Junior lui propose donc de repartir avec la moitié des cinquante bateaux fer-nés. Avec son habituel stoïcisme, Snow accepte, mais je me demande s’il est vraiment satisfait de ce que nous lui offrons. L’avenir nous dira si le père Ryswell aura apprécié notre geste !
Je finis par laisser Edrick s’occuper seul avec l’Aigle de tout cela. Ils montent ensemble sur les murailles pour s’entretenir en privé. Un entretien qui se terminera, comme je l’apprendrai plus tard, par une franche poignée de mains, même si Edrick n’en ressort pas très à l’aise. Quant à moi, je suis préoccupée par un souci bien plus important : son combat avec le capitaine des Fer-nés a laissé Volken dans un triste état. Une vilaine blessure l’empêche de se lever, et je ne l’avais encore jamais vu dans une telle condition de faiblesse. À vrai dire, cela m’inquiète plus que je ne veux le laisser paraître, et je décide donc de le faire rapatrier immédiatement en litière vers Deathwatch, où le mestre pourra lui administrer de véritables soins et veiller à son rétablissement. Nos adieux sont presque déchirants et, avec ce sourire de mauvais garçon qui a dû en faire tomber plus d’une dans ses filets, le voici qui me suggère – à mots à peine couverts ! – qu’il aurait souhaité que « quelqu’un » l’accompagne dans cette litière…
Après le traditionnel banquet des vainqueurs, voilà la flotte Ryswell repartie vers Blaze Tower, tandis que nous réglons les derniers détails ici avant de repartir à notre tour vers Deathwatch. Edrick s’occupe de mettre une centaine de prisonniers au travail forcé pour renforcer la défense terrestre d’Ash Harbour, puis en exécute une cinquantaine, pour faire bonne mesure, et enfin décide de rapatrier le reste à sa capitale, notamment pour obtenir une rançon des quelques petits nobles qui se trouvent dans le lot.
Nous sommes également sollicités par Willem, le neveu de Mart : son oncle a péri de ses blessures suite à l’attaque fer-née et il nous demande de faire un geste pour sa cousine Jeyne, violée par l’infâme Harren. J’accepte évidemment de prendre la pauvre petite sous mon aile. Une fillette d’à peine 15 ans ! Quand je pense aux années que nous avons passées sous le même toit que ce chien... À la confiance que j’avais fini par lui accorder… J’en frémis encore. Dès mon retour à Deathwatch, il faudra que je pense à faire boire à la pauvrette du thé de lune, afin d’éviter tout héritier indésirable.
***
Le retour chez nous est finalement assez morose : la bataille ayant laissé un nombre conséquent de veuves et d’orphelins, nous ne sommes pas accueillis par une foule en délire, et il faut dire que nous n’avons pas non plus le cœur à la fête. Tandis que Volken se rétablit péniblement, Edrick choisit de se rendre lui-même à la rencontre des cavaliers de Barrowton, plutôt que d’envoyer un émissaire. L’attitude des hommes de Lady Dustin nous est assez favorable – peut-être sont-ils soulagés de ne pas avoir eu à s’engager dans cette bataille – et ils décident de rester camper sur la route du roi, à guetter le retour des Fer-nés, au cas où ils remonteraient vers le nord. Cela complète assez bien le dispositif que nous décidons de mettre en place, à savoir une tour de guet à l’embouchure du fleuve, et des fanaux à faire allumer par les paysans tout le long de la baie de Saltspear.
Les jours passent dans leur habituel cortège de monotonie et d’interrogations : cela fait déjà plusieurs mois qu’aucun corbeau n’est venu du front. « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles » prétend Edrick. Je n’en suis pas aussi sûre. Et, comme Volken, je commence à m’inquiéter que nous n’ayons reçu aucune missive ni même eu vent d’aucune victoire ou défaite du Jeune Loup.
Un événement, cependant, apporte vient égayer mon quotidien, et sans doute celui de beaucoup d’autres à la cour : Edrick a convaincu la vieille bique qui tient lieu de mère à Volken de se rendre en mission diplomatique dans les clans du nord. La vieille Frey ne semble pas y aller de gaîté de cœur, mais elle n’a pas non plus osé refuser. Curieux… Mais j’ai comme l’impression que ce barde qui lui tenait souvent compagnie ces derniers temps n’est pas étranger à la situation. Inutile de préciser que les supputations vont bon train et que les cousins Blacksword sont aux anges !
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Les semaines ont passé depuis le départ de la vieille Jeyne et nous sommes encore dans l’un de nos interminables conciliabules, entre maîtres des lieux, quand Volken est soudain appelé à la porte du château. Il met un temps infini à en revenir, et quelle n’est pas ma surprise lorsque je le vois débarquer dans la salle du trône avec une jeune femme et un petit garçon !
Blonde, la peau très claire, la fille n’est visiblement pas de Westeros. Elle est ce qu’il est convenu d’appeler « belle », même si son charme n’est évidemment rien comparé au mien. Volken nous la présente sous le nom d’Illyria. Elle serait, d’après lui, la fille d’un marchand de Braavos, qu’il aurait rencontrée lors d’un de ses nombreux voyages, et qui serait venue jusque chez nous pour chercher protection, son mari ayant – fort commodément, soit dit en passant – disparu.
Quant au petit garçon… Ma foi, c’est un bel enfant de deux ans, dont les traits me semblent étrangement familiers. Trop familiers. Les yeux, surtout. Les yeux des Blacksword. Mais pas ceux d’Edrick, la chose est certaine.
Passée la stupéfaction, l’accusation fuse toute seule : cet enfant, son père ne peut être que Volken ! Mais l’intéressé nie en bloc, argumentant par de vagues « C’est elle la mère… Elle a perdu son mari… » et autres explications tout aussi évasives. Il semble sincère, mais la ressemblance est si frappante que cela ne peut être une coïncidence. J’en suis bonne pour ruminer dans mon coin ma fureur et mon amertume jusqu’à la fin de l’entretien.
Entretien durant lequel l’étrangère n’intervient que très peu, hormis pour adopter une attitude servile de quémandeuse d’asile prétendument honorée de servir une aussi noble famille que les Blacksword… j’en passe et des meilleures ! Edrick a, pour une fois, l’excellente idée de la mettre dehors le temps que nous discutions de son sort, et la fait donc conduire aux appartement que Volken a (déjà !) faits préparer pour elle.
Une fois « en famille », je renouvelle mes accusations, mais Volken n’en démord pas : la Braavienne n’est là que parce qu’elle fuit (quoi donc ? un danger ? la guerre ? nous n’en saurons pas plus). Il nous enjoint de l’accueillir, sous prétexte que ses talents de commerçante seront plus qu’utiles à Edrick pour remplir les caisses du palais. Moi, je vois bien plutôt quels autres de ses talents pourraient intéresser Volken… Mais son argumentation porte ses fruits, comme toujours, d’ailleurs, avec ce pauvre et influençable Edrick ! Le « maître du château » (ah, laissez-moi rire !) accepte donc d’accorder l’hospitalité à l’étrangère, à la seule et unique condition que Volken paie tous ses frais. Ravi de son idée, il enjoint d’ailleurs la Braavienne d’abuser des largesses de son cousin comme bon lui semblera.
Je n’ai pas le temps d’interroger plus avant la nouvelle venue (non pas que j’en éprouve l’envie, sa conversation me semblant barbante à souhait !), qu’il est déjà l’heure de dîner. Il est donc décidé que nous ferons plus ample connaissance avec elle lors du banquet. Les bienséances font que, fort heureusement, je ne me retrouve pas juste à côté d’elle. Mais cela ne l’empêche pas de nous abreuver toute la soirée d’un monceau de banalités affligeantes « tellement exotiques » sur Braavos, son Titan, ses îles et ses canaux, ses marchands et ses spadassins, etc, etc.
Quant à moi, pour tenter de calmer ces bouffées de je-ne-sais-quoi qui montent en moi, je bois plus que de coutume et plus que de raison. Je constate d’ailleurs que je ne suis pas la seule : Volken, avec qui j’ai à peine échangé deux mots depuis le début du repas, semble avoir besoin de beaucoup de vin pour… quoi donc ? Évacuer des soucis ? Fêter l’arrivée de l’étrangère ? S’oublier dans l’ivresse ?
La soirée atteint son paroxysme quand la Braavienne propose de nous chanter une chanson de chez elle ! Ces mots sont à peine sortis de sa bouche que le jeune Roose est déjà sur ses pieds, mandoline à la main, à lui offrir de l’accompagner. Et les voilà lancés tous les deux dans un spectacle… comment dirais-je ? Ma foi… Il est vrai que la chanson a quelque chose d’envoûtant. La chanteuse et le musicien rayonnent. Le public est subjugué. Peuh ! Encore quelque tour appris de l’autre côté de l’océan. Ce n’est pas une marchande, cette fille-là, mais une vulgaire saltimbanque !
Alors que les enfants commencent à s’assoupir à leur table (Jeor, mon adorable fils, dans les premiers), les servantes s’empressent d’aller les mettre au lit. Nous nous retrouvons une fois de plus seuls, Edrick, Volken, l’étrangère et moi. Je profite de cet instant de répit pour attaquer le sujet qui me tient à cœur : pourquoi a-t-elle fui Braavos ? Quelles sont les raisons de sa visite dans nos froides contrées ?
Elle a à peine le temps d’ouvrir la bouche pour répondre que Volken laisse éclater ce qui le rongeait depuis l’arrivée d’Illyria : dans un accès de colère, il nous avoue l’inavouable. Oui, Ferrego (c’est le nom qu’a donné la Braavienne à son enfant) est son fils ! Oui, l’unique raison de leur venue est qu’elle voulait présenter l’enfant à son père ! Oui, il est fier de tout cela est n’éprouve aucune honte à l’avouer !
Le choc me prive de ma voix. Ma gorge et mes entrailles sont nouées. Et Edrick de profiter de l’occasion pour, comme toujours, aborder des sujets dont tout le monde se contrefiche : « Quel nom donner à l’enfant ? Faut-il l’appeler Snow ? Volken, mon cousin, la moindre des choses serait d’épouser sa mère… »
L’épouser ? Quelle idée insensée ! Cela suffit à me faire retrouver ma verve. Aveuglée par une rancœur acide, à cet instant, je crois ne plus bien savoir ce que je dis. La teneur de mes propos m’échappe, je ne suis même pas sûre d’entendre ce que me répond Volken. Et au milieu de cette tempête d’emportements et de cris, l’étrangère reste là, comme insensible à tout ce qui se dit sur elle, absorbée dans la contemplation d’une vulgaire torche sur le mur.
Les émotions me suffoquent. La tête encore bourdonnante, je quitte brusquement la pièce, repoussant avec rage le battant. Mes pas me mènent presque sans que j’y pense au seul endroit dans cette ville qui m’ait jamais apporté du réconfort : le bois sacré.
***
Je ne sais depuis combien de temps je suis recroquevillée ainsi au milieu des feuillages, tremblante, les yeux rougis. Soudain, un bruit me fait me redresser : c’est bien Volken qui vient d’émerger d’entre les arbres. Malgré moi, mon cœur s’emballe, mais je ne peux affronter son regard.
Il est venu me présenter des excuses pour cette situation et tenter de me raisonner, en me rappelant qu’il ne m’a jamais caché son passé de séducteur et en m’assurant que je compte plus que jamais à ses yeux. Tout ce qu’il demande de moi, c’est un geste, un signe que ses sentiments sont partagés, mais les mots s’étranglent dans ma gorge. Je ne me peux me résoudre à prononcer ces trois mots que mon cœur et mon corps tout entier me conjurent de lui crier, et il me faut encore une fois résister de toute mon âme pour ne pas me jeter dans ses bras.
Je ne sais à quel point Volken comprend les forces qui luttent en moi, mais il n’insiste pas davantage. Il tient seulement à ce que je lui promette de ne jamais attenter à la vie de son fils. Blessée qu’il ait pu un seul instant imaginer que ce genre de pensées me soit venu à l’esprit, je lui fais cependant de bonne grâce ce serment. Et j’obtiens de lui une autre promesse en retour.
Le silence s’éternise avant que Volken ne se décide finalement à rentrer au château. Il fait mine de quitter les lieux quand, soudain, il se retourne et m’enlace avec fougue. Aussi surprise que comblée, je m’abandonne à son étreinte et lui rends son baiser. Nous nous quittons là-dessus et je rentre au palais d’un pas bien plus léger que je ne l’avais quitté.
***
Les semaines s’écoulent encore sans grande surprise. La Braavienne semble s’être plutôt bien intégrée à la cour. Son fils et le mien s’entendent à merveille.
À notre grande surprise, nous recevons un jour une missive de Tallhart, qui vient s’excuser platement de l’escarmouche qui a confronté nos hommes aux siens. Peut-être a-t-il senti le vent tourner en sa défaveur et craint-il de voir une coalition de l’ouest menacer ses terres. Nous apprenons également que Moat Cailin a été prise par l’armée de Greyjoy, et que de nouveaux bateaux fer-nés ont remonté la baie puis la rivière, probablement pour aller les rejoindre. Cela ne présage rien de bon.
L’autre terrible nouvelle qui nous parvient dans les jours qui suivent est celle de la chute de Winterfell. Des éclaireurs nous rapportent en effet que le château aurait été pris et brûlé par une petite escouade de Fer-nés, menés par Theon Greyjoy lui-même, l’otage qu’Eddard Stark avait considéré presque comme son fils pendant tant d’années. Un message de Lady Dustin vient confirmer ces faits tragiques : il ne reste rien de Winterfell, et les deux derniers Stark qui y demeuraient, les jeunes Bran et Rickon, auraient eux aussi péri dans l’attaque. Il semblerait cependant que le château ait depuis été récupéré par les Bolton… mais lesquels ? À ma connaissance, Roose Bolton se trouve au front avec le Jeune Loup, et il ne me semble pas qu’il ait d’héritier mâle, ni même de famille suffisamment proche pour mener ce genre d’action en son nom.
Nous n’en saurons pas plus. En revanche, ces terribles événements font grossir le flux de refugiés qui arrivent chaque jour à Deathwatch, fuyant les pillages et les attaques de brigands. Nous avons d’ailleurs lancé des battues dans la campagne environnante pour tenter d’en déloger les Fer-nés qui y sévissent.
Plus de deux mois se sont écoulés depuis la bataille d’Ash Harbour, lorsque nous recevons (enfin !) un corbeau de mon très cher mari.
Edrick, mon fils,
Les nouvelles sont d’une rare tristesse ici sur le front. Malheureusement, cela m’aurait apaisé si ce n’était que la guerre qui causait mon désarroi. Nous avons été touchés bien plus profondément que cela, et l’insulte qui nous a été faite ne peut se mesurer. Cette plaie béante nous suivra jusqu’à ce que, nous aussi, nous rejoignions les tertres que notre famille a gardés depuis tant de siècles.
Mon fils, les lames des Stark luisent encore du sang de nos proches amis Karstark, dont votre propre grand-oncle, Rickard Karstark. Ils se sont emportés contre le jeune loup, celui qui se dit roi du Nord, et ont réclamé vengeance sur la personne de Ser Jaime Lannister pour la mort de vos cousins. Tous ceux qui ont participé à ce mouvement ont été décapités ou pendus haut et court.
Vous savez comme nous étions proches des Karstark, mon frère et moi. J’ai moi-même réussi à conserver mon sang-froid et à ne point me compromettre dans cette rixe, mais je ne peux en dire autant de mon cher frère Jorren. Je vous souhaite de ne jamais connaître ce sentiment inhumain, lorsqu’on se voit dérober un frère si proche et, pourtant, auquel vous n’avez jamais pu dire tout ce qu’il représentait. Votre oncle a affronté la mort les yeux ouverts, et a demandé à Robb Stark de manier lui-même l’épée, mais il a repoussé sa requête. Ils l’ont pendu comme un vulgaire gredin, Jorren Blacksword, l’une des plus fines lames des sept royaumes. Le roi du Nord ne salit pas son épée pour les sous-fifres sans nom, a-t-il dit.
Eh bien, j’ai moi aussi quelque chose à lui dire. Si le roi du Nord pense que les Blacksword n’ont pas de nom, tous serments d’allégeance qu’ils lui devaient sont brisés. Nous voilà libres de choisir nos propres maîtres. Je rentre donc avec nos hommes, la cavalerie Karstark, et de nouvelles alliances en perspective. Votre mariage assurera la pérennité de notre nom et de nos intérêts, tant dans le Nord que dans les sept royaumes. Votre future femme nous rejoindra sous peu et je pourrai vous la présenter dès notre arrivée.
Nous nous retrouverons bientôt, mon fils, et, ensemble, nous restaurerons la grandeur du Nord. La vengeance des Blacksword résonnera jusqu’aux cités décadentes de Dorne et de Hautjardin, et tant les sauvages que les seigneurs corrompus des sept royaumes craindront notre nom.
Embrassez votre petit frère et dites lui que son père revient bientôt. Ce qu’il reste de notre famille sera réuni pour de bon.
Avec tous mes sentiments,
Edrick Blacksword l’Immortel
Seigneur des Tertres
Champion de Vieux Wyk
PS : J’ai reçu la missive de notre bon mestre Ludveck à propos de cette abomination qui vous sert d’homme de main, ce Merrick Kragnar, et j’espère que, d’ici à mon retour, vous aurez eu le temps de séparer cette tête impie des épaules qui la portent.
C’est un gouffre qui s’ouvre sous nos pieds. Edrick, bien sûr, semble affecté, mais la réaction de Volken est effroyable. Il est livide, et c’est à peine s’il entend son fils venu le réclamer. Ce fils qui ne connaîtra jamais son grand-père. Même la Braavienne a l’air touchée plus qu’elle ne le devrait, d’autant qu’elle n’a pas pris connaissance de la lettre.
Edrick, égal à lui-même, murmure quelques condoléances à son cousin, puis se lance dans ce qu’il sait faire de mieux : s’occuper de menus détails d’une trivialité sans nom, alors même que notre monde à tous vient de s’effondrer. Il convoque ainsi le mestre pour le réprimander sur l’initiative qu’il a prise de prévenir notre seigneur de la nouvelle « condition » de Merrick Hill, puis il se lamente sur le mariage qu’a planifié pour lui son père… Quelle ironie de le voir ainsi gémir sur son sort, qui serait presque le plus enviable de tous !
Mais la nouvelle est trop dure à encaisser pour Volken, qui quitte la pièce d’un pas raide. Je reste encore quelques instants en compagnie d’Edrick et d’Illyria, hésitant sur la conduite à suivre. Finalement, le cœur serré, je sors à mon tour de la salle. Hormis son fils lui-même, le père de Volken a probablement été la seule personne dans ce château à m’accueillir à bras ouverts il y a presque trois ans, quand j’arrivais de mon île après avoir tout quitté. Je ne sais évidemment rien de la douleur de perdre un père, mais la mort de Jorren m’affecte autant parce que j’appréciai cet homme que parce que je vois son fils en souffrir.
Je me rends donc aussitôt aux appartements de Volken, mais les sons qui s’en échappent me retiennent d’y entrer : bruits de meubles cassés, de coups, de sanglots… Je ne crois pas qu’il soit raisonnable d’apporter mon réconfort à Volken en cet instant.
Après quelques minutes, cependant, je me décide à y retourner et le trouve, abattu, au milieu d’une chambre en ruines. J’apporte une épaule amie, ainsi qu’une carafe de vin, pour épancher son chagrin. L’avenir s’annonce sombre pour nous tous…